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La théorie de la Relativité La relativité générale : des exemples concrets Les lentilles gravitationnelles (IV) L'astronome suisse Fritz Zwicky[29] du Caltech avait prédit en 1937 que les galaxies pouvaient provoquer des effets gravitationnels sur la lumière des sources qu'elles viendraient à occulter. Il appliquait les lois de la relativité générale énoncées par Einstein[30]. Situées bien souvent à la limite de la résolution des instruments professionnels, les lentilles gravitationnelles offrent une chance aux astronomes de préciser les paramètres fondamentaux réglant l'évolution de l'univers.
En observant certaines galaxies, y compris les quasars, on assiste quelquefois à de curieux effets optiques : leur image est dédoublée, triplée ou même décuplée à quelques secondes d'arc de distance ou prennent la forme d'arcs autour d'un axe central. Ces images souvent multiples et déformées sont en tous points en parfaites corrélations, offrant entre elles un même décalage spectral, le même dédoublement des raies, les mêmes courbes de luminosité, les mêmes couleurs, etc, au facteur d'intensité près. La plupart des lentilles gravitationnelles ou des effets de lensing amplifient également la lumière des objets distants, y compris des sursauts gamma (GRB). A l'époque où les astronomes découvrirent les premières images en forme d'arc générées par des lentilles gravitationnelles, ils n'en crurent par leurs yeux car ils ne comprenaient pas ce qu'ils voyaient. Ils ont d'abord imaginé que c'était un défaut optique puis un défaut du traitement d'image. Finalement, ils prirent conscience qu'il s'agissait d'un effet réel produit par une lentille gravitationnelle. Ces distorsions et autres effets d'amplification ou de multiplication de l'image d'un objet distant confirment l'existence d'une masse sombre déformante quelque part au centre du champ, entre l'objet et la Terre. Les masses déformantes ou amplificatrices de la lumière peuvent être des objets très massifs comme une galaxie, des étoiles ou des amas d'étoiles comme un amas globulaire (dans ce cas on parle de microlensing ou de millilensing).
On peut imaginer le phénomène optique provoqué par une lentille gravitationnelle en essayant de déformer une pastille sombre en l'observant très près du foyer d'une lentille simple[31]. On observe alors tout autour du centre une ou plusieurs images secondaires déformées en forme d'ellipse, de haricot ou d'arc de cercle. Ces objets sont pour la plupart associés à des amas de galaxies éloignés ou des galaxies très pâles, dont les étoiles massives provoquent des "mirages gravitationnels". Mais il se peut aussi que l'objet sombre soit une galaxie massive située à l'avant-plan voire un trou noir. Ainsi que le stipule la théorie de la relativité, la déviation de la lumière (β) obéit à la relation suivante : avec, 2GM/c², le rayon de Schwarzschild r, le paramètre d'impact ou le rayon projeté à partir du centre de masse de la lentille
Dans l'environnement du Soleil, l'effet relativiste est très faible, de l'ordre de 10-5, mais il est déjà cent fois plus important pour les naines blanches. Il faut donc chercher des étoiles ou des systèmes supermassifs, un milliard de fois plus massif que le Soleil pour que les effets relativistes soient significatifs. En 1935, Einstein avait déjà prédit que si une galaxie se situait juste derrière un point massif, elle se présenterait sous la forme d'un anneau, dont le rayon exprimé en seconde d'arc vaudrait : avec, M, la masse de la lentille gravitationnelle déflectrice DLS, la distance lentille-source DL , la distance observateur-lentille DS , la distance observateur-source. Si la lentille gravitationnelle est elliptique ou non circulaire symétriquement, la symétrie de l'anneau sera brisée en deux ou plusieurs arcs. C'est pourquoi jusqu'à présent peu d'"anneaux d'Einstein" ont été découverts. Ces effets sont néanmoins importants. Pour une galaxie de 1012 M, les images multiples sont séparées d'environ 3". Pour des amas de galaxies de 1014 M, la séparation peut dépasser la minute d'arc. La lentille gravitationnelle générée par une galaxie massive peut amplifier la lumière des galaxies ou des étoiles plus éloignées jusqu'à 50 ou 100 fois dans les meilleures conditions tandis qu'un amas de galaxies proche peut amplifier la lumière d'une galaxie ou d'une étoile lointaine d'un facteur variant entre 1000 et 40000 fois (cf. la découverte de l'étoile Earendel en 2022), offrant aux astronomes une loupe naturelle leur permettant d'inspecter des astres très lointains qui seraient autrement impossibles à observer, même pour un télescope spatial comme Hubble ou le JWST. La vidéo suivante décrit la formation des lentilles gravitationnelles. A voir : Einstein's Rings and the Fabric of Space Einstein Ring Spotted by Hubble, NASA/GSFC Gravitational lensing of the distant SPT0418-47 galaxy (schematic)
Découverte des lentilles gravitationnelles Le Quasar Jumeau, Q0957+561A-B La première lentille gravitationnelle fut découverte en 1979. L'astronome anglais Dennis Walsch[32] et ses collaborateurs du Kitt Peak caressaient le désir obscur d'identifier optiquement des radiosources. Le 29 mars, ils observèrent deux images d'un quasar catalogué Q0957+561A-B situé dans la constellation de la Grande Ourse. Les deux objets séparés de 6" sont de magnitude 17.5 et 16.7 et présentent rigoureusement le même spectre. Walsh supposa qu'il s'agissait de l'image dédoublée d'un quasar unique qui fut appelé le "Quasar Jumeau" (Twin Quasar, cf. le blog).
Quelques mois après cette découverte, alors que le quasar était trop proche du Soleil pour l'observer en visible, l'observatoire radioastronomique VLA du Nouveau-Mexique prit la relève. Sa résolution atteignit moins de 1". L'analyse de l'image double indiqua que le point de coordonnées s'entourait effectivement de deux sources d'émission, chacune ayant un rapport de flux identique aux émissions optiques. L'une des images présentait une extension invisible sur l'autre mais les astronomes attribuèrent cette différente au fait que les jets radios de l'image B étaient plus éloignés de la galaxie déflectrice que ceux de l'image A. En revanche, les astronomes ne parvenaient pas à localiser la source de ce mirage. Il fallut beaucoup de patience, mais fin novembre 1979 les astronomes du Mont Palomar et de Mauna Kea localisèrent tout près de l'objet associé à l'image B, nommé YGKOW G1, une petite galaxie elliptique à z = 0.355 soit 3.7 milliards d'années-lumière. Très éloignée et très pâle, cette galaxie appartient en fait à un amas de galaxies dont le champ gravitationnel global modifie la disposition des images du quasar. Le paramètre d'impact de la lentille gravitationnelle G1 indique que son diamètre angulaire est environ 8 fois celui de l'image du quasar (B). Depuis cette observation, les astronomes ont calculé le décalage Doppler du quasar (A) et obtenu z = 1.407, ce qui représente une distance de 7.8 milliards d'années-lumière. Il se déplace à 210000 km/s ! (vitesse comobile du fait de l'expansion de l'Univers) Compte tenu du décalage Doppler et des paramètres de la lentille gravitationnelle, on estime que la galaxie G1 mesure moins de 100000 années-lumière (30 kpc) mais représente une masse d'environ 10000 milliards de masses solaires (40 fois la la Voie Lactée) qui explique qu'elle soit capable de dévier les rayons lumineux. Le noyau de cette galaxie, qui semble être une galaxie de Seyfert (un AGN), est situé à moins de 0.5" dans la ligne de visée entre le quasar et l'observateur (on ne peut pas la résoudre). Une telle coïncidence est très rare; on l'observe une fois sur mille quasars. En 2003, les astronomes Wesley Colley et Rudolph Schild du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian découvrirent un effet de microlensing dans ce même quasar d'une amplitude de 1% et d'une durée de 12 heures alors que généralement elles varient entre 0.05 et 0.3 magnitude mais s'étendent sur quelques mois. Cette observation très rare a permis aux astronomes de fixer des contraintes sur la nature de ce quasar et sur la matière sombre baryonique.
Schild a également découvert l'émission de jets à 8000 UA du centre de ce quasar et qui s'étendent sur environ 1000 UA. Il a également découvert un champ magnétique émis par un objet supermassif situé au centre du quasar et en rotation. La théorie dominante est que cet objet abrite un trou noir supermassif. Son disque d'accrétion s'étendrait jusqu'à 2000 UA. Si on met de côté l'effet gravitationnel du Soleil sur le rayonnement des astres, cette lentille gravitationnelle est la plus brillante du ciel. La "Croix d'Einstein" Beaucoup plus spectaculaire, en 1984 l'équipe de John Huchra du Centre d'Astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) photographia en haute résolution et réalisa des mesures photométriques et spectroscopiques du noyau de la galaxie spirale Zwicky 2237+0305 alias Q2237+0305 de magnitude 15.2. Malgré sa ressemblance visuelle avec une galaxie spirale ordinaire présentant un imposant noyau, les grands télescopes permettent de distinguer 4 noyaux comme le montre cette photo prise avec le télescope Warsaw de 1.3 m de Las Campanas (cf. A.Udalski et al., 2007). Le spectre de son noyau est typique de celui d'un quasar situé à z = 1.695 soit 5 milliards d'années-lumière. Grâce au télescope Franco-canadien de l'île d'Hawaï (CFHT de 3.60 m), en 1988 Howard Yee de l'Université de Toronto parvint à résoudre son noyau en 5 condensations très serrées, dénommées depuis la "Croix d'Einstein". Les cinq composantes révélant un spectre identique, il s'agissait bien d'une lentille gravitationnelle reproduisant l'image d'un quasar très éloigné. A voir : A Quick Look at Lensed Quasars, CXC
On découvrit également que l'une des condensations fluctuait isolément. Pour expliquer ce phénomène, les astrophysiciens ont suggéré l'existence de lentilles gravitationnelles secondaires dans le halo de la galaxie, probablement des étoiles très massives qui sont intercalées dans le faisceau lumineux que nous recevons du quasar. Cet effet est appelé le "microlensing". C.Vanderriest et son équipe de l'Observatoire de Paris ont également observé de telles variations lumineuses dans la première lentille gravitationnelle[33]. Aujourd'hui cet objet est catalogué parmi les quasars (QSO J2240+0321). Des analyses de l'effet de microlensing réalisées en 2014 par Mark T. Reynolds de l'Université du Michigan et son équipe ont montré que ce quasar abrite un trou noir supermassif d'un milliard de masses solaires tournant sur lui-même à 65% de la vitesse de la lumière. Les anneaux d'Einstein C'est en 1988 que les radioastronomes du VLA découvrirent la première lentille gravitationnelle en forme d'anneau, MG 1131+0456 présentée ci-dessous à gauche, conforme à l'une des prédictions de la théorie d'Einstein proposée dès 1912 (cf. J.Renn et al., 1997).Elle fut identifiée et cartographiée à 6 cm de longueur d'onde soit ~5 GHz. Cet objet fut surnommé "l'anneau d'Einstein" en son hommage. Quelques années plus tard, une éventuelle contrepartie optique fut identifiée (cf. F.Hammer et al., 1991; S.A. Gladishev et al., 1993; J.E. Larkin et al., 1994) dont la galaxie hôte serait un blazar (une galaxie radio loud) situé à z = 1.13 soit 8.3 milliards d'années-lumière. Une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2020 par Daniel Stern et Dominic J. Walton indique que le quasar se situe à z = 1.849 soit 10 milliards d'années-lumière. L'anneau d'Einstein serait donc probablement l'image d'un quasar déformée par une galaxie naine invisible située à l'avant-plan. La lentille gravitationnelle PG 1115+080 présentée ci-dessous au centre fut découverte grâce au HST en 1998. Elle provient d'un quasar hôte situé à z = 1.722 soit 9.9 milliards d'années-lumière et présente une forme similaire à MG 1131+0456 comme le montre son photo accentuée révélant l'anneau d'Einstein reliant les quatre images. "Le trèfle à quatre feuilles", H1413+117 fut découvert en 2004 grâce au satellite à rayons X Chandra. L'objet de magnitude 17.6 se trouve à 7' à l'est de l'étoile HD 124820 de magnitude 9.9. Si à basse résolution, l'objet ressemble à uneétoile, comme on le voit ci-dessous à droite, il s'agit d'un quasar formé de 4 images dont les composants sont séparés d'environ 0.9". Voici une image accentuée prise par le HST. Le quasar hôte se situe à z = 2.57 soit 11 milliards d'années-lumière. A voir : Gravitational lensed quasars, Hubble Site
Grâce au Télescope Spatial Hubble, dans le cadre du programme H0LiCOW (Ho Lenses In COsmograil's Wellspring, qu'on peut approximativement traduire par "Les lentilles Ho dans la Source du Graal Cosmique" dont les travaux furent publiés en 2017, de nombreuses lentilles gravitationnelles y compris en forme d'anneau d'Einstein ont été observées dans les quasars. En 2024, le catalogue tenu à jour par l'Université de Cambidge répertoriait 220 objets de ce type, dont quatre spécimens spectaculaires sont présentés ci-dessous : respectivement les quasars HE0435-1223, B1608+656, RX J1131-1231 et le "fer à cheval cosmique" (Cosmic horseshoe) qui entoure la galaxie LRG 3-757. Dans chaque cas, le quasar est représenté par les images multiples et en particulier par les "étoiles" brillantes multiples situées en périphérie le long des arcs de cercle, des positions apparentes résultant des déformations produits par les effets de lensing gravitationnels provoqués par la galaxie située au centre et à l'avant-plan qui dévie les rayons lumineux émis par le quasar hôte comme l'explique la vidéo ci-dessous. A voir : Strong Gravitational lensing
L'analyse de HE0435-1223 (ci-dessus à gauche) a permis de découvrir que les quatre "étoiles" - les images du quasar - fluctuent à tour de rôle, un phénomène qui a permis de déterminer le taux d'expansion de l'Univers, la fameuse constante de Hubble avec une précision de 3.8% soit Ho = 71.9 ±2.7 km/s/Mpc, compatible avec un modèle d'univers ΛCDM plat. Le "fer à cheval cosmique" présenté ci-dessus à droite, fut découvert en 2007 dans le cadre du sondage SDSS et étudiée en détail grâce au HST (cf. V.Belokurov et al., 2007). Il est formé par une galaxie située à l'arrière-plan dont la lumière est déformé par une galaxie très massive (100 fois la masse de celle d'arrière-plan) située à l'avant-plan cataloguée LRG 3-757 et classée parmi les galaxies rouges lumineuses (LRG, qui ont une émission infrarouge extrêmement intense), d'où l'important contraste de couleur. Notons que cet objet est accessible par photographie aux amateurs bien équipés moyennant une très longue exposition (cf. la photo exposée 26 heures au total prise par Mark Dikinson avec un C14). A consulter : Gravitationally Lensed Quasar Database, CAM SDSS J1004+4112 En 2003, une équipe internationale d'astronomes découvrit des lentilles gravitationnelles dans l'amas de galaxies massives SDSS J1004+4112 situé dans le Petit Lion à z = 0.68 soit 7 milliards d'années-lumière, présenté ci-dessous (cf. N.Inada et al., 2003). La découverte fut confirmée en mai 2006 grâce au Télescope Spatial Hubble, battant le précédent record (cf. STSci). Depuis, cet amas de galaxies est étudié en détails par les chercheurs (cf. J. Fohlmeister et al. (2007); J.A. Muñoz et al. (2022) et R.Forés-Toribio et al. (2022)) afin de mieux comprendre la distribution des masses dans les amas de galaxies, y compris de la matière sombre. L'analyse de cette photographie révèle les images multiples de 7 galaxies d'arrière-plan dont une est identifiée dans 3 images à z = 1.73, 2.74 et 3.33 (cerclées de rouge ci-dessous au centre), ce qui signifie que leur lumière nous arrive depuis des époques différentes. On distingue aussi 4 images (A,B,C,D) reproduisent à l'identique au facteur de déformation près, celle du quasar Q0157-001 (en orange et cerclé de bleu) situé au centre de la galaxie elliptique orangée à z = 1.734 soit 9.9 milliards d'années. Il existe une cinquième image nommée E au centre de l'amas mais elle est très pâle. La séparation maximale des quatre images du quasar est de 14.62", ce qui est une valeur élevée, et implique également un décalage temporel important. Selon les mesures publiées en 2022, il y a un décalage de ~41 jours entre les images A et B séparées de 3", de ~822 jours entre A et C et d'au moins 1250 jours entre A et D. Par rapport à l'image source du quasar, l'image D nous arrive avec un délai ~2459 jours; les photons D ont donc parcouru 6.73 années-lumière supplémentaires. L'image B présente un délai de ~782 jours (2.14 ans) et l'image A de ~825 jours (2.26 ans). Sur base des modèles de lentilles gravitationnelles, le facteur d'amplification est de 1.18 et est conforme aux simulations HDM des amas de galaxies massives.
Dans certains cas, la masse déformante est constituée de matière sombre invisible. Indétectable avec nos moyens actuels, elle l'est indirectement en traçant le rayonnement X du gaz chaud intra-amas. MACS J0717.5+3745 L'amas de galaxies MACS J0717.5+3745 alias MACS 0717 présenté ci-dessous à gauche fut photographié en 2015 par le HST. Il se situe dans la constellation du Cocher à z = 0.5458 soit environ 5.4 milliards d'années-lumière. Il contient quatre sous-amas et rassemble des galaxies de magnitudes variant entre +26 et +29 représentant une masse totale de 1015 M soit plus de 1000 fois la masse de la Voie Lactée. A ce jour, c'est l'amas le plus massif à z > 0.5 et celui comprenant les plus grandes lentilles gravitationnelles. Cet amas comprend également à l'arrière-plan plusieurs dizaines de galaxies naines situées à plus de 13 milliards d'années-lumière, ayant existé 600 à 900 millions d'années après le Big Bang durant l'ère de réionisation de l'Univers. L'amas Abell 370 Grâce au ciel exceptionnel de l'île d'Hawaï, de nombreux objets ont révélé des structures en forme d'arc. La plus surprenante s'étend sur plus de 30" à travers l'amas Abell 370 présenté ci-dessous à droite situé dans la constellation de la Baleine. De magnitude +22, sa signature spectrale requit un temps d'intégration (d'exposition CCD) de 6 heures. Cet amas se situe à z = 0.375 soit environ 4.1 milliards d'années-lumière.
L'amas de Pandore, NGC 2744 On a également découvert des lentilles gravitationnelles multiples dans le célèbre amas de galaxies de Pandore alias Pandora, Abell 2744, présenté ci-dessous. Situé à 3.5 milliards d'années-lumière dans la constellation du Sculpteur, Pandora couvre visuellement un champ inférieur à 2' soit 15 fois plus petit que le diamètre apparent de la Lune. Il contient environ 100 galaxies "brillantes" (Mph de 28.6 à >30) et plus de 3000 galaxies pâles situées à plus de 12 milliards d'années-lumière. Sa masse totale est estimée à 4000 milliards de masses solaires ! En raison de sa masse colossale, certaines petites galaxies y compris celles présentant un redshift z = 8 à 10 présentent des effets de lentilles gravitationnelles, leur image se démultipliant jusqu'à trois fois autour de la masse déformante (cf. D.Lam et al., 2014; P.A.Oesch et al., 2015). En modélisant précisément les déformations, les astronomes ont pu localiser cette masse qui est essentiellement constituée de matière sombre (en bleu sur cette photo composite visible/X). Par le truchement du rayonnement X du gaz chaud, ils ont découvert que cette matière invisible s'étend sur au moins 10' et représente environ 75% de la masse de cet amas ! A consulter : Frontier Fields.org
PSZ1 G311.65-18.48 Un autre exemple de lentille gravitationnelle très brillante est PSZ1 G311.65-18.48 (alias Planck PSZ1-ARC G311.6602-18.4624 ou PSZ1 G311 en abrégé) présentée ci-dessous. Elle fut découverte en 2014 dans le cadre du sondage Planck de l'ESA grâce au télescope NTT de 3.58 m de l'ESO (à ne pas confondre avec le télescope de 3.60 m) installé à La Silla (cf. H.Dahle et al., 2016). PSZ1 G311 se situe dans un amas de galaxies massif situé dans la constellation de l'Oiseau de Paradis (Apus) près du pôle céleste austral entre l'étoile HD 140535 de magnitude 8 et la galaxie IC 4555 de magnitude 13.6 (cf. cette photo générale extraite du DSS couvrant un champ d'environ 12'x9'). L'amas de galaxies se situe à l'avant-plan à z = 0.443 soit 4.6 milliards d'années-lumière. Il présente trois grands arcs gravitationnels en bordure du champ comprenant au total 12 noeuds; ce sont des copies de la même galaxie appelée PSZ1 G311.65-18.48 (dite PSZ1) surnommée "Sunburst Arc". Sur base de l'intense émission Lyα des arcs et de modélisations, elle se situe à z = 2.37 soit plus de 10.9 milliards d'années-lumière. L'effet de lentille gravitationnel a amplifié la lumière de la galaxie PSZ1 entre 10 et 30 fois soit d'environ 3 magnitudes. Deux de ses arcs sont visibles en haut à droite de l'image. Chacun mesure environ 10"x1". L'arc brillant situé au-dessus du centre (nommé Nord ou N) est composé d'au moins six copies de l'image de PSZ1 comme le montre les interprétations ci-dessous.
Godzilla A droite de l'arc N de PSZ1 G311.65-18.48 se trouve un autre arc plus mince et plus long nommé NW (mais que plusieurs auteurs nomment SW) présenté ci-dessous dans lequel se trouve un transitoire surnommé "Godzilla", par référence aux monstres géants kaiju dans le cinéma japonais. Il s'agit d'une étoile et même de la plus lumineuse de l'univers dans l'absolu (cf. J.M. Diego et al., 2022; Nature, 2022). Son spectre ressemble à celui des étoiles variables de la Voie Lactée, telles qu'Eta Carinae, ce qui suggère que Godzilla pourrait être proche de la fin de sa vie. On pense que Godzilla traverse un épisode similaire à la grande éruption d'Eta Carinae au XIXe siècle, au cours de laquelle l'étoile fut probablement parmi les plus brillantes de l'univers, avec une luminosité de 50 millions L. L'amplification extrême de Godzilla est en partie due à une sous-structure proche, probablement une galaxie naine, non visible sur les images du JWST, qui est également proche de la courbe critique de l'amas (la courbe rouge ci-dessous à gauche). On pense que cette sous-structure indétectable est dominée par la matière sombre. Lire aussi l'étude des arcs publiée en 2019 par l'équipe de Sebastián.López de l'Université du Chili.
Un contre-arc nommé SE est visible en bas à gauche de l'image, partiellement caché par une étoile brillante de la Voie Lactée. Les plus petits détails visibles dans les arcs mesurent 520 années-lumière de diamètre. PSZ1 nous montre à quoi ressemblait les galaxies à l'ère de la réionisation (qui commença 150 millions d'années après le Big Bang). SMACS J0723.3-7327 L'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327 (SMACS 0723 en abrégé) présenté ci-dessous fut la première image prise par le JWST mise en ligne en 2022. Cet amas est situé dans la constellation du Poisson volant (Volans) à 3° du Grand Nuage de Magellan à z = 0.44 soit ~4.6 milliards d'années-lumière. Il fut découvert en 2011 dans le cadre du sondage Planck de l'ESA et est également catalogué PLCKESZ G284.99-23.7. A l'époque, c'était l'image la plus profonde du ciel jamais prise et reste encore parmi les plus spectaculaires par le nombre d'images déformées par une lentille gravitationnelle. Depuis, le JWST battit son propre record avec d'autres images tout aussi spectaculaires. Cette image est un composite panchromatique en couleurs arbitraires (sous filtres F090W, F150W = bleu; F200W, F277W = vert et F356W et F444W = rouge) représentant un temps d'intégration total de 12.5 heures réparties sur plusieurs semaines. On distingue clairement les effets d'une puissante lentille gravitationnelle générée par la grande galaxie spirale barrée située au centre de l'image surnommée "Sparkler" (la scintillante, dans le sens qu'elle brille comme un diamant) qui déforme l'image de certaines galaxies et grossit les images des galaxies lointaines situées à l'arrière-plan entre z = 13 et z = 20 qui autrement seraient invisibles (cf. les galaxies les plus lointaines). Les agrandissements révèlent ce qui ressemble à des amas globulaires évolués dans certaines galaxies de cet amas.
En 2023, l'équipe du JWST publia une nouvelle photo de l'amas de galaxies MACS J0416.1-2403 (MACS0416 en abrégé) présentée ci-dessous comprenant de nombreux objets déformés par une lentille gravitationnelle. Il est situé dans la constellation d'Eridan à environ 10° au sud de la constellation d'Orion à z = 0.397 soit environ 4.3 milliards d'années-lumière. Les chercheur ont identifié dans ce champ 14 transitoires (des fluctuations de lumière) dont 12 sont situés dans trois galaxies fortement agrandies par des lentilles gravitationnelles plus ou moins massives. Il s'agit probablement d'étoiles individuelles ou de systèmes stellaires multiples qui sont temporairement et brièvement très fortement agrandis. Deux transitoires se situent dans des galaxies situées à l'arrière-plan qui sont modérément agrandies et sont probablement des supernovae. Mothra Parmi ces transitoires, l'un se situe sur un arc rougeâtre agrandi ci-dessous à droite. Son spectre révèle qu'il se situe vers z ~ 2.2 soit 10.7 milliards d'années-lumière. Il se trouve donc à l'arrière-plan de l'amas et évolue environ 3 milliards d'années après le Big Bang. Il est déformé par une lentille gravitationnelle qui a amplifié sa lumière au moins 4000 fois soit de plus de 8 magnitudes ! Il fut identifié sous la référence EMO J041608.8-240358 et surnommé plus prosaïquement "Mothra". Il rejoint "Godzilla", une étoile découverte dans la lentille gravitationnelle PSZ1 G311.65-18.48 précitée. Pour rappel, "Mothra" est un autre monstre géant kaiju dans le cinéma japonais. Les archives montrent que "Mothra" est également visible dans une image prise par le HST publiée en 2014. Plusieurs objets non identifiés amplifient cette image. Selon les modélisations, le principal objet aurait une masse comprise entre 10000 et 1 million de masses solaires; c'est une millilentille dont la nature reste inconnue. Il est possible qu'il s'agisse d'un amas globulaire trop pâle pour que le JWST puisse l'observer directement.
Ceci termine temporairement la revue des lentilles gravitationnelles les plus spectaculaires. L'avenir L'enjeu offert par les lentilles gravitationnelles est très important. Tout d'abord le fait que la déviation des rayons lumineux confirme la théorie de la relativité générale. Ensuite, les lentilles gravitationnelles agissent comme de véritables loupes devant le fond de l'univers permettant aux astronomes d'étudier des astres qui autrement seraient inaccessibles. L'étude des lentilles gravitationnelles permet également aux astrophysiciens relativistes d'évaluer la distribution de matière dans l'univers et de calculer sa masse. Si de telles observations se répètent, il sera possible de déterminer la courbure de l'univers et de fixer avec précision la constante de Hubble. Parmi les questions ouvertes, les propriétés étranges de certains amas de galaxies, dont les composantes n'ont pas toutes le même redshift pourraient également s'expliquer par des effets de mirages gravitationnels. Selon l'astronome Daniel Weedman de l'Université de Pennsylvanie qui découvrit G2345+007, la troisième lentille gravitationnelle en 1982, les images très brillantes de certains quasars très éloignés doivent peut-être leur éclat à un effet d'optique qui amplifierait leur luminosité. Mais ce phénomène doit être très rare car il faut tenir compte d'un double alignement : celui du quasar avec une lentille gravitationnelle, l'ensemble devant se situer exactement dans l'axe de la Terre. Signalons à ce sujet que le quasar le plus lointain détecté grâce à l'effet d'une lentille gravitationnelle est J043947.08+163415.7 alias UHS J043947.08+163415.7 présenté ci-dessous à droite, situé à z = 6.51 soit 12.87 milliards d'années-lumière. C'est aussi le quasar le plus brillant détecté par cette méthode à z > 5 (cf. X.Fan et al., 2019). Grâce à cette lentille gravitationnelle représentée par une galaxie pâle située à z ~0.7, la luminosité de ce quasar divisé en trois images a été amplifiée ~50 fois soit de 4 magnitudes.
Sources exotiques Selon certains auteurs, certaines observations ne s'expliqueraient pas par l'effet d'une lentille gravitationnelle. Les "champs binaires" par exemple, sont des galaxies multiples (entre une et 7 paires) rassemblées dans un champ très étroit dont les images secondaires ne semblaient pas obéir au modèle de la lentille gravitationnelle. En 1987, Esther Hu et Len Cowie de l'Université d'Hawaï ont ainsi découvert plusieurs exemples de ce type et ont proposé que ces images secondaires seraient générées par des cordes cosmiques, ces résidus massifs issus du Big Bang. Cette idée fut reprise par le physicien russe Alexander Zakharov en 2010. Dans un autre article publié "The Astrophysical Journal" en 2010, F.Abe de l'Université de Nagoya suggéra que le trou de ver d'Ellis peut générer des effets de microlensing avec des images à l'extérieur et à l'intérieur de l'anneau d'Einstein. Dans un article publié dans la revue "Modern Physics Letters A" en 2017 (en PDF sur arXiv), le chercheur Hideki Asada spécialisé en astrophysique à l'Université d'Hirosaki proposa la même idée, où "les images des objets suivent une forme non standard de l'équation d'état ou obéissent à une théorie de la gravité modifiée". Dans un autre article publié dans les "Annals of Physics" en 2021, les mathématiciens indiens Nisha Godani et Gauranga C. Samanta ont proposé que les trous de ver chargés pourraient être identifiés par l'image d'une lentille gravitationnelle concentrique. A ce jour ces hypothèses et prédictions "exotiques" n'ont jamais été validées. Cela ne signifie pas que ces théories sont fausses mais soit des théories plus simples peuvent expliquer la forme des images des lentilles gravitationnelles ou les objets en question (les cordes cosmiques et les trous de ver) n'ont pas (encore) été découverts. Pour expliquer la forme inhabituelle de l'image de certaines lentilles gravitationnelles, en 1990 Gilles Orban de Xivry et Phil Marshall du Caltech à Santa Barbara (UCSB) ont publié dans les "MNRAS" un article qui répertorie sous forme d'atlas des modélisations des configurations inhabituelles de lentilles gravitationnelles, y compris des images exotiques complexes comme des caustiques. A ce jour, la forme de toutes les lentilles gravitationnelles identifiées a pu être modélisée sans faire appel à une physique exotique. Quant à découvrir des cordes cosmiques, seul LIGO continue à chercher leurs éventuelles traces, et pour les trous de ver l'avenir en décidera. Prochain chapitre
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