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Les facultés sensorielles
Le monde des sens (I) Toute vie est condamnée à mort si elle ne peut s'adapter à son environnement. Une vie complexe est dotée de ganglions nerveux ou d'un cerveau, siège de la coordination, de l'élaboration de la pensée et de l'activité psychique. Tous les métazoaires ou organismes pluricellulaires disposent également d'un ou plusieurs sens constitués de détecteurs de rayonnement, de substances chimiques ou de mouvements. Ils peuvent être muni sd'appendices, d'antennes ou de membres plus ou moins préhensiles, certains s'étant transformés au cours de l'évolution en véritables outils de précision parfois polyvalents comme le sont nos mains, leur permettant d'acquérir une certaine technologie. Si nous mettons de côté les "sens" reflexes des plantes, comme les détecteurs de luminosité des tournesols ou les détecteurs de mouvement des plantes carnivores, il nous reste tous les organes des sens développés au cours de l'évolution par les organismes pour appréhender l'environnement. Nous allons constater que cette biodiversité relève autant du miracle que du fantasme. Et pourtant toutes ces facultés sont présentes chez l'une ou l'autre créature vivant sur Terre, tendant à démontrer que ces facultés sont banales dès lors que les conditions propices à la vie sont réunies. Du temps d'Aristote, les philosophes grecs avaient mis en évidence cinq sens ou fonctions sensorielles que nous allons passer en revue : - La vision - L'audition - Le goût - L'odorat - Le toucher Nous décrirons également le "sixièmes sens" comme les mécanorécepteurs (les vibrisses du chat et les récepteurs de position et d'accélération des céphalopodes), les thermorécepteurs, les électrorécepteurs et la magnétoréception. A priori et en étant raisonnable, il n'existe aucun autre système de détection (bien sûr l'exobiologie peut nuancer cette certitude). La vision Pourquoi pratiquement tous les animaux (métaozoaires) ont deux yeux ? Pour apprécier les distances et chasser. C'est le physicien anglais Charles Wheatstone qui expliqua pour la première fois au XIXe siècle le rôle de la vision stéréoscopique, méthode qui permet de percevoir le relief grâce à la vision binoculaire. Chez la plupart des animaux les yeux jouent un rôle essentiel puisqu'ils apportent la vision, une faculté que beaucoup de personnes jugent plus importante que les autres sens ou capacités motrices[1]. On peut donc lui accorder une description détaillée. Il n'y a que chez les micro-organismes, les insectes et certains reptiles où la vision est supplantée par d'autres récepteurs sur lesquels nous reviendrons.
Même si quelques animaux ne sont sensibles qu'à la lumière et ne voient pas clairement les sujets, la vue est un sens que possède presque tous les animaux. En effet, même les créatures aveugles et cavernicoles ou vivant sous terre disposent de photorécepteurs ou de véritables yeux mais leurs organes sont soient très simples (lombric) soit obstrués (protée) ou non fonctionnels suite à leur adaptation au milieu. Une manipulation génétique peut toutefois leur rendre la vue, ce qui est bien la preuve que leur patrimoine génétique a prévu cette faculté mais par mesure d'économie ne l'exploite que si l'environnement et donc l'évolution de l'espèce l'exige. Au sens strict la vision est une forme de réception de la lumière, c'est-à-dire une aptitude à détecter les variations d'éclairement (d'intensité lumineuse) et éventuellement de couleurs de l'environnement, former une image et analyser l'information acquise. Son étude relève de la psychologie, de la manière de voir, mais également des neurosciences puisqu'au final c'est le cerveau qui traite l'information. Le processus de la vision est différent de celui utilisé par des organes photosensibles comme les chloroplastes des plantes ou les chromatophores des bactéries capables de transformer l'énergie lumineuse. Ici le signal contient une information lumineuse qui doit être décodée par un cerveau, aussi élémentaire soit-il. La lumière et la vision Etant donné que la matière absorbe les rayonnements de courtes longueurs d'ondes (UV, X et gamma) suite à des phénomènes de transferts d'énergie au niveau atomique et compte tenu que les ondes radioélectriques ont des longueurs d'ondes qui s'étendent sur un très large spectre, de quelques mètres à plusieurs centaines de kilomètres, seuls des récepteurs photosensibles de petites tailles pouvant détecter les rayonnements non absorbés, donc l'infrarouge, la lumière visible et une partie des ultraviolets sont efficaces. Sinon les créatures sont condamnées à vivre dans l'obscurité (animaux cavernicoles) ou sont limitées dans leurs mouvements si elles ne font pas appel à d'autres sens (par ex. l'écholocation chez la chauve-souris). A lire : La vision des couleurs Quand nous "pensons voir" les couleurs Dans le processus de la vision, il s'agit de former une image en utilisant tout un dispositif contrôlé par le cortex visuel. Du point de vue biochimique, la fonction des yeux est de transformer le champ électromagnétique transportant de l'énergie lumineuse en substances assimilables par les cellules de la rétine. Sa partie postérieure est composée de neurones transparents photosensibles qui transforment l'énergie lumineuse en signal électrique. Cette information sera interprétée par le cerveau qui reconstruira une image point par point.
Nous parlons bien d'interprétation d'une information, d'un signal lumineux, et non pas de reproduction d'une couleur ou d'un objet. C'est une nuance importante qui signifie que le cerveau ne voit pas réellement les formes, les distances et les couleurs mais établit une correspondance entre un niveau d'énergie et un signal électrique que nous interprétons comme étant une couleur ou un objet. En d'autre terme, le cortex visuel "pense voir" les choses avec toutes les conséquences que cette interprétation peut entraîner et qui nous a déjà induite plus d'une fois en erreur, pensez par exemple aux différents effets optiques. L'oeil est en fait une excroissance spécialisée du cerveau mais sa fonction de "chambre noire" est rudimentaire et sujette au veillissement. Chez l'être humain, le globe oculaire est peu lumineux, offre une faible profondeur de champ, il présente des aberrations et plus important, il doit être irrigué en sang et oxygène pour conserver ses facultés sensorielles. Toutefois, grâce à l'analyse et l'interprétation effectuées par le cerveau, nous sommes capables de détailler une image, de discerner de faibles lumières et distinguer au moins 8 millions de couleurs, ce qui correspond pour ainsi dire aux performances d'une carte graphique capable de restituer la couleur sur 24 bits/pixel (8 bits/couleur). Chez l'homme les radiations visibles s'étendent théoriquement entre 380 et 750 nm, entre le proche UV et le proche infrarouge, et plus généralement entre 400 et 700 nm, du bleu au rouge. L'énergie des photons est d'autant plus élevée que la longueur d'onde est petite. Ainsi la lumière ultraviolette transporte deux fois plus d'énergie que la lumière rouge (ce qui explique la vitesse à laquelle on attrape des coups de soleil). Au-delà de 750 nm, les pigments de la rétine (rhodopsine, etc) n'absorbent presque plus les photons tandis qu'en dessous de 400 nm environ, la cornée et le cristallin absorbent le rayonnement UV bien que les pigments y soient sensibles. La couche d'ozone qui entoure la Terre absorbe également les ultraviolets de longueur d'onde inférieure à 300 nm. Bien que tous les UV soient nocifs à un degré ou un autre pour les organismes vivants car ils provoquent des lésions pouvant aller jusqu'au cancer, les yeux des insectes sont capables de percevoir les ultraviolets proches entre 300 et 385 nm, alors que chez les mammifères, le milieu transparent de l'oeil ainsi que la cornée et le cristallin les absorbent.
Du côté infrarouge, au-delà de 750 nm, l'énergie est trop faible pour provoquer des lésions mais elle peut entraîner une augmentation de la température. Nous verrons que c'est une technique qu'utilisent certains reptiles pour détecter leurs proies par thermoréception. Enfin, la lumière étant une vibration électromagnétique, son plan de polarisation peut vibrer dans toutes les directions de l'espace, sauf quand elle est polarisée après réflexion sur un plan d'eau ou sur un substrat souple (peinture, terre, ...) ou par diffusion dans les masses gazeuses (atmosphère, nuages, ...). Certains arthropodes sont sensibles à cette polarisation partielle de la lumière. Anatomie et fonctionnement de la rétine La rétine humaine comme de tous les vertébrés possède deux types de cellules photosensibles : les cônes et les bâtonnets. Ils se distinguent par leur anatomie et leurs fonctions. Les cônes sont surtout sensibles aux fortes lumières ce qui permet d'avoir une vision détaillée et en couleur de l'environnement. On parle de vision photopique. En revanche, les bâtonnets sont des cellules très sensibles aux faibles intensité lumineuses et aux mouvements mais elles ne distinguent pas les couleurs (mis à part un pâle écho vert dû à leur sensibilité particulière). On parle de vision scotopique.
La sensibilité de la rétine aux couleurs varie en fonction de la distance à la fovéa qui se situe dans le prolongement de l'axe optique et s'étend sur un diamètre de 1.5 mm centré sur la macula. Au fond de l'oeil, dans l'axe de la vue se trouve la fovéa. Elle forme une dépression au centre de laquelle se trouve la fovéola qui est la zone sur laquelle se projette l'image du sujet que nous observons en vision directe. Son champ de vision est limité à environ 5° autour du sujet, soit la largeur du point a bout de bras. La fovéa comprend environ 50000 cônes photosensibles qui permettent d'obtenir la meilleur vision des couleurs et des formes durant la journée. La fovéa ne contient pas de bâtonnets. Nous verrons plus bas que la forme de l'iris influence également notre vision des couleurs en pleine journée. Le centre de la fovéa présente également une tache sombre appelée la "tache de Maxwell" de 100 à 150 microns de diamètre. Chez une personne sans problème visuel, cette tache forme une surface sphérique dans l'oeil dominant et une tache allongée irrégulière et plutôt inclinée dans l'autre oeil. Chez les dyslexiques qui éprouvent des difficultés pour renconnaitre les lettres d, b, c et o par exemple, les deux taches de Maxwell sont identiques et rondes. Lorsque les deux hémisphères cérébraux échangent des images des lettres d et b par exemple, grâce à l'oeil dominant, en quelques dizaines de millisecondes le cerveau peut reconnaître la lettre alors que chez un dyslexique les deux images sont de même intensité et la lettre ne peut pas être différenciée d'une autre qui lui ressemble. Une lumière stromboscopique permet d'entraîner le cerveau du dyslexique à différencer ces lettres et de remédier à ce problème (cf. A.Le Floch et G.Ropars, 2017). Mais cela n'explique qu'une partie des troubles dont souffrent les dyslexiques. Les bâtonnets ne possèdent qu'un seul type d'opsine, rhodopsine, une protéine constituée d'acides aminés qui présente une absorption maximale aux alentours de 500 nm, dans la partie jaune-verdâtre du spectre visible. Cette caractéristique a probablement été héritée de la température de couleur du Soleil à l'époque de l'émergence de la vie sur Terre voici plusieurs milliards d'années. Logiciel à télécharger : Anatomie de l'oeil
Les cônes se concentrent principalement autour de la fovéa, près du nerf optique, tandis que les bâtonnets tapissent la région périphérique. Les cônes contiennent trois sortes de pigments contenant trois variétés d'opsine, une protéine proche de la rhodopsine qui détermine les trois variétés de cônes : - les cyanolabes sensibles au bleu (maximum vers 420-445 nm) - les chlololabes sensibles au vert (maximum vers 530 nm) - les erythrolabes sensibles au rouge (maximum vers 550-570 nm) Il faut y ajouter trois autres types de cônes contenant chacun les trois pigments colorés, mais en différentes proportions, correspondant aux longueurs d'ondes d'absorption maximales des différentes protéines d'opsine : les cônes S (short wavelengh, principalement sensibles au bleu), les cônes M (medium, au vert) et les cônes L (long, au rouge). Les cônes présentent donc une sensibilité sélective en fonction de la longueur d'onde de la lumière. C'est la structure particulière des acides aminés de l'opsine qui rend compte du profil spectral de la rétine, en particulier le fait qu'elle présente trois pics de sensibilité qui correspondent aux trois zones d'absorption des pigments de couleurs (voir les courbes ci-dessus), leur combinaison nous permettant de distinguer les nuances les plus subtiles. Lorsqu'un type de cône fait défaut, la perception des couleurs est altérée, on parle de daltonisme. Les cônes vont donc tous réagir à la présence de lumière mais seront excités à différents degrés en fonction de leur sensibilité à la longueur d’onde incidente. Un objet vert par exemple sensibilisera surtout les cônes verts et les cônes M. Si sa luminance est trop faible, ce sont les bâtonnets qui la détecteront. Ensuite, des réactions biochimiques et neuronales dans la rétine prendront le relais et transmetteront l'information au cerveau. A lire : La restitution des images sur ordinateur Durant la journée la perception des couleurs est assurée par les trois types de cônes dont les protéines de rhodopsine sont sensibilisés au bleu, au vert et au rouge. Chez les insectes par exemple les rhabdomes qui conduisent l'influx lumineux utilisent trois types de rhodopsines différentes. La plupart sont décalées vers l'ultraviolet par rapport au spectre d'absorption des rhodopsines humaines. C'est ainsi que si certains insectes perçoivent les UV ils ne perçoivent pas la gamme des rouges. Certains animaux disposent d'un 4e type de cône ayant une sensibilité décalée vers l'UVA (320-400 nm) comme chez les lézards dont le Gecko ou vers le rouge (580-750 nm) comme chez la tortue Pseudemys scripta elegans. Nous verrons à propos de la faculté d'adaptation que certains poissons abyssaux disposent de plus de deux types de photorécepteurs. La combinaison de ces différents spectres d'absorption définit la courbe de sensibilité spectrale et lumineuse de l'oeil et caractérise son efficacité lumineuse. D'un point de vue biochimique, l'énergie lumineuse est transformée en influx électrique par les pigments photosensibles contenus dans les disques du segment externe formant la partie antérieure des neurones photosensibles et déclenchent une réponse nerveuse (hyperpolarisation de la cellule photoréceptrice). L'oeil humain présente une réponse logarithmique dont la courbe est par coïncidence l'inverse de celle d'un écran cathodique. Quand parfois les aveugles recouvrent la vision Un individu peut être aveugle alors que sa rétine est fonctionnelle si l'influx nerveux n'est pas transmis au cerveau suite à une lésion ou une maladie. Un implant reliant le nerf optique sain au cortex visuel peut aujourd'hui pallier à cet handicap mais au prix d'un long et difficile apprentissage de la vision. Car ce qui nous semble banal, voir une ombre, percevoir la perspective, le mouvement ou tout simplement voir les couleurs et leur luminance, sont des actes très élaborés qui requièrent une interprétation instantanée que nous avons acquise progressivement dès la naissance mais dont les aveugles n'ont jamais fait l'expérience. Un aveugle qui recouvre la vue éprouvera généralement des difficultés pour analyser son environnement. Cela commence par la luminosité qu'il mettra des mois et parfois des années à supporter. Il devra ensuite apprendre à différencier une image d'un objet réel, évaluer la vitesse d'un mobile et plus concrètement redécouvrir visuellement les gens qu'il cotoyait auparavant, apprendre à ne pas buter sur un trottoir, ne pas craindre les ombres, distinguer les vitres transparentes grâce à leurs reflets, maîtriser le vertige en regardant un gratte-ciel ou en contre-bas d'un bâtiment. Certains individus ont même préféré fermer les yeux au début de leur thérapie pour retrouver les sensations rassurantes et qu'ils maîtrisaient à leur façon étant aveugle. Dans certaines cas cependant, le handicap réapparaît si par exemple la rétine est mal irriguée en oxygène. Cette régression étant progressive, le patient dispose de quelques mois pour mémoriser toutes les images qu'il peut. Certains n'en souffrent pas car comme l'on dit, il y a des choses (attitudes) qu'il vaut mieux ne pas voir... La couleur de l'iris est un héritage ancestral (cf. l'homme de Cheddar). Les bases génétiques de la couleur des yeux est un sujet très complexe qui fait encore l'objet de nombreuses recherches. Nous n'aborderons donc que sommairement le sujet. Ces dernières décennies, des études d'association pangénomique (GWAS) qui analysent les corrélations avec les traits phénotypiques ont identifié divers polymorphismes mononucléotidiques (SNP), c'est-à-dire des variations sur une seule paire de bases nucléiques, dans et autour de 10 gènes significativement associés à la couleur des yeux.
Pour rappel, les gènes assurent la production des enzymes, des éléments qui participent aux réactions biochimiques du corps humain. Les gènes de la couleur de l'iris contrôlent donc à travers les enzymes qu'ils produisent la quantité et l'emplacement de la mélanine dans l'iris (voir plus bas). Ces gènes mettent en évidence la nature polygénique d'un trait qui, dans le passé, était supposé être génétiquement simple. Parmi les gènes les plus connus, deux d'entre eux se situent sur la paire de chromosomes 15 et le troisième sur la paire de chromosomes 19. Le gène 2 du chromosome 15 présente une allèle ou variante donnant les couleurs brune et bleue. Un second gène, situé sur le chromosome 19 présente une allèle donnant les couleurs bleue et verte. Un troisième gène, situé sur le chromosome 15, donne la couleur brune de l'iris. L'influence génétique la plus forte sur la couleur des yeux est exercée par les gènes voisins HERC2/OCA2 du chromosome 15 dont l'interaction produit une pigmentation claire et foncée. On sait depuis les premiers travaux en génétique que l'allèle brune est toujours dominante vis-à-vis de l'allèle bleue même si la personne est hétérozygote : même si elle dispose d'une allèle brune et d'une allèle bleue sur le gène 2 du chromosome 15, ce sera l'allèle brune qui sera exprimée. L'allèle verte est dominante vis-à-vis de l'allèle bleue mais elle est récessive vis-à-vis de l'allèle brune du chromosome 15. Cela signifie qu'il existe un ordre de préséance, un effet dominant parmi les deux paires de gènes. Si une personne présente une allèle brune sur le chromosome 15 alors que toutes les autres allèles sont bleues ou vertes, la personne aura les yeux bruns. Si elle présente une allèle verte sur le chromosome 19 et si toutes les autres allèles sont bleues ou vertes, la personne aura les yeux verts. Les yeux bleus se manifestent uniquement lorsque les 4 allèles sont bleues. Enfin, il faut tenir compte des mutations sur les chromosomes. On estime qu'il y a 1 chance sur 5 à 10 millions qu'une personne originaire d'Afrique noire ou de Mélanésie et dont les parents ont tous les deux des allèles brunes sur les chromosomes 15 et 19 ait les yeux bleus.
A l'exception des mutations, ce modèle explique l'héritage de la couleur des yeux à travers les familles mais il n'explique pas les nuances grises, bleues ciel ou les patchworks à la fois bruns, bleus, vert et gris de certains iris. Ce modèle ne peut pas non plus expliquer pourquoi deux parents aux yeux bleus peuvent donner un enfant aux yeux bruns, qu'une couleur saute de génération ou comment la couleur des yeux peut changer au cours du temps. Seule explication, d'autres gènes sont concernés et déterminent cette variation en modifiant par exemple l'expression des trois autres paires de gènes. Et justement, en 2021 des chercheurs ont découvert 42 nouveaux loci ou régions génomiques associées à la couleur des yeux. De nos jours, les généticiens peuvent prédire avec précision la couleur des yeux bleus et bruns, par exemple à partir d'un test ADN basé sur 6 SNP sur 6 gènes, dont HERC2 et OCA2, qui sont notamment utilisés en anthropologie et en médecine légale. Toutefois, la couleur des yeux différents du bleu et du brun est beaucoup moins prévisible, probablement en raison de l'existence de SNP et de gènes responsables encore inconnus. Dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2021, l'équipe de Pirro G. Hysi du King's College de Londres a étudié plus de 11 millions de SNP provenant de 157485 personnes d'ascendance européenne disponibles dans la base de données de la société 23andMe. Ses résultats montrent que 12192 SNP sont associés à la couleur des yeux. Ils sont regroupés dans 52 loci distincts, 50 à travers les autosomes (les chromosomes non sexuels) et 2 sur le chromosome X. Si 10 loci furent déjà précédemment associés à la couleur des yeux humains, les 42 loci restants représentent de nouvelles découvertes. Autre constat, la couleur exacte des yeux est déterminée par un seul pigment appelé la mélanine qui est présente dans l'iris de l'oeil (la même que celle qui détermine la couleur de la peau). Elle existe sous deux formes, l'eumélanine, un pigment brun-noir qui est responsable de la coloration foncée de l'iris et la phéomélanine, un pigment rouge-jaune qui est généralement impliqué dans la couleur rousse des cheveux. La mélanine se dépose sur la surface frontale de l'iris. Si la mélanine est abondante les yeux paraîtront bruns ou même noirs. Si la mélanine est très peu présente, l'oeil paraîtra bleu. Les quantités intermédiaires de mélanine donnent des yeux gris, vert, noisette ou différentes nuances de bruns. Plusieurs protéines sont directement impliquées dans la synthèse de la mélanine parmi lesquelles la tyrosinase (TYR), les protéines mélanosomales codées par les gènes OCA2 et MATP, et le récepteur de la mélanocortine (MC1R). Mais de nombreux autres gènes jouent un rôle indirect sur sa concentration et sa diffusion dans les tissus. En résumé, à ce jour plus de 80 mutations dans plus de 10 gènes et 52 loci ont été corrélées avec la couleur des yeux mais leur nombre total reste inconnu et leur action directe ou indirecte sur la couleur de l'iris reste en partie à découvrir. A lire : Les yeux bleus dénoteraient un signe d'intelligence (sur le blog) ou l'effet pervers des pseudosciences
Généralement les bébés de type caucasien naissent avec les yeux bleus foncés (comme les félins) du fait qu'ils n'ont pas encore produit de mélanine dans leurs iris. Ce n'est que quelques mois après la naissance que leurs yeux vont prendre leur couleur définitive en fonction des facteurs dominants et récessifs (qui produisent un effet uniquement s'ils sont présents sur les deux chromosomes appariés) présents dans leurs gènes. Leurs yeux peuvent donc devenir brun, vert ou prendre n'importe quelle autre nuance en l'espace d'un ou deux ans. Les bébés humains des ethnies d'origine africaines, asiatiques, hispaniques ou natives d'Amérique naissent souvent avec des yeux bruns ou noirs. Les Albinos sont un cas particulier qui se produit lorsque l'iris ne présente aucun pigment. Ce sont les vaisseaux sanguins présents dans le noir de l'oeil qui réfléchissent la lumière et donnent à leurs yeux une couleur rose. En général les Albinos manquent également de mélanine dans leur peau et dans leurs cheveux. L'albinisme étant un facteur récessif, deux parents normaux peuvent donc produire un albino. En revanche, un albino peut donner naissance à un enfant normal si son autre parent est normal. Champ visuel et définition Le champ visuel de l'oeil humain (vision monoculaire) est d'environ 60° au-dessus du plan horizontal et de 75° en dessous du plan horizontal, offrant un champ visuel global de 155° horizontalement et de 135° verticalement. Toutefois, aux limites extérieures du champ, entre 60° et 95°, la vision est monoculaire car le nez et l'orbite bloquent une partie du champ de l'oeil opposé. Le nerf optique ne contient pas de cellules photoréceptrices. C'est pourquoi la lumière qui tombe sur la tête du nerf optique n'est pas détectée; elle produit un "point aveugle" dans le champ de vision. Ce point aveugle mesure environ 5° de diamètre et est décalé d'environ 15° de l'axe optique (sur la droite pour l'oeil droit, sur la gauche pour l'oeil gauche). On ne le discerne pas même sur un fond uniforme car d'une part nos yeux bougent en permanence et d'autre part le cerveau intègre toutes les informations visuelles afin de construire une image cohérente. Sachant que l'emplacement de la fovéa, la zone la polus sensible de la rétine, est décalée par rapport à l'axe visuel, la vision avertée permet d'améliorer la vision, surtout de nuit. Pour ce faire, portez votre regard sur le côté pour observer un détail situé dans l'axe afin que la lumière vienne frapper les zones plus sensibles de votre rétine. Cette technique est parfois utilisée par les astronomes amateurs (notamment pour observer les objets pâles du ciel profond et identifier toutes les taches sombre sur le disque du Soleil). Seule une analyse ophtalmique périmétrique permet de mesurer le champ de vision et de localiser d'éventuelles lésions oculaires. Le champ visuel varie selon la fonction qu'on utilise. Le champ visuel se divise en plusieurs zones : - 5° autour de la fovéa (soit un champ de 10° maximum) : acuité maximale tant en résolution qu'en couleurs. - 10° autour de la fovéa : lecture mais image floue aux limites du champ. - 20° autour de la fovéa : reconnaissance des signes abstraits. - 30° autour de la fovéa : discrimination des couleurs - 60° autour de la fovéa : vision stéréoscopique. Autrement dit, en regardant devant soi, à partir de 10° de l'axe de la fovéa, l'image devient floue et au-delà de 30° les couleurs perdent graduellement leur saturation. Au-delà de 60°, on ne perçoit plus que des taches de luminosité et l'image est quasiment monochrome. Selon certains tests, l'oeil humain (immobile) présenterait une définition d'environ 7 mégapixels, c'est-à-dire assez médiocre car la résolution diminue rapidement au-delà de 10° autour de l'axe optique et donc les détails ne sont pas mémorisés. Si on utilise les deux yeux et effectuons un balayage panoramique, la résolution de nos yeux est d'environ 576 mégapixels. Cette grande différence s'explique par le fait que nous pouvons ajuster la mise au point sur chaque détail de la scène dans un champ d'environ 5° autour de l'axe optique et le répéter dans un champ d'environ 120°. Autrement dit, nous ne verrions pas de différence entre un poster HD de 576 mégapixels (mesurant par exemple 5x4.5 m observé à 2 m de distance) et la réalité. Mais il s'agit d'un calcul approximatif qui ne tient pas compte du contraste qui comme nous le savons, indépendamment de la couleur permet de différencier des teintes très proches en fonction de leur différence de luminosité. Résolution et vision nocturne C'est la manière dont l'iris s'ouvre qui donne la forme caractéristique de la pupille (circulaire, en forme d'amande, horizontale, verticale, etc). Les yeux disposant d'une pupille très étroite discernent mieux les détails des objets, peu importe que la pupille soit orientée dans le plan vertical, horizontal ou circulaire. Bien entendu, il faut également une fovéa suffisamment complexe pour discriminer les détails et offrir une acuité maximale. Ainsi, si une personne est myope et a des difficultés pour voir de loin, il suffit qu'elle mette le point fermé devant un oeil, ne laissant passer qu'un minuscule petit trou de lumière pour que l'image devienne nette. La nuit cependant, outre la présence de nombreux bâtonnets sensibles aux faibles lumières en périphérie de la rétine, du fait de l'obscurité il est important que la quantité de lumière soit la plus importante possible afin que les cônes puisent distinguer les détails (et facultativement les couleurs).
Pour cette raison, la plupart des animaux nocturnes présentent de grands yeux, un iris totalement dilaté, complété par une ouïe perçante. Pour accroître leur vue, ils disposent d'une membrane réfléchissante derrière la rétine qui amplifie les faibles lumières appelée le tapis clair. C'est pourquoi durant la nuit les marécages et la savane brillent souvent de dizaines de paires d'yeux à l'affût. Les paupières Chez les animaux supérieurs, une ou plusieurs paupières lubrifient l'oeil et le protège des accidents mécaniques tandis que des cils très serrés le protège des poussières. La lumière a tendance à opacifier le cristallin. Le risque est la cataracte. A ce propos, la lumière ne se réfléchit pas de la même façon dans tous les milieux. En plaine 2% de la lumière touchant le sol est réfléchie, 10% sur la mer, 20% en montagne et jusqu'à 85% sur la neige ou la glace. La réflexion augmente également de 5% tous les 1000 mètres d'altitude. C'est pour s'adapter à ces différences de luminosité que les peuples vivants en altitude ou dans la neige ont généralement les paupières plus fermées que les peuples vivant en basse altitude. La forme de la pupille L'un des facteurs les plus intéressants de l'évolution des yeux est l'orientation de la pupille qui semble liée à la niche écologique de chaque espèce animale. Chez l'homme, les singes, le loup, les félins à l'exception du chat et beaucoup d'oiseaux, la pupille est ronde. Mais la pupille du chat et du renard est fendue verticalement. Il en est de même chez le renard et quantité de reptiles (serpents, crocodiles, etc.). Il existe également des animaux dont la pupille est fendue horizontalement et rectangulaire : le cheval, la vache, le mouton, la chèvre, le lapin, quelques reptiles (le crapaux commun, le serpent-lianne, le gecko, etc) et le poulpe. Chez la seiche, la pupille est plus complexe, soit en forme de W soit horizontale et remontant verticalement aux extrémités. Si la pupille ronde ne nous pose apparemment aucun problème, c'est parce que nous avons perdu beaucoup de sensibilité et d'usages au cours de l'évolution en raison de notre mode de vie de moins en moins naturel.
Comme nous l'avons évoqué, chez l'homme comme chez tous les animaux ayant une pupille ronde, la sensibilité de la rétine aux couleurs varie en fonction de la distance à la fovéa qui rappelons-le se situe dans le prolongement de l'axe optique et est centrée sur la macula. Lorsque la lumière est vive, notre pupille se contracte concentriquement jusqu'à ne former qu'un tout petit orifice mesurant environ 2 mm de diamètre contre 8 mm en pleine obscurité. Or sur la rétine, la sensibilité aux couleurs est globalement distribuée concentriquement en passant du rouge au centre puis au vert et au bleu en périphérie. Cela signifie qu'en plein Soleil, l'iris ne laisse passer qu'un petit faisceau lumineux qui ne touchera que la zone sensible aux teintes rouges au détriment des autres couleurs, ce qui donne l'impression d'avoir une vision moins claire et moins précise, ce qui est tout à fait exact. Dans le cas du chat, les chercheurs ont d'abord cru que l'iris fendue verticalement était une adaptation à l'obscurité. En réalité, c'est le contraire : la fente verticale est optimisée pour la vision diurne. En effet, même si l'iris est contractée, la longueur de la fente reste importante et couvre encore les trois zones concentriques de la rétine sensibles au rouge, au vert et au bleu. De plus, l'ouverture verticale améliore l'appréciation des distances lorsque l'animal est à l'affût très près du sol, autant d'avantages lui permettant de percevoir et localiser ses proies avec précision. Même faculté chez les serpents même s'ils comptent plus sur d'autres sens. Rappelons que le chat perçoit moins de couleurs que l'homme et voit globalement le monde en nuances de pastels bleus-jaunes (cf. cet article du Figaro). Il voit également très mal les objets placés à moins de 20 cm de ses yeux, raison pour laquelle il ne faut pas lui mettre sa nourriture juste sous le museau. En revanche, même la tête dans l'eau, il perçoit parfaitement les vibrations des proies éventuelles grâce à ses vibrisses qui ne sont pas de simples moustaches décoratives ! Le chat est capable d'attraper un poisson dans une rivière sans même l'avoir vu.
Les animaux dont les pupilles sont verticales sont généralement des prédateurs qui se cachent et s'embusquent pour frapper leur proie à relativement courte distance. Ils ont également tendance à avoir les yeux sur le devant de la tête. La différence entre les renards et les loups tient au fait que les loups ne sont pas des prédateurs en embuscade - ils chassent plutôt en meute, pourchassant leurs proies. Enfin, une pupille horizontale et rectangulaire comme celle du cheval, de la chèvre, du mouton, du cerf, de la mangouste ou du poulpe procure un champ de vision plus large couvrant tout l'horizon avec un déplacement minimal des yeux ou de la tête. La plupart de ces animaux sont des herbivores (sauf la mangouste et le poulpe) et leurs yeux sont placés sur le côté de la tête. En revanche, quand ces animaux baissent la tête, on pensait qu'ils ne voyaient plus vers le haut. Ce n'est que tout récemment qu'on découvrit que dans cette position, leur pupille reste horizontale par rapport au sol comme on le voit à droite. Chaque oeil pivote de 50° voire plus (contre quelques degrés chez les humains). Ce sont trois adaptations offrant des avantages à ces animaux qui percoivent ainsi beaucoup mieux les prédateurs (ou leurs proies le cas échéant), même à contre-jour. Selon des modélisations informatiques des yeux réalisées par l'équipe de Gordon Love du département de Physique de l'Université de Durham, les petits animaux devraient bénéficier davantage des pupilles verticales que les plus grands. Selon Love, "sur les animaux ayant des yeux frontaux et des pupilles verticales, nous avons constaté que 82% sont considérés comme "courts" (défini comme ayant une hauteur au gatrot < 42 cm) contre seulement 17% des animaux ayant des pupilles circulaires." Mais il existe des exemples plus complexes et encore inexpliqués. Par exemple, les mangoustes ont des yeux tournés vers l'avant mais des pupilles horizontales, les geckos ont d'énormes pupilles circulaires lorsqu'elles sont dilatées qui se réduisent à une fente verticale percée de plusieurs trous d'épingle discrets lorsqu'elles sont resserrées et les seiches ont des pupilles en forme de W. Comprendre toutes ces variations sera un défi intéressant à relever. L'oeil des rapaces diurnes On dit que les rapaces ont l'oeil perçant et ce n'est pas une légende. L'oeil des rapaces n'est pas mobile comme celui des mammifères, raison pour laquelle ils sont obligés de tourner la tête pour observer dans une autre direction, prouesse que certains rapaces réalisent sur 270° dans le plan horizontal. Ils ont également un champ de vision stéréoscopique de 110° contre 60° chez l'humain. L'oeil des rapaces diurnes surpasse de loin les performances de l'oeil humain ce qui explique leur habileté à débusquer des proies. Leur vision est tellement particulière qu'il faudrait écrire un livre pour la décrire. Essayons donc d'aller à l'essentiel. Pour comprendre leur vision, les chercheurs doivent imaginer des expériences spéciales, les diagrammes oculaires utilisés par les ophtalmologues n'ayant aucune utilité. Un moyen efficace d'étudier la vue des aigles consiste à entraîner les oiseaux à voler dans un long tunnel vers deux écrans de télévision. Un écran affiche un motif à rayures et les oiseaux reçoivent une friandise lorsqu'ils s'y posent. Les chercheurs peuvent tester leur acuité en faisant varier la largeur des rayures et en déterminant à partir de quelle distance les aigles commencent à virer dans la bonne direction. A consulter : Calcul de l'acuité visuelle, Dr Gamien Gatinel
Les aigles et autres oiseaux de proie peuvent voir quatre à cinq fois plus loin que la moyenne des humains, ce qui signifie qu'ils ont une vision de 20/5 ou 20/4 dans des conditions d'observation idéales. Selon William Hodos, professeur émérite à l'Université du Maryland qui étudia l'acuité visuelle des oiseaux tout au long de sa carrière, deux caractéristiques du globe oculaire confèrent aux aigles une vision plus nette. D'abord, leur rétine contient plus de cellules photosensibles (les cônes) que la rétine humaine. La fovéa des rapaces comprend également 5 fois plus de cellules photosensibles que la fovéa humaine, ce qui la rend à la fois plus sensible et capable de distinguer plus de détails (tout comme une densité de pixels plus élevée augmente le pouvoir de résolution des APN). Ensuite, les aigles ont une fovéa beaucoup plus profonde que celle des humains. La fovéa humaine à la forme d'une petit bol tandis que chez le faucon et l'aigle, c'est une fosse convexe. Certains chercheurs pensent que cette fovéa profonde permet à leurs yeux d'agir comme un téléobjectif, agissant comme une loupe à focale variable au centre de leur champ de vision qui leur permet d'agrandir l'endroit où ils regardent et de distinguer des détails invisibles pour un oeil humain. L'oeil des rapaces diurnes dispose également de 2 fovéas (contre une seule chez les rapaces nocturnes), la seconde étant placée sur le bord de la rétine. Ainsi, un faucon peut détecter un objet de 2 mm à 18 m de hauteur et un aigle peut discerner un objet de 16 cm à 1500 m de hauteur, soit 3 à 8 fois plus éloigné qu'un humain.
En plus d'avoir une vue plus nette équipée d'une loupe centrale, comme tous les oiseaux, les aigles ont également une vision plus profonde des couleurs. Ils voient par exemple des couleurs plus vives que nous, peuvent faire la distinction entre plus de nuances et peuvent également voir l'ultraviolet et donc en quadrichromie, une capacité qui leur permet de détecter les traces d'urine réfléchissant les UV de petites proies. On peut imaginer un nuancier de couleurs plus complet en comparant un gamut de couleurs dans les espaces colorimétriques de l'oeil humain, RGB et CMYK utilisé pour les impressions (cf. ce diagramme). Un oeil sain voit clairement que la saturation et la gamme des couleurs sont plus étendues dans le premier espace. Dans l'espace CMYK, environ 2 millions de couleurs sont perdues. Mais il n'y a aucun moyen de savoir à quoi ressemblent les "couleurs" ultraviolettes. Cela reviendrait à tenter de décrire une couleur à un aveugle de naissance. On ne peut même pas imaginer la sensation subjective que procurent ces nuances quadrichromiques supplémentaires. Comment un rapace voit-il le monde avec une vision de 20/5 ? Selon les spécialistes, la vision de l'aigle ne change pas de la façon dont nous voyons normalement le monde, y compris la lecture des écrans d'ordinateur ou les magazines. En revanche, elle diffère dans la façon dont les aigles perçoivent le monde et utilisent leurs yeux. Le meilleur exemple est la chasse. En plus de la capacité de voir plus loin et de percevoir plus de couleurs, les aigles présentent un champ de vision presque deux fois plus étendu que celui des humains. Si nous inclinons nos yeux à 30° par rapport à la ligne médiane de notre visage comme ceux d'un aigle, nous aurions un champ visuel de 340° (contre 180° pour un humain) et verrions presque tout derrière notre tête. Cela confère à l'aigle un net avantage à la chasse et à l'autodéfense. Avec les yeux perçants d'un aigle, nous devrions tourner constamment la tête comme si nous avions un mini-téléobjectif dans les yeux. Pour localiser une proie ou observer un sujet d'intérêt lointain, nous devrions périodiquement tourner la tête sur le côté afin que la fovéa balaye le champ de vision. Après avoir repéré ce que nous cherchons, nous devrions déplacer notre tête vers la cible et utiliser la vision stéréoscopique pour ajuster notre vitesse d'approche. Mais une telle perception adaptée à la chasse s'accompagne probablement de quelques inconvénients. Selon Hodos, "les oiseaux ont probablement une plus grande proportion de leur volume cérébral consacrée au traitement visuel que d'autres groupes d'animaux. Maintenant, la question de savoir si cela se fait au détriment d'autres sens... La plupart des oiseaux semble ne pas avoir un sens de l'odorat ou du goût bien développé." Quant à savoir comment le cortex d'un être humain s'organiserait en ayant des facultés cognitives plus sophistiquées, selon Hodos, "Les oiseaux ont des zones [cérébrales] qui semblent fonctionner comme notre cortex, mais c'est discutable. Mais en termes de capacité à résoudre des problèmes et ainsi de suite, ils correspondent à ce que de nombreux mammifères peuvent faire. De nombreux oiseaux ont une superbe mémoire" (cf. les corbeaux, les perroquets, les geais bleus, sans parler de leur intelligence). Ensuite il y a la question liée au mode de vie aérien et de haut vol des aigles qui nécessite à la fois une meilleure vision que celle des humains et des propriétés physiques des globes oculaires qui nous limitent au mieux à une vision de 20/10 ou 20/8. Une vision naturelle aussi bonne se rencontre parfois chez des jeunes entre 17 et 25 ans. La chirurgie oculaire au laser permet d'obtenir une vision de 20/10 ou supérieure, plaçant l'acuité visuelle de ces personnes à mi-chemin entre celle des humains et des aigles sans les bénéfices de la double fovéa surdense. Toutes ces facultés expliquent pourquoi un dresseur de rapace peut faire un simple geste de la main que percevra l'animal au sommet d'un building ou à plusieurs centaines de mètres de distance alors qu'un chien ou un chat ne le percevra pas. En revanche, si le dresseur est sous le vent, le chient risque de percevoir son odeur. On y reviendra. Vision stéréo et panoramique Tous les animaux disposent d'au moins deux yeux leur offrant soit une vision monoculaire si les yeux sont placés sur le côté de la tête, soit stéréoscopique s'ils sont placés sur la face, cette dernière position permettant au cerveau de fusionner les images des deux yeux afin de construire une image "en relief" pour appréhender les distances. La vision stéréoscopique fut élaborée voici près d'un milliard d'années pour chasser. Fermer un oeil et vous constaterez que le monde devient plat, sans aucun relief et qu'il vous est à présent très difficile de vous déplacer car vous avez perdu la notion de profondeur, reliée à la perspective. Si les créatures humanoïdes ont un angle de vue inférieur à 180°, quelques mammifères ont un angle de vision beaucoup plus vaste tel le chat qui atteint 287° dont 130° de vision binoculaire contre un peu plus de 90° chez l'homme.
Les animaux ayant une vision monoculaire ne voient donc pas en relief sauf si leurs yeux peuvent regarder ensemble dans la même direction et donc généralement vers l'avant, mais ce n'est pas le cas de toutes les créatures, notamment les cétacés. Ainsi seuls les Delphinidae ont des yeux indépendants dont les zones de chevauchement leur permettent de percevoir la troisième dimension. Certains oiseaux et bien sûr les caméléons voient pratiquement à 360° sans devoir tourner la tête et n'ont que deux petits angles morts, l'un derrière la tête, l'autre juste à hauteur du bec ou de la gueule. Les insectes dotés d'yeux multiples (comme les abeilles, fourmis, libellules, mouches, etc) ainsi que les arachnides dotés de plusieurs yeux simples comme l'araignée illustrée à droite ont une vue proche de 360° mais chaque ommatidie ou chaque oeil ne couvre qu'un étroit angle de vision, se recouvrant en bordure de champ. Leur résolution et leur sensibilité individuelles sont assez mauvaises mais la composition de toutes ces images leur donne un grand champ de vision. Leur résolution globale reste médiocre, comme s'ils voyaient le monde à travers les mailles d'un tissu. Ces créatures peuvent déterminer la position et la distance approximative des objets. Dans le cas des araignées, bien que certaines espèces puissent avoir jusqu'à 8 yeux, elles discernent surtout les différentes d'intensité lumineuses (certaines araignées cavernicoles sont même aveugles). Leur réel avantage réside dans leur faculté à détecter les mouvements et les vibrations. Evolution et adaptation L'oeil constitue une extension spécialisée du cerveau capable de traiter l'information lumineuse grâce à un processus photochimique. C'est l'un des organes présentant le plus de diversité. C'est bien sûr chez les vertébrés qu'il est le plus complexe. Les yeux peuvent être simples ou multiples. L'oeil le plus simple est une ocelle, qui elle-même a subit plusieurs mutations. La plus simple se rencontre chez la planaire et certaines annélidés. Une excroissance ou plaque s'est transformée en système photosensible élémentaire. Sa surface est couverte d'un pigment mélanique et de cils sensoriels. Chez la patelle une cavité photosensible s'invagine en cupule et est recouverte d'un mucus sous lequel se trouve un épithelium simple contenant des cellules visuelles. Chez le nautile la cupule est presque totalement fermée et ne laisse qu'un petit orifice jouant le rôle de lentille. La cavité est tapissée d'une rétine. Enfin, l'oeil des poulpes caractérisé par sa pupille rectangulaire et horizontale ne dispose que d'un seul type de récepteur lumineux (contre trois chez les humains). En principe, cet animal ne devrait percevoir que la luminance, c'est-à-dire les nuances de gris. Mais dans ce cas, on peut se demander pourquoi leur camouflage (l'homochromie) est-il coloré ? Certains experts suggèrent que leurs yeux seraient capables de décomposer la lumière et de se focaliser sur chaque longueur d'onde, leur permettant d'apprécier les couleurs. En revanche, les poulpes distingueraient mal le blanc mais auraient une vue plus précise dans les couleurs primaires. Mais ce ne sont que des hypothèses. Chez la crevette mante ou Skye présentée ci-dessous au centre, la rétine de ses yeux contient 12 types de cellules photosensibles. Elle contient notamment des pigments d'acides aminés appelés MAA (Mycosporine-like Amino Acids) qui sont connus sous le nom de "crème solaire de la nature". Toutefois, chez cette crevette, les pigments jouent un autre rôle : ils servent de filtres puissants qui contribuent à la vision incroyablement nette et complexe du crustacé qui est capable de voir les UV grâce à six photorécepteurs dédiés à ces longueurs d'ondes (cf. Michael J. Bok et al., 2014) et la lumière polarisée circulairement. A voir : Evolution of eyes, National Geographic, 2016
Chez les invertébrés pourvus d'ocelles, la surface photosensible interne perçoit les variations de lumière, les zones brillantes et sombres ainsi que quelques nuances de gris, mais aucune image précise et très peu de détail. Dans les trois cas ces yeux simples sont reliés par une fibre nerveuse ou un nerf optique au cerveau élémentaire de ces animaux. Chez la plupart des invertébrés les cellules photosensibles sont dirigées vers la lumière incidente, la lumière les frappe donc en premier ce qui semble une idée logique (on dit que ces rétines sont directes). Mais chez les vertébrés, dame Nature a trouvé une logique tout à fait surprenante : les rétines inverses. Les cellules visuelles, cônes ou bâtonnets présentent leurs cellules photosensibles... dans le sens opposé à la lumière. Cela signifie que ces cellules doivent être transparentes. La rétine des vertébrés a une couleur pourpre qu'elle perd à l'illumination mais qui se regénère dans l'obscurité. C'est la lumière qui décompose ce pigment. En frappant la rhodopsine, un photon lumineux déclenche une suite de réactions chimiques, à l'origine du message nerveux. Chez l'homme, le seuil de sensibilité lumineuse dans l'obscurité correspond en moyenne à la détection d'un photon par bâtonnet pour une dizaine de bâtonnets. Le cône, en revanche, a une sensibilité en moyenne cent fois plus faible et ne "fonctionnent" qu'en présence de forte lumière du fait quil doit distinguer les détails. A voir : Fonds d'écran d'insectes, Wallpaper Abyss
Classé par ordre de complexité croissante, nous pouvons donc citer les ocelles du nautile, les yeux de la coquille Saint-Jacques qui sont constitués d'ocelles disposant déjà d'une cornée et d'un cristallin, les yeux des insectes, ceux des pieuvres disposant d'un iris et d'une rétine et enfin ceux des vertébrés. L'oeil véritable, simple ou à facette comprend une cornée constituée d'une cuticule transparente. La surface interne de l'oeil est tapissée d'une rétine, un structure très complexe constituée de cellules nerveuses transparentes (des fibres du nerf optique, des cellules ganglionnaires, amacrines, bipolaires et horizontales) transformées en détecteurs photosensibles. Sa résolution est très élevée dans l'axe de vision et va en diminuant vers la périphérie de l'oeil. Un iris contrôlé par des tendons agit comme un diaphragme pour ajuster la quantité de lumière et éviter l'éblouissement. Un oeil simple ou à facette dispose d'une lentille cristalline (un corps réfringent à indice de réfraction positif) qui assure la mise au point sur la rétine grâce à des tendons. L'oeil composé est constitué de plusieurs éléments optiques ou ommatidies, chacun renfermant une cornée, des cellules rétiniennes et un petit cristallin conique. En résumé, quelle que soit la créature, deux yeux offrent une solution optimale pour survivre. Les effets de l'oxygène sur la vision Nous avons expliqué plus haut que si la rétine manque d'oxygène, cela peut provoquer une cécité. De même un excès d'oxygène, notamment chez les enfants prématurés (cf. J.Milot, 2007) peut entraîner une rétinopathie, une affection de la rétine. Cette pathologie peut aussi apparaître suite à une exposition prolongée aux UVA (rétinopathie solaire aiguë). Le diabète peut également abîmer la rétine (rétinopathie diabétique) ainsi que l'hypertension (rétinopathie hypertensive). Nous verrons à propos de la pollution des mers, qu'une réduction du taux d'oxygène dans les océans y compris dans les eaux côtières peut aussi entraîner une diminution de 60 à 100% de la sensibilité rétinienne et donc provoquer une cécité chez certains invertébrés marins comme le calmar, la pieuvre ou le crabe (cf. L.R.McCormick et al., 2019). Le risque est que ces espèces ne puissent plus se nourrir et soient la proie des prédateurs. C'est la première fois que des chercheurs découvrent un lien de cause à effet entre la teneur en oxygène de l'eau de mer et la cécité et indirectement avec le risque de disparition d'une espèce. Les détecteurs thermosensibles A défaut d'avoir une vue perçante, certains reptiles et insectes ont choisi de développer des détecteurs sensibles au rayonnement infrarouge. Pourquoi les classe-t-on parmi les organes de la vision ? Simplement parce que les radiations infrarouges sont constituées de photons comme la lumière. Mais ainsi que nous l'avons dit, si les radiations infrarouges sont trop peu énergétiques pour déclencher des réactions biochimiques, elles provoquent une élévation locale de la température que des récepteurs spécialisés peuvent détecter. Il en va ainsi de la chaleur irradiée par les corps chauds. Les humains peuvent ressentir la chaleur à courte distance mais nous ne pouvons pas analyser un paysage de cette manière et sentir quelqu'un s'approcher rien que par la chaleur qu'il dégage. Certains vertébrés utilisent cette propriété pour détecter et pister les animaux à sang chaud comme les mammifères ou les oiseaux. Les plus connus sont les serpents (crotals, boas, pythons) qui disposent de fossettes réceptrices soit entre l'oeil et la narine soit dans la région labiale. Leurs terminaisons nerveuses sont capables de réagir à des variations de température de moins de 0.005°C.
Non seulement les serpents vous sentent approcher dans tous les sens du terme (odorat, chaleur, vibration) mais leur organe thermosensible leur permet également d'attaquer leurs proies dans le noir le plus complet, un atout que bien peu de créatures peuvent revendiquer. Chez les fourmis, les reines et les mâles ainsi que les mouches drosophiles et les frelons disposent de trois petites ocelles sur le vertex, la partie du crâne située entre les deux yeux. Il s'agit également de capteurs infrarouges. Détecteurs de turbulence Certains animaux marins comme les phoques (qui vivent dans l'hémisphère Nord et n'ont pas de pavillon ou oreille externe) ou les otaries (qui vivent sous les Tropiques et dans l'hémisphère Sud et ont un pavillon externe) sont munies de moustaches ou vibrisses comme les canidés et les félins. Ces poils sont dédiés à la détection des proies plus que des obstacles. En effet, même sourds et aveugles, les phoques et les otaries sont capables de localiser ou de suivre une proie ou un objet silencieux à distance. Des expériences ont été faites en rendant artificiellement sourd et aveugle une otarie puis en lui demandant de retrouver une torpille portative de 50 cm de longueur, moteur coupé, lancée peu avant dans la mer. La torpille ne dégageant pas d'odeur ni de son, l'animal pouvait uniquement compter sur ses vibrisses ultrasensibles pour la localiser. Pour l'expérience, on plaça un turban opaque sur les yeux de l'animal, des bouchons dans ses oreilles et par sécurité on plaça sur ses oreilles un casque émettant un bruit rose (bruit continu) afin qu'il ne puisse pas entendre les sons extérieurs. L'expérimentateur lança ensuite une torpille qui se retrouva rapidement à 10-20 m de distance, flottant silencieusement en surface. Puis on enleva le casque de l'otarie et on lui demanda de retrouver la torpille en "aveugle". Elle retrouva l'objet en quelques secondes ! En fait, l'otarie n'a pas exploré la zone au hasard. Grâce aux seules informations transmises par ses vibrisses, elle a directement remonté la trajectoire formée par les turbulences laissées dans le sillage de la torpille alors qu'elles étaient apparemment dissipées et en tous cas invisibles pour l'homme. Probablement amusée, l'otarie s'est représentée au départ, prête à refaire l'expérience, certaine de gagner et d'avoir du poisson en échange ! Détecteurs micro-ondes Rappelons qu'un système de vision micro-ondes est également envisageable bien qu'aucune créature terrestre n'en dispose. Ce genre d'organe "visuel" serait utile dans une atmosphère épaisse, couverte de brouillard dans laquelle mêmes les radiations infrarouges seraient absorbées. Seul inconvénient à ces fréquences ultra courtes (environ 1 GHz), les détecteurs prendraient vraisemblablement la forme de mini réflecteurs paraboliques munis d'un récepteur en leur foyer ou ressembleraient à un cornet. Dans le premier cas les yeux de ces animaux seraient très fragiles car le moindre choc ou la moindre lésion du récepteur les rendrait aveugle. C'est une raison suffisante sans doute pour que dame Nature n'ait pas approfondi la question. Prochain chapitre L'audition, le goût, l'odorat et le toucher
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