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Réévaluation du paradoxe de Fermi

Document T.Lombry

La station spatiale Quasar, poste avancé d'une civilisation de Type III en orbite lente autour d'une radiosource. Doc T.Lombry.

Variation du gradient de température galactique (III)

Dans son fameux article sur les sources de rayonnement infrarouge publié en 1960, Freeman Dyson[16] proposait aux astronomes de rechercher de grandes infrastructures d’astroingénierie ou ingénierie spatiale (les sphères de Dyson par exemple) qui témoigneraient de la présence d’intelligences extraterrestres avancées. Son article publié dans la revue "Science" compte parmi les plus célèbres et fait encore l’objet de discussions, non seulement sur les forums mais également dans le cadre de travaux scientifiques.

L’une des plus importantes contributions fut proposée par le célèbre pionnier de l’intelligence artificielle (IA) Marvin Minsky[17] suite au discours que donna Dyson durant le congrès de Byurakan en 1971. Minsky suggéra que des ordinateurs avancés pourraient tirer profit de la température du fond de rayonnement micro-onde pour dissiper leur chaleur[18].

Cette proposition est fausse dans ses détails, tout au moins comme nous l'expliquerons pour les CTA les plus jeunes et les plus accessibles mais elle nous offre une directive importante quand à l’objet de notre recherche. Suite à l'idée de Minksy d’autres projets d’astroingénierie – parfois appelés les mégaprojets ou macroprojets – visant à optimiser les ressources des CTA ont été proposés, parmi lesquels les “Cerveaux de Jupiter”[19].

Quelle est la température d’un corps solide (telle qu’une sphère de Dyson, un Cerveau de Matrioshka ou un Cerveau de Jupiter) qui serait en équilibre thermique avec l’espace environnant interstellaire ? Le facteur dominant est la distribution spatiale du champ de rayonnement interstellaire (le rayonnement pour simplifier), tout spécialement aux courtes longueurs d’ondes (optique et UV). La manière la plus importante dont l’énergie est transférée à un corps solide s’établit par le milieu galactique interstellaire, par l’absorption de photons, les collisions avec les atomes et les ions étant sans importance, environ un million de fois plus faibles.

En négligeant ce second mode de transfert, la température est donnée par l’équation d’équilibre radiatif[20] qui tient compte du flux d’énergie du rayonnement, du coefficient d’absorption et de la fonction du corps noir de Planck qui dépend elle-même de la longueur d'onde et de la température.

Le rayonnement est principalement généré par les étoiles de Population I qui se concentrent dans le disque galactique. Une densité d’énergie typique du rayonnement dans le voisinage du Soleil est de l’ordre de U = 7x10-13 ergs/cm3, non compris la contribution du rayonnement cosmique micro-onde (CMB) dont la valeur est de UCMB = 4x10-13 ergs/cm3.

En considérant un disque galactique exponentiel[21] dont le rayon est d'environ 10000 a.l. et dont on connaît la variation lumineuse, on peut calculer la surface de brillance du disque :

(3)

dont la valeur est en bon accord avec les observations, y compris dans les autres galaxies.

Il est donc établit que rayonnement diminue à mesure que l’on s’éloigne du bulbe central ainsi que la température d’équilibre, ce qui augmentera l’efficacité des ordinateurs selon l’équation (2). Aucune étude détaillée de la distribution de la température du champ de rayonnement dans le disque de la Voie Lactée n’ayant encore été faite, on ne peut proposer que des estimations.

Une partie de la réponse peut être estimée en comparant ces résultats aux observations faites sur des corps solides naturels parvenus à l’équilibre thermique, en particulier sur les grains de poussière interstellaires.

A gauche (figure 1), température des grains de poussière à l’équilibre avec le champ de rayonnement interstellaire pour différentes distances au centre galactique. Document J.S. Mathis, 1983. A droite (figure 2), quantité maximum d’information par unité d’énergie dépensée par un ordinateur en équilibre thermique avec le champ de rayonnement interstellaire à différentes distances du centre galactique (la position du système solaire est indiquée par la barre verticale). La limite due au rayonnement cosmologique micro-onde à 2.7 K (CMB) est également indiquée. On observe que l’efficacité maximale augmente considérablement pour R > 10 kpc. A plus grande distance, un simple argument d’échelle indique que l’efficacité aura tendance à augmenter µ√R jusqu’à atteindre la limite CMB dans l’espace intergalactique. Toutefois, ces régions extérieures sont presque vides de matière baryonique et même la densité de matière froide (CDM) devient excessivement faible. Documents Cirkovic et Bradbury.

La figure 1 présente les résultats de modèles détaillés de la distribution de température de grains de poussière réalisés par Mathis, Cox et leurs collègues en 1983. En utilisant ces valeurs et en les corrigeant pour l’émission de corps solides pour étendus Cirkovic et Bradbury ont obtenu en 2005 les résultats présentés dans la figure 2. A partir des mesures de la température d’équilibre des différentes champs de rayonnements du milieu interstellaire, on peut évaluer "l’efficacité informatique" comme étant le nombre maximal de bytes traité par unité d’énergie investie exprimée en terabytes/erg (1012 bytes/erg). En réalité nous devons tenir compte des inhomogénéités dans le milieu interstellaire, spécialement les nuages moléculaires géants.

A l'image des nébuleuses obscures, ces nuages moléculaires sont si denses qu'ils sont impénétrables au rayonnement de courte longueur d’onde et ne peuvent être étudiés qu’aux longueurs d'ondes infrarouge et surtout radio. Ces masses sombres parfois associés à des nébuleuses brillantes comptent parmi les régions les plus froides de la Voie Lactée avec une température d’environ 10 K seulement, deux à dix fois plus froides que les régions extérieures des nébuleuses. Toutefois l’intérieur de ces nuages moléculaires est parfois le siège d’une intense production d’étoiles, c'est une véritable nurserie avec tous les risques de radiation que ces processus imposent.

Ces basses températures locales sont des phénomènes assez irréguliers et temporaires, évoluant sur des échelles de temps d’environ un million d’années. C'est un délai excessivement court et inacceptable du point de vue de la survie de la plupart des CTA qui sont supposées exister de manière stable sur des périodes de temps beaucoup plus longues par définition.

Aucune étude sur le rayonnement interstellaire n’a encore été faite sur des distances supérieures à environ 45000 a.l.. On sait toutefois qu'au delà de 65000 a.l. il n'existe pratiquement plus de sources de rayonnement interstellaire (baryonique). Pour déterminer les quantités d'information et d'énergie maximum disponibles en fonction de la distance, nous avons besoin de connaître deux relations. La première est la température d’un objet solide étendu (par exemple une sphère de Dyson) situé à la distance R. Cette relation suit la fonction σT4υ(R) où σ est la constante de Stefan-Boltzmann. Sachant d'un autre côté que la luminosité varie en fonction du carré inverse de la distance (comme la gravité), on peut écrire la relation suivante :

σT4υ(R) µ L*√R  (4)

où L* est la luminosité galactique dans les bandes d’absorption et vaut environ 4.9x1010 L. En tenant compte des équations (2) et (4) nous obtenons une relation générale valable pour les régions galactiques externes :

(I/E)max µ √R   (5)

A plus grandes distances du centre galactique la limite du rayonnement micro-onde (~2.7 K) sera atteinte de manière asymptotique. Parmi les analyses à venir, on peut également discuter la question de l’habitabilité de la Galaxie du point de vue des CTA (probablement postbiologiques) en tenant compte des facteurs d’influence suivants :

- L’effet calorifique dégagé par les rayonnements cosmiques joue un rôle important à l’intérieur des nuages moléculaires les plus denses (il domine les mécanismes de chaleur et d’ionisation et déclenchent toutes les réactions chimiques dans les milieux froids); la densité d’énergie des rayons cosmiques à hauteur du Soleil fut estimée par W.R. Webber[22] en 1987 à environ Urc = 2.4x10-2 erg/cm3, mais s’écroule de manière complexe (instabilité de Parker, etc.) en fonction de la distance au centre galactique.

- Les supernovae, spécialement celles de Type II et Ic qui tendent à se concentrer dans les bras spiraux et d’autres régions riches en formation d’étoiles.

- Les évènements plus rares et plus dramatiques que sont les éruptions gamma (les plus longues sont associées aux hypernovae tandis que les plus courtes sont peut-être associées à la fusion d’étoiles neutrons binaires) qui sont en mesure d’influencer de manière négative et même fatale les biosphères planétaires à travers une grande partie de la Galaxie. L’éventuelle activité nucléaire galactique tombe également dans cette catégorie (voir plus bas).

- Enfin, d’autres phénomènes thermodynamiques touchant les besoins informatiques (bande passante, temps de latence, problème d’effacement aléatoire des bits, etc)

Il est significatif de noter qu’à la fois l’énergie cinétique et les rayonnements émis par les supernovae et les phénomènes associés produisent un effet négatif sur l’efficacité informatique des CTA.

Tout ces effets diminuent à mesure que l’on s’éloigne du centre galactique et sont très faibles pour R > 15 kpc.

Explosion d'une supernova dans une galaxie de Seyfert. Document T. Lombry

Dans les régions intérieures de la Galaxie, les mêmes facteurs empêchant l’habitabilité (principalement les supernovae et les éruptions gamma) oeuvrent également pour empêcher le développement de CTA informatisées. De plus, l’activité nucléaire de la Voie Lactée et des galaxies spirales en général peut être importante pour l’évolution astrobiologique de ces régions.

En 1981, J.N. Clarke[23] proposa un mécanisme de régulation global qui empêcherait l’apparition de forme de vie complexe et de l’intelligence dans toute la Galaxie. Bien qu’il semble aujourd’hui que son mécanisme soit peu probable à la lumière des conditions spécifiques régnant dans le coeur de la Voie Lactée, nous devons rester prudent car des observations récentes[24] ont révélé d’énormes éruptions nucléaires au sein des galaxies d’amas. Etant donné que le coeur de la Voie Lactée continue à produire des étoiles et serait également le siège d'un trou noir, cette hypothèse ne peut pas être écartée.

Il existe un autre gradient à grande échelle dans la Voie Lactée : le gradient de métallicité. Les abondances moyennes de métal dans les étoiles et le milieu interstellaire sont relativement bien décrites (par le gradient radial de ÑZ ≈ 0.07 dex/kpc) et semble produire un effet adverse sur les éventuelles CTA vivant dans les régions extérieures de la Galaxie, contrecarrant l’amélioration de l’efficacité informatique décrite précédemment. Mais selon Cirkovic et Bradbury, le Principe d’Intelligence suggère un processus différent lorsque nous tenons compte de l’enrichissement chimique qui est entièrement produit par la nucléosynthèse stellaire; la composition primordiale était totalement exempte d’éléments métalliques.

Selon les standards CTA, la nucléosynthèse stellaire est horriblement inefficace; elle convertit environ 1% de la masse de repos des particules en énergie dont l’essentiel est perdu dans la Galaxie longtemps avant l’apparition des premières CTA. Dès lors la matière baryonique dans sa composition primordiale semble, en principe, constituer les briques les plus intéressantes pour optimiser une informatique avancée. Les CTA devraient ensuite être capables de créer des noyaux plus lourds en contrôlant la fusion nucléaire et en minimisant les pertes d’énergie par unité d’entropie créée.

Prochain chapitre

L’hypothèse de la migration

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[16] F.J. Dyson, ”Search for Artificial Stellar Sources of Infrared Radiation”, Science, 131, pp1667-1668, 1960 – V.Badescu, ”On the radius of Dyson’s sphere”, Acta Astronautica, 36, pp135-138, 1995.

[17] M.Minsky, dans “Communication with Extraterrestrial Intelligence (CETI)”, éd. par C. Sagan, MIT Press, 1973.

[18] Entre parenthèses, au cours du même débat Minsky pressentit l’infaisabilité des projets SETI conventionnels en raison de l’impossibilité de distinguer un signal dans un bruit aléatoire. Dans le cadre de notre discussion, nous utiliserons le terme “corps solide” pour définir tout objet macroscopique non gazeux et non liquide. Nous considérons que la taille des corps solides oscille entre 10-5 cm (grain de poussière interstellaire) et 1013 cm (une sphère de Dyson).

[19] A.Sandberg, op.cit. - R.J. Bradbury, ”Jupiter & Matrioshka Brains: History & References”, 1997 – R.J. Bradbury, ”Matrioshka brains”, 2001

[20] J.E. Dyson et D.A. Williams, “Physics of the interstellar medium”, Manchester University Press, 1980.

[21] En raison de la rotation galactique et de l'effet de la gravité, la majorité des galaxies prennent une forme de lentille avec un bulbe central plus brillant que les extrémités et où la concentration des étoiles est également la plus importante. Lire J.Binney et M.Merrifield, “Galactic Astronomy”, Princeton University Press, 1998.

[22] W.R. Webber, ”The interstellar cosmic ray spectrum and energy density. Interplanetary cosmic ray gradients and a new estimate of the boundary of the heliosphere”, Astron. Astrophys., 179, pp277-284, 1987.

[23] J.N. Clarke, ”Extraterrestrial Intelligence and Galactic Nuclear Activity”, Icarus, 46, pp94-96, 1981.

[24] B.R. McNamara et al., ”The heating of gas in a galaxy cluster by X-ray cavities and largescale shock fronts,” Nature, 433, pp45-47, 2005.


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