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La Singularité Technologique

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Prédictions (IV)

Comme nous l'avons expliqué dans l'article consacré aux technologies du futur, être futurologue est un métier ingrat car dans la grande majorité des cas, les prédictions ne se confirment jamais car trop de facteurs influencent la société et l'avenir de chacun. Essayons malgré tout de nous projeter loin dans le futur à partir de ce que nous savons aujourd'hui (de plus il n'y aucun risque de se tromper puisque de toute façon personne ne pourra le vérifier !).

Explosion de l'intelligence

Si l'humanité parvient un jour à atteindre un état de "superintelligence" – soit grâce à l'IA soit grâce à une augmentation neuronale ou les deux – toutes les formes de recherche et de développement subiront un changement massif et rapide, à l'image de la révolution qu'entraîna l'invention de l'écriture, de l'électricité ou la micro-informatique.

Les applications qui en résulteront seront probablement immensément nombreuses, avec des "smartcity" ou villes superintelligentes naissant comme des champignons et des nations entières gérées par des systèmes d'intelligences artificielles interconnectés aux capacités prédictives inimaginables.

L'humanité en étant la commanditaire, elle en profitera pleinement, surtout en matière d'exploitation des ressources. En effet, une intelligence artificielle très avancée peut superviser les réseaux d'énergie, de transports, la gestion des achats, l'utilisation de l'eau, la gestion des déchets, etc. S'y ajoute, une meilleure prise en charge des malades et des soins améliorés. Les mégapoles deviendront des endroits propres et sains où la population aura la chance de vivre sans s'occuper des contraintes les plus lourdes de la vie.

L'Âge d'abondance

Être capable de manipuler des atomes individuels signifie à terme que la société est capable de modifier des éléments et des composés à l'échelle cellulaire, atomique et même subatomique pouvant conduire à un Âge d'abondance.

Tout au long de l'histoire des civilisations, l'une des bases des économies humaines a toujours été la rareté (cf. le concept de valeur-travail d'Adam Smith et de David Ricardo). Plus une ressource est rare, plus il faut travailler pour l'obtenir, et plus le produit est valorisé. C'est le cas des minerais, de l'or, du pétrole, parfois de l'eau et de la nourriture.

Mais à une époque où il sera possible de synthétiser des métaux précieux et d'autres produits de valeur à partir de matériaux de base, on pourra générer de l'énergie à profusion et à l'infini à partir de sources renouvelables. Dans un monde surpeuplé où les terres agricoles se feront rares, la nourriture et l'eau pourront être créées à partir de rien et répliquées à l'infini avec autant de variantes que souhaite le client.

Des situations comme la pauvreté, la faim et le sous-développement qui l'accompagnent cesseraient d'exister. Une telle capacité changerait radicalement l'ordre économique, notre vision du monde et de ses limites. Comme l'écrivit George Orwell dans son roman dystopique "1984" publié en 1949 : "Dans un monde où tout le monde travaillait peu d'heures, mangeait à sa faim, vivait dans une maison avec salle de bain et réfrigérateur, et possédait une automobile ou même un avion, la forme d'inégalité la plus évidente et peut-être la plus importante aurait déjà disparu. Si cela se généralisait une fois, la richesse ne confèrerait aucune distinction" (le Manifeste de Goldstein).

L'immortalité

Sur le plan biologique, plus d'un biologiste et biophysicien affirment qu'il sera difficile de dépasser une longévité de 120 à 150 ans car la résilience humaine diminue naturellement avec l'âge (cf. L'avenir de l'Homme). Pour vivre plus longtemps, il faudra recourir à la technologie.

Dans un futur post-mortalité, la capacité de prolonger indéfiniment la vie sera possible grâce à des médicaments anti-âge, des organes synthétiques, en recourant au clonage, à l'exploitation de la thérapie génique, des cellules souches, des nanomachines médicales et le téléchargement neuronal. De la sorte, l'humanité pourra littéralement devenir "immortelle".

La capacité de continuer à vivre et d'inverser le poids du temps et les effets du vieillissement signifiera également que la population pourra rester active, en bonne santé et productive indéfiniment. Reste à voir si elle supportera longtemps cette condition dans une société où les loisirs garderont une place de choix.

A gauche, évolution de l'espérance de vie à la naissance entre 1850 et l'an 3000. A droite, nombre de retraités (65 ans et plus) pour 100 actifs (20 à 64 ans) en 2020 et 2050. Documents PNUD (2004) et Statista/OCDE/ONU.

Nous avons connu un exemple avec la génération du "Baby-boom" dans les années 1960-70. Pour la génération de leurs parents, la population active est restée sur le marché du travail jusqu'à l'âge de la retraite obligatoire à 65 ans. L'espérance de vie moyenne était alors d'environ 70 ans en Europe et d'à peine 60 ans dans le monde. Ensuite, grâce aux progrès dans la nutrition, les soins de santé et une meilleure hygiène de vie, on constate que les enfants baby-boomers continuent aujourd'hui de travailler parfois bien après l'âge de la retraite et peuvent espérer vivre en bonne santé 10 ans de plus que leurs parents soit en moyenne jusqu'au-delà de 80 ans en Europe. Il est probable que plus de la moitié des enfants nés en l'an 2000 en Europe, en Corée, au Japon et certaines régions d'Amérique centrale seront centenaires.

Le résultat de cette évolution est prévisible : la capacité de vivre plus longtemps en bonne santé augmente la possibilité d'avoir des carrières plus longues et plus productives. Pour la "génération Z" (celle née au tournant du millénaire et qui précède la génération Alpha) et la "génération Alpha" (les Milléniaux, les enfants issus de la génération "Z", la plus instruite et la plus connectée), en théorie la situation est susceptible d'être encore plus radicale car le vieillissement, la retraite et même la mort pourraient être repoussés toujours plus tard.

De l'ère transhumaine à l'ère posthumaniste

En améliorant sans cesse notre condition de vie et notre santé, l'humanité finira un jour par transcender les limites de la biologie et s'améliorera à l'infini, conduisant à l'ère transhumaine. Ce néologisme fait référence à un processus au cours duquel les humains passeront progressivement à une forme de vie "supérieure" en remplaçant ou en augmentant les capacités de leur corps physique par des éléments synthétiques.

Finalement ces transhumains se prendront pour Dieu, capable de modéliser un être humain selon leurs goûts ! Sacrilège ou évolution ? Danger commis par des apprentis-sorciers mi-humains mi-cyborgs irresponsables ou évolution naturelle d'une civilisation de Kardashev qui s'émancipe de sa condition humaine ? Laissons la question divine aux croyants. Cette évolution sera vraisemblablement le fruit d'une lente évolution biologique et cybernétique combinées accompagnée d'un changement culturel progressif qui prendra des siècles ou des millénaires.

A voir : Transhumanism: Could we live forever, BBC, 2015

What will humans look like in the distant future?

A lire : L'homme qui vivra 1000 ans est déjà né (sur le blog, 2013)

Au-delà de cette période de transition, l'humanité entrera dans l'ère posthumaniste. A ce stade d'évolution, l'humanité ne sera plus contrainte par aucune limitation physique ou biologique et existera sous diverses formes qui lui permettront d'explorer l'Univers, de vivre  - si le mot garde encore son sens - dans des réalités simulées ou d'habiter des espaces autrement inhabitables où elle pourra exploiter une énergie abondante. C'est une idée qu'avaient déjà explorée John D. Bernal et Freeman Dyson au siècle dernier.

De l'innovation au chaos

Nous n'avons aucune garantie que l'évolution humaine tendera continuellement vers le progrès et le bien être, en résumé vers un monde libre et positif où la population est épanouie. Il est un fait qu'on peut aussi voir le côté sombre de la Singularité Technologique, à savoir que cette évolution technologique pourrait conduire à l'obsolescence généralisée, c'est-à-dire au désordre et au chaos.

Quand on évoque un changement y compris une innovation, cet état est systématiquement associé à celui de perturbation, c'est-à-dire au fait que chacun est obligé de repenser et d'adapter ce qu'il avait acquis, ses habitudes et ses comportements, selon la nouvelle norme. On retrouve ce concept dans le monde du travail, en écologie, en politique, etc., et dans tous les rites quotidiens susceptibles d'être modifiés, par exemple celle du couple qui devient une famille, dans le contexte d'une maladie, d'un changement de profession, etc.

Mais tout politicien ou manager sait que pour convaincre ses élus ou ses employés il doit insister sur le fait qu'un changement est à double sens, et comme une critique, il n'est pas obligatoirement négatif. Dans ce cas mieux vaut parler d'innovations, d'opportunités, de promesses de nouveaux marchés, de découvertes ou de plus de libertés pour encourager chacun à accepter le changement. L'idée n'est pas de mentir aux collaborateurs mais de viser un idéal où tout le monde contribue au changement en y jouant une part active.

"Elysium" de Neill Blomkamp (2013) ou quand la ségrégation entre les très riches en bonne santé vivant dans une colonie spatiale et les pauvres luttant sur la terre pour survivre conduit à une révolution.

Mais il y a toujours le côté négatif du changement, son aspect déstabilisateur, perturbant, inconfortable et les risques qu'il peut entraîner. Prenons deux exemples.

L'installation d'une grande entreprise de distribution dans un village peut être vue favorablement par les politiciens locaux et les clients mais avoir un impact très négatif sur les commerces de proximité. 

La politique de perestroïka (reconstruction) et de glasnost (transparence) instaurée par le président russe Mikhaïl Gorbatchev entre 1985 et 1991 fut applaudie en Occident mais dénigrée et combattue par les Russes après la chute de l'Union soviétique car ils perdirent plus qu'ils y gagnèrent au point que Gorbatchev n'a plus jamais été réélu malgré ses bonnes intentions d'établir un régime démocratique socialiste en Russie. Ceci dit, en 2021, à l'âge de 90 ans Gorbatchev restait persuadé que le temps lui donnera raison.

La même réaction se produira le jour où une technologie innovante révolutionnera du jour au lendemain notre vie. Même si cela ne se produira jamais si rapidement mais sur une ou plusieurs générations, la situation sera concrètement et psychologiquement tellement déstabilisante qu'il n'est pas exagéré de dire que l'effet sur la population s'apparentera davantage au chaos qu'à l'ordre. Il est même possible que la population refuse le changement et renverse le gouvernement, mettant fin à un régime politique qui avait pourtant fait ses preuves pendant des années ou des siècles.

Comme le dit le futurologue et entrepreneur Alvin Toffler dans son livre éponyme publié en 1970 (version anglaise et française), lorsque le début du changement devient aussi rapide, cela peut conduire à un état de "Choc du Futur" (Future Shock).

Toffler a décrit ce phénomène comme "le stress dévastateur et la désorientation que nous induisons chez les individus en les soumettant à trop de changements en trop peu de temps".

Toffler décrivait essentiellement les inconvénients que trop d'accélération et de perturbations peuvent avoir, tout en soulignant la nécessité de mettre en place des stratégies d'adaptation : "L'accélération du changement à notre époque est, en soi, une force élémentaire. Cette poussée d'accélération a des conséquences personnelles et psychologiques, ainsi que sociologiques".

Alors que l'humanité a toujours eu une relation quelque peu complexe avec la technologie, la relation est intemporelle et indéniable, comme programmée dans nos gènes. De plus, une évaluation complète et juste mènera sûrement à la conclusion que l'effet net du changement technologique a été globalement positif. Bien sûr, la technologie a montré sa face la plus sombre avec les armes nucléaires, le terrorisme, les courriers indésirables, les pandémies et le changement climatique. Pourtant, cela nous a également donné l'écriture, l'alphabétisation, l'éducation, les sciences, l'informatique, Internet, la médecine moderne, l'électricité, le chauffage, et même le recyclage et la sécurité alimentaire.

Une conséquence immédiate du changement est que ceux qui ont accès à ces technologies de pointe auront un avantage décisif sur ceux qui n'y ont pas accès. De nos jours, on constate déjà l'effet de l'informatique et des biotechnologiques (des médicaments aux prothèses en passant par les vaccins) sur la population :  les habitants des pays développés en bénéficient avant - cela se chiffre en années - ceux des pays en développement. A chaque fois ce sont les citoyens les plus riches qui ont accès aux fruits de la recherche avant tout le monde.

Espérons qu'on n'arrive pas à un scénario à la "Elysium" où les très riches ont accès aux technologies avant-gardistes et vivent dans une colonie orbitale flambant neuve abandonnant les pauvres et les malades sur une terre à l'agonie où le chaos et les robots règnent en maître.

Mais éliminer la rareté ne suffit pas pour satisfaire un peuple. Il faut simultanément éliminer toutes les formes de besoin, de discrimination, d'inégalité et de sous-développement. Comme l'écrivit George Orwell, dans un monde futur où tous les besoins fondamentaux peuvent être satisfaits en fabriquant des objets qui ne coûtent pratiquement rien à la communauté, la richesse, la différence et l'écart entre les riches et les pauvres cesseront d'exister. Mais depuis que les civilisations existent, c'est un voeu pieux qui ne s'est concrétisé que chez une poignée de peuples chasseurs-cueilleurs pacifiques et isolés qui ne possèdent pas de technologies très élaborées, ceci expliquant cela.

Validation des prédictions

Une prédiction ne vaut rien tant qu'elle n'est pas validée par une invention ou une observation. Et à ce jeu, comme en sont victimes les astrologues et les charlatans, les opposants et les sceptiques n'ont pas manqué de critiquer l'idée même de Singularité Technologique et les prédictions du même genre. Pourtant, celles-ci sont mieux fondées que celles des charlatans. Mais il leur manque cette crédibilité et cette probabilité de se concrétiser tant nécessaires pour les rendre infaillibles.

Dans un camp, nous avons ceux qui la dénigrent en prenant des exemples avortés comme les voitures volantes, les villes flottantes, les colonies spatiales et d'autres visions futuristes qui devaient se concrétiser pour l'an 2000.

Mais les contre-exemples sont encore plus nombreux prouvant que la curiosité et le génie humain peuvent concrétiser tous les rêves : l'invention du microprocesseur, des satellites, la conquête spatiale, le téléphone portable, la carte de crédit, Internet, l'intelligence artificielle, les véhicules autonomes, etc.

Cependant, certains ont également remis en question les visions qu'ils jugent utopiques de Ray Kurzweil, Peter Diamandis et d'autres "singularistes" qui croient que cet évènement inaugurera un avenir radieux d'abondance et d'opportunités illimitées.

Les Hype Cycles ou cycles de vie des technologies émergentes (à gauche) et de l'intelligence artificielle (à droite) établis en 2020. La maturité des technologies est classée en fonction de leur visibilité (l'expérience ou leur impact) et de leur probabilité d'adoption par le marché. Documents Gartner.

Dans l'autre camp, même parmi ceux qui supportent l'idée de la Singularité Technologique, il y a ceux qui se demandent ce que se passera si nous étions incapables de contrôler les machines superintelligentes ? Effectivement, malgré ce que nous avons dit précédemment sur la fausse peur des robots et les rôles qu'on leur attribuera, la perte de contrôle des humains sur les machines intelligentes est un risque qu'il faut considérer et éviter à tout prix, à moins de devenir des sujets de tests d'une simulation à la Matrix aux mains de superintelligences artificielles. Dans ce cas, faut-il malgré tout avancer dans cette direction et provoquer le diable ?

En fait, la question est de nouveau mal posée car elle sous-entend que par nature l'intelligence artificielle aurait de mauvaises intentions et que les robots dotés d'IA seraient a priori malfaisants. Mais ce n'est pas ainsi que fonctionne la science et les technologies; ce sont les chercheurs qui transforment leurs idées en objets intelligents concrets et non les objets intelligents qui imposent leurs idées aux humains. En revanche, c'est le monde politique et le législateur qui définissent respectivement les stratégies et le cadre légal de l'usage des grandes inventions, le peuple pouvant juste s'y opposer, et encore uniquement dans les démocraties. De plus, on sait d'expérience que l'éthique et une notion relative et que des actes banalisés jadis passent aujourd'hui pour inadmissibles, interdits ou comme des crimes.

C'est dans ce contexte que les chercheurs, les éthiciens et les décideurs politiques ont leur mot à dire et encore le temps de placer des garde-fous dans notre quête insatiable de curiosité parfois un peu trop débridée.

Beaucoup d'inventions technologiques, parfois accompagnées de retombées imprévues comme les maladies ou la radioactivité, ont malheureusement conduit des populations voire des peuples entiers à leur perte.

Nous avons des exemples dramatiques avec la conquête de l'Amérique centrale et du sud par le Royaume d'Espagne entre le XVe et le IXXe siècles et les guerres des colons Américains contre les Amérindiens et notamment les Comanches vivant dans les plaines qui firent des millions de victimes du côté des peuples indigènes, l'extermination des Amérindiens ayant fait plus de victimes que durant les deux guerres mondiales réunies !

A son tour, si la révolution industrielle entre le milieu du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle entraîna un important afflux de population dans les villes d'Europe et d'Amérique du Nord ainsi qu'une explosion de la production agricole, cela conduisit à l'industrialisation de la guerre et à l'invention d'armes très efficaces comme la mitrailleuse et les fusils à répétition modernes, qui ont permis aux Européens de conquérir et de piller l'Afrique et l'Asie. D'autres inventions telles que l'artillerie moderne, les chars, les avions, les mines et les gaz ont conduit aux deux guerres mondiales. Sans oublier l'invention des armes nucléaires.

Bref, l'histoire regorge effectivement d'exemples montrant que le progrès technologique est rarement pacifique et n'a jamais été accompagné d'avancées similaires dans la sagesse et l'empathie humaines.

Le romancier, journaliste et essayiste hongro-britannique Arthur Koestler résuma ce point de vue dans son célèbre livre "Les Somnambules" (1959). Il explique comment l'histoire humaine peut être visualisée en traçant deux courbes, l'une mesurant la "puissance physique", l'autre "la perception spirituelle, la conscience morale, la charité et les valeurs connexes. Au cours des deux cents dernières années - un tronçon inférieur à un millième du total sur le graphique - la courbe, pour la première fois dans l'histoire de l'espèce, s'élèverait soudainement à pas de géant ; et au cours des cinquante dernières années - environ un cent millième du total - la courbe monte si fortement qu'elle pointe maintenant presque verticalement vers le haut... Par rapport à la première, la deuxième courbe montrera une montée très lente au cours des kilomètres préhistoriques presque plats ; puis elle ondulera avec des hauts et des bas indécis à travers l'histoire des civilisations; enfin, l'une des dernières fractions dramatiques du graphique où la puissance de la courbe monte vers le haut comme un cobra poignardant le ciel, la courbe spirituelle entre dans un déclin abrupt".

Enfin et surtout, il y a l'affirmation fréquemment évoquée qu'un évènement comme la Singularité Technologique est inévitable. Non seulement cela semble une fatalité pour certains, mais c'est une affirmation plutôt suspecte lorsqu'elle est prononcée par les défenseurs de cette thèse, des individus qui souhaitent que cela se produise et travaillent même activement pour s'assurer que cela se produise !

Mais soyons pragmatique. Comme le dit le célèbre historien britannique Alan J.P. Taylor à propos des causes de la Première et de la Seconde Guerre mondiales : "Rien n'est inévitable tant que cela n'a pas lieu".

La Singularité Technologique se produira-t-elle ?

En science, le scepticisme est de rigueur. C'est une attitude saine et même nécessaire qui évite des erreurs et des malentendus. Objectivement, avec le recul des années, l'Histoire de l'humanité et des technologies nous ont prouvés que le rythme du changement s'est accéléré dès l'invention de l'écriture mais ce n'est que depuis le développement de l'industrie moderne et de l'automatisation tout azimut que nous avons pris conscience de cette tendance.

Comme le souligna Arthur Koestler, cette tendance c'est accélérée au XXe siècle, où des révolutions technologiques se sont produites en cascades en l'espace d'une seule génération.

S'il convient toujours de traiter avec scepticisme l'idée d'inéluctabilité ou une promesse utopique, il serait également irresponsable d'ignorer ce qui devient rapidement une tendance indéniable. De toute évidence, le changement technologique est une tendance anthropique qui s'accélère et la vitesse à laquelle les changements se produisent arrivent à un point critique.

Une cybercité selon Daniel Cheong.

S'il reste à voir si la Singularité Technologique sera telle qu'on l'annonce, pour l'heure on peut seulement affirmer qu'il s'agit d'un scénario plausible parmi d'autres. Il paraît même que cela pourrait arriver de notre vivant ! Mais stop ! A partir d'ici, on parle au conditionnel. On peut donc être sceptique et remettre en question l'orientation supposée que prendra l'avenir. Comme bon nombre d'experts le disent, chacun de nous est responsable de son avenir. Ajoutons que l'avenir nous offre une infini de possibilités et la Singularité Technologique ne représente que l'une d'entre elles.

Pour que cette probabilité se matérialise, il faudrait d'abord que nos robots tiennent debout et que nos voitures autonomes évitent les accidents. Plus sérieusement, il faudrait que l'IA fasse encore beaucoup de progrès. Ensuite, que toutes les technologies soient interconnectées et qu'un système d'arbitrage prenne les meilleures décisions selon le contexte et les priorités. On n'y arrive déjà pas avec des humains éduqués et après 100 ans d'adaptation aux technologies. Laissons donc le temps aux intelligentes artificielles de s'adapter au mode de vie des humains (et non l'inverse). Il sera toujours assez tôt de faire la conversation à un androïde.

Cela ressemble à la réponse d'un humain qui redoute le changement et de voir sa place éventuellement détrônée par celle d'une créature artificielle. Mais c'est peut être aussi la réponse d'une personne sage et prudente qui se donne le temps d'évaluer l'éventuel risque et de trouver le meilleur moyen de toujours être maître de la situation. Car tel est bien l'enjeu, garder le contrôle des machines. A moins que ce soit pour se divertir, gageons que la machine n'aura jamais le dernier mot ou l'humanité risque de ne plus jamais avoir droit à la parole. Bien sûr, il y a d'autres scénarii plus heureux que ce futur dystopique.

Certains experts ont un avis bien plus tranché. Gordon Moore par exemple, l'auteur de la fameuse loi, estime que la Singularité ne se produira jamais. Venant de l'un des acteurs clés du secteur des technologies, il va de soi que son avis est pris très au sérieux.

Dans son livre "Le mythe de la Singularité" publié en 2017, Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste en IA et président du comité d’éthique du CNRS va encore plus loin et démystifie l'idée même de Singularité Technologique. En résumé, si le concept est né dans les romans de science-fiction (cf. Vernor Vinge), il pourrait y rester à jamais !

Comme nous l'avons dit à propos des systèmes dotés d'IA, Ganascia confirme que "quelques soient les modalités d'apprentissage des algorithmes (qu’ils soient "supervisés", "non supervisés" ou "par renforcement"), les machines n'acquièrent pas pour autant d'autonomie au sens philosophique du terme, car elles restent soumises aux catégories et finalités imposées par ceux qui auront annoté les exemples dans la phase d’apprentissage". Autrement dit, rien (une machine) ni personne n'acquiert de connaissances sans modèle ou sans apprentissage. Par conséquent, une IA ne peut pas "rêver de moutons électriques" pour reprendre le titre du roman de science-fiction "Do Androids Dream of Electric Sheep?" (en version française) de Philip K. Dick écrit en 1966 et adapté au cinéma par Ridley Scott dans "Blade Runner" sorti en 1982.

Selon Ganascia, le vrai problème est que l'idée même d'une Singularité Technologique brouille l'idée qu'on se fait du futur en concentrant l'attention vers un seul scénario au détriment de tous les autres. En résumé, c'est du catastrophisme pour amateurs de singularismes et les médias à sensation. Ce genre de prophétie fait oublier que la plupart du temps, le vrai danger vient à l'improviste et de l'inconnu.

Une chose est certaine. Encore une fois, même en ce XXIe siècle imaginé comme un monde futuriste idyllique et pleins de promesses en 1900 (cf. En l'an 2000 de J.-M. Côté), nous sommes encore à des années-lumière d'un scénario utopique à la "Star Trek" d'un monde presque "parfait" où l'argent est devenu obsolète, les maladies ont été éradiquées, les androïdes et l'IA omniprésents, la téléportation généralisée et les différents peuples vivent globalement en harmonie, chacun dans un quadrant de la Galaxie. En ce début du XXIe siècle, si ce n'est pas le chaos, ce n'est pas l'ordre non plus; l'état du monde ressemble à celui d'un enfant turbulent qui n'a pas terminé sa croissance et n'a pas encore atteint sa maturité.

Dans ces conditions, qui oserait vraiment prétendre que la Singuarlité Technologique se produira bientôt ? Disons plutôt que nous n'avons pas toutes les cartes en main pour l'affirmer et que beaucoup d'experts ont oublié l'effet du hasard et le rôle clé du facteur humain dans cette équation. Comme l'écrivit Isaac Asimov, il faut garder foi en notre vieux cerveau d'humain. Notre plus grande richesse est notre génie créateur.

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