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Les planètes errantes
Présentation Il existe des naines brunes qui sont entrées dans la catégorie des planètes uniquement en raison de leur très petite taille. Parmi celles-ci il a des planètes errantes. En vertu des lois du chaos, suite à des perturbations orbitales et des conditions initiales particulières, une planète (ou un petit corps) peut toujours être éjecté de son orbite voire de son système planétaire et errer dans l'espace, devenant une planète errante. Si l'astre est gazeux et sa masse dépasse 5 à 10 fois celle de Jupiter, on le qualifie de naine brune. L'inverse est également possible. Il existe une petite probabilité (quelques pourcents) qu'une planète errante soit capturée par une étoile. On en déduit qu'il existe deux types de planètes errantes : les naines brunes et les véritables planètes formées dans un disque protoplanétaire puis éjectées de leur système. Les recherches actuelles visent notamment à déterminer la proportion des unes et des autres. A ce jour environ 170 planètes errantes ont été découvertes dont au moins 70 en 2021 grâce au télescope spatial CHEOPS (CHaracterising ExOPlanet Satellite) de l'ESA. Ces astres évoluent au sein d'une association de jeunes étoiles OB située dans les constellations du Scorpion et d'Ophiuchus (cf. N.Miret-Roig et al., 2021). Parmi les planètes errantes, la plus proche est WISE 0855-0714 située à seulement 7.17 années-lumière dans la constellation de l'Hydre. Il s'agit en fait d'une sous-naine brune de type Y, l'une des plus froides découvertes à ce jour (température ~250 K) d'une masse comprise entre 3 et 10 Mj (à un facteur deux près). Son atmosphère contient des nuages et de l'eau (sous de vapeur ou de glace) et ressemble à celle de Jupiter. La deuxième planète errante la plus proche est SIMP J01365663+0933473 située à seulement 20 années-lumière du système solaire. Elle fut découverte en 2016 grâce à ses émissions radioélectriques, une technique qu'on ne manquera pas d'utiliser pour en découvrir d'autres. Cette planète errante est 12 fois plus grande que Jupiter et son champ magnétique est 200 fois plus puissant. Citons également Cha 110913-77344 découverte par le télescope spatial Spitzer à 500 années-lumière dans la constellation du Caméléon. Elle fut considérée originellement comme la plus petite naine brune. L'astre est 8 fois plus massif que Jupiter et est âgé de 2 millions d'années. Il est entouré d'un disque de poussière. Pour comprendre comment se forment les planètes errantes, des astronomes de l'Université de Leyde (cf. A.van Elteren et al., 2019) ont réalisé une simulation comprenant 1500 étoiles situées la région du Trapèze d'Orion. Dans la simulation, environ 500 de ces étoiles contenaient entre quatre et six planètes, ce qui donne à la simulation un total de 2522 planètes. Lorsque les chercheurs ont lancé la simulation, ils ont découvert que les effets gravitationnels des étoiles éjectèrent environ 350 planètes en dehors de leurs systèmes stellaires respectifs. Si cela se produit dans la réalité et qu'on extrapole ce résultat à toute la Voie Lactée, les chercheurs estiment qu'il pourrait exister 50 milliards de planètes errantes dans la Galaxie ! Sur ~200 milliards d'étoiles, cela représente une proportion de 1:4. Un ou deux d'entre elles peuvent même provenir du système solaire.
La difficulté pour débusquer ces planètes errantes est leur très petite taille et leur très faible luminosité, les rendant pratiquement impossibles à détecter en optique (visible ou IR). Actuellement, la méthode des lentilles gravitationnelles est la plus efficace pour les débusquer grâce à l'amplification de la lumière (lors de son passage devant une lentille gravitationnelle, l'amplification de la lumière dure quelques jours pour une étoile et quelques heures pour une planète errante). En revanche, on ne peut pas assurer de suivi de l'objet puisque ces planètes errantes n'ont pas d'orbite fermée autour d'une étoile. Des centaines de candidates de planètes errantes sont en cours d'analyse, notamment grâce aux données des télescopes travaillant dans l'infrarouge. Des analyses spectrométriques ont déjà permis de déceler des molécules de CO et d'eau compatibles avec celles de l'atmosphère de planètes gazeuses. Mais la résolution reste insuffisante pour en savoir plus. Les astronomes espèrent rassembler plus de données et même pouvoir observer des planètes errantes en optique lorsque la prochaine génération de très grands télescopes terrestres et spatiaux sera opérationnelle. Cela a déjà commencé avec le télescope spatial Jame Webb (JWST) lancé le 25 décembre 2021 sur lequel certaines équipes ont déjà demandé du temps d'observation pour étuder les planètes errantes. La découverte et l'étude de plus de 5500 exoplanètes (2024) ont dévoilé une remarquable variété d'astres et ont montré que le système solaire est loin d'être typique. En particulier, les exoplanètes géantes montrent une population très déroutante, remettant en question la théorie conventionnelle de la formation des planètes géantes. Plusieurs observations ont soulevé l'intérêt des chercheurs. Premièrement, les "Hot Jupiters" découvertes à ce jour sont remarquablement proches de leur étoile hôte et bien à l'intérieur de la ligne de glace. Deuxièmement, beaucoup de "Hot Jupiters" évoluent sur des orbites très excentriques et affichent des inclinaisons relatives importantes, en contradiction avec les orbites coplanaires circulaires des planètes géantes de notre propre système solaire. Troisièmement, la détection récente de planètes géantes en orbite autour d'étoiles de faible masse suggère que la formation de planètes géantes est efficace, défiant ainsi la théorie de l’accrétion de planétésimaux. Quatrièmement, cette théorie est également remise en question par l'observation de naines brunes et d'exoplanètes évoluant sur des orbites extrêmement larges, supérieures à 100 UA, approchant même 1000 UA et peut-être les dépassant. Enfin, la présence de planètes errantes constitue également une autre énigme pour cette théorie de la formation des planètes géantes. En août 2006, un couple de naines brunes errantes avait déjà été découvert dans la constellation d'Ophiuchus grâce au télescope NTT de l'ESO installé à La Silla, au Chili. Dénommés Oph 162225-240515 (Oph 1622), le couple se situe à 400 années-lumière. Le mystère s'est encore épaissi lorsqu'en 2023, grâce au JWST Samuel G. Pearson et Mark J McCaughrean découvirent dans le Trapèze d'Orion - une région de formation stellaire âgée de seulement 1 million d'année riches en jeunes étoiles -, 540 possibles systèmes planétaires, des dizaines de naines brunes et, sutout pour la première fois, des planètes errantes en majorité de type Jupiter dont 9% se déplacent en couple. Ces planètes binaires ont des masses comprises entre 0.6 et 13 fois celle de Jupiter. Elles constituent une nouvelle population de planètes binaires dont l'existence ne s'intègre pas facilement dans la théorie actuelle de la formation des planètes géantes.
Ces planètes errantes binaires géantes en orbite l'une autour l'une de l'autre ont été appelées JuMBO (Jupiter Mass Binary Objects) signifiant objets binaires de la masse de Jupiter. En 2023, les astronomes avaient découvert 40 JuMBO et deux systèmes triples, tous évoluant sur des orbites très excentriques. Ils sont généralement séparés l'un de l'autre d'environ 200 UA (il leur faut entre 20000 et 80000 ans pour boucler une révolution mutuelle). La température de ces planètes géantes varie entre 537 et 1260°C. L'origine de la formation des JuMBO et des systèmes triples laisse encore les astronomes perplexes. Des simulations ont montré qu'une théorie alternative de la formation des planètes géantes appelée le modèle d'instabilité gravitationnelle des disques, peut former efficacement des planètes géantes à grande distance de l'étoile hôte. Selon cette théorie, lorsque les jeunes disques protoplanétaires sont suffisamment massifs, ils sont sujets à une instabilité gravitationnelle et développent non pas des anneaux concentriques mais des bras spiraux. Si le refroidissement des disques est suffisamment rapide, ces spirales peuvent se fragmenter et s'effondrer directement pour former des planètes géantes. Dans les conditions typiques des disques protoplanétaires, ce refroidissement rapide peut apparaître au-delà de 50 UA. Ces nuages de gaz et de poussière s'effondrent rapidement et forment des planètes ayant plusieurs fois la masse de Jupiter. Bien que cette théorie présente quelques points faibles, en particulier dans l'explication des planètes telluriques proches de l'étoile, elle peut former efficacement plusieurs planètes géantes au-delà de 50 UA dès les premiers stades d'évolution du disque. Mais il est difficile de tester ces deux modèles de formation sur des exoplanètes matures âgées de plusieurs milliards d'années. Une voie d'exploration prometteuse qui va au-delà des mécanismes intrinsèques a émergé : l'influence de perturbations externes sur les configurations planétaires.
Comme ce fut le cas du système solaire, les systèmes planétaires naissent probablement autour d'étoiles situées dans de jeunes amas stellaires. Dans des environnements stellaires très denses, les interactions gravitationnelles sont fréquentes entre les étoiles et peuvent potentiellement modifier la configuration des systèmes planétaires au fil du temps. Cette interaction dynamique typique des amas stellaires surpeuplés offre une perspective alternative à la formation planétaire et des configurations orbitales des planètes en cours de formation, de quoi combler certaines des lacunes des modèles actuels. C'est dans cette voie que travailla l'équipe de l'astrophysicien Yihan Wang de l'Université du Nevada à l'aide de simulations dynamiques à N corps pour comprendre de quelle manière se formaient les JuMBO. Les résultats de leur étude furent publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2024. Wang et ses collègues ont étudié la possibilité que le passage rapproché d'une étoile puisse entraîner l'éjection de deux planètes sur des orbites extérieures, qui resteraient ensuite liées l'une à l'autre pour former un couple de type JuMBO. Les simulations montrent que les JuMBO pourraient résulter de l'éjection de deux planètes géantes à condition que les deux planètes soient presque alignées lors de l'approche minimale de l'étoile perturbatrice. Ces JuMBO éjectés ont généralement un demi-grand axe moyen environ trois fois supérieur à la séparation orbitale au sein de leur système planétaire d'origine et une excentricité élevée qui les distingue de celles formées initialement. Selon les auteurs, dans les amas stellaires denses, le taux de formation des JumBO peut atteindre quelques pourcents pour les systèmes planétaires étendus. La formation des JuMBO à partir d'éjections de planètes pourrait largement expliquer les observations faites en 2023 dans le Trapèze d'Orion, à condition qu'il existe un nombre suffisant de systèmes exoplanétaires possédant plusieurs planètes géantes en orbite à des distances supérieures à quelques dizaines d'unités astronomiques. Dans la mesure où les astronpmes rassembleront beaucoup plus de données, dans les années à venir ces résultats permettront de tester davantage ce scénario de formation dynamique et de sonder les configurations planétaires primordiales afin de départager les différentes théories sur la formation des planètes géantes de type Jupiter.
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