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La détection d'un signal artificiel

La protection des fréquences (II)

Depuis la première tentative de Drake, bien que 40 instruments aient été utilisés dont 35 radiotélescopes pour écouter 2500 étoiles et 200 objets variés (quasars, amas globulaires, masers OH, etc), totalisant quelque 120000 heures d’observation, aucun message artificiel n’a encore été capté. Sauf le 15 août 1977 où Jerry R. Ehman de l'Université d’Etat de l'Ohio enregistra avec le radiotélescope de Big Ear un signal trente fois plus fort que celui des étoiles et ce durant 72 secondes à proximité de la fréquence de 21 cm. Ce signal fut baptisé “Wow!”.

Malheureusement, ce signal ne s'est manifesté qu'une seule fois. Et 40 ans après sa découverte et après avoir émis des dizaines d'hypothèses qu'il a fallu vérifier, on ignore toujours de quoi il s'agit. Seuls faits acquis, il ne s'agirait pas d'un signal parasite terrestre et il suivait le mouvement sidéral à l'instar d'une radiosource. Il pourrait donc s'agir d'un signal extraterrestre. Est-il naturel ou artificiel, nul ne le sait, bien que la première explication soit la plus simple.

Sur base de l'expérience acquise par les radioastronomes notamment dans le cadre du projet SETI, Seth Shostack a rappelé que les radioastronomes enregistrent très souvent des signaux puissants mais qui ne se répètent jamais. C'est la raison pour laquelle les algorithmes du  projet SETI@home cherchent avant tout des signaux répétitifs.

"Wow!", le signal de forte intensité enregistré le 15 août 1977 dans la constellation du Sagittaire par le radiotélescope de Big Ear. Voici le listing complet. Notons qu'aujourd'hui ce listing est annoté. Malheureusement ce signal ne s'est manifesté qu'une seule fois. Après investigation, il s'agirait du signal de la comète 266P/Christensen comme l'explique cet article publié en 2017 mais cette hypothèse est controversée. Document Big Ear/Ohio State Radio Obs, collection Ohio History, Columbis MSS 1151. A droite, document de P.Horomitz.

En 2016, l'association Center for Planetary Science publia un article dans le journal Washington Academy of Sciences dans lequel l'astronome Antonio Paris du Collège de St. Petersburg et Evan Davies de l'Explorers Club de NewYork proposaient une hypothèse qu'ils voulaient vérifier. Ils ont suggéré que le signal Wow! fut émis par un nuage d'hydrogène généré lors du passage de deux comètes transitant devant l'amas globulaire M55 situé dans le Sagittaire.

Pour tenter de le démontrer, ils ont planifié deux expériences avec une petite antenne parabolique d'occasion de 10 m de diamètre lors du passage des comètes 266P/Christensen et P/2008 Y2 (Gibbs) à moins de 3° de distance entre le 7 et le 15 août 2017 qui devraient libérer un immense nuage d'hydrogène dont le rayon est estimé à plusieurs millions de kilomètres. Une première expérience avec la comète Christensen fut réalisée le 25 janvier 2017 et une seconde avec la comète Gibbs sera réalisée le 7 janvier 2018. Bonne nouvelle, le signal de la comète 266P/Christensen détecté à 21 cm est similaire à Wow!, un résultat sinon étonnant qui va dans le sens de la théorie des astronomes sans pour autant la valider. Car il faut à présent expliquer le mécanisme qui produit ce signal qui est toujours inconnu depuis 40 ans. Reste aussi à vérifier si ce signal se répétera avec la comète Gibbs.

Signal enregistré en 2015 par le RATAN-600 émis par l'étoile HD 164595 abritant une exoplanète. Les scientifiques estiment que cette étoile doit être surveillée en permanence dans le cadre de SETI. Document N.Bursov et al.

L'affaire n'est donc toujours pas résolue quoiqu'en disent les médias et fait même l'objet de controverses comme en témoignent ce résumé compilé par Chris Lintott à partir des commentaires de divers astronomes et le commentaire pour le moins sceptique d'un radioastronome anonyme de l'Université de Toronto surnommé Andromeda321 publié sur Reddit en 2017.

Selon une étude publiée dans "International Journal of Astrobiology" en 2022 par l'astronome amateur Alberto Caballero, auteur de la chaîne YouTube "The Exoplanets Channel", le signal Wow! pourrait provenir d'une étoile semblable au Soleil cataloguée 2MASS J19281982-2640123 (2MASS J19) située à 1800 années-lumière dans la constellation du Sagittaire. Toutefois, l'auteur n'apporte aucun argument scientifique pour valider son choix autre qu'il s'agit d'une étoile solaire.

Finalement, dans un article publié dans les "RNAAS" en 2022, une équipe de chercheurs dirigée par Karen I. Perez de l'Université de Columbia étudia l'étoile 2MASS J19 pendant 580 secondes à l'aide des radiotélescopes GBT et Allen. Ils concluent : "Aucun candidat de technosignature n'a été détecté".

Mais pourquoi se limiter aux étoiles solaires et non pas rechercher l'origine du signal dans l'ensemble des étoiles ? Limiter la gamme des possibles n'est certainement pas la meilleure approche.

De plus pourquoi se focaliser sur le signal Wow! qui ne s'est JAMAIS répété alors que l'étoile HD 164595 par exemple située à 95 années-lumière dans la constellation d'Hercule qui abrite une exoplanète de la taille de Neptune a également émis un puissant signal comme on le voit à gauche mais dont quasi personne n'a parlé ? Tout indique que la simple annotation "Wow!" a transformé un évènement banal en sujet folklorique !

Entre-temps, en 1997 les faibles signaux du satellite d'observation du Soleil SOHO rebondirent sur la structure métallique d'Arecibo et donnèrent également lieu à quelques échos suspects.

Pour éviter ces mauvaises surprises et la risée du monde scientifique, les radioastronomes ont décidé de prendre le taureau par les cornes et de poser sur la table de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT) un protocole d'accord visant à protéger les fréquences réservées à la radioastronomie.

Parasites et interférences dans les bandes radioastronomiques

A l’époque du projet MegaSETI, plusieurs administrations internationales s’étaient intéressées à l'étude des radiocommunications, ayant mis sur pied des récepteurs ultrasensibles : VLA aux USA, Samarkande en Ouzbékistan, Nancay en France, etc. A l'heure actuelle ces récepteurs présentent une telle sensibilité qu'ils peuvent détecter une station de radio à 36 a.l. sur Arcturus, une énergie équivalant à un milliardième d'électronvolt !

Cette utilisation passive des fréquences, acceptée par tous les protagonistes au cours des conférences WRC (World Radio Conference) peut devenir abusive par l’action des hommes et créer de très sérieux problèmes en radioastronomie. C'est la raison pour laquelle une limitation du spectre accessible doit être acceptée, non seulement pour SETI mais pour la recherche en général.

Les problèmes que connaît l'astronomie optique, avec la difficulté de trouver un site noyé dans l'obscurité, existe également en radioastronomie, mais le public y est moins sensible puisqu'on ne voit pas ces ondes hertziennes. Il faut savoir que les radiotélescopes peuvent être sujets à différents types d'interférences :

- La fréquence des générateurs utilisés en radioastronomie peut se situer au début du spectre qu'ils étudient,

- Les interférences peuvent résulter du rayonnement d'un appareil domestique,

- Même si l'antenne d'un radiotélescope n'est pas pointée en direction de la source d'interférence, il peut l'enregistrer par ses lobes de moindre sensibilité, propriété inhérente des antennes,

- Les filtres passe-bande sont souvent omis pour éviter une perte du signal déjà faible. Quant aux techniques de réception et l'emploi d'amplificateurs à faible bruit, elles sont d'une manière générale moins performantes à haute fréquence, sans qu'il y ait une limite nette.

Signaux parasites dans les bandes SETI

A gauche, un signal à large bande détecté par le programme SETI@home. A droite, des parasites aux alentours de 1700 MHz. Document U.Berkeley et Observatoires Parkes.

Alors que le premier article peut être réglementé au niveau national, les trois derniers doivent être contrôlés par les ingénieurs employés par les observatoires radioastronomiques. Pour le feu-programme MegaSETI par exemple, le Comité Consultatif International de Radiocommunications (CCIR) avait proposé une protection à la réception d'environ -255 dB (W/m².Hz), soit 3.10-26 Watts/m² par Hertz au voisinage de 1420 MHz (environ 0.01 Jansky). Ce niveau de flux devait protéger le spectre de façon à discriminer un éventuel signal artificiel du bruit de fond et des parasites. Malheureusement la réglementation est insuffisante quant au contrôle de certains systèmes qui engendrent également des interférences, tels que les lignes à hautes-tensions, les éclairages au néon, les portails automatiques, les clôtures électriques, etc. Les principales utilisations actives du spectre radio sont les communications de tout type : radiodiffusion, TV, services mobiles, radioamateurs, militaires. Tous essayent d'obtenir le spectre le plus étendu possible. Quel débat !

Seuil de brouillage préjudiciable

Variation du seuil de brouillage préjudiciable pour la radioastronomie en fonction de la fréquence. I : Continuum rayonnant, II : Raie spectrale. Document adapté du CCIR,CE02.

La législation nationale a prévu des arrêtés ministériels pour éviter l'utilisation sauvage des bandes radios. Le droit international et les directives européennes[5] complètent cette législation et imposent également le respect de certaines règles. Mais chaque pays est souverain et il va sans dire que chacun "voit midi à sa porte". Ainsi, les radioamateurs gardent un épisode cuisant à l'esprit, lorsqu'au début des années 1980 leur représentant s'est plaint auprès de l'UIT à Genève de la gêne que les militaires de l'Etoile rouge provoquaient en utilisant abusivement un radar transhorizon. Baptisé "Woodpecker" par les amateurs, ce surnom rappelle combien ce dispositif gênait les transmissions en ondes-courtes. Ces émissions artificielles ont des puissances des millions de fois plus intenses que celles provenant des sources cosmiques.

Le même problème surgit quelques années plus tard, lorsque le prix des composants électroniques et leur construction furent suffisamment accessibles pour que les principaux constructeurs proposent des équipements émettant sur des fréquences voisines de celles intéressants les astronomes.

Ainsi le système soviétique de navigation “Glonass” émet au voisinage de 1600 MHz. Tout près de là les radioastronomes analysent les informations qu’ils reçoivent sur le fameux “point d’eau” de la raie de l’hydroxyle OH, entre 1610 et 1660 MHz.

Liste UAI des raies spectrales astrophysiques

La situation est préoccupante aux Etats-Unis où les scientifiques jettent leurs griefs sur l’US Customs Service et Motorola Communications Inc., cette dernière ayant eu l’idée de lancer le programme Iridium, un ensemble de 66 satellites destinés à la communication cellulaire. Malheureusement, sa bande de fréquence s’étend de 1610 à 1626.6 MHz[6]. Les astronomes ont remarqué que lorsque les émissions ne sont pas correctement contrôlées, elles interféraient avec les ondes émises par les radicaux hydroxyle situés entre 1610.6 et 1613.8 MHz. Le but des astronomes est d’amener la National Science Foundation à négocier avec Motorola une modification technique de leurs satellites afin que les chercheurs puissent conserver leurs accès aux ondes stellaires radios. Cela leur permettrait de continuer à rechercher les molécules d’hydrogène et d’oxygène dans l’espace et d’étudier la formation des étoiles. Les chercheurs espèrent que leurs droits seront préservés, d’autant plus qu’une note en bas de page de la législation de l’UIT prévoit que les principaux utilisateurs essayeront “de prendre toutes les mesures pratique de protection nécessaire afin de protéger les services de radioastronomie des interférences nuisibles[7]”.

Si rien n’est fait, la mise en service de ce réseau et de bien d’autres (GlobalStar avec 48 satellites, GPS avec 30 satellites, etc) fermeront petit à petit nos fenêtres radioélectriques sur l’univers. Ne nous berçons pas d’illusions; la révolution numérique du “village global” est en route. Elle représente un investissement d’au moins 1000 milliards de dollars dont environ 30% est représenté par des relais et des capteurs en orbite au-dessus de nos têtes prêts à débiter au public des bouquets de chaînes TV numériques et des données informatiques.

Les pollueurs de fréquences

Le réseau de satellites de navigation Galsat, comme la plupart des réseaux GPS, participe à la pollution radioélectrique du ciel. A l'image des parasites engendrés par le réseau Glonass soviétique ces services civils et militaires ferment petit-à-petit nos fenêtres radioélectriques sur l'univers, au grand dam des scientifiques. Document ESA.

Quel est l’avenir de la radioastronomie ? Selon l'astrophysicien Evry Schatzman[8] directeur de recherche au CNRS, en 1970 les transmissions télévisées terrestres représentaient une puissance supérieure à 10 millions de watts. Si la tendance s'est poursuite il faut aujourd'hui la multiplier par un facteur 100, soit 1 gigawatts ! Puisque les radiotélescopes sont en mesure de capter les moindres objets qui émettent un rayonnement, même s'ils se trouvent aux antipodes, il devrait en résulter un effort de coopération qui nous concerne tous. Pour faciliter cette coexistence pacifique de la radioastronomie et du public, deux facteurs y contribuent : la séparation géographique avec la population (désert ou mise en orbite) et l'utilisation de fréquences séparées (bandes particulièrement libres). Mais étant donné le non respect de cette clause, il parut urgent de fixer ces bandes de fréquences pour l'utilisation exclusive de la radioastronomie professionnelle. La situation se dégrade tous les jours et nécessite une prise de conscience : comme le disait l'astrophysicien Jean Heidmann lors d'une interview, "il y a plus de parasites qu'hier mais il y en a toujours moins que demain ! ". Il n’empêche que la situation est alarmante.

Liste des Fréquences radioastronomiques

Les conférences WRC de l'UIT essayent donc d'établir la réglementation radioélectrique internationale, allouant à chaque service une série de fréquences, depuis 9 kHz jusqu'à 348 GHz (de 33 km à 0.86 mm de longueur d'onde). Ce comité a pour charge de revoir périodiquement ses arrêtés, d'y apporter des modifications et y faire des amendements. En 1992, elle rassembla plus de 350 représentants de tous les pays de l'UIT qui ont fait pas mal de "chambard" dans l'allocation des fréquences. Cela dit, les actes finaux furent rappelés en force en l'an 2000 et seront certainement amendés dans les années qui viennent suite à l'expansion d'Internet, des systèmes Wi-Fi et des réseaux satellites.

Ainsi donc, comme nous essayons aujourd'hui de préserver le patrimoine de la nature, nous devons malheureusement constater qu'il nous faut à présent préserver nos fenêtres sur l'univers.

Pour plus d'informations

Why Astronomers Will Hate the Internet of Things, Discover Magazine, 2015

Area Coverage of Expanding E.T. Signals in the Galaxy: SETI and Drake's N, Frank Drake et al., 2018 (arXiv)

Eavesdropping Mode and Radio Leakage from Earth, in " Life In The Universe" (CP-2156), Woodruff T.Sullivan III, 1979

Conférences WRC de l'UIT

Protection du service de radioastronomie contre les rayonnements non essentiels (UIT-R RA.611-3), UIT

The electromagnetic spectrum from 31.2 mHz to 6.52 EHz, PDF de Anthony Tekatch

Techniques d'observation en radioastronomie basse fréquence en présence d'émetteurs radioélectriques, R.Weber et al., 2007, CNRS

Radio quiet, please! - protecting radio astronomy from interference, W.van Driel, 2009

Radio Frequency Interference, NRAO

Influence Factor of Radio Frequency Interference for Radio Astronomy Interference (RFI)‎, Z.S.Hamidi et al., UITM.edu, 2012.

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[5] La directive européenne 89/336 EEC fut complétée par l’amendement 92/31/EEC et entra en vigueur le 1er janvier 1992. Elle impose le label CE à tous les appareils électriques et électroniques mis sur le marché dans la Communauté Européenne, garantissant au consommateur que les appareils mis en vente respectent la législation en matière d’interférences, immunités, parasites, etc.

[6] A.Abbott, Nature, 380, 1996, p569.

[7] R.Stone, Science, 251, 1991, p1316.

[8] E.Schatzman, "Les enfants d'Uranie", op.cit., p157.


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