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L’ordinateur quantique

Dernières avancées (IV)

Des expériences de physique quantique réalisées dans le cadre d'une preuve de faisabilité (Proof of Concept), c'est-à-dire afin de prouver que ce type de processsus peut fonctionner, ont montré qu'il était possible de piéger un ion dans un microprocesseur (D.Stick et al., 2006), d'utiliser des circuits quantiques comme guide d'onde (A.Politi et al., 2008) ou de fabriquer une porte logique à deux qubits (M.Veldhorst et al., 2015). Autrement dit, il est possible d'exploiter les techniques de fabrication des semi-conducteurs pour transporter des informations quantiques, y compris des atomes, des ions, des électrons et des photons.

Des chercheurs ont également montré qu'il est possible de réaliser une téléportation quantique sur un processeur photonique, l'optique intégrée fournissant une plate-forme polyvalente pour le traitement et la réception d'informations quantiques à grande échelle avec des photons (cf. J.B. Spring et al., 2013; B.J. Metcalf et al., 2014; M.Bentivegna et al., 2015; C.Reimer et al., 2016; J.Wang et al., 2018, etc.).

Cependant, des défis majeurs attendent les ingénieurs quand il s'agit de produire des photons uniques identiques ou intriqués dans de multiples qubits. Un autre défi consiste à interfacer sans bruit des sources multiphotoniques et des opérateurs multi-bits dans un seul appareil.

Téléportation quantique : du microprocesseur au réseau Internet

Téléportation entre chips

Le physicien Daniel Llewellyn de l'Université de Bristol et ses collègues ont annoncé dans la revue "Nature Physics" en 2019 (en PDF sur arXiv) avoir réalisé une téléportation quantique entre deux chips de silicium à l'échelle micrométrique, ouvrant la porte au développement de l'informatique et de la communication quantiques, y compris le futur Internet quantique. En bref, les chercheurs ont réussi à téléporter des états quantiques entre des qubits portés par deux microprocesseurs différents.

Téléportation sur 44 km

Quand il s'agit de construire un véritable Internet quantique fonctionnel, la fidélité des données (la fiabilité ou précision des données) et la distance de transfert sont essentielles. Dans un article publié dans la revue "PRX Quantum" en 2020, la physicienne Maria Spiropulu du Caltech et ses collègues ont annoncé avoir mis au point une preuve de concept d'un réseau quantique dont le niveau de fidélité des données est supérieur à 90% et réussi à téléporter des informations quantiques sur un réseau de 44 km de fibre optique similaire à celui d'Internet. C'est un nouveau record de distance qui étend cette technologie à l'échelle d'une ville.

Selon les chercheurs, "Il s'agit d'une réalisation clé sur la voie de la construction d'une technologie qui redéfinira la façon dont nous conduisons la communication mondiale."

A gauche, diagramme schématique du système de téléportation quantique composé d'Alice, Bob, Charlie et des sous-systèmes d'acquisition de données (DAQ). A droite, schéma expliquant comment les photons d’Alice et de Bob sont discriminés par le séparateur de faisceaux (Beam Splitter) de Charlie. La distinction est modélisée au moyen d'un BS virtuel d'une transmittance connue 50R/50T. Les photons indiscernables contribuent aux interférences au niveau du BS de Charlie tandis que les photons distinguables sont mélangés avec le vide, conduisant à une réduction de la visibilité des interférences de Hong-Ou-Mandel (HOM) et de la fidélité de la téléportation. Consulter l'article scientifique de M.Spiropulu et al. (2020) pour plus de détails.

La nature instable et délicate des informations quantiques rend l'intrication des qubits difficile à maintenir sur de longues distances en raison des interférences. En effet, des fibres optiques plus longues signifient une probabilité plus élevée que le bruit interfère avec les états intriqués.

Jusqu'ici il n'a jamais été démontré qu'un réseau quantique peut fonctionner sur une aussi longue distance avec une telle précision. Chaque preuve de concept réussie rapproche un peu plus les chercheurs de la réalisation d'un véritable réseau. Selon Panagiotis Spentzouris du Caltech et coauteur de cette étude, "Avec cette démonstration, nous commençons à jeter les bases de la construction d'un réseau quantique métropolitain dans la région de Chicago."

Spiropulu et ses collègues ont déjà prévu d'améliorer les performances de leur système avec les mises à jour prévues d'ici le deuxième trimestre de 2021.

En plus d'être rapides et sécurisés, pour l'instant du moins, les scientifiques pensent que les réseaux Internet quantiques agiront comme des extensions spécialisées de l'Internet classique, plutôt que comme un remplacement complet.

QUESS ou la téléportation par satellite

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2017 (en PDF sur arXiv) et résumé dans la revue "Science", Ji-Gang Ren de l'Université des Sciences et de Technologie de Chine et ses collègues ont annoncé avoir réussi la distribution d'une clé cryptographique quantique entre un satellite (Micius) et une station mobile installée à Shanghaï.

Schéma de l'expérience QUESS. Document C.Bickel/Science (données), Jian-Wei Pan.

L'expérience-test ou preuve de concept nommée QUESS alias Quantum Experiments at Space Scale développée dans le cadre du développement du futur Internet quantique a permis de transmettre des données sécurisées en conservant l'intrication quantique d'abord sur 1200 km puis sur 1400 km dans une seconde expérience, pulvérisant le précédent record.

Selon les chercheurs, plus de 1000 paires de photons intriqués furent mesurées simultanément. Ils ont découvert que les photons avaient des polarisations opposées beaucoup plus souvent que prévu par le hasard, confirmant ainsi un effet quantique sur une distance record (notons qu'un test réalisé en 2015 sur une distance plus courte avait été plus rigoureux).

Leur dernier record est le transfert d'un qubit sur 7600 km entre Vienne et Shanghaï via le satellite Micius. En recueillant des informations sur l'état des photons, les chercheurs de chaque site ont pu créer efficacement un mot de passe inviolable qu'ils ont utilisé pour effectuer un appel vidéo sécurisé.

La Banque Industrielle et Commerciale de Chine (ICBC) est particulièrement intéressée par ce projet (et également par l'exploration de la Lune). En effet, selon l'Agence Spatiale Chinoise (CNSA), l'ICBC utilise déjà cette technologie pour transmettre des données cryptées entre les villes de Beijing et Urumqi séparées de 2770 km. Actuellement, le taux de transmission reste faible, variant entre 4 et 10 kilobits par seconde ou kbps (soit entre 0.5 et 1.25 KB/s) contre environ 40 kbps soit 5 KB/s pour les stations les plus rapides. A titre de comparaison, le plus lent des réseaux ADSL fonctionne à 2 mégabits/s (250 KB/s) et est déjà considéré comme "trop lent" par les internautes, la fibre optique atteignant au moins 1 Gbits/s soit 125 MB/s.

Bien sûr, ce n'est qu'un début et nous sommes encore loin d'un Internet quantique par satellite. En effet, pour fabriquer ne fut-ce qu'un ordinateur quantique, il faudra fabriquer beaucoup de processeurs quantiques porteurs de qubits pour surpasser la vitesse de calcul des ordinateurs conventionnels. C'est ici que tout le savoir-faire des ingénieurs entre en jeu et peut favoriser une technologie vis-à-vis d'une autre, opposants les universités et les entreprises entre elles jusqu'à ce qu'un mode de fabrication sorte du lot et rende à la fois le système quantique plus fiable et plus puissant que son concurrent.

Téléportation de qutrits

Après l'expérience satellitaire chinoise de 2017, Chao-Yang Lu et l'équipe de Zeilinger et Pan (que nous surnommerons LZP) ont tenté de téléporter des états quantiques plus complexes comme des qutrits (quantum trits) présentant trois états quantriques (cf. C.-Y. Lu et al., 2019). Une étude similaire fut publiée quelques jours auparavant (cf. B.-H. Liu et al., 2019) mais dont les conclusions créèrent une certaine tension entre les deux équipes de chercheurs. On y reviendra.

Illustration d'un qutrit présentant 3 états quantiques (-1, 0 ou +1). Document T.Lombry.

L'équipe LZP utilisa la triple intrication d'un photon obtenue grâce à des systèmes optiques constitués de lasers, de diviseurs de faisceau et de cristaux de borate de baryum. Une façon d'imaginer cet arrangement mystérieux est la célèbre expérience de la double fente de Young. Pour rappel, dans cette expérience historique et classique, un photon traverse deux fentes en même temps, créant un motif d'interférence ondulatoire. Chaque fente est un état de 0 et 1 car un photon passe par les deux fentes en même temps. Ajoutez une troisième fente que le photon traverse également et le résultat est un qutrit, c'est-à-dire un système quantique défini par la superposition de trois états dans lesquels le chemin d'un photon code les informations.

Cet état quantique doit surtout confirmer l'intrication ou enchevêtrement des qutrits, également connu sous le nom des états de Bell qui précisent les conditions dans lesquelles les particules sont intriquées au maximum (cf. J.S. Bell, 1964). Il est en effet nécessaire de déterminer dans quels états de Bell sont les qutrits pour en extraire des informations et démontrer qu'ils ont transmis ces informations avec une grande fidélité.

Mais qu'est-ce qui constitue la "fidélité" dans le cas de qutrits ? Le physicien théoricien William Wooters du Williams College nous explique ce concept. "Imaginez une paire de dés pondérés. Si Alice a un dé qui tombe toujours sur le 3, mais qu'après l'avoir envoyé à Bob il ne tombe sur le 3 que la moitié du temps, la fidélité du système est faible - la (mal)chance ou la probabilité que les informations transmises soient corrompues est élevée."

La transmission précise d'un message est importante, que la communication soit quantique ou non. Ici, les deux équipes se disputent sur la question de la fidélité. Liu et ses collègues estiment que leur mesure de l'état de Bell prise sur 10 états quantiques est suffisante pour une expérience de preuve de faisabilité. Mais l'équipe LZP soutient que l'équipe de Liu n'a pas mesuré un nombre suffisant d'états de Bell pour affirmer qu'elle est suffisamment fidèle.

Malgré ces critiques, la rivalité entre les deux équipes reste relativement amicale, même si la première téléportation quantique d'un qutrit est en jeu. Les deux équipes conviennent que chacune a téléporté un qutrit, et elles ont toutes deux l'intention d'aller au-delà des qutrits, essayant de téléporter des systèmes à quatre photons intriqués, des ququarts, ou même plus.

Certains chercheurs sont cependant moins convaincus. Le physicien Akira Furusawa qui dirige son propre laboratoire d'optique et d'information quantique à l'Université de Tokyo considère que la méthode utilisée par les deux équipes est mal adaptée aux applications pratiques car elle est lente et inefficace. Les chercheurs acceptent la critique mais défendent leurs résultats comme un travail en cours. Selon Lu, "La science progesse étape par étape. D'abord, vous rendez possible l'impossible. Ensuite, vous travaillez pour le rendre plus parfait."

L’avenir

Secteur public ou privé, la compétition est ouverte

Les scientifiques ne peuvent s'investir dans la recherche que s'ils disposent d'un budget. Et en recherche appliquée il est conséquent si on veut se donner les moyens de réussir.

Qui sont les mécènes ? Souvent l'Etat à travers le financement des universités, des centres de recherches et de son armée mais le plus souvent des entreprises privées du Top 500, du monde de l'informatique, de l'ingénierie ou des finances.

Comme souvent en science, le secteur privé (Bell, BT, IBM, Lockheed, etc.) travaille en collaboration avec l'armée et les centres de recherches publics (CNRS, CEA, CERN, NASA, DARPA, etc.). Ce sont souvent des découvertes dans les technologies de pointe et méconnues du public qui sont les moteurs du progrès et trouvent un jour des applications dans le domaine civil.

Processeur Bristelcone de 72 qubits de Google. Document Quantum Business.

Les résultats de ces travaux peuvent avoir une grande importance stratégique. En effet, la société qui détient les brevets voire le monopole d'un ordinateur quantique tient de fait des relations privilégiées avec les principaux décideurs du monde politique mais également de la finance et de l'informatique, bref les membres du Top 500 de Fortune. Elle a donc le pouvoir d'influencer la recherche de pointe et l'économie de son pays et en corollaire d'en récolter les fruits.

Selon le NIST, la branche technologique du Département américain du commerce, "peu de gens réalisent que la prospérité et la sécurité future de l'Amérique peuvent en partie reposer sur les propriétés exotiques de quelques-unes des plus petites particules de la nature. La recherche en Information Quantique (QI) cherche à contrôler et exploiter ces propriétés pour le bénéfice scientifique et sociétal. Ce domaine combine la physique, la science de l'information et les mathématiques dans un effort pour concevoir des nanotechnologies qui permettront d'accomplir des exploits qui sont impossibles avec la technologie d'aujourd'hui. La recherche en Information Quantique a le potentiel d'étendre et renforcer la force économique et la sécurité des Etats-Unis au XXe siècle comme les transistors et les lasers l'ont fait au XXe siècle."

Ce n'est donc pas par hasard si le DARPA, centre de R&D de l'armée américaine s'intéresse à l'ordinateur quantique à travers son projet QuIST démarré en 2004, sous-traitant une partie de ses activités aux majors de l'informatique.

Si l'Etat reste en général le grand argentier de la recherche scientifique, de son côté une entreprise privée est parfois assez riche pour soutenir le budget d'un projet de recherche dans un secteur de pointe durant plusieurs années pour citer les grands holdings financiers (Goldman Sachs par exemple) et les majors de l'informatique qui tous attendent impatiemment un retour sur investissement. Ce n'est donc pas non plus par hasard si on retrouve ces entreprises soit parmi les sponsors de D-Wave Systems ou de la NASA (Google) soit au coeur de la fabrication des portes logiques et autres transistors quantiques (AT&T, IBM, NEC, HP, etc.).

Les chercheurs s'investissant dans la conception d'un ordinateur quantique le font généralement dans le but d'exploiter l'algorithme de Shor et Grover à grande échelle. Mais il s'écoule souvent une dizaine d'année entre l'idée du projet et le prototype et il en faudra beaucoup plus encore pour aboutir à l'ordinateur quantique universel.

Ce type de recherche nécessitant des moyens colossaux et se projetant à long terme, les chercheurs se concentrent essentiellement sur les problèmes à temps exponentiel et le traitement de données (data, signal et image). Ces projets dépendent étroitement des progrès théoriques et applicatifs, notamment en mathématiques et en nanotechnologie.

Avancées théoriques

Depuis la découverte de Shor en 1994 et avoir dépensé plus d'un milliard de dollars en recherches et développements, l'algorithme quantique de Shor reste encore le plus utilisé et aucune progrès décisif n'a été fait dans ce domaine. L'algorithme de Shor est fondé sur un calcul matriciel et reprend les spécifications d'une séquence de transformations unitaires à appliquer en entrée d'un état quantique et suivi d'une mesure. Le processeur traitant l'opération est un circuit quantique traitant des qubits. La conception de ce circuit assure la décomposition de la matrice unitaire concernée en séquences de portes logiques quantiques simples et appariées. Les valeurs obtenues sont finalement mesurées.

Si le temps d'exécution de certains calculs s'avère exponentiellement rapide dans un ordinateur quantique, encore faut-il parvenir à formuler le problème. En imaginant qu'on y parvienne, dans la théorie de la complexité les problèmes de décision ont un temps d'exécution que les mathématiciens qualifient de soit exponentiel soit polynomial.

Les problèmes NP-complets appartiennent à la première classe car la taille des données en entrée devient vite exponentielle et donc pratiquement inexploitable par les ordinateurs classiques actuels. C'est sur ce genre de problèmes que travaillent la majorité des chercheurs expert en théorie quantique. 

Ceci dit, si la création d'un algorithme exponentiel reste très complexe, trouver un algorithme polynomial pour un problème NP-complet reste une question ouverte, avis aux mathématiciens.

Avancées technologiques

La technologie à RMN inventée par les Drs Gershenfield et Chuang ne semble pas être la voie idéale pour fabriquer un ordinateur quantique. Personne, ni à Los Alamos, au MIT, à Princeton ou chez IBM n’entrevoie de solution au-delà de systèmes dépassant 20 qubits du fait que la décohérence rend les systèmes trop fragiles pour être exploitables. Ah !, si Richard Feynman était encore parmi nous, il aurait peut-être encore eu une de ses idées géniales...

En revanche, la technologie scalable à base de silicium pur est très prometteuse et D-Wave Systems l'a bien compris.

L'autre bonne nouvelle, selon D-Wave Systems la progression du nombre de qubits utilisés dans les ordinateurs quantiques double chaque année, plus rapidement que la loi de Moore. En 2013, on annonçait déjà des ordinateurs de 1 million de qubits vers 2025. En théorie, D-Wave Systems pourrait donc livrer des systèmes de 16 millions de qubits en 2027 !

A l'époque, les projections indiquaient qu'un système adiabatique de 2048 qubits pourrait voir le jour vers 2015. D-Wave le fabriqua en 2014 ! Les experts annonçaient également un système de 10000 qubits vers 2017. D-Wave l'annonça en 2015 !

D-Wave annonca un système de 2000 qubits en 2019 et la vente de la prochaine génération de processeur de 5000 qubits au Laboratoire de Los Alamos (LANL). Selon D-Wave, la vitesse de ce système quantique est "considérablement plus rapide que le calcul classique sur les problèmes d'optimisation des verres de spin 3D, une classe insoluble de problèmes d'optimisation." (cf. A.D. King et al., 2023)

En 2022, D-Wave annonça qu'un système de plus de 5000 qubits était opérationnel au centre de calcul européen JUNIQ en Allemagne. Même si les registres individuels gèrent probablement dix fois moins de qubits, la percée technologique trace la route et le business de l'informatique quantique est une réalité depuis quelques années comme le confirme IBM.

De son côté, en 2023 IBM dévoila son premier microprocesseur quantique de 1121 qubits (et 3000 portes logiques) disposés en nid d'abeille appelé Condor (cf. Nature, 2023). Ce développement suit un chip de 127 qubits présenté en 2021 et un chip de 433 qubits présenté en 2022.

Enfin, si les ingénieurs prévoyaient des systèmes de 10000 qubits vers 2020, ils accusent un retard d'au moins 4 ans.

A voir : Europe’s First Quantum Computer with More Than 5,000 Qubits Launched at Jülich, 2022

D-Wave Quantum Computer Scaling (512Q), D-Waves Systems

Concernant les transistors, en 1988 les ingénieurs étaient capables de placer 10000 transistors sur un circuit intégré et manipulaient des lots de 10000 électrons par device; en 2000 ils sont parvenus à placer 1 milliard de transistors sur la même surface et manipulaient environ 100 électrons à la fois. Depuis 2015, ils peuvent placer mille milliards (1 Tera) de transistors sur la même surface et manipulent 1 électron à la fois !

Ces progrès sont bien tangibles alors que paradoxalement rien ne prouve que les systèmes de D-Wave travaillent dans un univers quantique.

Le CPU de 512 qubits au coeur de l'ordinateur quantique D-Wave Two.

Si on recherche la réduction pure du temps de calcul, un ordinateur classique pourra toujours aller plus vite si on lui greffe des processeurs plus puissants, des bus de communication et des registres mémoires plus rapides. La génération des PetaFLOPS existe déjà (il y en avait une dizaine en 2019) et nous n'avons pas eu besoin du D-Wave.

En revanche, si D-Wave fait ses calculs dans des univers multiples, alors Geordie Rose et ses collègues peuvent avoir le sourire et envisager des projets encore plus ambitieux.

Pour savoir dans quel univers évolue D-Wave et ce que vaut réellement cette invention, Google et la NASA vont jouer avec cet outil pour tenter de comprendre où se cache l'information. Si l'intrication quantique est avérée alors les employés de cette startup sont déjà tous milliardaires puissance n et les Etats-Unis pourront s'enorgueillir de posséder le brevet du XXIe siècle !

Cette invention permettra aux ordinateurs quantiques d'explorer tout un nouveau répertoire d'effets quantiques : couplages, interférences, intrication, non-localité, non déterminisme, ouvrant la voie à de nouveaux types d'algorithmes.

La nanotechnologie pourrait peut-être, ce n'est pas certain, exploiter tous les phénomènes quantiques. Mais pour optimiser leurs chances, les chercheurs doivent pour l'instant focaliser tous leurs efforts sur les effets quantiques, en particulier sur l'intrication quantique.

Pour l'heure, la maintenance d'un système cryogénique, le contrôle de l'intrication, la décohérence et les interférences demeurent des problèmes majeurs pour les ordinateurs quantiques. Mais ils sont considérés comme des problèmes techniques plutôt que fondamentaux.

Dès lors il ne fait aucun doute que demain les laboratoires de R&D s'équiperont d'ordinateurs quantiques. Quant au grand public, il risque de ne jamais avoir accès à cette technologie, sujet trop sensible et de toute façon hors de prix.

Ceci dit restons optimistes. Des ordinateurs quantiques permettent aujourd’hui d’assurer des communications en toute sécurité jusqu’à 10 km de distance. Selon le prix que coûteront ces lignes et la demande, il pourrait y avoir un bel avenir pour la télécommunication quantique. Les services d'espionnages ainsi que l'armée seront les premiers à l'exploiter.

De la machine de Turing au cerveau quantique

La thèse de Church-Turing

Ecartons-nous un instant du cadre purement formel de l'ordinateur quantique pour aborder une question qu'évitent en général les mathématiciens et les physiciens souvent plus rationnels que portés sur des considérations irrationnelles relevant de la science-fiction. Mais c'est une digression passionnante qui va rapprocher l'ordinateur quantique des concepts de la cybernétique et révéler tout son potentiel.

Parmi ces concepts, en 1982 Richard Feynman découvrit le moyen de fabriquer une machine de Turing simulant ou plutôt copiant le comportement de n'importe quel objet physique. Il confirmait la thèse de Church-Turing stipulant : "il existe ou on peut fabriquer un ordinateur universel programmable afin de réaliser toutes les tâches informatiques pouvant être réalisées par n’importe quel objet physique."

En 1984, David Albert découvrit qu’en décrivant un automaton quantique capable de s'auto-mesurer, son système était capable d'effectuer des tâches qu'un ordinateur classique ne pouvait pas simuler. Son automaton pouvait acquérir une information subjective de lui-même qu'il était absolument impossible de mesurer depuis le monde extérieur.

En 1985, le physicien théoricien et philosophe David Deutsch de l'Université d'Oxford et aujourd'hui chez Qubit fit la découverte théorique la plus importante à ce jour. Il publia un article fondateur prouvant que les capacités de calculs de n'importe quelle machine finie obéissant aux lois de l'informatique quantique étaient contenues dans une seule machine, l'ordinateur quantique universel.

Cet ordinateur pouvait être élaboré à partir de l'équivalent quantique des portes de Toffoli auxquelles seraient adjointes quelques opérations supplémentaires afin que les superpositions linéaires d’états |0et |1transforment cette machine en un véritable ordinateur quantique complet, universel.

La découverte de Deutsch implique une légère altération de la thèse de Church-Turing : "il existe ou on peut fabriquer un ordinateur quantique universel programmable afin de réaliser toutes les tâches informatiques pouvant être réalisées par n’importe quel objet physique."

Le problème de la conscience

Certains auteurs estiment que l'ordinateur quantique présente d'intéressantes implications dans le monde de l'intelligence artificielle.

Depuis l'avènement de la technologie, certains inventeurs ont voulu doter leur robot d’intelligence artificielle ou ont cru qu'ils étaient dotés de conscience sur base de principes philosophiques. Depuis les débuts timides de la "bête-machine" de Descartes, l'intelligence artificielle à fait des pas de géant et les robots d'aujourd'hui sont capables d'évoluer sans craindre d'être déséquilibrés ou être à court d'énergie. Mais ce sont pas pour autant des cyborgs qui restent du domaine de la science-fiction malgré la bionique envahissant de plus en plus notre quotidien.

Si nous regardons des créatures artificielles telles que les robonautes de la NASA, Asimo d'Honda ou Atlas de Boston Dynamics ou encore les prouesses des IA génératives (cf. ChatGPT), il est parfois difficile de faire la part des choses, de savoir ce qui est programmé de ce qui est acquis, où est le réflexe et la conscience... simulée. A les voir répondre logiquement à des actions non préméditées ou se regarder dans la glace, tout le monde s’est un jour demandé si finalement ces robots et autres IA n'avaient pas quelque peu conscience d'eux-mêmes. Leur créateur en tout cas aimerait le croire. Mais au vu des grossières erreurs d'appréciation que ces entités font encore, il ne fait aucun doute qu'ils sont dépourvues de la plus élémentaire conscience et même d'éthique. On y reviendra à propos de l'usage de l'intelligence artificielle au quotidien, ses dérives et son impact psychologique.

Certaines personnes considèrent même que l'esprit humain est capable de réaliser des actions impossibles à réaliser par une machine de Turing. Le débat est loin d’être clôturé.

Dans un ordinateur quantique le problème de la conscience prend une toute autre dimension. Si on pousse jusqu’au bout la thèse de Church-Turing évoquée précédemment (cf. page 1), il faut admettre que tout objet, de la pierre à l'Univers considéré dans son ensemble peut être considéré comme un ordinateur quantique et que chacun des processus physique identifiable peut être considéré comme le résultat d'un calcul.

Toutefois Kurt Gödel était convaincu que le cerveau humain n'était pas une machine de Turing, ce que son théorème d'incomplétude est venu soutenir.

Partant de là, si on pouvait assimiler le cerveau humain un ordinateur effectuant des calculs, la conscience en serait alors le résultat. La thèse de Church-Turing nous permet alors d'avancer une idée très hardie qui relève actuellement plus de la science-fiction que de la mathématique : en supposant qu'il soit possible de modéliser le fonctionnement du cerveau par un machine de Turing, il serait possible de simuler la pensée rationnelle consciente en utilisant un ordinateur quantique. Reste à le démontrer et ce sera peut-être l'histoire de toute une génération de chercheurs.

Si les ingénieurs du MIT ou de Qubit pensent qu’il est possible de résoudre le problème de l'intelligence artificielle, certains physiciens tel Roger Penrose de l'Université d’Oxford pense que la conscience est tellement complexe qu'elle requiert une physique beaucoup plus exotique et encore inconnue. Décidément, nous sommes encore loin de la solution.

En guise de conclusion

Un ordinateur quantique ? Mais pour quoi faire ? La vitesse de traitement qui caractérise l'ordinateur quantique rend le concept d'univers parallèle plus concret que jamais. Cette puissance ne peut être libérée qu'en utilisant des algorithmes adéquats mais de l'aveu même des théoriciens ils sont extrêmement difficiles à formuler. La technologie est tout autant balbutiante mais beaucoup de projets sont à l'étude voire opérationnels depuis quelques années, témoignant que les chercheurs sont motivés et ne sont plus tout au fait au stade de la recherche théorique mais ont trouvé des solutions concrètes performantes.

Dans l'état actuel de nos connaissances il faut reconnaître que rares sont les technologies de pointe permettant de fabriquer un ordinateur quantique digne de ce nom. Mais nous savons déjà quel travail lui confier et les idées ne manquent pas.

Optimiser la recherche et le traitement de l'information

L'ordinateur quantique permet d'imaginer de nouveaux types d'algorithmes qui ne fonctionnent pas aussi efficacement sur des ordinateurs conventionnels. Leur vitesse de calcul exponentielle permet d'envisager de les utiliser pour factoriser les nombres entiers, les simulations quantiques, les traitements de données et de signaux voire même pour résoudre des problèmes NP-Complets.

Toutefois certains problèmes ne seront jamais résolus plus rapidement avec un ordinateur quantique.

Aujourd'hui, avec à peine 50 qubits on estime pouvoir simuler des systèmes hors de portée des superordinateurs vectoriels les plus puissants.

Avec l'ordinateur quantique vient toute une nouvelle théorie de l’informatique révolutionnaire qui tient compte des effets de la physique quantique et considère que tout objet physique peut jouer le rôle d’ordinateur quantique.

Dans ce contexte très original, l'ordinateur quantique devient théoriquement capable de simuler une infinité de processus physiques et il cache peut-être dans ces circuits atomiques le secret de la création de l’'ordinateur doté d'intelligence artificielle.

 Le XXIe siècle est sans nul doute celui de l'information, une information qui s'affranchit ironiquement de tout risque de piratage. Demain, c'est-à-dire dans quelques générations, nos administrateurs réseau et nos équipes du support informatique devront peut-être maîtriser la physique quantique pour dépanner les utilisateurs et bientôt on apprendra ses rudiments à l'école primaire ! Finalement les cours préparatoires de physique quantique enseignés aux jeunes élèves de "Star Trek" ne sont peut-être pas si utopiques que cela...

La quantique et ses lois qui nous paraissent si étranges nous permettront peut-être de résoudre les problèmes les plus métaphysiques que se pose la science aujourd'hui à propos de l'esprit ou de l'univers. Car ses moyens nous permettent réellement d'appréhender des questions complexes qu'aucun ordinateur conventionnel ne peut appréhender. Reste bien sûr à le programmer correctement, ce qui fera certainement l'objet de bien des années de durs labeurs. Mais un jour espérons-le, nous pourrons poser à cet ordinateur quantique des questions qui sont aujourd’hui du ressort de la philosophie et qui demeurent pour l'essentiel sans réponse.

Avec une telle motivation, on ne peut qu’encourager les chercheurs qui s’investissent dans cette voie royale et leur souhaiter de réussir leur entreprise.

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Cet article fut publié sur Futura-Sciences en 2005 et est tenu à jour.

Pour plus d'informations

Actualité

Quantum Teleportation Was Just Achieved With 90% Accuracy Over a 44km Distance, Science Alert, 2020

Quantum loop: US unveils blueprint for 'virtually unhackable' internet, Phys.org, 2020

The Quantum Internet Is Emerging, One Experiment at a Time, Scientific American, 2019

Researchers send qubit back in time, Cosmos Magazine, 2019 (et article scientifique de G. B. Lesovik et al.)

China's "Micius" completes intercontinental quantum key distribution, Xinhuanet, 2018

China’s quantum satellite achieves ‘spooky action’ at record distance, Science, 2017

Researchers achieve direct counterfactual quantum communication, Christopher Packham, Phys.org, 2017

Quantum leap: Obstacles remain, but a revolution in computing is almost here, Silicon Angle, 2017

New Superconductor Could Pave Way to Practical Quantum Computers, U.Texas, 2016

The enigma machine takes a quantum leap, Phys.org, 2016

A photon–photon quantum gate based on a single atom in an optical resonator, Nature, 11 August 2016

Europe plans giant billion-euro quantum technologies project, Nature, 26 April 2016

Europe Plans Giant Billion-Euro Quantum Technologies Project (+ EU link), Scientific American, 2016

Chapman, Robert J. et al., Experimental perfect state transfer of an entangled photonic qubit, Nature Communications, 7, 2016

CNSA Suite and Quantum Computing FAQ (PDF) (la NSA avertit sur les dangers de l'ordinateur quantique), 2016

New invention revolutionizes heat transport, Phys.org, 2016 (lignes superconductrices)

Double quantum-teleportation milestone is Physics World 2015 Breakthrough of the Year, Physics World, 2015

Zeno effect' verified—atoms won't move while you watch, Bill Steele/Cornell University, 2015

Quantum computer coding in silicon now possible, Phys.org, 2015

Quantum computing goes to market in tech transfer agreement with Alied Minds, LANL, 2014

Quantum cryptography put to work for electric grid security, LANL, 2013

Laws of Physics Say Quantum Cryptography Is Unhackable. It’s Not, Wired, 2013

In Search of Majorana, Joint Quantum Institute, 2010

Articles scientifiques

Teleportation Systems Toward a Quantum Internet, M.Spiropulu et al., 2020

Quantum teleportation in high dimensions, C.-Y. Lu et al., 2019

Experimental multi-level quantum teleportation, B.-H.Liu et al, 2019

Chip-to-chip quantum teleportation and multi-photon entanglement in silicon (PDF), Daniel Llewellyn et al. Nature, 2019

Ground-to-satellite quantum teleportation (PDF), Ji-Gang Ren et al., Nature, 2017

Direct counterfactual communication via quantum Zeno effect, Yuan Cao et al., PNAS, 2017

Refining Quantum Cryptography, R.Hughes et J.Nordholt, Science, 2011

An elementary quantum network of single atoms in optical cavities, S.Ritter et al., Nature, 2012

Demonstration of entanglement of electrostatically coupled singlet-triplet qubits, M.D.Shulman et al., Science, 2012

Entangling macroscopic diamonds at room temperature, K.C.Lee et al., Science, 2011

Entanglement in a solid-state spin ensemble, S.Simmons et al., Nature, 2011

Generation of three-qubit entangled states using superconducting phase qubits, M.Neeley et al., Nature, 2010

Preparation and measurement of three-qubit entanglement in a superconducting circuit, L.DiCarlo et al., Nature, 2010

Multipartite entanglement among single spins in diamond, P.Neumann et al., Science, 2008

Entangled states of trapped atomic ions, R.Blat et D.Wineland, Nature, 2008

Shor’s discrete logarithm quantum algorithm for elliptic curves, J.Proos et C.Zalka, arXiv, 2003

Resilient Quantum Computation, Knill, Emanuel et al., Science, 1998

Experimental realization of Einstein-Podolsky-Rosen-Bohm Gedankenexperiment - A new violation of Bell inequalitites, A.Aspect, P.Grangier et G.Roger, Phys. Rev. Lett., 1982

On the Einstein Podolsky Rosen Paradox, John S. Bell, Physics, Vol.1, No. 3, 1964

Can quantum-mechanical description of physical reality be considered complete?, A.Einstein, B.Podolsky et N.Rosen, Phys. Rev., 1935

Ressources

D-Wave, YouTube

D-Wave Systems, Inc

What’s under the hood of a quantum computer?, Physics Today, 2021

Quantum Technologies in Space, ESA White Paper, Aug 2019

Dans les coulisses de l’ordinateur quantique topologique, Bernard Ourghanlian, Microsoft France, 2017

Documents pédagogiques du Pr. François Anceau (dont la conception électronique des circuits VLSI logiques)

Cours de Physique quantique (y compris sur les qubits) de Serge Haroche (Collège de France)

Université de Sherbrooke (Can.), pages personnelles des phycisiens et thèses en français

La supraconductivité et le site de Lionel Veltz

Quantum Computing, Colin P. Williams, JPL

Quantum computation: a tutorial, Samuel L. Braunstein

Quantum Computation/Cryptography at LANL

NASA Quantum Artificial Intelligence Lab (QuAIL, NAS) 

John Preskill's course on QC

Institute for Quantum Information (IQI)

Centre for Quantum Computation (QUBIT)

Institute for Quantum Computing (IQC)

NMR Quantum Computation Project (MIT)

Quantum Information at IBM

Fraunhofer Quantum Computing Services.

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