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L'eau, l'or bleu

Documet World Vision Australia

Les impacts de l'homme sur l'eau (I)

Aménagements des cours d'eau, barrages, exploitation des granulats des fleuves, déforestation, voilà autant de moyens modernes jugés utiles et en faveur du progrès qui ont souvent induits plus de désavantages que de bienfaits tant aux hommes qu'à l'environnement. 

Voyons de quelles manières une soi-disant bonne idée en faveur du progrès peut finalement conduire à des problèmes insoupçonnés voire des accidents.

Les aménagements des cours d'eau

Depuis fort longtemps l'homme a domestiqué les milieux aquatiques en aménageant les cours d'eau : canalisation (bétonnage des berges et parfois du fond), endiguement (augmentation de la hauteur des berges pour éviter le débordement des eaux), dragage (approfondissement du lit), mais également rectification du cours (recoupement des méandres) et recalibrage (augmentation de la capacité du lit en modifiant sa profondeur et sa largeur).

Ces aménagements répondaient souvent à des objectifs légitimes : protéger des inondations les terres cultivables et les habitations, lutter contre l'érosion des berges, faciliter la navigation fluviale, produire de l'énergie, irriguer, alimenter en eau potable les hommes et le bétail, et, beaucoup plus récemment, profiter de l'ouvrage pour créer des centres de loisirs.

Mais jusqu'aux années 1980, ces ouvrages ont été conduits dans l'ignorance des fonctionnements des réseaux hydrologiques et écologiques. Or, ces aménagements modifient de façon permanente les paramètres physiques des cours d'eau : leur pente, leur profondeur, la vitesse du courant et la forme des berges sont modifiés pour au moins un siècle. Ces travaux ont donc des répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes dont les effets se ressentent généralement à long terme.

En général les ouvrages les plus vastes induisent une diminution de la biodiversité. En outre, le creusement du lit d'un cours d'eau s'accompagne d'un abaissement du niveau de sa nappe d'accompagnement, ce qui peut entraîner la disparition des forêts situées le long des berges.

A voir : La Vallée du Rhin

Le Rhin s'étend sur 1320 km et traverse l'Allemagne sur 700 km. A gauche, aquarelle de Gabriel Lory, "La Chute du Rhin Fires de Schaffhouse" composée vers 1815-1819 avant la canalisation du fleuve. A droite le Rhin romantique à Loreley entre Mayence et Coblence aux pieds du château du Katz (château du Chat) et des ruines du château de Rheinfels. La photographie a été prise il y a plusieurs décennies. Document Calvin College.

C'est ce qui est notamment arrivé au Rhin. Jusqu'à la moitié du XIXeme siècle, le fleuve s'écoulait librement, à peine perturbé par l'activité des hommes. Ses bras multiples formaient un réseau enchevêtré qui abritait de nombreuses îles couvertes de forêts alluviales foisonnantes, parmi les plus riches d'Europe occidentale. Ses eaux hébergeaient une quarantaine d'espèces de poissons, dont le saumon. Ses crues fréquentes inondaient les forêts, entretenant une grande diversité animale et végétale, et alimentaient la nappe phréatique rhénane. Bien sûr, lors de ses crues, le Rhin devenait violent et causait des dommages importants aux villages voisins sur des milliers d'hectares et la navigation y restait difficile.

Entre 1830 et 1936 les Allemands ont voulu domestiquer ce fleuve sauvage qui faisait chaque année des dégâts et coûtait des vies humaines. Ils ont donc totalement endigué puis canalisé le fleuve pour faciliter la navigation. Sa largeur fut réduire de 14% et son lit s'est enfoncé de quelques mètres. Les effets négatifs de ces aménagements restèrent limités : on observa un appauvrissement des forêts rhénanes mais les saumons pouvaient encore remonter le Rhin pour y frayer et les inondations furent limitées.

Ce n'est que lorsqu'on procéda à la canalisation du Rhin avec l'édification du Grand Canal d'Alsace en 1930 qu'on s'aperçut des conséquences négatives de cette ouvrage. En cherchant à exploiter son énergie hydroélectrique et à améliorer la navigation, les autorités constatèrent qu'elles provoquèrent plus de dégâts qu'elles n'en retirèrent d'avantages. Les populations situées en aval du secteur aménagé furent exposées à plus d'inondation que par le passé. 

Sur la rive française, plus de 50% des zones boisées furent détruites suite à la baisse des nappes d'eau, tandis que la dégradation de la qualité des eaux dans les années 1950 et 1960 fit disparaître les poissons migrateurs comme le saumon et appauvrit considérablement toute la faune piscicole. 

Enfin, la réduction des champs inondables du Rhin réduisit l'alimentation de la nappe phréatique rhénane tout en la privant de ses filtres purificateurs naturels qui la débarrassaient des nitrates et des phosphates.

Péniche sur le Rhin (gauche) et sur la Moselle à Machtum (droite). Notez la préservation de l'état naturel des berges sur la Moselle. Documents J.Ramey/The Image Bank et T.Lombry.

Aujourd'hui la navigation fluviale et la production d'énergie hydroélectrique ont beaucoup perdu de leur intérêt depuis l'installation des centrales nucléaires, des éoliennes et le développement des transports routiers et ferroviaires. Le canal rhénan ressemble de plus en plus à une plaie béante aux effets indésirables. On assiste donc à une multiplication d'actions et de projets visant corriger les erreurs du passé : on contrôle les crues du Rhin pour sécuriser les populations riveraines, on essaye de gérer un peu mieux les milieux naturels pour restaurer la biodiversité et on apprend à gérer la nappe phréatique pour favoriser la réalimentation du fleuve en eau de bonne qualité. C'est notamment le rôle que s'est assignée la Commission Internationale de Protection du Rhin (IKSR).

Les barrages

Au Canada, un castor habile peut fabriquer des barrages tels qu'ils peuvent noyer des centaines d'hectares au détriment des activités humaines. L'homme a beau être plus intelligent qu'un castor, il lui est arrivé de réaliser des ouvrages tout aussi dévastateur sur les plans écologique et économique.

Les barrages sont construits pour différentes raisons : irrigation et lutte contre la sécheresse, alimentation en eau des populations, régulation des crues, production d'énergie électrique et création de parcs récréatifs. Aujourd'hui, sur l'ensemble du globe, environ 40% des barrages servent à l'irrigation et 40% à la production d'électricité; un homme sur dix à travers le monde doit son électricité ou son pain à leur existence.

A travers le monde, il existe près de 36000 barrages de plus de 15 mètres de haut et on continue à construire quelque 500 barrages par an.

Les ruines de la cité impériale de Khara Khoto, située en Mongolie, aujourd'hui ensevelie sous le sable du désert de Gobi suite à la malheureuse intervention de l'envahisseur Chinois au XIVeme siècle. Document Geolocation.

Selon une étude suédoise, en 1994, plus des deux-tiers des volumes d'eau charriés par les 139 grands bassins fluviaux de l'hémisphère Nord transitaient par des barrages, canaux ou dérivations.

Cela signifie également que la plupart des villes situées en aval souffrent du manque d'eau, certaines ayant même été désertées et certains lacs ont disparu, perdu à jamais dans les légendes. La Chine et la Russie en ont fait la triste expérience.

Les barrages et autres digues ne sont pas une invention récente de l'homme. La ville impériale et fortifiée de Khara Khoto située en Mongolie intérieure, à la limite sud de l'Empire Chinois, était une oasis riche et florissante au XIeme siècle, profitant des bienfaits de la rivière noire dévalant à grands flots de l'Himalaya.

Ville étape obligée sur la route de la Soie, véritable carrefour pour tous les commerçants voyageant d'est en ouest, du nord au sud et vice versa, la ville qui s'étendait sur plus d'un kilomètre carré abritait des milliers d'habitants.

Mais tributaire d'un fleuve et d'un environnement à l'équilibre déjà fragile, la ville connut subitement un funeste destin au XIVeme siècle lorsque les envahisseurs chinois ne parvenant pas à la conquérir par la force décidèrent d'affamer sa population.

Les Chinois érigèrent un barrage de plus de 10 mètres de haut et courant sur des centaines de mètres en amont de la ville, sur la rivière noire. En quelques années, l'eau s'enfonça dans les sables et n'irrigua plus la ville la plus puissante de la région. Manquant d'eau et de nourriture, la population affamée se rendit presque sans résistance à l'ennemi. Ensuite, la nature et les vents de sable abrasifs finirent de détruire ce que l'homme avait commencé.

Aujourd'hui, Khara Khoto est ensevelie sous le sable du désert de Gobi. Malgré les forces de la nature dans cette région, les digues de sable et de branchages de l'ancien barrage érigé il y a plus de 600 ans sont toujours visibles telles des collines menaçantes à l'horizon. Dans la lumière blafarde du petit matin, la forteresse de Khara Khoto et ses arbres morts semblent surgir du néant, se dressant comme des ruines fantômatiques, témoignant avec tristesse à quel point l'homme est un apprenti sorcier. 

Mais loin d'en tirer la leçon, la Chine a érigé d'autres barrages pour entretenir ses champs de blé et les besoins toujours grandissants d'une population croissante. Devant l'avancée du désert et l'assèchement ainsi que la salinisation des champs, depuis quelques années le gouvernement chinois presse les derniers habitants de la ville d'Ejin située au nord de Khara Khoto de quitter leur maison et leur source de revenus et les reloge dans des cités sans âme et préfrabriquées, loin de leurs ancêtres. Ici aussi, c'est tout un peuple qui a été déraciné et qui a perdu sa culture.

En amont, environ 500 km plus au sud, la ville chinoise de Zhangye dépend entièrement des eaux de l'Himalaya et de canalisations à ciel ouvert kilométriques. Le projet est tellement titanesque et irréfléchi qu'à l'extrémité de certains canaux, 30% de l'eau s'est évaporée avant d'irriguer les champs ! Considéré par l'ONU comme un projet exemplaire par ses résultats - il a permis de faire reculer le désert de plus de 500 km -, il n'en reste pas moins ruineux et disproportionné.

Que ce soit les barrages de Chine, du Brésil, du Venezuela ou d'Afrique, tous sans exception ont affecté les écosystèmes sur des millions d'hectares et mis en péril le développement économique des populations les plus pauvres. 

A voir : Khara Khoto (Mongolie)

Ville impériale privée d 'eau qui disparut sous le sable au XIVe.s.

Ces images satellites nous montrent les bouleversements dramatiques que peuvent entraîner la construction de grands barrages sur les fleuves d'Afrique. A gauche, deux images du bassin hydraulique du fleuve Bafing au Mali, juste avant (1977) et après l'installation du barrage (1999) de Manantali. Ce barrage a modifié le régime hydraulique du fleuve Sénégal qui coule en aval. A droite, deux images montrant la transformation du bassin du fleuve Djoudj au Sénégal avant (1979) et après (1999) l'installation du barrage de Diama non loin de la côte. Dans les deux cas, l'écosystème et les flux d'irrigation ont été totalement bouleversés sur plusieurs milliers d'hectares. Documents UNEP/GRID.

Les bénéfices escomptés de ces ouvrages parfois pharaoniques et n'ont pas toujours été au rendez-vous en raison de leurs effets néfastes sur les régimes hydrauliques des rivières, sur la qualité de leurs eaux et sur le fonctionnement des écosystèmes aquatiques. Certains d'entre eux sont même considérés aujourd'hui comme des échecs patents. C'est le cas par exemple des deux barrages aux conséquences funestes construits sur le fleuve Sénégal, le barrage de Manantali installé à l'est du pays sur le fleuve Bafing qui rejoint le Sénégal et celui du barrage de Diama situé en bordure de côte : si les lacs de retenue ont permis d'irriguer 240000 ha de cultures, aujourd'hui le fleuve se meurt au coeur d'une région qui se désertifie.

Dès que les barrages furent opérationnels, les fermiers et les pêcheurs vivant en aval du barrage de Manantali eurent des problèmes de santé suite à des maladies hydriques contractées au contact des eaux du fleuve, telle que la malaria (paludisme) et la schistosomiase.  L'activité du barrage a également réduit la quantité d'eau disponible en amont pour l'irriguation, une technique qu'utilisait les fermiers depuis des centaines d'années. La quantité de limon qui se dépose sur les terres a égalment chuté depuis la construction du barrage de Manantali.

Gros-plan sur le barrage hydroélectrique des Trois Gorges construit sur le Yangsté en Chine. Il devrait produire 18.2 milliards de kWh chaque année, autant que la puissance de 18 réacteurs nucléaires !

Même chose pour le barrage d'Assouan en Egypte, son exploitation a définitivement tué le Nil et les petits pêcheurs comme les agriculteurs qui vivaient des produits du fleuve. Depuis que le barrage a été construit, le fleuve millénaire s'écoule en languissant, les poissons ne peuvent plus circuler librement et le limon ne se dépose plus sur les berges du fleuve pour fertiliser les terres. Il s'ensuit une perte économique et des problèmes environnementaux; on assiste à de nombreuses faillites chez tous les petits fermiers et les pêcheurs, ils doivent recourir à des engrais pour fertiliser des terres autrefois naturellement fertiles et les riverains assistent impuissants à une augmentation de la pollution du fleuve par les eaux usées. Le Gouvernement égyptien considère toutefois que ces problèmes sont mineurs par rapport au progrès apporté par le barrage.

Un phénomène similaire et de plus grande ampleur est en voie de se produire en Chine avec la mis en service en 2006 du plus grand barrage du monde, celui des Trois Gorges sur le Yangtsé qui a déjà modifié tout l'écosystème à l'échelle régionale. L'ouvrage mesure 2309 m de longueur, 2092 m de large et 185 m de hauteur ! D'une superficie de 58000 km2 soit pratiquement deux fois la Belgique, il retient 4 milliards de km3 d'eau sur 600 km en amont, soit 25 fois le volume du barrage d'Assouan ! Ce volume gigantesque représente 100 fois la quantité d'eau douce qui s'écoule sur toutes les terres du monde chaque année !

Qualifié de dinosaure par les spécialistes étrangers, sa construction dura 13 ans et fut l'objet de plusieurs scandales tant du point de vue politique, social, qu'environnemental. Le barrage fut associé à de sérieux problèmes techniques mettant en jeu sa sécurité et contraignit 1.2 millions d'habitants à évacuer leur demeure qui furent ensuite noyées sous les eaux, obligeant 300000 fermiers à cultiver de nouvelles terres beaucoup moins fertiles.

En résumé, tous les spécialistes des questions environnementales reconnaissent que les grands barrages morcellent la biodiversité et condamnant à terme la flore et la faune de toute la région submergée par le lac de retenue. Ils transforment un système d'eau courante en un système d'eau dormante, modifiant les populations animales et végétales vivant le long du cours d'eau. Certaines espèces de poissons migrateurs notamment disparaissent, leur route vers les frayères étant coupée. Les barrages perturbent également fortement le régime hydrologique du cours d'eau en aval de la retenue, ils suppriment totalement les crues et les zones humides. Ils sont à l'origine d'importantes pertes d'eau par évaporation, surtout en milieu tropical. 

Ainsi, le lac Nasser (barrage d'Assouan) perd chaque année 10 milliards de mètres cubes d'eau par évaporation. Ils favorisent également dans certains régions déjà traversées par des fleuves la formation de cellules orageuses. Ils retiennent les limons dans les lacs de retenue, ce qui a d'importantes conséquences tant en amont qu'en aval. 

Le lac Nasser formé suite à l'installation du barrage d'Assouan a modifié le micro-climat local; son évaporation facilite le développement des cellules orageuses. Il a également noyé des dizaines de sites archéologiques et de monuments égyptiens. L'UNESCO a même dû procéder à la surélévation du fameux site d'Abou Simbel à Philae (le temple de Ramsès II et le sanctuaire d'Isis). On le voit à droite tel qu'il était en 2002, réinstallé pierre par pierre (15 tonnes par bloc) quelque 60 m plus haut, dans une montagne artificielle, un projet... pharaonique. Documents Thomas Bianchin et NGS.

L'accumulation progressive des limons en amont induit une eutrophisation de la retenue et donc une dégradation de la qualité de l'eau. En aval, en revanche, l'eau n'est plus naturellement enrichie par ces limons et les agriculteurs sont obligés d'acheter des engrais - le fameux Ground Up et autre pesticides de Monsanto - pour fertiliser leurs terres agricoles qui finissent par s'appauvrir et meurent en quelques années.

Comme un malheur ne vient jamais seul, le lit du cours d'eau s'enfonce car les sédiments continuent à être charriés plus loin encore sans être remplacés. Enfin, à l'embouchure du cours d'eau, l'absence de sédiments frais conduit à la disparition des sables et des limons emportés par les courants marins ce qui diminue la faune des milieux côtiers voire conduit à sa disparition suite à la pêche à laquelle sont contraints les plus pauvres.

Pour finir, les barrages accentuent la salinisation des nappes phréatiques côtières car en empêchant l'écoulement ou le débordement d'eau douce, ils favorisent les intrusions d'eau de mer.

Pour limiter ces perturbations en aval des barrages, en occident certaines règles ont été instaurées. Ainsi, tout barrage construit dans le lit d'un cours d'eau doit désormais comporter un dispositif maintenant un débit minimal (débit réservé) afin de préserver en permanence la vie piscicole. Mais surtout, les experts préconisent aujourd'hui d'exclure le gigantisme et conseillent d'avoir recours à des réservoirs de taille moyenne.

Mais visiblement ces règles ne s'appliquent pas en Chine ni au Venezuela qui continuent à se prendre pour des apprentis sorciers.

Deuxième partie

L'extraction de granulats des fleuves

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