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Les comètes

Polémiques autour de la nature des comètes

La composition des comètes est encore très mal connue et fait l'objet d'un large débat. Toutes les données que les astrophysiciens ont accumulées proviennent principalement des observations spectroscopiques de la coma et de l'analyse in situ réalisée par les sondes spatiales.

La plupart des éléments volatils n'ont été découverts qu'au travers de leurs produits de dissociation et leurs signatures dans les spectres visible, infrarouge, ultraviolet ou radio. Mais les données recueillies in situ manquant parfois de résolution et les modèles étant pour la plupart simplistes, il est parfois difficile d'interpréter les données brutes, sans parler des problèmes liés à la connaissance du temps de vie des molécules, de la calibration des instruments et des problèmes théoriques annexes.

A voir : Désintégration de la comète C/2019 Y4 (ATLAS), HST

Animation des images prises les 20 et 23 avril 2020

A gauche, la fragmentation de la comète Schwassmann-Wachmann 3 en 1995 s'observait encore le 18 avril 2006 (Mv 9.9), les huit fragments les plus importants formant autant de noyaux secondaires. Photographie prise par le Télescope Spatial Hubble. Sa désintégration donna naissance à l'essaim de météores de Tau Herculides qui culmine le 9 juin. A droite, la désintégration de la comète Atlas (C/2019 Y4) à longue période photographiée le 20 avril 2020 par le Télescope Spatial Hubble. On peut dénombrer 30 fragments dont certains mesurent seulement 200 m de longueur. La comète s'était fragmentée en 3 morceaux vers le 11 avril lorsqu'elle se trouvait encore entre l'orbite de Mars et celui la Terre et n'avait donc pas encore atteint le périhélie. Les fragments qui subsiteront auront une période orbitale de 6000 ans. Lire aussi Quanzhi Ye et al. (2021). Voir aussi la vidéo ci-dessus.

Le modèle idéal de comète n'existe donc pas et il faut prendre le problème à son origine pour essayer d'y voir clair. Car la Science c'est avant tout l'observation. Elle sera corroborée par des calculs et les modélisations qui seront à leur tour mis à l'épreuve de l'observation, et ainsi de suite, ainsi va la Science.

Nous avons relaté dans une autre page la fin dramatique que connu la comète Shoemaker-Levy 9 (SL9) qui se scinda en de nombreux fragments avant de percuter Jupiter en 1994. La première question qui vient à l'esprit est de se demander pourquoi une comète se fragmente-t-elle ? Si nous pouvions répondre à cette question nous connaîtrions leur nature et pourrions prédire leurs comportements avec plus de précision.

La comète West photographiée par Peter Stättmayer de l'Obervatoire Public de Munich en mars 1976 au téléobjectif. West brillait en fait par ses "éclats"; elle s'était fragmentée en 4 morceaux.

Une comète peut être assimilée à un ressort. Nous savons qu'il présente une force de tension au-delà de laquelle il se rompt, c'est la limite d'élasticité de la matière. Un corps solide reste aggloméré en vertu de la force de la gravitation qui attire mutuellement toutes ses parties mais également grâce à la force de liaison moléculaire.

Si la force de tension d'un ressort en acier dépasse 24000 N/cm2, la force de tension d'une comète est plus de 2 millions de fois inférieure (0.01 N/cm2); elle est donc très sensible au stress gravitationnel qui peut facilement la faire éclater en morceaux.

En l'espace des deux derniers siècles nous avons observé au moins 25 comètes qui se sont fragmentées, auxquelles il faut ajouter les comètes jumelles. Apparemment, cette fragmentation est plus fréquente qu'on le pensait.

Les raisons de cette fragmentation sont multiples. La première raison est évidente, une comète se fragmente en s'approchant un peu trop près d'un astre massif, Jupiter ou le Soleil dont les forces de marée finissent par rompre la cohésion interne du noyau cométaire. Cela dénote déjà que les comètes ont une structure interne assez fragile.

Parfois la fragmentation est indépendante du stress gravitationnel. Elle est provoquée par des poches de gaz souterraines qui explosent, engendrant des ondes de choc qui peuvent totalement détruire le noyau. 

Une autre raison est liée au fait qu'en s'approchant du Soleil et perdant de la matière en des endroits bien localisés de sa surface, une comète subit des contraintes qui affaiblissent certains endroits de sa structure. Si son noyau est animé d'une vitesse de rotation, la force centrifuge générée peut très bien éjecter des fragments.

Enfin, parfois le noyau ne peut supporter le choc thermique à l'approche du Soleil et il éclate.

En apercevant le chapelet de noyaux multiples de la comète Shoemaker-Levy 9, plusieurs astronomes ont évoqué l’idée que les comètes étaient des corps relativement fragiles, composés de noyaux formés par accrétion, peu denses ou très sensibles au gradient gravitationnel et peut-être constitués de roches. Plusieurs observations viennent appuyer leurs hypothèses.

La fragmentation du noyau

En 1976, si la comète West (1975 VI) fut si brillante c'est parce que son noyau se scinda en quatre morceaux, révélant deux noyaux secondaires de même taille et de même éclat.

En 1995, la célèbre comète 73P/Schwassmann-Wachmann 3 d'une période de 5.3 ans se scinda en au moins trois parties, révélant une coma et une queue complexes. Lors de son passage en avril 2006 à 0.08 UA (12 millions de km) de la Terre, on dénombrait au moins 8 fragments. En 2022, sa désintégration fut à l'origine du nouvel essaim de météores de Tau Herculides qui culmine le 9 juin où on s'attend à observer jusqu'à 1000 météores par heure - environ 4 fois fois que durant les Perséides - soit à ne rien observer.

Enfin, en 2001 le noyau de Linear C/2001 A2 se scinda en deux parties d'égale brillance.

Exceptionnellement, des noyaux multiples peuvent apparaître, telle la défunte Shoemaker-Levy 9 (D/1993 F2) constituée d'au moins 26 fragments. Ces noyaux multiples ont été engendrés par les forces de marée provoquées par Jupiter à une distance inférieure à 5 millions de km. La comète Atlas, C/2019 Y4, subit le même stress lorsqu'elle passa sous l'orbite de Mars et se fragmenta en 30 morceaux comme on le voit sur la photo présentée en haut de page.

Fragmentation de la comète Linear 1999/S4

Le 6 juin 2000 Linear était une comète ordinaire (ci-dessus). Le 5 août 2000 (ci-dessous) elle se fragmenta en multiples planétésimaux de moins de 30 m de diamètre, chacun formant temporairement autant de petites comètes.

Malgré leur petites tailles, il faut savoir que ces fragments ont la dimension de la comète qui tomba dans la Tunguska en 1908. Il est donc heureux que ces débris n'aient pas percutés la Terre. Documents Giovanni Dal Lago et JHU/NASA.

Quant à Linear (D/1999 S4), au lieu de se briser en fragments biens nets et brillants comme Shoemaker-Levy 9, son noyau s'est quasiment dissous dans un nuage amorphe de gaz et de poussière comme le montre très bien les photographies ci-dessus. Mais il y a une similitude entre les deux comètes : au moment de la fragmentation, le noyau de Linear s'est également transformé en une longue chaîne brillante. Toutefois il n'y avait pas de noyaux indépendants comme on l'observa sur SL9.

Cette fragmentation implique déjà une structure interne assez homogène mais très sensible aux forces de marée. Ainsi qu’il a été dit, on retrouverait une structure interne similaire à celle des astéroïdes, dont certains se sont formés par accrétion. La similarité entre la brillance des noyaux cométaires et celles des astéroïdes est connue[1], à laquelle s’ajoute une réflectivité radar fort similaire, proche de 10%, qui rappelle le faible pouvoir réfléchissant de certaines pierres ou des scories. La comète de Halley ne réfléchissait toutefois que 4% de la lumière solaire, ce qui reste inférieur aux prédictions.

Fragmentations de SL9

A gauche, photographies réalisées entre le 24 et le 27 janvier 1994 par Hubble montrant la fragmentation de la comète Shoemaker-Levy 9 à moins de 100 000 km de Jupiter (< 1.4 rayon jovien). On dénombrait déjà 20 fragments. En fait SL9 n'a jamais été en orbite autour du Soleil mais fut directement capturée par l'attraction de Jupiter. A droite, simulation de la collision entre la comète SL9 et Jupiter vu de la sonde spatiale Voyager 2. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation. Documents NASA/HST et JPL.

Les comètes semblent se fragmenter à toute distance du Soleil, mais principalement dans la région proche du périphélie où l’attraction du Soleil est la plus forte. Selon Thomas Van Flandern (1940-2009), expert en mécanique céleste, la durée maximale durant laquelle on peut observer une scission après le passage au périphélie d’une comète qui gravite sur une orbite parabolique augmente en puissance 1.5 de la distance périhélique à une constante près. Ainsi les comètes qui présentent une courte distance périphélique restent peu de temps près du Soleil et ont peu de chance de se fragmenter. Inversement, une comète ayant une distance périhélique de 1 UA par exemple, restera près de 68 jours à la distance périhélique et jusqu’à une année à la distance de la ceinture des astéroïdes. Bien sûr ce modèle s’écroule si l’orbite de la comète croise la trajectoire d’une planète influente comme Jupiter.

Lorsque le noyau se fragmente, une comète peut encore rester active quelques dizaines d'années. Vient un moment où le noyau est tellement petit qu'il se désagrège en formant des pluies d'étoiles filantes. C'est Schiaparelli en 1866 qui démontra le lien entre les comètes et certains essaims de météores. Si la comète se désagrège près de la Terre, nous assistons au passage périodique d'essaims d'étoiles filantes. Le plus bel exemple est la comète périodique de Biéla qui fut découverte en 1826. Elle finit par éclater en deux morceaux en 1852, formant un court instant deux comètes jumelles. Mais aucune des deux comètes ne réapparut au passage suivant. Le 27 novembre 1872 le ciel fut par contre progressivement envahi d'étoiles filantes et l'on estima leur nombre total à 160000. On établit que la trajectoire héliocentrique des météores décrivait la même orbite que celle de la comète de Biéla.

Durée limite d’une fragmentation cométaire

(orbite parabolique)

Nb jours = 68 q1.5

avec q, la distance au périhélie.

Selon T.Van Flandern, en première approximation la durée maximale durant laquelle on peut observer une scission après le passage au périphélie d’une comète qui gravite sur une orbite parabolique augmente en puissance 1.5 de la distance périhélique à une constante près.

Isophotes montrant la fragmentation de Linear réalisées entre le 23-27 juillet 2000 au télescope Jacobus Kapteyn (Bande R). Chaque image mesure 40' de côté et est approximativement centrée sur le noyau de la comète.

Les théories alternatives proposées par une minorité de chercheurs résolvent quelques-uns des problèmes du modèle Standard proposé par Whipple. L’une des idées alternatives se trouva confortée lorsqu’on découvrit dans les archives 14 comètes fragmentées pour lesquelles les astronomes connaissaient précisément les dates de fragmentation. Toutes ces comètes s’étaient brisées avant ou près du périhélie. Les astronomes en connaissent autant qui se sont fragmentées après le périhélie, mais dont la date est incertaine. Ces évènements remettent en question la validité du modèle de la “boule de glace sâle”. En effet, depuis le milieu des années 1970, Z.Sekanina[2] et ses collègues du JPL ont découvert que la vitesse de séparation des fragments cométaires semble corrélée avec la distance au Soleil au moment de la scission, phénomène qui n’existe pas dans la théorie standard; cette nouvelle théorie qui incorpore une loi en puissance impose que nous amendions la théorie originale de Whipple.

Le paramètre de corrélation des comètes fragmentées

R-b

avec R, la distance de la comète au Soleil au moment de la scission

        b, le paramètre de corrélation.

b = 0 si la scission est liée à un mécanisme interne

b = 0.5 si les fragments sont éjectés à partir de matériaux orbitaux

b = 1 si le phénomène est lié à un processus externe dépendant de la vitesse de fragmentation (radiation solaire, chaleur, etc).

b = 2 si la loi en carré inverse intervient (force de marée).

Les vitesses relatives des fragments cométaires, forts proches dans le cas de SL9 semblent avoir une origine gravitationnelle, satellitaire qui s’oppose à la théorie selon laquelle ils auraient été formés par accrétion ou par un processus éruptif du noyau. Toutefois, selon T.Van Flandern, la variation de la vitesse des fragments en fonction de la distance au Soleil semble incompatible avec une scission provoquée par des processus internes, la chaleur, le stress gravitationnel ou le rayonnement solaire. Dans son esprit, beaucoup d’autres données viennent infirmer le modèle de Whipple.

Perte de fragments dans la queue de poussière de la comète Hyakutake en 1996. Document Pic-du-Midi/S2P.

Un autre indice opposé au modèle Standard est le fait qu’en s’approchant du Soleil à moins de 1.5 million de kilomètres, les comètes doivent supporter des températures de l’ordre de 1000°C. Considérant le modèle de la “boule de glace sale”, les astronomes s’expliquent mal comment ces comètes survivent, bien qu’à haute température la vapeur d’eau puisse jouer le rôle d’isolant thermique et préserver le noyau cométaire.

Une autre théorie considère que seul un noyau rocheux couvert d’interstices remplis de glace et entouré de vapeur pourrait survivre dans de telles conditions. Dans ce cas le modèle Standard s’écroulerait.

Enfin, l’idée que les comètes ressemblent tant par leur structure (fragile et poreuse), leur réflectivité (10 % en moyenne, courbe lumineuse à plusieurs pics) et leur constitution (carbone, aspect sombre) aux astéroïdes ou aux planètes inférieures renforce également l’idée qu’elles ne sont pas constituées de glace mais plutôt de roches.

Pour les défenseurs du modèle Standard, la seule explication est de considérer que les comètes présentent bel et bien une faible densité et contiennent des fragments de quelques mètres seulement comme le prédit le modèle de Whipple. Toutes ces idées doivent cependant être confirmées en analysant un plus grand nombre de comètes.

Espérons que les données transmises par la sonde Philae (mission Rosetta) qui s'est posée en 2015 sur la comète 67P/Churyumov–Gerasimenko nous apporteront quelques éclaircissements.

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[1] N.Bobrovnikoff, “Halley’s Comet in its apparition of 1909-1911”, Publication of Lick Observatory, 17, 1931, p309 - L.Wilkening eds., “Comets”, University of Arizona Press, 1982.

[2] Z.Sekanina, L.Wilkening eds, “Comets”, op.cit., p251 - Cf également Z.Sekanina, Icarus, 30, 1977, p574 - Z.Sekanina, Icarus, 38, 1979, p300.


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