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La vie sur Mars selon les pseudoscientifiques

L'étrange objet de 4 cm en forme de "donnut" surnommé "Pinnacle Island" apparu près du rover Opportunity le 8 janvier 2014. Document NASA/JPL/Cornell.U.Az.

Le cas de Rhawn Gabriel Joseph

En janvier 2014, la NASA annonça que le rover Opportunity avait photographié un étrange objet sur Mars en forme de "donnut", de couleur claire et dont le centre comblé est rouge, qui semblait sorti de nulle part. Comme on le voit à droite, les photos du même endroit prises 12 jours plus tôt n'avaient pas montré cet objet (cf. Los Angeles Times, 2014).

Bien que les spécialistes de la NASA ne savaient pas d'où il provenait, ils ont supposé que le rover l'avait éjecté d'une manière ou d'une autre, ou moins probablement, qu'il s'agissait d'un débris spatial qui avait atterri pendant cet intervalle de 12 jours.

Non seulement il a mystérieusement été déplacé, mais la NASA a également noté que l'objet présentait une étrange composition : il est riche en soufre et en magnésium et contient deux fois plus de manganèse que tout ce qu'ils ont jamais vu sur Mars.

Après investigation, en février 2014 la NASA proposa une explication : "Il s'avère que l'Opportunity à six roues a «créé» sans le savoir lui-même le mystère lorsqu'il est arrivé sur un rocher plus gros, l'écrasant avec la force des roues et sa masse de 185 kg. Des fragments ont été envoyés au sommet de la colline de Solander Point, face au nord, où il grimpe actuellement sur «Murray Ridge» le long du bord ouest d'un vaste cratère nommé Endeavour qui s'étend sur environ 22 kilomètres de diamètre. 

Une pierre roula involontairement sur la pente. Ce fragment de roche - désormais surnommé «Pinnacle Island» - est soudainement apparu sur des photos prises par les caméras d'Opportunity le 8 janvier 2014 (Sol 3540). Et ce même endroit était vide de débris sur les photos prises à peine 4 jours plus tôt - période pendant laquelle le rover n'a pas bougé d'un millimètre. 

Pinnacle Island ne mesure qu'environ 4 centimètres avec un bord blanc visible et un centre rouge - d'où son surnom de «jelly doughnut» (beignet de gelée).

L'énigme martienne a finalement été résolue lorsqu'Opportunity parcourut une petite distance et prit quelques photographies en arrière pour documenter la «scène mystérieuse» pour un examen plus approfondi. Selon Ray Arvidson, chercheur principal adjoint d'Opportunity, de l'Université Washington à Saint Louis, «Une fois que nous avons déplacé Opportunity et inspecté Pinnacle Island, nous pouvions voir directement sur la colline un rocher renversé qui a la même apparence inhabituelle. «Nous avons roulé dessus. On peut voir la piste. C’est de là que provient Pinnacle Island »". 

Le texte et les images explicatives furent republiés dans le webzine "Universe Today" le même jour.

A gauche, une mosaïque d'images prises par Opportunity montrant le mystérieux rocher Pinnacle Island près du rover situé près du pic de Solander Point. Le rocher est soudainement sorti de nulle part dans les images prises au Sol 3540 (8 janvier 2014). Il était absent des images précédentes du Sol 3528. A droite, les débris du caillou écrasé par Opportunity à l'origine du mystérieux rocher de Pinnacle Island. Documents NASA/JPL/Cornell et NASA/JPL/Cornell/Marco Di Lorenzo/Ken Kremer.

Les choses auraient pu en rester là. Mais entre-temps, le 27 janvier 2014, un certain Dr Rhawn Gabriel Joseph, chercheur indépendant diplomé en neurologie dans les années 1970, et aujourd'hui responsable de nombreux sites Internet dont Cosmology.com et Brainmind.com, déposa une plainte contre la NASA auprès du tribunal de district américain de Californie du Nord afin de "contraindre et ordonner à la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et à son administrateur en chef Charles Bolden, le devoir public, scientifique et statutaire qui consiste à photographier de près, à examiner et à enquêter scientifiquement de manière approfondie sur un organisme biologique putatif qui a été identifié (et donc découvert) par [Joseph]".

Selon Joseph, "l'explication de la NASA est bizarre, absurde, ignorante et guère plus qu'une pensée magique". Il exigea donc que le juge ordonne à l'agence spatiale de prendre 100 photos en haute résolution de l'objet et 24 images microscopiques de l'extérieur.

Dans sa plainte, Joseph prétend que "la NASA minimise la découverte de la vie sur Mars comme «une tentative délibérée de tromper la communauté publique et scientifique afin que les administrateurs de la NASA puissent continuer à vider les programmes d'exploration planétaire et à détourner des fonds vers des intérêts privés sans opposition".

Sachant que la NASA et ses administrateurs sont payés grâce à des fonds publics, on ne voit pas vraiment quel serait leur intérêt de détourner des fonds qui leur reviennent vers le privé.

Les scientifiques qui travaillent sur la mission Opportunity ont évidemment ouvertement contesté l'origine biologique de l'objet et comment il serait arrivé là-bas, mais une chose qu'ils n'ont pas contesté, c'est qu'il s'agit bien d'une pierre.

Finalement, la justice "ordonna à Joseph de justifier pourquoi sa cause ne devrait pas être rejetée pour défaut de présenter une réclamation et/ou pour défaut de qualité pour agir". Joseph devait déposer une réponse au plus tard le 4 avril 2014.

La NASA devait-elle écouter Joseph ? Après tout il possède un doctorat... en neurologie. Pas besoin de dire que Joseph est l'archétype du pseudoscientifique et qu'à ce titre sa demande est restée sans suite.

Un champ de sphérules riches en hématite incrustées dans la roche martienne comme des myrtilles (blueberries) découvert par Opportunity en 2004 près du cratère Fram. Leur présence est liée à l'histoire de l'eau sur Mars. Document NASA/JPL/Cornell.

Quelques années plus tard, en mars 2019 Joseph publia sur l'un de ses autres sites Internet intitulé "Journal of astrobiology" aujourd'hui supprimé, un article qui suscita des critiques sur la possibilité d'une vie sur Mars. Selon cet article, une équipe internationale de chercheurs prétendait avoir trouvé des preuves de la croissance de "champignons" sur Mars. Les auteurs se sont basées sur "l'analyse" de plus de 40 images prises par les rovers Opportunity et Curiosity de la NASA, ainsi que sur certaines photos prise par l'imageur à haute résolution HiRISE de l'orbiter MRO (voir plus bas).

Il est intéressant de se pencher sur les qualifications des dix collaborateurs de Joseph ayant cosigné cet article pour le replacer dans son contexte. 

Il y a Rudolph Schild de Cosmology.com et du Centre Harvard-Smithsonian d'Astrophysique (CfA), David Duvall de Cosmology.com et du Département de zoologie de l'Université d'Etat d'Oklahoma, Richard Armstrong de l'École des Sciences de la vie et de la santé de l'Université Aston de Grande-Bretagne, Wei Xinli du Laboratoire de mycologie de l'Institut de Microbiologie de l'Académie Chinoise des Sciences de Béijing, Carl Gibson du Centre Scripps des sciences spatiales d'astrophysique, Olivier Planchon du département de Biogéosciences de l'Université de Bourgogne, Khalid Latif du Centre National d'Excellence en Géologie de l'Université de Peshawar, au Pakistan, Ashraf M.T. Elewa du Département de géologie de l'Université de Minia, en Egypte, N.S.Duxbury du Département de physique et d'astronomie de l'Université George Mason de Virginie et H.Rabb du Groupe de recherche en Astrobiologie de Finlande.

Bref, ce sont tous des spécialistes mais certains le sont dans d'autres disciplines que la biochimie, la biologie ou la géologie, des sciences très utiles quand on s'intéresse à la vie sur Mars. Carl Gibson par exemple est professeur de génie physique et d'océanographie, Olivier Planchon étudie au CNRS la dynamique du climat et Richard Armstrong est chercheur en ophtalmie... De plus, deux auteurs sont des collaborateurs de Joseph sur Cosmology.com qui n'hésitent pas à s'aventurer dans les pseudosciences (alien, conscience quantique, théorie de l'évolution anti-Darwinienne, théories Nazis, etc, cf. sa chaîne sur YouTube) sans même avertir le lecteur qu'il s'agit de pures spéculations et de propos personnels qui n'engagent que les auteurs.

Il est rare de lire un article "scientifique" où plus de la moitié des rédacteurs (54%) traitent d'un sujet en dehors de leur domaine de compétence ! C'est bel et bien de la pseudoscience et leur action ne fait que nuire à la recherche scientifique.

Entre-temps, en octobre 2019 Joseph publia dans la revue "Astrophysics & Space Science" un article consacré à la vie sur Vénus mais il fut rétracté pour fraude en octobre 2020.

En mai 2021, le webzine chinois "South China Morning Post" (SCMP) publia l'article de Joseph sur la vie sur Mars. Visiblement sensible aux critiques, Zoey Yang, la rédactrice en chef de SCMP contacta la coauteure chinoise Wei Xinli à l'Institut de Microbiologie de Béijing. Elle refusa d'être interviewée mais déclara que l'article n'était que "des conjectures et non un examen des échantillons". Ce n'est pourtant pas ce qui titrait l'article qu'elle publia avec Joseph.

Zoey Yang déclara que l'article original avait fait l'objet d'un examen en double aveugle par des pairs après sa soumission le 21 avril 2021 : "Après examen par les pairs, il a été accepté avec des révisions, car nous avons reçu quatre résultats d'examen de différents relecteurs. Ils suggèrent tous que nous l'acceptions après quelques révisions", ajoutant que davantage de critiques seraient invités à partager leurs commentaires. Et de fait, à présent l'article publié sur le site de SCMP aborde le sujet de la recherche de la vie sur Mars.

A gauche, photos extraites de l'article de Joseph et al. "Photos prises depuis l'orbite de Mars. Dans le sens des aiguilles d'une montre à partir du haut : début du printemps. Milieu du printemps. Fin du printemps. Début de l'été. Mi-été. L'automne". Documents NASA/R.J.Joseph et al. (2021). A droite, une photo prise par l'orbiter MRO le 13 mai 2018 pendant l'hiver au pôle Sud de Mars. La calotte de dioxyde de glace carbonique couvre la région. Lorsque le Soleil revient au printemps, des aranéiformes commencent à émerger du paysage. Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2021, des chercheurs ont réalisé des expériences et suggèrent qu'il s'agit de monticules dendriformes qui se forment lorsque la glace de CO2 présente sous la surface se réchauffe et s'évapore par sublimation. Il s'agit d'un processus saisonnier actif que l'on ne voit pas sur Terre (cf. cette photo HD prise par l'imageur HiRISE). Mais à aucun moment, ils n'ont évoqué des formes de vie. Document NASA/MRO.

Le 6 mai 2021, Jackson Ryan de la revue "CNET" publia une critique sur l'article sur Joseph et ses pseudo-preuves de vie martienne. Il avait contacté Jeremy Mold, le rédacteur en chef de la revue "Astrophysics & Space Science" sur la véracité des recherches de Joseph. Un représentant de la revue confirma qu'il avait enquêté sur le processus d'examen par les pairs qui "révéla des inquiétudes quant à sa robustesse". D'autres relectures par les pairs furent ordonnées. Finalement l'éditeur conclut que "l'article offre une évaluation critique insuffisante du matériel présenté et de la littérature citée, et ne parvient pas à fournir une base solide pour les déclarations spéculatives faites dans l'article qui, à notre avis, invalide les conclusions tirées". Joseph retira son article soumis à examen, affirmant que l'éditeur avait cédé à la "pression de la NASA".

Une semaine plus tard, Joseph décida de s'auto-publier sur l'un de ses propres sites Internet nommé "Astrophysics and Space Science Reviews", un nom qui rappelle étrangement celui du journal "Space Science Reviews" géré par Springer Nature. Apparemment, le site géré par Joseph n'existe plus non plus.

Mais en parallèle Joseph et ses dix collaborateurs récidivèrent, réussissant à publier leur article sur la vie sur Mars dans la revue "Advances in Microbiology" en mai 2021 sous le titre "Fungi on Mars? Evidence of Growth and Behavior From Sequential Images" (Des champignons sur Mars ? Preuve de croissance et de comportement à partir d'images séquentielles). Cette revue relativement obscure est publiée par Scientific Research Publishing, dont le siège est en Chine. La revue "Nature" l'a déjà accusée d'avoir republié des articles scientifiques sans autorisation. Elle est considérée comme un éditeur prédateur, facturant des frais aux scientifiques pour être publiés dans ses journaux (ce qui est l'usage)... sans vérifier la qualité des articles soumis. Selon "Nature", lorsque le copyright est ainsi violé Scientific Research Publishing rétracte l'article incriminé. Mais à ce jour, l'article est toujours en ligne sans mise en garde.

De toute évidence Joseph se moque des plaintes et de l'avis des relecteurs : "Plus de 300000 [lecteurs] ont lu "Fungi on Mars?" Pas mal. Trois cents millions auraient été mieux". Autrement dit, ce n'est pas le contenu qui l'intéresse ni même sa réputation, mais le fait d'être publié et que son nom soit cité, même si ce qu'il raconte est totalement faux !

Critique de l'article

Selon Joseph et ses collègues, l'analyse des photos prises par les sondes spatiales envoyées sur Mars montre que "des spécimens blancs amorphes dans une crevasse changent de forme et d'emplacement puis disparaissent" en trois jours.

Joseph et ses collègues présentent également dans leur article des photos de structures ressemblant à des champignons. Objectivement, on voit des formes ressemblant à des concrétions à moitié émergées du sol. Il est vrai qu'une image floue permet les interprétations les plus débridées !

Quatre gros-plans du sol martien extraits de l'article de Joseph et al. A gauche, "Sol 1145 vs Sol 1148. Neuf spécimens sphériques et semi-sphériques reposent sur les gros grains sable de Meridiani Planum. Trois jours plus tard, 12 sphères et demi-sphères supplémentaires apparaissent et 9 [grains présentent] des augmentations de taille et de diamètre. Les spécimens mesurent environ 3 à 8 mm. Photographié par le rover Opportunity". Là où les experts de la NASA voient des concrétions d'oxyde de fer surnommées "blueberries", sans même les analyser Joseph et ses collègues y voient carrément des formes de vie. Au centre, au-dessus, "(À gauche) un "Puffball" terrestre. (Centre) Diagramme de la "tige". (À droite) Sol 257: spécimen martien". En-dessous, "Sol 257 photographié par Opportunity. Spécimens martiens d'environ 3-8 mm de taille ressemblant à des Puffballs (Basidiomycota), certains avec des tiges ou excrétant des spores blanches (léprose) et coupe inférieure, et voile universel qui recouvre les champignons embryonnaires (encroûtants)". Les auteurs imaginent qu'il y a des champignons sur Mars, en particulier des Lycoperdon perlatum ou Vesse-de-loup perlée et des basidiomycètes communs dans nos bois. Document NASA/R.J.Joseph et al. (2021). A droite, l'analyse spectrométrique réalisée par Opportunity en 2004 à divers endroits dans le cratère Eagle. On y trouve une composition minérale basaltique (des minéraux volcaniques) et des quantités variables d'hématite (un minéral ferreux souvent formé dans l'eau). L'image microscopique prise dans le site de "Punaluu" montre un champ de "myrtilles", indiquant que ces grains minéraux sphéroïdaux sont responsables des concentrations élevées en hématite. Rien à voir avec des structures organiques. Document NASA/JPL/Cornell/USGS/U.Mainz.

Il y avait aussi des traces de milliers de formes d'araignées noires qui s'étendaient jusqu'à 300 mètres au printemps et disparaissaient en hiver. Selon les chercheurs, le motif  "se répétait chaque printemps et ... pourrait représenter des colonies massives de champignons noirs, de moisissures, de lichens, d'algues, de méthanogènes et d'espèces réductrices du soufre. Des spécimens noirs ressemblant à des champignons sont également apparus sur le dessus des rovers". Et de conclure "La croissance, le mouvement et les changements de forme et d'emplacement constituent un comportement et soutiennent l'hypothèse qu'il y a de la vie sur Mars".

Comme nous l'avons expliqué, peu après cette publication, dans le webzine "CNET" Jackson Ryan démonta toute l'histoire pour insister qu'il s'agissait de spéculations montées par des auteurs en mal de reconnaissance et versés dans la littérature pseudoscientifique.

Que penser de ces photos et surtout de leur interprétation ? D'abord faisons une mise au point. Un scientifique qui se respecte ne peut pas réaliser une expertise sur une simple photo ! C'est valable pour tout objet, même les météorites.

De plus, comment des personnes prétendant être des "scientifiques" et donc en principe respectant farouchement la méthode scientifique, peuvent-elles expertiser des objets... en dehors de leur domaine d'expertise ? Quel crédit prétendent-elles avoir ? Quelle autre valeur leur avis peut-il avoir que celui d'une personne qui ne maîtrise pas son sujet, les conclusions de leur article en étant des preuves flagrantes ?

En fait l'article de Joseph et ses collègues ne contient que des avis fondés a priori et des spéculations. Leurs soi-disant "preuves" ne reposent sur aucune analyse scientifique des données, que d'ailleurs ils ne possèdent pas. Leur "analyse" ne repose que sur des photos, parfois floues ou prises depuis l'orbite. Les auteurs ne présentent aucune preuve irréfutable et leur raisonnement est loin d'être convaincant.

Bien qu'ils admettent que "les similitudes morphologiques ne sont pas une preuve de vie" et que leurs preuves sont "circonstancielles et non vérifiées", les auteurs affirment malgré tout que la réponse au titre de leur article est un "oui catégorique" (des champignons se développent sur Mars) ! Une telle conclusion est juste digne de pseudoscientifiques !

Extraits de l'article de Joseph et al. A gauche, "Photos orbitales de Mars HiRISE. (A gauche) Jour 1. (Centre) Jour 22. (Droite) Jour 34. Spécimens tachés et linéaires émergeant de taches sombres au sommet de cette dune martienne. Les spécimens linéaires semblent s'étendre vers l'extérieur et vers le bas. La longueur finale des spécimens linéaires foncés est estimée à 60 mètres, avec un taux de croissance estimé de 5 à 10 mètres par jour". Document NASA/R.J.Joseph et al. (2021). Pour la NASA, il s'agit de traces temporaires laissées par des écoulements liquides sur des pentes chaudes surnommées "RSL" (recurring slope linea). Voir aussi cette photo HD prise par l'imageur HiRISE. Lire aussi sur ce site l'article sur les traces d'eau à la surface de Mars.

Tournons-nous plutôt vers de vrais scientifiques qui maîtrisent leur sujet et demandons-leur ce qu'ils pensent de l'article de Joseph et ses collègues, notamment des chercheurs travaillant avec la NASA.

Dans un long article publié dans la revue "Frontiers in Microbiology" le 22 février 2021, Ralf Moeller du Groupe de recherche en microbiologie aérospatiale du Centre aérospatial allemand (DLR) de Cologne, et ses collègues ont réalisé des tests d'endurance et montré que certains types de champignons comme la moisissure noire (Aspergillus niger) très commune sur de nombreux substrats pourraient survivre sur Mars pendant un certain temps (cf. cette séquence de photos)

Mais cela signifie-t-il que des champignons pourraient réellement survivre sur Mars ? A part Joseph et ses dix cosignataires, les scientifiques estiment que c'est très peu probable en raison des conditions extrêmes régnant sur Mars et de la nature du sol. On reviendra sur la survie des microbes et des spores sur Mars.

Le paléontologue et géologue Jonathan Clarke du Centre australien pour l'Astrobiologie et président de la Mars Society Australia n'a pas participé à cette étude mais après l'avoir lu il déclara qu'elle était spéculative et que les preuves présentées étaient loin d'être suffisantes pour étayer les affirmations selon lesquelles il y avait de la vie sur Mars : "La preuve pour moi en tant que géologue qui étudie les analogues de Mars dans des environnements extrêmes sur Terre qui ressemblent aux conditions sur Mars, l'explication fongique n'a pas vraiment de sens. Les conditions sur Mars sont si extrêmes que vous n'allez pas voir de champignons ou tout autre type de vie croître à ce genre de vitesse dans des conditions comme le froid et la basse pression atmosphérique. La vie peut à peine survivre, et encore moins prospérer".

Selon Clarke, les sphérules décrites dans l'article comme ayant les caractéristiques de croissance des organismes vivants sont des concrétions ressemblant à des boules rondes. Elles sont à peu près de la taille d'un grain de poivre et constitués d'hématite, un minerai de fer rouge. Lorsque la roche friable s'est érodée, de petites boules dures sont restées en place : "C'est comme si vous alliez à une plage et qu'il y avait des coquillages. Si le vent souffle, le sable se déplace et expose plus de coquillages. Mais nous ne dirons pas que les coquillages poussent là-bas, c'est juste qu'ils deviennent apparents".

Clarke confirme que le sol martien contient très peu de matière pour assurer la croissance des champignons. "Il n’y a rien dont ils peuvent se nourrir. C'est comme s’attendre à voir un jardin luxuriant pousser soudainement dans un désert presque du jour au lendemain".

Extraits de l'article de Joseph et al. A gauche, "Sol 192 vs Sol 270. Augmentation de la masse des réseaux amorphes blancs après 78 jours (sols). Notez les voies d'eau et les spécimens alvéolés en forme de beignet dans les panneaux supérieurs. Notez la voie d'eau". Au centre, "Sol 51 (à gauche) vs Sol 1089 (à droite). Une partie de la plate-forme Chem Cam du rover Curiosity photographié au Sol 51 et 1038 jours martiens plus tard (Sol 1089). Preuve possible de la croissance de champignons et les bactéries. Comme indiqué précédemment, ces spécimens peuvent représenter l'épanouissement de contaminants vivants qui ont adhéré à cet équipement et ont survécu au transfert de la Terre vers Mars". A droite, "Mars Sol 2718 (en haut à gauche) vs Sol 2813 (à droite et en bas). Croissance de spécimens ressemblant à des bactéries et des champignons sur le rover Opportunity, après 95 jours (martiens) sur Mars". Documents NASA/R.J.Joseph et al. (2021).

Selon le géologue David Flannery, professeur de géophysique et de planétologie à l'Université de Technologie du Queensland et membre de l'équipe scientifique de la mission Mars 2020 de la NASA, "Nous recherchons des traces de vie sur Mars en ce moment. Mais nous les recherchons dans les archives rocheuses et des preuves fossilisées de la vie parce que la surface n'est pas habitable". A ce jour, les données des missions spatiales n'ont renvoyé "aucune preuve d'organismes vivants" sur Mars. "La raison est que le sol est toxique. La surface est constamment irradiée de rayonnements mortels. L'eau liquide ne peut pas persister. Ce n'est donc vraiment pas le genre d'endroit auquel on s’attendrait pour trouver des organismes vivants".

Concernant l'interprétation des photos prises sur Mars, Flannery précise que "Les robots renvoient énormément de données. Nous avons beaucoup d'informations, mais c'est juste que personne n'interprète ces structures comme des champignons. Il n'y a aucune preuve pour cela. Cet article, qui n'est vraiment pas crédible, sera ignoré par la communauté scientifique".

Flannery rappelle aussi que ramener des échantillons de Mars pour examen sera le prochain grand défi de l'exploration spatiale : "La mission sur laquelle je travaille est la première d'une série de missions qui finiront par ramener des échantillons. Cela coûtera plusieurs milliards de dollars et c'est techniquement très difficile. Nous envisageons y arriver dans au moins 10 ans". Aux dernières nouvelles, le retour des échantillons récoltés sur Mars aura lieu après 2030 (cf. Mars Sample Return). A partir de là, les chercheurs pourront discuter en connaissance de cause.

Rappelons que les seules traces organiques (on ne parle pas encore de traces biologiques) découvertes sur Mars furent détectées par le rover Curiosity en 2012. Il s'agit de thiophène (C4H4S), une molécule organique hétérocycle. Opportunity détecta également des composés aromatiques et aliphatiques (cf. I.Loes ten Kate, 2018). Sur Terre, on trouve généralement les tiophènes dans le charbon, le pétrole et... les truffes blanches. Leur présence sur Mars peut être en relation avec des formes ancestrales de vie. En effet, d'éventuelles formes de vie primitives comme des bactéries pourraient produire ces molécules. Mais il est impossible d'en dire plus sans une étude plus approfondie. Des chercheurs ont proposé que les thiophènes auraient également pu être apportés sur Mars par des météorites carbonées ou créés par réduction de sulfate thermochimique.

Nous verrons à propos de la fraude en Science que de nombreuses revues académiques, prestigieuses ou moins réputées publient des articles frauduleux et même des canulars. Pourquoi ? Parce que les relecteurs (referees) sont incompétents ou peu regardants sur le fond des articles soumis. Heureusement ces articles sont rétractés mais parfois seulement des années plus tard. Malheureusement, ils ternissent la réputation de ces revues dont les relecteurs manquent parfois sérieusement de professionnalisme ou de sens critique.

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