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La théorie de la Relativité

La relativité générale : des exemples concrets

Les lentilles gravitationnelles (IV)

L'astronome suisse Fritz Zwicky[29] du Caltech avait prédit en 1937 que les galaxies pouvaient provoquer des effets gravitationnels sur la lumière des sources qu'elles viendraient à occulter. Il appliquait les lois de la relativité générale énoncées par Einstein[30]. Situées bien souvent à la limite de la résolution des instruments professionnels, les lentilles gravitationnelles offrent une chance aux astronomes de préciser les paramètres fondamentaux réglant l'évolution de l'univers.

A gauche, des lentilles gravitationnelles dans l'amas de galaxies Abell 2218+120 (ou Abell 2218). A droite, le "smiley" ou anneau d'Einstein dont les "yeux" sont représentés par les deux galaxies SDSSCGB 8842.3 et SDSSCGB 8842.4. Documents NASA/ESA/STScI (HEIC0814A, POTW1506A, 2013-36).

En observant certaines galaxies, y compris les quasars, on assiste quelquefois à de curieux effets optiques : leur image est dédoublée, triplée ou même décuplée à quelques secondes d'arc de distance ou prennent la forme d'arcs autour d'un axe central. Ces images souvent multiples et déformées sont en tous points en parfaites corrélations, offrant entre elles un même décalage spectral, le même dédoublement des raies, les mêmes courbes de luminosité, les mêmes couleurs, etc, au facteur d'intensité près. La plupart des lentilles gravitationnelles ou des effets de lensing amplifient également la lumière des objets distants, y compris des sursauts gamma (GRB).

A l'époque où les astronomes découvrirent les premières images en forme d'arc générées par des lentilles gravitationnelles, ils n'en crurent par leurs yeux car ils ne comprenaient pas ce qu'ils voyaient. Ils ont d'abord imaginé que c'était un défaut optique puis un défaut du traitement d'image. Finalement, ils prirent conscience qu'il s'agissait d'un effet réel produit par une lentille gravitationnelle.

Ces distorsions et autres effets d'amplification ou de multiplication de l'image d'un objet distant confirment l'existence d'une masse sombre déformante quelque part au centre du champ, entre l'objet et la Terre. Les masses déformantes ou amplificatrices de la lumière peuvent être des objets très massifs comme une galaxie, des étoiles ou des amas d'étoiles comme un amas globulaire (dans ce cas on parle de microlensing ou de millilensing).

Analyse de l'amas de aglaxies Abell 1689 dont voici une photo prise avec le HST. Cet amas est situé à 2.2 milliards d'années-lumière. Outre une lentille gravitationnelle centrée sur la galaxie la plus brillante (à gauche), une seconde lentille (schéma de droite) apparaît à gauche et au-dessus du centre de l'image principale. Documents B.Burchell.

On peut imaginer le phénomène optique provoqué par une lentille gravitationnelle en essayant de déformer une pastille sombre en l'observant très près du foyer d'une lentille simple[31]. On observe alors tout autour du centre une ou plusieurs images secondaires déformées en forme d'ellipse, de haricot ou d'arc de cercle. Ces objets sont pour la plupart associés à des amas de galaxies éloignés ou des galaxies très pâles, dont les étoiles massives provoquent des "mirages gravitationnels". Mais il se peut aussi que l'objet sombre soit une galaxie massive située à l'avant-plan voire un trou noir.

Ainsi que le stipule la théorie de la relativité, la déviation de la lumière (β) obéit à la relation suivante :

avec,

2GM/c², le rayon de Schwarzschild

r, le paramètre d'impact ou le rayon projeté à partir du centre de masse de la lentille

La lentille gravitationnelle

Schéma d'une lentille gravitationnelle provoquée par des masses compactes situées entre la source lointaine et l'observateur. La lumière issue de la source (S) est déviée par les objets déflecteurs de masse M, (d'ordinaire une ou plusieurs galaxies) situées dans la ligne de visée de l'observateur. Le nombre d'images (S',S") et leurs séparations angulaires dépendent de la configuration géométrique de la lentille gravitationnelle (objet sphérique ou elliptique), de sa nature (opaque ou transparente) et de sa superficie (compacte ou étendue). Ces caractéristiques donnent différentes courbes caractéristiques avec un nombre d'images pair ou impair. La durée du phénomène varie comme M0.5. Si l'image de la source est sur l'anneau d'Einstein, son éclat est multiplié par 1.34. Son éclat est supérieur à cette valeur si l'image est à l'intérieur de l'anneau et maximum lorsque la distance déflecteur-image est minimale. Document Anthony Tyson (1992).

Dans l'environnement du Soleil, l'effet relativiste est très faible, de l'ordre de 10-5, mais il est déjà cent fois plus important pour les naines blanches. Il faut donc chercher des étoiles ou des systèmes supermassifs, un milliard de fois plus massif que le Soleil pour que les effets relativistes soient significatifs.

En 1935, Einstein avait déjà prédit que si une galaxie se situait juste derrière un point massif, elle se présenterait sous la forme d'un anneau, dont le rayon exprimé en seconde d'arc vaudrait :

avec,

M, la masse de la lentille gravitationnelle déflectrice

DLS, la distance lentille-source

DL , la distance observateur-lentille

DS , la distance observateur-source.

Si la lentille gravitationnelle est elliptique ou non circulaire symétriquement, la symétrie de l'anneau sera brisée en deux ou plusieurs arcs. C'est pourquoi jusqu'à présent peu d'"anneaux d'Einstein" ont été découverts. Ces effets sont néanmoins importants. Pour une galaxie de 1012 M, les images multiples sont séparées d'environ 3". Pour des amas de galaxies de 1014 M, la séparation peut dépasser la minute d'arc.

La lentille gravitationnelle générée par une galaxie massive peut amplifier la lumière des galaxies ou des étoiles plus éloignées jusqu'à 50 ou 100 fois dans les meilleures conditions tandis qu'un amas de galaxies proche peut amplifier la lumière d'une galaxie ou d'une étoile lointaine d'un facteur variant entre 1000 et 40000 fois (cf. la découverte de l'étoile Earendel en 2022), offrant aux astronomes une loupe naturelle leur permettant d'inspecter des astres très lointains qui seraient autrement impossibles à observer, même pour un télescope spatial comme Hubble ou le JWST.

La vidéo suivante décrit la formation des lentilles gravitationnelles.

A voir : Einstein's Rings and the Fabric of Space

Einstein Ring Spotted by Hubble, NASA/GSFC

Gravitational lensing of the distant SPT0418-47 galaxy (schematic)

A gauche, variation du facteur d’amplification de l’image en fonction de la distance de l’objet au centre de la lentille gravitationnelle. Si l’image est sur l’anneau d’Einstein (ligne pointillée) Δ = 1.34. Au centre, l'anneau d'Einstein GAL-CLUS-022058s surnommé "l'anneau fondu" situé à 9.4 milliards d'années-lumière photographié par le Télescope Spatial Hubble. L'anneau mesure 20" de diamètre. L'effet de la lentille gravitationnelle amplifie la lumière de la galaxie distance de 20 fois, permettant au HST de 2.40 m de diamètre de photographier des détails équivalents à ceux visibles dans un télescope de 48 m de diamètre. A droite, l'image obtenue par ALMA de la galaxie SPT0418-47 située à z = 4.225 ou 12.16 milliards d'années-lumière déformée par une lentille gravitationnelle située à l'avant-plan (mais invisible). Voici sa reconstruction. Voir aussi les vidéos ci-dessus. En 2023, une galaxie compagne appelée SP0418-SE-2 fut découverte à l"intérieur de l'anneau grâce au JWST. On y reviendra à propos des découvertes récentes. Documents J.Wambsganss adapté par l'auteur, NASA/ESA/Hubble/Saurabh Jha/Rutgers University, L.Shatz et ALMA/ESO.

Découverte des lentilles gravitationnelles

Le Quasar Jumeau, Q0957+561A-B

La première lentille gravitationnelle fut découverte en 1979. L'astronome anglais Dennis Walsch[32] et ses collaborateurs du Kitt Peak caressaient le désir obscur d'identifier optiquement des radiosources. Le 29 mars, ils observèrent deux images d'un quasar catalogué Q0957+561A-B situé dans la constellation de la Grande Ourse.

Les deux objets séparés de 6" sont de magnitude 17.5 et 16.7 et présentent rigoureusement le même spectre. Walsh supposa qu'il s'agissait de l'image dédoublée d'un quasar unique qui fut appelé le "Quasar Jumeau" (Twin Quasar, cf. le blog).

Le Quasar Jumeau Q0957+561A-B (les deux "étoiles" bleues). Document ESA/NASA/HST.

Quelques mois après cette découverte, alors que le quasar était trop proche du Soleil pour l'observer en visible, l'observatoire radioastronomique VLA du Nouveau-Mexique prit la relève. Sa résolution atteignit moins de 1". L'analyse de l'image double indiqua que le point de coordonnées s'entourait effectivement de deux sources d'émission, chacune ayant un rapport de flux identique aux émissions optiques. L'une des images présentait une extension invisible sur l'autre mais les astronomes attribuèrent cette différente au fait que les jets radios de l'image B étaient plus éloignés de la galaxie déflectrice que ceux de l'image A.

En revanche, les astronomes ne parvenaient pas à localiser la source de ce mirage. Il fallut beaucoup de patience, mais fin novembre 1979 les astronomes du Mont Palomar et de Mauna Kea localisèrent tout près de l'objet associé à l'image B, nommé YGKOW G1, une petite galaxie elliptique à z = 0.355 soit 3.7 milliards d'années-lumière. Très éloignée et très pâle, cette galaxie appartient en fait à un amas de galaxies dont le champ gravitationnel global modifie la disposition des images du quasar.

Le paramètre d'impact de la lentille gravitationnelle G1 indique que son diamètre angulaire est environ 8 fois celui de l'image du quasar (B).

Depuis cette observation, les astronomes ont calculé le décalage Doppler du quasar (A) et obtenu z = 1.407, ce qui représente une distance de 7.8 milliards d'années-lumière. Il se déplace à 210000 km/s ! (vitesse comobile du fait de l'expansion de l'Univers)

Compte tenu du décalage Doppler et des paramètres de la lentille gravitationnelle, on estime que la galaxie G1 mesure moins de 100000 années-lumière (30 kpc) mais représente une masse d'environ 10000 milliards de masses solaires (40 fois la la Voie Lactée) qui explique qu'elle soit capable de dévier les rayons lumineux. Le noyau de cette galaxie, qui semble être une galaxie de Seyfert (un AGN), est situé à moins de 0.5" dans la ligne de visée entre le quasar et l'observateur (on ne peut pas la résoudre). Une telle coïncidence est très rare; on l'observe une fois sur mille quasars.

En 2003, les astronomes Wesley Colley et Rudolph Schild du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian découvrirent un effet de microlensing dans ce même quasar d'une amplitude de 1% et d'une durée de 12 heures alors que généralement elles varient entre 0.05 et 0.3 magnitude mais s'étendent sur quelques mois. Cette observation très rare a permis aux astronomes de fixer des contraintes sur la nature de ce quasar et sur la matière sombre baryonique.

Les composantes du Quasar Jumeau Q0957+561. La composante A est le quasar tandis que B est son image créée par la galaxie faisant office de lentille gravitationnelle. Document P.Fischer et al., 1997.

Schild a également découvert l'émission de jets à 8000 UA du centre de ce quasar et qui s'étendent sur environ 1000 UA. Il a également découvert un champ magnétique émis par un objet supermassif situé au centre du quasar et en rotation. La théorie dominante est que cet objet abrite un trou noir supermassif. Son disque d'accrétion s'étendrait jusqu'à 2000 UA.

Si on met de côté l'effet gravitationnel du Soleil sur le rayonnement des astres, cette lentille gravitationnelle est la plus brillante du ciel.

La "Croix d'Einstein"

Beaucoup plus spectaculaire, en 1984 l'équipe de John Huchra du Centre d'Astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) photographia en haute résolution et réalisa des mesures photométriques et spectroscopiques du noyau de la galaxie spirale Zwicky 2237+0305 alias Q2237+0305 de magnitude 15.2. Malgré sa ressemblance visuelle avec une galaxie spirale ordinaire présentant un imposant noyau, les grands télescopes permettent de distinguer 4 noyaux comme le montre cette photo prise avec le télescope Warsaw de 1.3 m de Las Campanas (cf. A.Udalski et al., 2007). Le spectre de son noyau est typique de celui d'un quasar situé à z = 1.695 soit 5 milliards d'années-lumière.

Grâce au télescope Franco-canadien de l'île d'Hawaï (CFHT de 3.60 m), en 1988 Howard Yee de l'Université de Toronto parvint à résoudre son noyau en 5 condensations très serrées, dénommées depuis la "Croix d'Einstein". Les cinq composantes révélant un spectre identique, il s'agissait bien d'une lentille gravitationnelle reproduisant l'image d'un quasar très éloigné.

A voir : A Quick Look at Lensed Quasars, CXC

La "Croix d'Einstein" G2237+0305 est constituée de cinq images d'un seul objet distant. Ce qui ressemble à une galaxie de 15e magnitude présente un redshift z = 0.0394 et z = 1.695, preuve qu'elle est bien constituée de deux objets situés à des distances différentes, une galaxie à l'avant-plan et un quasar situé à 5 milliards d'années-lumière qui abrite un trou noir supermassif d'un milliard de masses solaires (cf. cet article). L'image de gauche a été réalisée par J.Rhoads, S.Malhotra et I.Dell'Antonio/NOAO/WIYN le 4 oct 1999, celle du centre par le HST (STScI) en 1990 et celle de droite par X.Dai et al. au moyen du télescope spatial rayons X Chandra en 2019. La croix s'étend sur un peu moins de 2".

On découvrit également que l'une des condensations fluctuait isolément. Pour expliquer ce phénomène, les astrophysiciens ont suggéré l'existence de lentilles gravitationnelles secondaires dans le halo de la galaxie, probablement des étoiles très massives qui sont intercalées dans le faisceau lumineux que nous recevons du quasar. Cet effet est appelé le "microlensing". C.Vanderriest et son équipe de l'Observatoire de Paris ont également observé de telles variations lumineuses dans la première lentille gravitationnelle[33].

Aujourd'hui cet objet est catalogué parmi les quasars (QSO J2240+0321). Des analyses de l'effet de microlensing réalisées en 2014 par Mark T. Reynolds de l'Université du Michigan et son équipe ont montré que ce quasar abrite un trou noir supermassif d'un milliard de masses solaires tournant sur lui-même à 65% de la vitesse de la lumière.

Les anneaux d'Einstein

C'est en 1988 que les radioastronomes du VLA découvrirent la première lentille gravitationnelle en forme d'anneau, MG 1131+0456 présentée ci-dessous à gauche, conforme à l'une des prédictions de la théorie d'Einstein proposée dès 1912 (cf. J.Renn et al., 1997).Elle fut identifiée et cartographiée à 6 cm de longueur d'onde soit ~5 GHz. Cet objet fut surnommé "l'anneau d'Einstein" en son hommage.

Quelques années plus tard, une éventuelle contrepartie optique fut identifiée (cf. F.Hammer et al., 1991; S.A. Gladishev et al., 1993; J.E. Larkin et al., 1994) dont la galaxie hôte serait un blazar (une galaxie radio loud) situé à z = 1.13 soit 8.3 milliards d'années-lumière. Une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2020 par Daniel Stern et Dominic J. Walton indique que le quasar se situe à z = 1.849 soit 10 milliards d'années-lumière. L'anneau d'Einstein serait donc probablement l'image d'un quasar déformée par une galaxie naine invisible située à l'avant-plan.

La lentille gravitationnelle PG 1115+080 présentée ci-dessous au centre fut découverte grâce au HST en 1998. Elle provient d'un quasar hôte situé à z = 1.722 soit 9.9 milliards d'années-lumière et présente une forme similaire à MG 1131+0456 comme le montre son photo accentuée révélant l'anneau d'Einstein reliant les quatre images.

"Le trèfle à quatre feuilles", H1413+117 fut découvert en 2004 grâce au satellite à rayons X Chandra. L'objet de magnitude 17.6 se trouve à 7' à l'est de l'étoile HD 124820 de magnitude 9.9. Si à basse résolution, l'objet ressemble à uneétoile, comme on le voit ci-dessous à droite, il s'agit d'un quasar formé de 4 images dont les composants sont séparés d'environ 0.9". Voici une image accentuée prise par le HST. Le quasar hôte se situe à z = 2.57 soit 11 milliards d'années-lumière.

A voir : Gravitational lensed quasars, Hubble Site

A gauche, MG 1131+0456, le premier anneau d'Einstein découvert en 1988 grâce au VLA. Au centre, la lentille gravitationnelle PG 115+80 photographiée le 31 mars 1999. A droite, le "Trèfle à quatre feuilles", la lentille gravitationnelle H1413+117 découverte en 2004. Il s'agit d'une image composite radio (VLA, en vert) et optique (HST). Documents VLA, CASTLES Survey/NASA/ESA/STScI et NRAO/STScI/CISCO/NAOJ.

Grâce au Télescope Spatial Hubble, dans le cadre du programme H0LiCOW (Ho Lenses In COsmograil's Wellspring, qu'on peut approximativement traduire par "Les lentilles Ho dans la Source du Graal Cosmique" dont les travaux furent publiés en 2017, de nombreuses lentilles gravitationnelles y compris en forme d'anneau d'Einstein ont été observées dans les quasars.

En 2024, le catalogue tenu à jour par l'Université de Cambidge répertoriait 220 objets de ce type, dont quatre spécimens spectaculaires sont présentés ci-dessous : respectivement les quasars HE0435-1223, B1608+656, RX J1131-1231 et le "fer à cheval cosmique" (Cosmic horseshoe) qui entoure la galaxie LRG 3-757.

Dans chaque cas, le quasar est représenté par les images multiples et en particulier par les "étoiles" brillantes multiples situées en périphérie le long des arcs de cercle, des positions apparentes résultant des déformations produits par les effets de lensing gravitationnels provoqués par la galaxie située au centre et à l'avant-plan qui dévie les rayons lumineux émis par le quasar hôte comme l'explique la vidéo ci-dessous.

A voir : Strong Gravitational lensing

A gauche, le quasar HE0435-1223 dont voici une vue générale situé à 2.3 milliards d'années-lumière dans la constellation d'Eridan. C'est l'un des rares spécimens où les quatre "étoiles" fluctuent à tour de rôle. A sa droite, B1608+656 situé dans la constellation du Dragon dont voici une vue générale du champ prise par le HST en 2014. A droite du centre, RX J1131-1231, un quasar qui abrite également un trou noir supermassif et des exoplanètes. Il se situe à ~6 milliards d'années-lumière dans la constellation de la Poupe. Voici une photo prise par le JWST en 2024. A droite, le "fer à cheval cosmique" (Cosmic horseshoe) située dans la constellation du Lion entourant la galaxie rouge lumineuse LRG 3-757 au moins 10 fois plus massive que la Voie Lactée. L'arc mesure 0.013" ou 13 mas de diamètre. Voici l'image générale couvrant un champ d'environ 2.6'. Documents H0LiCOW team/NASA/ESA/MPI, U.Cambridge/Space Telescope et ESA/Hubble/NASA.

L'analyse de HE0435-1223 (ci-dessus à gauche) a permis de découvrir que les quatre "étoiles" - les images du quasar - fluctuent à tour de rôle, un phénomène qui a permis de déterminer le taux d'expansion de l'Univers, la fameuse constante de Hubble avec une précision de 3.8% soit Ho = 71.9 ±2.7 km/s/Mpc, compatible avec un modèle d'univers ΛCDM plat.

Le "fer à cheval cosmique" présenté ci-dessus à droite, fut découvert en 2007 dans le cadre du sondage SDSS et étudiée en détail grâce au HST (cf. V.Belokurov et al., 2007). Il est formé par une galaxie située à l'arrière-plan dont la lumière est déformé par une galaxie très massive (100 fois la masse de celle d'arrière-plan) située à l'avant-plan cataloguée LRG 3-757 et classée parmi les galaxies rouges lumineuses (LRG, qui ont une émission infrarouge extrêmement intense), d'où l'important contraste de couleur. Notons que cet objet est accessible par photographie aux amateurs bien équipés moyennant une très longue exposition (cf. la photo exposée 26 heures au total prise par Mark Dikinson avec un C14).

A consulter : Gravitationally Lensed Quasar Database, CAM

Des lentilles gravitationnelles en forme d'anneau d'Einstein photographiées grâce au HST. Documents NASA/ESA/SLACS Survey Team : A.Bolton/U.Harvard/Smithsonian, S.Burles/MIT, L.Koopmans/Kapteyn Ast. Inst, T.Treu/UCSB, L.Moustakas/JPL-Caltech (4 colonnes de gauche) et NASA/ESA/J.Schmidt et Y.Tamura et al./U.Tokyo/ALMA (colonne de droite).

SDSS J1004+4112 

En 2003, une équipe internationale d'astronomes découvrit des lentilles gravitationnelles dans l'amas de galaxies massives SDSS J1004+4112 situé dans le Petit Lion à z = 0.68 soit 7 milliards d'années-lumière, présenté ci-dessous (cf. N.Inada et al., 2003). La découverte fut confirmée en mai 2006 grâce au Télescope Spatial Hubble, battant le précédent record (cf. STSci). Depuis, cet amas de galaxies est étudié en détails par les chercheurs (cf. J. Fohlmeister et al. (2007); J.A. Muñoz et al. (2022) et R.Forés-Toribio et al. (2022)) afin de mieux comprendre la distribution des masses dans les amas de galaxies, y compris de la matière sombre.

L'analyse de cette photographie révèle les images multiples de 7 galaxies d'arrière-plan dont une est identifiée dans 3 images à z = 1.73, 2.74 et 3.33 (cerclées de rouge ci-dessous au centre), ce qui signifie que leur lumière nous arrive depuis des époques différentes. On distingue aussi 4 images (A,B,C,D) reproduisent à l'identique au facteur de déformation près, celle du quasar Q0157-001 (en orange et cerclé de bleu) situé au centre de la galaxie elliptique orangée à z = 1.734 soit 9.9 milliards d'années. Il existe une cinquième image nommée E au centre de l'amas mais elle est très pâle.

La séparation maximale des quatre images du quasar est de 14.62", ce qui est une valeur élevée, et implique également un décalage temporel important. Selon les mesures publiées en 2022, il y a un décalage de ~41 jours entre les images A et B séparées de 3", de ~822 jours entre A et C et d'au moins 1250 jours entre A et D. Par rapport à l'image source du quasar, l'image D nous arrive avec un délai ~2459 jours; les photons D ont donc parcouru 6.73 années-lumière supplémentaires. L'image B présente un délai de ~782 jours (2.14 ans) et l'image A de ~825 jours (2.26 ans).

Sur base des modèles de lentilles gravitationnelles, le facteur d'amplification est de 1.18 et est conforme aux simulations HDM des amas de galaxies massives.

Photographie des lentilles gravitationnelles découvertes dans l'amas de galaxies massives SDSS J1004+4112 en 2006 grâce au HST. Voir le texte pour les explications. A droite, schéma du trajet des rayons lumineux. Documents Hubble Site et Hubble Site adaptés par l'auteur.

Dans certains cas, la masse déformante est constituée de matière sombre invisible. Indétectable avec nos moyens actuels, elle l'est indirectement en traçant le rayonnement X du gaz chaud intra-amas.

MACS J0717.5+3745

L'amas de galaxies MACS J0717.5+3745 alias MACS 0717 présenté ci-dessous à gauche fut photographié en 2015 par le HST. Il se situe dans la constellation du Cocher à z = 0.5458 soit environ 5.4 milliards d'années-lumière. Il contient quatre sous-amas et rassemble des galaxies de magnitudes variant entre +26 et +29 représentant une masse totale de 1015 M soit plus de 1000 fois la masse de la Voie Lactée. A ce jour, c'est l'amas le plus massif à z > 0.5 et celui comprenant les plus grandes lentilles gravitationnelles.

Cet amas comprend également à l'arrière-plan plusieurs dizaines de galaxies naines situées à plus de 13 milliards d'années-lumière, ayant existé 600 à 900 millions d'années après le Big Bang durant l'ère de réionisation de l'Univers.

L'amas Abell 370

Grâce au ciel exceptionnel de l'île d'Hawaï, de nombreux objets ont révélé des structures en forme d'arc. La plus surprenante s'étend sur plus de 30" à travers l'amas Abell 370 présenté ci-dessous à droite situé dans la constellation de la Baleine. De magnitude +22, sa signature spectrale requit un temps d'intégration (d'exposition CCD) de 6 heures. Cet amas se situe à z = 0.375 soit environ 4.1 milliards d'années-lumière.

A gauche, l'amas de galaxies MACS J0717.5+3745 photographiées par les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. Le champ couvre environ 3'x3'. A ce jour, cet amas présente les plus grandes lentilles gravitationnelles. A droite, la lentille gravitationnelle de 30" d'arc photographiée par le HST dans l'amas Abell 370 situé à environ 4 milliards d'années-lumière. Documents NASA/ESA/STScI/Spitzer et NASA/ESA/STScI.

L'amas de Pandore, NGC 2744

On a également découvert des lentilles gravitationnelles multiples dans le célèbre amas de galaxies de Pandore alias Pandora, Abell 2744, présenté ci-dessous. Situé à 3.5 milliards d'années-lumière dans la constellation du Sculpteur, Pandora couvre visuellement un champ inférieur à 2' soit 15 fois plus petit que le diamètre apparent de la Lune. Il contient environ 100 galaxies "brillantes" (Mph de 28.6 à >30) et plus de 3000 galaxies pâles situées à plus de 12 milliards d'années-lumière. Sa masse totale est estimée à 4000 milliards de masses solaires !

En raison de sa masse colossale, certaines petites galaxies y compris celles présentant un redshift z = 8 à 10 présentent des effets de lentilles gravitationnelles, leur image se démultipliant jusqu'à trois fois autour de la masse déformante (cf. D.Lam et al., 2014; P.A.Oesch et al., 2015).

En modélisant précisément les déformations, les astronomes ont pu localiser cette masse qui est essentiellement constituée de matière sombre (en bleu sur cette photo composite visible/X). Par le truchement du rayonnement X du gaz chaud, ils ont découvert que cette matière invisible s'étend sur au moins 10' et représente environ 75% de la masse de cet amas !

A consulter : Frontier Fields.org

L'amas de Pandore, Abell 2744, situé à 3.5 milliards d'années-lumière photographié par le HST dans le cadre du programme "Frontier Fields". A gauche, dans ce champ réduit à 2'x3' d'arc, une analyse détaillée révèle plusieurs lentilles gravitationnelles, dans ce cas-ci générées par de la matière sombre. Cet amas comprend également à l'arrière-plan des galaxies naines de magnitude +29 formées entre 600 et 900 millions d'années après le Big Bang, durant la réionisation de l'univers. Au centre, un agrandissement de la partie inférieure de l'image de gauche, indiquant trois galaxies similaires qui sont en fait des reflets, des images d'une autre galaxie dont la lumière est déviée par une lentille gravitationnelle. A droite, un magnifique arc gravitationnel découvert dans le même amas. Documents NASA/ESA/STScI/Spitzer et Frontier Fields.

PSZ1 G311.65-18.48

Un autre exemple de lentille gravitationnelle très brillante est PSZ1 G311.65-18.48 (alias Planck PSZ1-ARC G311.6602-18.4624 ou PSZ1 G311 en abrégé) présentée ci-dessous. Elle fut découverte en 2014 dans le cadre du sondage Planck de l'ESA grâce au télescope NTT de 3.58 m de l'ESO (à ne pas confondre avec le télescope de 3.60 m) installé à La Silla (cf. H.Dahle et al., 2016).

PSZ1 G311 se situe dans un amas de galaxies massif situé dans la constellation de l'Oiseau de Paradis (Apus) près du pôle céleste austral entre l'étoile HD 140535 de magnitude 8 et la galaxie IC 4555 de magnitude 13.6 (cf. cette photo générale extraite du DSS couvrant un champ d'environ 12'x9'). L'amas de galaxies se situe à l'avant-plan à z = 0.443 soit 4.6 milliards d'années-lumière. Il présente trois grands arcs gravitationnels en bordure du champ comprenant au total 12 noeuds; ce sont des copies de la même galaxie appelée PSZ1 G311.65-18.48 (dite PSZ1) surnommée "Sunburst Arc". Sur base de l'intense émission Lyα des arcs et de modélisations, elle se situe à z = 2.37 soit plus de 10.9 milliards d'années-lumière. L'effet de lentille gravitationnel a amplifié la lumière de la galaxie PSZ1 entre 10 et 30 fois soit d'environ 3 magnitudes. Deux de ses arcs sont visibles en haut à droite de l'image. Chacun mesure environ 10"x1". L'arc brillant situé au-dessus du centre (nommé Nord ou N) est composé d'au moins six copies de l'image de PSZ1 comme le montre les interprétations ci-dessous.

La lentille gravitationnelle PSZ1 G311.65-18.48 surnommée "Sunburst Arc" située à environ 4.6 milliards d'années-lumière. Le champ couvre 2.5'x2.2'. Il comprend 12 lentilles gravitationnelles en forme d'arc à sa périphérie; ce sont des "reflets" ou copies de la même galaxie PSZ1 située à près de 11 milliards d'années-lumière. A droite, un gros-plan sur le transitoire surnommé "Godzilla", une étoile située juste au centre du grand arc gravitationnel NW. Documents NASA/ESA/HST, Rivera-Thorsen et al. (2019).

Godzilla

A droite de l'arc N de PSZ1 G311.65-18.48 se trouve un autre arc plus mince et plus long nommé NW (mais que plusieurs auteurs nomment SW) présenté ci-dessous dans lequel se trouve un transitoire surnommé "Godzilla", par référence aux monstres géants kaiju dans le cinéma japonais. Il s'agit d'une étoile et même de la plus lumineuse de l'univers dans l'absolu (cf. J.M. Diego et al., 2022; Nature, 2022). Son spectre ressemble à celui des étoiles variables de la Voie Lactée, telles qu'Eta Carinae, ce qui suggère que Godzilla pourrait être proche de la fin de sa vie. On pense que Godzilla traverse un épisode similaire à la grande éruption d'Eta Carinae au XIXe siècle, au cours de laquelle l'étoile fut probablement parmi les plus brillantes de l'univers, avec une luminosité de 50 millions L. L'amplification extrême de Godzilla est en partie due à une sous-structure proche, probablement une galaxie naine, non visible sur les images du JWST, qui est également proche de la courbe critique de l'amas (la courbe rouge ci-dessous à gauche). On pense que cette sous-structure indétectable est dominée par la matière sombre. Lire aussi l'étude des arcs publiée en 2019 par l'équipe de Sebastián.López de l'Université du Chili.

Interprétation des composantes de la lentille gravitationnelle SZ1 G311.65-18.48. La courbe critique représentée par la courbe rouge est celle d'une source à z = 2.3703 soit plus de 10.9 milliards d'années-lumière. Les rectangles gris indiquent les arcs géants de l'arc Sunburst. A droite, le détail des arcs N et NW. Sur l'image C, "Tr" indique le transitoire "Godzilla". Documents K.Sharon et al. (2022) et J.M. Diego et al. (2022).

Un contre-arc nommé SE est visible en bas à gauche de l'image, partiellement caché par une étoile brillante de la Voie Lactée. Les plus petits détails visibles dans les arcs mesurent 520 années-lumière de diamètre. PSZ1 nous montre à quoi ressemblait les galaxies à l'ère de la réionisation (qui commença 150 millions d'années après le Big Bang).

SMACS J0723.3-7327

L'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327 (SMACS 0723 en abrégé) présenté ci-dessous fut la première image prise par le JWST mise en ligne en 2022. Cet amas est situé dans la constellation du Poisson volant (Volans) à 3° du Grand Nuage de Magellan à z = 0.44 soit ~4.6 milliards d'années-lumière. Il fut découvert en 2011 dans le cadre du sondage Planck de l'ESA et est également catalogué PLCKESZ G284.99-23.7. A l'époque, c'était l'image la plus profonde du ciel jamais prise et reste encore parmi les plus spectaculaires par le nombre d'images déformées par une lentille gravitationnelle. Depuis, le JWST battit son propre record avec d'autres images tout aussi spectaculaires.

Cette image est un composite panchromatique en couleurs arbitraires (sous filtres F090W, F150W = bleu; F200W, F277W = vert et F356W et F444W = rouge) représentant un temps d'intégration total de 12.5 heures réparties sur plusieurs semaines. On distingue clairement les effets d'une puissante lentille gravitationnelle générée par la grande galaxie spirale barrée située au centre de l'image surnommée "Sparkler" (la scintillante, dans le sens qu'elle brille comme un diamant) qui déforme l'image de certaines galaxies et grossit les images des galaxies lointaines situées à l'arrière-plan entre z = 13 et z = 20 qui autrement seraient invisibles (cf. les galaxies les plus lointaines). Les agrandissements révèlent ce qui ressemble à des amas globulaires évolués dans certaines galaxies de cet amas.

A gauche, à des fins de comparaison, l'image de l'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327 obtenue par le HST. A sa droite, la première image du même champ prise par la caméra NIRCam du JWST publiée par le Webb Space Telescope le 11 juillet 2022. Voici l'image HD (5 MB). Il s'agit d'un compositage panchromatique en couleurs arbitraires. A sa droite, l'interprétation de l'analyse du champ. Les cercles cyan montrent les positions de plusieurs images identifiées dans le modèle pré-JWST et les cercles verts sont les images multiples nouvellement identifiées avec le JWST. La ligne rouge délimite la ligne critique pour une source à z = 10. Document G.B. Caminha et al. (2022). A droite, trois champs profonds extraits de l'image par Alson Wong comparés à ceux pris par le HST.

MACS J0416.1-2403

En 2023, l'équipe du JWST publia une nouvelle photo de l'amas de galaxies MACS J0416.1-2403 (MACS0416 en abrégé) présentée ci-dessous comprenant de nombreux objets déformés par une lentille gravitationnelle. Il est situé dans la constellation d'Eridan à environ 10° au sud de la constellation d'Orion à z = 0.397 soit environ 4.3 milliards d'années-lumière.

Les chercheur ont identifié dans ce champ 14 transitoires (des fluctuations de lumière) dont 12 sont situés dans trois galaxies fortement agrandies par des lentilles gravitationnelles plus ou moins massives. Il s'agit probablement d'étoiles individuelles ou de systèmes stellaires multiples qui sont temporairement et brièvement très fortement agrandis. Deux transitoires se situent dans des galaxies situées à l'arrière-plan qui sont modérément agrandies et sont probablement des supernovae.

Mothra

Parmi ces transitoires, l'un se situe sur un arc rougeâtre agrandi ci-dessous à droite. Son spectre révèle qu'il se situe vers z ~ 2.2 soit 10.7 milliards d'années-lumière. Il se trouve donc à l'arrière-plan de l'amas et évolue environ 3 milliards d'années après le Big Bang. Il est déformé par une lentille gravitationnelle qui a amplifié sa lumière au moins 4000 fois soit de plus de 8 magnitudes ! Il fut identifié sous la référence EMO J041608.8-240358 et surnommé plus prosaïquement "Mothra". Il rejoint "Godzilla", une étoile découverte dans la lentille gravitationnelle PSZ1 G311.65-18.48 précitée. Pour rappel, "Mothra" est un autre monstre géant kaiju dans le cinéma japonais.

Les archives montrent que "Mothra" est également visible dans une image prise par le HST publiée en 2014. Plusieurs objets non identifiés amplifient cette image. Selon les modélisations, le principal objet aurait une masse comprise entre 10000 et 1 million de masses solaires; c'est une millilentille dont la nature reste inconnue. Il est possible qu'il s'agisse d'un amas globulaire trop pâle pour que le JWST puisse l'observer directement.

A gauche, une photo prise par le JWST de l'amas de galaxies MACS J0416.1-2403 (MACS0416 en abrégé) situé dans la constellation d'Eridan à z=0.397 ou environ 4.3 milliards d'années-lumière. Cette photo couvre un champ d'environ 3.4' x 3.2'. C'est une compositage panchromatique obtenu sous différents filtres révélant notamment des galaxies rouges très lointaines à la limite des capacités du HST. Voici l'image HD (6.7 MB) et une comparaison avec la photo prise par le HST. A droite, l'agrandissement d'un objet transitoire surnommé "Mothra" situé à l'arrière-plan dont la lumière a été amplifiée plus de 4000 fois. La masse à l'origine de cet effet loupe est probablement un petit amas globulaire. Voir le texte pour les explications. Documents NASA/ESA/CSA/STScI et al.

Ceci termine temporairement la revue des lentilles gravitationnelles les plus spectaculaires.

L'avenir

L'enjeu offert par les lentilles gravitationnelles est très important. Tout d'abord le fait que la déviation des rayons lumineux confirme la théorie de la relativité générale. Ensuite, les lentilles gravitationnelles agissent comme de véritables loupes devant le fond de l'univers permettant aux astronomes d'étudier des astres qui autrement seraient inaccessibles. L'étude des lentilles gravitationnelles permet également aux astrophysiciens relativistes d'évaluer la distribution de matière dans l'univers et de calculer sa masse. Si de telles observations se répètent, il sera possible de déterminer la courbure de l'univers et de fixer avec précision la constante de Hubble.

Parmi les questions ouvertes, les propriétés étranges de certains amas de galaxies, dont les composantes n'ont pas toutes le même redshift pourraient également s'expliquer par des effets de mirages gravitationnels.

Selon l'astronome Daniel Weedman de l'Université de Pennsylvanie qui découvrit G2345+007, la troisième lentille gravitationnelle en 1982, les images très brillantes de certains quasars très éloignés doivent peut-être leur éclat à un effet d'optique qui amplifierait leur luminosité. Mais ce phénomène doit être très rare car il faut tenir compte d'un double alignement : celui du quasar avec une lentille gravitationnelle, l'ensemble devant se situer exactement dans l'axe de la Terre.

Signalons à ce sujet que le quasar le plus lointain détecté grâce à l'effet d'une lentille gravitationnelle est J043947.08+163415.7 alias UHS J043947.08+163415.7 présenté ci-dessous à droite, situé à z = 6.51 soit 12.87 milliards d'années-lumière. C'est aussi le quasar le plus brillant détecté par cette méthode à z > 5 (cf. X.Fan et al., 2019). Grâce à cette lentille gravitationnelle représentée par une galaxie pâle située à z ~0.7, la luminosité de ce quasar divisé en trois images a été amplifiée ~50 fois soit de 4 magnitudes.

A gauche, l'amas de galaxies MACS J0138.0-2155 entouré des arcs gravitationnels de MRG-M0138, une galaxie inactive située à 10 milliards d'années-lumière qui n'a plus de gaz pour former de nouvelles étoiles. Au centre, l'étonnante lentille gravitationnelle constituée d'un amas de galaxies situé à ~2.8 milliards d'années-lumière agissant comme une loupe sur l'image de la galaxie SGAS J143845+145407 (en orange et dédoublée et qui rayonne fortement en infrarouge) située à 6.9 milliards d'années-lumière. A droite, image prise par le HST de la lentille gravitationnelle J043947.08+163415.7 qui dévie en trois composantes la lumière du quasar le plus lointain découvert à ce jour, situé à z = 6.51 soit 12.87 milliards d'années-lumière. Documents NASA/ESA/HST, A.Newman et al., NASA/ESA/HST, J.Rigby et NASA/ESA/X.Fan (2019) adapté par l'auteur.

Sources exotiques

Selon certains auteurs, certaines observations ne s'expliqueraient pas par l'effet d'une lentille gravitationnelle. Les "champs binaires" par exemple, sont des galaxies multiples (entre une et 7 paires) rassemblées dans un champ très étroit dont les images secondaires ne semblaient pas obéir au modèle de la lentille gravitationnelle. En 1987, Esther Hu et Len Cowie de l'Université d'Hawaï ont ainsi découvert plusieurs exemples de ce type et ont proposé que ces images secondaires seraient générées par des cordes cosmiques, ces résidus massifs issus du Big Bang. Cette idée fut reprise par le physicien russe Alexander Zakharov en 2010.

Dans un autre article publié "The Astrophysical Journal" en 2010, F.Abe de l'Université de Nagoya suggéra que le trou de ver d'Ellis peut générer des effets de microlensing avec des images à l'extérieur et à l'intérieur de l'anneau d'Einstein. Dans un article publié dans la revue "Modern Physics Letters A" en 2017 (en PDF sur arXiv), le chercheur Hideki Asada spécialisé en astrophysique à l'Université d'Hirosaki proposa la même idée, où "les images des objets suivent une forme non standard de l'équation d'état ou obéissent à une théorie de la gravité modifiée".

Dans un autre article publié dans les "Annals of Physics" en 2021, les mathématiciens indiens Nisha Godani et Gauranga C. Samanta ont proposé que les trous de ver chargés pourraient être identifiés par l'image d'une lentille gravitationnelle concentrique.

A ce jour ces hypothèses et prédictions "exotiques" n'ont jamais été validées. Cela ne signifie pas que ces théories sont fausses mais soit des théories plus simples peuvent expliquer la forme des images des lentilles gravitationnelles ou les objets en question (les cordes cosmiques et les trous de ver) n'ont pas (encore) été découverts.

Pour expliquer la forme inhabituelle de l'image de certaines lentilles gravitationnelles, en 1990 Gilles Orban de Xivry et Phil Marshall du Caltech à Santa Barbara (UCSB) ont publié dans les "MNRAS" un article qui répertorie sous forme d'atlas des modélisations des configurations inhabituelles de lentilles gravitationnelles, y compris des images exotiques complexes comme des caustiques. A ce jour, la forme de toutes les lentilles gravitationnelles identifiées a pu être modélisée sans faire appel à une physique exotique. Quant à découvrir des cordes cosmiques, seul LIGO continue à chercher leurs éventuelles traces, et pour les trous de ver l'avenir en décidera.

Prochain chapitre

Les ondes gravitationnelles

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[29] F.Zwicky, Physical Review (Serie II), 51, 1937, p290 et p679.

[30] A.Einstein, Science, 84, 1936, p506. Bien qu'il fut sceptique sur les chances de découvrir un tel objet, Einstein proposait néanmoins quelques situations types révélant ce phénomène. Vous trouverez une bibliographie complète sur le sujet dans N.Sanitt, Nature, 234, 1971, p299.

[31]  En fait on peut observer ce phénomène sur n'importe quelle surface courbe éclairée par une source ponctuelle (sur le bord surélevé d'une assiette, dans le goulot d'une bouteille ou sur un objet argenté fortement éclairé comme un robinet).

[32] D.Walsch et al., Nature, 279, 1979, p381.

[33] C.Vanderriest et al., Astronomy and Astrophysics, 215, 1989, p1.


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