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L'explosion de Santorin

La caldera du Santorin photographiée depuis la station ISS le 22 mai 2022. Document NASA/Exp.67/Flickr.

Quand un volcan se réveille

De mémoire d'homme, nous n'avons conservé le souvenir que de deux explosions volcaniques ayant eu des conséquences majeures, celle du Santorin survenue vers 1610 (ou 1650) avant notre ère et celle du Krakatoa survenue en 1883. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas connu d'autres catastrophes volcaniques importantes - on en dénombre des centaines au cours des derniers milliers d'années (cf. ce graphique) - mais ces deux ci furent particulièrement violentes si on en juge par les traces qu'on trouve encore de nos jours.

Santorin, l'Atlantide et la fin de la civilisation minoenne

Au cours des derniers millénaires, la plus puissance catastrophe naturelle que le monde ait connu et conservé le souvenir est l'explosion du volcan Théra mieux connu sous son appellation moderne de Santorin situé en mer Egée qui donna vraisemblablement naissance au fameux récit de Platon sur l'Atlantide.

Que faut-il penser de ce célèbre récit, a-t-il un fond de vérité et que s'est-il réellement passé à Santorin ? C'est pour mieux comprendre cette histoire légendaire que nous allons décrire les résultats des recherches qui ont conduit de nombreux chercheurs appartenant à des disciplines très différentes sur les traces des évènements ayant précipité la destruction de Santorin et mis fin par la même occasion à la civilisation minoenne vraisemblablement à l'origine de l'Atlantide.

Le récit de Platon

Selon les résultats des dernières recherches, l’histoire de l’Atlantide est née en Egypte. En 600 avant notre ère, le sage athénien Solon (640-558 avant notre ère) visita l’Egypte où des prêtes lui apprirent que les textes évoquaient la disparition d’une cité-Etat en Méditerranée "il y a bien longtemps" selon les chroniqueurs. De retour en Grèce, il raconta son histoire dont finalement Platon entendit parler et qu'il transcrira 150 ans après Solon dans son récit sur l’Atlantide. Platon l'évoque dans deux dialogues, d'abord “Timée” écrit vers -360 dans lequel il décrit dans la première partie le combat des Athéniens contre les Atlantes et la chute de l'Atlantide en détail. Puis il disserte sur la logique du raisonnement, sur l'origine du monde et s'en réfère au fameux démiurge. Ensuite dans “Critias ou l'Atlantide”, Platon évoque les "richesses immenses" de l'Atlantide (Critias, 114d) puis la décadence du royaume (121b) mais n'en décrit pas la fin.

Panorama de la caldera engloutie de Santorin vue depuis le village de Oia situé au nord de l'île.

Voici une deuxième photo prise au même endroit sous une meilleure lumière. Documents Fotolia.

Toutefois, moralisateur et prônant une cité parfaite à une époque où la Grèce connaissait une crise majeure, Platon explique que l’Atlantide fut détruite parce les citoyens se conduisirent indécemment et furent punis par la volonté des dieux : "Dans la suite de grands tremblements de terre et des inondations engloutirent, en un seul jour et en une nuit fatale, tout ce qu'il y avait chez vous de guerriers ; l'île Atlantide disparut sous la mer." (Timée, 25d).

Comme le propose le géologue et océanographe Floyd McCoy de l'Université d'Hawaï, on peut raisonnablement penser que Platon fut également inspiré par l’éruption du volcan Erciyes Dağı situé dans le sud de la Turquie (2419 m d'altitude, 38°31'52" N, 35°26'49" E) qui se produisit du vivant de Platon. Cette éruption lui aurait inspiré certains détails, notamment la durée de l’éruption volcanique (un jour et une nuit) et le tsunami qui semblent calqués sur cette catastrophe (voir plus bas).

Platon situe la cité légendaire dans l'océan Atlantique. Rapportant les commentaires d'un prêtre égyptien, dans Timée il écrit : "...cette mer était alors navigable, et il y avait au devant du détroit, que vous appelez les Colonnes d'Hercule, une île plus grande que la Libye et l'Asie. [...] Dans cette île Atlantide régnaient des rois d'une grande et merveilleuse puissance..." (Timée, 24e-25a). Or à l'époque, les colonnes d'Hercule bordant le détroit de Gibraltar marquaient les limites du monde connu. Il n'est donc pas possible que la cité mythique se situe au-delà du monde connu à moins qu'elle soit totalement légendaire, ce que ne confirment pas les archives archéologiques, que du contraire comme nous allons le démontrer.

Le détroit de Gibraltar. A gauche, vu depuis l'Espagne avec l'enclave de Ceuta au-dessus à gauche (photo HD de 10 MB). A droite, image de synthèse en perspective accentuée du détroit vu depuis l'océan Atlantique (l'Espagne et le Rocher de Gibraltar administré par la Grande Bretagne sont à gauche, le Maroc et Ceuta à droite). Documents Campo de Gibraltar et NASA/EO.

De plus, à l'époque minoenne (3000-1150 avant notre ère), seule la civilisation minoenne régnait en Crète. Il n'existait par encore de cité ou comptoir grec en Méditerranée. Ce n'est qu'à partir de l'époque mycénienne (1600-1100 avant notre ère) que de puissantes cités se développèrent sur le continent autour du Péloponnèse (cf. la guerre de Troie) et il faudra attendre l'époque classique (500-338 avant notre ère, cf. cette carte) pour que les Grecs établirent des colonies et des comptoirs de l'Asie Mineure à la péninsule ibérique. On retrouve alors des Grecs expatriés dans toute la Crète, sur les côtes Méditerranéennes de la Turquie, en Lybie, dans le sud de l'Italie et en Sicile, ainsi que des comptoirs grecs tout autour de la mer Caspienne, à Chypre, en Corse, dans le sud de la France et en Espagne. Leurs désirs d'expansion seront toutefois écrasés par les invasions romaines à partir de 264 avant notre ère.

Entre-temps, les Phéniciens dont la civilisation atteignit son paroxysme entre 1200-300 avant notre ère, s'ils ont bien navigué autour de la Méditerranée du Liban à Gibraltar et de l'Egypte à la façade Atlantique en passant par l'Afrique du Nord , ils n'ont jamais fait état d'une ancienne cité au milieu de la Méditerranée ou au-delà des colonnes d'Hercule.

Enfin, la cartographie des fonds marins n'a jamais révélé la moindre trace d'une île petite ou grande ou des ruines d'une cité enfouie au fond de la Méditerranée dans la région des colonnes d'Hercule ni même ailleurs. Cette hypothèse n'étant pas confirmée par les recherches aechéologiques, il faut chercher l'Atlantide ailleurs et évidemment dans une zone maritime de l'Ancien Monde gréco-romain et non pas comme certains chercheurs l'ont imaginé, dans les Bahamas ou plus loin encore.

La civilisation minoenne et les cités-États

Les recherches archéologiques et géologiques indiquent qu'à la fin de l'Âge du bronze, vers 2700 avant notre ère, des cités-États se sont développées sur les îles grecques et en Crète. Ces cités faisaient commerce de produits agricoles et domestiques dans toute la Méditerranée orientale. Sur le plan culturel, la Crète se développa surtout à partir de 2000 avant notre ère où Platon évoque les édifices monumentaux de Cnossos dont les ruines existent encore auprès de celles des villes de Malia, Kato Zakro, etc. La civilisation minoenne fut prospère jusqu'en 1200 avant notre ère où la civilisation grecque pris de l'expansion.

A cette époque, sur l'île de Théra située au sud de l'archipel des Cyclades, en mer Egée, face à la Crète, fut érigée la ville d’Akrotiri sur le large versant du volcan Théra de Santorin. Comme le montre la fresque ci-dessous à gauche datant de la fin de l’Âge du Bronze, une ville importante avait été construire sur les flancs du volcan qui était alors ceinturé par un fleuve, preuve que le cône du volcan se trouvait des centaines de mètres plus haut qu’aujourd’hui. A cette époque la cité était un point stratégique entre la Grèce et la Crète et exportait du vin, de l'huile d'olive et du safran dans toute la Méditerranée orientale.

A lire : Timée - Critias ou l'Atlantide, Platon

Une fresque minoenne découverte à Akrotiri au-dessus des fenêtres d'une pièce occupée par des pêcheurs. La partie gauche illustre la ville d'Akrotiri érigée sur les versans du volcan de Théra tandis que la partie droite semble représenter le retour d'une expédition et la commémoration d'une victoire. La ville était alors ceinturée par un fleuve, preuve que le cône du volcan se trouvait des centaines de mètres plus haut qu’aujourd’hui. Voici une autre photo agrandie de la partie gauche de cette fresque extraite du livre de Dirk Herdemerten, "Die Wandmalereien von Thera (Santorini)", 2007/2013, GRIN Verlag. La plupart des fresques découvertes à Akrotiri sont exposées au Musée National Archéologique d'Athènes.

Dans Timée Platon écrit : "dans l'espace d'un seul jour et d'une nuit terribles, toute notre armée athénienne fut engloutie d'un coup sous la terre et, de même, l'île Atlantide s'abîma dan la mer et disparut."

On sait aujourd'hui qu'un violent séisme secoua la cité et fut suivi d'une éruption volcanique. La ville fut recouverte par 2 cm de cendres mais devant l'ampleur modérée des évènements beaucoup d'habitants sont restés chez eux. Les fouilles ont montré que des travaux de réparations avaient été effectués (séparation des débris, renforcement des habitations, restauration des fresques, etc.). C'est alors q'une deuxième éruption survint qui prit la population au dépourvu. Une pluie de roches en fusion et de cendres brûlantes s'élevant à plusieurs kilomètres d'altitude s'abattit sur la ville, piégant ses habitants.

Selon de récentes recherches archéologiques et géologiques, vers 1650 ou 1610 avant notre ère, la ville fut détruite par l'explosion du volcan à la manière de Pompei mais bien plus violemment. La datation fut confirmée en 2003 et 2007 grâce à la découverte à Santorin de deux oliviers ensevelis vivants sous les cendres. Composés de matière organique, selon l'archéologue Walter Friedrich, les arbres sont morts en 1613 ±13 ans avant notre ère, ce qui correspond à la période calculée à partir des données géologiques et océanographiques. Restaient aux chercheurs à trouver des traces de ce cataclysme aux alentours de Santorin et dans quelles mesures elles pouvaient être corroborées entre elles et éventuellement renforcer ce que nous savons déjà sur la civilisation minoenne et pourquoi pas apporter des indices en faveur du récit de Platon.

Résultats des recherches scientifiques

Que nous apprennent la géologie, la sismologie et l'océanographie sur la région de Santorin et de la Méditerranée ? Comme on le voit ci-dessous, la cartographie géomorphologique des fonds de la Méditerranée indique que sa profondeur moyenne est de 1500 m mais il y a quelques fosses abyssales plongeant entre 4600 m au sud de la Crète (Failles de Pliny et de Strabo) et 5121 m en mer Ionienne. A peu près au milieu de la Méditerranée orientale, quelque 100 km au sud de la Crète, se trouve une zone de subduction où la plaque tectonique africaine glisse sous la plaque eurasienne. La plaque eurasienne se déplace vers le sud à raison de 37 mm/an. Vers l'ouest se trouvent des plaques convergentes à l'origine de l'orogenèse (la formation des montagnes) en Eurasie, notamment en mer ionienne, au nord-est de la Sicile et au Maghreb.

Ci-dessus, la carte géomorphologique de la Méditerranée. L'île de Théra (Santorin) au sud des Cyclades a été indiquée. La profondeur moyenne de la Méditerranée est de 1500 m. Ci-dessous à gauche, structure tectonique de la région de la Mer Egée avec l'emplacement du volcan de Santorin qui est le résultat d'une remontée de magma suite à la fusion des roches dans la zone de cisaillement des plaques. A droite, la délimitation des plaques eurasienne et africaine (limitée à celle traversant la mer Méditerranée, voici une version détaillée de Wikipedia). La limite des zones de subduction est tracée en noir (sud de la Crète), la limite des plaques convergentes en mauve (au Maghreb), la limite des failles transformantes en vert (près de la Sicile) et la limite des plaques divergentes et des dorsales en rouge (près de la Sicile). Documents Google Earth, J.-C. Bouquet/T.Lombry et anonyme adapté par l'auteur.

Comme on le voit sur la coupe verticale ci-dessus à gauche, l'ancien volcan Théra (Santorin) est le sommet d'une cheminée de magma provenant directement d'une zone lithosphérique continentale en fusion partielle située dans la région de cisaillement entre les deux plaques située à environ 100 km de profondeur.

Cette activité tectonique génère donc occasionnellement des séismes et de petites éruptions volcaniques dans toute la région. L’ile de Santorin présente encore aujourd’hui des traces d’éruptions de laves âgées de 100000 ans. L’île telle que nous la connaissons se forma il y a 20000 ans, âge qui correspond aux première occupations de Santorin. Depuis, la région de Santorin subit toujours des séismes et des éruptions qui continuent à modifier l’aspect de l'île. 3600 ans après son explosion, Santorin, l'ancienne Théra, se reforme lentement et redeviendra un cône volcanique aussi haut et menaçant dans 20000 ans qu’à l’époque minoenne.

Selon la philosophe Angie Hobbs, spécialiste de la Grèce antique à l'Université de Sheffield, l'Atlantide se trouvait à Santorin. En effet, la cité d'Akrotiri relève de troublantes coincidences avec l'Atlantide. Située aujourd'hui en grande partie à 18 mètres sous le niveau de la mer (une partie est à l'air libre et accessible au public), l'ancienne cité abrite des habitations à étages, une technique très en avance sur son temps. Les constructions contenaient également des poutres en bois capables de résister aux tremblements de terre. Platon évoque aussi un extraordinaire système d'assainissement comprenant notamment des toilettes à l'étage 1500 ans avant celles des Romains. Ces habitations contiennent également de nombreuses fresques murales représentant des portraits mais également des navires à rames.

A gauche, une caldera engloutie de 10 km de diamètre dont les falaises culminent à 300 m et un piton de lave, c'est tout ce qu'il reste de l'île de Santorin située au sud des Cyclades en mer Egée suite à l'explosion du volcan Théra vers 1650 ou 1610 avant notre ère. Le Nord est à droite, la Crète est à 120 km vers la gauche. Au centre, une partie des vestiges de l'ancienne ville d'Akrotiri située au sud de la caldera. A droite, le plan de la ville d'Akrotiri telle qu'elle était vers 1650 avant notre ère. Ci-dessous, vue panoramique à 360° de la place du Triangle de l'ancienne Akrotiri. Le bâtiment au centre est la Maison Ouest, une habitation à trois étages dont il en reste deux, devant laquelle passe la rue des Telchines. Le bâtiment en face (des deux côtés de la photo) appartient au "Complexe Delta". Document anonyme, site d'Akrotiri, carte adaptée de Maximilian Dörrbecker et K.Kapoutsis/Flickr.

Akrotiri était le centre d'un vaste empire dominant la Méditerranée qui ressemblait fort à celui régnant sur la Crète, dans la cité de Cnossos (Cnossus) découverte par Minos Kalolairinos en 1878 (mais dont Arthur Evans acheta les terres et fouilla méthodiquement le site en 1900 et fut considéré comme son découvreur). Cnossos était occupée depuis l'Âge du Bronze, 7000 ans avant notre ère, pendant la période minoenne (associée au légendaire roi Minos).

On retrouve à Cnossos des constructions à étages et les mêmes installations sanitaires qu'à Akrotiri. En fait, Akrotiri s'est inspirée des systèmes d'assainissement développés à Cnossos et qu'on retrouvera plusieurs siècles plus tard seulement en Europe.

Le culte du Taureau originaire de Babylone se retrouve dans des sculptures grecques et crétoises ainsi que dans des cornes stylisées découvertes à Akrotiri et à Cnossos qui rappellent la légende de Minos et du Minotaure bien empreinte dans la culture minoenne. Pour rappel, selon la mythologie grecque, le roi Minos enferma le Minotaure dans le labyrinthe construit spécialement par Dédale au centre de la Crète. Par conséquent, ces statues prouvent que les peuples d'Akrotiri et de Crète appartenaient à la même civilisation minoenne.

Statue du Minotaure mi-taureau mi-humain sculptée par Myron exposée au Musée National Archéologique d'Athènes.

Notons que le labyrinthe du Minotaure n'a jamais été découvert en Crète et serait un mythe. Le nom fait peut être référence à "labrys", la hache à double tranchant emblème du pouvoir royal. Certains évoquent même qu'il s'agirait d'une piste de danse par référence au texte d'Homère qui le cite dans l'Illiade. De même, le Minotaure serait en réalité un aurochs (bos primigenius) particulièrement grand probablement présenté par les Crétois dans certains jeux (comme de nos jours la tauromachie) ou cérémonies sacrées voire lié à des peines de mort. C'est ensuite la réputation du lieu et de ses activités singulières qui propagèrent cette légende dont les Crétois ont tiré profit (cf. La Civilisation Égéenne, t.2, N.Platon).

La description de l'Atlantide par Platon rappelle au lecteur ce qui pourrait advenir de la civilisation minoenne. Ce n'est pas une coïncidence si Akrotiri essuya une catastrophe très similaire à celle décrite par Platon. En effet, en Crète, les jours de la cité minoenne de Cnossos étaient également comptés.

C'est l'archéologue grec Spyrídon Nikoláou Marinátos (1901-1974) qui fut le premier en 1939 à établir un lien entre les îles de Santorin, l'explosion du Théra et la disparition de la civilisation minoenne. Il fouilla également intensivement à Théra jusqu'en 1972.

Sa théorie ne fut connue du public et des médias que dans les 1960 (cf. S.Marinátos, 1959). Mais à l'époque, on n'imaginait pas encore l'ampleur de la catastrophe à l'échelle régionale. Ce sont les travaux de ses élèves puis d'autres spécialistes qui apporteront ces preuves et lui donneront raison.

Ainsi, sur la côte nord crétoise, juste en face de Santorin (à environ 130 km ou 2.15 heures de distance en bâteau à moteur), à 12 mètres au-dessus du niveau de la mer on a découvert des vestiges qui témoignent que le site fut submergé exactement comme l'écrit Platon. L'archéologue canadien Alexander "Sandy" Macgillvray a découvert des cendres et des sphérules de verre volcaniques provenant d'Akrotiri ainsi que des squelettes de foraminifères (protozaires) qui prouvent qu'il y eut de l'eau de mer à cet endroit. Plus loin, on découvre des pavés en calcaire pesant plus d'une tonne ayant été retournés. On en déduit qu'une forte gigantesque fut à l'oeuvre, mais laquelle ?

Pour y répondre, le spécialiste des tsunamis Costas Synolakis de l'Université de Sud Californie analysa des couches de terre proches de la côte crétoise et découvrit les mêmes traces que celles relevées à Palecastro au Sri Lanka après le tsunami qui frappa la région le 22 décembre 2004 : il a retrouvé les mêmes débris mélangés de poterie, de pierre et de terre. Sur base de simulations, il estime que la grande vague qui toucha la côte nord  de la Crète à l'époque minoenne mesurait 18 mètres de hauteur. Dans la zone d'inondation, entre 80 et 90% des habitants sont morts.

Ces différents indices convergent pour associer le tsunami à l'explosion du Théra qui détruisit Akrotiri et mit fin à la civilisation minoenne. Mais un tel phénomène, qui plus est combinant un tremblement de terre, une éruption volcanique et un tsunami, peut-il détruire toute une civilisation ? Quelles preuves avons-nous de l'ampleur de ce cataclysme ailleurs dans la région ?

Israël est situé à 850 km à l'est de Théra. La géo-archéologue marine Beverly Goodman de l'Université d'Haifa a prélevé des échantillons à 1500 m au large des côtes et a découvert des indices probants dans les dépôts sédimentaires : une zone de sable alternant avec des fragments de coquillages mélangés à des galets. Une telle organisation ressemble fort à celle qu'on a retrouvé sur la côte crétoise. Selon Goodman seul un tsumani a pu provoquer ce phénomène. Des dépôts similaires ont été découverts tout le long de la côte israélienne. Dans certains zones, ces dépôts mesurent 150 mètres d'épaisseur. Ils remontent à 3500 ans. Ils sont donc contemporains de l'explosion du Théra.

Nou savons aujourd'hui que l'éruption explosive du volcan fut précédée par un violent tremblement de terre qui fut ressentit jusqu'en Crète et en Turquie suite au déplacement des plaques tectoniques. Mais ce n'était que le signe annonciateur du réveil du volcan.

L'explosion du Théra

Que savons-nous aujourd'hui de l'explosion proprement dite du Théra à Santorin ? Sur le versant extérieur de Santorin on a découvert des coulées de laves qui prouvent que des coulées ont jailli de l'ancienne montagne volcanique, signes avant-coureurs du réveil du volcan. Puis le cratère géant se forma. 

Selon le vulcanologue et géologue Stephen Sparks de l'Université de Bristol, la caldera de Santorin a toujours existé. De plus la couronne liquide entourant Théra est déjà reproduite sur une fresque minoenne (voir photo ci-dessus). Sur la paroi intérieur de la caldera on trouve des couches magmatiques qu'on retrouve à Akrotiri. Le cratère existait donc déjà à l'époque. L'étude des fonds marins montre également qu'il y a 35000 ans Santorin était déjà constituée d'un archipel d'îles. Santorin connut ensuite une première éruption il y a 21600 ans puis une seconde il y a 3600 ans à l'origine de son aspect actuel.

Combinez les dégâts provoqués par une éruption volcanique (à gauche, celle d'un volcan sous-marin au large des îles Tonga en 2009 qui ne fit aucune victime) à des coulées pyroclastiques (à droite, celles du Pinatubo le 17 juin 1991 qui tua environ 300 personnes (document Imgur) et un mégatsunami, ensuite ne forcez pas la population à évacuer et vous aurez une idée des effets de l'éruption volcanique du Théra qui détruisit Santorin et tua tous les habitants d'Akrotiri vers 1650 ou 1610 avant notre ère. Les effets du tsunami de 15 à 18 mètres de haut furent ressentis sur toutes les côtes de la Méditerranée orientale, en Turquie, en Crète, en Egypte et en Israël. Cette catastrophe sera évoquée pour la première fois par écrit par Platon près de 1300 ans après les faits.

En 2012, l'équipe de vulcanologues dirigée par Tim Druitt du Laboratoire Magmas et Volcans (LMV) de l'Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand publia dans la revue "Nature" les résultats d'une étude sur les cristaux découverts dans les plagioclastes présents dans les pierres ponces récoltées à Santorin à l'époque des deux éruptions. Leur étude a montré que la plupart des cristaux de magnésium, de strontium et de titane présents dans les ponces de la dernière éruption avaient subi un processus de rééquilibrage en moins de 100 ans, alors que le même processus avait duré 3600 ans lors de l'éruption prédédente qui s'était produite 18000 ans auparavant.

Carte géomorphologique du Santorin. Les reliefs culminent à 565 m tandis que dans la partie nord du bassin, les fonds plongent à 450 m de profondeur.

Cette découverte inattendue signifie que la pression dans la chambre magmatique augmenta beaucoup plus rapidement qu'on le pensait et donc que le volcan se réveilla brutalement. Mais, ce qui est plus inquiétant, c'est que si on généralise ce mécanisme aux supervolcans, ils peuvent se réveiller en moins d'un siècle. Heureusement pourrait-on dire, en général il y a toujours des signes précurseurs.

L'éruption du Théra eut lieu au centre du cratère, sur une petite île située juste au nord du piton de Nea Kameni. La lave remplit le cratère puis déborda sur les versants jusqu'à la mer. Le volume du cratère est de 100 km3. Au total, le volcan Théra était 80 fois plus grand que le St.Helens et 27 fois plus grand que le Vésuve en l'an 79. C'était donc le plus grand volcan terrestre à cette époque. Il s'agissait d'un stratovolcan plinien. Etant donné sa puissance, l'explosion du Théra est qualifiée d'éruption ultra-plinienne.

L'explosion du volcan libéra une énergie estimée à 600 MT de TNT et présentait un indice d'explosivité VEI 6. Cela représentait 1.7 fois l'explosion du St.Helens en 1980 et fut équivalent à 30 fois l'explosion de la Tunguska en 1908 ou encore à 40000 fois la bombe d’Hiroshima ! L'explosion resta toutefois 6 à 8 fois inférieure à celle du Krakatoa en 1883.

Suite à des études réalisées en 2006 par des chercheurs de l'Université de Rhodes Island (URI), on estime que Théra éjecta au moins 60 km3 de matière, ce qui représente 150 milliards de tonnes de lave et 450 millions de tonnes de cendres qui retombèrent sur la région, y compris en mer où on retrouve encore des ejecta. Jusqu'à 30 mètres de ponces s'accumulèrent par endroit, l'épaisseur de cendre ayant été aussi importante qu'à Pompei en l'an 79. L’éruption d’une rare violence accompagnée de coulées pyroclastiques aurait durée 3 ou 4 jours. L’éruption sépara les îles de Thérasia et d’Aspronisi. L’île de Santorin fut recouverte sous une centaine de mètres de roches et de cendres.

Vers la fin de l'éruption, libérée de la pression de la lave, la chambre magmatique s'effondra, provoquant l'effondrement du cratère et l'engloutissant de la caldera sous les eaux comme on le voit aujourd'hui. Selon Platon "L’ile Atlantide s’enfonça sous la mer et disparu. De là, bien que nos jours encore, là-bas la mer est impraticable et inexplorable, encombrée par les bas-fonds de vase que l’île a déposée en s’abîmant."

Cartographie des fonds marins réalisée en 2006 et des cheminées hydrothermales découvertes dans la caldera du bassin du Santorin. Document NOAA.

La chute de la caldera d'environ 300 mètres généra un mégatsunami. Selon les simulations de Synolakis, l'explosion du Théra créa un tsunami de 15 à 18 m de hauteur qui se propagea dans toute la Méditerranée orientale dans un rayon de plus de 200 km, faisant des dégâts considérables sur son passage, sans oublier que la vague grandit encore en abordant les rivages. En 20 minutes, le tsunami balaya les côtes de Turquie, détruisant les habitations installées sur la côte. A 150 km de Santorin, les Crétois ont probablement vu le nuage de cendres s'avancer vers eux, puis en l'espace de 30 minutes ils furent balayés par le tsunami qui détruisit toute la flotte ainsi que les villes et villages du littoral dont Cnossos et Malia et se propagea ensuite à l'intérieur des terres. Les ports ainsi que le réseau commercial minoen furent détruits.

Ensuite, la vague parcourut 800 km, mettant plus d'une heure pour atteindre le littoral africain. Elle s'abattit sur l'Égypte 90 minutes plus tard où une vague de 6 m de hauteur balaya tout le littéral et s'enfonça sur plusieurs kilomètres dans les terres quasiment à fleur d'eau dans cette région. Il est possible que ce tsunami soit à l'origine du récit de la noyage des Égyptiens illustré dans la fresque du tombeau du pharaon Thoutmôsis III (1484-1450 avant notre ère) enterré dans la vallée des Rois. C'est peut-être aussi à ce tsunami dévastateur que se réfère implicitement la Bible dans le célèbre passage de la mer Rouge.

Le tsunami poursuivit sa course jusqu'en Israël où il se propagea jusqu'à 200 m à l'intérieur des terres, une bande de terre cruciale où se rassemblait l'essentiel des forces commerciales. La destruction des cultures signifia aussi la famine. Aujourd’hui, on retrouve encore des ruines de bâtiments écroulés et des traces de cendres ainsi que de tsunami sur les rivages et les hauteurs des côtes nord et nord-est de la Crète, sur les côtes de Turquie et sous les eaux des côtes d'Israël.

Ensuite, les poussières en suspension dans l'atmosphère ont obscurci le ciel européen pendant des années. Suite à la réverbération de la lumière solaire sur les fines gouttelettes d'eau et la poussière contenues dans les nuages, l’éruption affecta le climat méditerranéen ainsi que le climat européen jusqu’en Europe occidentale (Allemagne et sud de l'Angleterre).

Disparition des habitants et d'une civilisation

Que sont devenus les habitants d'Akrotiri ? Platon ne dit pas ce qu'est devenu Akrotiri ni ses habitants. A ce jour, les archéologues n'ont exhumé aucun squelette même partiel à Santorin comme si la population s'était volatilisée ou avait eu le temps de se déplacer en un lieu sûr. Toutefois, les fouilles dans toute la région ont apporté quelques éléments de réponses. Ainsi, McCoy précité a découvert que la vie fut ensevelie sous 30 à 50 mètres de cendres et de roches volcaniques qui se sont amoncelées en l'espace de 3-4 jours, préservant la ville des vandales.

Selon McCoy, Akrotiri subit des coulées pyroclastiques similaires à celles qui ensevelirent une partie de l'île de Montserrat en 1997 suite à l'éruption de la Soufrière (cf. cette photo prise 10 ans après l'éruption). Ces nuées ardentes constituées de poussière et de débris peuvent atteindre une vitesse de 720 km/h et près de 1000°C et peuvent se propager sur l'eau. Les chercheurs pensent que les habitants qui n'avaient jamais assisté à ce genre d'éruption ont tenté de fuir par la mer pendant l'éruption. Vu la petite dimension de l'île, les coulées pyroclastiques se sont étendues jusqu'au large. Sachant que la cendre brûlante flotte et se propage rapidement grâce à l'interface de vapeur qu'elle crée à la surface de l'eau, les coulées pyroclastiques ont rapidement rattrapé les bâteaux, carbonisant sur place les malheureux occupants. Brûlés vifs ou même pyrolisés et réduits en cendres, l'eau aurait tout emporté et nettoyé. L'absence de cadavres expliquerait pourquoi Platon n'en parle pas. Il est probable qu'une partie des habitants restèrent sur l'île et les archéologues pensent qu'il doit encore exister des squelettes datant de cette époque sous les épaisses couches de cendres qui pourraient un jour être exhumés. Ce jour là sera vraiment à marquer d'une pierre blanche.

Si on exclut les éruptions des supervolcans dont l'humanité a perdu le souvenir (Yellowstone et Toba), l'éruption du Théra fut le phénomène volcanique le plus important et le plus dramatique qu'ait connu l'humanité. Les Minoens ne se remettront jamais de cette catastrophe. La civilisation minoenne disparut en quelques décennies mais son souvenir fut transmis de génération en génération par la tradition orale. Finalement Platon intégra ces souvenirs à son épopée sur les Atlantes. La légende de l'Atlantide était née. Elle repose donc en réalité sur la pire catastrophe des 4000 dernières années qui marqua l'Histoire.

Nous verrons à propos de la Bible que selon une théorie proposée en 2014, le récit des "Dix plaies d'Égypte" relaté dans l'Exode pourrait être le témoignage métaphorique des conséquences de l'explosion du Théra à Santorin dont les effets auraient été ressentis jusqu'en Égypte. Bien que l'hypothèse soit fragile, on y reviendra car c'est la première fois qu'on met en relation cet épisode biblique avec une catastrophe naturelle connue.

Pour plus d'informations

Les volcans terrestres (sur ce site)

L'explosion du Krakatoa (sur ce site)

Volcano Global Update Centre (groupe public Facebook US géré par le MTU)

Volcanoes and volcanism, groupe public Facebook US

Earth On Fire, l'actualité volcanologique.

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