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L'esclavage

L'escalier de la "Maison des esclaves" sur l'île de Gorée au Sénégal. Au bout du couloir, la "porte sans retour" où des chaloupes attendaient les esclaves. Ceux qui tentaient de s'enfuir étaient tués soit au mousquet soit par les requins. Document UNESCO.

L'esclavage dans le Nouveau Monde (IV)

Ecartelés entre l'Eldorado promis en Amérique du Sud, les plages paradisiaques des Caraïbes, les terres vierge d'Amérique du Nord et la ruée vers l'Ouest, en quelques siècles des dizaines de millions d'immigrants conquérirent ces nouveaux territoires en quête de richesses et d'un avenir meilleur.

Dans ce contexte socio-économique de pleine croissance, les fermiers manquèrent rapidement de main-d'oeuvre pour développer leurs affaires. C'est donc assez naturellement qu'à partir du XVIe siècle le commerce négrier explosa dans le Nouveau Monde. 

La traite s'est progressivement organisée depuis l'Europe, l'Afrique et les différents comptoirs d'outre-mer, orchestré par le pouvoir en place et les lobbies coloniaux. La traite des Noirs fut méthodique et participa à l'essor économie des colonies.

Au début de la traite des Noirs les bateaux négriers partaient de l'île de Gorée située à quelques brasses de Dakar, au Sénégal. L'île de Gorée fut découverte en XVe siècle par les Portugais. Durant plus de quatre siècles Gorée sera fréquentée par des bateaux venant du Portugal , d'Espagne, de France, d'Angleterre et même du Danemark.

Aujourd'hui l'île est évidemment mondialement connue pour sa "Maison des esclaves" et sa fameuse "porte sans retour" donnant sur l'Atlantique... Pour mémoire, cette maison appartenait à Signare (déformation de senhora) Anne Colas, une négrière métisse. Par la suite beaucoup de maisons du front de mer furent bâties sur ce modèle.

Entre le XVIe et le XIXe sècle, toutes les puissances maritimes participèrent au commerce négrier vers le Nouveau Monde. Après avoir installé des comptoirs en Afrique puis en Amérique du Sud, les Portugais étendirent leurs routes commerciales jusqu'aux Indes. Puis ce fut le tour des Conquisators Espagnols. Après avoir réussi la Reconquista (la reconquête du territoire d'Espagne sur les Maures et réunifier leur territoire sous l'autorité des "Rois très Catholiques") ils partirent à leur tour à la conquête du Nouveau Monde grâce à Christophe Colomb. Plus tard l'Angleterre puis la France les rejoignirent. On y reviendra.

Certains routes comme celles des Caraïbes, d'Amérique du Sud ou des Etats-Unis eurent une fréquentation inimaginable aujourd'hui. Dans son livre sur l'histoire des Pygmées, Victor Bissengué estime qu'entre le XVIe et le XIXe siècle 50 millions d'esclaves noirs furent envoyés dans les colonies. Si certains auteurs ont recensé 11 millions d'esclaves dans le Nouveau monde, pour l'UNESCO le nombre d'esclaves et de déportés atteignit 100 millions de personnes !

Les principales routes de l'esclavage entre le VIIIe et le XIXe siècle. Des navires chargés de pacotilles quittaient les ports européens vers l'Afrique. Les denrées étaient échangées contre des esclaves. Ceux-ci étaient ensuite acheminés vers les colonies d'Amérique : c'est le commerce triangulaire. Document UNESCO/Marc Verney/RFI adapté par l'auteur.

Au XVIIIe siècle, on arriva au paroxysme de la traite des Noirs. Le commerce européen des esclaves donna naissance au "commerce triangulaire" entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Des navires chargés de pacotilles quittaient les ports européens vers l'Afrique (Sénégal, Guinée, Bénin, Congo, Zanzibar). Les denrées étaient échangées contre des esclaves. Ceux-ci étaient ensuite acheminés dans des conditions inhumaines vers les colonies d'Amérique (portugaises, anglaises, hollandaises, espagnoles et françaises). Du Nouveau Monde, les navires repartaient vers l'Europe avec des produits tropicaux et des métaux précieux. Parfois les navires revenaient avec des indigènes qu'ils exhibaient à la Cour des Roi, dans les foires et parfois même dans les zoos (Angleterre, 1908).

Outre les documents administratifs, les photographies et la mémoire des peuples qui attestent de ce commerce, la seule preuve "vivante" que nous avons de ce trafic qui dura parfois plusieurs siècles se lit aujourd'hui sur le visage des ressortissants de ces pays d'outre-mer qui dans certaines îles des Antilles représentent une population à 95% noire (Haïti). Autre signe indéniable de la colonisation, au Brésil près de la moitié de la population est métissée. 

Voyons comment tout cela a commencé en distinguant trois routes commerciales et trois manières de réglementer le commerce des esclave avant d'aboutir finalement à l'abolition de cette pratique :

- L'esclavage dans les colonies portugaises et espagnoles (Amérique centrale et du Sud)

- L'esclavage dans les colonies françaises (Antilles, Guyane, Réunion)

- L'esclavage dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord (Etas-Unis).

L'esclavage dans les colonies portugaises et espagnoles

Avec la bénédiction du pape

L'expansion de l'esclavage aux colonies d'outre-mer remonte à l'époque des grandes découvertes. La première reconnaissance officielle de l'esclavage dans les colonies remonte à 1445, époque à laquelle une bulle du pape Eugène IV autorisa le Portugal à réduire en esclavage les peuples infidèles du Nouveau Monde.

A son tour, en 1454 le pape Nicolas V autorisa le roi du Portugal à pratiquer la traite en Afrique.

Aux Antilles

Le 3 août 1492 Christophe Colomb affreta deux caravelles et une nef à destination des Indes. En fait il partit réellement des îles Canaries car il dut réparer un gouvernail. Après une longue traversée et évité de justesse une mutinerie, le 12 octobre Colomb découvrit l'île de San Salvador, ainsi baptisée car il estima que c'était le Christ, le Saint Sauveur, qui sauva son expédition. Puis il découvrit Cuba, la Dominique, la Guadeloupe et Montserrat, bref les Antilles. Colomb était persuadé d'avoir atteint l'Asie.

A gauche, réplique de la caravelle Niña affretée par Christophe Colomb en 1492. A droite, arrivée de Christophe Colomb en Amérique, le 12 octobre 1492. Documents Anonyme et Library of Congress.

Dès le deuxième voyage en 1493, des Noirs furent embarqués dans les caravelles. Christophe Colomb découvrit Saint-Barthémely, Porto-Rico puis la Jamaïque.

A Hispaniola (l'île rassemblant aujourd'hui les Etats de la République Dominicaine et Haïti), les explorateurs espagnols firent prisonnier 1500 amérindiens Arawaks qui seront parqués comme des animaux. Les Espagnols tenteront de les ramener en Europe pour en faire des esclaves mais la plupart succombèrent sous la maltraitance ou lors du voyage de retour.

Environ 300 Amérindiens survécurent et seront mis aux enchères en Castille après 1496. On raconte que Christophe Colomb vendit chaque Améridien pour 5000 maravedis, presque rien. L'expression nous est restée : "Cela ne vaut pas un maravédis" pour signifier que cela n'a aucune valeur.

Le Belem en Martinique. Document M.Pabois.

Rapidement toutes les îles des Antilles seront colonisées par les Espagnols (Cuba, Santiago, Porto Rico, Santa Crux, Guadalupe, Dominica, Martinina, etc) puis certaines seront acquises par les Britanniques, les Français ou même les Danois. 

En Jamaïque (Santiago) par exemple les Anglais boutèrent les Espagnols hors de la colonie mais conservèrent leurs esclaves (les Marrons signifiant "fier et sauvage"). Après le déclin de la population amérindienne, les Britanniques importèrent des esclaves d'Afrique. Les Français coloniseront la Guadeloupe et la Martinique en 1635 puis massacreront les Amérindiens. Santa Crux fut colonisée par les Danois en 1672 (Indes occidentales danoises) puis passera sous protectorat américain en 1917 (U.S. Virgin islands) contre la somme de 25 millions de dollars.

Après quatre voyages et passé huit années à explorer des dizaines d'îles, Colomb perdit toutes ses illusions de mettre pieds en Inde. Pourtant, en atteignant le Vénézuéla puis Panama il avait découvert un nouveau continent qui sera signalé à la même époque par le navigateur italien Amerigo Vespucci.

Pour ne pas alourdir cet article, nous décrirons séparément cet événement historique à l'origine du nom de baptème de l'Amérique. Nous verrons également qu'elles furent les conséquences économiques comme linguistiques du Traité de Tordesillas signé à la même époque.

A lire : L'Amérique a-t-elle usurpé son nom ?

Le Traité de Tordesillas

En Amérique centrale

Au XVe et au XVIe siècle, il faut bien avouer que l'esclavage était devenu banal. En 1514, le juriste espagnol Jean Lopez de Palacios Rubios (1450-1525) dû publier un "Requerimiento" (une sommation) pour éviter les abus commis par les Conquistadores dans l'esclavage des Amérindiens et pour convertir ces derniers à la religion catholique si besoin par la force et la menace.

L'empereur Moctézuma II observant une comète l'année précédent l'arrivée des Conquistadors espagnols au Mexique. Mauvais présage car il sera assassiné en 1520.

Le XVIe siècle fut marqué par de multiples tragédies humaines. Les expéditions de Cortès et de Pizarro seront les plus sanglantes.

En 1519, Hernan Cortès débarqua à Tabasco, au Mexique. Une prophétie Aztèque remontant à dix ans avait prédit qu'un feu enflammerait le ciel durant la nuit, annonçant qu'un malheur allait s'abattre sur l'Empire. Signe prémonitoire que le temps était venu, l'année précédent l'arrivée de Cortès, de grandes lueurs et même une comète auraient été observées par les Aztèques.

L'empereur Moctézuma II n'y prêta pas attention et alla à la rencontre des Espagnols en toute confiance, les invitant à Tenochtitlan (Mexico) en ses termes : "Bienvenus dans notre pays, mes seigneurs !", estimant probablement que leur chef de file était un dieu.

Les espions de Cortès lui avait déjà dit que l'Empereur avait la fierté d'un pharaon d'Egypte et disposait de centaines de serviteurs qui balayaient le chemin devant son passage. Cortès décida de se faire passer pour le dieu Quetzalcoatl.

Pour son expédition Cortès était accompagné d'une jeune femme métisse native d'Amérique appelée Doña Marina par les Espagnols et La Malinche par les Aztèques qui lui servit d'interprète. Elevée à la vie de la Cour, diplomate et autoritaire, elle devint le bras droit de Cortès dans toutes ses affaires militaires et influença fortement ses décisions. Elle deviendra sa maîtresse et lui donnera un enfant avant de le quitter.

Hernan Cortès.

Cortès sera traité à l'égal d'un empereur par Moctézuma II. Devant la beauté de sa cité entourée de lacs et de sommets enneigés, ayant apprécié la qualité des parures d'or et d'argent et ne voyant aucun signe d'hostilité et très peu d'hommes armés, Cortès comprit vite qu'il était dans une sorte de Paradis et en territoire conquis. 

La relation se passa bien mais en 1520, suite à des malentendus avec un autre explorateur qui tua le clergé aztèque, les Aztèques massacrèrent une partie de l'armée de Cortès lors de la "Noche Triste". Cortès ne tarda pas à répliquer et en 1525 ses troupes massacrèrent tous les Amérindiens. Mais le génocide n'alla pas s'arrêter là. Cortès se lança à la conquête du pays qu'il baptisa la "Nouvelle Espagne".

Arrivés au Mexique armés jusqu'aux dents, portant des sabres en acier et des bouclés, équipés d'armes à feu, de canons et d'arc à flèches - autant d'armes inconnues des Amérindiens -, les Conquisatores étaient pratiquement invincibles. Par ailleurs, porteurs de maladies inconnues dans le Nouveau Monde, les Espagnols s'attaquèrent également à un peuple qui n'avait aucune défense immunitaire. En l'espace de 20 ans les Conquistadors exterminèrent 95% de la population Mexicaine déjà estimée à 19 millions d'habitants !

En Amérique du Sud

En 1532, Francisco Pizarro arriva au Pérou avec 180 hommes et 37 chevaux. Digne héritier des méthodes sanglantes de Cortès, Pizarro fit prisonnier l'Inca Atahualpa, prétendant au pouvoir impérial et provoqua un massacre parmi la population effrayée par les chevaux et l'armement des Castillants. Pizarro contraignit les Incas à lui donner tous leurs trésors puis assassinat leur chef en 1533. Pizarro conquit ensuite Cuzco puis Quito (grâce à Belalcazar) avant de fonder Lima (Ciudad de los Reyes).

Atahualpa (1502-1533).

Mais pour coloniser un pays, trouver de l'or et des pierres précieuses (les Conquistadores trouvèrent surtout de l'argent), abattre les arbres, bâtir des villes et cultiver la terre, les militaires souvent issus de la noblesse, ne voulaient pas s'abaisser à effectuer de vil travaux. Ils avaient donc besoin de mains-d'oeuvre. Pizarro comme Cortès et Cabral non seulement pillèrent et saccagèrent les colonies mais firent souffrir des milliers d'Améridiens d'esclavage et exterminèrent certaines tribus.

Du moins à quelques exceptions près, car en 1530 pour la première fois l'Empereur Charles Quint interdit l'esclavage des Amérindiens, position suivie sept ans plus tard par le pape Paul III. Toutefois, la condamnation par l'Eglise romaine eut peu d'effet dans les colonies.

A son tour l'évêque espagnol Bartolomé de Las Casas prit la défense des Améridiens. En 1542, des lois furent même promulguées pour protéger les indigènes mais elles furent également peu respectées car elles entraient en conflit avec les intérêts des miniers.

Finalement en 1550 Charles Quint affranchit tous les esclaves des Indes occidentales. Trois ans plus tard l'Angleterre commença à pratiquer la traite.

En 1546, il y avait 600 Noirs dans les troupes de Pizarro. Les Espagnols (comme les Améridiens) les considéraient comme des serviteurs. Mais une fois la colonisation terminée, les Noirs perdront leur prestige et redeviendront esclaves.

Suite à la colonisation des "deux Indes", les Noirs resteront en esclavage car ils résistaient soi-disant beaucoup mieux que les Blancs à la chaleur des Tropiques. Les Noirs furent très nombreux à Saint Domingue (la République Dominicaine) où ils dépassèrent très tôt le nombre d'indigènes (les Taïnos du groupe des Arawaks). On y reviendra. Ce fut également le cas en Amérique centrale où les Noirs seront utilisés dans toutes les plantations. Localement ils seront même exploités par les indiens Caraïbes suite au nauvrage deux bateaux négriers en 1635 et 1672 à Saint Vincent.

Métisse à Paramaribo (Surinam). Document Pim Rupert.

En 1713, suite aux traités d'Utrecht, les Hollandais et les Anglais obtinrent "l'Asiento", c'est-à-dire le monopole du transport des Noirs d'Afrique vers les colonies espagnoles des Caraïbes et d'Amérique du Sud. 

Au Surinam par exemple, ancienne Guyane hollandaise, l'influence de la colonisation et des flux migratoires se lit sur le visage des habitants. Aujourd'hui 41% de la population (31% de Créoles et 10% de Marrons) soit presque une personne sur deux est métissée et à des origines africaines. Les autres ethnies sont constituées d'émigrants Hindustani (37%), Javanais (15%), Amérindiens (2%), etc.

Les Noirs furent également relativement nombreux au Mexique, au Pérou, en Argentine et au Chili. Selon le recensement établi en 1775 par le cosmographe et explorateur Juan Lopez de Velasco dans son "Traité de géographie", en 1570 « les Amériques espagnoles seraient peuplées de 9.3 millions d'habitants, dont la majorité 8.95 millions seraient des Indiens, 120000 des blancs et 2.3 millions des Noirs, des mulâtres et des métis ».

Au Brésil

Le Brésil connut une traite négrière encore plus importante que les Antilles ou les Etats-Unis. Le Conquistador portugais Pedro Alvares Cabral s'établit au Brésil en 1500. A priori rien ne s'opposait à l'esclavage des Amérindiens qu'on retrouva même sur les marchés de Lisbonne. Toutefois en 1570 une loi sur les indigènes fut adoptée stipulant qu'on ne pouvait réduire en esclavage que les Indiens pris dans une juste guerre ou anthropophages.

En 1573, une lettre royale permit de rendre esclaves tous les Amérindiens « sauf dans les cas manifestement injustes ». L'interprétation du texte était bien entendu laissée à l'appréciation des Portugais dont ils profitèrent largement durant deux siècles.

Le Portugal abolit finalement l'esclavage par un décret du 12 février 1761 du Marquis de Pombal mais il ne sera officiellement aboli au Brésil qu'en 1888.

slave trade map

Importance du commerce des esclaves Noirs dans les différents régions du Nouveau Monde.

Quelles traces reste-t-il aujourd'hui de cette période d'esclavage au Brésil ? Quand on observe les Brésiliens (et les Brésiliennes !) d'aujourd'hui, on constate que la plupart ont un hâle bronzé qui n'a rien à voir avec une cure récente de Soleil.

En fait, si on se penche sur l'histoire de son peuple, on constate que les Amérindiens du Brésil ont travaillé aux côtés des esclaves Africains ce qui conduisit à de nombreux échanges culturels et à métissage qui pris ici une importance qui n’existe nulle par ailleurs.

Ainsi, selon les statistiques de la CIA, en 2011 le Brésil comptait environ 204 millions d'habitants. Un relevé établi par Census en 2000 répartit la population en 54% de Blancs, 38% de Métisses, 6% de Noirs et 1.6% de minorités dont 0.9% de Japonais, Arabes et Amérindiens mais parfois déjà métissés.

Suite à la colonisation et l'intensification des flux migratoires, à l'exception des îles, le Brésil est devenu le pays le plus métissé au monde où presque une personne sur deux à des origines africaines et/ou amérindiennes. Pour souligner l'importance du métissage dans ce pays, l'administration brésilienne a retenu la couleur "pardo" (gris) pour désigner l'ensemble des Métis qui seront bientôt majoritaires, c’est-à-dire un mélange qui résulte du mixage des populations originelles, indienne, noire et blanche.

Ceci dit, la mémoire collective a gardé une trace des atrocités du passé que semble toujours refouler la population. En 1990, l'Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE) avait relevé plus de 100 nuances de traits physiologiques dans la population brésilienne mais il constata que les personnes interrogées s'attribuaient des caractères s'éloignant autant que possible de la couleur noire.

Autre pays, autre moeurs, les colonies françaises se singularisèrent en matière d'esclavage avec le "Code Noir" du roi Louis XIV.

L'esclavage dans les colonies françaises

En 1685, le roi de France Louis XIV dit le "roi Soleil" voulut étendre son pouvoir aux colonies. Par l'entremise de son ministre Jean-Baptise Colbert, il imposa le "Code Noir" dans lequel il définit une doctrine de l'esclavage.

Dans une soixantaine d'articles, le monarche absolu décrivit le statut et la manière de soumettre les esclaves nègres. Ce Code rassembla toutes les dispositions légales en vigueur dans les colonies françaises des Antilles (1685), de Guyane (1704) et de l'île de la Réunion (île Bourbon, 1723) et servit par la suite de modèle à d'autres colonies européennes.

Louis XIV motiva ses ordonnances par cinq préoccupations majeures : sauver l'âme des esclaves, garantir leur soumission par la terreur, limiter la barbarie des maîtres, définir les conditions de vente et d'héritage des esclaves et codifier les conditions d'affranchissement.

Dans le 1er article de ce Code, on ne s'étonnera pas que Louis XIV, catholique intolérant (il révoqua l'Edit de Nantes - pluriconfessionnel - en 1685) exprima un objectif religieux en exigeant l'expulsion de « tous les juifs qui ont établi leur résidence [dans les îles ...] comme aux ennemis déclarés du nom chrétien ». L'Article 2 impose que « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés... ».

D'emblée le "Code Noir" fait apparaître la notion d'esclave comme un fait, peu importe sa légitimation. L'esclave est considéré comme une personne de non-droit, tel un objet comme le précise son Article 44 : « Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire ». Bref l'esclave n'avait aucun droit si ce n'était celui de travailler. Les punitions étaient synonymes de mutilation (oreille coupée, brûlure au fer rouge, jambe coupée), de pendaison ou de mort à la troisième tentative.

Selon le philosophe français Louis Sala-Molins (1987), le Code Noir est « le texte juridique le plus monstrueux qu'aient produits les Temps modernes ». Pire, dans certains familles bourgeoises françaises le sujet est encore tabou !

L'esclavage dans les colonies françaises et notamment aux Antilles fut tout aussi violent que dans les autres colonies : objet de non-droit, les esclaves faisant l'objet de tous les commerces et de tous les abus. Comme les Portugais, les Espagnols et les Américains avant eux, les colons français souvent d'ascendance noble, ont débarqué dans les îles accompagnés de centaines d'esclaves. Une fois installé et devenus de riches propriétaires fonciers, certains comtes et autres barons installés en Martinique ou en Guadeloupe trouvèrent un plaisir sadique à mutiler les esclaves et abuser des femmes. La mise à mort des voleurs et autres criminels était aussi banale que les contrats négriers.

Mais un siècle plus tard, la Révolution française de 1789 bouleversa ce régime "royal" accordé aux colonies. Le 15 mai 1791, l'Assemblée nationale accorda le droit de vote à certains hommes de couleur. Ce début d'émancipation inquièta les colons blancs installés à Saint Domingue qui envisagaient de proclamer l'indépendance de l'île pour préserver leur économie florissante. Cette demi-mesure instaurée par Paris ne satisfaisait pas non plus les esclaves affranchis mulâtres tel François Ogé qui réclamaient une véritable égalité entre esclaves et colons.

Le 14 août 1791, au cours d'une cérémonie vaudou dirigée par le prêtre Boukman au Bois-Caïman, près de Morne-Rouge, les esclaves qui avaient fui les plantations et s'étaient réfugiés dans les forêts (appelés esclaves marrons) revendiquèrent l'abolition de l'esclavage.

Un soulèvement populaire s'en suivi le 22 août 1791, dirigé par Boukman et ses lieutenants. Durant cette insurrection des centaines de sucreries et de caférières (plantations de café) furent détruites. Des centaines de Blancs furent massacrés. Ce sera le début d'une longue guerre qui conduira à l'indépendance de la colonie.

Les insurgés noirs reçurent le soutien des affranchis, dont le célèbre François Ogé. La révolte sera finalement organisée par François Toussaint, un cocher âgé de 48 ans et affranchi depuis 15 ans. Il entra au service de François Biassou et ne tarda pas à faire la preuve de son courage et de sa détermination pour abolir l'esclavage. François Toussaint sera surnomé "L'ouverture" (Louverture) en raison de sa bravoure.

Le 28 mars 1792, l'Assemblée législative vota l'égalité de droit entre tous les hommes libres. Excluant les esclaves de tout droit, cette nouvelle demi-mesure réattisa la révolte des esclaves à Saint Domingue.

A la même époque, les Espagnols envisagèrent d'envahir le territoire français de Catalogne. L'exécution de Louis XVI en 1793 marqua le début de la guerre franco-espagnole dans les pyrénée orientales. 

A gauche, rébellion d'un esclave sur un bateau négrier. Peinture réalisée par Edouard Antoine Renard en 1833. A droite, la Révolution française et la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. A droite de l'image, en jabot de soie blanc le gouverneur De Launay est emmené à la guillotine par les assaillants.Voici un autre dessin de Jean et Pierre Le Campion (Document D.R.). Documents Musée du Nouveau Monde de La Rochelle et RMN.

Dans les colonies, conformément au Traité de Tordesillas, les Espagnols occupaient la partie orientale de Saint Domingue (Santo Domingo). Ayant eu vent de la guerre franco-espagnole, Toussaint Louverture et Biassou négocièrent avec les Espagnols le droit de combattre les Français en échange d'une promesse de liberté pour tous les esclaves. Les insurgés acceptèrent et Toussaint Louverture fut promu lieutenant général dans l'armée espagnole et reçut le commandement d'une bridage de 4000 hommes.

Devant l'ampleur de la révolte des esclaves et face aux menaces d'invasion anglaise et espagnole, les commissaires de la République française Sonthonax et Polverel se résignèrent à proclamer la liberté générale des esclaves.

Emancipation à la Réunion. Huile sur toile d'Alphonse Garreau. Le député Sarda Garriga apporte à l'île de La Réunion, le 20 décembre 1848, le décret abolissant l'esclavage devant une foule calme et reconnaissante. A l'arrière-plan la statue de la liberté. Tableau exposé au Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie. Document RMN/Photo Jean-Gilles Berizzi.

C'est ainsi que le 29 août 1793 la province du Nord de Saint Domingue fut libérée et le 4 septembre les régions Ouest et Sud de l'île. La Convention généralisa ces décisions par le décret du 4 février 1794 abolissant l'esclavage dans l'ensemble des colonies françaises. Mais en 1802, sous l’influence du lobby colonial, Napoléon Bonaparte rétablit l'esclavage et la traite des Noirs.

Entre-temps, à partir de 1792 les puissances Françaises et Anglaises s’affrontèrent dans plusieurs parties du monde et notamment aux Antilles. Plusieurs îles passèrent alternativement entre les mains des belligérants jusqu'en 1815. Finalement, la Jamaïque et la Barbade par exemple passèrent définitivement aux mains des Anglais tandis que la Guadeloupe et la Martinique parmi d'autres îles restèrent aux mains des Français.

Après avoir visité l'Amérique, certains Etats du Sud, le Mexique et Cuba, à partir de 1830 l'écrivain français Victor Schoelcher d'origine alsacienne fut sensibilisé par la traite négrière. Dix ans plus tard il écrivit plusieurs livres sur le sujet dans lesquels il exprima son désir d'abolir l’esclavage immédiatement et non de manière progressive. Il décrivit notamment les effets bénéfiques de la suppression de l’esclavage dans les colonies britanniques pour convaincre les esclavagistes français que la liberté du travail n’était pas synonyme de ruine pour les colonies.

En 1848, sous la IIe République, Victor Schoelcher fut nommé sous-secrétaire d'Etat aux Colonies françaises. Héritier des courants abolitionnistes, le 27 avril il parvint à faire signer le nouveau décret d'abolition de l'esclavage. Dans son article premier il stipule : « L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits ».

Victor Schoelcher sera député de la Guadeloupe en 1849. Il mourut dans les Yvelines (F) en 1893.

Aujourd'hui, la Martinique pour ne citer qu'une seule colonie française d'outre-mer est devenue une destination de villégiature pour nombre de francophones. Mais les Européens doivent venir en Martinique sans préjuger et en acceptant les gens tels qu'ils sont. Le peuple est chaleureux, il est simple mais il est susceptible car les Martiniquais comme tous les Antillais ont conservé la mémoire du passé et de profondes blessures.

Après le Portugal, la France fut la deuxième grande puissance à abolir l'esclavage. L'Espagne attendra de subir les guerres séparatistes Créoles et l'abolition de l'esclave aux Etats-Unis (1865) pour abolir à son tour l'esclavage en 1886.

Mais ce n'était pas pour autant que l'esclavage n'existait plus dans les colonies, notamment en Afrique. Le commerce des esclaves continua quelque temps, principalement à destination des pays musulmans (Afrique Noire, Europe, mer Noire).

Voyons à présent qu'elle fut la situation sur le sol américain, et notamment les raisons qui poussèrent ce pays à déclencher la Guerre de Sécession (Civil War) qui conduira à l'abolition de l'esclavage.

Prochain chapitre

L'Union contre l'esclavage

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