Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

La cosmologie quantique

Portrait de Giordano Bruno réalisé en 1830 pour le livre biographique d'Adolfo Wagner inspiré d'un portrait extrait du "Livre du Recteur de l'Académie de Genève" de 1578. Voici une autre version.

La théorie des univers multiples (III)

En 1600, âgé de 52 ans, le philosophe napolitain Giordano Bruno publia un livre intitulé "L'infini, l'univers et les mondes" écrit en italien pour lequel il sera condamné à mort par l'Inquisition et brûlé vif sur un bûcher pour avoir prétendu, parmi d'autres "hérésies" (dont celles qu'il existait des terres autour d'autres soleils et des être vivants ailleurs dans l'univers), que les mondes étaient multiples. Si la première assertion s'est avérée vraie (cf. les exoplanètes), nous ne savons toujours pas si les deux autres le sont également.

Les idées véhiculées par cet ancien frère Dominicain, poète et écrivain à ses heures, comme celles démontrées près de quatre siècles après lui par Stephen Hawking restent difficiles à confirmer.

De nos jours, s'il s'avère que la densité de l'Univers est proche de la valeur critique, tous les cosmologistes et physiciens théoriciens reconnaissent que la probabilité que l'Univers soit juste à la limite d'être ouvert ou fermé est nulle. Car seul un choix parmi une infinité de valeurs permettrait de trouver une densité et un taux d'expansion exacts qui confirment cette observation. Ainsi que nous le verrons, les scientifiques résolvent ce problème en affirmant qu'il existait un nombre infini de conditions initiales et un nombre infini d'univers.

Mais ici Hawking souleva un paradoxe. Comment une situation unique peut-elle conduire à énoncer une loi d'unification ? Nous avons déjà expliqué dans le contexte des modèles d'Univers, qu'une seule expérience ne peut aboutir à formuler une loi (un calcul, le comment), et a fortiori une théorie (l'explication, le pourquoi). Les physiciens ne peuvent donc pas expliquer l'Univers. Linde le confirme quand il dit "L'Univers est, point."

Les concepts invérifiables comme les univers parallèles ou multiples sortis en droite ligne des interprétations de la mécanique quantique et de la théorie des cordes semblent passionner les physiciens. Ainsi, en 1957 le physicien et mathématicien Hugh Everett III[4] s'étonna dans sa thèse de doctorat que l'électron semblait suivre plusieurs trajectoires simultanément, alors qu'une seule ne pouvait être localisée expérimentalement.

Pour résoudre ce problème, Everett proposa que l'électron suivait chaque trajectoire dans... d'autres univers ! Le point de vue d'Everett sera connu sous "l'interprétation des univers multiples" de la mécanique quantique.

Plus récemment, même la théorie de l'inflation cosmique, qui est au cœur des concepts les plus modernes sur l'origine de l'Univers, prédit l'existence d'univers multiples.

Hugh Everett III en 1964.

Combien existerait-il d'univers parallèles ? En effet, les physiciens théoriciens ont calculé exactement leur nombre. Selon les modèles, il existerait entre 10500 et 101000 univers parallèles. La théorie des supercordes en dénombre 10500; il s'agit des variétés de Calabi-Yau. Ce nombre bien qu'inimaginable est plus proche de l'infini que d'une petite quantité !

Certaine étendent même cette interprétation à des considérations plus philosophiques et psychiques, appelant au concept des "pensées multiples" ou de "conscience quantique" puisque, selon une certaine interprétation probabiliste, chacun des états mentaux intriqués percevrait son propre univers. Mais nous verrons que la grande majorité des physiciens s'oppose à ces implications farfelues de la mécanique quantique.

En revanche, quelques physiciens et cosmologistes - ils sont minoritaires - sont favorables à la théorie des univers multiples. Mais à défaut de preuves, leur point de vue soulève quelques doutes dans l'esprit de leurs confrères.

Le problème vient du fait que la mécanique quantique et ses extensions en cosmologie quantique reste un domaine mal compris de la physique théorique. Ses paradoxes révèlent à quel point la théorie est contre-intuitive voire impossible à comprendre pour certains. Mais à ce jour elle reste toutefois la meilleure explication de la nature réelle de l'Univers.

En revanche, les auteurs de science-fiction sont persuadés qu'il existe des univers parallèles si on en juge par les séries telles que "Star Trek" et "Stargate" et des films allant d'"Alice au pays des Merveilles" à "La Planète des Singes" en passant par "The Cloverfield Paradox" et "Doctor Strange" sur les réalités alternatives (à ne pas confondre avec les films sur le voyage dans le temps avec ou sans trou de ver qui sont des déplacements dans le même univers mais soit dans un autre temps soit dans un autre lieu).

Bien sûr la fiction n'est pas la réalité, mais combien d'idées folles ou jadis du ressort de la métaphysique font aujourd'hui partie intégrante des sciences. Elles sont légions.

Vu les implications importantes de la théorie des univers multiples, cela vaut la peine d'approfondir ce concept.

La fable du Renard et les Raisins

Le physicien théoricien et cosmologiste Sean Carroll du Caltech défend la théorie des univers multiples ou multivers et rédigea plusieurs ouvrages sur le sujet. Au début de son livre "La face cachée de l'univers" publié en 2020 (cf. "Something Deeply Hidden", 2019), Carroll cite la fable "Le Renard et les Raisins" des Fables d'Ésope du VIIe siècle avant notre ère (que reprirent La Fontaine et Racine). En deux mots, un renard affamé essaie d'atteindre une grappe de raisin suspendue à une vigne. Etant hors de sa portée, mais refusant d'admettre l'échec, le renard déclare que les raisins sont immangeables et se détourne. Selon Carroll, cela résume la façon dont les physiciens traitent les implications farfelues de la physique quantique et souhaite qu'on arrête de penser ainsi. Le renard peut atteindre les raisins dans des mondes parallèles ! En effet, comme Hugh Everett le proposa, le fait que les particules n'ont pas d'emplacement défini dans l'univers pourrait être considéré comme une preuve de l'existence d'univers parallèles.

En théorie, il existe une grande variétés de topologies d'univers multiples ou multivers. Dans ce modèle ci d'univers infinis, chaque "bulle d'univers" est indépendante, fruit d'une fluctuation quantique plus probable que les autres. Document T.Lombry.

Selon Carroll, en physique des particules, ce que nous mesurons sont des probabilités d'existence. On ne peut pas prédire ce qui se passera ensuite, autrement qu'à travers des moyennes statistiques. La physique est coincée en essayant de comprendre les principes fondamentaux de la nature et du Big Bang en imaginant que nous voyons le monde tel qu'il est car nous pensons avoir une idée précise de ce qui se passe. Les physiciens exigent que nos théories respectent ce principe. Mais, selon Carroll, "ce n'est vraiment pas la bonne façon de penser. C'est l'inverse." Carroll développe en détails cette idée dans son livre.

Carroll soutient que la théorie des univers multiples est l'approche la plus simple pour comprendre la mécanique quantique. Carroll accepte la réalité de la fonction d'onde. Comme John Wheeler et Bryce DeWitt avant lui (voir plus bas), il confirme qu'il n'existe qu'une seule fonction d'onde décrivant l'Univers dans sa globalité. De plus, lorsqu'un évènement se produit dans notre univers, les autres possibilités imbriquées dans la fonction d'onde ne disparaissent pas; de nouveaux univers se créent, dont chaque probabilité se concrétise par une réalité différente.

Mais Carroll nous rassure : "Ne vous inquiétez pas pour ces mondes supplémentaires, nous ne pouvons pas les voir, et si la théorie des univers multiples est vraie, nous ne remarquerons pas la différence. Les nombreux autres univers sont parallèles au nôtre, mais tellement cachés qu'ils pourraient tout aussi bien être peuplés de fantômes."

Mais dans ce cas, pourquoi inventer des univers parallèles s'ils ne sont pas accessibles ? Ne serait-ce pas une théorie de plus à verser parmi la catégorie des "monstres" mathématiques et autres extravagances intellectuelles ? Intuitivement on peut en effet le penser mais les physiciens théoriciens nous disent que ces univers parallèles sont une conséquence des lois probabilistes de la mécanique quantique. Qu'on y croit ou pas, pour Carroll et les supporters de cette théorie, ces univers parallèles existent.

Pour ces théoriciens, cette théorie est attrayante car elle explique de nombreuses énigmes de la mécanique quantique. Avec l'expérience de pensée du chat de Schrödinger par exemple, qu'on se rassure, tous les chats survivent mais ils existent simplement dans d'autres univers, ne laissant qu'un seul chat dans le nôtre.

Selon Carroll, cette théorie offre des explications plus simples de certains phénomènes complexes, tels que les raisons pour lesquelles les trous noirs émettent un rayonnement. En outre, la théorie des univers multiples permettrait de développer une théorie unifiant la physique quantique et la théorie de la relativité. Il serait dommage de se priver d'une telle opportunité.

Bien sûr, on peut douter des réalités alternatives et des physiciens ne se sont pas fait prier pour le dire publiquement depuis plusieurs décennies. On y reviendra (voir plus bas).

A voir : Physicist Sean Carroll Explains Parallel Universes to Joe Rogan, 2019

Can All The Universes Fit In The Multiverse? - with Sean Carroll, 2020

App à télécharger : Universe Splitter, Aerfish

Science ou fiction ?

Qui a déjà vu un univers parallèle ? Personne ! Pourquoi dans ce cas devrait-on croire tout ce qu'imaginent les mathématiciens et physiciens théoriciens ? En effet, la Science n'est pas une dictature et n'impose à personne de suivre ses idées. Mais rétrospectivement, il s'avère qu'elle progresse sur une voie royale que toute la communauté scientifique finit par emprunter. Cela ne veut pas dire que tout est simple, juste que la voie est tracée. Mais il faut encore éviter les écueils, signaler les voies sans issue et baliser la voie en construisant des lois et des théories qui jalonneront son parcours comme les piliers d'un temple consacré au Savoir.

De nombreux scientifiques ont rejeté l'idée même des univers parallèles pour une raison bien simple : si vous ne pouvez pas quitter notre univers, alors il n'y a aucun moyen de prouver que d'autres univers existent. Alors, à quoi bon se demander s'ils existent ? Si la majorité des scientifiques adopte ce point de vue, tout le monde n'est pas de cet avis pour une raison également toute simple : la théorie est testable.

Il est vrai que sur le plan théorique, des univers parallèles pourraient exister, que les cosmologistes puissent le prouver ou non. Il semble donc vain d'espérer détecter un univers alternatif juste "à côté" du nôtre. Mais la théorie des univers parallèles est scientifique vérifiable. C'est un point essentiel car très peu de théories alternatives peuvent le prétendre.

Les cosmologistes ont de bonnes raisons d'examiner le concept d'univers parallèles. En effet, bon nombre des meilleurs modèles cosmologiques décrivant la création de notre univers (plat 4D) dépendent en réalité de l'existence d'univers parallèles, que sa topologie et ses dimensions soient celles d'un multivers (des "bulles d'univers"), de branes ou univers membranaire (braneworld), d'un "millefeuille" (quantique) ou autre "patchwork" infini comme illustré ci-dessous.

A voir : Putting The Multiverse To The Test, Perimeter Institute

Quelle est la topologie de l'Univers ?

En bulles

(multivers)

Patchwork infini

En forme de tore

Plat 4D (le nôtre)

Quantique (millefeuille)

Parallèles

(braneworld)

Solution : Sa forme dépend de sa quantité de matière et d'énergie et de l'influence des interactions fondamentales.

Ce grand Univers multiple pourrait contenir le nôtre qui serait un univers parallèle à trois dimensions spatiales (braneworld) dont les plus hautes dimensions seraient cachées, il pourrait regorger d'autres univers presque identiques au nôtre ou appliquant des lois totalement différentes du nôtre. Quoi qu'il en soit, les univers alternatifs ouvrent des perspectives très intéressantes.

Comme de nombreux auteurs l'ont envisagé, s'il existe d'autres univers, d'un point de vue statistique il y en a au moins quelques-uns dans lesquels vivent des sosies de nous-mêmes. Mais ces versions alternatives de nous-mêmes pourraient vivre dans une réalité physique entièrement différente car les lois de la nature ne sont pas nécessairement identiques dans chaque univers.

Si on accepte l'hypothèse des univers multiples, en étendant le concept d'Everett à tout l'Univers, James Hartle et Murray Gell-Mann expliquent qu'immédiatement après le Big Bang, l'Univers était si petit qu'il pouvait être considéré comme une particule subatomique "face" à différentes trajectoires. Ces trajectoires seraient en fait des chemins "potentiels" plutôt que des réalités. C'est à ce stade des développements que Hawking et Hartle proposèrent une nouvelle théorie.

Tester la théorie des univers multiples

En 1983, Hartle et Hawking reprirent le concept des univers multiples dans un article publié dans la "Physical Review D" intitulé "Wave Function of the Universe" qui décrit un "univers sans bord" qui évolue dans un temps imaginaire (voir page suivante). Les auteurs prétendent que nous vivons dans un univers multiple et prédisent ou plutôt spéculent qu'il est possible de le prouver. Mais par la suite le physicien théoricien belge Thomas Hertog de la KUL qui travailla avec Hartle en 2015 et 2017 proposa à Hawking de revoir son article car ses conclusions lui semblaient peu satisfaisantes.

Dans la théorie de "l'univers sans bord", Hawking prédit qu'un "bébé univers" serait né parmi d'autres et s'est détendu au rythme de l'inflation pour finalement former un immense univers multiple. Selon Hawking, notre univers ne serait que l'un des univers alternatifs existant dans cet immense multivers infini et fractal.

Mais Hawking n'était pas satisfait non plus par cette solution car cet univers multiple conduirait alors à un paradoxe : du fait qu'il existerait un nombre infini d'univers, personne ne serait capable de faire des prédictions vérifiables pour l'univers particulier dans lequel nous vivons. En effet, avec un nombre infini de possibilités, tout devient possible et aucun détail d'un univers particulier ne peut être déterminé.

En 2017, Hawking proposa donc à Hertog "d'essayer d'apprivoiser le multivers" et ensemble ils tentèrent de développer une méthode pour transformer le concept d'univers multiple en "un cadre scientifique cohérent et testable", comme le qualifia Hertog.

Un multivers constitué de "bulles d'univers" juxtaposées. Document T.Lombry.

Pour réduire le nombre infini d'univers parallèles, les chercheurs ont dû trouver le moyen d'unir les lois de la physique quantique qui dominent l'infinement petit et les lois de la relativité générale dominées par la gravitation qui régissent le grand univers de l'espace-temps dans lequel nous vivons.

Leurs recherches aboutirent à la publication d'un article intitulé "Smooth Exit from Eternal Inflation?" dans lequel Hawking et Hertog tentèrent de prouver l'existence des multivers. Cet article fut publié en 2017 et révisé en 2018, juste une semaine avant le décès de Stephen Hawking.

Dans la nouvelle étude, Hawking et Hertog utilisèrent le fameux principe holographique évoqué à propos des modèles alternatifs d'Univers et des trous noirs (le paradoxe de l'information) pour réunir les deux théories cadres de la physique. Ce faisant, ils ont réussi à réduire le nombre infini d'univers multiples en une quantité dénombrable. À partir de ce nombre fini d'univers, ils avaient l'espoir de faire des prédictions sur ce à quoi ressembleraient ces univers. Par exemple, si les univers sont géométriquement plats comme le nôtre, ils sont vraisemblables, etc.

Dans la théorie de l'"univers sans bord", Hawking reprit le concept d'inflation de l'univers de Guth, Linde et consorts, phase ultra courte et explosive durant laquelle l'inflation exponentielle de l'univers amplifia les ondes gravitationnelles primordiales émanant du Big Bang. Selon les auteurs, ce signal cosmologique pourrait être détecté dans le spectre micro-onde à 1 K comme on le fit à l'époque pour valider le Big Bang chaud en découvrant le rayonnement cosmologique à 2.7 K.

Comment peut-on tester cette théorie des univers multiples ? Selon le mathématicien et cosmologiste Max Tegmark du MIT, il existerait 4 types d'univers parallèles :

- Un univers parallèle qualitativement identique à notre propre univers.

- Un univers parallèle dont les lois fondamentales de la physique sont totalement différentes de notre univers.

- Un univers parallèle ayant les mêmes lois fondamentales mais qui émergèrent à partir de conditions initiales différentes.

- Un univers parallèle ayant les mêmes lois fondamentales mais des effets concrets différents.

Comme c'est généralement le cas en physique théorique, en cosmologique quantique il existe plusieurs modèles d'univers inflationnaires, chacun ayant des paramètres spécifiques et parfois très différents du modèle concurrent. Si la plupart n'aboutissent pas à l'univers tel que nous l'observons, certains incluent également des ondes gravitationnelles primordiales.

En théorie, selon Hawking cet écho de la naissance de l'univers est enregistré dans le faible rayonnement cosmologique micro-onde qui baigne tout l'univers à 2.7 K où on pourrait par exemple détecter la collision de notre bulle d'univers avec un univers parallèle. Or jusqu'à présent, rien de tel n'a été détecté. Reste à découvrir sa composante gravitationnelle à environ 1 K et vérifier si elle contient la signature prédite par Hawking.

Mais Hawking et Hertog n'ont pas présenté un type de signature différent des autres modèles d'inflation. Autrement dit, contrairement à ce que prétendaient les auteurs, à partir du rayonnement cosmologique à 1 K, il n'y a aucun moyen de savoir si la théorie de Hawking ou l'une des milliers d'autres existantes, est correcte.

D'un autre côté, comme l'a souligné le physicien Frank Wilczek du MIT, prix Nobel 2004, si les données du rayonnement cosmologique ne correspondent pas aux prédictions de Hawking et Hertog, "cela fausserait l'ensemble très spécifique d'hypothèses et d'approximations utilisées dans l'article. Donc dans ce sens, ce modèle est très faiblement testable."

A voir : Thomas Hertog - A smooth exit from eternal inflation, 2017

A gauche, dans un univers multiple ou multivers chaque "bulle d'univers" est indépendante et peut en théorie entrer en collision avec une bulle d'univers adjacente. Cescollisions pourraient créer des régions plus chaudes ou plus froides décelables dans le fond de rayonnement cosmologique. A droite, la carte des fluctuations du rayonnement cosmologique à 2.7 K établie par WMAP en 2008 révéla un "cold spot" ou région plus froide de ~0.00015 K par rapport à la moyenne. Pour la plupart des cosmologistes, il s'agirait d'une région correspondante aujourd'hui à un "supervide" exempt de galaxies (cf. cet article). Mais pour Anthony Aguirre, Matt Johnson, Matt Kleban et Tom Shanks, il s'agirait de la trace de la collision de notre univers avec une autre bulle d'univers et donc un indice en faveur de la théorie du multivers. Document Nicolle R.Fuller/Sayos Studio et NASA adapté par l'auteur.

Comment peut-on prouver que nous vivons dans un univers multiple, entouré de dimensions exédentaires et d'univers parallèles ? Si notre univers entrait en collision avec un autre, cela offrirait des preuves – bien qu'il ne soit pas clair si nous survivrions pour l'étudier. Certains théoriciens comme Anthony Aguirre, Matt Johnson, Matt Kleban (cf. Scientific American, 2011) et plus récemment Tom Shanks de l'Université de Durham, ont suggéré que des univers en collision pourraient laisser des points froids ou des points chauds dans le fond diffus cosmologique à 2.7 K rémanent du Big Bang. Si c'est le cas, nous devrions être en mesure de détecter ces taches dans les sondages micro-ondes du ciel.

Les ondes gravitationnelles - ondulations dans le tissu de l'espace-temps - pourraient également fournir des preuves pour soutenir la théorie de l'inflation cosmique. La théorie prédit que les ondes gravitationnelles laissées par le Big Bang pourraient créer de minuscules boucles dans le rayonnement cosmologique, que certains scientifiques recherchent activement aujourd'hui.

Si les chercheurs peuvent repérer de telles boucles dans le rayonnement cosmologique - comme ils pensaient l'avoir fait en 2014 - cela pourrait finalement renforcer l'idée que nous vivons peut-être dans un univers multiple, prouvant que les auteurs de science-fiction ont finalement raison (une fois de plus).

Ou peut-être pas. Il existe peut-être un seul univers, celui dans lequel nous vivons. Et ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose de savoir qu'il n'existe pas de double de notre pire ennemi.

En attendant de le savoir, cette hypothèse reste plausible, encore faut-il la valider par l'observation, c'est-à-dire une découverte dans le domaine soit de l'infiniment petit soit de la cosmologie.

Si les futurs satellites micro-ondes détectent ce signal correspondant à l'inflation prédite par le modèle de Hawking, ils pourraient théoriquement apporter une preuve probante de l'existence d'un univers multiple. C'est en tout cas une des interprétations possibles que supportent les partisans du modèle inflationnaire et de nombreux physiciens et cosmologistes parmi lesquels David Deutsch, Brian Green, Alan Guth, Michio Kaku, Andrei Linde, Lisa Randall, Raman Sundrum, Leonard Susskind, etc. En revanche, il y en a autant qui ne partagent pas l'idée que nous vivons dans un univers multiple comme Roger Penrose, Carlo Rovelli, Paul Steinhardt, Michael Turner, Neil Turok et Steven Weinberg parmi les plus célèbres.

Le modèle braneworld ou l'univers des branes aux dimensions supplémentaires issu de la théorie des cordes a également fait l'objet d'études approfondies et comme par hasard par de jeunes diplômés qui n'avaient pas encore été influencés par la voie royale des idées conventionnelles.

Beaucoup de physiciens et cosmologistes estiment que sous les apparences d'une extrême complexité, l'univers des branes résout plusieurs problèmes de physique. Les physiciens théoriciens Lisa Randall de l'Université de Harvard et Raman Sundrum de l'Université du Maryland ont par exemple proposé en 1999 une version du braneworld qui explique une asymétrie des interactions fondamentales en suggérant l'existence d'autres univers (branes) parallèles aux nôtres. Non seulement ils l'ont démontré mais ils ont proposé aux astrophysiciens de tester leur hyphothèse. Selon le modèle cosmologique de Randall-Sundrum, de tels tests pourraient consister à mesurer les ondes gravitationnelles émises par des trous noirs reliant une brane à une autre (cf. L.Randall et R.Sundrum, 1999; R.Easther et al., 2003).

Dans l'univers des branes de Martin Bucher, dans cette version simplifiée 3D où le temps s'écoule verticalement, nous vivons sur la surface ou mur à (2+1) dimensions formé par la collision de deux espaces AdS ou bulles d'univers. Document M.Bucher (2001).

Randall et Sundrum ont également proposé une version d'univers ayant une seule dimension supplémentaires (AdS5) qui permet de résoudre le "problème de hiérarchie" du modèle Standard des particules, c'est-à-dire la dépendance de la masse de certaines particules de paramètres expérimentaux (effectifs) d'unification des interactions (cf. L.Randall et R.Sundrum, 1999). En résumé, des paramètres physiques comme la masse ou la constante de couplage théorique diffère de manière importante de sa valeur expérimentale. C'est par exemple le cas du boson de Higgs dont la masse est très faible par rapport à la masse de Planck. Dans ce cas on procède à une correction ou renormalisation pour obtenir un résultat cohérent. Le problème est que les physiciens ne comprennent pas d'où vient cette différence, d'où la tentative de certains de trouver la solution dans une dimension supplémentaire comme dans la théorie des cordes, la supergravité ou dans des particules supersymétriques qui pemettent de supprimer ces différentes.

Pendant qu'il travailla au DAMTP de l'Université de Cambridge - le département que dirigeait Stephen Hawking -, le mathématicien Martin Bucher proposa en 2001 que "nous vivons dans un univers parallèle (braneworld) dans lequel notre univers à (3+1) dimensions familier se trouve sur une brane entourée d'un espace-temps massif à (4+1) dimensions qui est essentiellement vide à l'exception d'une constante cosmologique négative et des divers modes associés à la gravité." Pour expliquer l'homogénéité et l'isotropie de notre univers tridimensionnel, il propose que les dimensions (4+1) supplémentaires se sont désintégrées par "nucléation de bulles" en un véritable vide de l'espace anti-de Sitter (cf. l'espace AdS). Selon Bucher, "Quand deux les bulles du véritable vide AdS finissent par entrer en collision [...], une brane (ou paroi de domaine) se forme inévitablement séparant les deux phases AdS. C'est sur cette brane que nous vivons" (cf. M.Bucher, 2001).

Si beaucoup d'études ont été publiées sur ces sujets et même parfois validées par leurs pairs (mais généralement quand l'auteur est connu pour ses "bonnes" idées avant-gardistes, bien que cela ne prouve rien), aux dernières nouvelles (2018), les mesures de la constante de Hubble et les analyses des ondes gravitationnelles confirment que l'univers comprend 4 dimensions au total et pas une de plus.

Autrement dit, le chat de Schrödinger, les particules intriquées et autres qubits doivent se débrouiller autrement qu'en explorant les autres dimensions pour préserver leur inséparabilité quantique ! Et c'est donc pour cela que les physiciens appliquent des formules sans les comprendre, comme le disait Richard Feyman !

A priori les opposants à la théorie des univers multiples auraient déjà la solution puisqu'ils prétendent qu'il existe des théories concurrentes aussi valables et reposant sur des hypothèses moins conjecturelles ou déjà validées et donc plus réalistes. Mais ce n'est pas en faisant des démonstrations sur un tableau noir ou lors de débats à coups d'arguments et contre-arguments qu'on pourra convaincre les protagonistes sceptiques mais par l'observation.

En attendant cette découverte mémorable, une fois de plus le rasoir d'Occam devra trancher. En effet, comme nous l'avons expliqué, Randall, Sundrum, Hawking et Hertog se sont appuyés sur un cadre mathématique très spécial pour relier la théorie quantique à la relativité générale, mais ce cadre repose sur un certain nombre d'hypothèses non prouvées et est donc, pour l'essentiel, incomplet et invalide.

En fait, ce que les chercheurs ont élaboré juqu'à présent est ce qu'on appelle péjorativement un "modèle jouet", une technique peu appréciée par les physiciens théoriciens car ni rigoureuse ni complète qui se rapproche d'une approximation ad hoc. A leur décharge, Hawking et Hertog ont admis qu'il y a "encore beaucoup de travail à faire", ce qui est le moins qu'on puisse dire.

Pour que ce genre de prédiction soit valide, les chercheurs doivent avoir une meilleure compréhension théorique de la gravitation quantique. Et vu la diversité des théories actuelles autour de cette problématique, nous ne sommes pas encore sorti du tunnel.

Mais si la théorie des univers multiples est exacte, cela signifie que dans un autre univers, en ce moment même où vous lisez cet article, votre double est peut-être en train de lire le même article mais dans une version différente. En fait tous les états quantiques de vous-même et du reste de l'univers existent quelque part dans un univers parallèle, les uns plus jeunes, les autres plus âgés que dans l'état actuel de notre univers.

On reviendra sur les modèles alternatifs d'Univers (dont la théorie de la simulation), les théories alternatives de la gravite quantique et sur les théories cosmologiques alternatives (univers plasma, principe anthropique, etc).

L'IceCube aurait-il détecté un univers parallèle où le temps recule ?

Selon divers webzines dont les très sérieux "New Scientist", "Science Alert" et "France Culture" sans parler des tabloïdes dont le "New York Post", le "Daily Star" et "Paris-Match", des chercheurs de la NASA auraient découvert en Antarctique un univers parallèle où le temps recule. Ce titre aussi surprenant que racoleur résume l'interprétation soi-disant journalistique d'un article académique publié dans "The Astrophysical Journal" en 2020 (en PDF sur arXiv) par 360 scientifiques de la Collaboration IceCube.

L'Observatoire de Neutrinos IceCube géré par l'Université du Wisconsin à Madison et partagé avec le CERN installé dans la base Amundsen-Scott au Pôle Sud. Document Martin Wolf, IceCube/NSF.

Que faut-il penser des déclarations publiées dans les médias ? En résumé, ils n'ont rien compris et ont dénaturé les résultats de l'expérience en question ! En réalité, les scientifiques ont détecté des signaux émis par des particules élémentaires qui ne correspondent pas aux prédictions des modèles et donc qui défient la physique actuelle. Point à la ligne.

Mais contrairement à ce qu'ont écrit les journalistes et les rédacteurs des tabloïdes à sensation, il n'y a aucune preuve de l'existence d'un "univers parallèle" où toutes les lois de la physique fonctionneraient "à l'envers" comme l'écrit le "New York Post" en citant le physicien Ibrahim Safa de l'Université du Wisconsin à Madison (UW-Madison), auteur principal de cet article. Safa demanda que son nom soit retiré de ce tabloïde qu'il qualifie de "trash" mais n'a pas reçu de réponse. Dans un tweet posté le 21 mai 2020, Safa fustigea ce tabloïde en déclarant que "La NASA a découvert que vous ne devriez pas recevoir de nouvelles du New York Post."

Quel est le problème ? De nombreux articles en ligne y compris francophones ont repris celui publié par le journaliste freelance Jon Cartwright dans "New Scientist" qui est censé résumer les résultats déroutants de plusieurs expériences menées en Antarctique par la Collaboration IceCube sur les rayons cosmiques dont l'observatoire de neutrinos est installé au Pôle Sud. Avec quelques réflexions farfelues sur les implications des "si" sur les origines de ces particules, Cartwright n'a pas hésité à évoquer un univers parallèle en guise d'explication.

En réalité, comme le rappellent les auteurs, l'article scientifique repose sur deux études antérieures :

- Un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2016 (en PDF sur arXiv) par les membres de l'Antarctic Impulsive Transient Antenna (ANITA), une expérience réalisée à partir d'un ballon, qui détecta des "évènements ressemblant à des rayons cosmiques pointant vers le haut."

- Un article en préimpression publié sur arXiv (donc non validé) en 2018 en réponse au précédent qui postule que les résultats d'ANITA pourraient fournir la preuve d'un "univers à symétrie CPT", où le temps remonterait depuis le Big Bang et où l'antimatière dominerait.

C'est à partir de ce second article que les premières affirmations sur l'existence d'un "univers parallèle" furent publiées, les auteurs de l'article ayant déclaré un peu hâtivement : "Dans ce scénario, l'univers avant le Big Bang et l'univers après le Big Bang sont réinterprétés comme une paire univers/anti-univers créée à partir de rien."

Cependant, la seule vraie conclusion est que le modèle Standard des particules concernant les neutrinos n'explique pas la détection de ce type d'évènement rare par ANITA. Selon Safa, "Les évènements d'ANITA sont vraiment intéressants, mais nous sommes encore loin de prétendre qu'il existe une nouvelle physique, sans parler d'un univers entier."

Pour rappel, ANITA est une expérience réalisée en Antarctique comprenant un ballon stratosphérique sous laquelle est attaché un système d'antennes radio pointées vers la Terre pour détecter les ondes émises par les neutrinos de haute énergie lorsqu'ils frappent un atome dans la glace. ANITA est le premier radiotélescope de la NASA dédié aux neutrinos.

En 2016, ANITA détecta des signaux décrits comme "anormaux". Les physiciens ont la preuve que des neutrinos de très haute énergie proviennent de la surface de la Terre, mais ignorent leur source (cf. P.W.Giorham et al., 2016).

Selon Jon Cartwright, cela "semblait impossible. [...] Expliquer ce signal nécessite l'existence d'un univers inversé créé lors du même Big Bang que le nôtre et existant en parallèle avec lui. Dans ce monde miroir, le positif est négatif, la gauche est à droite et le temps recule. C'est peut-être l'idée la plus bouleversante qui ait jamais émergé de la glace de l'Antarctique, mais c'est peut-être vrai."

Ce concept est ce qu'on appelle l'univers de la symétrie CPT. Mais le problème est que lorsqu'un journaliste vulgarise la science, même en y mettant un "peut-être", l'explication est rapidement considérée comme correcte par les lecteurs les moins critiques, ceux qui ne lisent que les titres ou lisent superficiellement l'article. Avoir des données et pouvoir les interpréter correctement relève d'une analyse scientifique. Or on constate que des journalistes et des amateurs même éclairés réinterpètent parfois ces conclusions et tendent dangereusement vers la pseudoscience.

La plate-forme radio de l'expérience ANITA attachée à un ballon stratosphérique (hors champ) en Antarctique. Document U.Hawaï.

A la décharge des journalistes, le communiqué de presse publié le 8 janvier 2020 par l'Observatoire de Neutrinos IceCube à propos de l'article académique mentionne également que "d'autres explications des signaux anormaux - impliquant peut-être de la physique exotique - doivent être envisagées" pour expliquer les données d'ANITA.

Les scientifiques de l'Observatoire de Neutrinos IceCube ont ensuite tenté de rechercher la source de ces signaux de neutrinos énergétiques, mais en vain jusqu'à présent.

Rappelons que l'IceCube comprend un instrument constitué de 5160 détecteurs optiques enfouis dans la glace (cf. ce schéma) afin de détecter les neutrinos traversant et réagissant avec les atomes d'hydrogène ou d'oxygène dans la glace.

Selon la physicienne Anastasia Barbano de l'Université de Genève en Suisse, membre de la Collaboration IceCube et coauteure de l'article scientifique, "Ce processus fait d'IceCube un outil remarquable pour suivre les observations d'ANITA, car pour chaque évènement anormal détecté par ANITA, IceCube aurait dû en détecter beaucoup, beaucoup plus, ce que, dans ces cas, nous n'avons pas fait. Cela signifie que nous pouvons exclure l'idée que ces évènements proviennent d'une source ponctuelle intense, car les chances qu'ANITA voit un évènement et qu'IceCube ne voit rien sont très minces."

L'article scientifique compare également les résultats de la vérification des données d'ANITA à l'aide d'IceCube. Les auteurs terminent leur analyse en utilisant des expressions comme est "incohérent avec une interprétation cosmogénique" et "nouvelle physique" et résument leurs sentiments en déclarant : "Une explication astrophysique de ces évènements anormaux dans le cadre des hypothèses de modèle Standard est sévèrement limitée quel que soit le spectre de la source." Autrement dit, ils ne savent pas encore d'où proviennent ces signaux.

Mais ce qu'ont compris les journalistes et les mauvais rédacteurs c'est que ces neutrinos de haute énergie proviennent d'un univers parallèle où le temps évolue à rebours !

A ce sujet, voici ce que le physicien Alex Pizzuto de l'UW-Madison, l'un des coauteurs de cet article déclara dans un tweet le 21 mai 2020 sur cette histoire de soi-disant "univers parallèle" devenue virale : "OK, donc, j'ai vu beaucoup de trucs "La NASA détecte un univers parallèle" circuler alentour. J'ai passé les 2 dernières années d'études supérieures à enquêter sur ces détections et je voulais fournir un peu de contexte et des éclaircissements."

Safa ajouta au tweet : "Moi : Nous avons examiné ces évènements d'ANITA et ils ne peuvent pas être des neutrinos standards. Ils étaient probablement le résultat de notre compréhension imparfaite de la glace antarctique, mais il y a une chance qu'un nouveau phénomène physique en soit responsable. Tabloïds : UNIVERS PARALLÈLE !!!"

Safa est également cité dans le communiqué de l'IceCube comme ayant déclaré que bien que cela ait été une période passionnante pour les physiciens essayant d'expliquer ces évènements, "il semble que nous devrons attendre la prochaine génération d'expériences, qui augmentera l'exposition et la sensibilité, pour obtenir une vision claire compréhension de cette anomalie."

A l'avenir, afin de mieux interpréter les résultats, les physiciens de la Collaboration IceCube devront améliorer l'instrument HiCal2 d'ANITA, en particulier le générateur d'impulsions à radiofréquence afin de pouvoir mieux caractériser les propriétés de la surface glaciaire de l'Antarctique.

Plus d'un expert pense toutefois qu'il s'agit juste d'un problème lié à notre incompréhension de la manière dont les particules interagissent avec la glace, et pas du tout d'un effet lié à un éventuel univers parallèle. Espérons que les rédacteurs des tabloïdes et les mauvais journalistes comprendront la différence !

Les avantages et les inconvénients du rationalisme déductif

Si comme le pensait René Descartes, la structure de l'univers peut se déduire du raisonnement, l'histoire des sciences nous a montré les limites de cette démarche notamment celle des spéculations débridées de certains théoriciens qui doivent absolument soit passer par nos sens avec certains niveaux de contrôle soit être objectivées par des instruments, ce que ne cessent d'appliquer les physiciens des hautes énergies, les astrophysiciens et les praticiens de toutes les disciplines scientifiques.

Ce qui est intéressant pour le physicien c'est que certains modèles parmi ces théories extravagantes des univers multiples tolèrent trois générations de particules et tout le bestiaire des particules du modèle Standard. Seul prix à payer, ces univers plus "réalistes" que les autres comprennent 10 dimensions au temps de Planck. Notre Univers n'en comprenant que 3 plus le temps, on imagine que les 7 autres se sont compactifiées lorsque l'Univers est entré en expansion et s'est refroidi, seule explication qui résout à la fois le problème de la dominance de la matière et l'absence de courbure spatiale. Mais d'autres problèmes surgissent malgré tout comme nous le verrons à propos de la matière et de l'énergie sombres.

La version des univers parallèles (braneworld) proposée par Paul Steinhardt et Neil Turok (cf. leur livre "Endless World"), 2008) dans laquelle l'univers réel aurait plus de trois dimensions spatiales ou branes mais toujours une seule dimension temporelle. Soit les univers parallèles flottent toujours dans les dimensions supérieures soit ces dimensions se sont compactifiées lors de l'inflation de l'Univers. Notons que si les branes ne sont pas parallèles et se touchent, elles peuvent déclencher un nouveau Big Bang.

Si à l'origine l'Univers avait réellement une structure ressemblant à une "mousse quantique" ou autre brane feuilleté à plus de quatre dimensions, on arrive à démontrer que même si l'Univers a suivi plusieurs voies dans le passé, il n'existe aujourd'hui qu'un seul Univers, issu de la voie la plus probable.

La théorie d'Everett comme celle de Hawking sur les univers multiples, bien que reprises dans tous les manuels de physique quantique sont plus anecdotiques que vraiment réalistes car essentiellement spéculatives. Il faut en fait les considérer comme une analogie sur le plan des probabilités. Néanmoins, nos connaissances actuelles des lois de la nature et notamment concernant l'hypothétique théorie de la gravité quantique ne permettent pas de l'écarter ni sur le plan théorique ni sur le plan rationnel.

Certains théoriciens sous-entendent donc que ce problème peut-être élucidé. D'autres, plus cartésiens le considèrent comme absurde et vain. Si l'occurrence d'un évènement ne peut-être prouvée, à quoi bon l'étudier. C'est un thème que l'on retrouve partout en science et qui porte ses griefs sur toutes les découvertes dites "intuitives". Nous y reviendrons dans le dossier consacré à la philosophie des sciences.

Ceci dit, les cartésiens se trompent peut-être car nous connaissons la force de l'intuition[5]. Néanmoins tout ceci reste évidemment spéculatif et, à part les paradoxes de la physique quantique, la théorie des univers multiples n'a jusqu'à présent jamais été confirmée par l'expérience.

Les univers multiples et ses réalités alternatives sont des idées abstraites sorties en ligne droite de l'interprétation des calculs de probabilités. Mais il existe une expérience qui peut un jour nous apporter cette preuve tant attendue : l'ordinateur quantique. En effet, au lieu de considérer les seuls états binaires 0 et 1, un ordinateur quantique est un système analogique tirant sa puissance de calcul de l'ensemble des états quantiques intriqués. S'il parvient à calculer plus rapidement que les algorithmes traditionnels grâce au traitement en superposition d'états dans des univers parallèles, nous aurions la preuve de leur existence. Encore faut-il parvenir à le fabriquer et à le programmer. Pour l'instant, l'une des rares sociétés à commercialiser ce type de machine est D-Wave Systems.

Dans un autre domaine, quand on applique la théorie des univers multiples à la question de savoir s'il existe une autre forme de vie dans l'univers, sur le plan statistique on apprend que le nombre de permutations possibles à partir des quelque 500 acides aminés connus est 10300 tandis que les chances que la nature fabrique un ribosome par hasard est de 10600. Ces curieuses coïncidences font dire aux défenseurs de la thèse extraterrestre que la vie est forcément apparue ailleurs dans l'univers, y compris dans de nombreux univers parallèles, du moins en théorie. On y reviendra en bioastronomie.

L'équation de Wheeler-DeWitt

Tout comme la mécanique quantique, la cosmologie quantique a pour but de décrire l'Univers en termes de fonctions d'ondes. Cette solution est la résolution de l'équation dite de "Wheeler-DeWitt" ou WDW en abrégé. Au début des années 1960, John Wheeler et Bryce DeWitt[6] développèrent une équation cosmologique analogue à celle d'Erwin Schrödinger mais applicable au champ gravitationnel. Ils proposaient ainsi une version quantifiée de la représentation mathématique des positions dans l'espace-temps de la relativité générale, ce qu'on appelle la quantification canonique ou gravité quantique canonique.

John A. Wheeler et Bryce DeWitt.

Nous n'allons pas développer cette équation présentée ci-dessous car elle fait appel à des notions de physique très élaborées mais le lecteur qui le souhaite trouvera ses développements, des explications et différentes écritures de cette équation dans les liens référencés en [6] et notamment dans les articles et le livre sur la gravité quantique du professeur Herbert Hamber. Faisons simplement quelques remarques au sujet de cette équation.

Une équation de base, des hypothèses et des contraintes

L'équation de Wheeler-DeWitt représente la fonction d'onde Ψ de l'Univers résultant de la combinaison de tous les états physiques possibles de l'Univers. C'est du moins le voeu pieux de leurs auteurs et des physiciens comme des cosmologistes qui l'étudient. En effet, il faut de suite mettre un bémol au sens que l'on donne à cette fameuse "équation de l'Univers".

Il faut avant tout considérer l'équation de Wheeler-DeWitt comme une équation de base de la mécanique quantique décrivant le champ de gravitation dans un cadre quantique et comme telle, sa solution dépend de ce qu'on y met. En effet, elle fait appel à de nombreuses hypothèses ou suppositions concernant le contenu de matière, les conditions aux limites, les conditions initiales, etc., à l'instar de l'équation classique de Schrödinger. En outre, il est extrêment difficile de la résoudre à moins de faire, mais c'est totalement injustifié, des hypothèses extrêmement simplifiées et donc peu conformes à la réalité.

Dans ce contexte, tout physicien reconnaîtra qu'il est excessif de dire qu'il s'agit de l'équation de la fonction d'onde de l'Univers. Cela pourrait être vrai dans une certaine mesure mais cela revient à dire que l'équation de Newton (F=ma) représente l'équation classique de l'Univers ! D'un point de vue formel, c'était exact jusqu'à un certain point, mais aujourd'hui plus personne de l'interprète ainsi car elle n'a pas permis aux chercheurs d'avoir des réponses immédiates ne fut-ce qu'aux questions de base concernant l'évolution ou l'état de l'Univers. Aussi, pour l'heure appliquer l'équation de Wheeler-DeWitt à l'Univers est présomptueux et certainement un abus de langage car dans l'état actuel de nos connaissances il vaudrait mieux le laisser en dehors du cadre des recherches et n'envisager son application que le jour où nous aurons une meilleure compréhension des lois de la nature et donc de l'Univers.

De même à propos de la gravité. De nos jours, les chercheurs se réfèrent souvent à l'approche de l'intégrale des chemins de Feynman, les classes d'histoires que nous verrons page suivante, car elle ne divise pas artificiellement l'espace-temps en espace et en une coordonnée fixe de temps. Néanmoins,  les deux approches sont en relation l'une avec l'autre.

Ceci étant précisé, concrètement pour revenir à notre sujet, l'équation de Wheeler-DeWitt s'écrit sous forme de l'équation d'Einstein-Schrödinger décrivant un espace-temps de gravité pure (sans sources ou contributions de la matière) dépendant d'un opérateur hamiltonien mais sans dépendance du temps (contrairement à l'équation de Schrödinger). Cet opérateur détermine l'état du système quantique en fonction de différentes contraintes (les moments conjugés πij, etc.) dans la métrique de Wheeler-DeWitt (constituée d'hypersurfaces de métrique γij) :

ou sous forme concise en absence de sources, on obtient l'état propre également appelé "eigenstate" du Hamiltonien :

= 0     (1)

avec la contrainte hamiltonienne de la gravité quantique et l'état quantique ou vecteur d'état de l'Univers (appelé ket dans le formalisme de Dirac) qui devient la fonction d'onde Ψ[γij(x)] dans la métrique γij.

De façon générale, étant donné qu'il faut tenir compte de la présence de sources, c'est-à-dire des contributions de la matière , on peut également écrire cette équation sous la forme concise :

= 0    (2)

Nous n'irons pas plus loin dans ce formalisme mais si nécessaire cf. [6]. L'équation de Wheeler-DeWitt (1) signifie que l'Univers ne deviendra notre réalité qu'à la condition que cette fonction présente une contrainte hamiltonienne égale à 0. Autrement dit que le champ de gravitation présente une énergie nulle ; le vecteur d'état Ψ doit être figé, aucun paquet d'onde ne peut se déplacer le long des trajectoires classiques (conformément au théorème d'Ehrenfest).

De nombreux chercheurs ont essayé de résoudre ce problème, en vain. Le problème se trouve dans la nature de la théorie de la relativité qui lie tous les phénomènes à la gravitation du fait que tout se déroule dans l'espace-temps dont les propriétés sont déterminées par le champ gravitationnel. En revanche, la théorie quantique n'est pas une "théorie de tout" universelle ni déterministe comme l'ont rappelé les physiciens Asher Peres et Wojciech Zurek en 1982 en lui cherchant des alternatives. Si on tente de la décrire de manière classique, elle décrit un système séparé a priori en deux parties, d'un côté les vecteurs et opérateurs dans l'espace de Hilbert et de l'autre côté les observateurs et le reste du monde.

Ces deux concepts sont donc incompatibles d'où l'apparition de nombreux paradoxes et difficultés quand on essaye de combiner ces deux théories cadres dont notamment celui du fameux "problème du temps". En effet, la notion de temps est présente dans de nombreux systèmes dynamiques (il existe une flèche du temps) et est indissociable de notre vécu. On y reviendra dans les théories quantique et du chaos.

Dans l'équation de Wheeler-DeWitt, en théorie la solution de cette équation, c'est-à-dire le calcul de la fonction d'onde Ψ de l'Univers revient à calculer la probabilité que l'Univers adopte telle ou telle structure géométrique sachant qu'en mécanique quantique les probabilités sont la clé de l'interprétation (cf. Born et Heisenberg). Le carré de l'amplitude de probabilité soit |ψ|2 donne la probabilité d'une configuration réelle (d'une forme) du champ gravitationnel. Autrement dit, dans sa version la plus simple, la dimension spatiale de l'Univers est équivalente à la position d'une particule et le taux d'expansion est analogue à son impulsion (son moment).

Bien qu'il n'existe qu'une solution aux équations de champs, en terme quantique on ne peut calculer que des probabilités. Aussi, l'un des défis de la gravitation quantique (où quel que soit le nom que l'on donne à cette théorie unifiée) et donc de l'équation de Wheeler-DeWitt est d'établir que la configuration du champ gravitationnel la plus probable ressemble, à grande échelle, à l'espace-temps "plat" de notre expérience quotidienne. En fait, cet espace-temps ne doit même pas être recourbé dans un rayon de 10-33 cm, c'est-à-dire jusqu'à l'échelle de Planck.

Cette description porte le nom de géométrodynamique quantique, GDQ. Il s'agit donc d'une théorie dynamique et métrique obéissant au fameux principe d'indétermination de la physique quantique et aux lois régissant l'espace-temps de la relativité générale.

A voir : Is The Wave Function The Building Block of Reality?, PBS, 2022

Des concepts complexes pour une équation difficile à résoudre

Si cette "équation de l'Univers" est pleine de promesses, les physiciens ne peuvent pas vraiment l'utiliser. En effet, s'ils essayent de calculer des "fonctions d'ondes dans l'espace-temps", ils obtiennent des résultats infinis. Mais pire que cela, ils ne peuvent pas interpréter les résultats car cette équation ne fait plus référence au temps ! Comment interpréter un calcul sans variable "temps", comment évolue un phénomène si on ne peut pas le faire évoluer "dans" le temps ? Telles sont les questions les plus basiques qui se posent en termes mathématiques.

Les cordes, constituantes hypothétiques ultimes de la matière dans un univers parallèle à 11 dimensions. Adaptation T.Lombry.

Mises à part ces notions de base relativement simples à saisir, la cosmologie quantique laisse filtrer de nombreuses difficultés, plus encore que la physique quantique. Parmi celles-ci, la plus difficile à supporter est l'incomplétude de la théorie de la gravitation. Parmi toutes les interactions de la nature, trois d'entre elles, les interactions électromagnétique, nucléaire forte et la force faible ont été réunies pour former une théorie quantique unifiée. Mais la quatrième interaction, la gravitationnelle résiste à toute quantification. Si les physiciens souhaitent percer le secret de la singularité originale leur seul outil sera une théorie quantique de la gravitation.

Certaines questions comme celle du temps deviennent vite métaphysiques et agacent les physiciens car elle les éloignent du champ de leurs compétences. Aussi, certains ont essayé de les contourner en abordant ces problèmes sous d'autres angles, au moyens d'autres concepts. Ainsi, certains chercheurs prônent que la théorie des supercordes ou plus simplement la gravité quantique à boucles est capable d'unifier les quatre forces et constitue déjà une description quantique de la gravitation. Mais ces théories sont loin d'être complètes. Aussi, pour l'heure le jugement suprême de l'observation n'a pas encore permis de valider ces théories.

Bien qu'il s'agisse d'une théorie quantique, la fonction d'onde de l'Univers n'élimine pas pour autant les conditions initiales. On oublie les conditions propres au modèle inflationnaire et au Big Bang pour ne conserver qu'une seule condition majeure : comment l'Univers a-t-il pu se singulariser à partir d'un si grand nombre de fonctions d'ondes ? Car les solutions possibles de l'équation de Wheeler-DeWitt sont toutes des fonctions d'ondes. Or l'Univers que nous observons n'a pas d'extérieur, il n'a pas de limites, donc par définition pas de conditions initiales. C'est du moins le "dogme" actuel, la "vérité" à laquelle croient la plupart des spécialistes mais en réalité il se peut que l'Univers soit différent de ce qu'on pense (cf. les supercordes et la théorie M à 11 dimensions ou l'Univers 5D appliquant le principe holographique parmi d'autres concepts).

De l'aveu même de DeWitt, "il est très improbable que la puissance des mathématiques puisse conduire à une solution unique de l'équation de Wheeler-DeWitt." Aussi, pour gérer le système de l'Univers, les cosmologistes ont dû imaginer des lois qui gouverneraient les conditions initiales, les conditions aux limites d'un "univers sans bord". Pour réduire les fonctions d'ondes de l'Univers au seul état possible actuel, plusieurs propositions ont été faites, en particulier dans le chef de Hartle, Hawking, Hertog, Linde et Vilenkin[7]. Comme nous l'avons évoqué, certaines de ces théories sont fondées sur la méthode d'intégration des "classes d'histoires" inventée par Richard Feynman, mais Hawking et Hertog y ajoutèrent des hypothèses comme le principe holographique et concernant la gravité quantique qui sont encore spéculatives. Elles ont néanmoins le mérite de prédire certains évènements même si des théories concurrentes le font également.

Prochain chapitre

Les classes d’équivalences d’histoires

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 -


[4] H.Everett III, "Relative State' Formulation of Quantum Mechanics" (et en format PDF), Reviews of Modern Physics, 29, 3, July 1957, pp.454-462. Lire aussi "Everett's Relative-State Formulation of Quantum Mechanics", Stanford Encyclopedia of Philosophy, 1998/2014.

[5] Cette intuition si peu scientifique ne doit pas être négligée car elle a conduit malgré tout Einstein à la théorie de la relativité générale...

[6] B.DeWitt, "Quantum Theory of Gravity. I. The Canonical Theory", Physical Review, 160, 1967, p1113 - J.Wheeler, "Battelle Rencontres : 1967 Lectures in Mathematics and Physics", E.W. Benjamin, New-York, 1968, p278. Lire aussi H.W. Hamber et al., "Wheeler-DeWitt Equation in 3+1 Dimensions" (arXiv), 2012 - H.W. Hamber et R.M. Williams, "Discrete Wheeler-DeWitt equation", Phys. Rev. D 84, 104033, 2011 et Michael Cooke, "An Introduction to Quantum Cosmology" (dissertation), 2010.

[7] A.Vilenkin, "Creation of universes from nothing", Physics Letters, B, 117, 1982, p25 - A.Vilenkin, "Birth of inflationary universes", Physical Review, D, 27, 1983, p2848 - J.B. Hartle et S.Hawking, "Wave function of the Universe", Phys. Rev. D 28, 1983, p2960. A.Linde op.cit.,1983 - A.Vilenkin, Physical Review, D, 37, 1988, p888 - S.Hawking et T.Hertog, "Smooth Exit from Eternal Inflation?" (arXiv), 24 Jul. 2017/4 March 2018.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ