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Le défi des OVNI

Le Project Blue Book (III)

Le 7 avril 1952, le magazine "Life" publia un long article de fond sur le phénomène OVNI,  présentant le problème d'un point vue très original pour l'époque. Il avait été écrit par les journalistes H.B. Darrach Jr. et Robert Ginna qui reçurent toute l'aide nécessaire de Ruppelt et des membres de son équipe d'enquêteurs. On pouvait notamment y lire ceci : "ces objets ne peuvent être expliqués par la science moderne comme des phénomènes naturels mais seulement comme des engins artificiels créés et manoeuvrés par une intelligence supérieure". Si le début commençait bien, la conclusion était un peu hâtive mais correspondait bien aux idées que se faisaient et se font encore certains rédacteurs avides de sensations à propos du phénomène OVNI.

De gauche à droite, les magazines "Life" du 7 avril 1952 et "Look" du 17 Juin 1952 ainsi que le livre du Capitaine E.Ruppelt de l'USAF publié en 1956. Ruppelt fut l'ancien directeur du Project Grudge qui devint le Project Blue Book en mars 1952. Ruppelt est l'inventeur de la dénomination "Unidentified Flying Object" (UFO) à l'origine de l'acronyme OVNI.

A leur décharge, contrairement à ce que pensait Menzel, les auteurs concluaient que ces phénomènes ne pouvaient pas être attribués à des manifestations météorologiques, comme des ballons-sondes, des inversions de température, des reflets, des mirages, voire des hallucinations mentales. Pour sa part, interrogé à propos de l'article, le porte-parole de l'Armée de l’air remis les chose à leur juste place, considérant "que cet article reposait sur des faits réels mais que ses conclusions n'engageaient que la responsabilité de leurs auteurs".

Un mois plus tard, dans un article publié dans la revue "Look", le Dr Menzel[24] montra comment il était parvenu, en laboratoire, à reproduire sous certaines conditions les lumières de Lubbock. La réfraction d'un faisceau lumineux dans un liquide donnait un halo lumineux. Mais où trouvait-il de l'eau dans les descriptions de Lubbock ? Aux yeux de Menzel tous les observateurs avaient monté un canular... : "si un trucage était possible, disait-il c'est qu'il y avait eu trucage".

Officiellement, en 1956 Ruppelt reconnut que "les observations, sauf celles faites au radar, demeurent sans explication". Mais finalement, convaincu par les explications d'un "savant dont il a promis de respecter l'anonymat" - on conviendra qu'il ne peut s'agit que du Dr Menzel - dans le rapport du "Project Blue Book", il attribua les lumières de Lubbock "à un phénomène naturel très commun et facile à expliquer". Il dut perdre la mémoire car chacun sait combien il lui fut facile d'expliquer cet incident : il consacra 16 pages d'explications dans son fameux livre "Face aux soucoupes volantes", avec pour seule ponctuation des points d'interrogation ! Mise à part cette maladroite volte-face dans la dernière ligne droite, Ruppelt avait abattu un travail considérable avec une grande objectivité. Dommage qu'il bâcla finalement tout et perdit ainsi toute crédibilité. L'erreur est humaine dit-on.

La conclusion officielle ne satisfit personne et encore moins lorsque Menzel prit position à propos de l'observation d'un OVNI par un pilote de DC-4 de la PanAm. Le 14 juillet 1952 le capitaine Nash et son copilote William Fortenberry avaient observé six disques rouges brillants, chacun faisant une trentaine de mètre de diamètre. Les OVNI volaient en formation rapprochées, à 600 m au-dessus des eaux de la baie de Chesapeake, près de Norfolk en Virginie. Nash et Fortenberry précisèrent que lorsque les disques furent presque à la verticale de leur avion, ils perdirent leur éclat et s'inclinèrent sur le côté, comme le ferait un avion qui vire sur l'aile. Leur bord d'attaque faisait environ 4.5 m d'épaisseur et la partie supérieure des disques semblaient être plate.

Ils avertirent immédiatement l'Armée de l’air et le lendemain, 12 heures après l'incident, après avoir été interrogés ils survolèrent la région pendant deux heures, sans trouver quoi que ce soit d'anormal.

Il apprirent par la suite que les disques avaient été observés par sept autres témoins dans la même région. Le Project Blue Book classa l'incident comme "inexpliqué". Mais c'était sans compter sur l'imagination du Dr Menzel. Après avoir longtemps discuté avec Nash, il finit par conclure que les deux témoins avaient été trompés par... des lucioles piégées dans le double vitrage du cockpit !

Puis, au mépris des conditions météos relevées le même jour, il conclut qu'il s'agissait une nouvelle fois des reflets de lumières terrestres sur de la brume ou une inversion de température. De telles conclusions n'étaient pas exceptionnelles et l'ouvrage du Dr Hynek en mentionne plus d'une, qu'il n'acceptait évidemment pas. Quel délire !

Ouvrons une parenthèse. Sous le couvert de l'establishment, Donald Menzel, docteur en astrophysique de surcroît, réagit comme s'il s'agissait, à chaque fois, d'une mauvaise interprétation d'un phénomène naturel, qu'évidemment lui seul était à même de découvrir. Devant le fait accompli, chacun devait accepter son interprétation qui ne souffrait aucune exception, parole "d'expert". Cette attitude irrationnelle, ce parti pris évident, ne confirme pas l'esprit d'ouverture que doivent avoir et revendiquent les scientifiques. On ne peut que montrer du doigt et rejeter de la communauté scientifique ce représentant d'une science jamais mise en défaut. J'ignore si on ne lui dit jamais en face, mais le Dr Menzel s'était trompé de métier; il aurait mieux fait de s'occuper de pseudoscience, statut qui semblait lui coller à la peau mais qui est loin de correspondre à l'attitude d'un scientifique. A trop regarder les OVNI, certains finissent aveuglés par les lumières nocturnes.

Après l'article retentissant de "Life", la presse continua à relater les notifications d'OVNI. En mars 1952 le projet Grudge, devenu prestigieux si l’on en croît Ruppelt, se transforma en "Project Blue Book". La petite équipe d'enquêteurs devint une organisation portant le titre d'"Aerial Phenomena Group". Le "Project Blue Book" était à présent indépendant. La publication de ses résultats était assurée par le Bureau de l’Information du Secrétariat de l’Air Force, le SAFOICC.

La vague d'OVNI de 1952

Dans les mois qui suivirent, le rythme des apparitions s'accéléra, si bien que l'on assista à une véritable vague d'OVNI pendant l'été 1952 : 1200 observations en 5 mois, qui touchèrent non seulement la presse locale et nationale mais également les services gouvernementaux. La vague américaine connaîtra son paroxysme en juillet 1952 avec 50 notifications d'OVNI pour la seule journée du 28, alors qu'en temps normal on assistait à 10 ou 20 observations par mois.

Il y eu notamment l'une des premières photographies d'OVNI en plein jour présentée ci-dessous à gauche. Le 16 juillet 1952 à 9 h 35, le garde-côte américain Shell R. Alpert, photographia une formation de quatre OVNI volant en formation en V au-dessus de la base aérienne de Salem, dans le Massachusetts.

Shell R. Alpert, un garde-côte américain prit cette photo montrant des OVNI volant en formation en V au-dessus de la base aérienne de Salem, dans le Massachusetts, le 16 juillet 1952 à 9h35. Document réf. Coast Guard 5554. LoC réf. 2007680837.

Puis, le 19 juillet 1952 à 23h40, les contrôleurs aériens de l'aéroport national de Washington[25], situé à quelques kilomètres de la Maison Blanche, observèrent sept spots sur deux écrans radars ARTC.

D'après le contrôleur en chef Harry G. Barnes, ils se trouvaient à 24 km de distance et se déplaçaient entre 160 et 210 km/h. Barnes appela la tour et apprit que les contrôleurs radar de la base aérienne d'Andrews, située à 25 km de là au Maryland, avaient les mêmes images devant leurs yeux. Brusquement, deux échos accélérèrent et sortirent des écrans avec une vitesse estimée à 10500 km/h. A ce moment là les objets étaient entrés dans la zone interdite, au-dessus de la Maison Blanche et du Capitole. A 3h du matin Barnes avertit le commandant d'escadrille de garde et deux chasseurs prirent l'air une demi-heure plus tard. Après un survol du site, les chasseurs rentrèrent bredouille. Après leur atterrissage les spots réapparurent sur les écrans radars et y demeurèrent jusqu'au petit jour.

L'agitation gagna le Pentagone où, au premier étage, Al Chop, représentant civil du Project Blue Book éprouvait beaucoup de difficulté à contenir l'ardeur des journalistes, tandis qu'au quatrième étage, les officiers de renseignements se prenaient la tête pour tenter d'expliquer cette affaire. Pour Menzel il s'agissait à nouveau d'une inversion de température. Mais Barnes n'accepta pas cette explication : "Les signaux d'inversion sont toujours reconnus par les experts. Nous sommes habitués aux interférences causées par les conditions météorologiques, les oiseaux ou autres". Menzel, qui n'était pas un radariste ne répondit pas.

Le même phénomène se reproduisit le samedi 26 juillet 1952. Quatre ou cinq signaux semblaient se diriger vers le sud de Washington. Les pilotes des avions commerciaux volant aux alentours signalèrent également d'étranges lumières à proximité de l'aéroport. A 23h, Harry Barnes avertit le Pentagone qui envoya, avec un peu de retard, deux avions F-94 à leur rencontre 25 minutes plus tard, en vain. Lorsque les chasseurs furent en vol, les OVNI disparurent des consoles radars.

Après 10 minutes de recherche infructueuses au-dessus de la région, les chasseurs regagnèrent leur base tandis que les échos réapparurent quelques minutes plus tard. Entre-temps des gens situés aux alentours de la base de Langley, près de Newport News téléphonèrent à la tour de contrôle de Washington qu'ils voyaient d'étranges lumières "tournantes et changeant de couleur".

Voyant également les lumières, la tour demanda l'envol d'un intercepteur. Un F-94 qui se trouvait alors en l'air fut guidé par les témoins et se dirigea vers la lumière, mais elle s'éteignit brusquement, "comme lorsqu'on ouvre un interrupteur de lampe". Le pilote garda le cap et obtint un contact sur son radar, mais il ne dura que quelques secondes. L'écho semblait avoir pris de la vitesse et disparut. Le même phénomène se reproduisit deux autres fois. A 3h20, les échos d'OVNI étant toujours présents, deux nouveaux chasseurs décollèrent. Cette fois les OVNI restèrent sur les écrans radars et l'un des pilotes observa 4 lumières. Soudain, il annonça que les lumières encerclaient son avion, et il demanda ce qu'il devait faire au contrôleur au sol. Avant même qu'il n'ait reçu une réponse, les lumières s'étaient évanouies dans l'obscurité. Les avions restèrent en vol puis durent rentré à leur base, par manque de carburant. La même nuit un radar de Californie repéra un écho suspect et un F-94C s'envola. Le pilote et l'opérateur radar constatèrent qu'ils fonçaient vers une grosse lumière de couleur jaune orangé. C'est alors qu'une véritable partie de cache-cache débuta. L'OVNI s'écarta à une vitesse terrifiante chaque fois que l'avion arrivait à portée de tir. Puis, au bout d'une ou deux minutes, l'objet ralentissait et le petit jeu reprenait. Lorsque le Soleil se leva, tous les objectifs avaient disparus.

Les lumières observées au dessus du Capitole à Washington, le 19 juillet 1952 à 23h40. D.R.

Bob Ginna, le spécialiste des questions d'OVNI chez "Life" avec été prévenu de l'incident par son bureau de Washington et appela Ruppelt qui lui dit sans mentir qu'il ignorait ce que l'Armée de l’air comptait faire. Le lendemain matin le Pentagone fut submergé de demandes d'explications. Les autorités restèrent très évasives, si bien que les journaux du lundi soir titrèrent d'énormes manchettes[26] : "Des objets en feu échappent aux avions à réaction au-dessus de la capitale - Enquête enveloppée de secret - Des chasseurs à réaction alertés contre des soucoupes volantes - Vaine poursuite dans le ciel de la capitale - Arrivé d'un expert pour enquêter sur les objets aperçus de nouveau dans le ciel". Ruppelt se souvint d'avoir demandé à son compagnon qui pouvait bien être cet expert. Il comprit quand les journalistes se ruèrent sur lui !

Le surlendemain, le 29 juillet 1952 on parla beaucoup au quatrième étage du Pentagone mais comme le dira Ruppelt, on n'agissait pas. Tous les officiels étaient persuadés que les radars avaient eu des contacts avec des objets solides, mais peu de pilotes avaient eu la confirmation visuelle. Vers 10 heures, le général Landry, aide de camp du président Truman s'inquiéta même de savoir ce qui se passait sur terre ou ailleurs. Ruppelt lui répondit : "les radars peuvent avoir été victimes d'une aberration météorologique, mais nous n'en avons aucune preuve".

Dans l'après-midi, le général Samford, directeur des services de renseignement de l'Armée de l’air, tint une conférence de presse qui fut rapportée par Donald Keyhoe[27]. Fidèle à la politique de la maison pour laquelle il fallait absolument "dégonfler" toute l'affaire, il annonça que les lumières apparues au-dessus de Washington au cours des deux dernières semaines étaient dues à "des phénomènes naturels d'inversions de température". Le général Samford se déroba si bien devant les questions des journalistes qu'ils avaient l'impression qu'on leur cachait quelque chose.

Plusieurs mois plus tard, Ruppelt apprit qu'un pilote de ligne avait un jour été prié par la tour de contrôle de Washington d'identifier un OVNI en avant de la piste, quelque part au-dessus du Potomac. Chaque fois que le pilote effectuait une passe, la tour lui disait qu'il avait dépassé l'objectif. Finalement, ils examinèrent le terrain en dessous d'eux et la seule chose qu'ils virent était le bateau des Wilson Lines qui effectuait la liaison de Washington à Mount Vernon : "J'ignore si le radar avait un truc pour l'altitude dit-il, mais, à coup sûr, c'était ce bateau qu'il repérait. Il y a tant d'enseignes lumineuses dans la région de Washington, qu'on peut regarder n'importe où et apercevoir une "lumière mystérieuse"". Prenons-en bonne note, même si cela n'explique pas la fréquence des observations et semble discréditer la compétence des opérateurs radars et la fiabilité des instruments.

Ce genre de conclusion, souvent invoquée lorsqu'on parle des "anges radars" ou faux échos, mérite quelques explications qui, au demeurant, n'expliquent pas du tout évidemment les lumières de Washington. Tout bon météorologiste sait que dans des conditions normales, la température et le taux d'humidité diminuent à mesure que l'altitude augmente. Mais il arrive que le contraire se produise, que soit la température soit l'humidité augmente avec l'altitude. Une couche d'air chaud peut ainsi se trouver au-dessus d'une couche d'air froid et provoquer ce qu'on appelle une "couche d'inversion de température". Ce phénomène peut jouer des tours extraordinaires aux ondes radios et optiques. Tout radioamateur peut confirmer que ces couches d'inversion peuvent dévier la trajectoire des ondes ultracourtes et les propager à plusieurs dizaines de kilomètres pour leur faire toucher le sol dans un pays limitrophe. La surface de réflexion ne doit pas être ionisée pour autant, la surface plate d'un véhicule ou d'un bâtiment pour faire office de miroir.

A voir : Maj. Gen. John A. Samford's Statement on "Flying Saucers", Pentagon (31 juillet 1952)

Le lecteur ayant connu les antennes TV extérieures doit peut-être connaître une variante de ce phénomène : il se manifestait comme des images fantômes sur les téléviseurs mal réglés; un édifice distant de 20 km apparaissant en silhouette sur l'écran. Etant donné que ces couches d'inversions évoluent au gré des vents, les échos eux-mêmes peuvent apparaître en différents endroits de la région surveillée, donnant l'impression qu'ils se sont déplacés à grande vitesse. Un opérateur ne pensera pas immédiatement à un "ange", il faudra en effet vérifier les conditions météorologiques à cet instant et déterminer le trajet des ondes. Vient se greffer sur ce calcul l'influence du rayonnement solaire en fonction de la fréquence qui modifie relativement fort la propagation des ondes courtes (la différence est très marquée entre la nuit et la journée par exemple). Quand tous ces paramètres sont évalués, il reste à déterminer la probabilité qu'il s'agisse d'un vrai ou d'un faux écho. Il arrive encore que des oiseaux réfléchissent les ondes radios ou la lumière et soient pris pour des OVNI. Le traitement informatique des signaux permet aujourd'hui d'isoler la plupart des "anges" sur base de leur signature atypique et de paramètres dynamiques. L'opérateur expérimenté peut également fonder son appréciation sur l'image plus ou moins floue qu'il observe, mais cela reste très subjectif et donc sujet à polémique.

Après la vague de l'été 1952, le nombre d'observations se réduisit à mesure que la publicité se relâcha et on ne compta "plus que" 3712 notifications d'OVNI entre 1952 et 1956. Comme nous l'avons dit dans l'introduction, la presse publia plus de 16000 articles sur le sujet, y compris les explications de soi-disant spécialistes. Début 1953 la CIA devint même hystérique, considérant que la publicité faite autour des OVNI minait la confiance de la population dans l'armée. Il fallait absolument considérer que les OVNI n'existaient pas.

La CIA publia donc des comptes-rendus dans la presse et plusieurs pilotes vétérans de la guerre, des physiciens, des prix Nobel et même des illusionnistes donnèrent leur avis. Les histoires de soucoupes volantes amusaient les gens et certains chercheurs tournaient volontiers les observations en dérision. Parmi ceux-ci nous retrouvons le Dr Menzel, qui crut trouver, malheureusement peut-on dire, une explication à chaque observation.

Prochain chapitre

L'incompétence de l'US Air Force

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[24] D.H.Menzel, "The Truth about Flying Saucers", Look, 17 june 1952.

[25] E.Ruppelt, "Face aux soucoupes volantes", op.cit., ch.12.

[26] Washington Post, 28 juillet 1952.

[27] D.Keyhoe, "Flying Saucers from outer Space", Tandem, 1973.


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