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La terre et l'humus

Une plantule se développant dans l'humus. Document T.Lombry.

Un sol vivant

Le sol que nous foulons est l'interface entre le monde rocheux souterrain et l'atmosphère ou l'océan. Il constitue un écosystème vivant constitué en surface de la litière sous laquelle se trouve la couche d'humus, auxquels s'ajoute la poussière.

La litière s'étend sur une épaisseur moyenne de 20 cm. Elle contient de la matière organique provenant des résidus végétaux, des rejets du métabolisme des animaux et des bactéries et des minéraux. La matière organique en décomposition représente environ 5% du poids sec de la terre, le reste étant constitué de minéraux et autres sels extraits des roches.

La litière est un milieu brut juste préparé, très aéré, d'aspect spongieux. La matière organique libre travaille la litière pour décomposer la matière organique déposée en surface (feuilles et tiges mortes, branches et racines mortes, cadavres, déchets métaboliques, etc.). Ces organismes se nourrissent de sucre, de protéine, de la cellulose et d'autres constituants organiques qu'ils vont transformer en matière minérale assimilable par les plantes. Cette transformation s'appelle l'humification. La matière qui en résulte forme l'humus qui est donc une matière organique déjà travaillée et plus dense que la litière mais tout à fait pénétrable pour les petits animaux et en particulier les vers de terre et les insectes. La durée de ce processus varie entre quelques semaines et une dizaine d'années selon la nature des sols et les conditions météos. On reviendra sur ce processus.

Cette couche superficielle et fertile est donc indispensable à la survie des végétaux et de manière générale à la survie de tous les organismes qui en tirent directement ou indirectement profit et dont nous faisons partie.

La couche d'humus

Sous la litière composée des feuilles mortes, de débris végétaux et de quelques organismes se trouve l'humus composé selon la nature des sols soit de terre arable, c'est-à-dire qu'on peut labourer et cultiver car elle contient les éléments nutritifs dont les plantes ont besoin (azote, phosphore, potassium, magnésium, ...) soit de sable et autre limon (des grains dont la taille est entre celle des argiles et des sables). Si son épaisseur est réduire à quelques centimètres ou décimètres au sommet et sur les flancs des collines, par accumulation elle peut atteindre plusieurs mètres au fond des vallées et même une centaine de mètres d'épaisseur sous les Tropiques et dans la jungle et donc offrir un terreau très fertile pour toutes les formes de vie.

L'humus est de couleur brun à noir selon sa nature et a une odeur caractéristique dont celle du sous-bois quand il s'agit d'humus forestier formé à partir du feuillage et autre cellulose en décomposition.

Constitution du sol et principaux mécanismes à l'oeuvre pour créer et entretenir l'humus. Documents IRD/L.Corsini.

L'humus est proche du compost mais s'en diffencie par sa composition et son stade de développement. Le compost représente toute matière organique en décomposition. Ce sont les jardiniers notamment qui appellent compost les déchets organiques empilés en attendant qu'ils se décomposent en humus. En revanche, l'humus est une matière naturelle et stable. Elle constitue le produit final de la décomposition et de la transformation de la matière organique. Ses quantités nutritives comprennent des traces de minéraux et une grande proportion de composés carbonés (acides organiques) et d'eau.

L'humus contient notamment deux éléments non organiques assimilables par les plantes : l'azote (N2) et le phosphore (P2). En moyenne, chaque année 3% de l'azote organique est minéralisé et 60% du stock d'azote contenu dans l'humus sous forme de nitrates (NO3-) est absorbé par les plantes. Toutefois un excès de nitrates est le signe d'une pollution suite à l'utilisation d'engrais chimiques ou un dysfonctionnement des installations d'assainissement ou industrielles.

Quant au phosphore également consommé par les plantes sous sa forme soluble (P2O5), sa quantité dépend de la nature du sol. Mais sa forme assimilable (ou biodisponibilité) dépend de sa durée de vie qui varie entre 1 et 3 semaines au-delà de laquelle il se lie à d'autres molécules, n'est alors plus soluble et donc plus assimilable.

Comme le compost, l'humus a la particularité d'être une matière spongieuse, aérée et souple. A l'inverse des roches qui sauf exception (ringwoolite) laissent filtrer l'eau jusqu'aux nappes phréatiques, l'humus retient l'eau ainsi que les nutriments (azote, potassium, phosphore, etc...), permettant d'une part de limiter les inondations et d'autre part de restituer les éléments transformés aux plantes en période de sécheresse. Mais ce n'est pas pour autant que vous pouvez noyer vos plantes sous 1 m d'eau où oublier de les arroser !

L'humus joue également un rôle important dans le stockage du carbone et notamment la séquestration du dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère, réduisant ainsi la contribution de ce gaz à l'effet de serre responsable du réchauffement du climat.

Les cycles de l'azote (gauche) et du phosphore (droite) présentent une composante qui passe par l'humus à travers lequel les deux minéraux sont assimilés par les plantes. Documents Wikimedia.fr et Wikimedia US adaptés par l'auteur.

Types d'humus

Selon qu'il est transformé par un processus aérobie (en présence d'oxygène) ou anaérobie (en absence d'oxygène), l'humus est classé en différentes formes :

- Humus formé par aérobiose :

- le mull : est présent dans les forêts et les prairies à forte activité biologique et se présente une couche d'épaisseur variable riche en matière organiques et minérales. Il est de couleur généralement brune et contient une grande proportion de vers de terre (sauf dans les sols calcareux).

- le moder : est présent dans les forêts et les landes à activité biologique modérée. Cela représente la majorité de nos forêts de feuillus riches en feuilles mortes, champignons, racines et autres déchets biologiques. Son épaisseur varie entre quelques millimètres et plusieurs centimètres. L'humus moder à l'odeur des champignons.

- le mor : est présent dans les forêts et les landes à faible activité biologique. Son activité étant ralentie, le sol est acide et peu fertile. Son épaisseur peut atteindre plusieurs dizaines de centimètres et même localement dépasser 1 mètre. C'est le cas typique du podzosol de couleur brun clair et de la terre de bruyère de couleur marron.

- Humus formé par anaérobiose :

- la tourbe : est présente dans des environnements ayant été longtemps inondés en présence de végétaux  aquatiques à croissance rapide (par ex. les sphaignes dans la région des Fagnes, les grands Carex dans les landes, la glycérie près des étangs, etc.). La tourbe renferme une quantité impressionnante de végétaux plus ou moins bien conservés parfois depuis 10000 à 12000 ans (cas des tourbières). Cet humus présente également un grand intérêt scientifique car il contient des pollens permettant de reconstruire le paléo-écosystème du gisement. Selon l'origine des végétaux et leur abondance en minéraux, la tourbe est marron clair (blonde, transformation des sphaignes et généralement jeune), brune (transformation des végétaux et âgée jusqu'à 5000 ans) ou noire (transformation des cyperaceae, âgée jusqu'à 12000 ans). La tourbe peut être neutre ou acide (pH entre 4-5).

- l'ammoor : est un humus contenant un mélange de matière organique humifiée et d'argiles. Il se forme dans des zones humides (par ex. aux abords des rivières et méandres temporairement inondés) ayant été asséchées, favorisant le processus d'humification.

La matière organique libre

La matière organique libre est l'ensemble des organismes vivant sous terre : les petits animaux (taupes, vers de terre, nématodes, iules, etc), les insectes (collemboles, acariens, cloportes, termites, etc.) et les micro-organismes (bactéries, protozoaires, champignons, algues). Ils représentent jusqu'à 20% de la matière organique totale présente dans l'humus.

Etant vivant et donc en évolution permanente, l’humus se crée et s'entretient grâce à l'action combinée de trois types d'organismes : les animaux, les bactéries et les champignons. Nous verrons plus loin quelques méthodes pour identifier et entretenir l'humus.

Les vers de terre

Les vers de terre appartiennent à l'embranchement des annélidés et au sous-ordre des Lumbricinae. Ils sont divisés en 13 familles, 700 genres et plus de 7000 espèces ont été décrites en 2015 (cf. "Soils" de Schaetz et Thompson). Les vers de terre sont hermaphrodites et pondent des oeufs qui éclosent sous forme de petits vers complètement autonomes. Selon les espèces, ils peuvent vivre entre deux et huit ans.

Document iDiv.de adapté par l'auteur.

Le ver de terre est l'espèce terrestre la plus importante en terme de biomasse globale. Toutes espèces confondues, ils représentent 60 à 80% du poids total de tous les animaux terrestres, humains compris ! 

Selon une étude publiée en 2019 par iDiv et parrainée par la Commission européenne, on rencontre la plus grande diversité et la plus grande abondance d'espèces de vers de terre aux latitudes élevées (40-55°N/S), tandis que la biomasse est la plus élevée sous les Tropiques. Fait intéressant, ces modèles sont l'inverse de ceux observés pour les organismes aériens.

L'abondance des vers de terre a été estimée à 5 à 150 individus/m2, avec une tendance plus élevée dans les régions tempérées telles que l'Europe, la Nouvelle-Zélande et certaines parties de l'Amérique du Sud que dans les régions tropicales et subtropicales comme le Brésil, l'Afrique Centrale et certaines régions de la Chine. La biomasse totale de vers de terre varie considérablement, allant de 1 à 150 g/m2, avec des zones à forte concentration sous les Tropiques, dans certaines parties de l'Amérique du Nord et dans la steppe eurasienne. Là où dans certaines régions tropicales du Brésil et de l'Indonésie les vers de terre manquent en nombre, elles compensent en taille, les espèces de vers de terre géants augmentant le classement de la biomasse pour ces régions malgré leurs faibles abondances. Les plus grands vers de terre vivent en Amazonie où ils peuvent dépasser 3 mètres de longueur !

Enfin, il existe un lien étroit entre le climat et les communautés de vers de terre, les précipitations étant le principal moteur de la diversité et de la biomasse, et la température le principal moteur de l'abondance. Les changements de température et de précipitations sont susceptibles d'influencer la diversité et la distribution des vers de terre, avec des impacts sur le fonctionnent des écosystèmes.

Sous des abords modestes, les vers de terre jouent un rôle majeur dans la fertilisation des sols. En effet, spécialisés dans l'entretien de l'humus, ils travaillent plus efficacement que le plus moderne motoculteur.

Les vers de terre sont classés en 3 groupes en fonction de l'endroit où ils évoluent :

- Les vers épigés : ils vivent dans la couche superficielle et horizontale de l'humus (la litière) et ne s'enfoncent jamais dans le sol. Il s'agit des vers rouges ou "vers du fumier" dont l'espèce la plus répandue est Eisenia foetida. Ils sont de petite taille et présentent des anneaux alternativement rose clair et rouge vif. On les utilise pour créer le lombricompost qu'on retrouve dans les jardins.

- Les vers endogés : vivent en permanence dans le sol et creusent des galeries horizontales. Ils se nourissent des racines mortes.

- Les vers anéciques : ils voyagent continuellement et verticalement entre la surface et les profondeurs. Il s'agit des vers de terre proprement dits, familièrement appelés lombrics (sous-ordre des Lumbricina) dont voici des planches anatomiques détaillées. On les reconnaît par leur grande taille (10-12 cm pour 100 g) et la présence d'un clitellum, un bourrelet glandulaire plus clair et rouge en période sexuelle situé sur une petite section de l'épiderme, généralement dans la première moitié du corps. Il s'agit d'un organe sexuel secondaire.

Ce sont les lombrics et autres membres de la sous-classe des Oligochaeta qui digèrent la terre brute et fabriquent la matière argilo-humique composée d'un mélange d'argile récupéré en profondeur et de l'humusproduit provenant de la litière située dans la partie supérieure du sol. Les lombrics restent actifs presque toute l'année sachant qu'en Europe septentrionale, même en hiver le sous-sol reste généralement positif à partir d'environ 30 cm de profondeur.

Les vers de terre aèrent le sol en creusant des galeries et en remuant l'humus. Dans les prairies européennes, leur densité atteint 500 vers de terre par mètre cube de terre, ce qui représente jusqu'à 5 millions d'individus par hectare et une biomasse de 1 à 3 tonnes de vers de terre par hectare dans les sites tempérés les plus propices contre seulement 10 vers de terre au mètre cube dans les sols acides comme les forêts d'épiceas.

Les lombrics sont la proie de nombreux prédateurs : oiseaux, taupes, sangliers, renards, grenouilles, crapauds et insectes (par ex. le carabe doré) ainsi que de prédateurs invasifs comme le Platode, un ver plat terrestre de l'embranchement des Platyhelminthes probablement originaire d'Argentine (mais qu'on retrouve aussi en Océanie). Ils sont probablement arrivés en Europe vers 2012 dans la terre des plantes exotiques. Aujourd'hui, on retrouve ce vers plat dans toute l'Europe occidentale. Vu sa présence très récente, il ne connait aucun prédateur. Les Platodes ont un impact sur la qualité des sols car en l'absence des vers de terre, le sous-sol n'est plus aéré et les champs deviennent marécageux et finissent par ne plus pouvoir être cultivés (cf. J.-L.Justine et al., 2020).

A voir : Bioturbation en accéléré - Worms at work

De l'intérêt de préserver les organismes souterrains pour créer de l'humus

A gauche, la litière forestière couverte de feuilles mortes, de fragments de branches, de souches et de cadavres en décomposition, sur laquelle se développent des champignons. La décomposition de la matière organique viendra enrichir la couche d'humus et la vie qui s'y abrite. Au centre, un lombric reconnaissable à son segment tégumenteux. Il passe sa vie entre la litière et l'humus. A droite, un scarabée qui assure patiellement le rôle des vers de terre dans les milieux tropicaux et sub-désertiques (ici au Maroc). Documents T.Lombry et Le Labo des savoirs.

Un vers de terre peut ingérer 20 fois son poids par jour. Selon l'espèce, un vers de terre peut ingérer entre 100 et 400 tonnes de matière par hectare par an. Ses déchets, les crottes qui ont la forme de petits monticules torsadés appelés turricules, contiennent de la matière organique qui est décomposée par les microbes mais également du sable, de l'argile et une forte concentration en éléments fertilisants comme l'azote, le phosphore, la potasse, le calcium, le magnésium et divers oligo-éléments. Après seulement 6 jours de décomposition, ces déchets redeviennent de la nourriture fraîche pour le vers de terre. On estime qu'en présence de lombrics, une parcelle présente un rendement 30% supérieur à une parcelle sans vers de terre.

Il est donc important de protéger les vers de terre et de ne surtout pas abuser des produits chimiques et notamment des désherbants de type Roundup de Monsanto excessivement délétères pour la plupart des organismes (et cancérogène). De plus, des expériences ont montré qu'un sol riche en bactéries est toujours plus fertile qu'un sol enrichi par des engrais. En revanche, les engrais organiques ou minéraux sont propices à la vie des sols.

Notons que dans les régions tropicale (savane) et les milieux sub-désertiques, l'humus est produit par d'autres organismes que les vers de terre, en particulier par les termites et les coléoptères (famille des Tenebrinidae adaptée aux climats semi-désertiques ou désertiques). Ces derniers comme par exemple le bousier qu'on trouve partout sauf en Antarctique joue en partie le rôle du lombric car en transformant les excréments d'animaux et les matières en décomposition, il élimine les moisissures et maintient la qualité des sols.

Le rôle des micro-organismes

Le sol abrite également une microfaune et une microflore dont on ne soupçonne pas l'utilité. Chaque gramme de sol soit à peine 1 cm3 contient entre 10 millions et 1 milliard de bactéries (et dix fois moins d'espèces). Au total, le poids de la biomasse s'élève à plusieurs tonnes par hectare de terre arable. On estime que le poids de la biomasse vivant sous terre est supérieur au poids de tous les créatures vivant en surface !

Par ordre d'importance de leur population, ces micro-organismes sont représentés par les bactéries, les champignons microbiens, les amibes et les algues.

Les bactéries vivant dans le sol représentent 25% des espèces bactériennes connues mais les microbiologistes estiment qu'ils ne connaissent que 1% des microbes du sol.

Les bactéries aérobies sont les plus nombreuses. Elles décomposent ou minéralisent la matière organique présente dans l'humus afin qu'elle soit assimilable par les plantes sous forme d'éléments plus simples (nitrate, phosphate, potassium, etc.). Les lignines qu'on retrouve dans les plantes vasculaires et donc dans les feuilles, les tiges et la cellulose du bois sont toutefois plus résistantes à l'action microbienne. Notons que vu l'importance du couvert végétal, la lignine et la cellulose représentent plus de 70% de la biomasse de la Terre, d'où l'intérêt de la valoriser sous forme de combustible notamment.

Pour vivre et prospérer, ces bactéries ont besoin d'oxygène. C'est la raison pour laquelle un sol trop tassé ou gorgé d'eau ne leur permet plus de trouver suffisamment l'oxygène libre pour assurer leur métabolisme. Et comme la plupart des êtres vivants, elles ont également besoin d'eau, d'azote, de potassium et d'oligo-éléments.

Les bactéries ne consomment que très lentement les substances organiques contenues dans l'humus, raison pour laquelle on le qualifie de matière organique stable. Chaque année, les bactéries dégradent entre 1 et 2% d'humus en minéraux et libèrent entre 40 kg et 80 kg d'azote par hectare par an. Cette minéralisation se mesure grâce au coefficient de minéralisation (K2). Nous verrons qu'il est favorisé par la chaleur et l'humidité.

Les champignons microbiens et autres mycètes (à ne pas confondre avec les champignons ordinaires vivant au sol) ainsi que certaines bactéries filamenteuses (Streptomyces, Mycobacterium, etc.) représentent 75% de la biomasse microbienne et jusqu'à 2 tonnes de biomasse par hectare. Ces organismes ont besoin d'oxygène.

Ces champignons microbiens se différencient des bactéries classiques par leur longévité plus longue et la présence d'une partie souterraine appelée le mycélium. Comme on le voit ci-dessous à gauche, cette partie végétative est composée de filaments (hyphes) qu'on reconnaît à leur structure souvent ramifiée et soyeuse et leur couleur blanche dans le sol ou dans les cultures.

Les actinomycètes ou "champignons rayonnants" sont proche des moisissures et représentent vraisemblablement un groupe de bactéries "vraies" (eubactéries) entre les bactéries et les champignons. Les plus étonnants produits de leur métabolisme sont des antibiotiques qui leur permettent de lutter contre les attaques des bactéries (et dont les hommes ont récupéré l'invention, cf. le Pénicillium).

Ces champignons (microbiens et actinomycètes) vivent parfois en symbiose avec les racines des plantes, ce qu'on appelle la mycorhize. Les champignons s'infiltrent au coeur même des racines où les plantes ont l'opportunité d'échanger les sucres de la photosynthèse contre des minéraux et de l’eau que les champignons ont remonté des profondeurs du sol. Cette association bénéfique aux deux parties concerne plus de 95% des plantes terrestres et est un bioindicateur de la bonne santé des plantes car elle leur garantit un apport nutritif et les aide à mieux résister aux stress hydrique et acide ainsi qu'aux attaques des agents pathogènes.

Enfin, ces champignons et autres mycènes sont extrêmement précieux car ce sont les seuls capables de pulvériser la roche, de transformer la lignine du bois en humus et qui nous permettent encore de fabriquer de nouveaux médicaments. Sans parler de leurs facultés d'adaptation, ces organismes sont réellement étonnants. D'ailleurs, s'ils n'existaient pas, la vie n'aurait probablement pas émergé sur la terre ferme car ce sont les mycènes qui sont à l'origine de la terre que nous foulons et des premiers peuplements terrestres.

A gauche, le mycelium aggressif du champignon Psilocybe cyanescens (hallucinogène). Au centre, une colonie d'actinomycètes. A droite, une amibe arcella. Documents Mike Potts, HKI et D.R.

Le sol contient également une part importante de protozoaires dont les amibes qui représentent une biomasse de 100 à 300 kg/ha. Ces protozoaires consomment des bactéries et décomposent également la matière organique.

Le sol abrite également des algues mais elles ne peuvent vivre que dans des milieux humides et en surface car elles ont besoin de lumière pour assurer la photosynthèse. Elles vivent dans de minuscules poches d'eau douce sous les prairies et les cultures, souvent en symbiose avec des algues bleues avec lesquelles elles assurent la fixation de l'azote. Elles nourrissent de prédateurs microscopiques et représentent aussi une source d'énergie pour les autres micro-organismes.

Selon une étude publiée dans la revue "The New Phytologist" en 2022 par Vincent E. J. Jassey de l'Université de Toulouse et ses collègues du CNRS, nous avons sous-estimé le rôle des algues dans le cycle global du carbone. En effet, il se trouve que ces micro-organismes jouent un rôle majeur dans le cycle biogéochimique mondial.

Des algues vertes d'eau douce Volvox carteri dont l'enveloppe gélatineuse contient entre 500 et 3900 cellules somatiques biflagellées reliées entre elles. On distingue à l"intérieur quelques grandes cellules reproductives asexuées immobiles appelées les gonidia. Chaque Volvox peut en contenir 16. Document Frank Fox/Mikro-Foto.

Grâce à l'apprentissage automatique (machine learning), un outil issu de l'intelligence artificielle, les chercheurs ont découvert qu'il y aurait environ 5.5 millions d'algues par gramme de sol, soit 55 fois plus que les précédentes estimations, et elles stockent environ 3.6 gigatonnes de carbone par an. Cela correspond à environ 6% de la production primaire nette de végétation terrestre et représente environ 30% des émissions de CO2 anthropique.

Selon les chercheurs, "le carbone atmosphérique fixé par les algues du sol est crucial pour le cycle global du carbone et devrait être intégré dans les efforts terrestres pour atténuer les émissions de CO2". On reviendra sur l'effet de serre.

Enfin, le sol et en particulier l'humus des forêts, les mousses et les lichens abritent des tardigrades, ces fameux animacules capables de survivre dans pratiquement n'importe quelle condition, bien qu'il s'agisse d'animaux aquatiques. On y reviendra en détails.

Comme les vers de terre, il est donc important de favoriser un développement contrôlé des micro-organismes en aérant le sol ce qui va améliorer sa qualité.

Entretien des sols

L'humus est un milieu riche en matière organique mais fragile qui demande assez bien de temps pour se constituer et qui une fois disparu risque de ne plus pouvoir être recréé. Il est très sensible aux actions mécaniques (érosion, lessivage des sols, labour) et aux agents chimiques (biocides, pesticides et engrais) qui peuvent le dégrader voire le détruire en quelques semaines. Ainsi, rien que le fait de labourer un champ, c'est-à-dire d'enfouir l'humus, accélère la minéralisation de la matière organique et induit une perte de sol variant entre 10 tonnes par an dans les régions tempérées à plusieurs centaines de tonnes en région tropicale. Le fait de défricher une zone boisée va également accélérer la perte de sol lors des précipitations avec des effets catastrophiques sur l'environnement comme on peut par exemple l'observer sur les collines (lavakas) des hauts-plateaux de Madagascar ou dans de nombreuses îles du Pacifique où les terres arables des forêts de montagne en partie défrichées s'écoulent jusqu'à la mer où elles asphyxient le corail.

Si nous voulons protéger l'environnement et conserver nos terres fertiles, on comprendra qu'il est très important de préserver la couche d'humus. Pour préserver les propriétés du sol, sachant que cet écosystème est vivant, qu'il respire et suit un cycle de vie à travers tous les organismes et processus qui s'y développent, il faut suivre son évolution. Pour cela, on peut surveiller plusieurs facteurs :

- L'humidité du sol

- La manière dont les déchets sont recyclés

- L'évolution de la croissance des plantes

- Comment le sol stocke les nutriments et purifie l'eau.

Pour déterminer ces facteurs, il faut évaluer plusieurs paramètres dont la quantité d'eau absorbée par unité de surface, la texture du sol (sa granulosité et sa proportion en argile, limon et sable), son taux d'acidité ou pH, sa structure (compacte, aérée), la présence ou non de calcaire ainsi que calculer ses coefficients isohumique (K1, quantité d'humus stable) et de minéralisation (K2).

A lire : Biogéochimie et écologie des sols (PDF), J.-F. Soussana, 2012

Profil pédologique de sols pauvres présentant une couche d'humus d'à peine 5 cm (gauche) et 10 cm (droite) d'épaisseur, celle de droite étant typique des sols caillouteux recouverts d'argile ou de limon des forêts de feuillus de Belgique et du Luxembourg. Document Shutterstock et T.Lombry.

On reconnaît un biotope terrestre très diversifié à la présence de forêts et des innombrables créatures qu'elle abrite. Pour qu'une forêt puisse se développer, l'eau est indispensable. Dans les pays tempérés, en comptant 1000 arbres par hectare, une forêt consomme 30 tonnes d'eau par jour par hectare (lorsque la sève circule, donc pas en hiver). Cela correspond à 3 mm d'eau sur 7 ha pendant 200 jours de végétation par an, soit 600 mm d'eau. S'il tombe plus de 600 mm d'eau, le sol se couvre de forêts, en dessous de 600 mm il n'y pas de forêt. Cette eau est directement absorbée par le sol et nourrit l'arbre par les racines et retourne à l'atmosphère à travers la respiration qui produit du gaz carbonique et la transpiration qui libère entre quelques dizaines et plusieurs centaines de litres d'eau par jour par individu.

On pourrait ajouter qu'il faut surveiller l'aération du sol qui intéresse surtout l'agriculture et la rentabilité des exploitations. Mais le labour est problématique car il élimine des nutriments et réduit la vie du sol.

Bioindicateurs

Différentes plantes et arbres fruitiers sont des bioindicateurs de l'acidité ou de l'alcalinité des sols dont voici une courte liste :

- Sol acide (4 < pH <6) : arachide, caféier, châtaignier, chêne, conifère, échalote, endive, fougère, mousse, framboisier, lin, mûrier, myrtiller, patate douce, pomme de terre, rhubarbe

- Sol neutre (6 < pH < 7) : abricotier, céréales, cerisier, citrouille, fraisier, groseiller, haricotier, moutardier, pêcher, poirier, persil, pommier, vigne, sarrasin, soja, tomate

- Sol basique (7 < pH < 7.5) : asperge, betterave, brocoli, carotte, céléri, choux, concombre, courgette, épinard, laitue, oignon, poireau, trèfle.

Pour connaître rapidement l'état du sol, il existe des plantes dites "bioindicatrices" qui ne germent que lorsque les conditions physico-chimiques sont réunies (géologie, climat, hydrologie, etc.). Parmi ces plantes et fleurs citons la Renoncule rampante (sol saturé d'eau), le Grand Plantain (sol tassé peu oxygéné), la Spergule des champs (sol pauvre en argile et matière organique) et le Rumex à feuilles obtuses (sol asphyxié par un excès de matière organique ou pollué aux nitrites).

Pour les jardiniers amateurs (cf. l'ouvrage de Rosemary Morrow sur la permaculture), notons que le développement de la couche d'humus est notamment favorisé par le paillage nutritif du sol et éventuellement par l'apport de compost. Mais cette action ne peut pas réussir si on ne connaît pas la nature du sol et notamment son degré d'acidité.

On peut corriger un sol trop acide en ajoutant de la matière organique (paillis, compost), des engrais verts (Lupin jaune, Mélilot, Serradelle, Sarrasin ou Millet) et pour une action en profondeur on peut ajouter de la cendre de bois, de la marne, de la craie ou du calcaire ou encore de la dolomie si le sol manque de magnésium.

Pour corriger un sol trop alcalin on peut ajouter de la matière organique (paillis, compost), des engrais verts (Moutarde, Luzerne, Phacélie, Ray-grass, Consoude, Bardane, Bouillon blanc) et pour agir en profondeur on peut ajouter du soufre en fleur ou réaliser un paillage à base de copeaux de bois de résineux.

Qualité de l'humus

Il est également très utile de connaître la qualité de l'humus, caractérisée par son coefficient isohumique (K1) qui qualifie la quantité d'humus stable dans 1 kg de matière sèche apportée au sol. Plus la valeur est élevée plus l'humus est transformé et stable. Voici quelques valeurs classiques du coefficient isohumique :

- Fumier : 0.4 < K1 < 0.5

- Résidus de plantes annuelles : K1 = 0.2

- Pailles : 0.1 < K1 < 0.15.

On en déduit qu'une benne de 10 tonnes de fumier à 20% de matière sèche donne environ 1 tonne d'humus par hectare.

Ainsi que nous l'avons expliqué, le second paramètre utile est le coefficient de minéralisation (K2) qui mesure la quantité d’humus transformée en matière minérale. Il s'obtient simplement par l'analyse de la terre dans un laboratoire spécialisé en tenant compte les teneurs en argile, en calcaire total et du pH de l'eau.

Connaissant ces valeurs, il faut ensuite agir en fonction du type de destination du sol et notamment des plantations. Ainsi, la minéralisation est favorisée par l'apport d'eau, ce qui explique la forte croissance des plantes au printemps du fait que l'augmentation de la température favorise la minéralisation de l'azote. Les bactéries préfèrent également des conditions plus chaudes, humides, des sols basiques ou peu calcareux.

On estime que dans une prairie (pâture) en exploitation, il se perd chaque année entre 800 et 1400 kg d'humus par hectare. En revanche, contrairement aux pratiques passées, dans plus en plus de pays les autorités en charge de l'exploitation forestière ont tendance à laisser le sol en l'état afin que la nature retrouve un équilibre plus naturel, plus favorable au développement d'une faune et d'une flore sauvages. 

En guise de conclusion

Voilà en quelques mots la nature et les caractéristiques de la terre que nous foulons et sans laquelle notre planète serait tout simplement stérile. Ainsi qu'on le constate, l'humus est loin d'être un milieu anodin et sans vie. C'est un véritable monde en soi fait d'interactions et dans lequel des organismes vivent en symbiose les uns avec les autres. Pour toutes ces raisons, il faut assurer sa pérennité à travers un développmement durable et une alimentation équilibrée du tapis végétal en évitant autant que possible de recourir aux engrais chimiques. La Nature vous le rendra bien.

Pour plus d'informations

Généralités

Inititiative 4p1000

Vermicomposte

Techniques et processus de compostage, FAO

Chronique des sols vivants, la mycorhyze

Chronique des sols vivants, ils travaillent pour nous

Le sol, l'épiderme vivant de notre planète, ENS, 2020

Enrichir les sols en carbone pour lutter contre le changement climatique, CNRS, 2018

La biodiversité des sols nous protège, protégeons-la aussi, The Conversation, 2017

Les sols se renouvellent-ils ?, Pour la Science, 2016

Vidéo sur YouTube

Bioturbation en accéléré

Worms at work

Dossier & Livres

L'origine du monde, une histoire du sol à l'intention de ceux qui le piétinent, Marc-André Sélosse, Actes sud, 2021

Biogéochimie et écologie des sols (PDF), J.-F. Soussana, 2012

Mapping belowground biodiversity - first global earthworm maps, EU Science Hub (Commission européenne), 2019

Le sol. Une merveille sous nos pieds, Christian Feller et al., Belin/Pour la Science, 2016

Manuel d'apprentissage pas à pas de la permaculture, Rosemary Morrow, Ed. Imagine un colibri, 2015

Le sol vivant. Bases de pédologie, Jean-Michel Gobat et al., PPUR, 2010

Soils: Genesis and Geomorphology Randall Schaetz et Michael Thompson, Cambridge University Press, 2015.

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