Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Les problèmes du modèle Standard

Simulation de la transformation de la matière sombre (à gauche) en gaz (à droite). La projection est centrée sur un amas de galaxies massif et s'étend sur 15 Mpc de profondeur. Document Collaboration Illustris.

L'énergie sombre (IV)

Parmi les problèmes du modèle Standard, les modèles CDM prédisent que des particules lentes, massives induiraient des vides moins vastes entre les amas de galaxies que des particules chaudes et rapides, plus conformes à la réalité. Mais il prévoit la formation des galaxies avant celles des superamas. Plus de 90% de cette masse est contenue dans les galaxies or les observations n'y voient que 27% de la matière baryonique.

Des astronomes du Mont Wilson et du Kitt Peak supposèrent que cette matière sombre et froide devait être très hétérogène pendant les temps primordiaux pour permettre la formation des galaxies et des superamas. Ils considèrent que l'isotropie du rayonnement fossile va à l'encontre du modèle de la matière sombre et froide. Si c'est le cas disent-ils, le milieu doit avoir laissé une empreinte sous la forme d'une variation locale de la température du rayonnement fossile. Or, jusqu'en 1992 aucun relevé ne permettait d'étayer cette hypothèse.

Dans sa première version, le modèle inflationnaire prédisait également que la plupart des galaxies avaient mis plusieurs milliards d'années pour se former, le temps que la gravitation puisse agir. Nous devrions en trouver fort peu au-delà de z=3, à des distances supérieures à 12 milliards d'années-lumière pour Ho = 67.7 km/s/Mpc. Or de nombreux astronomes sont convaincus que les quelques quasars doubles qu'on observe au-delà de ces distances sont des galaxies dont le noyau est fortement actif, cachant vraisemblablement un trou noir supermassif. C'est ici qu'à l'époque le modèle des textures (voir plus bas) apporta un plus du fait de l'action des défauts topologiques. Mais nous verrons que ce modèle fut abandonné.

Enfin, le modèle de la matière sombre s'accorde mal avec les puissants objets que sont les radiosources et autres AGNs. Un certain nombre d'entre eux existent au-delà de 10 milliards d'années-lumière, si éloignés qu'ils présentent un aspect quasi stellaire. Quelques-uns émettent des jets de plasma à des vitesses relativistes et sont le siège d'une intense activité énergétique. Mais si on tient compte de l'effet de lentilles gravitationnelles et de la présence de concentrations de matière sombre dans la ligne de visée, on peut expliquer beaucoup de choses.

La matière est supposée se former par de petites agglomérations des nuages primordiaux d'hydrogène et d'hélium et le temps a fait office de grand ordonnateur pour hiérarchiser les structures (atomes, étoiles, galaxies, amas, ...). Pour le physicien Richard Morris[12], "Si on découvrait d'autres objets éloignés tels que les quasars avec un décalage supérieur à 5, par exemple, la théorie de la formation des galaxies à partir de la matière cachée froide devrait être rejetée [...] même si, à beaucoup de points de vue, c'est aujourd'hui la théorie la plus efficace." Mais depuis 1991 de nouvelles observations ont forcé les astronomes à réviser le modèle CDM.

Pour résoudre ces difficultés conceptuelles, les astrophysiciens ont imaginé un autre scénario. Si la densité de l'Univers est proche de sa densité critique comme beaucoup d'astrophysiciens et de cosmologistes le pensent sur base de différentes mesures, sachant que la densité de matière baryonique (ΩB ~ 0.05) ajoutée à celle de la matière sombre et froide (ΩCDM ~ 0.35) ne représente pas plus de 27% de l'ensemble, on en déduit logiquement qu'il manque au modèle CDM la contribution non plus d'une matière mais vraisemblablement d'une forme d'énergie sombre (ou noire) à raison de 73% de la densité critique de l'Univers. Cette énergie qui ne laisse aucune trace sur les détecteurs est aujourd'hui associée à l'énergie du vide : c'est le modèle ΛCDM, Λ faisant référence à la nouvelle constante cosmologique. 

A voir : IllustrisTNG Single Galaxy Formation, 2019

Simulation of galaxy formation, T.Saitoh, 2019

EAGLE Simulation, 2015

A gauche et au centre, formation d'un amas de galaxies massif à la jonction des filaments de gaz réalisée avec la simulation Cluster-EAGLE. Ces cartes correspondent aux mêmes zones d'émissions que celles détectées par les astronomes. A droite, simulation similaire à z = 0.1 réalisée à l'aide du modèle EAGLE AGNdT9. L'intensité représente la densité du gaz et la couleur représente sa température. Les objets stellaires sont représentés par les points blancs. L'encart présente la luminosité de la surface en rayons X centrée sur le centre de l'amas. Documents Joshua Borrow/C-EAGLE (2019) et D.J.Barnes et al./C-EAGLE (2016).

L'explication la plus souvent invoquée fait appel à l'énergie associée aux particules virtuelles qui remplissent le vide quantique et qui sont distribuées uniformément dans l'espace et ce, quelle que soit la période considérée. Cela signifie en d'autres termes que la constante cosmologique contribuerait à 73% de la densité critique de l'Univers. Encore faut-il trouver les particules actives dans ce processus et agissant de manière suffisamment diffuse pour ne pas contrecarrer la structure de l'Univers à grande échelle tout en préservant l'expansion accélérée découverte en 1998.

Enfin, comme nous l'avons évoqué, depuis 2017 il faut aussi tenir compte du fait qu'il existe des galaxies situées à 10 milliards d'années-lumière contenant très peu de matière sombre dans leur disque. Ceci dit, d'autres observations ainsi que les simulations indiquent qu'il s'agirait probablement de cas isolés ou en tout cas non représentatifs de cette époque ancestrale.

La nature de l'énergie sombre

A défaut de trouver dans la matière baryonique les particules dont nous avons besoin pour remplir l'Univers, les physiciens ont fait appel à des particules exotiques, c'est-à-dire qui n'appartiennent pas au modèle Standard des particules élémentaires. Il s'agit donc de concepts qui n'ont jamais été validés par l'observation. A défaut de preuves, il n'est donc pas du tout certain que les astrophysiciens et les physiciens supportent ces théories "exotiques" ou disons alternatives.

Des GEODEs ?

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2019, le physicien Kevin Croker et le mathématicien Joel Weiner de l'Université d'Hawaï ont identifié et corrigé une erreur ou une approximation subtile que commettent les chercheurs quand ils utilisent les équations d'Einstein pour modéliser l'évolution de l'Univers. En effet, les physiciens supposent généralement qu'un grand système cosmologique comme l'Univers est insensible aux détails des petits systèmes qu'il contient. Mais selon Croker et Weiner cette hypothèse peut être invalidée pour les objets compacts qui se forment après l'effondrement et l'explosion des étoiles massives.

Schéma d'un hypothétique GEODE. Document Collaboration EHT, NASA/CXC,U.Villanova.

Les deux chercheurs ont démontré que le taux d'expansion de l'Univers peut être sensible à la contribution moyenne des objets compacts. De même, l'évolution de ces objets peut dépendre du taux d'expansion de l'Univers, gagner ou perdre de l'énergie en fonction de la composition de ces objets. Ce résultat est significatif car il révèle des liens inattendus entre la cosmologie et l'astrophysique des objets compacts, ce qui conduit à de nombreuses nouvelles prédictions vérifiables.

L'une des conséquences de cette étude est que le taux d'expansion de l'Univers fournit des informations sur ce qu'il advient des étoiles en fin de vie. En effet, les astrophysiciens supposent généralement que les étoiles massives terminent leur vie sous forme de trou noir, mais ce n'est pas le seul résultat possible. En 1966, le physicien Erast Gliner de l'Institut Ioffe de Physique et de Technologie de Léningrad (et déjà connu pour son modèle d'univers inflationnaire), proposa une hypothèse alternative selon laquelle les étoiles très massives pouvaient s'effondrer dans ce qu'on pourrait appeler des objets génériques d'énergie sombre GEODEs (Generic Objects of Dark Energy). Vus de l'extérieur, ils ressemblent à des trous noirs, mais contrairement aux trous noirs, ils contiennent de l'énergie sombre au lieu d'une singularité. Selon les chercheurs, leur existence pourrait expliquer la distribution de l'énergie sombre à l'échelle cosmique.

Selon Croker et Weiner, la découverte en 1998 de l'expansion accélérée de l'Univers est compatible avec la présence d'un apport uniforme d'énergie sombre. Cependant, on ignorait si les GEODEs pouvaient y contribuer. Avec le formalisme corrigé, les deux chercheurs ont montré que si une fraction des étoiles les plus âgées s'effondrait en GEODEs au lieu de trous noirs, aujourd'hui leur contribution moyenne produirait naturellement et uniformément l'énergie sombre requise.

Les résultats de cette étude s'appliqueraient également aux systèmes binaires en collision détectés par les physiciens de la Collaboration LIGO-Virgo. En effet, l'évènement GW150914 observé en 2016 correspondrait à la fusion de deux trous noirs. Mais selon les deux auteurs, la paire d'objets était étonnamment lourde - environ 5 fois plus grande que la masse des trous noirs prédite par les simulations. En utilisant le formalisme corrigé, Croker et Weiner se demandent si les détecteurs d'ondes gravitationnelles LIGO-Virgo n'auraient pas plutôt observé la collision d'un GEODE binaire. Ils ont découvert que les GEODEs grandissent en même que l'expansion de l'Univers. Lorsqu'ils entrent en collision et fusionnent, la masse résulante des GEODEs devient 4 à 8 fois plus grande, ce qui correspond approximativement aux observations de LIGO-Virgo.

Sachant que leur théorie est purement spéculative Croker et Weiner ont souligné que "les trous noirs ne sont certainement pas morts. Ce que nous avons montré, c’est que si les GEODEs existent, ils peuvent facilement donner lieu à des phénomènes observables qui manquent actuellement d'explications convaincantes. Nous anticipons de nombreuses autres conséquences observationnelles d'un scénario GEODE, y compris de nombreuses manières de l'exclure. Nous avons à peine commencé à gratter la surface." A ce jour, le GEODE reste un objet très spéculatif.

Interactions de multivers

Illustration d'une collision entre deux multivers. Document Nicolle R.Fuller/Sayos Studio.

Selon certains physiciens théoriciens et cosmologistes, si on applique les lois de la physique quantique à la théorie du Big Bang, il est possible que notre univers ne soit pas unique mais fasse partie d'un ensemble plus vaste d'univers multiples ou multivers (cf. la cosmologie quantique).

En théorie, dans cette perspective chaque univers serait né d'un Big Bang et forma une "bulle-univers" aux propriétés spécifiques et indépendante des autres. Dans l'une de ces "bulles-univers" les lois et les conditions physico-chimiques étaient réunies pour créer les structures cosmiques et la vie telles que nous les connaissons. Mais ces "bulles-univers" évoluant librement, à l'image des bulles de savon, elles peuvent entrer en collision.

En 2011, l'équipe du cosmologiste Stephen M. Feeney de l'Imperial College de Londres publia dans "The Physical Review Letters" un article dans lequel elle proposa de tester par l'observation la théorie de l'inflation éternelle. Les chercheurs ont étudié ce qui se passe après la collision entre des "bulles-univers" pour déterminer ce qu'un observateur verrait. L'équipe prédit qu'une telle collision nous apparaîtrait comme un gradient de température en forme de disque ou d'anneau sur la carte du fond cosmologique à 2.7 K (CMB) comme on le voit ci-dessous.

En 2012, les cosmologistes Hiranya Peiris du Collège Universitaire de Londres et Matt Johnson de l'Institut Perimeter qui avaient travaillé avec Feeney ont collaboré avec les physiciens Anthony Aguirre et Max Wainwright de l'Université de Californie à Santa Cruz pour simuler un multivers formé de deux "bulles-univers" et aboutirent à la même conclusion.

Un telle collision se traduirait également par un excès local d'hydrogène très chaud qui serait détectable au moyen de radiotélescopes et de télescopes très puissants.

Selon certains auteurs, la présence de matière sombre ou d'énergie sombre voire des deux composantes représenteraient les effets résultant d'une collision de notre "bulle-univers" avec un autre univers aux propriétés différentes.

Dans cet autre univers, la gravité serait une force répulsive qui se matérialise dans notre univers sous la forme d'énergie sombre car ce serait la seule manifestation "visible" dans notre espace-temps à quatre dimensions des effets de la gravitation régnant dans cet autre univers dont les autres dimensions sont inaccessibles à nos sens.

Ces simulations montrent que la collision d'une "bulle-univers" avec la nôtre modifierait la température du fond cosmologique micro-ondes, créant dans le ciel un disque ou halo pâle potentiellement observable. Documents S.M.Freeney et al. (2011) et M.Johnson et al./Institut Perimeter (2012).

Selon cette théorie, la collision eut lieu très tôt dans l'histoire de notre univers car les simulations (cf. les projets EAGLE et Illustris) et les observations indiquent que la matière et l'énergie sombre existaient déjà un milliard d'années après le Big Bang et probablement dès le début. Toutefois, ce n'est qu'il y a environ 5 milliards d'années que l'effet répulsif de cette gravitation étrangère (l'énergie sombre et/ou la matière sombre) surpassa l'effet de la gravitation attractive de notre univers, produisant une accélération soudaine de l'expansion de notre "bulle-univers".

Si en théorie tout cela est posssible, il faudra que les physiciens des particules élémentaires et les astronomes scrutant l'univers très profond découvrent d'autres traces de phénomènes étranges sortant du cadre des modèles standards et surtout des effets tangibles de cette hypothétique collision pour convaincre la communauté scientifique. C'est la raison pour laquelle des équipes d'astronomes sont en train de rechercher les traces de cette hypothétique collision entre multivers notamment grâce au radiotélescope de Green Bank et au télescope Mayall du Kitt Peak (cf. le projet DESI). Pour sa part, nous verrons que Enrique Gaztañaga est persuadé d'avoir déjà détecté cette trace dans les données de WMAP. Ceci dit, l'existence des hypothétiques WIMPs (Weakly Interacting Massive Particles) n'est toujours pas écartée (cf. le projet XENON1T). On y reviendra.

Autres théories exotiques

Pour tenter de résoudre cette problématique, les physiciens ont fait appel à d'autres théories exotiques - obligatoirement - et notamment à une espèce très légère de cordes cosmiques qui seraient apparues durant la phase de transition électrofaible de l'univers primordial. D'autres parlent de "défauts topologiques" à deux dimensions spatiales comme les textures issues des théories inflationnaires chaotiques.

Dans les deux cas, le but est d'obtenir un vide quantique dynamique, qui par sa pression négative par exemple, participerait au taux d'expansion de l'Univers. De leur côté, par leur énergie et leurs effets gravitationnels, les particules exotiques serviraient de "noyaux de condensation" à la matière. Toutefois, confrontées à l'expérience, aucune des deux hypothèses n'est vraiment convaincante. Par curiosité, décrivons malgré tout ces théories exotiques et voyons ce qu'elles peuvent nous apporter mais ne les tenez pas trop pour argent comptant car tout cela est très spéculatif.

1. Les cordes cosmiques

Nous savons grâce aux recherches en physique quantique que juste à la fin de l'ère de Grande unification, vers 10-35 s, l'interaction électrofaible était définie par une symétrie de jauge où n'existait que des quarks et des antiquarks. Elle s'est brisée 10-12 s après le Big Bang permettant à ces particules de créer protons et neutrons, qui eux-mêmes interagiront avec d'autres particules non baryoniques, les éventuelles superparticules, les WIMPs et autres MACHOs qui contribuent à la masse cachée de l'Univers.

Sans entrer dans les détails des théories unifiées (gravité quantique) dont nous reparlerons dans d'autres articles, les cordes cosmiques[13] seraient des défauts topologiques à une dimension d'espace, entre domaines et monopôles. Elles pourraient encore exister aujourd'hui et résoudre tous nos problèmes, ou presque.

Les cordes cosmiques sont des structures filiformes qui seraient apparues 10-35 s après le Big Bang. Invariantes par changement d'échelle, elles s'étendraient à travers tout l'Univers, présenteraient une longueur mais pas de dimension (échelle de Planck) et chaque extrémité contiendrait un quark. Ces cordes seraient en vibration à des vitesses relativistes et seraient extrêmement denses, le carré de la masse de Planck, soit 1019 kg/cm.

En théorie, les cordes les plus massives existeraient encore dans l'Univers et pourraient engendrer des effets optiques (dédoublement d'images dans les fameux champs binaires) et émettraient des ondes gravitationnelles. Elles pourraient expliquer l'existence de l'énergie sombre et des grandes structures cosmiques.

Selon les astronomes, les "condensations" de matière peuvent avoir trois origines :

- des tourbillons "superfluides" présents dans cette "soupe" d'énergie invisible,

- des champs d’énergie d'intensités variables,

- des phénomènes gravitationnels aléatoires.

Tous ces phénomènes peuvent donner naissance aux superamas de galaxies.

Ces simulations nous présentent deux stades de l'évolution d'un univers constitué de matière sombre (CDM) faite de cordes cosmiques. A gauche, un arrêt sur image à l'époque chaude relativiste où tout n'était encore que rayonnement. Sur l'agrandissement le côté de la "boîte" mesure environ 2ct, nous sommes environ 2 heures après le Big Bang. A droite, 300000 ans après le Big Bang, à l'époque de la recombinaison lorsque les premiers atomes se sont constitués. Notez la grande concentration de petites boucles de cordes et la grande extension des grandes boucles, caractéristiques du comportement de ces objets. Ces simulations contiennent chacune plus de 20000 lignes de code C et ont été programmées par Bruce Allen et Paul Shellard. Documents Université de Cambridge.

Capables de créer des paires de particules-antiparticules, Edward Witten suggéra en 1985 que les cordes cosmiques permettaient de former des particules chargées sans masse. Il se base sur les propriétés des supraconducteurs qui peuvent modifier les propriétés de la matière. Ainsi, une particule piégée dans le supraconducteur d'une corde cosmique serait animée d'une vitesse relativiste et n'aurait pas de masse. Elle n'utiliserait par ailleurs qu'une très faible énergie pour se déplacer. Chargée électriquement, cette particule créerait un champ électromagnétique en se déplaçant qui permettrait la condensation des nuages d'hydrogène et d'hélium. Selon la théorie de Witten, l'onde électromagnétique s'étendrait telle une bulle à l'échelle galactique. L'intersection de ces bulles aurait formé les galaxies, laissant d'énormes vides autour d'elles.

Bien que cette théorie explique la répartition actuelle des galaxies à grande échelle et l'effet "bulle de savon" constaté par Kirshner avec l'agglutinement des galaxies en périphérie des "bulles", cette théorie n'explique pas comment le champ magnétique agit à l'intérieur même des cordes. Or nous savons que la deuxième transition de phase (symétrie de jauge) prit fin vers 10-35 s après le Big Bang. Plus tôt, l'interaction électrofaible agissait aux côtés de l'interaction forte et de la gravitation. Si des cordes cosmiques massives existent encore aujourd'hui, elles doivent interagir avec le milieu interstellaire : celles-ci doivent libérer un intense rayonnement X ou un rayonnement encore inconnu.

Mais les simulations numériques réalisées par George Abell dans les années 1950 et tout récemment par F.Bouchet, T.Kibble, W.Zurek et leurs collègues ont démontré qu'il ne fallait pas rechercher l'origine des galaxies et des superamas dans la gravitation, mais plutôt dans un effet provoqué par les débris des cordes cosmiques (des boucles). Ces sortes de condensations magnétiques perdirent tant d'énergie par leurs vibrations qu'elles créèrent des ondes gravitationnelles propices à la formation de la matière qui pu localement s'agglutiner autour des axions (s'ils sont massifs). Par effet gravitationnel, ces boucles déclenchèrent la formation des protogalaxies, ces vastes entités primordiales de plusieurs millions d'années-lumière et les superamas de galaxies. Ces cordes cosmiques seraient donc à l'origine de ce qu'on appelle l'"inflation primordiale".

Sur le plan expérimental, notons qu'en 1991 des cordes cosmiques furent simulées dans des cristaux liquides nématiques par l'équipe de Bernard Yurke des Bell Laboratories. Mais composée de particules organiques à trois dimensions spatiales, cette substance est loin de refléter la structure et les propriétés de l'espace. Quoi qu'il en soit, cette théorie est déjà soutenue par des simulations, renforçant sa crédibilité auprès des physiciens. Reste à convaincre les astronomes en trouvant des corps célestes subissant les effets des cordes cosmiques ou en détectant directement leurs rayonnements (ondes gravitationnelles, rayons X, etc.).

Simulation de cordes cosmiques

A gauche, évolution de cordes cosmiques dans un réseau de cristal liquide nématique. A droite, connexion et séparation de cordes en l'espace d'une fraction de seconde. Doc L.Chuang et al.

En attendant de trouver cette preuve observationnelle qui viendrait corrobrer la théorie des cordes cosmiques, depuis quelques années les physiciens de Princeton, du Fermilab ou du CERN planchent sur des variations des théories de Grande unification et recherchent des particules, d'autres "défauts topologiques" capables d’expliquer la structure actuelle de l'Univers et son évolution depuis le Big Bang.

Ainsi en 1996, la revue "Nature" rapportait que des réactions nucléaires exothermiques entre un neutron et de l'hélium-3 superfluide, visant à chauffer ce dernier au-dessus de la température critique, permirent également de confirmer la théorie de Kibble-Zurek concernant la formation de défauts topologiques lors des transitions de phase.

Mais une éprouvette ou un laboratoire ne contiendra jamais tous les réactifs présents dans l'Univers et ne sera jamais qu'une limite, moyenne statistique de son état. Par ailleurs, il faut se rappeler que ces particules exotiques ont souvent tendance à dominer toute la matière, tel le problème des monopôles soulevé par Andrei Linde. Si ces défauts topologiques n'expliquent pas la réalité, il existe peut-être d'autres variétés de monopôles dont les propriétés satisfont les observations.

Examinons à présent la théorie concurrente du modèle inflationnaire, le modèle des "textures".

2. Des défauts de texture

Développée en 1989 par le physicien Neil G. Turok[14] de l'Université de Princeton, le concept de "texture" est le dernier né des théories unifiées, le plus difficile aussi. La texture est dans la suite logique des "défauts topologiques" que sont les domaines, les cordes cosmiques et les monopôles magnétiques qu'on retrouve dans les théories inflationnaires (cf. l'inflation chaotique). Ces trois variétés de "défauts" ont été progressivement étudiées dans une dimension (le point), puis deux (la ligne) et enfin dans les trois dimensions (la surface). La texture est un défaut topologique à quatre dimensions dans lequel s'oriente le champ inflaton (les champs de Higgs) pour briser la symétrie.

La texture n'a plus de taille précise, elle peut aller de l'infiniment petit (quelques microns) à des années-lumière d'étendue. Puisque l'orientation du champ autour d'une texture reste constante (parallèle, comme l'ombre du Soleil en 3 dimensions), les défauts peuvent disparaître en lissant toutes leurs irrégularités, redonnant à la structure de l'espace-temps une configuration homogène.

Par analogie, les champs de Higgs peuvent être assimilés au faux noeud noué sur une corde. Si vous tirez sur le noeud, en une fraction de seconde vous recréez une corde lisse sans défaut. Dans l'espace, cette contraction des champs de Higgs jusqu'à l'échelle quantique s'effectue pratiquement à la vitesse de la lumière (>0.5c). Inversement, les textures cosmiques peuvent se détendre à la vitesse de la lumière, en changeant d'échelle à mesure qu'elles se déroulent.

Les textures sont des défauts topologiques à 4 dimensions que l'on peut rapprocher de petits aimants orientés dans toutes les directions et capables d'attirer la matière. Comme les cordes cosmiques, les textures sont déterminées par les champs de Higgs. Jusqu'aux alentours de 2005, inflation et de texture étaient des théories concurrentes. Depuis, le concept de texture fut invalidé par les résultats de la mission Planck. Document University of Cambridge.

Juste après le Big Bang, les textures auraient ainsi changé de dimension de façon constante, chacune d'elle se déroulant en fonction de l'expansion de l'Univers, les petites textures se déroulant en premier lieu : à une heure du Big Bang (ct) les textures d'une heure-lumière se sont déroulées et ainsi de suite. De nos jours, l'Univers devrait contenir des textures de plusieurs milliards d'années-lumière de longueur en cours de contraction, offrant une chance à la matière de s'agglomérer par effet gravitationnel.

Les simulations effectuées depuis 1987 par Neil Turok, Wojciech Zurek de Los Alamos, William Presse et Barbara Ryden de l'Université d'Harvard indiqueraient que cette texture serait statistiquement en mesure de former les structures cosmiques que nous observons. Elle expliquerait également l'effondrement des régions denses de l'Univers qui ont formé les premiers quasars et les plus lointaines galaxies. La texture est donc une approche "hydrodynamique" de la cosmologie.

Avantages et inconvénients de ces théories exotiques

Quels sont les avantages et les inconvénients de ces deux théories exotiques, les cordes cosmiques et celle des textures, toutes deux issues du monde quantique ?

Le modèle des textures prédit qu'en se contractant cet objet laisserait derrière lui des "trous" dans la distribution de la matière. Ces régions pourraient s'étendre si des textures plus étendues venaient à se contracter. A l'époque où la matière dominait l'énergie de l'Univers, ces trous ce sont étendus sous l'effet de leur propre gravité, conduisant à former les objets tel que nous les observons aujourd'hui, les étoiles, les amas de galaxies et les superamas.

La densité d'énergie des textures est définie selon les mécanismes de Higgs mais certains paramètres des équations sont encore libres. C'est un avantage dit Turok, car ils nous permettent d'ajuster la force du champ de Higgs pour épouser exactement la distribution actuelle des structures dans l'Univers. Une fois ajustée, la texture prédit que la symétrie se brise à une température fort proche de celle prévue dans les GUT.

Deuxième avantage, la texture se différencie des théories inflationnaires gaussiennes par le fait que les fluctuations de densité n'apparaissent plus de façon sporadique dans le vide quantique. En fait les simulations indiquent que les trous vides d'énergie sont plus faibles et les régions denses plus intenses et plus nombreux que dans le modèle inflationnaire.

Troisième avantage, comme nous l'avons déjà dit, étant donné que la matière a plus de chance de se former dans le modèle avec textures, les galaxies se forment également beaucoup plus tôt que dans la théorie inflationnaire. Ce scénario prédit que la formation des galaxies ne se déclenche qu'au bout de quelques milliards d'années seulement après le Big Bang. Grâce aux textures, les galaxies primordiales se forment déjà après 10 millions d'années. Cette prédiction pourrait expliquer la découverte de galaxies et de quasars à plus de 10 milliards d'années-lumière.

Enfin, la texture prédit que dans le passé les fluctuations de densité ont formé des amas de galaxies et des superamas bien plus denses que ne le prévoit la théorie inflationnaire. Les observations de l'Univers à grande échelle de George Efstathiou confirment bien cette théorie alors que l'inflation est en conflit avec cette idée.

Les cordes cosmiques ont parmi leurs avantages le fait d'être invariantes, sur le plan statistique du moins, par changement d'échelle. Document University of Cambridge.

Les deux théories, inflation et texture donnent toutefois les mêmes prédictions en ce qui concerne les objets dont la taille est inférieure à la distance qui sépare deux galaxies. A cette échelle la gravité surpasse l'effet d'amas et les deux théories ne peuvent se départager. Pour les différencier, les astronomes doivent sonder l'Univers à la recherche de structures primordiales où la gravitation n'a quasiment pas perturbé la formation des grandes structures. La répartition des amas dans le ciel - la fonction de corrélation angulaire - est le meilleur outil statistique que les astronomes puisse utiliser pour tester les deux modèles.

Ceci était le point de vue adopté à la fin des années 1990. Depuis, de nouvelles analyses des amas extragalactiques et des simulations ont contraint les théoriciens et les cosmologistes à revoir leur copie. En effet, à l'époque le modèle de Turok associé aux analyses des astronomes Renyue Cen et Jeremiah P. Ostriker de l'Université de Princeton s'accordait mieux avec les observations que la théorie inflationnaire gaussienne. Aussi, seule une analyse détaillée de la distribution des amas pouvaient départager les deux modèles ainsi qu'une analyse détaillée du rayonnement cosmologique.

Remarquons cependant qu'en son temps, le modèle avec textures était avantagé car il prédisait que la densité de l'Univers valait environ 10% de la densité critique et contrairement à ce que les astronomes pensaient, la matière sombre devait être régulièrement répartie dans l'Univers.

En fait, Turok et ses collègues confirmaient l'idée des astronomes du Mont Wilson et du Kitt Peak : en se déroulant, la texture devrait provoquer une modification de la température du rayonnement du corps noir. En traversant par exemple le "trou" laissé par une texture, un photon devrait gagner de l'énergie. Il devrait en perdre s'il devait "gravir" une texture en contraction. Cette différence d'énergie serait de l'ordre de 0.0001 K.

Pour les adversaires de cette théorie, et ils sont majoritaires, il faut dire à sa charge et c'est d'importance pour ce qui va suivre, que ce modèle n'est pas fondé sur le modèle cosmologique Standard où la gravité joue un rôle clé, mais plutôt sur des défauts topologiques, des textures, qui restent dans l'état actuel de nos connaissances des concepts exotiques et purement spéculatifs. En effet, cette théorie fait appel à des particules qui n'existent pas dans le modèle Standard.

Il ne faut donc pas s'étonner si ces théories ont été rejetées par un certain nombre de chercheurs car ils leur manquaient l'éternelle et sine qua non confirmation in situ pour les valider.

Finalement, les résultats de la mission Planck publiés en 2016 ont invalidé la théorie des textures qui fut écartée car elle ne s'accorde pas avec les observations. Aujourd'hui, la version chaotique de la théorie de l'inflation (cf. Linde) à la faveur des physiciens et des cosmologistes, renforcée par les résultats des mesures du satellite Planck. Mais cela ne veut pas encore dire que ce modèle reflète la réalité, juste qu'il permet d'expliquer beaucoup de choses survenue lors de la création de l'Univers.

Dernier chapitre

A la recherche de la matière sombre et la théorie MOND

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 -


[12] R.Morris, "Aux confins de la science", Archipel-F1rst, 1991.

[13] N.Turok, Physical Review Letters, 55, 1985, p1801 - J.Silk, Nature, 320, 1986, p12 - C.Hogan, Nature, 320, 1986, p572 - P.Campbell, Nature, 320, 1986, p679 - Bennet et Bouchet, Physical Review Letters, 60, 1988 - C.Baüerle et al., Nature, 382, 1996, p332 - T.Kibble et al., Nature, 382, 1996, p334 - W.Zurek, Nature, 382, 1996, p296.

[14] R.Cen, J.Ostriker, D.Spergel et N.Turok, Astrophysical Journal, 383, 1, 1991, p1 - D.Spergel et N.Turok, Scientific American, March 1992, p36..


Back to:

HOME

Copyright & FAQ