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L'affaire de l'hydroxychloroquine

Le Dr Didier Raoult, directeur de l'IHU à Marseille interviewé en 2020. Document Maxppp/Valérie Vrel.

La déontologie en médecine

Dès le début de la crise sanitaire de Covid-19, des essais cliniques furent effectués par l'équipe du Dr Didier Raoult, infectiologue et microbiologiste, fondateur de l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille sur l'efficacité de l'hydroxychloroquine (HCQ), un dérivé moins toxique que la chloroquine, pour traiter les patients Covid (cf. D.Raoult et al., 2020; D.Raoult et al., 2020). Ce médicament est utilisé de longue date pour traiter des maladies auto-immunes inflammatoires comme le lupus érythémateux et la polyarthrite rhumatoïde.

L'équipe du Dr Didier Raoult réalisa des essais - sous sa propre responsabilité - sur des patients Covid au stade précoce, lorsque l'infection était limitée aux voies supérieures avec un médicament administré en faible concentration (EC50 = 8.4 µM).

Comme on le voit sur le graphique présenté ci-dessous à droite, selon leur première étude, il s'avéra qu'au bout de 6 jours sous hydroxychloroquine, trois quarts des 24 patients contaminés n'étaient plus porteurs du virus. Du coup, encouragé par ces résultats et porté par sa réputation (qui n'est pas remise en question, on le connaît notamment pour ses études sur le mimivirus), le Dr Raoult s'empressa de déclarer qu'il était "certain" de l'efficacité du médicament et qu'il le prescrirait à tous les patients qui le souhaiteraient... Sa "découverte" fit aussitôt le tour du monde et parvint même à la Maison Blanche (cf. Time, 2020). Mais des voix se sont rapidement élevées pour dénoncer cet essai. Pourquoi ?

D'abord le Dr Raoult n'est pas à sa première déclaration professionnelle qui dérape. Au début de l'épidémie, il avait prétendu qu'elle ne serait pas importante alors que la Chine n'était pas parvenue à la contenir sur son territoire. Puis il prit position au sujet des EHPAD (les maisons de repos médicalisées) contre l'avis de ses collègues médecins et du ministre compétent.

Cette fois ci, des contre-analyses ont immédiatement montré que le Dr Raoult n'avait pas respecté la méthode scientifique ni le protocole médical. Plusieurs erreurs ont été soulevées. L'étude n'avait pas été randomisée, c'est-à-dire que les 24 patients n'avaient pas été pris au hasard. Trois parmi ces patients n'avaient pas reçu le même médicament. Les patients n'ayant pas bien réagi au traitement furent également exclus des résultats. Plus grave, la "certitude" de l'efficacité du médicament n'était pas non plus prouvée scientifiquement. Enfin, des résultats furent truqués car "volés" à des chercheurs chinois mais qui avaient fini par conclure qu'il était préférable de ne pas utiliser l'hydroxychloroquine pour traiter les patients.

L'OMS fut également moins enthousiaste que le Dr Raoult, appelant à la prudence eu égard au faible nombre de patients ayant bénéficié de ce traitement. Lors d'une conférence de presse, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS déclara que "des études réduites et non randomisées, réalisées à partir d’observations, ne nous apporteront pas les réponses dont nous avons besoin". Par conséquent, l'essai du Dr Raoult fut invalidé.

Chloroquine et hydroxychloroquine (Plaquénil) ont fait l'objet d'essais cliniques dans plusieurs hôpitaux pour combattre le Covid-19. Voir également la vidéo de la présentation des résultats des essais (sous caution) réalisés par le Dr Didier Raoult sur Youtube. Des études approfondies ont prouvé que l'hydroxychloroquine avait peu ou pas d’effet sur les patients Covid que ce soit en termes de mortalité, de mise sous respirateur ou de durée d’hospitalisation.

Par la suite, connaissant bien les effets secondaires de ce médicament, même Anthony Faucy, conseiller auprès du président Trump refusa de valider l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour soigner les patients Covid.

Que fallait-il conclure avec quelle conséquence ? Si ce produit fonctionnait aussi bien que le prétend le Dr Raoult, d'autres pays l'auraient déjà testé sur leurs malades et ils seraient tous guéris ! A ce jour, tous les essais in vivo réalisés sur des animaux de laboratoire et chez l'homme (notamment en Chine) se sont avérés négatifs ou au mieux, décevant. Mais nous verrons qu'il y eût malgré tout quelques résultats encourageants en mars 2020 (voir plus bas).

Malgré les critiques de certains membres de la profession, le Dr Raoult poursuivit ses recherches par respect dit-il sur son compte Twitter envers son "serment d'Hippocrate" (qui précise notamment chez l'Ordre des médecins français "Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me le demandera").

Le 27 mars 2020, il publia une nouvelle étude portant sur 80 patients. Dans ses résultats, le Dr Raoult affirme que "le traitement serait efficace notamment sur la baisse de la charge virale" (cf. IHU#2). Une nouvelle fois, elle fut critiquée négativement mais cela resta confiné à la sphère franco-française. Une troisième étude portant sur 1061 patients montra que le remède était efficace chez 91% d'entre eux (cf. IHU#6). Au total, début avril l'équipe du Dr Raoult avait traité 2200 patients dont 10 sont décédés soit 0.45%, ce qui prouve selon le Dr Raoult que le remède est efficace.

En réalité, en date du 16 avril 2020, le Dr Raoult n'avait réalisé qu'un seul essai randomisé dont les résultats ne furent pas concluants : pas d'efficacité et des effets indésirables comme le précisent les conclusions du webzine "Prescrire".

Une fois de plus, le Dr Raoult n'a pas suivi les protocoles. Des épidémiologistes ont critiqué l'absence d'un groupe témoin recevant un placebo et un biais, c'est-à-dire l'inclusion d'un groupe de patients ayant des formes moins graves de la Covid.

A lire : Chloroquine : décryptage d'une controverse

Le quotidien du pharmacien, 31 mars 2020

Article R.4127-15 du Code de la Santé Publique

Le médecin ne peut participer à des recherches biomédicales sur les personnes que dans les conditions prévues par la loi ; il doit s’assurer de la régularité et de la pertinence de ces recherches ainsi que de l’objectivité de leurs conclusions. Le médecin traitant qui participe à une recherche biomédicale en tant qu’investigateur doit veiller à ce que la réalisation de l’étude n’altère ni la relation de confiance qui le lie au patient ni la continuité des soins.

Le Dr Raoult continuant à ignorer les critiques qu'il juge infondées et à publier des articles ventant le succès de son remède (cf. IHU#9, D.Raoult al., 2020), dans une vidéo publiée sur YouTube, le biologiste moléculaire Hervé Seitz du CNRS à Montpellier qualifia les travaux du Dr Raoult de "charlatanisme" et que ses études relevaient de la "fraude scientifique", ce qui est tout à fait exact (cf. Contrefaçon et fraude).

Enfin, le 23 avril 2020, le Conseil de l'Ordre des Médecins publia un communiqué qui, sans le citer, rappella au Dr Raoult que la prescription de médicaments sans l'approbation du patient étaient passible des tribunaux et d'une radiation de l'ordre des médecins. Face à ces menaces, le Dr Raoult répondit qu'il ne sentait pas concerné.

Notons qu'en mai 2020 en Belgique et au Luxembourg notamment, l'hydroxychloroquine fut utilisée dans les hôpitaux ainsi que dans le cadre du programme européen Discovery sur lequel nous reviendrons, mais avec beaucoup de prudence et uniquement à des doses légères et sur des durées très courtes.

Aux Hôpitaux Robert Schuman de Luxembourg par exemple, le Dr Christian Frantz, pneumologue en charge des patients Covid, et son équipe ont été particulièrement vigilants aux éventuels problèmes cardiaques et ont vu les problèmes cardiovasculaires arriver. Selon le Dr Frantz, "C'est pourquoi nous avons immédiatement arrêté le traitement dans certains cas car l'évolution de la maladie n'allait pas dans le bon sens". Le Dr Frantz rappelle également que les patients concernés étaient souvent des personnes âgées. En revanche, compte tenu du risque d'orage cytokinique, il proposa d'agir directement sur le système immunitaire où il a obtenu les meilleurs résultats. "Je pense que c'est une bonne piste pour traiter les patients les plus atteints", conclut le Dr. Frantz (cf. L'essentiel).

Pour clore cette polémique et éviter tout risque supplémentaire, les autorités françaises et d'autres pays européens déclarèrent finalement que l'hydroxychloroquine combinée ou non avec un autre médicament ne devait pas être prescrit aux malades du Covid-19 tant qu'il ne serait pas autorisé par l'agence compétente. Et pour l'obtenir, les chercheurs doivent réaliser des essais cliniques conformes à l'éthique et à la législation. Explications.

Respecter la méthode scientifique et la loi

Un chercheur aussi célèbre soit-il ne peut pas décréter unilatéralement qu'un prototype de médicament est efficace et le prescrire à ses patients. Il y a des règles à respecter pour éviter de mettre sur le marché des produits dangereux pour la santé.

D'une part le chercheur doit suivre la méthode scientifique et respecter à la lettre un protocole attestant la méthode à suivre pour obtenir le résultat attendu. D'autre part, la législation est très claire, on ne peut pas prescrire un médicament à un patient si le produit n' pas reçu l'approbation des autorités réglementaires (FDA ou Food and Drug Administration aux Etats-Unis, EMA ou Agence européenne du médicament en Europe, AFMPS en Belgique, ANSM en France), ce qu'on appelle l'autorisation de mise sur le marché (AMM), à condition bien sûr comme le souligne l'Inserm que son "efficacité soit prouvée et qu'il soit sans danger pour le patient et puisse être utilisé en toute sécurité", ce que confirme l'OMS. Or on sait que l'hydroxychloroquine produit des effets secondaires indésirables (nausées, effet sur la rétine, insuffisance rénale, prolongement de la conduction du coeur, syncope, mort subite, etc), certains pouvant être incompatibles avec la prise d'autres traitements où avec certaines pathologies. Son usage doit donc être contrôlé par un médecin, l'auto-médication ayant déjà conduit à des surdosages et des décès.

Les biomarqueurs sont des molécules, des changements génétiques ou d'autres caractéristiques qui peuvent être mesurées. Ils indiquent ou prédisent une condition, un risque ou une réponse biologique probable. Ils peuvent notamment être utilisés au cours du développement de nouveaux médicaments pour générer des données qui pourraient éventuellement faire partie du dossier de soumission réglementaire. Document iStock.

Ne citons qu'un exemple qui fait réfléchir. Apparemment, suite aux déclarations du président Trump sur l'usage de la chloroquine, un sexagénaire américain est décédé après avoir ingéré une cuillère à café de phosphate de chloroquine (la chloroquine sous forme de sels) alors qu'il n'était même pas contaminé. Sa femme fit de même mais survécut après avoir vomit. Le couple disposait de ce produit car c'est un additif qu'il utilisait pour lutter contre les maladies chez les poissons Koï ! (cf. NBCNews, Le NouvelObs). Que les aquariophiles soient prévenus !

Mais le règlement ne dit pas qu'un médecin ne peut pas tester un prototype de médicament sur des patients volontaires (ils signent toutefois une décharge comme lors d'une opération chirurgicale) car le but de ces essais cliniques est bien d'obtenir l'AMM si le remède est efficace, etc. Ceci explique pourquoi en France, en Belgique, en Suisse et aux Etats-Unis notamment des virologues continuent à proposer la chloroquine à des patients volontaires.

Malheureusement, en 2020 un essai clinique réalisé au Brésil provoqua la mort de 11 patients après 6 jours de traitement (cf. Science Alert).

En résumé, la prudence doit dicter la conduite des chercheurs et en temps de crise, il est exclu qu'entrent en jeu des questions d'égo, de compétition ou d'argent entre chercheurs ou pays. Tous les efforts doivent être désintéressés et focalisés sur la recherche d'un remède dans le but de préserver la vie. Comme l'a souligné l'OMS, on ne peut donc pas donner de faux espoirs aux patients sur base d'un essai caduque.

A propos des résultats du Dr Raoult, le Dr Christian Perronne, chef du service infectiologie à l'hôpital de Garches (F) a déclaré le 16 avril 2020 sur LCI que "peu importe qu'on ait ou pas utilisé un placebo, 0.5% de décès contre 50% en EHPAD, il n'y a pas à discuter", sous-entendant que pour lui le médicament est effectivement efficace.

Connaissant les risques, plus d'un médecin ont affirmé que s'ils étaient atteints par le Covid-19, ils ne prendraient pas le remède proposé par le Dr Raoult tant qu'il n'a pas été approuvé. En revanche, le politicien Jean-Luc Mélenchon et d'autres médecins accepteraient de le prendre. On peut aussi supposer que certains patients en situation critique se porteraient volontaires si le Dr Raoult leur proposerait. Mais cela ne veut pas dire qu'ils font le bon choix, que du contraire.

Malgré tous ses efforts, cette fois ci le Dr Raoult a fait preuve de négligeance et sa méthode est en violation avec la déontologie médicale et ne doit certainement pas être encouragée ! Cette façon de procéder sans respecter les protocoles et sans attendre l'AMM n'est pas légale et fit, à juste titre, scandale en France.

Toutefois, au début de la polémique les médecins reconnaissaient unanimement que si l'avenir donnait raison au Dr Raoult, on le féliciterait volontiers d'avoir trouvé un remède et d'autant plus bon marché et il pouvait bien gagner le prochain prix Nobel de Médecine. Mais les essais ultérieurs confirmèrent qu'il avait tord.

Autorisation accordée sous condition

A l'époque où le Dr Raoult effectuait des essais cliniques à sa façon, des chercheurs chinois publièrent les résultats d'essais cliniques utilisant le phosphate de chloroquine pour traiter les malades infectés par le Covid-19 et déclaraient : "nous recommandons d'inclure le médicament dans la prochaine version du Guide de Prévention, Diagnostic et de Traitement de la Pneumonie provoquée par le Covid-19." (cf. J.Gao et al., 2020).

Le 23 mars 2020, Tony Y. Hu de l'Ecole de Médecine de l'Université de Tulane aux Etats-Unis et ses collègues publièrent un article dans la revue "Nature Nanotechnology" tenant compte de ce premier remède chinois "apparemment efficace" contre le Covid-19 et concluaient leur étude sur ce médicament : "Il existe un optimisme prudent selon lequel l'(hydroxy)chloroquine pourrait avoir des effets prophylactiques et/ou thérapeutiques contre le Covid-19, et la compréhension des mécanismes par lesquels ces médicaments affectent le SARS-CoV-2 serait essentielle pour optimiser et développer des stratégies préventives et thérapeutiques."

Finalement, puisque plusieurs pays et des hôpitaux français proposaient déjà ce médicament, le 23 mars 2020 le Premier ministre et le ministre de la Santé français ont autorisé par décret la prescription de l'hydroxychloroquine associée au Lopinavir/Ritonavir aux malades. Toutefois pour éviter une rupture de stock, sa vente dans les pharmacies est uniquement autorisée dans le cadre d'une prescription initiale, et non pas contre le Covid-19. Pourquoi ? Cela les autorités ne le disent pas mais on peut imaginer que l'autorisation n'est pas encore officialisée contre le Covid-19 car cela décharge ainsi l'État de toute responsabilité en cas d'accident (surdose, effet secondaire, etc) !

Quelques semaines plus tard, le 9 avril 2020 le président Macron se rendit à Marseille pour rencontrer le Dr Raoult. Rétrospectivement, on apprit qu'il s'agissait d'un exercice de communication proposé par une amie de son épouse et non la volonté du chef de l'État de comprendre et d'agir dans l'intérêt commun et de la science. Ce déplacement a surpris plus d'un médecin car il apporta du crédit à la méthode et aux résultats du Dr Raoult. Par la suite, il s'avéra que la prise de risque politique assumée par le Président fut une mauvaise décision qui de plus ne permit pas de gagner cette guerre contre le virus (voir ci-dessous).

Le traitement à l'hydroxychloroquine suspendu

Un mois plus tard, les résultats des essais cliniques sont tombés. Deux nouvelles études publiées le 14 mai 2020 dans le journal "BMJ" confirment l'inefficacité de l'hydoxychloroquine pour neutraliser le virus. L'étude française conduite sur 181 patients Covid conclut qu'elle ne réduit pas significativement les risques d'admission en réanimation ni de décès chez les patients. L'étude chinoise conduite sur 150 patients Covid conclut qu'elle ne permet pas d'éliminer le virus plus rapidement que des traitements classiques chez des patients ayant la forme légère ou modérée de la maladie. En outre, les effets secondaires sont toujours importants.

Dans une nouvelle étude publiée dans "Circulation" (AHA Journals) le 22 mai 2020, Joe-Elie Salem de l'Inserm et ses collègues ont analysé les données enregistrées dans la VigiBase de l'OMS. Il s'agit de la plus grande base de données de ce type au monde rassemblant plus de 21 millions de déclarations d'effets indésirables suspectés de médicaments soumises par les pays membres du programme de l'OMS de surveillance internationale des médicaments.

En résumé, les dix chercheurs concluent : "Des rapports d'effets proarythmogènes cardiaques aigus potentiellement mortels conduisant à des arythmies ventriculaires ont été décrits principalement avec l'azithromycine mais aussi avec l'hydroxychloroquine. Leur combinaison a produit un signal encore plus fort. L'hydroxychloroquine était également associée à une insuffisance cardiaque potentiellement mortelle lorsque l'exposition était prolongée sur plusieurs mois".

Autrement dit, les chercheurs confirment la toxicité du traitement à l'hydroxychloroquine combinée ou non à l'azithroimycine dans l'atteinte cardiovasculaire.

Enfin, dans une étude publiée dans la revue "The Lancet" le 22 mai 2020 conduite sur 96000 patients Covid répartis dans 671 hôpitaux à travers le monde, l'équipe de Mandeep R. Mehra de la Harvard Medical School conclut à une absence d'efficacité de la chloroquine/hydroxychloroquine, un taux de mortalité accru chez les patients traités par rapport à ceux du groupe contrôle et un risque accru d'arythmies ventriculaires par rapport au même groupe contrôle.

Suite à cette publication dans "The Lancet", l'OMS déclara le 25 mai 2020 lors d'une conférence de presse que par mesure de précaution, elle suspendait temporairement les essais cliniques avec l'hydroxychloroquine qu'elle conduisait avec ses partenaires dans plusieurs pays tout en soulignant l'utilité de ce médicament pour traiter le paludisme. L'OMS rappela également qu'elle collabore avec "400 hôpitaux dans 35 pays et près de 3500 patients ont déjà été recrutés dans 17 pays". (cf. Bloomberg).

Le 25 mai 2020, le Dr Raoult réagit, déclarant que ces études étaient "foireuses" (cf. la vidéo sur Twitter) car faites avec des Big Data et des chercheurs qui n'avaient jamais vu de patients contrairement à son équipe (cf. le tweet du Dr Raoult). Le 26 mai 2020, le Dr Raoult accusa les auteurs de cette étude d'avoir commis une fraude : "il n'est pas possible qu'il y ait une telle homogénéité entre des patients de 5 continents différents. Il y a manipulation préalable, non mentionnée dans le matériel et méthodes, ou ces données sont faussées. Cf. table S3" (cf. tweet du Dr Raoult).

Mise en garde de Lancet

Le 28 mai 2020, des chercheurs australiens publièrent une lettre ouverte dans le journal "The Guardian" pour souligner notamment des incohérences entre les données de la société américaine Surgisphere qui collecta les données utilisées dans cette étude et le nombre de patients pris en charge dans leurs services hospitaliers. En résumé, les spécialistes ont repris l'objection du Dr Raoult pour dénoncer l'étude de Mehra et ses collègues. En effet, les auteurs de l'article ayant refusé de publier leurs données, on pouvait légitimement remettre en question la qualité de cette étude.

Sous la pression des médecins-chercheurs, le 29 mai 2020, la revue britannique publia une correction concernant des données asiatiques attribuées à l'Australie mais confirma que "les résultats et les conclusions restent inchangés. The Lancet encourage le débat scientifique et publiera des réponses à l'étude, ainsi qu'une réponse des auteurs, dans la revue" (cf. le tweet de Lancet).

Le 2 juin 2020, "The Lancet" émit une mise garde (expression of concern) à propos de cette étude : "D'importantes questions scientifiques ont été soulevées au sujet des données rapportées dans l'article de Mandeep Mehra et al. [...] Bien qu'un audit indépendant de la provenance et de la validité des données ait été commandé par les auteurs non affiliés à Surgisphere et soit en cours, avec des résultats attendus très prochainement, nous publions une mise en garde pour alerter les lecteurs sur le fait que de sérieuses questions scientifiques ont été portées à notre attention. Nous mettrons à jour cet avis dès que nous aurons de plus amples informations". Ce communiqué fut repris par les autres revues de médecine et les médias (cf. par exemple NEJM, 2020).

Il est rare qu'une revue scientifique publie une expression of concern et quand elle le fait, généralement l'article est retiré de la revue et affecte durement l'image des chercheurs concernés. Elle affecte aussi l'image de la première revue de médecine qui était réputée pour le sérieux de ses publications. Avec cette affaire, "The Lancet" a manqué d'analyse critique et sa fiabilité est à présent en jeu, au point que certains médecins se demandent à quelle revue scientifique ils vont à présent pouvoir se fier ? Rappelons que sur les dizaines de milliers d'articles scientifiques publiés sur le Covid ou sur les médicaments visant à l'éradiquer, une dizaine d'études seulement furent validées par leurs pairs.

Pour préserver sa réputation, "The Lancet" demanda l'ouverture d'une enquête indépendante afin de vérifier les données utilisées dans l'étude de Mandeep Mehra et ses collègues. En fonction du résultat, l'article sera ou non retiré ou corrigé.

Rétractation de l'étude

Finalement, le 4 juin 2020 "The Lancet" annonça que trois des auteurs de l'article publié le 22 mai avaient rétracté leur étude : "Ils n'ont pas été en mesure de réaliser un audit indépendant des données sur lesquelles reposait leur analyse. En conséquence, ils ont conclu qu'ils "ne peuvent plus garantir la véracité des sources de données primaires". The Lancet prend les questions d'intégrité scientifique très au sérieux et de nombreuses questions restent en suspens concernant Surgisphere et les données qui auraient été incluses dans cette étude. Conformément aux directives du Comité d'éthique de la publication (COPE) et du Comité international des rédacteurs de revues médicales (ICMJE), il est urgent de procéder à des examens institutionnels des collaborations de recherche de Surgisphere".

Petit détail d'importance non cité dans le communiqué, l'un des auteurs fit l'objet d'une enquête judiciaire car il aurait falsifié des données. Un cas de plus de fraude en science. On y reviendra.

Reprise des essais avec l'hydroxychloroquine

Vu le contexte et sachant qu'à cette époque on ne pouvait pas certifier que l'hydroxychloroquine était bonne ou néfaste pour les patients Covid, face à ces incertitudes l'OMS annonça le 3 juin 2020 lors d'une conférence de presse virtuelle qu'elle préconisait la reprise des essais sur l'hydroxychloroquine comme traitement potentiel contre le Covid-19. Selon le Dr Tedros, "Sur la base des données de mortalité disponibles, les membres du Comité ont recommandé qu'il n'y ait aucune raison de modifier le protocole des essais après avoir examiné les données disponibles sur le médicament. Le Groupe exécutif de l'essai Solidarity a reçu cette recommandation et a approuvé la poursuite de toutes les branches de l'essai Solidarity, y compris l’hydroxychloroquine". Pour autant, souligne Soumya Swaminathan, la cheffe scientifique de l'OMS, "aucune preuve d'une réduction du taux de mortalité n'a été obtenue auprès d'aucun médicament testé contre le nouveau coronavirus. L'OMS est favorable à tous les essais randomisés". (cf. ONU Info).

Le programme Discovery et l'essai Solidarity

Le programme Discovery est un essai clinique à l'échelle européenne qui reçut une autorisation pour 3 ans pour évaluer quatre traitements antiviraux expérimentaux contre le Covid-19. Il fut coordonné par l'Inserm dans le cadre du consortium REACTing. Il a démarré le 22 mars 2020 dans plusieurs pays dont la France, la Belgique, le Luxembourg et l'Allemagne.

Le 22 mars 2020, l'essai clinique Discovery débuta à l'échelle européenne pour évaluer quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19. Document Shutterstock.

Parmi ces médicaments, il y avait l'hydroxychloroquine qui faisait partie des molécules testées auprès de malades Covid. Ce médicament était notamment utilisé au CHL au Luxembourg et dans les CHU en Belgique qui suivent scrupuleusement le protocole établi.

On attendait des résultats au mois d'avril 2020, en vain. Plusieurs raisons expliquent l'absence de résultats. Selon Thérèse Staub, responsable du service des maladies infectieuses du CHL, "L'absence de résultat est tout à fait normale surtout dans le cadre de la recherche clinique, cela prend du temps et c'est un domaine complexe". De plus, l'essai clinique devait porter sur 3200 patients mais seules 756 personnes ont été officiellement incluses à ce jour (il faut au moins 600 patients par médicament pour évaluer un éventuel bénéfice). Ensuite, en avril et mai le centre de la pandémie s'est déplacé vers l'Amérique du Sud et on observa moins d'hospitalisations et de contaminations en Europe. Selon Staub, pour participer au protocole, "Seuls les patients qui sont à l'hôpital et qui présentent de sérieux déficits en oxygène entrent en ligne de compte [mais] les personnes qui souffrent de problèmes au niveau des reins ou du foie sont d'office exclues car il s'agit de médicaments toxiques".

L'OMS a également lancé un essai clinique à l'échelle mondiale nommés l'essai Solidarity précité. Quatre produits ont été proposés : chloroquine et hydroxychloroquine, remdesivir, ritonavir/lopinavir (Kaletra) et ritonavir/lopinavir combiné à un interféron-β1a (cf. Science, 2020). 3200 patients répartis dans sept pays dont la France, la Belgique et le Luxembourg furent chargés de ces essais cliniques réalisés dans les règles de l'art.

Le 4 juillet 2020, l'OMS annonça l'arrêt des essais cliniques avec les antiviraux ritonavir/lopinavir, avec ou sans interféron-β1a et avec l'hydroxychloroquine : "ces résultats provisoires montrent que l’hydroxychloroquine et le Ritonavir/Lopinavir n'entraînent que peu ou pas de réduction de la mortalité des patients atteints de Covid-19 hospitalisés, par comparaison aux soins standard. Les chercheurs de l'essai clinique Solidarity arrêteront définitivement les essais en cours avec effet immédiat".

L'essai britannique "Recovery" conclut également à l'absence d'efficacité de ces deux antiviraux contre le Covid-19 (cf. Science, 2020). Il ne restait donc à l'étude que le remdesivir, un médicament prescrit contre Ebola et l'hépatite.

Le 8 octobre 2020, Gilead Sciences qui commercialise le remdesivir (Veklury) signa un contrat-cadre avec la Commission européenne pour fournir 500000 traitements contre le Covid-19 (et potentiellement plus), un accord signé par 36 pays partenaires d'une valeur potentielle de plus d'un milliard de dollars.

Arrêts des essais, résultats négatifs

Pendant plus de 4 mois après la publication du premier article sur le Covid-19 et près de 20000 articles plus tard, les médecins ne savaient toujours pas si l'hydroxychloroquine permettait de lutter efficacement contre le Covid-19. Depuis, les mois ont passé, les études se sont succédées et on en sait beaucoup plus.

Finalement, dans une étude publiée sur "medRxiv" le 15 octobre 2020 et validée dans le "NEJM" le 2 décembre 2020, portant sur 11266 patients Covid hospitalisés dans 405 hôpitaux de 30 pays, dont 2750 ont reçu du remdesivir, 954 de l'hydroxychloroquine, 1411 du lopinavir, 651 du lopinavir et de l'interféron-β1a, 1412 uniquement de l'interféron et 4088 un traitement standard, les chercheurs du consortium de l'essai Solidary concluèrent que les traitements évalués "apparaissent avoir peu ou pas d’effet sur les patients hospitalisés, que ce soit en termes de mortalité, de mise sous respirateur ou de durée d’hospitalisation". En fait, si le traitement au remdesivir donne un résultat supérieur à celui d'un placebo, il ne réduit pas la mortalité liée au Covid-19 ou le temps de récupération des patients.

Production de remdesivir dans les installations de Gilead Sciences à La Verne, en Californie.

Bien que Gilead ait jugé ces résultats "prématurés" d'autant plus qu'une étude qu'elle parraina "prouvait" son efficacité (cf. JAMA, 2020), l'OMS confirma l'inefficacité de ces molécules chez les patients Covid (cf. la revue de cette saga publiée dans "Science" le 28 octobre 2020).

Malgré ces avis négatifs, deux semaines après l'Europe, le 22 octobre 2020 les États-Unis achetèrent en masse du remdesivir, le premier million de doses ayant été offert par Gilead avant même que la FDA approuve son utilisation le même jour ! (cf. The Guardian; 2020; The New York Times, 2020).

Résultat, bien que les pays à faible ou moyen revenu pouvaient encore produire leurs propres versions génériques du remdesivir, les autres pays riches n'étaient plus en mesure d'acheter ou de produire du remdesivir pendant trois mois, soit jusqu'en janvier 2021. Heureusement, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France ont stocké suffisamment de doses de ce médicament pour traiter tous les patients qui en ont besoin.

On reviendra sur le comportement égoïste et très peu flatteur des pays riches lorsque nous ferons le bilan de la pandémie au Covid-19.

Une semaine après la publication des résultats de l'essai Solidarity, les résultats d'une autre méta-analyse furent publiés sur "medRxiv" le 22 octobre 2020. Il s'agit de 63 essais cliniques réalisés à l'échelle mondiale dont 28 seulement furent retenus dont ceux des programmes Recovery et Solidarity de l'OMS. Les essais pris en compte concernent l'évaluation des effets de l'hydroxychloroquine sur un total de 10012 patients hospitalisés documentés dans 22 études. Bien que non validée, en résumé cette étude prouve que l'hydroxychloroquine augmente la mortalité des patients Covid de 2 à 20%. Sa prescription n'est donc plus autorisée contre ce virus.

Sur un plan général, tous les médecins sont d'accord sur un point : l'utilisation de l'hydroxychloroquine doit toujours se faire avec une extrême prudence compte tenu des effets secondaires et toute l'éthique nécessaire. Cela paraît évident mais rappelons qu'aux Etats-Unis, les trois armées ont prescrit des drogues et des médicaments à leurs soldats engagés dans la Guerre du Golfe ou en Afghanistan sans avoir reçu l'AMM avec toutes les conséquences que l'on connaît chez les soldats (cf. le fameux syndrôme de la Guerre du Golfe qui ressemble à une grippe mais avec des troubles du système immunitaire et parfois des malformations chez leurs enfants).

Plaintes officielles contre le Dr Didier Raoult

Finalement, en juillet 2020 une plainte visant le Dr Didier Raoult fut déposée au conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l’Ordre des médecins, soulignant neuf manquements au code de déontologie médicale par le scientifique. Cela signifie que le Dr Raoult pourrait être radié de l'Ordre, suspendu de pratique pendant 3 mois, recevoir un blâme ou au mieux recevoir un avertissement. Les premières auditions débutèrent le 4 novembre 2021 devant la chambre disciplinaire de l'Ordre des Médecins de Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux. Le Dr Raoult fut sanctionné par un blâme (cf. Le Point, 20Minutes).

Le Dr Didier Raoult, aux côtés de son avocat, le très médiatique Me Fabrice di Vizio, lors de sa convocation par l'Ordre des Médecins le 5 novembre 2021 à Bordeaux. Document Philippe Lopez/AFP.

En juillet 2020, c'est la Société de Pathologie Infectieuse Française (SPILF) qui rassemble plus de 500 spécialistes qui attaqua le Dr Raoult devant l'Ordre des Médecins. La société savante accusa notamment le Dr Raoult d'avoir indûment promu l'hydroxychloroquine (cf. Le Figaro). On annonce déjà que l'affaire ne sera probablement pas examinée devant les chambres disciplinaires départementales de l'Ordre des Médecins avant des mois voire des années.

Ensuite, le 22 octobre 2021 Médiapart révéla que le Dr Raoult conduisit sous l'impulsion de l'IHU et de son adjoint Michel Drancourt, de 2017 à mars 2021, des essais cliniques d'un candidat de médicament pour lutter contre la tuberculose malgré les refus répétés de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). L'ANSM et l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) ont porté l'affaire en justice (cf. Mediapart, BFM-TV).

Le 19 novembre 2021, Médiapart annonça également que plusieurs membres de l'IHU ont dénoncé en octobre 2021, les pressions exercées par le Dr Raoult et la falsification de résultats scientifiques pour démontrer l'efficacité de l’hydroxychloroquine. Les auditions furent conduites notamment par l'Université d'Aix-Marseille, l'Inserm et l'AP-HM.

Enfin, le 12 janvier 2022 sa fille Magali Carcopino-Tusoli,  née d'une précédente union du Dr Raoult et spécialiste en médecine vasculaire à l'hôpital public de Sainte-Margerite à Marseille qui dépend de l'AP-HM, porta plainte pour diffamation et injures contre le biochimiste Eric Chabrière, un des proches collaborateurs du Dr Raoult à l'IHU et chargé par ce dernier de défendre l'Institut sur les réseaux sociaux. L'AP-HM, membre fondateur de l'IHU et l'un de ses principaux soutiens financiers, s'est portée partie civile aux côtés de Magali Carcopino-Tusoli ainsi que de son époux, Xavier Carcopino, gynécologue-obstétricien à l’hôpital Nord, à Marseille (cf. Actu Marseille). Les premières auditions débuteront en février 2022.

Le Dr Raoult a toujours nié les chances de trouver un vaccin contre le Covid-19. Dans une interview exclusive accordée à "Paris Match" publiée le 9 mai 2020, il déclara notamment : "Les vaccins ne sont pas toujours la bonne solution. Trouver un vaccin pour une maladie qui n’est pas immunisante… c’est même un défi idiot [...] Près de 30 milliards de dollars ont été dépensés pour celui contre le VIH, voyez le résultat ! [...] La chance qu'un vaccin pour une maladie émergente devienne un outil de santé publique est proche de zéro". Les faits nous ont prouvés que le Dr Raoult avait tord.

Depuis, le Dr Raoult refuse d'inciter la population à se faire vacciner en masse et, à l'été 2021, il refusa de cosigner tout communiqué sur le sujet avec le nouveau patron de l'AP-HM, François Crémieux.

Le Dr Raoult prit sa retraite le 31 août 2021 à l'âge de 69 ans mais faute d'accord sur les conditions de sa mise à la retraite il a conservé son poste à la direction de l'IHU. Il devrait finalement être remplacé et quitter l'IHU entre le 30 septembre 2022 et la fin de l'année.

Mais la justice ne l'oubliera pas pour autant. Les enquêtes judiciaires et administratives à l'encontre du Dr Raoult et de l'IHU sont toujours en cours. En 2022, de nouveaux "manquements graves" à la déontologie (les devoirs et obligations imposés aux membres de l'ordre) et à l'éthique (les valeurs qui motivent la conduite des chercheurs) ont été découverts, certains remontant jusqu'en 2016 et concernent des essais cliniques et des études publiées potentiellement frauduleuses. Ainsi, le Dr Raoult aurait signé 200000 études, un record mondial, auxquelles on présume il n'a jamais participé et dont il n'a jamais lu les rapports. D'ailleurs plusieurs de ces études sont citées dans les universités britanniques comme des exemples à ne pas suivre ! Plusieurs plaintes furent déposées en justice par l'ANSM.

Le risque encouru pour le Dr Raoult mais également l'IHU est important et les sanctions d'ordre administrative, financière, ordinale et pénale. Rien que sur le plan financier, selon le Code de la santé publique français, toute infraction à la législation en matière d'essais cliniques est passible d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. Dans cette affaire, les violations sont a priori volontaires, organisées et multilples. En cas de désaccord sur les sanctions prononcées, comme dans toute affaire judiciaire en première instance, le Dr Raoult a des possibilités de recours en appel puis au Conseil d'État.

Pour plus d'informations

Les remèdes contre la Covid-19

Les vaccins contre le Covid-19

La Science et les Arts (La fraude en science).

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