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Jupiter, le Maître des dieux

Les anneaux de Jupiter (IV)

Le 5 mars 1979, au grand étonnement des astronomes, la sonde spatiale Voyager 1 découvrit près du satellite Amalthée (vers 2.5 Rj) l'existence d'un système d'anneaux autour de Jupiter. Mais ils sont tellement sombres que depuis la Terre ils ne sont visibles que sur des images prises en infrarouge.

Nomenclature des anneaux de Jupiter. Document NASA/JPL Photojournal.

 Comparés à ceux de Saturne, les anneaux de Jupiter sont 15 fois plus épais et 10 fois plus larges mais ils restent comparativement infimes avec une largeur moyenne de 6500 km et une épaisseur de l'ordre de 30 km (contre 65000 km x 1.5 km pour ceux de Saturne).

Ce système d'anneaux se divise en plusieurs éléments :

- L'anneau de halo qui commence 20500 km (comptés à partir du sommet des nuages supérieurs) et présente une largeur de 30500 km avec une épaisseur estimée à 20000 km. C'est la partie la plus pâle et diffuse de l'anneau.

- L'anneau principal situé à 51000 km, large de 6440 km pour moins de 30 km d'épaisseur. Sa masse est estimée à 1013 kg, soit voisine de celle des plus petits satellites de Jupiter.

- L'anneau de Gossamer intérieur qui commence à 57440 km et présente une largeur de 52060 km.

- L'anneau de Gossamer extérieur qui commence à 109500 km et présente une largeur de 40000 km mais dont ont trouve des traces jusqu'à 222000 km suite à l'influence des satellites internes (situés plus loin que les satellites galiléens, voir plus bas).

Ces anneaux sont très sombres avec un albedo proche de 0.05 (similaire à celui du noyau des comètes) et donc plus noirs que du charbon. Ils seraient composés de particules solides non glacées contrairement à ceux de Saturne. Les particules sont si fines qu'elles sont invisibles à l'oeil nu, les anneaux ayant l'aspect d'une masse unique lorsqu'ils sont éclairés à contre-jour.

Leur concentration est probablement 100000 fois plus faible que celle des principaux anneaux de Saturne. La partie intérieur des anneaux (l'orbite de halo) est élargie en raison de l'intense champ magnétique de Jupiter et de sa force gravitationnelle. On retrouve un phénomène similaire sur l'anneau D de Saturne.

Comme les anneaux de Saturne ou d'autres planètes, bien que de nombreuses théories aient été proposées, on ignore comment ces anneaux se sont formés et leur âge précis. Vu leur distribution actuelle, on pourrait supposer qu'ils sont très anciens et résulteraient par exemple d'une collision entre des tout petits satellites ou avec un astéroïde rocheux en transit. Mais comme toute inférence à partir de données incomplète, cette déduction est trompeuse et probablement fausse.

Premières photos des anneaux de Jupiter. Bien que Jupiter soit deux fois plus proche du Soleil que Saturne, les anneaux sont tellement minces - 30 km x 6500 km - qu'il faut user de techniques infrarouges pour les mettre en évidence. L'image de gauche fut prise par la sonde Voyager 2 en 1979. A droite, une photo prise par la sonde Juno en 2017 de l'intérieur vers l'extérieur des anneaux situés à 64000 km de distance. On reconnaît la constellation d'Orion en dessous à droite. Documents NASA/Calvin J.Hamilton et NASA/MSSS/Caltech/SwRI.

En 1996, la sonde spatiale Galileo permit de confirmer que la structure des anneaux était très fragile, impliquant qu'il s'agit d'une formation, ou très récente ou qui se régénère en permanence à partir de la poussière micrométéoritique soulevée par les impacts sur les satellites galiléens. L'attraction de Jupiter est en effet telle qu'il doit exister un processus de régénération continu des anneaux qui subissent par ailleurs une forte altération en raison de la résistance atmosphérique et des effets magnétiques. D'après leur composition, il peut s'agir de débris expulsés par l'activité volcanique du satellite Io qui se trouve à 6 Rj soit pratiquement à la même distance que la Lune de la Terre.

Pas d'anneaux majestueux

Selon une étude publiée dans le "Planetary Science Journal" en 2022 (en PDF sur arXiv) par Stephen R. Kane et Zhexing Li, tous deux de l'Université de Californie à Riverside (UCR), Jupiter n'a jamais eu et n'aura jamais d'anneaux aussi majestueux que ceux de Saturne.

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont réalisé une simulation à N corps pour déterminer l'effet des contraintes dynamiques sur la présence d'un anneau substantiel autour de Jupiter. Les simulations se sont étendues de la limite de Roche rigide située à 1.29 rayon de Jupiter soit 894677 km jusqu'à 0.1 rayon de Hill de Jupiter (la sphère d'influence gravitationnelle) soit 5060000 km et ont inclu les résultats des intégrations sur 106 ans et 107 ans.

Selon les auteurs, "Les résultats montrent l'existence possible de régions propices à la formation d'un anneau dense autour de Jupiter qui peut constituer la base de la formation d'une lune. Les résultats montrent en grande partie la troncature des orbites stables imposées par les satellites galiléens, et la dessiccation dynamique des matériaux de l'anneau dans la plage ~3 à 29 rayons de Jupiter."

 A gauche, Jupiter photographié par la NIRCam du JWST en 2022. On distingue "clairement" son anneau, la chaleur émise par la Grande Tache Rouge et le rayonnement des aurores polaires. Voici la photo avec légendes. Au centre résultats de la simulation à N corps de l'injection de particules et de leur survie dans des simulations dynamiques de 1 million d'années (panneau du haut) et 10 millions d'années (panneau du milieu). L'axe horizontal est la distance à Jupiter exprimée en rayons planétaires. L'axe vertical indique le pourcentage de survie des particules à l'endroit concerné (en vert). Les lignes pointillées verticales représentent les demi-grands axes des lunes galiléennes et les tirets verticaux représentent les emplacements des limites de Roche rigides et fluides. Le panneau inférieur montre la variation de l'excentricité qui se produit pour chaque particule en fonction de leur demi-grand axe initial au cours des 10 millions d'années. A droite, le taux de perte de particules autour de Jupiter en fonction du temps. Documents NASA/ESA/CSA et S.R. Kane et Z.Li (2022).

Les chercheurs concluent que "Les lunes galiléennes de Jupiter, dont l'une est la plus grande lune de notre système solaire, détruiraient très rapidement tous les grands anneaux qui pourraient se former.[...] Les planètes massives forment des lunes massives qui les empêchent d'avoir des anneaux substantiels." Par conséquent, il est peu probable que Jupiter ait eu de grands anneaux à un moment quelconque de son passé et dans le futur son anneau ne peut que s'amincir, comme celui de Saturne.

Un cortège de 92 satellites et quelques

Au tournant du XVIIe siècle, Galilée et Marius découvrirent indépendamment l'une l'autre au moyen d'une lunette qui grossissait à peine 30 fois les quatre principaux satellites de Jupiter : Io, Europe, Ganymède et Callisto dans l'ordre de leur éloignement à Jupiter. Une lunette de 50 mm d'ouverture permet déjà de les observer comme de petites étoiles évoluant au fil des heures autour de Jupiter. En hommage à son créancier, le Grand-Duc de Toscane, Come II de Médicis, Galilée baptisa les quatre objets les "étoiles Médicéennes". Toutefois ce sont les noms proposés par Marius que l'Histoire retint.

Ainsi que Galilée l'avait compris, Jupiter représente un véritable système solaire en miniature. Les satellites galiléens circulent entre 421000 km et 1880000 km du centre de Jupiter et dans le même sens que la rotation de la planète, c'est-à-dire sur une orbite prograde. Jusqu'à présent, on a découvert 92 satellites dont voici les éléments orbitaux préparés par Scott S. Sheppard et les éphémérides. Certains comme S/2016 J1 et S/2017 J1 furent découverts un peu par hasard par Scott S. Sheppard de l'Institut Carnegie et ses collègues grâce au télescope Magellan (unité Baade) de 6.50 m installé à Las Campanas au Chili, alors qu'ils recherchaient des KBO et l'éventuelle neuxième planète. S/2017 J1 gravite à 23.5 millions de km de Jupiter et met deux ans pour accomplir une révolution ce qui est extrêmement long quand on sait que les 4 satellites galiléens mettent entre 1.8 (Io) et 16.6 jours (Callisto) pour boucler leur orbite.

Notons que le 80e satellite provisoirement désigné S/2003 J24 fut découvert par Sheppard en 2003 et indépendamment par l'astronome amateur Kai Ly le 30 juin 2021 (qui avait découvert quatre lunes de Jupiter en décembre 2020). Ce satellite est décrit dans la liste de diffusion "Minor Planet Mailing List" du 30 juin 2021. Sa découverte fut soumise pour publication dans le "Minor Planet Electronic Circular" (MPEC). Cette lune est un membre du groupe rétrograde Carme (voir plus bas).

Les télescopes Magellan Baade et Clay de 6.5 m des Observatoires Carnegie à Las Campanas grâce auxquels l'équipe de Scott S. Sheppard découvrit 12 satellites de Jupiter (68e au 79e) entre 2003 et 2018. Document Yuri Beletsky.

En 2016, il restait encore 14 satellites joviens dont les paramètres orbitaux étaient incomplets et qu'il fallait donc retrouver dans le ciel, une recherche fastidieuse qui dura plusieurs années, ce qui explique la "découverte" tardive des derniers représentants. En effet, 10 satellites de Jupiter furent officiellement découverts le 17 juillet 2018 (cf. MPC 2018-O08 à 2018-O18) mais certains avaient déjà été observés et depuis 2003 par Sheppard et ses collègues mais leurs orbites n'étaient pas connues avec précision.

Cette fois-ci les astronomes utilisèrent les plus grands télescopes et étudièrent ces satellites sur de longues périodes afin de recueillir suffisamment de données pour caractériser leurs paramètres orbitaux. Ils utilisèrent le télescope Blanco de 4 m du CTIO, le Discovery Channel de 4 m de l'Observatoire Lowell, le Magellan de 6.5 m installé à Las Campanas de l'Institut Carnegie, le Subaru et le Gemini de 8 m ainsi que celui de 2.2 m, tous trois installés à Hawaï. Notons que si les observatoires européens ne figurent pas dans cette liste, c'est simplement du fait que les découvreurs sont Américains et ont naturellement préféré gérer ce dossier en suspens mais toutes les bonnes volontés sont bienvenues bien que chaque équipe ait ses priorités.

Enfin, le 20 décembre 2022, le MPC publia les données orbitales de 12 nouveaux satellites orbitant autour de Jupiter. Neuf d'entre eux font partie des 71 lunes joviennes les plus externes, dont les périodes orbitales dépassent 550 jours. Seules cinq de ces lunes mesurent plus de 8 km. Elles se sont probablement formées lorsque des collisions ont fragmenté des objets plus gros. Trois de ces 12 lunes font partie des 13 autres qui orbitent dans le sens prograde entre les grandes lunes galiléennes et les lunes rétrogrades lointaines. On pense que ces lunes progrades se sont formées là où elles se trouvent.

Au total, en 2023 Jupiter possédait 92 satellites ! En résumé, 87 satellites ont une forme irrégulière et sont visiblement des astéroïdes capturés par Jupiter dans un lointain passé, lorsqu'il se condensait encore pour trouver sa taille d'équilibre. 82 satellites gravitent à plus de 10 millions de kilomètres de distance (la majorité à plus de 20 millions de km) et 52 parmi eux ont un mouvement rétrograde (ils orbitent dans la direction opposée au sens de la rotation de Jupiter dite prograde).

Les planétologues ont regroupé les satellites de Jupiter en différents groupes et familles :

- Les satellites réguliers : il s'agit des 4 satellites galiléens, les quatre lunes découvertes par Galilée en 1610 - dans l'ordre des distances Io, Europe, Ganymède et Callisto - qui présentent une orbite quasi circulaire (e < 0.01) et faiblement inclinée (i < 0.5°). Ils se sont probablement formés à partir du disque circumplanétaire pendant la formation de Jupiter. On y reviendra.

- Les satellites irréguliers : en 2018 on avait répertorié 60 satellites orbitant à environ 300 Rj soit 20 millions de km de Jupiter et 5 orbitant à 150 Rj. Ils présentent une grande orbite avec de fortes inclinaison et excentricité. Leurs caractéristiques orbitales font penser qu'il s'agit d'anciens astéroïdes capturés au début de la formation de Jupiter.

- Les satellites internes et les anneaux : quatre petits satellites (Amalthée, Thébé, Adrasthée et Métis) font partie de l'anneau interne de Jupiter. Leur force de gravité est si faible qu'ils perdent continuellement de la matière suite au bombardement par des micrométéorites proches de Jupiter. Ce phénomène crée un anneau de poussière qu'on observe sous l'orbite de Io (entre 20500-222000 km de la couche nuageuse de Jupiter).

- Les satellites du groupe prograde d'Himalia qui comprend 9 lunes (Himalia, Elara, Lysthée, Léda, Dia, Ersa, Pendia, S/2018 J 265 et S/2011 J 366) dont l'inclinaison orbitale est voisine de 28°. Ce sont des lunes irrégulières qui gravitent entre 11 et 12 millions de km de Jupiter.

- Les satellites du groupe rétrograde Ananké qui comprend 16 lunes (Ananké, Praxidike, Iocaste, Harpalyke, Thyone, Euanthe, Euporie, Helike, Hermippe, Mneme, Orthosie, Thelxinoe, Eupheme, S/2021 J 168, S/2021 J 269 et S/2021 J 370). Irréguliers, ils gravitent entre 19.3 et 22.7 millions km de Jupiter sur des orbites très excentriques.

- Les satellites du groupe rétrograde Pasiphée qui comprend 13 lunes (Pasiphée, Sinope, Callirrhoe, Megaclite, Autonoe, Eurydome, Sponde, Hegemone, Cyllene, Aoede, Kore, Philophrosyne et S/2016 J 476. Irréguliers, ils gravitent entre 22.7 et 24.1 millions km de Jupiter sur des orbites très excentriques.

- Les satellites du groupe prograde de Thémisto qui comprend 4 lunes (Thémisto, Valetudo, Carpo et S/2018 J 475 qui a la même orbite de Carpo. Leur inclinaison orbitale atteint 43° et présentent la particularité de traverser à contresens l'orbite des satellites rétrogrades.

- Les satellites du groupe rétrograde Carme qui comprend 17 lunes parmi lesquelles S/2003 J24 précite ainsi que S/2016 J 367, S/2018 J 371, S/2021 J 472, S/2021 J 573 et S/2021 J 674.

Notons que parmi les satellites sans nom et catalogués S/2003 à S/2023, il y a les 12 nouvelles lunes dont les données orbitales furent publiées entre 2020 et 2023.

A voir : A Dozen New Moons of Jupiter Discovered (2018), Carnegie DTM

Schéma des orbites des satellites de Jupiter (2018). Documents Carnegie Institution for Science/Roberto Molar Candanosa et Scott S. Sheppard adaptés par l'auteur.

Il est probable qu'il reste de nombreuses petites lunes joviennes rétrogrades à découvrir. En effet, en 2020 Edward Ashton, Matthew Beaudoin et Brett J. Gladman de l'Université de Colombie-Britannique au Canada ont repéré une quarantaine de petits objets de quelque 800 m de diamètre qui semblaient être en orbite autour de Jupiter. Ils ne les ont pas suivis assez longtemps, mais à partir de leurs observations préliminaires, ils ont suggéré que Jupiter pourrait avoir quelque 600 satellites d'au moins 800 m de diamètre (cf. EPSC2020). Le développement de télescopes plus grands et plus sensibles permettra de confirmer leur existence.

Scott S. Sheppard nous rappelle qu'aux satellites joviens existants il faut ajouter deux catégories de petits corps qui ne gravitent pas autour de Jupiter mais subissent son influence :

- Les Troyens : il s'agit de groupes de petits corps situés d'un point de vue héliocentrique sur les points de Lagrange 60° en avant (L4, groupe Grec) et en arrière (L5, groupe Troyen) de l'orbite de Jupiter. Leur diamètre ne dépasse pas 300 km. Selon les analyses, au total les satellites Troyens de Jupiter sont aussi nombreux que ceux gravitant dans la Ceinture principale des astéroïdes entre Mars et Jupiter (les Troyens de Neptune sont même plus nombreux). Selon le MPC, on dénombre 4184 corps sur le point L4 et 2331 corps sur le point L5.

Rappelons que la mission Lucy de la NASA visitera sept satellites des groupes Grecs et Troyens de Jupiter entre 2025 et 2033.

- Les comètes de la famille de Jupiter : il s'agit de comètes à courte (< 20 ans) ou longue période contrôlées par Jupiter, d'où leur nom. La plus célèbre est la défunte comète Shoemaker-Levy 9. Les comètes à courte période proviendraient de la Ceinture de Kuiper. Il s'agirait donc de TNO et autres KBO "déguisés". La seconde classe de comètes, celles à longue période, proviendraient du Nuage de Oort et ont une période > 200 ans. On y reviendra.

Les satellites galiléens

Les satellites galiléens font référence aux quatres principales lunes de Jupiter que Galilée découvrit en janvier 1610 (cf. Sidereus Nuncius, 1610) : Io, Europe, Ganymède et Callisto.

Io, Europe et Ganymède sont gravitationnellement liés entre eux par des forces de marée qui maintiennent leur période orbitale dans une résonance 1:2:4, les forçant tous trois à évoluer de concert. Mais on peut dire que Callisto fait partie du groupe car d'ici quelques centaines de millions d'années il sera pris dans ce système, forcé de graviter avec une période double de celle de Ganymède et de huit fois celle d'Io (résonance 1:2:8).

A gauche et de gauche à droite, les satellites Callisto, Ganymède, Europe et Io. A titre de comparaison, le point rouge est le petit satellite Amalthée. Le Nord est à droite. A droite, Io en transit devant Jupiter photographié par la sonde Cassini en route vers Saturne le 1 janvier 2001 à une distance de 350000 km. La résolution est de 600 km. Documents NASA/JPL et CICLOPS.

Des aurores sur les satellites galiléens

Grâce au spectromètre HIRES du télescope Keck de 10 m et aux spectrographes à haute résolution du LBT (Large Binocular Telescope) de 8.4 m, des astronomes ont détecté des aurores dans l'atmosphère (toute relative) des quatre satellites galiléens (cf. C.Schmidt et al., 2023 et K. de Kleer er al., 2023). Ce fut un défi pour ces instruments car elles furent découvertes pendant que les lunes étaient dans l'ombre de Jupiter.

Ces quatre lunes affichent des aurores d'oxygène similaires à celles qu'on observe sur Terre. Mais du fait que leur atmosphère est beaucoup moins dense, ces aurores brillent d'une lueur rouge foncée plutôt que verte comme sur Terre.

Illustration des aurores de Ganymède. Document NASA/ESA.G.Bacon.

Sur Ganymède, les aurores avaient déjà été détectée en 2010 et 2011 grâce au télescope Spatiual Hubble (cf. J.Saur et al., 2015). Comme sur Europe, elles émettent également dans le proche infrarouge. C'est la première fois qu'on observe ce phénomène ailleurs que sur la Terre.

Dans le cas d'Io, la lune étant volcaniquement active, les plumes de chlorure de sodium et de chlorure de potassium colorent également les aurores d'une teinte jaune-orangée tandis que le potassium produit une raie d'émission infrarouge.

Selon Katherine R. de Kleer du Caltech, "La luminosité des différentes couleurs des aurores nous dit de quoi sont probablement composées les atmosphères de ces lunes. Nous constatons que l'oxygène moléculaire, tout comme celui que nous respirons ici sur Terre, est probablement le principal constituant des atmosphères glacées de ces lunes."

Le champ magnétique de Jupiter étant incliné, la luminosité des aurores des lunes galiléennes change à mesure que la planète géante tourne sur elle-même. L'amplitude de l'oscillation des aurores dépend de la structure des satellites (notamment de la présence éventuelle d'un océan souterrain qui affecte la conductivité électrique. C'est notamment le cas de Ganymède et d'Europe).

Enfin, de Kleer et ses collègues n'ont enregistré que des traces de vapeur d'eau dans l'atmosphère de ces lunes, remettant en question l'hypothèse selon laquelle les atmosphères des lunes galiléennes seraient riches en molécules d'eau.

Décrivons à présent en détails les quatre lunes galiléennes, les dizaines d'autres étant des corps glacés sans grand intérêt.

Io : toujours en activité

Dans tout le système solaire hormis la Terre, seuls Io, Titan et Encélade (satellites de Saturne) ainsi que Triton (satellite de Neptune) présentent encore une activité volcanique, mais l'activité d'Io est la plus intense.

Situé à 421600 km de Jupiter, Io présente la même densité et est aussi gros que la Lune. Il fut survolé en 1979 par Voyager 1 qui renvoya des images d'un astre orange tellement tacheté et mouvementé que certains membres du JPL l'ont surnommé la "pizza".

De fait, avec ses 3640 km de diamètre, sa surface est couverte d'environ 400 calderae ou cratères volcaniques d'environ 40 km de diamètre. Sur les huit volcans en activité lors du survol de Voyager 1, un seul est apparu au repos cinq mois plus tard, lors du survol de Voyager 2. L'un d'eux, Ra Patera, forme une base de 250 km, sur laquelle s'écoule des laves soufrées sur plus de 150 km.

L'aspect d'Io mérite bien son surnom de "pizza" dont voici une deuxième et troisième photo du disque prises par la sonde Galileo le 3 juillet 1999 à 130000 km de distance. Voici une animation de la rotation d'Io faite à partir des images prises par la sonde Galileo (MPEG de 889 KB). La formation en arc de cercle noir à droite du centre est le volcan Loki Patera entouré de lave solidifiée. Au centre, la région volcanique active de Ra Patera et son réseau de coulées de laves probablement soufrées. Cette formation en bouclier ressemble à nos volcans hawaïens, présentant une forme bombée avec des pentes douces. Ra Patera n'était pas actif en 1979 mais changea de physionomie en 1995 et 1996 probablement suite à de nouvelles éruptions volcaniques. A droite, illustration artistique de l'aspect de la surface d'Io réalisée par Jason Perry à partir du paysage de la faille Eldgjá du sud-ouest de l'Islande. Documents NASA/LPI et Jason Perry.

Les points chauds

Grâce à la mission Juno, pour la première fois, en 2023 les planétologues ont pu avoir une vue globale de l'activité volcanique sur Io, leur permettant de mieux compréhendre son volcanisme (cf. A.G. Davies et al., 2023).

Grâce aux dizaines de suvols d'Io effectués par la sonde spatiale Juno entre mars 2017 et juillet 2022, l'équipe d'Ashley Davies du JPL identifia 266 points chauds comme illustré ci-dessous. Selon Davies, "les volcans polaires sont à peu près aussi répandus qu’aux basses latitudes mais produisent une puissance d’émission plus faible, ce qui suggère des éruptions plus petites."

En revanche, entre 2017 et 2022, les pôles d'Io semblaient inhabituellement chauds. En effet, les volcans du pôle Nord d'Io étaient plus de deux fois plus énergétiques que ceux du pôle Sud. Selon les auteurs, cela peut être dû à une propriété de la surface d'Io qui retient davantage la chaleur du Soleil au niveau des pôles qu'ailleurs sur sa surface, ou au fait que plus de chaleur remonte en surface aux pôles. Les raisons de cette anomalie restent incertaines. Selon Davies, "il est possible que la croûte polaire sud soit plus épaisse que celle du nord, ce qui rend plus difficile la remontée du magma à la surface et son éruption."

Sur base de modélisations d'Io, ces découvertes suggèrent que la lune jovienne pourrait avoir un océan de magma global sous sa surface. Cette chaleur serait concentrée dans le manteau supérieur d'Io.

Carte d'Io à consulter : USGS - UAI - We Name The Stars

Ci-dessus, un planisphère d'Io préparé par l'USGS à partir des photographies de Voyager 1 et Galileo. L'anneau orange visible sur la gauche est la limite des ejecta du volcan Pélé. Ci-dessous à gauche, la distribution des 266 points chauds identifiés par l'instrument JIRAM de la sonde spatiale Juno entre mars 2017 et juillet 2022. Plus le symbole est grand, plus le rayonnement spectral à 4.8 μm est grand. Cette longueur d'onde est celle de l’émission thermique de la lave jeune et chaude à la surface d’Io. Il s'agit d'une projection Mollweide à zone égale centrée sur 180°O et 0°N. La taille de la grille est de 30°. A sa droite, les cartes des points chauds du pôle Nord (centre) et du pôle Sud (droite) obtenues par Juno respectivement durant les orbites PJ10 en décembre 2017 et PJ45 en septembre 2022. Les croix rouges indiquent la position du pôle. Documents NASA/JPL/USGS et A.G. Davies et al. (2023).

Les modèles suggèrent que la chaleur interne atypique d'Io est probablement entretenue par un phénomène de marée provoqué par l'attraction de Jupiter sur son satellite, conjugué aux perturbations induites par Europe et Ganymède, produisant des déformations de la croûte qui entraîneraient une friction interne de la matière et une dissipation de chaleur. En effet, Io est dans une phase éruptive similaire à celle que connut la Terre voici plusieurs milliards d'années. Mais contrairement à ce qui passe dans la relation Terre-Lune, Io est sous l'emprise gravitationnelle et magnétique de Jupiter et tout le satellite subit un transfert mécanique de chaleur.

A l'instar d'une masse de matière que l'on malaxe devient progressivement plus chaude, Io subit un différentiel de pression qui au fil des éons a généré de la chaleur et réchauffé les profondeurs de l'astre au point qu'il s'est transformé en une boule de magma à peine solidifiée en surface.

Io est à ce point chaud que la lave qu'il rejette est 500° plus chaude que la lave des volcans terrestres. Il y a tellement de points chauds sur la surface d'Io que celle-ci est couverte de volcans dont beaucoup ont une superficie supérieure aux supervolcans terrestres ! Dans les points chauds, on a relevé des températures de 1200°C en surface et de 1400°C juste sous la surface. Cela signifie que cette lave est ultramafique (c'est-à-dire très pauvre en silice donc très fluide et contenant plus de 90% de minéraux riches en fer et magnésium).

Selon les géologues qui étudièrent les données des sondes spatiales Voyager, Galileo et Juno, l'activité volcanique d'Io implique qu'il existe une matière en fusion sous l'écorce. Avec une densité de 3.5, Io est un corps rocheux comme la Terre ou la Lune, mais principalement composé de silicate (Si, AlO4) que certains pensent enrichi en soufre. Le manteau est recouvert d'une écorce de silicate à laquelle se mêle du soufre et du dioxyde de soufre.

Ci et là des lacs de soufre en fusion alimenteraient les volcans et combleraient les fractures en dioxyde de soufre. Les vallées polaires, très froides, sont probablement recouvertes de neige de cristaux d'oxyde de soufre, tandis qu'en altitude du dioxyde de soufre gazeux stagne, donnant à Io une odeur d'oeufs pourris très irritante.

A voir : Galerie d'images d'Io, JPL

La surface infernale d'Io. A gauche, une photographie de Tvashtar Patera prise le 20 février 2000 par Galileo. La photo couvre une zone d'environ 200 km de large. La dépression volcanique mesure envrion 200 km de gauche à droite et présente des falaises s'élevant localement à 900 m d'altitude. La dépression contient plusieurs lacs de lave dont un est toujours liquide comme en témoigne le flot de lave à gauche de l'image. En 2007, Tvashtar éjecta une plume volcanique (voir plus haut) à 130 km d'altitude. Comme partout sur ce satellite, le sol est convert d'un mélange de soufre liquide, de concrétions et de blocs de matière soufrée ainsi que de roches localement fondues ou solidifiées. Au centre, le lac de lave partiellement solidifiée entourant la formation Loki Patera, un site toujours actif depuis le survol de Voyager 1 en mars 1979. Sur cette image on discerne une plume volcanique gris-bleutée près du centre, à gauche du trait noire oblique. Elle s'étire en arc sur 150 km dans l'espace et compte parmi les huit plumes actives d'Io. A droite, le cratère volcanique de Tupan Patera photographié par Galileo en octobre 2001. La résolution est de 135 m par pixel. La dépression volcanique mesure environ 75 km et ses falaises s'élèvent à 900 m par rapport à la base. Les zones rouges vives sont de la lave chaude et fluide tandis que les zones diffuses rougeâtres seraient des dépôts de gaz sulfurique condensé s'échappant des évents du volcan. Les dépôts jaunes sont probablement un mélange de composés soufrés. Ils deviennent vert quand le soufre rouge interagit avec les laves sombres. Documents NASA/LPI et NASA/JPL.

Des panaches volcaniques

La surface d'Io est tellement perturbée qu'elle se déforme en permanence, poussée par le magma sous-jacent. Comme on le voit ci-dessous, des clichés d'Io traités sur ordinateur permirent à Linda Morabito du JPL de découvrir par hasard en 1979 des projections volcaniques (des panaches ou plumes) à plus de 100 km au-dessus du volcan Prométhée. De la hauteur des panaches on en a déduit que les gaz étaient éjectés à environ 3600 km/h, une vitesse dix fois supérieure à celle des volcans terrestres. Ces projections se font à intervalles plus ou moins réguliers mais rarement de façon explosive, confirmant le caractère intense et constant du volcanisme d'Io. Ainsi, le panache de Prométhée fut actif de manière continue entre 1989 et 2007. Toutes ces projections recouvrent annuellement la surface d'Io d'une couche d'un centième de millimètre, une épaisseur qui est élevée.

Des colonnes de poussière dense ont été photographiées à la lumière du jour au-dessus de plusieurs éruptions de type Prométhée, atteignant généralement des hauteurs inférieures à 100 km. Les calculs de diffusion de Mie suggèrent que ces panaches de poussière remarquables sont constitués de particules de "cendres" à gros grains avec des rayons de l'ordre de 100 nm et une masse totale de l'ordre de 1000 tonnes par panache (cf. P.E. Geissler et M.T. McMillan, 2008).

Ses volcans peuvent éjecter des panaches de lave jusqu'à 2 km d'altitude (contre 500 m maximum à Hawaï). Le volcan Pélé (Pele Patera) compte parmi ces endroits (cf. la couronne orange sur le planisphère présenté plus haut). Situé à 18.7°S et 255.3°O, Pélé est une dépression volcanique de 30 km x 20 km située au nord de Danube Planum. La dépression est comblée par un lac de lave qui émet de grandes quantités d'énergie (cf. J.Radebaugh, 2004). Ce lac de lave est également la source d'un panache volcanique de gaz et de poussière pouvant atteindre 300 km de hauteur et qui retombe sur la surface en formant un immense anneau de matériau orangé visible jusqu'à 600 km du volcan (cf. P.E. Geissler et M.T. McMillan, 2008; R.G. Storm et al., 1979).

A lire : Discovery of Volcanic Activity on Io. A Historical Review, Linda Morabito, 2012

A gauche, la plume du volcan de Prométhée découverte en 1979 par Linda Morabito du JPL. Document restauré par l'auteur. Au centre, deux éruptions du volcan Prométhée. La plume de gauche fut photographiée le 28 juin 1997 et s'élève à ~140 km d'altitude, celle de droite en novembre 1999 et s'élève à ~100 km altitude. Le volcan émet cette plume à intervalles plus ou moins réguliers au moins depuis 1979. A droite, la plume spectaculaire émise par le volcan Tvashtar Patera le 16 octobre 2007 lors du passage de la sonde spatiale New Horizons en route vers Pluton. La plume s'élève jusqu'à 320 km au-dessus du pôle Nord. Voici une autre photo en noir et blanc plus détaillée prise le 1 mars 2007 par New Horizons. Documents NASA/JPL/L.Morabito, NASA/JPL/U.Az. et NASA/JHUAPL.

Cette activité sur des corps aussi petits est inhabituelle et même exceptionnelle. Selon le physicien américain Stanton Peale de l'Université de Californie à Santa Barbara qui prédit l'existence des volcans sur Io avant même les découvertes de Voyager, il est anormal qu'à une distance de 800 millions de kilomètres du Soleil, Io soit resté chaud.

Le 19 février 2001, grâce au télescope Keck II d'Hawaï dont le télescope de 10 m d'ouverture est équipé d'une optique adaptative, l'équipe de Franck Marchis de l'Université de Californie à Berkeley (UCB) détecta en proche infrarouge sur Io deux volcans, Amirani et Tvashtar, présentant des températures supérieures aux observations de Galileo. Le lendemain le volcan Sturt situé sur la face opposée se réveilla en expulsant une fontaine de soufre à 1500 m d'altitude et des projections jusqu'à 500 km au-dessus de la surface. La température des éruptions basaltiques dépassait 1400 K ou 1126°C (cf. F.Marchis et al., 2002). A ce jour, cette éruption est la plus intense observée sur Io. Elle équivalait à 6500 fois l'éruption de l'Etna de 1992. En deux jours, les rejets couvrirent une superficie équivalente à la région parisienne.

L'activité volcanique d'Io affecte son atmosphère comme on le voit sur cette image composite optique (Galileo) et radio prise en 2018 grâce à ALMA montrant pour la première fois des plumes de dioxyde de soufre (en jaune) s'élevant des volcans. Voir également la vidéo sur vimeo. Document ALMA/NRAO/NASA.

Ces panaches d'anhydride sulfureux projetés en haute altitude se transforment en nuages de dioxyde de soufre puis retombent, modelant la surface en permanence. Des volcans s'éveillent puis s'assoupissent, déversant des flots de matière soufrée sur le sol très froid (-150 à -200°C), donnant à la surface d'Io une gamme de colorations tout en nuances de beiges et d'oranges. Si ce volcanisme existe depuis quelques milliards d'années, son écorce peut-être épaisse d'environ 20 km et se composerait de matière soufrée mêlée d'un peu d'eau.

Grâce aux excellentes résolution et sensibilité du réseau submillimétrique ALMA de l'ESO, en 2018 les astronomes ont pu voir les panaches de dioxyde de soufre (SO2) et de monoxyde de soufre (SO) s'élever des volcans comme on le voit à droite. En utilisant ces images, les astronomes ont calculé que les volcans actifs produisent directement 30 à 50% de l'atmosphère d'Io.

Selon Statia Luszcz-Cook de l'Université Columbia à New York, "Nous voyons du KCl dans les régions volcaniques où nous ne voyons ni SO2 ni SO. C'est une preuve ferme que les réservoirs de magma sont différents sous chaque volcan. En étudiant l'atmosphère et l'activité volcanique d'Io, nous en apprenons davantage non seulement sur les volcans eux-mêmes, mais aussi sur le processus de chauffage de marée et l'intérieur d'Io."

Reliefs

Les sondes spatiales ont également découvert des régions accidentées sur Io, mais aucun cratère de moins de 1 km de diamètre. Les impacts météoritiques les plus récents remontent à plus d'un million d'années. Les autres ont probablement été engloutis dans les écoulements soufrés suintant des fractures de la croûte.

D'autres formations culminent jusqu'à 10 km d'altitude, plus haut que l'Everest (8.9 km) telle Haemus Montes. Ces reliefs très élevés couvrent  environ 2% de la surface d'Io mais leur origine demeure incertaine. Selon certains indices il s'agirait de déformations tectoniques, ultimes témoins de l'ancienne croûte. La plupart des volcans se concentrent sur une bande de 30° de part et d'autre de l'équateur et sur une seule hémisphère.

L'atmosphère et au-delà

L'atmosphère d'Io est inférieure au dix millionième de celle de la Terre et ne peut donc jouer aucun rôle éolien qui éroderait ou transporterait ces projections. En revanche, elle peut nous renseigner sur l'activité volcanique d'Io et nous fournir une fenêtre sur l'intérieur de cette lune atypique et ce qui se passe sous sa croûte colorée.

Enfin, Io traîne à sa suite un nuage de plasma riche en soufre et en hydrogène ionisés provenant des éjections volcaniques. Nous avons noté que Io gravitait dans les ceintures de radiations de Jupiter. Voyager 1 a également découvert l'existence d'un tore qui relie Io à l'ionosphère de Jupiter par un circuit fermé. Son intensité atteint 5 millions d'ampères et produit des aurores polaires dans la haute atmosphère jovienne. Son origine demeure inexpliquée mais est liée aux lignes de force du champ magnétique de Jupiter. On a aussi détecté un nuage de sodium autour d'Io, vraisemblablement composé de particules arrachées du sol par le bombardement cosmique.

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