Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

 

 

 

 

Le suivi numérique

Les limites de la technologie mobile (II)

Comparée à l'Asie du Sud-Est, bien que la majorité des Européens dispose d'un ordinateur et d'un smartphone, l'Europe est très en retard en matière numérique de haute technologie. Ce n'est par exemple qu'en 2019 que le Conseil de l'Europe adopta "ses conclusions sur l'avenir d'une Europe fortement numérisée après 2020", demandant aux États membres de soutenir l'innovation et d'encourager les technologies numériques dont la 5G (une technologie 100 fois plus rapide que la 4G et plus fiable et adaptée à l'Internet des Objets).

Où en sommes-nous en Belgique et en France ? Depuis 2020, la 5G est déjà déployée dans la plupart des villes et communes car elle peut exploiter l'ancien réseau 3G. Mais certaines régions sont encore à l'âge de la pierre en matière d'accès à Internet, utilisant encore des liaisons ADSL via des lignes téléphoniques en cuivre quand d'autres utilisent déjà la fibre optique et des liaisons par satellite ! Quant à la couverture des mobiles, en dehors des zones très fréquentées, à la campagne ou au fond des vallées, il faut recourir à la technologique EDGE soit pré-3G ! De plus comme chacun l'a déjà constaté, certaines zones sont en dehors de la couverture des appareils mobiles. Certes, cela représente une fraction de pourcent de la couverture d'Internet et des antennes mobiles (cf. la couverture en Belgique, en France et au Luxembourg), mais tout le monde n'a pas encore accès au haut débit. Ces quelques milliers de citoyens auront beaucoup de difficulter pour utiliser une application de suivi, d'autant que certaines personnes utilisent encore un GSM ou un téléphone portable d'une ancienne génération (~2010) qui n'accepte pas le téléchargement d'applications ou ne peut pas se synchroniser avec les appareils Bluetooth de dernière génération.

Bonne nouvelle pour nos libertés, dans le cadre du suivi sanitaire des patients Covid, en Europe on ne risque pas une amende pénale ou une peine de prison si on ne prend pas son portable avec soi ! Du moins jusqu'à nouvel ordre.

Quant aux technologies de suivi, l'utilisation d'un logiciel de géolocalisation ne doit pas forcément empiéter sur la confidentialité, en partie parce qu'elle peut être désactivée par l'utilisateur qui sait qu'il pourrait être surveillé. Il est également possible de créer des applications qui ne permettent pas à des sources extérieures de consulter l'historique des déplacements.

Précisons qu'un logiciel de géolocalisation s'exécute généralement en arrière-plan sur les smartphones et peut interagir avec des services de localisation comme Google Maps. Il peut suivre les personnes avec une précision d'environ 10 m et peut être activé et désactivé volontairement.

Le Bluetooth permet de communiquer avec d'autres appareils, généralement à moins d'un mètre de distance et est donc plus précis que la géolocalisation. Mais cela crée potentiellement un risque de confidentialité compte tenu de cette précision.

Concernant le QR code, il permet également de tracer les personnes où qu'elles aillent et d'une manière tout à fait fiable. C'est au gouvernement ensuite à édicter des règles pour effacer les données devenues obsolètes.

Le rapport "Apps Gone Rogue" précité note qu'une source d'abus des trois technologies était que les gouvernements diffusaient l'emplacement des personnes contaminées. Comme nous l'avons expliqué, Singapour a publié des cartes indiquant où se trouvaient les citoyens contaminés tandis que la Corée envoie des SMS indiquant leur emplacement. Selon les chercheurs du MIT Media Lab, les personnes ne sont pas identifiées par leur nom, mais la divulgation de leur localisation "rend ces lieux et les entreprises qui les occupent, susceptibles de boycott, de harcèlement et d'autres mesures punitives".

Le Dr Ki précité reconnait que la protection de la vie privée est une préoccupation cruciale, mais assure que la protection de la santé publique peut demander des compromis : "La vie privée est un problème très important, mais de nos jours, même si nous essayons de protéger la vie privée, il est très important de sauver la communauté, nous devons donc trouver le juste équilibre". Mais si c'est peut être une politique acceptable en Corée du Sud, cela ne l'est sûrement pas en Occident et encore moins en Europe qu'aux Etats-Unis.

Tous fichés !

Des voix se sont rapidement élevées parmi les sénateurs, les députés et dans le public pour dénoncer ce genre d'application. Mais réfléchissons deux minutes à cet usage. Sans le savoir nous sommes également "fichés" dans nos pays démocratiques et parfois nous le faisons volontairement dans notre intérêt. Personne ne n'est jamais plaint de l'usage ou de la finalité de ces applications. Prenons quelques exemples bien connus.

Rappelons que chacun peut être tracé via ses transactions bancaires, ses appels téléphoniques et ses contacts identifiés par ses emails et ses connexions Bluetooth, pour l'heure dans le respect de la vie privée, du moins en Europe. Officiellement - il est bon de le préciser - ce n'est que dans le cadre d'une enquête de police qu'un procureur peut autoriser l'espionnage d'une personne mais dans des conditions précises. Mais il serait naïf de croire qu'il n'y a pas d'abus.

Actuellement, en France comme en Belgique, les personnes testées positives au Covid-19 qui se soignent à domicile peuvent transmettre par Internet (par ordinateur ou smartphone) des informations sur l'évolution de leurs symptômes à leur médecin ou au service médical de l'hôpital qui les ont pris en charge.

En Belgique, un suivi numérique est déjà assuré pour les porteurs d'une maladie infectieuse. Dans le cadre du Covid-19, il suffirait d'harmoniser le système entre les différentes régions linguistiques du pays.

En Belgique, chacun peut également accéder à son dossier de santé en ligne via l'application Ma Santé. Il y trouve des données médicales à caractère personnel comme chez son médecin traitant, ses facteurs de risque, etc, des informations sur son usage des médicaments et les rapports ou les résultats d'examens médiaux.

Dans la plupart des pays, les sociétés d'assurances ont un dossier médical sur chacun de leur client. Même la police connait tôt ou tard notre état de santé, que ce soit après un accident grave de la route ou lors d'une demande de renouvellement du permis de conduire où elle exige un certificat médical.

 Le ministère des Finances connaît nos revenus et notre situation familiale. Les banques échangent aussi des informations financières de leurs clients avec le fisc. Les douanes ont la possibilité de contacter des ministères ou des employeurs pour recouper les informations fournies par les voyageurs. Pour des raisons professionnelles, beaucoup d'entreprises de transport et les taxis savent en permanence où se trouvent leurs véhicules et donc leur conducteur, sans parler des transports en commun.

N'oublions pas non plus nos chères "cookies" et "Like" sur Internet qui alimentent notre profil virtuel, notamment chez les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et des centaines d'autres webmarchands, sans même parler du "uninstall tracking" (voir les dérives plus bas).

Nous sommes également fichés dans les aéroports (Eurostar, Bruxelles, Aéroports de Paris, Schipol, Londres, Washington, en Australie, en Alaska, etc) où les guichets des principales compagnies aériennes (Air France, KLM, Delta, etc) et bien entendu les douaniers utilisent des systèmes d'identification biométriques et RFID. Certains hôtels et gares utilisent également cette technologie pour identifier plus rapidement les clients. Selon Oracle, 74% des hôteliers sondés envisagent d'utiliser la reconnaissance faciale d'ici 2025 (cf. Voyages d'affaires). Certaines banques utilisent déjà la technologie biométrique pour valider l'accès des clients à leur compte. Enfin, depuis 2020, l'accès du personnel à certaines institutions européennes est validé grâce à une puce RFID. La même technologie est utilisée pour accéder au parking privé de certaines entreprises.

Du côté de l'Europe, en 2019 le Parlement Européen donna son accord pour la création du Common Identity Repository (CIR), une gigantesque base de données biométrique des citoyens européens et non européens. CIR regroupe à la fois les enregistrements d'identité (nom, prénoms, adresse, date de naissance, numéro de passeport et autres détails d'identité) et biométriques (empreintes digitales et numérisations faciales). Son but est de mettre ces données à disposition des autorités européennes afin de simplifier le travail des services de police des frontières et des autorités européennes dont Interpol, le service des fraudes et l'office des étrangers qui pourront ainsi lancer plus rapidement leurs recherches grâce à un système de bases de données unifié.

Selon les responsables de CIR, "Les systèmes couverts par les nouvelles règles comprennent le système d'information Schengen (SIS), Eurodac (base d'empreintes digitales concernant les demandes d'asile), le système d'information sur les visas (VIS) et trois nouveaux systèmes : le système européen du casier judiciaire des ressortissants de pays tiers (ECRIS-TCN), le système d'entrée/sortie (EES) et le système européen d'information et d'autorisation de voyage (ETIAS)". En théorie, ces données sont conservées entre 2 et 10 ans selon leur catégorie.

Ainsi qu'on le constate, non seulement les criminels au sens large sont fichés dans CIR (y compris les contrevenants verbalisés en Belgique ayant reçu une amende pénale plutôt qu'administrative) mais également les enfants à partir de 14 ans. L'application tirant profit des Big Data, elle agrège également les données (attributs) provenant d'autres services à vocation strictement administrative et civile. Il y a donc une menace pour la protection de la vie privée dont le législateur européen doit absolument tenir compte.

Le Parlement Européen et le Conseil de l'Europe ont promis des "garanties appropriées" pour protéger le droit des personnes à la vie privée et réglementer l'accès des agents à ces données. Lorsqu'il sera opérationnel, CIR sera l'une des plus grandes bases de données sur les citoyens après celles utilisées par les gouvernements chinois et indien, juste devant celles du gouvernement américain (FBI et CBP).

En théorie, la seule différence avec la Chine est que les données recueillies par nos gouvernements démocratiques et les entreprises respectent les lois sur les libertés, la vie privée et l'éthique. Mais nous allons voir que tous les gouvernments et toutes les entreprises ne partagent pas cette idée ou les violent sciemment. Que ce soit en Chine, en Europe ou ailleurs, ces données confidentielles ne sont jamais accessibles au public sauf lors d'une fuite organisée par un ancien membre du personnel évincé ou un cyberpirate.

Les dérives

Une dérive est un mot générique pour qualifier tout usage de l'application non prévu par le cahier des charges et donc non documenté et inavoué voire interdit ou une réorientation stratégique du produit par la direction qui ne correspond plus du tout à l'esprit original du concept.

Des dérives sont déjà apparues en Occident malgré les belles promesses des autorités ou des directeurs d'entreprises. Le fameux système biométrique TouchID d'Apple permettait à l'origine de contrôler l'accès aux seuls services et applications du constructeur américain. Or un an plus tard, en 2014 Apple autorisa les applications tierces (third-party) à exploiter son capteur. Apple fournit même aux développeurs les API et des exemples de code source ! (cf. StackExchange, MacRumors).

On sait aussi que certaines entreprises peu scrupuleuses pistent ou tiennent des "dossiers" à l'insu de leurs salariés, y compris via leurs smartphones, plusieurs scandales ayant éclaté en France (cf. L'Express).

On peut aussi citer l'usage des caméras-espions. En 2012, les commerçants et en particulier les grandes enseignes de prêt-à-porter avaient la possibilité d'acheter le mannequin-espion "EyeSee" d'Almax SpA pour surveiller l'activité du public à son insu et prévenir les vols de vêtements. Le groupe Benetton qui fut cité à ce sujet a démenti utiliser ce type de mannequin (cf. Engadget). Aujourd'hui moyennant un ordinateur ou un smartphone, on peut piloter ce type de mini caméra à distance via Internet.

Il existe aussi des mouchards et d'autres applications malveillantes pour mobiles que des pirates informatiques peuvent installer via des jeux piratés ou des e-mails piégés (cf. le phishing). Ils peuvent ensuite explorer les données du mobile, déclencher le micro ou la caméra et espionner l'utilisateur à son insu.

Dans le même contexte, mentionnons l'existence du "uninstall tracking", des applications qui soi-disant désinsallées de votre mobile continuent de vous espionner ! Ce phénomène se développe surtout aux États-Unis. Parmi ces sociétés sans scrupules, AppsFlyer, CleverTap, Localytics et MoEngage proposent ces trackers dans leurs outils de développement. Leurs clients sont notamment T-Mobile US, Spotify Technology et Yelp qui comptent des millions d'abonnés (cf. Bloomberg).

Tout informaticien sait qu'un ordinateur ou un mobile relié à Internet peut rapidement être localisé à partir de son adresse IP (cliquez sur le lien pour faire le test). Les menaces venant d'Internet sont nombreuses. Si on peut localiser un ordinateur connecté, on peut également localiser n'importe quel autre objet connecté, y compris un smartphone.

Localisation des GSM au Pentagone. Pourquoi le gouvernement a-t-il besoin de tracer leur porteur tout au long de la journée et toute l'année ? Document NYTimes.

Aux États-Unis où le législateur est peu regardant sur le respect de la vie privée, le gouvernement n'a aucun scrupule à scruter les habitudes et les communications à l'insu des citoyens et parfois avec l'accord des États étrangers.

Un journaliste du "New York Times" a enquêté sur le sujet grâce à des experts ayant notamment eu accès à des bases de données confidentielles qui comprenaient les emplacements de personnes en poste au Pentagone et à la Maison Blanche, entre autres endroits sensibles.

Selon le journaliste, "chaque minute de chaque jour, partout sur la planète, des dizaines d'entreprises - en grande partie non réglementées, peu contrôlées - enregistrent les mouvements de dizaines de millions de personnes [via la géolocalisation] des téléphones portables et stockent les informations dans de gigantesques bases de données. Le Times Privacy Project a obtenu un de ces fichiers, de loin le plus important et le plus sensible jamais examiné par les journalistes. Il comprend plus de 50 milliards de pings de localisation depuis les téléphones de plus de 12 millions d'Américains alors qu'ils se déplaçaient dans plusieurs grandes villes, dont Washington, New York, San Francisco et Los Angeles".

"Chaque élément d'information de ce fichier représente l'emplacement précis d'un seul smartphone sur une période de plusieurs mois en 2016 et 2017 […] Il provient d'une société de données de localisation, l'une des dizaines collectant tranquillement des mouvements précis à l'aide de logiciels glissés sur les applications de téléphonie mobile. Vous n'avez probablement jamais entendu parler de la plupart des entreprises. Pourtant, pour quiconque a accès à ces données, votre vie est un livre ouvert. Ils peuvent voir les endroits où vous allez à chaque instant de la journée, où vous fixez des rendez-vous, où vous passez la nuit, où vous priez, que vous visitiez une clinique de méthadone, un cabinet de psychiatre ou un salon de massage […]".

Le journaliste a déclaré que la base de données de localisation lui a été envoyée par des sources inquiètes par la pratique de la vente de ces données et alarmées par leur abus potentiel. Il note que la vente de ces données est parfaitement légale.

Dans quel but le gouvernement américain surveille la population, y compris ses propres agents ? Officiellement pour la raison d'État ou lutter contre le terrorisme mais officieusement et avant tout, comme en Chine, afin de contrôler et influencer la population (cf. les affaires Snowden et Cambridge Analytica parmi beaucoup d'autres).

Comme les caméras de surveillance et parfois la fouille au corps furent imposées à la population européenne parmi d'autres mesures sous le prétexte du contrôle antiterrorisme et de la lutte contre la délinquance, de même on peut parier que l'argument du respect de la vie privée ne va pas peser lourd lors d'une crise internationale, y compris sanitaire. Il sera juste un élément à prendre en considération si l'État le souhaite.

Recherches scientifiques

L'actualité scientifique nous rappelle régulièrement que des chercheurs étudient les moyens d'identifier et suivre les individus en temps réel. Si les applications de leurs études ne sont pas de leur ressort, on peut déjà en déduire qu'on peut utiliser leurs algorithmes pour identifier et pister la population, déceler les mouvements de foule, les groupes denses, les endroits saturés, anticiper les gestes d'une personne ou prédire le comportement des joueurs lors d'un match parmi d'autres finalités (cf. S.Tang et al., 2017; L.Kobbelt, 2016; T.Linder al., 2015; VISAL).

A priori, certains ne voient peut-être pas le rapport entre ces recherches et un suivi numérique proposé voire imposé par le gouvernement pendant une crise sanitaire. Dans ce cas, demandez-vous ce qui se passerait si vous appliquez ces technologies aux données de géolocalisation des personnes et permettez au pouvoir exécutif de les exploiter dans le cadre d'un projet comme le CIR ? Si un gouvernement un tant soi peu répressif - et il ne faut pas chercher loin en Europe - décide que ses policiers peuvent utiliser ce genre de technologie intelligente durant des manifestations ou des meetings pour prévenir des menaces réelles ou imaginaires, nous ne sommes pas loin des scénarii des films sombres de fiction (cf. la dystopie).

A voir : Multiple Human Tracking - Deep SORT Implementation, N.Wojke et al., 2017

Articulated Multi-person Tracking in the Wild, S.Tang et al., 2016

Real-Time Multi-Modal People Tracking in Crowded Environments, Linder & Breuers, 2015

Il faut donc impérativement que la société via son Parlement - tant qu'il n'est pas dissout - soit très prudent quand il évalue un projet de suivi numérique de la population et place des garde-fous pour empêcher toute dérive.

Sachant que dans le cadre d'un suivi numérique des menaces planent potentiellement sur les citoyens et leur vie privée, développons un peu le sujet.

Les menaces sur la démocratie

L'utilisation d'une application de tracking est-elle dans l'intérêt des citoyens ou celui de l'État ? Malgré les garanties sur les plans techniques et éthiques donnés par les États et même par l'Europe, le mot "tracking" soulève de suite des fantasmes chez certains citoyens. Ils se demandent si nos États ne sont pas en train de passer de la démocratie au régime autoritaire. Leur sentiment est-il fondé ?

Concernant la France, dans une note interne concernant l'application StopCovid, la CNIL a précisé : "Si la France souhaitait prévoir des modalités de suivi non anonymes plus poussées, le cas échéant sans le consentement préalable de l'ensemble des personnes concernées, une intervention législative s'imposerait". Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL a réitéré ses mises en garde devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale, tout en jugeant envisageable un dispositif de suivi non généralisé, temporaire, proportionné, assorti de "fortes garanties." (cf. Reuters). Conclusion, en France un suivi nominatif est donc envisageable.

L'hémicycle du Parlement Européen à Bruxelles.

Ceci dit, tant que la législation française n'est pas modifiée et que le besoin n'existe pas, le secrétaire d'État chargé du numérique comme le ministère de l'Intérieur ont confirmé qu'ils n'étaient pas concernés et n'utiliseraient donc pas cette application à des fins de sureté nationale par exemple, rassurant ainsi les personnes inquiètes pour leur vie privée.

Mais pour ceux qui auraient la mémoire courte, si on remonte le fil de l'histoire, à peine un mois plus tôt, en mars 2020 Olivier Véran disait le contraire et qu'il n'avait pas l'intention d'utiliser ce genre de système ! S'il change si vite d'avis, qui peut garantir qu'il ne changera pas encore d'avis dans quelques mois et ne détournera pas la finalité du programme de suivi numérique ?

Quant à la prétendue sécurité d'un tel système, même les systèmes bancaires sont peu fiables. En 2018 en France, 60% des clients des banques ont abandonné le processus d'ouverture de compte bancaire en ligne car ils ne faisaient pas confiance à l'identification à distance. Le système était trop simple, pas assez digitalisé et s'avéra peu fiable. 93% des clients étaient favorables à la solution biométrique en lieu et place des codes et mots de passe. Mais pour cela, il faut améliorer les systèmes biométriques et les technologies d'identification à distance et faire appel à l'intelligence artificielle. 

Si en Belgique et surtout au Luxembourg  les banques proposent une identification à distance utilisant un mot de passe et deux codes d'authentification dont un code (le "token") valide seulement quelques secondes, en 2020 très peu de banques proposaient à leurs clients un moyen d'identification biométrique.

Autrement dit, malgré les améliorations continues réalisées par les banques et les autres entreprises pour renforcer la sécurité de leurs systèmes informatiques, par nature, ils sont perfectibles et vulnérables et toujours en retard sur les moyens utilisés par les cyberpirates. Par conséquent personne ne peut certifier aujourd'hui que les données personnelles ne seront pas exploitées demain par un pirate informatique. On reviendra en détails sur cette problématique dans l'article consacré à la prévention du piratage informatique.

Etant donné ce risque d'utilisation malveillante des données à caractère privé, on comprendra aisément que l'anonymisation des données dans une application de suivi telle celle du Covid-19 est la première exigence qu'il faut respecter, la seconde étant la sécurisation du système contre le piratage.

L'expérience chinoise

Si l'État ne respecte pas ces règles, il risque d'arriver ce qu'on observe en Chine. En effet, quoique prétende la propagande du régime de Beijing dans les médias, le gouvernement chinois utilise les données de son application sur la contamination pour mieux contrôler les faits et gestes de ses citoyens !

L'application chinoise n'est que la partie visible d'un système répressif que Beijing applique depuis des années aux Ouïghours à travers un système de notation du comportement civique qu'elle applique à tous les camarades chinois. En effet, le gouvernement ne se gêne pas pour afficher le profil des Ouïghours qu'elle juge inciviques sur des panneaux publics ou pour alarmer les personnes situées autour d'eux.

Selon les experts du "New York Times", le QR code n'est qu'un autrre outil du gouvernement pour surveiller la population. Non seulement le QR code est visible par toute personne qui utilise l'application mais ces données à caractère privé sont également partagées avec la police.

Des experts du "NewYork Times" ont étudié le code de l'application et ont découvert qu'il envoyait l'emplacement de la personne, le nom de la ville et un numéro de code d'identification à un serveur qui appartiendrait aux autorités. L'application partage ces données avec le serveur chaque fois que quelqu'un scanne un QR code. Cela permet aux autorités de suivre plus facilement les mouvements d'une personne.

Le gouvernement chinois prétend qu'il utilise son système de surveillance et de suivi pour identifier les personnes potentiellement contaminées par le virus, en envoyant des alertes aux proches des personnes contaminées. Toutefois, plusieurs médias ont effectué des tests montrant que des membres d'une même famille vivant ensemble, ont obtenu des résultats différents, ce qui suggère que l'application n'est pas uniquement utilisée dans le cadre de l'épidémie mais a été optimalisée dans un intérêt politique.

A gauche, en Chine, les personnes ayant un QR code rouge ne peuvent pas entrer dans les lieux publics tels que les stations de métro, les restaurants ou les centres commerciaux pendant au moins 14 jours. A droite, l'un des systèmes avancés de reconnaissance faciale présenté lors de l'Exposition sur la Chine numérique à Fuzhou, dans la province du Fujian, en mai 2019. Un oeil électronique aussi scrutateur ne peut pas être innocent et sans une finalité répressive. Les camarades chinois savent à présent que dès qu'ils sortent de chez eux, leur vie privée est anecdotique et que leurs comportements sont surveillés par le gouvernement. Documents Inkstone News/Hangout et Reuters/Nikkei Asian Review.

La Chine est l'un des rares pays disposant d'une telle application pour la simple raison que sa politique de confidentialité est pratiquement inexistante. La technologie utilisée permet d'identifier des millions de personnes sans erreur, malgré que beaucoup d'entre elles portent un masque de protection, des méthodes intrusives très efficaces qui dépassent de loin tout ce qui se fait dans le monde !

Même politique en Corée du Sud et à Singapour où quoique prétendent les autorités, le tracking réalisé dans le cadre de l'épidémie permet sans le consentement des utilisateurs de les surveiller, au même titre que la vidéosurveillance et la reconnaissance faciale déjà utilisées dans les lieux publics très fréquentés.

Avec son réseau de vidéosurveillance, la Russie n'est pas en reste non plus.

Qu'en est-il ailleurs en Europe ? Si on regarde un peu plus loin que nos frontières limitrophes, comme le confirme Amnesty International, depuis plusieurs années il y a des tendances autoritaristes avec une dérive du système judiciaire en Pologne, en Hongrie et en Roumanie. La France a déjà connu des présidents aux idées répressives ou ayant recouru à l'espionnage des personnes privées (cf. Mitterrand et Sarkozy). La majorité des États ont un parti nationaliste qui en Belgique, en Italie, en Allemagne ou en Autriche se situe en bonne place dans les sondages et ne demande qu'à progresser pour imposer sa loi.

En guise de conclusion

En raison de leur structure, nos démocraties ne sont pas adaptées à ce genre de crise. Le rôle du Parlement est essentiel car lui seul permet de proposer des lois en ayant préalablement discuté des conséquences de leur mise en application. Le pouvoir exécutif est également essentiel pour veiller à l'application de ces lois et veiller sur la sécurité de la population. De plus ses actions sont rapides. Mais parfois disproportionnées et aveugles. Déjà actuellement, sans disposer de mandat, la police a effectué des fouilles des sacs de piétons sous prétexte qu'ils vérifiaient s'il n'y avait pas de risque potentiel. La plupart des gens s'y sont pliés sans même s'inquiéter de la violation de leurs droits.

Le chef de l'État a le pouvoir de dissoudre le Parlement et en situation d'urgence nationale, il n'a plus aucun compte à rendre à personne, pas même aux institutions internationales. Certains pays en profitent comme la Hongrie et la Turquie.

Quand un pays démocratique d'Europe de l'ouest décrète la loi d'urgence ou la loi martiale, ce sont tous les principes démocratiques qui tremblent et peuvent faire dériver la société vers l'autoritarisme ou le totalitarisme. On reviendra sur le rôle de l'éthicien (cf. Respecter l'éthique à propos du comité en charge du suivi du déconfinement durant la crise sanitaire).

Toute la question est de savoir si les mesures prises sont proportionnelles au risque et dans quelle mesure la réponse doit se limiter au niveau national ou européen. En complément se pose la question de savoir si les différentes mesures d'urgence sont ou non limitées dans le temps. En France par exemple, certaines mesures décidées par le président Macron ne sont pas limitées dans le temps. Cela sous-entend que l'État peut profiter de cette situation d'urgence pour enfin mettre en place le programme de contrôle de la population qu'il attend depuis longtemps.

Le peuple et en particulier les commissions de contrôle doivent donc être très vigilantes sur l'usage des lois d'exception et des programmes y compris informatiques mis en place pendant cette période. Il est donc nécessaire que l'autorité responsable de la protection de la vie privée parmi d'autres rappelle au chef de l'État les règles de la démocratie à défaut de pouvoir restreindre les limites de son pouvoir de plus en plus absolu en temps de crise.

Retour aux Technologies

Retour à la Gestion de la crise sanitaire de Covid-19

Page 1 - 2 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ