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La physique quantique

La conception atomique de Bohr (III)

En 1910, Rutherford tenta de trouver une théorie qui expliquerait les propriétés de l'atome. Il remarqua en projetant un rayonnement α (hélions) sur différents matériaux que celui-ci est diffusé sous certains angles bien définis et même renvoyé vers la source, comme s'il existait un point matériel au centre de la matière sur lequel le rayonnement rebondissait.

Cette observation était tout à fait inattendue. Le modèle atomique de Thomson précisait que les particules α devaient traverser le noyau et ne subiraient que de faibles déviations par les charges positives.

Pour expliquer cette collision élastique, en 1917 Rutherford proposa une thèse planétaire de l'atome qui s'articule autour des propriétés électriques de la matière. Celle-ci est rassemblée dans un noyau de très petite dimension, environ 10-14 m de rayon, chargé d'électricité positive autour duquel gravite dans un grand espace vide les électrons négatifs découverts par Thomson. En appliquant les lois de l'électromagnétisme de Maxwell, cet atome (son électron) devait rayonner sur toutes les fréquences, offrant un spectre continu.

Or, quelques années plus tôt, en 1884 le Suisse Johann Balmer[22] avait découvert des raies spectrales dans le spectre visible émis par l'atome d'hydrogène (la série de Balmer). Il démontra que leur présence en des endroits bien déterminés du spectre appliquait une sorte de loi universelle : la série de raies de l'atome d'hydrogène s'obtenait en divisant la fréquence de chacune d'elle par le carré d'un nombre premier, n, le premier des nombres dit "quantiques". De façon générale, pour l'ensemble des raies, dont celles n'appartenant pas au spectre visible cette relation empirique s'écrit[23] :

avec λ, la longueur d'onde

RH, la constante de Rydberg = 1.097x107/m

Pratiquement, pour nf = 2 et ni = 3, λ = 656 nm, c'est la fameuse longueur d'onde de l'hydrogène alpha bien connue des astronomes qui baigne de nombreuses nébuleuses dans un halo rouge et permet également d'étudier l'activité de la chromosphère du Soleil. On observe un phénomène analogue avec le fer ionisé qui permet d'étudier la couronne solaire.

Le modèle atomique de Rutherford traduit que tout atome contient le même nombre de protons que d'électrons, c'est le numéro atomique Z du tableau de Mendeleïev (par exemple Z=6 pour le carbone). Il explique aussi les transitions atomiques qui provoquaient les raies spectrales. Ainsi, un certain ordre naturel se retrouvait tant dans l'orbe des planètes que dans la structure microscopique de l'atome. Cette relation n'est certainement pas fortuite car elle conduisit à la formation de la matière et à l'agencement de tout l'univers, du moins aussi loin qu'il soit possible de l'observer.

Mais en 1911 dans le laboratoire de Rutherford à Cavendish, le physicien danois Niels Bohr fit remarquer que dans son mouvement circulaire l'électron devait s'épuiser en émettant autant d'énergie et finirait inévitablement par tomber très rapidement sur le noyau au bout d'une fraction de seconde (10-8 s). D'un autre côté, le noyau et l'électron étant de charges opposées, la force d'attraction électrique devait agir entre eux. Dès lors, la moindre perturbation orbitale provoquerait l'annihilation de l'atome en moins de 10-17 s ! La théorie devait donc s'incliner devant les faits de l'expérience.

Si les ondes stationnaires sont des multiples et des sous-multiples de la longueur d'onde, cela revient à dire que la longueur d'onde de l'orbitale de l'électron (2πr) est un multiple entier de celle-ci. Exprimé en termes cinétiques et quantiques la formule précédente s'écrit :

Dès lors la circonférence de l'orbitale de l'électron vaut (nλ) ou exprimée sous forme cinétique :

Bohr reprit le concept d’Einstein consistant à dire que le rayonnement transportait des quanta d’énergie. Il reconnaissait ainsi la validité de la constante de Planck et des observations de Balmer. C’est ainsi que Bohr se demanda en 1913 si les raies du spectre ne pouvaient pas s'exprimer selon des proportions simples

Dans son état fondamental l'électron n'émet pas de photon. Mais dès qu'il change d'orbitale, il absorbe ou émet une énergie proportionnelle à h. Jusqu'ici la formule inventée par John Nicholson sera appliquée avec clairvoyance par Bohr. On y retrouve l'intégrale qui définit le mouvement des particules comme étant égale à la constante de Planck multipliée par un nombre quantique. Puisque hν = hc/λ, on retrouve également le résultat empirique de Balmer. Cette formule de Nicholson-Bohr conduira à l'équation finale de Dirac.

A gauche, représentation de différentes formes d'ondes. A droite, l'atome de Bohr et illustration des trois nombres quantiques n, l et s. Documents T.Lombry.

Bohr supposa également que chaque raie correspondait à un saut de l'électron en fonction de son énergie. Il postule que les électrons ne peuvent graviter que sur certaines orbitales, en provoquant des émissions discrètes d'énergie.

Pour empêcher l'électron de s'écraser sur le noyau, il impose une orbitale fondamentale en dessous de laquelle l'électron ne peut pas tomber. Cette formule est déduite des relations précédentes et de la seconde loi de Newton (F = ma) où "F" représente la force électrique (kZe²/r²). Cette loi permet d'aboutir à une relation cinétique qui exprime le rayon de l'orbitale de l'électron en fonction du nombre quantique principal, n. Dans cette équation h est la constante de Planck, Z étant le nombre de protons. Ce "rayon de Bohr" rn est égal à :

Le résultat de Bohr permet du même coup de connaître l'énergie minimale que l'électron pouvait avoir. Dans son état fondamental son énergie Eo vaut :

 [24]

Bohr conserve la loi de la conservation de l'énergie d'Einstein en stipulant que l'énergie gagnée ou perdue (Ei, Ef) par un électron lorsqu'il change d'orbitale se transforme en une absorption ou une émission d'un photon d'une fréquence ν déterminée, telle que :

i,f = Ei - Ef

Mais en 1896 le physicien hollandais Pieter Zeeman découvrit que chaque raie pouvait être composée de plusieurs raies plus fines appelées doublets et triplets, observation confirmée plus tard par Johannes Stark (1913) et Karl Schwarzschild (1916). Cette "structure fine" comme elle sera baptisée n'était pas décrite dans le modèle original de Bohr. De plus celui-ci ne permettait pas à l'électron de graviter sur des trajectoires non circulaires, limitant ses degrés de liberté à une seule variable, n. Cette théorie n'était donc pas complète.

En 1915, pour expliquer la structure fine, Arnold Sommerfeld introduisit un second nombre quantique l, dit nombre quantique secondaire, pour permettre à l'électron de graviter sur des orbitales elliptiques. En 1916, il démontra la dépendance relativiste de la masse sur la vitesse, confirmant la structure fine de l'atome d'hydrogène.

La constante de structure fine α se calcule comme suit :

avec e, la charge élémentaire

, la valeur réduite (h/2π) de la constante de planck h

εo = 1/μoc2 est la constante électrique (permitivité du vide)

μ o, la constante magnétique (perméabilité du vide).

Inventée il y a plus d'un siècle, aujourd'hui α a un sens plus général et est considérée comme la constante de couplage de la force électromagnétique. La valeur de α ~ 1/137.

Pour en revenir à la structure de l'atome, cette théorie, tout comme celle de Bohr ne tenait pas compte de l'intensité des raies. La formule de Bohr indiquait un trop grand nombre de raies par rapport aux analyses de spectroscopie. Il fallait trouver une méthode pour réduire l'intensité de certaines d'entre elles à zéro.

Bohr[25] fit une analyse astucieuse des raies d'émission de l'atome en exploitant les sauts d'énergie quantiques. Il mélangea les théories de Newton (l'orbite de l'électron) et les lois quantiques de Planck ("sauts" d'orbites). Le mouvement de l'électron engendrant un champ magnétique, il introduisit un nombre quantique magnétique m, appelé magnéton. Les séries de raies n'obéissant plus tout à fait à sa loi, Bohr établit une correspondance entre les fréquences observées et celles déterminées par son calcul quantique.

En 1918, sa théorie planétaire de l'atome doit s'adjoindre un "principe de correspondance", que d'aucun considère comme trop artificiel, Werner Heisenberg en particulier. Les physiciens reprochaient à Bohr de chercher à tout prix à maintenir sa théorie. Son principe de correspondance était trop imprécis et certaines raies imposaient le produit de trois nombres quantiques successifs (n, l, m) qu'il ne pouvait plus expliquer.

Samuel Goudsmit et George Uhlenbeck reprirent alors la conception planétaire de la structure de l'atome. L'effet Zeeman résultant en première approximation des mouvements orbitaux des électrons, le mouvement d'un atome devait obligatoirement être lié à sa charge électrique et à sa masse. Or la spectroscopie indiquait l'existence d'effets Zeeman anormaux, que ni la théorie classique ni la théorie quantique ne pouvaient expliquer.

Théoriquement cependant, Einstein et Barnett[26] avaient déjà démontré quelle devait être la grandeur du rapport entre le moment magnétique et le moment cinétique[27] de l'électron. On savait également depuis les travaux de Faraday et de Maxwell que la magnétisation d'un barreau de fer entraînait sa mise en rotation et inversement, c'est le gyromagnétisme. Les effets Zeeman anormaux étaient justement considérés comme des anomalies "gyromagnétiques".

Vingt-cing ans après l'idée suggérée par le physicien irlandais George Francis FitzGerald que l'on connait déjà pour ses idées avantgardistes sur les oscillations électromagnétiques dans l'atmosphère (cf. les résonances de Schumann) et le facteur de contraction des longueurs en relativité, en 1925 Goudsmit et Uhlenbeck[28] émettent l'idée que l'électron dispose d'un magnétisme propre et est animé d'un mouvement de rotation sur lui-même. Ils proposent que l'électron, comme une planète sur son axe, peut tourner dans un sens ou dans un autre, mouvement qu'ils dénommèrent le spin. Sa grandeur était égale aux prédictions : le moment cinétique de l'électron était égal à 1/2 h. Son action pouvait induire certaines raies spectrales non expliquées par la théorie planétaire de Bohr. Le nombre de spin sera le quatrième nombre quantique, s, valant +1/2 ou -1/2 selon les cas (seuls les bosons ont un nombre de spin égal à une valeur entière de h)[29].

Mais la théorie de Bohr éluda totalement les propriétés ondulatoires de la lumière. Les phénomènes d'interférences de phases et d'amplitudes s'accordaient mal avec le concept de corpuscule, sans oublier que l'explication de la structure fine restait incomplète.

1911, premier statut de la théorie quantique

Entre-temps, rappelons que du 30 octobre au 3 novembre 1911, le 1er Congrès Solvay[30] fut organisé à Bruxelles, portant sur "la théorie du rayonnement et des quantas". Toute l'élite de la science était présente et discuta pendant 4 jours de l'essor de la nouvelle physique quantique. Einstein y fit une entrée timide mais il était entouré des non moins célèbres Max Planck tout auréolé de la découverte des quantas, Marie Curie, Maurice de Broglie - frère aîné de Louis -, Paul Langevin, Jean Perrin, Henri Poincaré, Ernest Rutherford, Wilhelm Wien,... un parterre de 24 savants membres du nouveau noyau dur de la physique. On y parla du corps noir et des quantas, des atomes, des principes de la thermodynamique, du chaos, de relativité, autant de concepts considérés avec méfiance par l'ancienne génération de savants.

Le 1er Congrès Solvay organisé à Bruxelles en octobre 1911. Document ULB, Archives et Bibliothèques, série iconographique.

Dans les années qui suivirent, les physiciens allaient progressivement découvrir l'architecture atomique. En 1913, le chimiste américain Théodore Richards découvrit les isotopes des éléments; les mêmes atomes peuvent avoir un nombre différent de neutrons, c'est l'exemple bien connu de l'hydrogène et de son isotope "l'eau lourde", le deutérium (D ou 2H contenant 1 proton et 1 neutron). Citons également le carbone 13 et le carbone 14 ainsi que l'uranium 238, 235 et 234. Aujourd'hui on connaît un bon millier d'isotopes.

A consulter : The Lund/LBNL Nuclear Data Search

Table des isotopes radioactifs et des isotopes

Pour vérifier la validité de la théorie atomique, en 1919 Rutherford parvint à briser un noyau d'azote en le bombardant avec des rayons α. Un noyau d'hydrogène fut émis, preuve que ce noyau était composé de particules plus élémentaires. Celle-ci sera baptisé "proton".

Mais le modèle atomique proton-électron avait un défaut. Si le nombre de spin allait toujours par quantité demi-entière (1/2, 3/2, etc.) le spin du noyau d'azote valait 0. Pour contourner cette difficulté, Rutherford[31] avança en 1920 l'hypothèse que le rayonnement α était constitué de protons et de neutrons, mais il ne parvint pas à détecter cette autre particule qui n'obéissait pas à l'électromagnétisme.

Reprenant son idée, les physiciens allemands W.Bothe et H.Becker bombardèrent du béryllium avec des rayons α et découvrirent que le rayonnement qui s'en échappait était plus puissant que le rayonnement α incident. Ces particules étaient capables de traverser des feuilles métalliques ! Ils supposèrent que ce rayonnement était composé de rayons X de forte énergie. Mais leur jugement était influencé par les découvertes de Marie Curie plutôt que par les suggestions de Rutherford. Sans une chance de pouvoir rapprocher des idées pourtant fort proches de la réalité, plus de 10 ans s'écouleront avant la découverte du neutron.

Cela dit, la théorie atomique évoluait et devenait de plus en plus créative. On savait déjà que l'électron gravitait autour du noyau à une vitesse proche du dixième de celle de la lumière - entre 1000 et plus de 10000 km/s - et il était probable que certaines particules, tels les rayons cosmiques plus énergétiques, se déplaçaient à des vitesses plus élevées. La théorie quantique de l'atome de Bohr devait donc tenir compte de la toute jeune théorie de la relativité d'Einstein.

Elève de Sommerfeld à l'Université de Munich, le physicien allemand Werner Heisenberg expliqua la structure fine du spectre des atomes en 1922. Il s'agissait bien entendu d'une interprétation corpusculaire. A l'occasion s'une série de conférences données par Bohr à Göttingen, Heisenberg[32] inventa les "matrices d'énergie" pour décrire ce spectre particulier. Bohr contribua à sa formulation mathématique. Ces matrices contiennent des quantités discrètes, suivant le principe de discontinuité énoncé par Planck.

Mais face à la théorie de Heisenberg, un nouveau concept était en train de naître, la mécanique ondulatoire.

Prochain chapitre

La structure électronique de l'atome

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[22] J.Balmer, Annalen der Physik, 25, 1885, p80.

[23] A propos de la constante de Rydberg lire, N.Bohr, Nature, 92, 1913, p231.

[24] 1 eV = 1.6x10-19 joule, l'équivalent de l'énergie émise par une lumière quasi infrarouge.

[25] N.Bohr, Philosophical Magazine, 30, 1915, p394.

[26] S.Barnett, Physical Review, 6, 1915, p239.

[27] Le moment est un vecteur qui représente un force. Le moment magnétique est le produit de la charge magnétique par la distance au noyau, le moment cinétique représente l’impulsion, le produit de la masse par sa vitesse.

[28] G.Uhlenbeck et S.Goudsmit, Annalen der Physik, 13, 1925, p953.

[29] L.Thomas, Nature, 117, 1926, p514 - G.Uhlenbeck, Physics Today, 29, 1976, p43.

[30] Ed.P.Marage et G.Wallenborn, “Les conseils Solvay et les débuts de la physique moderne”, ULB, Bruxelles, 1995.

[31] E.Rutherford, Proceedings of the Royal Society of London, A, 97, 1920, p374.

[32] W.Heisenberg, Zeitschrift für Physik, 33, 1926, p879.


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