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A la recherche des exoplanètes

Des milliards de Terre (II)

Alpha du Centaure, Rigil Kentaurus

D'abord une rectification de la nomenclature. En 2016, l'UAI modifia le nom de l'étoile "Alpha du Centaure" (α Centauri) désigné par l'astronome Johann Bayer au XVIIe siècle dans son atlas céleste "Uranometria" (1603) et lui assigna le nom de "Rigil Kentaurus". En fait, ce nom n'est pas nouveau car depuis des siècles α Centauri s'appelle également "Rigel kent" diminutif de "Al Rijl al Kentaurus" signifiant "la jambe du centaure" par référence à la mythologie grecque mais ce nom était peu usité tout comme ses autres dénominations d'origine arabe "Toliman" et "Bungula".

Rigil Kentaurus alias Gliese 559 se situe dans la constellation du Centaure (A.D. 14h 39m 35.88s, Décl. -60° 50' 13.4") à 4.367 années-lumière. Elle brille à la magnitude visuelle de -0.01 (V) pour une magnitude absolue de +4.3. Elle culmine dans le ciel de l'hémisphère sud au mois de mai. C'est un système triple qui fut découvert par Robert Innes en 1915. Rigil Kentaurus est une étoile double (Alpha Centauri AB).

La composante A est une étoile naine jaune très similaire au Soleil de classe spectrale G2 V qui présente une masse de 1.1 M, un rayon de 1.227 R et une luminosité de 1.5 L pour une température effective de 5800 K. On estime que cette étoile est âgée entre 4.8 et 6.8 milliards d'années. La composante B est une étoile naine orange de classe spectrale K1 V qui présente une masse de 0.907 M, un rayon de 0.865 R et une luminosité d'environ 0.5 L pour une température effective de 5260 K. On estime que cette étoile est également âgée entre 4.8 et 6.8 milliards d'années. La masse totale du système AB est d'environ 2.12 M. Les deux étoiles bouclent une révolution autour de leur barycentre commun en 80 ans sur une orbite excentrique variant entre 11.2 et 35.6 UA. Leur séparation angulaire augmente, passant de 4.0" en 2015 à 5.5" en 2020.

Ces deux étoiles sont accompagnées par une troisième composante, la fameuse étoile Proxima du Centaure (voir plus bas).

Culture populaire

Vu sa proximité relative du système solaire et son impact dans les médias, pratiquement tout le monde a entendu parlé d'Alpha du Centaure. Depuis plus d'un demi-siècle, elle fait partie de la culture populaire. C'est en effet un nom ou plutôt une destination ou un lieu d'origine qu'on retrouve dans de nombreux romans et des films de science-fiction sans parler des associations et autres groupes d'intérêts et de titres musicaux portant ce nom.

Dans la littérature il y a notamment "Les Clans de la lune alphane" de Philip K. Dick (1964) où vivent des insectes intelligents. Il peut aussi s'agir des Centauriens humanoïdes dans "La mécanique du Centaure" (1975) de John Harrison. Dans le cycle "Fondation" d'Isaac Asimov dont "Terre et Fondation" (1986), l'auteur décrit une civilisation vivant sur une planète du système Alpha du Centaure à la recherche de la mythique Terre de ses origines. Dans son roman "Encounter with Tiber" (1996), l'astronaute Buzz Aldrin (Apollo 11) décrit la découverte des traces d'une civilisation alien sur la Lune qui conduit les chercheurs jusqu'aux Tibériens vivant dans le système Alpha du Centaure. Plus débridé, dans "Cusp" (2005), Robert A. Metzger nous invite à découvrir les Alphans du système Alpha du Centaure après avoir transformé le Soleil et la Terre en vaisseaux interstellaires, fusionné l'humanité avec l'intelligence artificielle et placé un dinosaure au coeur de Phobos transformé en vaisseau spatial.

Plus récemment, le cinéma y ajouta toute sa dimension imaginaire à grand renfort d'effets spéciaux plus vrais que nature.

Dans "Le guide du voyageur galactique" alias H2G2 (2005) inspiré du livre de Douglas Adams, l'auteur situe le bureau du planning sur Alpha du Centaure. Les "Transformers" de Michael Bay (2007) sont originaires de la planète Cybertron en orbite autour d'Alpha du Centaure. Enfin, mais la liste n'est pas exhaustive, dans le film "Avatar" de James Cameron (2009), le système Alpha du Centaure abrite la planète Polyphème dont l'une des lunes nommée Pandora abrite la civilisation des Na'vi où se déroule l'action.

Au total, 41 livres, 18 films ou épisodes de séries TV, 5 bandes dessinées, 14 jeux vidéos et 3 titres musicaux font référence à Alpha du Centaure. On peut y ajouter les rares films se référant à Proxima du Centaure comme "Event Horizon" de Paul W.S. Anderson (1998).

Alpha Centauri Bb... se fait attendre

En 2012, Xavier Dumusque de l'Observatoire de Genève en Suisse et son équipe de l'ESO annonçèrent la découverte d'une exoplanète autour d'Alpha du Centaure B d'une période de 3.24 jours. Toutefois, selon une étude publiée en 2015 par Vinesh Rajpaul et ses collègues de l'Université d'Oxford, il s'agissait en fait d'un signal fantôme dans les données originales.

Après avoir revu les données spectrométriques jusqu'en 2008 et procédé à diverses simulations, fin 2017 Lily L. Zhao étudiante à l'Université de Yale et ses collègues ont annoncé qu'il était possible qu'une petite exoplanète orbite tout de même autour d'Alpha du Centaure B. Selon les simulations, sa masse serait inférieure à 8 masses terrestres (~la moitié de Neptune). De même, il est possible qu'une exoplanète inférieure à 50 masses terrestres (~la moitié de Saturne) gravite autour d'Alpha du Centaure A. Zhao confirma qu'il est même possible que de petites exoplanètes de moins 0.5 masse terrestre gravitent autour de Proxima du Centaure. Mais à ce jour, aucune nouvelle exoplanète n'a été détectée.

A gauche, une photo d'Alpha du Centaure (Rigil Kentaurus, Mv -0.01, rouge-orange) séparée de 4°22' de Beta du Centaure (Hadar, Mv 0.55, en bleu) enregistrée par Alan Dyer avec un APN Canon 5D équipé d'un téléobjectif de 135 mm f/4. Exposition de 6x 4 minutes à 400 ISO depuis Ilford en Australie le 15 avril 2007. A droite, les courbes d'intensité lumineuse du rayonnement X (Lx 0.2-2 keV) des étoiles Alpha du Centaure A et B comparées à celle du Soleil. Le cycle de A est d'environ 19 ans tandis que celui de B est de 8 ans, légèrement plus court que le cycle solaire de 11 ans. Document T.R. Ayres (2018).

Activité X normale

La question de l'habitabilité potentielle dans le système d'Alpha du Centaure est un sujet qui tient les exobiologistes à coeur. Suite à la recrudescence de l'activité X d'Alpha du Centaure A en 2004-2005 (cf. J. Robrade et al., 2005), ce système multiple fait l'objet d'une surveillance semi-annuelle depuis cette époque. Dans le cadre de ce programme, l'astrophysicien Tom Ayres de l'Université du Colorado a récemment braqué la caméra haute résolution (HRC-I) du télescope rayons X Chandra sur Alpha du Centaure. Ses résultats furent publiés dans les Notes de Recherches de l'American Astronomical Society ("RN AAS") en 2018.

Il s'avère que la couronne des étoiles A et B est relativement modeste (1 million de K) et n'émet pas plus de rayons X que le Soleil. Comme on le voit ci-dessus à droite, la luminosité X d'Alpha Centauri AB dans la bande 0.2-2 keV est similaire à celle du Soleil pendant le cycle minimum de son activité, ce qui est une très bonne nouvelle si d'aventure on découvre l'hypothétique et timide exoplanète.

Proxima du Centaure

Proxima b

Les astronomes découvrirent assez rapidement que Proxima du Centaure était l'étoile la plus proche du système solaire, qu'on situe aujourd'hui à 1.3 pc ou 4.243 années-lumière (parallaxe de ~768 mas) soit 0.124 année-lumière ou 7842 UA plus proche que le couple Alpha Centauri AB. Proxima du Centaure dont on voit deux images ci-dessous est une étoile naine rouge de 0.12 M et de classe spectrale K5 très active, présentant notamment un vent stellaire très puissant et d'importantes et gigantesques éruptions de matière.

A gauche, photo d'Alpha du Centaure A et B et de Proxima b orbitant autour de Proxima du Centaure. A droite, gros-plan sur Proxima du Centaure photographiée en 2013 au moyen de la caméra planétaire à large champ WFPC2 du Télescope Spatial Hubble. Documents Babak Tafreshi/DSS2/Davide de Martin/Mahdi Zamani et NASA/ESA/STScI.

En 1996, dans le cadre d'une étude de six naines brunes proches de la classe spectrale M, Al Schultz du STScI et son équipe utilisèrent le spectrographe FOS du Télescope Spatial Hubble utilisé comme caméra coronographique pour étudier Proxima du Centaure. Après deux ans d'étude, ils annoncèrent dans "The Astronomical Journal" avoir observé un excès de lumière à 0.5" de Proxima du Centaure. Sur une période de 103 jours, ce point lumineux se déplaça sur le fond du ciel, laissant penser qu'il pourrait s'agir d'une exoplanète. Observé en lumière rouge, l'objet semblait distant d'environ 0.5 UA de l'étoile et paraissait environ 7 magnitudes plus faibles que celle-ci (Mv ~18). A l'époque, la période de révolution de cette éventuelle exoplanète était estimée à plus ou moins 1 an.

Mais en 1998, les astronomes David Golimowski de l'Université Johns Hopkins et Daniel Schroeder du Beloit College furent incapables de détecter l'éventuelle exoplanète dans les images prises par la caméra grand champ WFPC2 du Télescope Spatial Hubble; il n'existait rien entre 0.12 et 1.1 UA de Proxima du Centaure.

En 1999, une analyse astrométrique (mesure de positions) conduite par Fritz Benedict de l'Observatoire McDonald et ses collègues ne trouva aucune preuve de l'existence d'une exoplanète de plus de 0.8 Mj et d'une période comprise entre 1-1000 jours autour de Proxima du Centaure.

En résumé, si toutes ces observations furent négatives, elles apportaient de nouvelles contraintes très utiles : s'il existait une exoplanète, elle devait soit évoluer à moins de 0.12 UA et être peu massive soit évoluer à plus de 1.1 UA et être aussi massive que Jupiter.

Illustration de l'anneau de poussière entourant Proxima du Centaure découvert en 2017 grâce à ALMA. Document ESO.

En 2012, l'équipe dirigée par Guillem Anglada-Escudé de la Carnegie Institution de Washington publia dans "The Astrophysical Journal" les résultats d'une étude des mesures Doppler réalisées grâce au spectromètre HARPS (High Accuracy Radial velocity Planet Searcher) installé sur le télescope de 3.6 m de l'Observatoire de La Silla de l'ESO. Grâce à un nouvel algorithme d'analyse, les auteurs avaient détecté un signal très marginal d'une période de 5.6 jours mais qui ne permit pas de confirmer l'existence d'une exoplanète autour de Proxima du Centaure.

Finalement en 2014, dans le cadre d'une étude à long terme des étoiles proches du Soleil, une équipe dirigée par John Lurie de l'Université de Washington publia dans "The Astronomical Journal" les résultats de près de 13 années de mesures astrométriques de Proxima du Centaure réalisées par les astronomes de l'Observatoire du CTIO. Ces résultats montraient l'existence possible d'un astre de la masse de Jupiter ayant une période de révolution comprise entre 2-12 ans. Cette exoplanète graviterait donc au-delà de 1 UA et loin en dehors de la zone habitable. A ce jour, cette éventuelle exoplanète géante n'a pas été découverte.

En revanche, dans le cadre d'une nouvelle campagne intitulée "Pale Red Dot", les astronomes ont eu la bonne idée de réexaminer ce système triple début 2016. Cet examen suscita des rumeurs dont le magazine allemand "Der Spiegel" se fit l'écho. Le journaliste cita une source anonyme qui prétendait travailler avec une équipe d'astronomes de l'ESO à La Silla, déclarant qu'une exoplanète aurait été découverte autour de Proxima du Centaure en 2016. Et de fait, après la période habituelle d'embargo, le 24 août 2016, au cours d'une conférence de presse l'ESO annonça la découverte d'une exoplanète tellurique autour de Proxima du Centaure : Proxima b.

Puis en novembre 2017, l'ESO annonça la découverte par l'équipe de Gillem Anglada du CSIC d'Andalousie en Espagne d'un anneau de poussière autour de Proxima Centauri qui fut découvert grâce au réseau submillimétrique ALMA. L'anneau s'étend jusqu'à quelques centaines de millions de kilomètres de Proxima Centauri et sa masse totale est d'environ un centième de la masse de la Terre. Ses parties internes et externes sont similaires à la Ceinture d'astéroïdes du système solaire. La température de sa composante interne est d'environ -230°C, similaire à celle de la Ceinture de Kuiper du système solaire, mais sa composante extérieure qui est dix fois plus éloignée est encore plus froide.

Paramètres

La masse de Proxima b vaut environ 1.3 fois celle de la Terre et elle gravite à 0.05 UA soit 7 millions de kilomètres de Proxima du Centaure, l'équivalent de 5% de la distance Terre-Soleil ou 10% de la distance Mercure-Soleil. Elle et tellement proche de son étoile qu'elle boucle sa révolution en 11.2 jours (contre 87 jours pour Mercure). Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette proximité avec son étoile ne veut pas dire que sa température de surface est infernale car le rayon de l'étoile naine vaut seulement 1/10e de celui du Soleil et sa luminosité est 1000 fois plus faible. En fait, Proxima b gravite dans la zone habitable de Proxima du Centaure. En revanche, Proxima b reçoit 100 fois plus d'énergie que la Terre.

Proxima b est une exoplanète rocheuse d'un rayon minimum de 0.94 R soit 5989 km et un rayon maximum de 1.40 R soit 9819 km. En considérant sa taille minimale et une masse de 1.1 M, sa composition pourrait être similaire à celle de Mercure, avec un noyau métallique représentant 65% de la masse de l'exoplanète (contre 32.5% pour la Terre) entouré d'un manteau rocheux de silicates séparé en deux phases. La limite entre les deux matériaux se situerait vers 1500 km de profondeur.

Illustrations de l'exoplanète Proxima b orbitant à 0.05 UA soit 7 millions de kilomètres de Proxima du Centaure, une étoile naine rouge située à 4.24 a.l. agencée en système triple. Documents T.Lombry.

Proxima b présente une rotation synchrone, c'est-à-dire qu'elle présente toujours la même face à son étoile. La face cachée est donc plongée en permanence dans l'obscurité. Seule la région du terminateur présenterait donc a priori des conditions tempérées plus supportables.

Quelle est la température sur Proxima b ? Dans une étude publiée dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2017, Ian A. Boutler du Met Office de Londres et ses collègues de l'ESO ont présenté les résultats de simulations du climat de Proxima b à l'aide du Modèle Unifié du Met Office (UM). Ils ont examiné les effets d'une irradiance de 881.7 W/m2 sur une atmosphère "semblable à la Terre" avec une pression moyenne en surface de 105 Pa (1000 mbar) et d'une atmosphère simplifiée composée d'azote et de traces de dioxyde de carbone ainsi que l'effet de l'excentricité orbitale sur le climat en tenant compte des données existantes.

En résumé, selon les simulations la température à la surface sur Proxima b varie entre +17°C (290 K) côté jour à -123°C (150 K) côté nuit, c'est-à-dire similaire à celle de Mars. En altitude, le gradient de température suit un profil similaire à celui qu'on observe sur Terre avec une zone de givrage située vers 2500 mètres d'altitude et une inversion vers 15000 mètres au-delà de laquelle la température se stabilise vers -93°C (180 K). La formation d'une couche d'ozone est plus incertaine car elle exige des rayonnements UV aux longueurs d'ondes comprises entre 0.16-0.24 μm alors que sur Proxima b l'essentiel du rayonnement est émis dans le proche infrarouge entre 0.5-3.0 μm.

Les cherchent concluent que "Dans l'ensemble, nos résultats sont en accord avec les études précédentes en suggérant que Proxima Centauri b pourrait bien avoir des températures de surface propices à la présence d'eau liquide".

Toutefois, nous ignorons la nature de sa surface, si Proxima b dispose d'étendues liquides, de surfaces glacées ou désertiques. Selon une étude publiée dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2016 par le planétologue Bastien Brugger du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille (LAM) en collaboration avec Jonathan I. Lunine de l'Université Cornell, Proxima b pourrait être une "planète océan" avec un océan couvrant toute sa surface et une eau de nature similaire à celle que pourraient avoir certaines lunes de Jupiter ou de Saturne.

A gauche, diagramme masse-rayon comparant les positions de plusieurs exoplanètes connues à celles de planètes du système solaire. Les courbes correspondent à certaines compositions spécifiques utilisées dans le modèle de structure interne utilisé par l'équipe de Bastien Brugger du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille (LAM). La zone d’existence de Proxima b, dessinée en gris, prend en compte l’incertitude sur sa masse minimale et ses différentes compositions possibles. La masse réelle de Proxima b peut aussi se trouver au-delà de cette zone grisée. A droite, comparaison des deux cas extrêmes de modélisation de Proxima b comparés à la Terre. A gauche, le plus grand rayon autorisé (65% de noyau métallique, entouré d’un manteau rocheux séparé en deux phases) et à droite, le plus grand rayon autorisé (50% de manteau rocheux entouré d’une couche d’eau sous forme solide puis liquide). Documents B.Brugger et al./LAM/CNRS (2016).

Si sur Terre la masse d'eau ne dépasse pas 0.05% de la masse de la Terre, si on considère cette fois que Proxima b mesure 8920 km de rayon, pour une masse de 1.46 M le manteau rocheux représenterait 50% de la masse et serait entouré d'eau à l'état solide puis liquide représentant également 50% de la masse. Dans ce cas, Proxima b serait couverte d'un océan liquide de 200 km de profondeur. Dans les abysses la pression serait tellement élevée que l'eau se transforme en solide, en glace, avant d'arriver à la limite avec le manteau situé à 3100 km de profondeur. Dans ces conditions extrêmes, une fine atmosphère gazeuse pourrait envelopper l'exoplanète, rendant Proxima b habitable. Mais pour l'instant ce sont encore des hypothèses. 

Éruptions X

Qu'en est-il de l'habitabilité potentielle sur Proxima b ? Les simulations et quelques études indiquent que Proxima b subirait les effets néfastes des rayons ultraviolets et X de son étoile chaude bien plus active que le Soleil. Dans un article publié en 2018 dans "The Astrophysical Journal Letters", la planétologue Meredith MacGregor de l'Institut Carnegie des Sciences et ses collègues ont rapporté l'observation d'une gigantesque éruption sur Proxima du Centaure survenue le 24 mars 2017. Elle fut enregistrée par le réseau radioastronomique ACA (Atacama Compact Array) constitué de 16 antennes du réseau ALMA séparées de 7 m chacune fonctionnant à 1.3 mm (233 GHz) de longueur d'onde. Comme on le voit ci-dessous, l'éruption qui dura moins de 2 minutes sur les 10 heures d'observation atteignit pendant 10 secondes une densité de flux d'environ 100 mJy[1] soit 1000 fois plus brillante que les émissions normales de l'étoile.

A gauche, combinaison des émissions millimétriques enregistrées par ACA pendant 12 sessions d'observations (à gauche, situation normale) et le pic d'émission enregistré le 24 mars 2017 pendant moins de 2 minutes (centre). A droite, la densité de flux lors de l'éruption du 24 mars 2017. Elle fut 1000 fois plus intense que les émissions normales représentées par la ligne pointillée. La largeur du pic à sa base (5 tirets) correspond à une durée d'environ 30 secondes. Documents Meredith MacGregor et al. adapté par l'auteur.

À ce jour, très peu d'études ont été réalisées dans ce domaine de longueurs d'ondes sur les éruptions stellaires des étoile naines rouges similaires à Proxima du Centaure mais les chercheurs savent que celle de 2017 fut très intense. En effet, à son paroxysme cette éruption atteignit une luminosité de 2.04 ±0.15 x 1014 erg/s/Hz soit 10 fois plus intense que les plus importantes éruptions observées sur le Soleil aux mêmes longueurs d'onde (sursauts de Type III de 7 x 108 Jy ou 2 x 1013 erg/s/Hz selon S.Kruger et al., 2013). A titre de comparaison, on peut imaginer que cette éruption dépassait de dix fois la taille des plus grandes protubérances solaires avec dix fois la puissance d'une éjection de matière coronale (CME). Sachant combien celles-ci peuvent déjà endommager les installations terrestres et créer des blackouts (cf. les aurores et les défaillances des satellites), il ne doit pas faire bon vivre sur Proxima b !

Habituellement, de telles éruptions stellaires se produisent lors d'un changement dans le champ magnétique, par exemple lorsque une étoile accélère les électrons à des vitesses approchant celles de la lumière. Les électrons interagissent ensuite avec le plasma hautement chargé de l'étoile, ce qui provoque une éruption visible dans le spectre électromagnétique (cf. le champ magnétique du Soleil).

Selon MacGregor, il est fort probable que Proxima b fut bombardée par des rayonnements de haute énergie pendant ce flash lumineux. De toute évidence, étant donné l'intensité de cette éruption, résider dans la "zone habitable" ne veut pas dire que Proxima b soit habitable, d'autant que cette planète subit régulièrement des éruptions stellaires, mais généralement de beaucoup plus faible intensité.

Mais ce type d'éruption semble assez commun sur Proxima du Centaure. En effet, contrairement à Alpha du Centaure ou le Soleil qui émettent relativement peu de rayons X, rendant la vie très agréable sur la Terre, la surface de Proxima b reçoit en moyenne une dose de rayons X 500 fois plus intense que notre planète et jusqu'à 50000 fois plus intense durant les grandes éruptions.

Éruptions UV et millimétriques

Grâce aux réseaux de radiotélescopes ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), ASKAP (Australian Square Kilometer Array Pathfinder), du Télescope Spatial Hubble, du satellite TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) et du télescope du Pont de 2.5 m de l'Observatoire de Las Campanas, le 1 mai 2019 des astronomes ont détecté la plus grande éruption jamais observée sur Proxima du Centaure. L'éruption ne dura que 7 secondes mais fut 100 fois plus lumineuse que la plus grande éruption solaire.

Illustration de l'éruption majeure survenue sur Proxima du Centaure le 1 mai 2019. Document NRAO/S.Dagnello.

Selon MacGregor "ce fut la plus brillante jamais détectée dans les longueurs d'ondes millimétriques et ultraviolettes lointaines (FUV). L'étoile est passée d'un état normal à 14000 fois plus lumineuse en UV en quelques secondes. Avant 2018, nous ne savions pas que les étoiles pouvaient produire des éruptions millimétriques et nous ne savions pas s'il existait des éruptions à d'autres longueurs d'ondes. C'est donc la première fois que nous observions ce phénomène" (cf. M.A. MacGregor et al., 2021 et en PDF sur arXiv).

L'équipe nota beaucoup d'autres éruptions de ce type au cours des 40 heures d'observation de Proxima de Centaure. Elle sont donc assez communes.

Ces éruptions X et UV risquent naturellement d'être préjudiciables au développement de toute forme de vie sur Proxima b. Selon MacGregor, "les planètes de Proxima du Centaure sont touchées par quelque chose comme ça, non pas une fois par siècle, mais au moins une fois par jour, voire plusieurs fois par jour. S'il y avait de la vie sur la planète la plus proche de Proxima du Centaure, elle devrait être très différente de tout ce qui existe sur Terre. Un être humain sur cette planète passerait un mauvais moment".

Au cours des milliards d'années qui se sont écoulées depuis la formation de cette exoplanète, des éruptions X comme celle de 2017 ont pu conduire à l’évaporation de son atmosphère ou des océans. Dans ce cas, sa surface serait totalement désertique et sèche et sa taille serait un peu plus faible que dans le cas d'une planète océan.

Selon MacGregor, "la présence de la vie sur une exoplanète n’est pas seulement liée à une distance de son étoile qui permet la présence d’eau liquide à sa surface, mais aussi aux éruptions stellaires qui peuvent l’atteindre" et donc à la chimie de son atmosphère (cf. À la recherche de planètes habitables).

Il ne fait aucun doute que Proxima b fera l'objet de nombreuses recherches dans les prochaines années. La mesure des abondances stellaires en éléments lourds (Mg, Fe, Si, etc.) permettra notamment de restreindre les compositions possibles de Proxima b tout en permettant de déterminer plus précisément son rayon.

On peut même certifier que le jour où des télescopes optiques de plusieurs dizaines de kilométriques de diamètre seront opérationnels (dans l'espace ou sur la Lune), les astronomes auront la possibilité d'observer directement des détails de son atmosphère ou de sa surface.

Proxima c

Le 15 janvier 2020, Mario Damasso de l'Observatoire d'Astrophysique de Turin et ses collègues annoncèrent dans la revue "Science Advances" la découverte d'une possible deuxième exoplanète, Proxima c. En avril 2020, les astronomes Benedict et McArthur évaluèrent sa masse à environ 18 M. Elle gravite à 1.5 UA de Proxima du Centaure, soit 30 fois plus loin que Proxima b et boucle son orbite en 5.21 ans. Son existence fut confirmée le 2 juin 2020.

Cette super-Terre fut découverte après réexamen des données de vitesses radiales obtenues entre 2000 et 2007 grâce au spectrographe HARPS (High Accuracy Radial Velocity Planet Searcher) installé sur le télescope infrarouge de 3.6 m de l'ESO à La Silla et le spectrographe UVES (Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph) installé sur le VLT UT2 de l'ESO à Cerro Paranal, complétées par les données astrométriques des satellites Hipparcos et Gaia DR2 et leur modélisation dans le système stellaire triple. Cela représente 19 années de données qui furent méticuleusement analysées par une équipe de 21 chercheurs.

A gauche, courbe de vitesse radiale résiduelle après soustraction de l'ensemble des données du signal spectroscopique induit par Proxima b, des décalages instrumentaux et d'un terme d'accélération séculaire, ajusté par un modèle global comprenant un terme GP (processus gaussien) quasi-périodique et l'équation orbitale excentrique pour Proxima b. Le signal subsistant inclut toujours un terme d'activité stellaire. La ligne rouge correspond à la sinusoïde la mieux ajustée et correspond à une période de 1907 jours, c'est-à-dire la révolution de ~5.2 ans de la super-Terre Proxima c. A droite, représentation artistique du système triple de Proxima du Centaure escorté de ses deux exoplanètes (supposées rocheuses car il peut aussi s'agir de planètes gazeuses) dont Proxima c à l'avant-plan gravitant près de la ligne de glace. BJD est la date julienne barycentrique. Document M.Damasso et al. (2020) adapté par l'auteur et T.Lombry.

Comme sa soeur Proxima b, on ignore encore si Proxima c est une planète gazeuse à l'image d'Uranus ou rocheuse mais dans tous les cas, étant donné sa distance et la faible énergie qu'elle reçoit de son étoile, son activité doit être très faible. S'il s'agit d'une planète gazeuse, sachant que sa densité augmente avec la profondeur et étant bombardée de particles de forte énergie, elle pourrait présenter une certaine activité météorologique (des vortex ou des bancs nuageux ou de la brume) ou électromagnétique (aurores, etc). S'il s'agit d'une planète rocheuse glacée, elle pourrait éventuellement présenter une activité géologique (séismes, cryovolcanisme, etc) et disposer d'une atmosphère plus ou moins active. Tout cela reste à vérifier.

Proxima c gravite bien au-delà de la ligne de glace ou "snowline" qui se situe à 0.15 UA dans ce système selon le planétologue Shigeru Ida de l'Institut de Technologie de Tokyo et ses collègues. Pour rappel, cette limite située dans le système solaire près de l'orbite de Jupiter (~5 UA) facilite la formation des planètes car les grains glacés ont tendance à s'agglomérer plus rapidement que dans la zone habitable. Un cas similaire avait déjà été observé en 2018 avec l'exoplanète gravitant autour de l'étoile de Barnard (cf. I.Ribas et al., en PDF sur arXiv).

Selon les chercheurs, l'emplacement de Proxima c "remet en question les modèles de formation selon lesquels la ligne de glace est un endroit idéal pour l'accrétion de super-Terre, en raison de l'accumulation de solides glacés à cet endroit, ou elle suggère que le disque protoplanétaire était beaucoup plus chaud qu'on le pensait jusqu'à présent."

Proxima c fera l'objet d'études approfondies notamment par le réseau submillimétrique ALMA car elle présente une séparation angulaire d'environ 1" avec son étoile, ce qui facile son observation, y compris l'imagerie directe par le futur Extremely Large Telescope (ELT) de 39 m de diamètre qui devrait être opérationnel en 2025.

Bien que située dans une région très froide où les possibilités de vie sont très limitées, l'étude de cette super-Terre devrait permettre aux planétologues de mieux comprendre l'évolution des planètes telluriques au-delà de la ligne de glace.

Proxima d

Grâce au spectrographe à ultra haute résolution ESPRESSO (Echelle SPectrograph for Rocky Exoplanet and Stable Spectroscopic Observations) installé sur le VLT de l'ESO, le 10 février 2022, une équipe d'astronomes dirigée par João Faria de l'Institut d'astrophysique et des sciences spatiales du Portugal annonça la découverte d'un troisième exoplanète dans le système Proxima du Centaure.

Proxima d présente une masse de 0.26 ±0.05 M soit environ deux fois la masse de Mars et évolue à 0.029 UA soit 4.3 millions de kilomètres de Proxima du Centaure (soit l'équivalent de 1/13e de la distance qui sépare Mercure du Soleil) sur une orbite qui serait circulaire (cf. J.Faria et al., 2022). On ignore si l'astre est rocheux mais c'est très probable.

Illustration de Proxima d, la troisième exoplanète détectée autour de Proxima du Centaure en 2022 et de ses deux compagnes. Documents ESO/L.Calçada.

Observation autorisée, débarquement interdit

Sachant ce qui vient d'être dit, pour la santé des éventuels voyageurs spatiaux, personne ne devrait s'approcher à moins de 0.1 ou 0.5 UA de Proxima du Centaure et encore moins débarquer sur ses trois planètes.

Avant d'envisager une mission habitée vers Proxima b, c ou d, il est important de comprendre l'activité de Proxima du Centaure car elle joue un rôle clé comme l'est celle de l'activité cyclique du Soleil. L'étude de ses émissions électromagnétiques (X) et corpusculaires (éruptions de protons) est essentielle pour comprendre les dangers des rayons X et cosmiques dont l'impact à forte dose peut s'avérer délétère pour toute forme de vie, et plus encore pour une civilisation technologique comme la nôtre.

Vu les conditions extrêmes du temps spatial régnant dans la zone "habitable" de Proxima b, les conditions climatiques ne doivent pas être très favorables. À moins de vouloir à tout prix détruire l'électronique de la sonde spatiale et irradier ses occupants, il paraît de moins en moins intéressant d'y envoyer une mission d'exploration habitée, et encore moins d'y installer une colonie humaine.

Nous reviendrons sur l'étoile Proxima du Centaure dans l'article consacré aux naines rouges.

Enfin, rappelons que dans le cadre du projet "Breakthrough Starshot", le milliardaire russe Yuri Milner envisage de lancer une voile photonique équipée de milliers de nanosondes vers Proxima b. La propulsion sera assurée depuis la Terre par la pression de radiation de faiseaux lasers développant 100 GW. On y reviendra à propos de la colonisation de l'espace.

Prochain chapitre

TRAPPIST-1

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[1] Pour rappel, 1 Jy = 10-23 erg/s/cm2/Hz = 10-26 W/m2/Hz.


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