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Les comètes

Introduction (I)

Quelle émotion devaient éprouver les observateurs de jadis lorsqu’ils apercevaient dans les lueurs flamboyantes et bleues nuit du crépuscule une épée un peu floue suspendue dans le ciel... Cet objet ensiforme avait effectivement de quoi les inquiéter. Pas étonnant qu’ils aient assimilé ce phénomène à une malédiction.

Autre temps autre moeurs, aujourd’hui on ne peut que s’émerveiller devant cette beauté évanescente et ressentir une forte excitation en observant une comète traverser ainsi le ciel silencieusement, signant son passage de vapeurs et de poussières éphémères. Ne manquez pas d'observer ce spectacle...

A gauche, la comète de Bennett (C/1969 Y1) traversant le ciel crépusculaire le 4 mai 1970 à 20h T.U. Compositage de 2 images exposées 10 minutes chacune sur film Fujichrome R-100 réalisé par Akira Fujii avec un téléobjectif de 135 mm f/3.5. A sa droite, la comète ISON (C/2012 S1) photographiée le 15 novembre 2013 par Damian Peach au foyer d'une lunette Takahashi FSQ de 106 mm f/5 équipée d'une caméra CCD SBIG STL-11K. Empilement LRGB de 6 images exposées 2 minutes chacune. A droite du centre, la comète Neowise (C/2020 F3) photographiée le 19 juillet 2020 par Zixuan Lin du BNU depuis le désert de Gobi en Mongolie. Il s'agit d'un empilement de 40 images. A droite, une photo LRGB de la comète Léonard (C/2021 A1) photographiée par Michael Jäger et Lukaz Demetz le 28 décembre 2021 en Namibie au foyer d'un télescope Veloce de 200 mm f/3 équipé d'une camera CCD QHY600.

A l'image de dame Nature, les comètes sont des entités complexes. Simples et pures vues de loin, elles révèlent aux regards charmés une structure et une constitution très complexes sujettent aux sautes d'humeur de leur coeur de pierre et de glace et du vent solaire qui souffle dans leur chevelure. A l'heure où sont écrites ces lignes bien des questions demeurent sans réponses concernant leurs origines, la constitution de leur noyau ou la dynamique qui préside à l'émission de matière. Comme dame Nature, les comètes sont secrètes et ne se laissent pas facilement apprivoiser. Mais la Science bardée d'instruments toujours plus indiscrets est bien décidée à lever le voile sur ces mystérieuses voyageuses flamboyantes.

Histoire abrégée

Déjà relatées sur les tables cunéiformes des Babyloniens en l'an 164 avant notre ère, les comètes font partie de notre décor naturel depuis plus de 2500 ans. On trouve également leurs traces dans de vieilles annales chinoises retrouvées auprès de momies remontant au IVe siècle avant notre ère, dont les textes décrivent 29 types de comètes (tombe de Li Cang, Marquis de Dai, Musée Provincial Hunan).

Concernant leur nature, dans l'Antiquité c'est Aristote (384-322 avant notre ère), disciple de Platon, qui proposa la première explication rationnelle. Dans son ouvrage "Les météorologiques", il proposa que les comètes appartiennent "à la première partie du monde, celle constituée d'une exhalaison sèche et chaude située en-dessous des sphères circulaires [...] Des gaz inflammables s’échappent de fissures dans les roches, s’amassent dans les couches supérieures de la région sublunaire et s’y enflamment. La libération rapide de ces gaz serait à l’origine des météores tandis que leur dissipation lente provoquerait l’apparition d’une comète". Selon son opinion, ces astres chevelus étaient des "exhalaisons [...] emportées autour de la Terre par la translation et le mouvement circulaire [...] (cf. Aristote, Les météorologiques, Livre I, ch. VII).

Son interprétation de sa chevelure était cependant moins précise, faisant intervenir "un principe igné, [...] mais sans que ce principe soit en quantité suffisante pour assurer une combustion rapide et complète, ni si faible qu'il s'éteigne rapidement".--

Aristote admettait toutefois que ses connaissances étaient limitées et les faits non prouvés mais que cette explication n'entrait pas en contradiction avec les faits alors établis, c'est-à-dire pas grand chose à cette époque. Heureux aujourd'hui, l'université grecque fondée en sa mémoire a revu son opinion !

Apollonius de Rhodes fut directeur de la Bibliothèque d'Alexandrie à partir de 195 avant JC.

Apollonius de Rhodes (dit d'Alexandrie ou le Myndien, fl. 270-181 avant notre ère) succéda à Eratosthène de Cyrène (235-195 avant notre ère) à la Bibliothèque d'Alexandrie et devint notamment célèbre pour avoir écrit en autres poèmes, l'Expédition des Argonautes, des grammaires et proposé plusieurs explications concernant le mouvement des astres.

Apollonius ne partagea pas du tout l'opinion des Chaldéens - qui fut également celle d'Aristote - à propos de l'origine des comètes. Selon Apollonius : "les comètes ne sont pas des assemblages de planètes ; mais une foule de comètes sont des planètes réelles. Ce ne sont pas des apparences illusoires, des feux qui s'étendent d'un astre à un autre, ce sont des astres particuliers : les comètes sont ce que sont le soleil et la lune. Le caractère de leur forme est de n'être pas ronde, mais élancée et longue. Leur orbite n'est pas visible; elles parcourent les plus hautes régions du monde, et ne se font apercevoir que quand elles arrivent dans la partie inférieure de leur orbite".

Deux siècles plus tard, dans ses "Questions naturelles" (Livre VII, 17), le philosophe Sénèque né en l'an 3 de notre ère et qui aimait discuter de sciences avec son disciple Lucilius, évoque ce citoyen d'Alexandrie aux idées révolutionnaires dont il partage l'opinion : "Apollonius dit que beaucoup de comètes se meuvent comme des planètesSeulement leur forme, comme leur orbite est plus allongée. La comète nous est invisible, tant que sa course se prolonge dans les régions les plus éloignées de l'univers; elle ne nous apparaît que dans sa course la plus rapprochée de nous".

Sénèque réfute l'opinion d'Aristote et conclut avec intelligence : "Si, nous objecte-t-on, les comètes étaient des espèces de planètes, elles ne sortiraient pas du zodiaque. Mais quel homme oserait assigner aux astres une route unique ?… Les planètes mêmes décrivent des orbites différentes les unes des autres; pourquoi n'y aurait-il pas d'autres corps célestes; qui auraient chacun une route particulière à parcourir, quoique fort éloignée des routes que suivent les planètes ?…"

Malheureusements ces concepts audacieux pour l'époque et proches de la vérité seront rejetés par les générations suivantes.

Avec le temps, face aux nombreuses guerres, famines, maladies, au manque d'éducation et autres obscurantismes, l'idée d'Apollonius de Rhodes s'évanouit au profit d'une explication plus en accord avec son temps. Comme beaucoup d'autres manifestations fugaces, les comètes représentaient des signes de mauvais présages issus des ténèbres. Selon l'une des nombreuses interprétations, cela remonte à une époque où les femmes en deuil devaient délier leurs cheveux pour manifester leur chagrin. En s'approchant du Soleil, les comètes ressemblant à une chevelure au vent (cometa aster), comme d'autres signes du destin, elles symbolisaient le deuil ou annonçaient les malheurs à venir, guerre, épidémie, incendie, famine et leurs lots de souffrances.

Le premier auteur qui interprèta les comètes comme un signe de mauvaise augure est l'historien grec Diodorus Siculus (90-30 avant notre ère) qui écrit dans son livre "Bibliothèque Historique" (Livre XV, §50) consacré à l'histoire universelle : "dans la cent deuxième Olympiade [372 avant notre ère]… après que les Lacédémoniens eurent tenu la suprématie en Grèce pendant près de cinq cents ans, un présage divin annonça la perte de leur empire ; car on a vu dans les cieux au cours de nombreuses nuits une grande torche flamboyante qui a été nommée d'après sa forme un "faisceau enflammé", et un peu plus tard, à la surprise de tous, les Spartiates ont été vaincus dans une grande bataille et ont irrémédiablement perdu leur suprématie". Mais comme Aristote, il souligne un peu plus loin que l'origine du phénomène aurait été établie : "Certains des étudiants de la nature ont attribué l'origine de la torche à des causes naturelles, exprimant l'opinion que de telles apparitions se produisent nécessairement à des moments désignés, et qu'en ces matières les Chaldéens de Babylone et les autres astrologues ont réussi à faire des prophéties précises. Ces hommes, disent-ils, ne sont pas surpris lorsqu'un tel phénomène se produit, mais plutôt s'il ne se produit pas, car chaque constellation particulière a son propre cycle particulier et ils complètent ces cycles par des mouvements séculaires dans des cours déterminés. En tout cas, cette torche avait un tel éclat, rapportent-ils, et sa lumière une telle force qu'elle projetait sur le ciel des ombres assez semblables à celles projetées par la lune".

Aristote mentionne également la comète de l'an 372 avant notre ère dans "Les météorologiques" (Livre I, ch. VI-VII) car il l'a probablement observée à l'âge de 11 ans, mais il ne fait pas d'allusion à ses présages.

Selon les astrologues, une comète serait apparue 6 mois avant l'assassinat de Jules César. En réalité elle apparut dans le ciel de Rome 4 mois après son assassinat, entre le 23 et le 25 juillet de l'an 44 avant notre ère, et ironiquement à l'époque de son anniversaire (les Chinois l'observèrent dès le 18 mai). Aujourd'hui la "comète de César" est référencée sous le code C/-43 K1. C'est une comète à longue période qu'on ne vit qu'une seule fois.

A voir : Animation de la tapisserie de Bayeux

Les mauvais présages annoncés par les comètes

A gauche, représentation de la comète de Halley sur la tapisserie de Bayeux qui apparut 4 mois (du 24 avril au 1er mai 1066) avant la bataille de Hastings qui se déroula le 14 octobre 1066, opposant l'armée de Guillaume le Conquérant à celle du Roi Harold qui mourut durant la bataille. La comète fut donc associée à la défaite des Anglais. Au centre, la "comète" qui serait apparue en 1519 au-dessus de la capitale Ténochtitlan au Mexique que les Aztèques auraient associée à la chute de Moctézuma II. Malheureuse coïncidence, l'empereur fut assassiné en 1520 durant la conquête espagnole par les hommes du Conquistador Hernán Cortés. Illustration extraite du "Codex Durán". Toutefois, aucune archive historique n'atteste du passage d'une comète à cette date (voir le texte pour l'explication). A droite, illustration des mauvais présages associé à la Grande comète de 1577. Illustration extraite du livre de Cornelius Gemma, "De prodigiosa specie, naturaquae cometae" (après la page 66) imprimé à Anvers chez Plantin en 1577. Voir également le texte pour l'explication.

La célèbre comète de Halley (1P/Halley) annonça également de mauvais présages et ce depuis l'Antiquité. L'un des plus connu est son apparition en septembre 1066 qui fut remarquée en France et en Angleterre à l'époque où Guillaume le Conquérant voulut venger l'usurpation du trône d'Angleterre par le Roi Harold. Annonciatrice d'une défaite lors de la fameuse bataille de Hastings (les Français vainquirent les Anglais), comme on le voit ci-dessous à gauche, elle fut représentée sur la célèbre tapisserie de Bayeux qui, contrairement à ce que sous-entend son nom fut confectionnée en Angleterre. Sur cette représentation qui se situe au début de la tapisserie, on peut lire en latin "Ceux qui admirent l'étoile" ("isti mirant stella") et en dessous à droite le nom du Roi Harold en son château.

Les évènements célestes étaient également redoutés des Amérindiens. Comme on le voit ci-dessus au centre, la petite histoire prétend qu'une comète apparut en 1519 au-dessus de la capitale Ténochtitlan et fut associée à la mort de l'empereur Moctézuma II. Cette illustration est extraite du manuscrit "Historia de las Indias de Nueva Espana y Islas de Tierra Firme" mieux connu sous le titre de "Codex Durán" rédigé entre 1576 et 1581 par le Dominicain Fray Diego Durán (1537-1588), soit plus de 60 ans après le passage supposé de cette comète. Comme l'a noté Gilbert Javaux, dans l'édition du même livre de 1880, dans le tome II, chapitre IX, page 170, le passage de cette comète est daté de 1509 et elle brilla 40 nuits. Or dans "Cométographie ou Traité Historique et Théorique des Comètes - Tome Premier" publié en 1783, Alexandre Guy Pingré souligne page 484 qu'on décrivit le passage d'une comète en 1517 qui aurait été visible au Mexique toute en année, y compris en plein jour en parcourant l'horizon d'ouest en est et qui jetait "un grand nombre d'étincelles" ce qui, écrit-il "ressemble plus à l'aspect d'un météore". Toutefois, dans le livre "La Malinche: The Mistress of Hernan Cortés, from Slave to Goddess" de Rodrigue Lévesque édité en 2007 à compte d'auteur, il est précisé en page 14 et 26 qu'une comète apparut au Mexique en 1517 mais aucune en 1509 ou 1519. En conclusion, la "comète de Moctézuma" de 1519 n'a donc jamais existé, mais au fil du temps les récits mal traduits et les erreurs d'interprétations ont propagé cette rumeur liée aux mauvais présages.

La Grande comète de 1577 (C/1577 V1) illustrée ci-dessus à droite et qu'observa notamment Tycho Brahé, fut également associée aux mauvais présages comme l'indique le mot "Eimarmene" en dessous à droite. Ce mot correspond à la terminologie grecque philosophique pour le destin ("Fatum" en latin). L'illustration est extraite du livre de Cornelius Gemma, "De prodigiosa specie, naturaquae cometae" (après la page 66) qui fut imprimé à Anvers chez Plantin en 1577. Comme on le voit ci-dessous, cette comète atteignit la magnitude visuelle -10.78 (mais plus vraisemblablement de -7. On la dit plus brillante que Vénus qui atteignit à cette époque la magnitude -4.21 et presque aussi brillante que la pleine Lune qui est de magnitude -12.7). Elle resta plus brillante que la magnitude 0 pendant environ 10 semaines. Sa queue mesurait 30°. Elle fut observée à travers le monde.

Simulation du passage de la Grande comète de 1577 avec Stellarium. A gauche, le 27 octobre lorsqu'elle dépassa la magnitude -10.78 et à droite le 6 décembre de cette année là lorsqu'elle se trouvait dans le Petit Cheval comme le mentionne l'illustration de Cornelius Gemma. Documents T.Lombry.

Toute l'oeuvre de Gemma dans les années 1570 est fortement marquée par la Révolte des Pays-Bas et se caractérise par l'intégration explicite du politique dans une perspective cosmique et anthropologique. La ville en feu représentée dans son illustration coïncide probablement avec la Guerre de quatre-vingt ans aux Pays-Bas (la révolte des gueux) sous le règne de Philippe II d'Espagne (le fils de Charles-Quint), comme le montre l’allégorie Belgica en pleurs (ceci dit, dans les faits, selon cette liste aucune ville ou édifice majeur ne fut en feu cette année là sauf le Palais des Doges à Venise en décembre 1577). Le texte latin indique que la comète aurait été observée à l'ouest ("occasus") près du nez de cheval ("nares pegasi"), dans le Chevalet ("equiculus") qui correspond à la constellation moderne du Petit Cheval (entre Pégase et le Dauphin), ce que confirme la simulation ci-dessus à droite.

La rumeur selon laquelle les comètes étaient annonciatrices de mauvais présages subsista jusqu'au début du XXe siècle mais depuis longtemps les "hommes savants" ne croyaient plus en ces légendes, en particulier le célèbre Cicéron.

Il faudra attendre 1578 et les observations de l'astronome danois Tycho Brahé pour confirmer les propos d'Apollonius de Rhodes et de Sénèque. Médiocre mathématicien mais habile observateur, Tycho observa la Grande Comète de 1577 et voulut déterminer sa distance en mesurant sa parallaxe. En utilisant une base de 600 km, il mesura un angle d'environ 0.5' (30 secondes d'arc), ce qui correspondait à une distance d'environ 1.8 million de kilomètres. Tycho montra que la Grande comète se trouvait à au moins 230 rayons terrestres et donc au moins trois fois plus loin que la Lune et traversait plusieurs sphères, ce qui était en théorie impossible.

Tycho confirmait l'idée d'Apollonius qui plaçait les comètes auprès des "étoiles errantes", dans l'orbe des planètes mais sur des orbites propres. Alors que Copernic venait de placer le Soleil au centre des orbes, la Terre et la Lune tournant autour de lui, Tycho résista à cette idée mais voulut tout de même prouver à son tour qu'Aristote se trompait.

En revanche, quelques décennies plus tard Galilée était toujours persuadé que les comètes étaient des illusions, des phénomènes optiques provoqués par la lumière solaire, du fait qu'il ne parvint pas à mesurer leur parallaxe.

A gauche, portrait de Sir Edmund Halley réalisé en 1721 ou peu avant par Richard Phillips. Au centre les pages de titre des deux opuscules de Halley consacrés aux comètes. A droite, la page 20 du Compendium dans lequel il prédit que le prochain passage de ce qui deviendra la célèbre comète de Halley se produira vers 1758. En fait, au lieu de 1687 comme écrit dans cette édition de 1757, il faut lire 1682 comme Halley le précise bien dans les pages 14 à 17. Documents NPG et Archive.org.

C'est à l'astronome anglais Sir Edmund Halley (1656-1742) que nous devons la vision quasi moderne des comètes. Halley qui était passionné de géophysique, mathématiques, météorologie et physique fut élu à la Royal Society en 1678, il avait 22 ans. Il fut ensuite professeur Savilien de géométrie à l'Université d'Oxford puis Astronome Royal à l'Observatoire de Greenwich à partir de 1720, poste qu'il occupa jusqu'à sa mort le 14 janvier 1742.

Contemporain de Newton avec lequel il discuta de la gravitation à maintes reprises, Halley démontra en 1705 dans son livre "Synopsis Astronomia Cometicae" complété par le "Compendium View of the Astronomy of Comets" (CVAC) que les comètes suivaient une orbite elliptique dont le Soleil occupait l'un des foyers. Il découvrit par ailleurs dans ses archives qu'une comète ayant une trajectoire très similaire était déjà passée auparavant : "Comme cette théorie s'accorde avec les observations réelles de trois comètes différentes faites en 1531, 1607 et [1682], ce serait un miracle si les trois comètes avaient suivi trois fois la même trajectoire, et plus qu'un miracle si ce n'était pas la troisième révolution de la même comète, dans une courbe elliptique" (cf. CVAC, p20). En effet, cela faisait plus qu'une simple coïncidence, d'autant que les intervalles de temps étaient quasi identiques (75 ou 76 ans).

La comète Donati au-dessus de Notre -Dame à Paris le 4 octobre 1858. Extrait du livre "Le Ciel" d'Amédée Guillemin, 1877, Pl.XXIX.

Mais Halley savait que les orbites des comètes obéissaient aux lois des perturbations à N corps, une question mathématique très complexe qu'il ne prit pas le temps de résoudre. Il prédit néanmoins que la comète "apparaîtrait de nouveau vers l'année 1758" (cf. CVAC, p20). Malheureusement, il ne vécut pas assez longtemps pour l'observer.

Halley était mort depuis 15 ans quand Jérome Lalande, Alexis Clairaut et Nicole-Reine Lepaute (1723-1788) entreprirent en 1757 de calculer la date exacte du retour de cette comète en tenant compte des perturbations engendrées par Jupiter et Saturne.

Après avoir calculé la trajectoire de la comète jour par jour, Clairaut put annoncer en novembre 1758 le passage au périphélie (le point le plus proche du Soleil) pour la mi-avril 1759. La comète fut effectivement retrouvée, fidèle au rendez-vous, par l'astronome amateur allemand Johann Georg Palitsch, la nuit du 26 au 27 décembre 1758. Elle présentait une queue de 20°.

Certains ont écrit que Palitsch la découvrit à l'oeil nu mais l'Amiral Smyth parmi d'autres déclara qu'il utilisa un télescope de 2.4 m de focale. Trois semaines plus tard, Charles Messier observa la comète depuis l'Hôtel de Cluny le 21 janvier 1759 et ce fut pour lui "l'une des plus importantes découvertes astronomiques car elle montrait que les comètes pouvaient revenir" (cf. C.Messier, 1759).

La comète passa au périhélie le 13 mars 1759 et fut suivie jusqu'en juin de cette année là. En hommage au célèbre astronome, on la baptisa la comète de Halley (1P/1758 Y1) dont voici les paramètres.

Grâce aux travaux de Halley, nous savons aujourd'hui que la comète de Halley fut observée sans interruption depuis l'an 240 avant notre ère, tout d'abord par les astrologues chinois (cf. le texte chinois du "Shih chi") puis par les Européens.

Selon les spécialistes du centre JSC de la NASA, une comète comme Halley effectue en moyenne 16000 révolutions autour du Soleil avant de disparaître. Halley est sur son orbite actuelle depuis au moins 16000 ans et n'a pas montré de signe évident de vieillissement au cours de ses apparitions. Avec une masse estimée à quelque 300 milliards de tonnes, un volume de 550 km3 et ne perdant qu'entre 1 et 3 m d'épaisseur à chaque passage (20 tonnes de gaz et 10 tonnes de poussière par seconde en-dessous de 2 UA), on estime qu'elle sera probablement encore visible durant quelques centaines de milliers d'années bien que nous n'ayons pas suffisamment de recul pour confirmer cette hypothèse.

A consulter : Les grandes comètes du passé, Gilbert Javaux

A gauche, peinture réalisée par Samuel Scott en 1759 montrant la comète de Halley au-dessus de la Tamise près de Londres. On aperçoit la cathédrale de Westminster à l'arrière-plan. Cette peinture est rarement mentionnée dans les catalogues. Au centre, l'évolution de la comète de Halley au cours de son passage en 1910. A droite, gros-plan sur son noyau malheureusement surexposé. Documents Lowell Observatory.

Jusqu'au début du XXe siècle, les comètes restèrent des manifestations célestes très redoutées, mais bien sûr plus pour les mêmes raisons ! En 1910 par exemple, des astronomes et des personnalités aussi connues que Camille Flammarion et l'abbé Moreux prédirent que la Terre devait passer derrière la queue de la comète de Halley. Le fait que celle-ci semblait contenir du cyanogène (C22) ils évoquèrent les propriétés toxiques et oxydantes de ce gaz.

Toujours avides de sensationnel et faisant peu de cas des suppositions, les journalistes s'empressèrent d'annoncer la fin du monde : le cyanogène devait empoisonner l'atmosphère terrestre ! Flammarion et Moreux avaient sous-estimé l'impact des médias dans la population... Des cas de suicide ont malheureusement été constatés, mais lorsque le jour venu Halley traversa le ciel et que la Terre passa dans sa queue, aucun des malheurs annoncés ne se produisit. On ne découvrit pas non plus la moindre trace de cyanogène.

En avril 1910, Halley brilla à la magnitude 0 et présenta sur les photographies une queue qui s'étendait sur 100°. Par comparaison, au cours de son passage en mars 1986, Halley brilla à la magnitude +2 et présenta une queue de 25°. Dans les endroits écartés de la lumière des villes, on a pu l'observer à l'oeil nu pendant 6 mois mais elle déçut la majorité de la population qui s'attendait à un évènement majeur. Heureusement, ainsi que nous le verrons un peu plus loin, nous avons lancé une armada de sondes spatiales à sa rencontre, ce qui constitua un évènement médiatique de premier plan.

En 1997, la comète Hale-Bopp est restée plus brillante que la magnitude 0 pendant 7 semaines et atteignit la magnitude -0.5. Sa queue mesurait 25°. Les records de brillance sont détenus par la comète Ikeya-Seki de 1965 qui atteignit la magnitude -15 avec une queue de 45° et par la Grande Comète de 1882 qui atteignit la magnitude -17 avec une queue de 20° (cf. Atlas of Great Comets).

HALLEY, 1986

La fidèle

Période: 76 ans (2061)

Volume: 550 km3

Dimensions: 16 x 7.5 x 8 km

Masse: 3x1011 tonnes

Densité: 0.03 à 4.9

Température du noyau: -73°C

Rotation du noyau: 53 heures

Gaz libérés: ~20 tonnes/s

Poussières libérées: ~10 tonnes/s

Un mois sépare ces deux magnifiques images prises par l'astronome Arturo Gomez de l'ESO. A gauche, une photographie prise le 16 mars 1986 à 9h01 TU. 10 minutes de pose sur film IIa-O au télescope Schmidt du CTIO. A droite, le 15 avril 1986 à 2h24 TU. Halley est au-dessus de l'horizon sud-est et passe au large de la radiosource NGC 5128, Centaurus A. 15 minutes d'exposition sur film 103a-0 (la coma est fortement surexposée). Voici la simulation du ciel étoilé par Stellarium. Documents A.Gomes/CTIO/NOAO et T.Lombry/Stellarium.

Aujourd'hui, les comètes sont devenues des objets pacifiques, sujets de recherches approfondies dans le but de connaître leur origine et leur constitution, mais aussi pour confirmer les modèles de mécanique céleste qui président aux perturbations orbitales des planètes.

Pourquoi donc un tel intérêt pour les comètes ? A cela, les astronomes nous répondent que ces objets ont sans doute été créés tout au début de la formation du système solaire et de ce fait, n'ayant pas subi de modifications internes, ils sont restés intacts, contenant dans leur sein des éléments constitutifs de la nébuleuse protosolaire et peut-être des grains de poussière interstellaires. D'un autre côté des études indiqueraient que les comètes ont peut être contribué à la formation des océans et des composés volatils que l'on retrouve sur Terre, modifiant l'écosystème primitif. Enfin, les composés organiques qu'elles contiennent ont également pu jouer un rôle déterminant dans l'apparition de la vie sur Terre. C'est pour toutes ces raisons que les astronomes cherchent à dévoiler leurs origines et connaître leur composition.

En 1986, la fameuse comète de Halley fut approchée par trois sondes spatiales dont Giotto qui la photographia à moins de 600 km de distance. Plus récemment, en 2014, la sonde européenne Rosetta largua la petite Philae qui se posa sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko. Ainsi que nous allons le découvrir, les données prélevées in situ ont permis de résoudre bien des énigmes[1].

A consulter : Base de données des comètes, Obs. Paris

Nomenclature et éléments

La comète McNaught (C/2006 P1) en 2007. Document A.Fujii.

Les astronomes classent les comètes à partir de leur période orbitale. Sur près de 5900 comètes répertoriées à ce jour, en 2018 le MPC avait répertorié 603 comètes périodiques dont la révolution varie entre 3.3 ans (2P/Encke) et 188 ans (273P/Pons-Gambart) et 374 comètes à longue période. Chaque année, on découvre en moyenne une dizaine de comètes et ces dernières années, il s'agit en majorité de comètes à courte période.

Les professionnels attribuent des lettres et numéro d'ordre aux comètes qui nous rendent visite :

- C/ : comète à longue période (entre 200 ans et plusieurs millions d'années)

- P/ : comète dont la période est inférieure à 200 ans

- A/ : astéroïde ou comète dormante

- D/ : comète défunte

La comète Neowise (C/2020 F3) en 2020. Document T.Lombry.

Le décompte des découvertes est établi par demi-mois en commençant par 'A', la lettre 'I' n'étant pas utilisée pour éviter les confusions. Vient ensuite un numéro d'ordre. Ainsi la troisième comète à longue période découverte durant la seconde moitié du mois de mars 2020 est cataloguée "C/2020 F3".

Lorsqu'ils sont complets, les éléments (paramètres) orbitaux des comètes permettent de simuler leur trajectoire dans des logiciels d'astronomie tels que TheSky (payant) ou Stellarium et sa version web (gratuits). Les éléments de 3300 comètes peuvent être téléchargés gratuitement depuis le site du JPL et être ajoutés manuellement dans certaines applications (voici la procédure en anglais pour les ajouter dans Stellarium).

Consulter également le glossaire pour la définition des paramètres orbitaux et d'autres mots du vocabulaire.

Découverte d'un deuxième plan orbital

Une étude récente des mouvements des comètes indique que le système solaire a un deuxième plan d'alignement. En effet, l'étude analytique des orbites des comètes à longue période montre que les aphélies des comètes - le point où elles sont le plus éloignées du Soleil - ont tendance à se rapprocher soit du plan de l'écliptique bien connu où résident les planètes, soit d'un "vide" nouvellement découvert. Ce deuxième plan orbital fut découvert par Arika Higuchi, professeure adjointe à l'Université de santé au travail et environnementale du Japon (UOEH) et fit l'objet d'un article publié dans "The Astronomical Journal" en 2020.

Illustration des deux plans d'alignement des comètes. Document NOAJ.

Cette découverte a des implications importantes dans la modélisation de la formation des comètes dans le système solaire. Pour rappel, les planètes et la plupart des autres petits corps se déplacent dans le système solaire à peu près dans le même plan orbital, connu sous le nom d'écliptique, mais il existe des exceptions notamment pour les comètes et quelques astéroïdes.

Les modèles de formation du système solaire suggèrent que même des comètes à longue période se sont formées à l'origine près du plan de l'écliptique et furent ensuite dispersées dans les orbites observées de nos jours en raison des interactions gravitationnelles, notamment avec les planètes géantes (on observe le même phénomène de dispersion avec certains astéroïdes dénommés les SDO). Mais même en tenant compte de la diffusion planétaire, l'aphélie de ces comètes - le point où elle est la plus éloignée du Soleil - devrait rester près de l'écliptique. Or ce n'est pas qu'on observe. On en déduit que d'autres forces entrent en jeu pour expliquer la distribution observée.

Nous savons que le système solaire baigne dans le champ gravitationnel de la Galaxie qui exerce une force faible mais continue, en particulier sur la trajectoire du Soleil (cf. le schéma des mouvements galactiques). Higuchi a étudié les effets de la gravité galactique sur la trajectoire des comètes à longue période. Elle a montré que lorsque la gravité galactique est prise en compte, les aphélies des comètes à longue période ont tendance à se rassembler autour de deux plans. D'abord dans le plan de l'écliptique mais aussi dans ce qu'elle appelle une seconde "écliptique vide". L'écliptique est inclinée d'environ 60° par rapport au disque de la Voie Lactée. "L'écliptique vide" est également inclinée de 60° mais dans la direction opposée. Higuchi l'appelle "l'écliptique vide" parce qu'à l'origine elle ne contenait aucun objet. Ce n'est qu'au fil de l'évolution du système solaire qu'elle se peupla de comètes dispersées.

Higuchi a confirmé ses prédictions avec des simulations orbitales réalisées sur les superordinateurs de la NOAJ et du JPL de la NASA. Elles ont montré que la distribution des comètes présente deux pics, l'un près de l'écliptique, l'autre près de l'écliptique vide, comme prévu. Ces résultats indiquent que les modèles de formation des comètes sont corrects et que les comètes à longue période se forment dans le plan de l'écliptique.

A consulter : Keplerian Orbital Elements, Wolfram

A télécharger : Éléments orbitaux des comètes, JPL

A gauche, distribution de l'inclinaison ε sur le plan galactique de tous les corps analysés par Higuchi indiqués à droite (sauf Oumuamua et Borisov qui sont des objets interstellaires). Les barres pleines montrent les corps dont l'excentricité e>1 (sur une trajectoire hyperbolique). E et E′ désignent respectivement l'écliptique (ε=60°) et l'écliptique vide (ε=-60°). A droite, positions des comètes par rapport à l'écliptique et à l'écliptique vide. Les couleurs définissent les longitudes galactiques des comètes. Voir l'article d'Higuchi pour les détails. Documents A.Higuchi (2020) adaptés par l'auteur.

Cependant, Higuchi souligne que "Les pics ne sont pas exactement au niveau des plans de l'écliptique et l'écliptique vide, mais près d'eux". Des analyses complémentaires devront déterminer quels sont les paramètres qui influencent les orbites des petits corps. Selon Higuchi, "Une étude sur la distribution des petits corps existants doit inclure de nombreux facteurs. Un examen détaillé de la distribution des comètes à longue période sera notre prochain travail. Le sondage Legacy Survey of Space and Time - la mission de l'Observatoire LSST Rubin - fournira également des informations précieuses pour cette étude".

Prochain chapitre

L'anatomie d'une comète

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[1] A propos de la comète de Halley, consulter Nature, 321, 1986, p320 à 366 (7 articles). A propos de la mission de Rosetta et de Philae, consulter le blog Rosetta de l'ESA.


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