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La théorie de la gravité quantique à boucles

Vers la quantification de la gravitation (I)

La gravité quantique à boucles (en anglais "Loop Quantum Gravity" ou LQG) est une théorie visant à réunir la relativité générale et la physique quantique, autrement dit à quantifier la gravitation.

Cette théorie spéculative considère que l'espace n'est plus un continuum espace-temps mais formé de quanta élémentaires d'énergie. Le temps prend également une valeur discrète.

Non seulement cette théorie est avant-gardiste mais elle est très difficile à formaliser et à tester.

En 1900, Ernst Planck inventa le concept de quantum d'énergie, annonciateur d'une véritable révolution en physique. Cette théorie sera formalisée par Einstein, Bohr, Heisenberg, Pauli, Dirac et consorts.

Entre-temps, en 1916 Einstein publia sa théorie sur la relativité générale. Einstein avait conscience de la nécessité de quantifier la gravitation mais les deux approches semblaient incompatibles. La relativité générale est une théorie locale, continue, déterministe et évoluant dans un espace-temps dynamique, alors que la quantique est non-locale, discontinue, aléatoire et probabiliste, deux points de vue qui semblaient irrémédiablement inconciliables et qui valurent quelques belles joutes intellectuelles entre Einstein et les adaptes de la théorie quantique.

Après beaucoup d'efforts, à la fin du XXe siècle mathématiciens et physiciens sont parvenus à unifier trois des quatre interactions fondamentales :

- l'interaction électromagnétique (électricité et magnétisme)

- l'interaction forte (les gluons échangés entre les quarks dans le noyau)

- l'interaction faible (la radioactivité notamment).

Cette percée scientifique applaudie à la hauteur de son exploit donna naissance au modèle Standard de la physique des particules et aux théories de grande unification ou GUT dont nous reparlerons en cosmologie.

Mais depuis cette avancée et malgré des décennies de recherches, les théoriciens travaillent encore avec des modèles qui ne s'appliquent que dans le cadre d'un espace-temps euclidien, plat, alors qu'ils savent d'expérience que l'univers est fondamentalement fluctuant, sous l'influence locale de la gravitation.

Et quand bien même ils tiennent compte de déformations locales de l'espace-temps, les solutions de leurs équations sont incohérentes. En fait les mathématiciens butent sur des singularités signifiant clairement que leurs théories sont incomplètes.

La quantification de l'espace-temps présente deux avantages. Elle élimine les singularités qui sont sources de nombreuses divergences dans le modèle Standard des particules élémentaires où les particules sont considérées comme des points sans dimension. Ces divergences sont déjà apparues dans la théorie du champ électromagnétique avec la divergence de Coulomb : à très courte distance d'une particule (ponctuelle) chargée, la valeur du champ augmente indéfiniment.

Ensuite, développer une théorie de la gravitation correctement quantifiée conduit inévitablement à une théorie quantique de la gravité comprenant la relativité générale

Au cours de la dernière génération, deux grandes théories ont été proposées pour quantifier la gravitation :

- la théorie des cordes

- la gravité quantique à boucles.

La théorie des cordes

La théorie des cordes impose une modification de la théorie de la relativité générale, l’espace-temps subissant les lois quantiques et perdant son caractère bien déterminé; on parle de dimensions floues (fuzziness, fuzzball, etc). Elle décrit les modes vibratoires des différentes particules et leurs interactions (électrofaible ou forte) sous l'emprise des relations d'incertitudes ainsi que la gravitation à haute énergie.

Cette théorie repose sur 2 hypothèses : l'existence de cordes à l'échelle de Planck et de dimensions additionnelles.

Les premiers modèles furent développés en 1919 par le mathématicien allemand Théodore Kaluza qui ajouta une 5e dimension, parvenant à unifier l'espace-temps avec les équations de l'électromagnétisme de Maxwell.

Dans sa version la plus simple, la théorie des cordes bosoniques a besoin de 26 dimensions. Elle ne contient que des bosons (aucun fermion) et un tachyon, une particule hypothétique dont l'énergie est réelle mais la masse est un nombre imaginaire.

Bien que ces hypothèses aient rendu certains physiciens sceptiques, d'autres tels Gabriele Veneziano, Michael Green et John Schwarz l'ont étudiée et découvrirent certaines compatibilités avec le modèle Standard des particules sans pour autant pouvoir la valider par l'expérience.

Une corde fermée (une boucle) évoluant dans un univers à 11 dimensions dont 7 compactifiées.

De ce fait d'autres théories ont vu le jour pour incorporer les fermions à la théorie bosonique : théories des cordes de type IIa, IIb, HO, etc, toutes étant basées sur des cordes fermées, des boucles. Mais cette formulation entraîna aussi l'existence présupposée d'une nouvelle symétrie appelée la supersymétrie : il s'agit de la théorie des supercordes.

Non seulement elle s'applique à un univers à 10 dimensions mais elle impose également l'existence de particules supersymétriques.

Dans les années 1990, des similitudes (dualités) ont été découvertes entre les différentes théories des cordes qui permirent à Edward Witten de proposer en 1995 une théorie plus fondamentale, la théorie M basée sur le concept de "brane" ou membrane à n dimensions.

Dans les théories supersymétriques dites membranaires l'univers présente 10 ou 11 dimensions à la fois étendues ou compactifiées. Certaines se présentent comme des membranes (p-brane), des feuilles (2-brane) ou des cordes ouvertes ou fermées (1-brane). Ce sont leurs différents modes de vibrations et leurs interactions avec d'autres p-branes, localement ou dans différentes dimensions, qui créent les particules, les singularités ou déterminent la portée ou le confinement des différentes forces par exemple.

Il ne faut pas être physicien pour se rendre compte que ce modèle devient très abstrait pour ne pas dire difficile à croire (mais qui croyait aux atomes il y a cent ans ?...). Il n'empêche qu'à vouloir unifier toutes les interactions, les théories des supercordes présupposent l'existence de cordes pour expliquer l'éventail des particules et la géométrie de l'espace-temps, sans parler du tachyon dont l'hypothèse même laisse à penser que certains physiciens vivent dans un monde imaginaire ! En effet, personne n'a jamais vu ces branes, ces particules exotiques ou ces dimensions excédentaires ! On peut rétorquer qu'ils n'existent qu'à l'échelle de Planck ou à très haute énergie, des niveaux actuellement inaccessibles aux accélérateurs de particules.

Il n'en reste pas moins vrai que si une théorie doit faire des hypothèses ad hoc pour se conformer à la réalité, s'entourer d'une "ceinture de protection" comme le dit Imré Lakatos, elle perd rapidement tout intérêt scientifique, encore plus si les mathématiciens éprouvent du mal à la formaliser et découvrent des incohérences, la rendant inappropiée à décrire la réalité.

Les défenseurs de la supersymétrie diront qu'elle est supportée par de nombreux chercheurs. Mais une théorie trouve toujours des adeptes. En 2003, des mathématiciens découvrirent que certaines théories des cordes pouvaient s'accomoder d'une constante cosmologique positive, celle là même qu'avait introduite Einstein en 1916 mais qu'il supprima en pensant que l'Univers était statique sur base de relevés préliminaires incomplets.

Mais ainsi que le fit remarquer le physicien théoricien américain Lee Smolin de l'Université d'Harvard et fondateur de l'Institut Perimeter dans une interview au webzine Wired "si ces théories existent, alors il en existe au moins 10500 " ! En effet, la théorie des cordes propose pas moins de 10520 solutions possibles ! Pour Lawrence Krauss et Peter Woit, cette théorie n'est même pas fausse, elle n'est tout simplement pas prédictive !

Dans son livre "Rien ne va plus en physique ! L'échec de la théorie des cordes" (2010), Smolin décrit les promesses de la théorie des cordes mais également ses échecs expérimentaux et ne lui accorde pas d'indulgence.

Dans un article écrit en 1997 sur la gravité quantique à boucles, le physicien théoricien et philosophe des sciences italien Carlo Rovelli (cf. version française) n'est pas plus indulgent quand il pèse le pour et le contre de la théorie des cordes : "le principal mérite de la théorie des cordes est de nous proposer une unification superbe et élégante de toute la physique fondamentale connue, et que l’approximation perturbative est bien définie à tous les ordres. Sa faiblesse est son incomplétude, car le régime non perturbatif qui sous tend le régime perturbatif est très mal compris, et il n’y a pas de formulation indépendante d’un espace de fond, lui servant de cadre, de la théorie.

En fait nous ne savons pas de quoi la théorie parle vraiment. Du fait de la connaissance insuffisante du régime non perturbatif, la physique à l’échelle de Planck et les phénomènes de gravitation quantique ne sont pas faciles à contrôler.

Sauf pour quelques calculs, la théorie des cordes n’a pas prédit grand chose en physique à l’échelle de Planck. Cependant notons deux résultats physiques remarquables.

Le premier concerne des amplitudes de diffusion à très haute énergie. Une conséquence intrigante de ces résultats est qu’ils suggèrent indirectement que la géométrie sous l’échelle de Planck ne peut pas être testée, et d’une certaine manière n’existe pas en théorie des cordes.

Le second, dû à la deuxième version de la théorie consécutive aux d-branes, est l’établissement formel de la formule (de Bekenstein-Hawking) de l’entropie de certains trous noirs."

Bref, aujourd'hui la théorie des cordes ou même des supercordes reste virtuelle et une pure vision de l'esprit .

La gravité quantique à boucles

La théorie de la gravité quantique à boucles est plus modeste que la théorie des cordes. En effet, elle se concentre uniquement sur la "Seconde quantification", c'est-à-dire la quantification de la relativité générale. Mais à l'inverse des théories antérieures qui ne sont pas parvenues à révéler l'éventuelle structure quantique de l'espace-temps, elle ne se base pas sur la relativité générale et son incontournable continuum espace-temps. La gravité quantique à boucles reformule la relativité générale dans une nouvelle théorie des champs.

Elle fut formulée pour la première fois en 1962 par Arnowitt, Deser et Misner dans le cadre des théories de jauge. Ce qui sera appelé le "formalisme ADM" est une théorie des champs plutôt que géométrique. Ainsi, la dynamique du champ gravitationnel est considérée comme un système hamiltonien pouvant conduire à sa quantification.

Les systèmes hamiltoniens

Pour mémoire, un système est dit hamiltonien quand il est régi par les équations de Hamilton. Quand le système présente une régularité voire une périodicité son mouvement est intégrable ainsi que l'a démontré Louiville notamment au XIXe siècle.

Dans un système hamiltonien l'énergie totale H du système (énergie potentielle et cinétique), fonction de certaines grandeurs (positions, impulsion, etc) est conservé au cours du temps. D'autres grandeurs sont également conservées et sont appelées les intégrales premières.

Le même principe s'applique à une fonction d'onde Ψ (équation de Schrödinger) mais également à des phénomènes indépendants du temps (l'énergie n'est plus une dérivée de la fonction d'onde mais une constante) EΨ = HΨ.

Mouvement d'une toupie. Document Michèle Audin.

La toupie par exemple est un système hamiltonien car son énergie totale se conserve tout comme le moment angulaire par rapport à l'axe de symétrie.

Autre exemple, une particule libre prend toujours le chemin le plus court en suivant une géodésique. Le moment de la particule par rapport à l'axe de révolution est une intégrale première.

Enfin, un problème à N corps comme celui d'un mouvement orbital n'a pas d'intégrale première analytique car la plupart montrent un comportement chaotique incompatible avec le théorème d'Arnold-Louiville.

On retrouve cette formulation hamiltonienne en LQG lorsqu'on quantifie la relativité générale.

Cette théorie exclut temporairement les trois autres interactions fondamentales. Elle se fonde uniquement sur les deux théories cadres de la physique : la physique quantique et la relativité générale, sans faire appel à d'hypothétiques supercordes et autres branes qui n'existent que dans des dimensions supérieures.

Les mathématiciens ont alors essayé de trouver de nouvelles variables dites canoniques afin d'utiliser des outils plus simples pour décrire plus facilement ce modèle, le but final de tout changement de variables.

Ce n'est qu'en 1986 que le mathématicien Abhay Ashtekar de l'Université d'Etat de New York parvint à trouver de nouvelles variables canoniques. Il reformula les équations du champ de la relativité générale d'Einstein en utilisant ce qui devront les variables d'Ashtekar, une caractéristique particulière de la théorie Einstein-Cartan comprenant des connexions ou liens complexes.

Deux ans plus tard, les physiciens théoriciens Carlo Rovelli alors à l'Université de Padoue, Lee Smolin de l'Université de Yale et Ted Jacobson de l'Université du Maryland à Washington proposèrent d'appliquer les méthodes de calculs utilisées dans l'électrodynamisme quantique (EDQ) à la relativité générale et la gravitation. Ils utilisèrent le formalisme d'Ashtekar pour créer une représentation quantique à boucles de la relativité générale. Cette méthode semblait prometteuse.

Ils découvrirent que l'équation de Wheeler-DeWitt, l'une des seules équations quantique du champ gravitationnel, admet des solutions qui dépendent de lignes fermées de l'espace, autrement dit des solutions dans lesquelles la courbure de l'espace est fermée (concrètement, en avançant toujours tout droit, un voyageur finirait par revenir à son point de départ). Si ce concept n'est pas nouveau en soi (cf. les modèles d'univers), dans le cadre de la gravité quantique à boucles cela conduisit à une représentation radicalement nouvelle du concept d'espace-temps. Grâce à cette formulation, "l'équation de l'Univers" s'éclaircit.

Représentations de boucles ou mousse dans un espace plan (gauche) et dans un espace tridimensionnel (droite). A l'image des lignes de force de Faraday, les boucles tissent l'espace. Document anonyme et C.Rovelli.

Dans la formulation d'Ashtekar il faut oublier la notion d'espace-temps de la relativité générale car  elle présente une structure discontinue, discrète : les volumes d'univers sont quantifiés devenant des sortes de blocs élémentaires d'espace tandis que l'apparent écoulement du temps naît de la relation entre les évènements quantiques.

Ainsi naquit en 1988 la théorie de la gravité quantique à boucles. Elle tire son nom du fait qu'elle s'appuie sur le calcul de la variation de l'orientation de surfaces le long de boucles.

Dans cette approche originale, les soubassements de l'Univers sont régis par les relations d'incertitudes qui s'appliquent non seulement aux particules, mais également à l'espace et au temps qui deviennent indépendants, formant des quanta ! Quant à la covariance générale des équations (le fait que les champs engendrent leur propre substrat comme l'espace-temps s'engendre lui-même), a priori elle n'est plus nécessaire.

Voyons à présent les détails de cette théorie révolutionnaire.

Prochain chapitre

LQG: un espace-temps discontinu

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