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La philosophie des sciences

Difficiles sont les belles choses (I)[1]

Tout au long des pages de ce site nous avons essayé de décrire la nature, cette réalité peut-être intelligible tout en soulignant les limites de notre entendement.

Pour conclure, penchons-nous sur notre interprétation de la réalité et tentons de répondre à la question : qu'est-ce que la pensée ? "Une affaire de philosophie" dira Edmund Husserl (1859-1938), le fondateur de la phénoménologie.

Si l'on y réfléchit bien, notre interrogation porte sur un qu'est-ce que, un objet d'étude et non plus sur un qu'est-ce qui, un sujet en devenir empreint de spiritualité. Mais il est difficile d'utiliser un langage ad hoc pour expliquer le monde sensible qui nous entoure en ne considérant que son aspect concret. Etant les produits les plus aboutis de la Création, peut-être les seuls êtres pensants et parlants dans l'Univers, peut-être avons-nous les moyens d'émerger du monde sensible pour voir, comme le dit Nietzsche, l'arbre qui cache la forêt.

La lecture de la philosophie de Platon a fortement influencé la philosophie occidentale, d'Aristote qui suivit directement son enseignement à Descartes ou Heidegger. Mais la philosophie moderne a réalisé une translation du sens des propositions et ne spécule plus sur les mêmes thèmes que jadis. Les jugements de valeurs interprétés comme des certitudes dans la Grèce antique deviennent des principes avec Descartes. Allié à une méthode, l'homme appellera cette philosophie la science.

Tout au long de l'Histoire, les philosophes ont forcé une crise spirituelle qui était sous-jacente aux révolutions culturelles. A notre tour, nous devons faire un effort pour penser notre pensée. Mais il demeurera toujours une question, restée en suspens depuis Platon, l'homme est-il le reflet du divin ? Cette question là n'a pour réponse que le silence.

Le philosophe faisant la lecture du système planétaire. Peinture de Joseph Wright, 1766, exposée au Derby Museum and Art Gallery (UK).

Le philosophe, littéralement traduit comme "l'ami de la sagesse" interpelle les principes fondamentaux de façon rationnelle et s'interroge sur leur réalité ultime (métaphysique), leurs origines et leur validité (épistémologie), leur moralité (éthique) ou leur nature artistique (esthétique). La philosophie joue donc un rôle dans l'étude analytique des concepts, cherchant à démontrer leur structure logique afin de mettre en évidence leurs points faibles. En complément la philosophie vise également à combiner les concepts dans des systèmes unifiés, étiquetant d'un label tous les courants de pensées.

A l'origine, le mot philosophie signifiait recherche de la connaissance pour elle-même. Elle englobait tous les champs de la pensée spéculative, la science, la religion et les arts. De nos jours la philosophie représente plus l'ensemble des valeurs essentielles qui dictent nos actions dans la vie, face à la nature et en société, d'où l'expression de "philosophie de la vie".

Etant donné que la philosophie touche une grande diversité de domaines et que leur ligne de démarcation sont flexibles et mouvantes, la définition de la philosophie reste un objet de controverse.

Nous ne traiterons ici que de la philosophie occidentale, instaurée dans la Grèce antique, et qui fonda la pensée occidentale. Mais n'oublions pas qu'il existe également deux autres courants de pensées bien implantées dans nos civilisations, la philosophie chinoise et l'islam.

De l'école ionienne au néoplatonisme

Le premier courant philosophique dont l'Histoire a conservé un enregistrement remonte à Thalès de Milet (625-545 avant notre ère) dont l'école s'élevait sur la côte ionienne de l'Asie Mineure. Considéré comme des sept sages de la Grèce - comme il y avait les sept planètes des Babyloniens, les sept merveilles du monde ou les sept rois de Rome -, Thalès était passionné d'astronomie, de météorologie et de physique et aimait par-dessus tout spéculer sur la nature des phénomènes. Il estimait que la substance essentielle était l'eau car elle pouvait se condenser, s'évaporer et représentait un processus universel.

Son disciple Anaximandre (610-545 avant notre ère) pensa que le premier principe à partir duquel toute chose évolue était une espèce de matière ou de forme intangible, invisible et infinie qu'il appela "apeiron", ce qui signifie "ce qui n'a pas reçu de détermination". Il réalisa cependant que les substances inobservables pouvaient se retrouver en toute chose. Sa conception anticipa la notion moderne d'univers sans limite. Dans son esprit, l'apeiron était éternel et indestructible et se déplaçait perpétuellement. Les substances ordinaires comme la terre, l'eau, l'air ou le feu généraient les différents objets et les organismes qui formaient le monde sensible.

Anaximène (586-526 avant notre ère) partagea l'idée de substance illimitée et intangible mais, comme Thalès, il se fonda sur l'expérience sensible et proclama la suprématie de l'air sur les autres éléments. L'air occupe tout l'espace mais présente différents degrés de légèreté, allant de la buée que nous expirons, au nuage, jusqu'au minéral.

On peut considérer l'école ionienne comme l'instigatrice de l'explication scientifique au détriment de la mythologie. Elle découvrit l'importance des principes scientifiques dans la permanence des substances et la génération naturelle.

L'univers d'Anaximandre : La terre ressemble à une section de cylindre. Elle est entourée par l'eau, l'air et le feu. Document anonyme et BNF/C-Album.

Au VIe siècle avant notre ère, Pythagore de Samos (580-500 avant notre ère) apparaît comme un demi-Dieu dont Porphyre[2] fit une biographie élogieuse près de huit siècles plus tard. Pythagore fonda à Croton une école d'inspiration plus religieuse et mystique que l'école ionienne. Son idée du monde combine des croyances surnaturelles, éthiques et mathématiques qu'il transforme en une sorte de spiritualisme scientifique. Pythagore considéra que toute chose était fondée sur les nombres et les figures géométriques. Mais tout en essayant de relier les mathématiques aux sciences, il prétendait tenir sa science de Zoroastre, des Hébreux et de Bouddha...

A l'instar de la philosophie Hindoue, il croyait que la pensée était prisonnière du corps, qu'elle se libérait avec la mort et se réincarnait dans une forme de vie supérieure ou inférieure en fonction de son degré d'achèvement. Le but ultime de l'homme serait d'atteindre la purification de l'esprit en cultivant les vertus intellectuelles, en rejetant les plaisirs sensuels et en pratiquant différents rites religieux. Il respectait également une ligne de vie symbolique, refusant par exemple de manger des fèves, de parler dans le noir ou d'attiser un feu avec une épée… Pythagore vivait donc comme un écologiste avant l'époque, et végétarien de surcroît.

C'est l'école de Pythagore qui inventa le mot "philosophia" qui était considérée alors comme une révélation qui procède de ceux qui savent. Pythagore inventa également la "table des oppositions" - dix groupes de termes opposés parmi lesquels nous trouvons limité-illimité, impair-pair, droit-courbe, lumière-obscurité, etc -, l'ensemble ainsi structuré étant dominé par les nombres. Il inventa les lois mathématiques de l'intonation musicale qui donna naissance à la "musique des sphères" et développa une thérapie à base de musique, une manière de conduire l'humanité vers l'harmonisation avec les sphères célestes.

N'oublions pas enfin son fameux théorème, que les géniaux Pascal et Einstein démontrèrent alors qu'ils étaient encore enfant : tout géomètre devait savoir que le carré de l'hypoténuse de tout triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. En donnant à son équation une portée générale, Pythagore donna aux nombres le pouvoir de détenir le secret de l'univers.

Selon les idées que nous avons développées précédemment, l'homme moderne est souvent considéré comme le reflet du sophiste de la Grèce antique (Ve siècle avant notre ère), celui qui découvrit l'humanisme. Mais il faut tout de suite préciser qu'il n'existe pas qu'un seul humanisme, selon les époques on parle d'humanisme dévot, d'humanisme athée, d'humanisme existentialiste, etc. On finit par retrouver la relativisme à travers ce structuralisme !

Pour les Sophistes, c'est l'homme qui donne un sens à sa vie, il est créateur de ses valeurs. Protagoras d'Abdère[3] (fl. 492-422 avant notre ère) écrivait : "L'homme est la mesure de toutes choses, pour celles qui sont de leur existence, pour celles qui ne sont pas de leur non-existence". Il voulait dire que tout relève d'une convention, l'homme est le libre fondateur de ses valeurs. Réussi ou gagne celui qui sait convaincre son auditoire. Cet adage est tellement vrai qu'il nous a été transmis depuis 25 siècles, donnant au formalisme et aux conventions une apparente réalité.

Mais ni Protagoras ni Platon ne connaissait la logique. Le discours des Sophistes parle d'expériences vécues, de témoignages empiristes, non pas pour instruire mais pour persuader. Le langage est habillement utilisé pour amener l'auditeur à rencontrer son expérience, une réalité que tout le monde croit connaître mais qui n'est qu'illusion. Illusion du mot prononcé dont l'orateur ne peut justifier le sens ou le concept qu'il recouvre, illusion du savoir que la plupart croient maîtriser, illusion finalement de l'expression où l'on confond l'utile et l'agréable[4].

A lire : Les textes des Philosophes de l'Antiquité grecque et latine et du Moyen-Âge

Périclès et Platon en discussion avec Aristote. La peinture est extraite du chef d'oeuvre de Raphaël,  l'Ecole d'Athènes exposée au Vatican. Documents ITSC/SNLRC et Euroweb.

Dans "Les Lois" et "La République", Platon refusa d'admettre la supériorité de l'utile sur ce qui était juste. Rêvant d'idéal social et d'une éthique universelle, il recherchera longtemps une définition de la justice qui s'accorderait avec l'"animal politique" que nous étions.

Pour les Sophistes, les phénomènes sont la seule réalité, philosophie individualiste digne d'un relativisme universel. Du temps de Périclès, on avait déjà laïcisé la Cité, les Dieux étaient rejetés dans les mondes supralunaires et ils n'intervenaient plus dans les affaires des hommes. Protagoras prétendait que tout était subjectif. Puisque rien n'était contre nature tout était permis. Comment alors parler d'universaux comme on tenta de le faire au Moyen-Age ? En conséquence, il ne pouvait y avoir de connaissances vraies, de science véritable ou d'éthique puisque le monde sensible était mouvant, changeant au gré des phénomènes. Il n'y avait que des mots à partager, des opinions, des conventions visant à concilier des avis divergents. Ce consensus devait cependant aboutir à une loi reconnue par tous.

Bien que métaphysique, le "monde" platonicien reste très cohérent, l'homme a sa place dans un cosmos organisé par le démiurge, même si l'idée ne plaît pas à tous les théologiens chrétiens (cf. la critique des textes gnostiques et l'élaboration du canon biblique par les Pères de l'Eglise). Si la connaissance totale est une illusion du fait que l'homme a perdu la mémoire de la connaissance de sa vie antérieure, reste donc son utilité. Ce pragmatisme subsistera jusqu'à aujourd'hui sans pour autant que nous devions partager sa doctrine. Mais depuis 2500 ans, ce consensus n'offre aucune garantie de véracité. Doit-on pour autant en conclure que la pensée est vide de sens, que tout n'est que provisoire dans une incertaine réalité[5] ? Si l'homme est immergé dans le monde sensible tel un animal, il peut aussi en émerger pour le contrôler, car il pense et parle. A travers des mots que les sophistes jugent vides et malléables, il peut affronter le monde ou subir sa loi, en bref exister en tant qu'être et rien de plus; c'est l'humanisme.

Prochain chapitre

Suite de l'école ionienne au néoplatonisme

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[1] Fin du dialogue de Socrate dans Platon, le "Le Grand Hippias" (Hippias majeur), p170.

[2] P.des Places, "La vie de Pythagore" (par Porphyre), Les Belles Lettres, 1982.

[3] Protagoras, Fragment 1, c.411 avant notre ère.

[4] Lire à ce propos les ouvrages de Platon traitant du sophisme, tels "Le Grand Hippias", "Phédon", "Le Banquet", "Sophiste", "République" tome VII et l'ouvrage fondamental de David Bohm, tout à la fois philosophique et scientifique, "La plénitude de l'Univers", Le Rocher, 1987.

[5] Titre de l'ouvrage de B.d'Espagnat traitant de physique quantique, "Une incertaine réalité", Gauthier-Villars, 1985.


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