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Mars, le dieu de la guerre

Introduction (I)

La dernière planète à l'image de la Terre, dite tellurique, présente dans le ciel un scintillement couleur rouge-sang. Son "errance" devant les étoiles fixes lui valut d'être dédiée par les Grecs au dieu de la Guerre. Plus tard elle fut surnommée la "planète Rouge" et sera même peuplée de Martiens... Nous y reviendrons.

L'avènement de l'exploration spatiale et le survol de la planète Rouge par 22 sondes automatiques[1] depuis 1964 ont permis de dresser le véritable portrait de Mars. La seule mission Viking 1 en 1976 rapporta plus de 57000 images. Complétées par les analyses de surface faites jusqu'en 1982 et reprise en 1998 par Sojourner et plus d'une dizaines d'autres robots, cette monumentale collection de données est exploitée dans le cadre du programme Mars Data Analysis de la NASA. Ces informations occuperont les scientifiques durant des années[2].

Mars photographiée par le Télescope Spatial Hubble le 25 février 1995 à 103 millions de kilomètres de distance. L'image est centrée sur Mare Erythraeum et Valles Marineris (cf. les planisphères). Le Méridien Central se situe à 29°. Les halos blancs-bleuâtres à gauche sont des nuages d'eau glacée. Notez Ascraeus Mons, le point brun à gauche près du limbe. Document NASA/ESA/STScI.

L'idée de découvrir des Martiens fait aujourd'hui partie du folklore et est devenu un mythe. Mais l'idée qu'il puisse exister une vie sur Mars s'est propagée jusqu'à nos jours, entretenue par les propriétés quasi terrestres qui règnent à sa surface de la planète Rouge et la découverte dans le milieu interstellaire de molécules organiques prébiotiques. Nous nous attarderons longuement sur ce thème dans le dossier consacré à la bioastronomie.

Observer Mars durant les oppositions périhéliques

Située sur une orbite très excentrique, en moyenne à 228 millions de kilomètres du Soleil, Mars peut se rapprocher de la Terre jusqu'à 56 millions de kilomètres lors des oppositions périhéliques qui se reproduisent tous les 764 jours et toujours en automne. Sa taille apparente extrême oscille entre 3.5" lors des conjonctions et 25.1" lors des oppositions.

Au plus près de la Terre, Mars devient presque aussi brillant que Jupiter avec une magnitude de -2 et devient 4 à 8 fois plus grand que lors des conjonctions. Son globe est alors presque aussi grand que celui de Saturne (14-20") mais reste deux fois plus petit que celui de Jupiter (30-47"). Dans ces conditions il devient accessible aux petits instruments et se reconnaît parmi mille en raison de sa couleur orange.

Logiciel à télécharger : Mars Previewer II (Sky & Telescope)

Images amateurs

A gauche, le mouvement rétrograde de Mars entre octobre 2011 et juillet 2012 dont voici l'image annotée réalisée par Cenk et Tunk Tezel. Au centre, une photographie de Mars ( 18.37") prise par John Earl le 22 mai 2016 avec un Celestron C11 porté à f/35 muni d'une caméra CCD couleur Image Source DBK21 618. Il s'agit de l'empilement des 400 meilleures images d'une série de 7000. On reconnaît de nombreuses formations. A comparer avec l'image prise par le Télescope Spatial Hubble. A droite, une image RGB prise par Damian Peach le 9 juin 2016 ( 18.34") avec un télescope Celestron C14HD de 355 mm. A comparer avec l'image prise par Hubble présentée en haut de page.

Données physiques

Pratiquement comme la Terre, Mars est inclinée de 25°19' sur son orbite, lui-même incliné de 1°8 sur l'écliptique. Couplé à une excentricité orbitale qui atteint 0.093, ces deux phénomènes créent une importante différence d'ensoleillement entre les deux hémisphères, engendrant des saisons semblables à celles que nous connaissons, mais deux fois plus longues. La durée du jour est de 24h 37m 23s et l'année dure ici 687 jours. Nous reviendrons plus loin (cf. page 3 et page 4) sur le climat martien.

A la distance moyenne de Mars (1.52 UA), le Soleil est un tiers plus petit que sur Terre ( 21.1' contre 32') et est 3 fois plus pâle avec une magnitude de -25.1 contre -26.8 sur Terre.

Bien que Mars ait été formée en même temps que la Terre, ses reliefs ont pourtant quelque chose de démesuré. Son diamètre est de 6787 km avec une masse équivalent à seulement 10% de celle de notre planète et présente un aplatissement aux pôles de 1.05% (contre 0.33% pour la Terre). La forme de Mars est donc celle d'un géoïde très proche d'un ellipsoïde de révolution.

La planètre Rouge étant bien plus légère que la Terre, sa densité moyenne n'atteint que 3.93 (contre 5.32 pour la Terre) et la pesanteur ne vaut que le tiers de celle de la Terre. Plus lourde que la Lune mais plus légère que la Terre, Mars doit correspondre à un modèle géologique intermédiaire. Complétées par l'étude des reliefs et notamment des volcans et des fractures, on peut en déduire que la structure interne de Mars est probablement à mi-chemin entre celle de la Lune et de la Terre.

Structure interne

Comme on le voit ci-dessous, la structure interne de Mars se divise en trois parties. Selon les données du lander de la mission InSight de la NASA qui se posa sur Mars fin 2018 et est équipé d'un sismomètre afin de mieux caractériser les modèles internes actuels de Mars, au centre de la planète Rouge se trouve un noyau dense métallique de 1830 ±40 km de rayon (cf. Nature, 2021). Un modèle plus récent propose un rayon de 1650 ±20 km (cf. H.Samuel et al. 2023), soit un peu moins que la moitié du noyau de la Terre (3491 à 3521 km de rayon en comptant le noyau externe). Si on adopte la première valeur, le noyau serait un peu plus grand que les précédentes estimations, ce qui signifie qu'il serait moins dense que prévu, la vitesse de propagation des ondes sismiques dépendant en effet de la densité du milieu, elle-même intrinsèquement liée à sa composition. Si on adopte la deuxième valeur, cela donne une densité de 6.5 soit 5 à 8% plus élevée que les estimations sismiques précédentes.

Ci-dessus à gauche, structure interne de Mars (dont voici un agrandissement sans légende) comparée à celle de la Terre. Selon les planétologues, le noyau métallique de Mars serait encore liquide ou du moins partiellement. Notons que toute la planète tiendrait dans le volume occupé par le noyau de la Terre. A droite, la structure interne de Mars avant la découverte en 2023 de la couche de silicate fondu entourant le noyau. Ci-dessous, un modèle plus précis de Mars avec en a) le diagramme de phase pression-température-profondeur du manteau martien. La gamme adiabatique pour les météorites shergottites appauvries est tracée en rouge. En b), la coupe schématique de Mars sous le dôme de Tharsis, montrant la superplume remontant sous la croûte ainsi que la plage de profondeur de fonte pour les magmas à l'origine des shergottites appauvries et les voies de fonte potentielles (lignes pointillées rouges). Cette structure de Mars est déduite des données de l'instrument SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure) du lander InSight de la NASA. Légende : ol=olivine, opx=orthopyroxène, cpx=clinopyroxène, gt=grenat, rin=ringwoodite, wad=wadsleyite, maj=majorite et mw=magnésio-wustite. Documents NASA/JPL adapté par l'auteur, PGP/David Ducro et A.Lagain et al. (2021).

Selon Jessica C.E. Irving de l'Ecole des Sciences de la Terre de l'Université de Bristol et ses collègues, ce noyau serait partiellement ou totalement liquide : "Pour le moment, nous n'avons recueilli aucun indice laissant supposer l'existence d'une graine solide au cœur de Mars. Nous ne disposons actuellement que de deux évènements sismiques, qui n'ont pas permis d'imager le centre exact de la planète. Il est possible qu'il existe un très petit noyau solide que nous n'avons pas encore pu voir grâce aux signaux sismiques." (cf. J.Irving et al., 2023).

La nature liquide du noyau martien avait déjà été proposée, mais c'est grâce à la mission Insight qu'on peut enfin sonder l'intérieur de la planète Rouge jusqu'au noyau. Ce noyau ne serait que partiellement fluide du fait que Mars présente un très faible champ magnétique (voir plus bas) et contiendrait deux fois plus d'éléments légers que celui de la Terre. En effet, les vitesses des ondes sismiques ayant traversé le noyau suggèrent qu'il n'est pas composé de fer liquide mais d'une part substantielle d'éléments légers et notamment d'une grande quantité de soufre, c'est du sulfure de fer (Fe2S3), mélangée avec un peu d'oxygène, de carbone et d'hydrogène. La fraction d'éléments légers dans le noyau de Mars serait deux fois plus importante que celle du noyau externe de la Terre. Selon Irving, cette composition pourrait notamment expliquer l'absence de noyau solide, "les éléments légers abaissant la température à laquelle le noyau peut se maintenir à un état totalement liquide."

Les données sismiques révèlent néanmoins que si Mars possède une graine solide, celle-ci doit nécessairement avoir un rayon inférieur à 750 km (contre ~1220 km pour la Terre). Le noyau liquide aurait quant à lui une épaisseur de 1799 à 1814 km (contre ~2300 km pour la Terre).

Une couche de silicate fondu enveloppe le noyau

Selon un premier modèle proposé en 2001 par le planétologue David J. Stevenson de Caltech, le noyau de Mars serait entouré d'une enveloppe liquide de sulfure de fer peut-être mélangée à du silicium épaisse d'environ 1500 km (cf. ce schéma). Elle serait entourée d'une fine couche de transition de perovskite et peut-être d'autres matériaux (équivalente à la discontinuité terrestre épaisse de 660 km) au-dessus de laquelle s'étend le manteau de silicates peut-être stratifié et même convectif qui s'étend jusqu'à la croûte, pouvant expliquer le mécanisme le développement du champ magnétique martien et le coeur dynamo actif il y a environ 4.5 milliards d'années.

Sans disposer de données sismiques in situ de référence, ce modèle était très valable pour l'époque. Mais avec lme temps, il s'avère aujourd'hui que cet ancien modèle ne correspond pas exactement aux données sismiques enregistrées par la sonde Insight qui n'indiquent aucune discontinuité ou trace d'une couche aussi épaisse entre le noyau et le manteau. Ce modèle devait donc être corrigé en profondeur au sens propre ou être abandonné.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2023, sur bases des données de la sonde InSight et de nombreuses modélisations de la structure interne de Mars, Henri Samuel du CNRS et ses collègues ont annoncé la découverte d'une couche de silicate fondu (à base de silice SiO2) à la base du manteau de Mars, au-dessus de son noyau de sulfure de fer. Cette découverte fournit de nouvelles données qui remettent en question les modèles précédents de la planète Rouge.

Les auteurs eurent la chance peut-on dire que la sonde Insight enregistre deux violents impacts météoritiques en 2021. Ils générèrent des ondes P (pour primaire, il s'agit d'ondes de compression ou longitudinales) et des ondes S (pour shearing ou secondaire, il s'agit d'ondes transversales de cisaillement) qui traversèrent le manteau de la planète de part en part et produisirent des ondes P diffractées et des ondes SKS qui traversèrent le noyau comme illustré ci-dessous. Ces ondes ont permis aux auteurs de déduire la taille et la densité du noyau, du manteau et de la croûte de Mars mais les obligèrent en corollaire à proposer un nouveau modèle de la structure interne de Mars.

Illustrations de la structure interne actuelle de Mars. A gauche, la structure interne de Mars comparée à celle de la Terre et de la Lune. Sur la Terre, le noyau se compose d'une partie interne solide, la graine, et d'une partie externe liquide, le noyau externe. Sur Mars, aucun indice ne prouve l'existence d'un noyau solide. Il pourrait être entièrement liquide. Au centre, les trajectoires des ondes sismiques provenant de deux séismes distincts enregistrés en 2021 par la mission InSight. A droite, un parmi les 50 meilleurs modèles internes de Mars avec les trajectoires des ondes sismiques provenant de deux séismes distincts enregistrés en 2021 par la mission InSight et évolution thermochimique de Mars. Consultez l'article académique pour plus d'explications. Documents J.Irving et al. (2023) adapté par l'auteur et NASA/JPL-Caltech/U.Maryland (2023).

La couche liquide identifiée par les auteurs enveloppe le noyau métallique sur une épaisseur d'environ 200 km et est composée de silicate fondu. Comme illustré ci-dessus, elle comprend deux parties : une partie inférieure entièrement fondue et une partie supérieure plus fine partiellement fondue. La présence de cette couche explique pourquoi certaines ondes provenant de l'impact météoritique du 18 septembre 2021 furent plus lentes que prévu car elles traversèrent la partie inférieure de cette couche à faible vitesse. Cela explique également pourquoi certaines ondes provenant d'évènements sismiques plus anciens se sont réfléchies au sommet de la couche liquide plutôt qu'à la limite noyau-manteau (CMB).

Selon Samuel et ses collègues, la couche de silicate fondu a également des implications sur l’évolution de Mars et de son champ magnétique. Les auteurs suggèrent que Mars a connu un stade précoce de fonte globale, produisant une couche stable à la base du manteau riche en fer et en éléments radioactifs. La chaleur de ces éléments a fait fondre certains silicates au-dessus du noyau, créant ainsi la couche liquide. Cette couche agit comme un isolant thermique pour le noyau, l'empêchant de refroidir et générant un champ magnétique par convection.

Selon Samuel, "La couverture thermique du noyau métallique de Mars par la couche liquide à la base du manteau implique que des sources externes sont nécessaires pour générer le champ magnétique enregistré dans la croûte martienne au cours des 500 à 800 premiers millions d’années de son évolution. Ces sources pourraient être des impacts énergétiques, ou des mouvements de noyau générés par des interactions gravitationnelles avec d'anciens satellites aujourd'hui disparus."

Selon les auteurs, la couche liquide affecte également l'orbite de Phobos, la lune la plus proche de Mars. La partie supérieure de la couche dissipe une partie des déformations de marée causées par la gravité de Phobos, tandis que le manteau solide au-dessus est plus rigide et moins atténuant.

La découverte de cette couche liquide montre que Mars a une structure interne et une histoire différentes de celles de la Terre, qui possède un manteau solide et un noyau convectif. Cela soulève également des questions sur la façon dont les planètes se forment et évoluent dans le système solaire et au-delà.

Du manteau à la croûte

Au-dessus du noyau de Mars et de sa fine couche de silicate fondu surmontée d'une couche de transition partiellement fondue se trouve le manteau silicaté. Il est à l'origine des nombreuses formations tectoniques et volcaniques présentes sur la planète mais dont l'activité est aujourd'hui en sommeil et même localement éteinte (voir plus bas). A côté du silicium et de l'oxygène, les éléments les plus abondants du manteau martien sont le fer, le magnésium, l'aluminium, le calcium et le potassium. Ce manteau s'étend jusqu'à la croûte.

Nous verrons à propos de la mission Mars InSight (page 2) qu'il existe probablement encore du magma sous la plaine d'Elysium Planitia et que des plumes mantelliques seraient à l'origine des activités sismiques, tectoniques et volcaniques.

La croûte présente une épaisseur moyenne de 50 km mais varie entre 30 km près du pôle Nord à 100 km près du pôle Sud et peut localement atteindre 200 km d'épaisseur (contre 5 à 80 km d'épaisseur sur Terre). Elle est recouverte de roches et de sable ainsi que de glace aux pôles.

Niveau de référence et méridien

Étant donné qu'il n'y a pas de surface liquide sur Mars, le niveau de référence (l'altitude 0) a été défini arbitrairement. Selon le JPL, il correspond au niveau de pression atmosphérique moyenne de 6.10 mbar (610 Pa). Ce qui signifie que la majorité des reliefs martiens situés dans l'hémisphère nord se situent en dessous de l'altitude 0 (à l'exception des grands volcans) tandis que les montagnes de l'hémisphère sud culminent entre 1 et 3 km d'altitude.

En cas de terraforming de Mars, les océans recouvriraient plus de la moitié de la planète (cf. cette illustration). Dans l'hémisphère nord, le volcan Olympus Mons (voir page 2) serait une île de 21 km d'altitude dont les eaux plongeraient à 4000 m de profondeur tandis que dans l'hémisphère sud, seul le grand bassin de Hellas Planitia serait inondé car son plancher se trouve 7000 m sous le niveau moyen. On reviendra sur les reliefs martiens.

Quant au Méridien 0 martien qui définit les longitudes (comme le Méridien de Greenwich sur Terre), il fut défini au XIXe siècle et correspond à la formation de Sinus Meridiani renommé Meridiani Planum depuis l'exploration de Mars. Il passe par le centre du petit cratère Airy-0 (cf. les planisphères de Mars).

Structure magnétique

Grâce aux données de l'orbiter MGS, des scientifiques de la NASA ont tracé la carte magnétique crustale de Mars présentée ci-dessous à gauche et découvert en 2005 que la planète Rouge fut affectée dans un lointain passé par une activité tectonique à l'échelle globale.

La carte globale du magnétisme crustal de Mars obtenu par l'orbiter MGS de la NASA. Document NASA/GSFC (2005).

Les données magnétiques montrent que la croûte martienne possédait plusieurs plaques lithosphériques dont certaines se sont fracturées et d'autres ont fusionné dans un processus similaire à celui qu'on observe sur Terre.

Comme sur Terre, la carte magnétique crustale de Mars montre clairement des discontinuités et des alternances dans le champ magnétique crustal qui permettent de voir les régions martiennes où une nouvelle croûte a été formée à partir des matériaux remontés du manteau qui se sont épanchés en surface à la faveur des activités tectoniques.

Cette activité tectonique explique l'existence de certaines reliefs impressionnants comme les volcans de Tharsis et le canyon de Valles Marineris. Aini les volcans martiens se seraient formés au-dessus d'un point chaud du manteau martien tandis que Valles Marineris résulte de la friction entre deux plaques. On y reviendra (voir page 2).

Aujourd'hui, la structure magnétique de Mars est très faible et localisée à l'inverse de celle du Soleil et des planètes dont le champ magnétique est global générant un effet dynamo. Le champ magnétique de Mars ne semble pas émaner de son noyau et varie tant en direction qu'en force à travers toute la surface. Ainsi, il y a des endroits où le champ magnétique est 10 fois plus fort que celui de la Terre. On a relevé localement un champ magnétique deux fois plus fort que sur Vénus, mais en moyenne il reste malgré tout 1000 fois plus faible que celui de la Terre.

D'autres anomalies ont également été découvertes sous forme de "trous" dans le champ magnétique qui apparaissent juste à l'endroit où des astéroïdes ont perforé la surface. Enfin, à d'autres endroits les perturbations du champ magnétique sont alignées comme le seraient une succession de points.

Ces anomalies magnétiques semblent se manifester aux endroits où se trouve des concentrations de métal solide dans la croûte (l'écorce). Le fait que le métal ait été magnétisé suggère qu'il y a environ 4.5 milliards d'années Mars disposait probablement d'un champ magnétique entretenu par un noyau dynamo fonctionnant de façon analogue à celui de la Terre. Beaucoup plus puissant qu'aujourd'hui, ce champ magnétique global n'a probablement fonctionné que quelques centaines de millions d'années. On y reviendra (voir plus bas).

A l'inverse du champ magnétique du Soleil et de la plupart des planètes, celui de Mars est localisé et pratiquement éteint. Documents NASA/Mario Acuna et al.

Selon les résultats de la mission Mars InSight publiés en 2020, le champ magnétique résiduel est plus fort que prévu et fluctue durant la journée. On ignore l'origine de cette variation qui peut être liée à une roche enfouie ou en relation avec le vent solaire. D'autres données restent à analyser.

Ce champ magnétique résiduel est très contraignant car sur Terre la magnétosphère nous protège des rayons cosmiques et des rayonnements corpusculaires du Soleil, en particulier contre les rayons X, les protons et les électrons rapides. La plupart d'entre eux sont stoppés au niveau de notre ionosphère y formant occasionnellement des aurores. Mais tout cela n'existe pas sur Mars et les prochains visiteurs de la planète Rouge devront être très prudents lors des missions d'exploration s'ils ne veulent pas mourir irradiés ou présenter à long terme des malades dégénératives ou d'origine neurologique ! On en reparlera à propos du mal de l'espace et de la colonisation de Mars.

Comment Mars perdit son champ magnétique

Comme nous l'avons expliqué, Mars a conservé un faible champ magnétique émanant de sa croûte, mais c'est un phénomène localisé et faible qui offre peu de protection contre le rayonnement solaire et les rayons cosmiques. La perte de sa magnétosphère eut des effets catastrophiques : aujourd'hui Mars ne possède presque plus d'atmosphère, aucune étendue liquide, sa température est glaciale, son climat est sec et son sol est poussiéreux; bref, c'est un désert froid et sec. Comment Mars en est-elle arrivée là ?

Dans un article publiée dans la revue "Nature Communications" en 2022, Shunpei Yokoo, doctorant en PhD travaillant sous la direction du Dr Kei Hirose du Département des sciences de la Terre et des planètes de l'Université de Tokyo et leurs collègues ont voulu comprendre pourquoi et comment Mars avait perdu son champ magnétique.

Hirose rappelle que "le champ magnétique de la Terre est entraîné par des courants de convection extrêmement importants de métaux en fusion se développant dans le noyau. On pense que les champs magnétiques sur d'autres planètes fonctionnent de la même manière. Bien que la composition interne de Mars ne soit pas encore connue, les preuves météoritiques suggèrent qu'il s'agit de fer fondu enrichi de soufre. Cela implique la présence d'éléments plus légers supplémentaires tels que l'hydrogène."

Sur base des données du lander InSight, si de l'hydrogène est réellement présent, on peut réaliser des expériences qui pourraient nous renseigner sur la façon dont Mars perdit son bouclier magnétique. Dans ce but Hirose et ses collègues ont préparé des alliages de fer similaires au supposé noyau de Mars qu'ils ont soumis à des expériences sous hautes pressions et températures. Mais jusqu'à présent les expériences ne s'étaient pas concentrées sur l'hydrogène.

Selon Hirose et ses collègues, "Les théories récentes sur la formation des planètes démontrent qu'une grande quantité d'eau fut apportée à la fois à Mars et à la Terre lors de leurs accrétions, ce qui suggère que l'hydrogène est peut-être un élément léger majeur dans le noyau. Malgré son importance, jusqu'à présent, le système Fe-S-H a été peu étudié à haute pression." Or, si les données d'InSight sont correctes, l'hydrogène du noyau pourrait jouer un rôle dans la perte du champ magnétique de Mars.

Pour tester leur hypothèse, Hirose et ses collègues ont placé un échantillon simulé du noyau de Mars composé de fer, de soufre et d'hydrogène dans une presse à enclume en diamant ou DAC (cf. la Terre) qu'ils ont chauffé au moyen d'un laser pour simuler les conditions régnant dans le noyau de Mars.

A gauche, illustration des courants électriques autour de Mars. Les courants électriques (flèches bleues et rouges) enveloppent Mars dans une structure imbriquée en double boucle qui s'enroule en continu autour de la planète de la face éclairée vers la face obscure. Ces boucles de courants déforment le champ magnétique du vent solaire (non illustré), qui se drape autour de Mars pour générer une magnétosphère induite autour de la planète. A droite, schéma montrant la stratification du noyau de Mars et de la Terre par des liquides non miscibles. Le bleu clair et le bleu foncé représentent respectivement les liquides flottants et denses. Dans le noyau martien, le liquide non miscible qui remonte du centre entraîna la convection et la dynamo mais forma finalement une stratification entière du noyau qui mit fin au champ magnétique planétaire. En revanche, dans le cas de la Terre, le liquide non miscible commença par la couche extérieure du noyau, conduisant à une stratification du noyau externe (les illustrations ne sont pas à l'échelle). Documents NASA/GSFC/MAVEN/CU Boulder/SVS/Cindy Starr et S.Yokoo et al. (2022).

Les changements dans le matériau furent analysés avec des rayons X et des faisceaux d'électrons. Sous ces hautes pressions et températures, l'échantillon Fe-S-H fondit, mais il a également changé d'état et de composition.

Les résultats de l'expérience tournent autour de l'idée de miscibilité. Lorsque des liquides sont additionnés, ils forment un mélange homogène, ils sont miscibles. Mais s'ils ne forment pas un mélange homogène, ils ne sont pas miscibles. A ne pas confondre avec la solubilité qui concerne un mélange solide-liquide. Le fait que le Fe-S-H ne soit pas miscible à des températures et pressions élevées a joué un rôle important dans l'histoire de Mars.

Selon Hirose, "Nous avons été très surpris de dézcouvrir un comportement particulier qui pourrait expliquer beaucoup de choses. Le Fe-S-H initialement homogène s'est séparé en deux liquides distincts avec un niveau de complexité qui n'a jamais été vu auparavant sous ces niveaux de pressions. L'un des liquides métalliques était riche en soufre, l'autre en hydrogène, et c'est la clé pour expliquer l'apparition et la disparition éventuelle du champ magnétique autour de Mars."

Comme illustré à gauche, les chercheurs pensent qu'initialement, deux liquides non miscibles se sont séparés dans le noyau de Mars : "Alors que les liquides plus denses séparés restaient dans la partie la plus profonde, les liquides plus légers migraient vers le haut et se sont mélangés au noyau liquide brut, ce aurait pu entraîner la convection du noyau de Mars."

Mais dans la région où les deux liquides se sont séparés, quelque chose d'autre s'est produit : "Dans le même temps, une stratification compositionnelle gravitationnellement stable se serait développée dans une région où la séparation des liquides s'est produite. Finalement, tout le noyau de Mars s'est stratifié, ce qui interrompit la convection."

Les chercheurs savaient déjà que la convection dans le noyau de Mars cessa il y a environ 4 milliards d'années, conduisant à la perte de son bouclier magnétique. Cette nouvelle étude explique pourquoi la convection s'est arrêtée et comment cela débuta. Selon les chercheurs, "La séparation des liquides non miscibles riches en S et riches en H aurait pu être responsable à la fois du début et de la fin de la convection du noyau martien et de l'effet dynamo."

Une fois les deux liquides séparés, Mars était condamnée. Il n'y avait plus de convection, plus de magnétisme, plus d'atmosphère et plus d'eau. La période exacte est inconnue - on pense qu'il y avait encore des étendues liquides il y a 2 milliards d'années - mais le résultat était une planète morte.

Toutefois, il ne s'agit que des résultats d'une expérience et nous n'avons pas une image complète. Selon Hirose, "Avec nos résultats à l'esprit, la poursuite de l'étude sismique de Mars vérifiera, espérons-le, que le noyau contient bien des couches distinctes comme nous le prédisons. Si tel est le cas, cela nous aiderait à compléter l'histoire de la formation des planètes rocheuses, y compris de la Terre, et à expliquer leur composition."

Quant à la disparition du champ magnétique de la Terre, selon Hirose, "cela n'arrivera pas avant au moins un milliard d'années."

Jets streams dans la magnétogaine

Dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2023, une équipe de chercheurs dirigée par Herbert Gunell du Départment de Physique l'Université de Umeå en Suède et de l'Institut suédois de physique spatiale de Kiruna annonça la découverte de courants jets dans la gaine magnétique de Mars. Elle fut identifiée dans les données recueillies par la sonde spatiale MAVEN de la NASA qui orbite autour de Mars depuis 2014 pour étudier l'atmosphère martienne et son interaction avec le vent solaire. C'est la première fois qu'un jets tream est découvert dans la gaine magnétique d'une autre planète que la Terre.

Un jet stream de magnétogaine est un nuage de plasma circulant dans la magnétogaine. Il se distingue en étant plus rapide et/ou plus dense que son environnement. Pour rappel, la magnétogaine est la partie de l'espace où le vent solaire est dévié et forcé de circuler autour d'une planète.

Selon Gunell, "des courants jets dans des gaines magnétiques ont été observés près de la Terre depuis 25 ans et nous étions vraiment curieux de savoir si on pouvait en trouver ailleurs. Avant MAVEN, il n'était pas évident que nous les trouverions sur Mars, car il existe des différences importantes entre les deux planètes. Par exemple, Mars est plus petite que la Terre et n'a pas de champ magnétique global, de sorte que la gaine magnétique de Mars est beaucoup plus petite que celle de la Terre. Malgré ces différences, nous savons maintenant que Mars possède également des jets streams dans la magnétogaine."

Quel est le rôle de ces courants ? On ne le sait pas encore. Selon Gunell, " les jets streams de magnétogaine génèrent des ondes et ils peuvent se déplacer à travers toute la magnétogaine et dans la région des champs magnétiques plus intenses situés plus bas. Il sera passionnant d'en savoir plus sur eux et sur le rôle qu'ils jouent dans l'interaction entre Mars et le vent solaire."

Les aurores

Des aurores à protons

Bien que dépourvu de champ magnétique global, il existe des aurores à protons sur Mars, comme il en existe sur Terre (cf. les aurores). En effet, grâce aux données enregistrées par le spectromètre UV SPICAM de la sonde spatiale Mars Express de l'ESA entre 2004 et 2011, des chercheurs de l'Université de Liège en collaboration avec l'Observatoire Royal de Belgique ont découvert pour la première fois l'existence de ce type d'aurore ailleurs que sur la Terre.

Mécanisme de formation d'une aurore à protons sur Mars. Voir le texte pour les explications. Document NASA-GSFC/MAVEN/Dan Gallagher modifié par l'auteur.

Rappelons que généralement les aurores discrètes (arcs, bandes, rayons, etc) et diffuses (halos) sont déclenchées par l'excitation et l'accélération des électrons présents dans la haute atmosphère sous l'emprise d'un champ magnétique. On peut également observer des aurores diffuses déclenchées par l'excitation des protons qui se manifestent par une trace lumineuse à la fois dans la partie UV du spectre et dans la partie visible. Toutefois, les observations faites par les chercheurs ne concernent que les émissions UV.

Comment se forment ces aurores à protons ? Comme on le voit à droite, les protons (H+) du vent solaire propulsés à ~450 km/s rencontrent les atomes d'hydrogène présents dans la couronne d'hydrogène qui entoure Mars. Les protons capturent l'électron de l'hydrogène et forment un atome neutre. Cet atome étant insensible au champ magnétique, il peut donc traverser l'arc de choc magnétique qui se situe sur la face éclairée de Mars. Il entre ensuite en collision avec les molécules de gaz présentes dans l'atmosphère, provoquant une émission ultraviolette.

Selon une étude publiée par l'astrophysicienne Birgit Ritter de l’Université de Liège et ses collègues dans la revue "Geophysical Research Letters" en 2017, le pic d'émission de ces aurores à protons se produit à une altitude comprise entre 120 et 150 km et produit une intensification de la raie Lyman α (121.5 nm) de l'ordre de quelques kilorayleighs. Un observateur portant des lunettes sensibles aux UV pourraient les observer.

La sonde spatiale MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN) de la NASA a pour mission d'aider les planétologues à comprendre comment la planère Rouge a perdu son atmosphère et son eau au point de transformer un monde chaud et humide propice à la vie en un monde inhospitalier, froid et sec.

MAVEN a étudié les aurores à protons grâce à son Imageur Spectrographique UltraViolet (IUVS). Les protons étant produits indirectement à partir de l'eau existant sur Mars qui s'échappe dans l'espace, l'étude de ces aurores permettrait d'estimer la quantité d'eau perdue.

Dans un article publié dans le "Journal of Geophysical Research, Space Physics" en 2019, l'équipe d'Andréa Hughes de l'Université Aéronautique Embry-Riddle de Daytona Beach en Floride publia les résultats de l'analyse des données de l'instrument IUVS enregistrées pendant plusieurs années martiennes. Les chercheurs ont découvert que les périodes durant lesquelles l'échappement atmosphérique est le plus intense correspondent aux activités et intensités maximales des aurores à protons.

Si a priori ces aurores à protons semblaient rares, les données de MAVEN indiquent qu'elles apparaissent dans l'hémisphère sud plus souvent que prévu. En effet, si les aurores à protons apparaissent dans environ 14% des observations faites sur la face éclairée de Mars, dans l'hémisphère sud elles apparaissent dans 80% des observations faites sur la face éclairée. Cette activité s'explique du fait que l'hémisphère sud de Mars présente des régions ayant conservé l'empreinte de son ancien champ magnétique qui sont suffisamment actives pour permettre l'apparition de ce type de phénomène.

A gauche, cartographie des aurores à protons superposées sur l’intensité du champ magnétique projetée sur un planisphère de Mars. Les points blancs indiquent les détections des aurores à protons, tandis que les points noirs correspondent aux aurores discrètes enregistrées précédemment. 80% des aurores à protons observées sur la face éclairée se manifestent dans l'hémisphère sud. A droite, l'altitude d'émission d’une aurore à proton détectée par l’instrument SPICAM de Mars Express. La courbe noire représente un profil d'émission Lyman alpha dans l'atmosphère martienne sans aurore et celle en bleu montre la signature aurorale entre 120 et 150 km d'altitude. La courbe magenta correspond à la différence. Documents B.Ritter et al. (2017).

La corrélation des aurores à protons avec l'hémisphère sud apporte un indice permettant de tracer la perte d'eau. Durant l'été dans l'hémisphère sud martien, la planète est à sa distance minimale du Soleil. En raison du réchauffement et de la turbulence que cela entraîne, c'est durant cette période que peuvent apparaître les tempêtes de sable les plus violentes. On y reviendra. La chaleur estivale et l'activité des tempêtes de sable sont à l'origine des aurores à protons car ces phénomènes transportent la vapeur d'eau dans la haute atmosphère. L'intense rayonnement UV solaire brise alors la molécule d'eau en ses composantes, l'hydrogène et l'oxygène. Très léger, l'hydrogène a tendance à s'échapper dans la couronne entourant Mars, augmentant la perte d'hydrogène dans l'espace. Plus il y a d'hydrogène dans la couronne, plus nombreuses sont les interactions avec les protons du vent solaire, rendant les aurores à protons plus fréquentes et plus brillantes. En fait, sur Mars toutes les conditions sont réunies (protons du vent solaire, atmosphère étendue d'hydrogène, absence de dipôle magnétique global) pour que se manifestent des aurores à protons plutôt que d'autres types d'aurores.

Notons que la sonde spatiale ExoMars TGO (Trace Gas Orbiter) de l'ESA en orbite autour de Mars depuis 2016 dispose d'un spectromètre NOMAD qui permet en théorie de détecter les émissions visibles des aurores à protons. Cet instrument étudie également le spectre du Soleil entre l'UV et l'IR. Ce satellite devrait être opérationnel jusqu'en 2022 mais à ce jour il est toujours opérationnel (cf. NASA, 2023).

Des aurores diffuses et discrètes

Le spectromètre UV (EMUS) embarqué à bord de la sonde spatiale Hope des Émirats Arabes Unis enregistra en mai 2021 des aurores "discrètes" sur la face nocturne de Mars comme on le voit ci-dessous à gauche. Ces émissions ultraviolettes se produisent lorsque le vent solaire rencontre des champs magnétiques émanant de la croûte de Mars. Les particules chargées entrent ensuite en collision avec l'oxygène présent dans la haute atmosphère, les rendant lumineuses sous les UV.

Bien que Hope a pour mission d'étudier l'atmosphère de la planète Rouge et non son magnétisme, la découverte de ce type d'aurores est un bonus.

A gauche, une image prises par le spectromètre UV de la sonde spatiale Hope en mai 2021 montrant des aurores discrètes sur la face nocturne de Mars. A sa droite, une représentation artiste. A droite, les aurores diffuses détectées par le spectrographe imageur UV de la sonde spatiale MAVEN en 2017 sur la face nocturne de Mars. Documents Hope/Emirates Mars Mission et NASA/MAVEN.

Les chercheurs avaient déjà détecté des aurores "diffuses" pendant les tempêtes solaires (cf. cette animation d'une observation faite par la sonde spatiale MAVEN de la NASA en 2017) ainsi que des aurores à protons décrites plus haut. L'existence d'aurores discrètes en relation avec le magnétisme crustal de Mars est un indice de plus suggérant que la planète avait autrefois un champ magnétique global similaire à celui de la Terre.

Les émissions détectées par Hope avaient déjà été détectées par la sonde spatiale Mars Express de l'ESA en 2005 et la même année par la sonde spatiale MAVEN. Mais selon le planétologue Nick Schneider de l'Université du Colorado à Boulder et membre de l'équipe de MAVEN, Hope a pris des "images spectaculaires [...]. D'après mon travail sur le sujet, j'ai immédiatement reconnu la façon dont les aurores dessinent un contour autour des derniers vestiges du champ magnétique martiens en décroissance. Ces images capturent vraiment le fait que Mars a perdu son champ global, la cause présumée de la disparition de son atmosphère épaisse antérieure."

L'ionosphère

Dans un article publié dans la revue "Nature" (version PDF) en 2020, Glyn A. Collinson du centre GSFC de la NASA et ses collègues ont annoncé avoir détecté dans la haute atmosphère martienne des phénomènes radioélectriques semblables aux couches "E sporadiques" terrestres : il s'agit de concentrations imprévisibles et de courte durée de plasma, qui peuvent réfléchir temporairement les signaux radios à l'horizon sur des milliers de kilomètres. La sonde spatiale MAVEN de la NASA détecta 32 couches E sporadiques un peu partout autour de Mars dont les principales se situent vers 176 et 189 km d'altitude tandis que les signaux de la sonde spatiale MGS furent perturbés à une altitude de 169 km correspond vraisemblablement à une autre couche E sporadique.

Densités ioniques (gauche) et électroniques (centre) mesurées dans la haute atmosphère de Mars par les sondes spatiales MAVEN et MGS comparées à la densité ionique de l'atmosphère terrestre (droite). Document G.A.Collinson et al. (2020).

Selon les chercheurs, contrairement aux couches E sporadiques terrestres, les caractéristiques des couches E sporadiques martiennes sont piégées dans un état quasi perpétuel de formation dynamique et peuvent se former à des emplacements prévisibles.

Cette découverte va permettre aux chercheurs de mieux comprendre et prévoir les processus qui perturbent les ionosphères planétaires car sur Terre elles représentent une véritable nuisante pour les usagers des bandes radios (commercial, secteur maritime, radionavigation, militaire, etc).

Les satellites Phobos et Deimos

Mars s'entoure de deux satellites, Phobos et Deimos, dont l'existence fut prédite arbitrairement par Kepler au XVIe siècle mais qui ne seront découverts qu'en 1877 par Asaph Hall en raison de leur faible magnitude qui requiert en général des télescopes d'au moins 400 mm d'ouverture. Ils deviennent visibles dans des instruments de 100 à 150 mm d'ouverture uniquement lors des oppositions où Mars se rapproche de 20 à 30 millions de km de la Terre et atteint un diamètre appréciable voisin de 20 à 25". Dans ces conditions Phobos et Deimos brillent respectivement à la magnitude 10.4 et 11.5 maximum et deviennent des objets de défi pour les petits instruments d'astronomie.

Deux images de Phobos, celle de gauche prise par MRO en 2008 à 6800 km de distance et celle de droite prise par la sonde Viking 1 en 1978. Les couleurs ont été accentuées. Documents NASA/JPL.

Phobos et Deimos sont de toutes petites lunes avec un diamètre moyen de respectivement 22 et 14 km, une masse de respectivement et 1.07x1016 kg et 1.48x1015 kg soit plusieurs millions de fois inférieure à celle de la Lune (7.34x1022 kg) et une densité de respectivement 1.88 et 1.48 (contre 3.3 pour la Lune et 5.51 pour la Terre).

Elles sont tellement petites et légères qu'une mise en orbite depuis leur surface se fait à 30 km/h (contre plus de 20000 km/h sur Terre) et leur vitesse de libération est de respectivement 41 km/h et 54 km/h (contre 11.2 km/s sur Terre et 2.4 km/s sur la Lune); un 100 mètres et vous voilà propulsé dans le vide !

Phobos évolue à 5987 km de la surface de Mars, c'est-à-dire sous l'orbite synchrone (l'orbite où la révolution d'un satellite est égale à la durée de rotation de la planète). Ainsi Phobos boucle son orbite en 7h39m, effectuant plus de trois tours autour de Mars quand la planète n'en fait qu'un. L'inclinaison de l'orbite de Phobos est de seulement 1.093° par rapport à l'équateur de Mars avec une excentricité de 0.0151°.

Si vu du sol de Mars, Phobos sous-tend un diamètre angulaire variant entre 0.14 et 0.20° selon son altitude (contre 0.5° pour la Lune vue de la Terre), vu de Phobos, Mars occupe 22% du ciel (d'une hémisphère), sous-tendant un angle de 40° dans le ciel !

Deimos évolue à 20074 km de la surface de Mars et boucle son orbite en 30h18m. Son orbite est inclinée de 1.8° sur l'équateur de Mars avec une excentricité de seulement 0.00033°. Les deux satellites présentent des orbites synchrones, présentant toujours la même face à la planète.

Les deux lunes sont couvertes de cratères, mais Phobos est plus accidentée. Son plus grand cratère, Stickney atteint le tiers de son diamètre (10 km). Phobos présente plus de cicatrices ainsi que des fractures parallèles et contiendrait peut-être de la glace.

Deux images de Deimos photographié par la caméra HiRISE de MRO en 2009. La couleur assez rouge des deux lunes confirmée par leur indice de couleur U-V est similaire à celle des météorites métallo-pierreuses de type S, des ferriques (chondrites à enstatites) de type M un peu moins rouges ou des astéroïdes de type D. La nature véritable de ces lunes devrait être connue vers 2030 après le retour d'échantillons de Phobos par la mission MMX organisée par la JAXA et la NASA. Documents NASA/JPL-Caltech/U.Az.

Jusqu'à présent, à partir des paramètres orbitaux de Deimos, ses dimensions, son faible albedo (0.05), sa faible densité et sa forme irrégulière, on pensait qu'il s'agissait probablement d'un astéroïde capturé il y a 3 ou 4 milliards d'années. Ce serait une chondrite carbonée probablement issue de la Ceinture externe des astéroïdes. En revanche, Phobos se serait formé comme notre Lune. En effet, le satellite présente une orbite circulaire et partage les mêmes composants que la planète Rouge. Pour expliquer sa nature, Mars aurait subi un choc violent avec un autre corps céleste. Suite à cette collision, de la poussière et des éjecta auraient été libérés dans l'espace et se seraient mis en rotation pour finalement se regrouper et former Phobos.

Toutefois, les deux lunes orbitent au-dessus de l'équateur martienne, rendant l'hypothèse de la capture peu probable. De plus, Phobos gravite à 3 rayons de Mars alors que Deimos évolue à 7 rayons de Mars. Rien ne justifie un si grand espace entre les deux lunes.

Caractéristiques physico-chimiques

Les sondes spatiales soviétiques Phobos 1 et 2 ont découvert lors de leur survol en 1988-89 que Phobos n'était pas aussi homogène qu'on pouvait le supposer pour un objet de cette taille. Les planétologues considèrent qu'il pourrait avoir une activité interne.

L'astrophysicien soviétique Iosiph S. Shklovsky vers 1967.

Parmi les résultats de la mission MGS (1996-2006), on a découvert que l'écorce de Phobos est recouverte de débris pulvérisés (régolite) peu denses sur au moins 1 mètre d'épaisseur. Comme on le voit sur la photo couleur présentée plus haut, sa surface présente de nombreuses rainures. Une étude publiée en 2015 par la NASA montre que ce réseau de failles est le signe de l'activité des forces de marée évoquées plus haut qui à terme devraient faire éclater cette lune.

Quant à Deimos, il est également recouvert de régolite mais ne présente qu'une seule formation, Voltaire de 3 km de diamètre. Tous les autres cratères ne dépassent pas 1000 m.

Pour l'anecdote, rappelons qu'en 1967, l'astrophysicien soviétique Iosiph S. Shklovsky[3] avait une autre interprétation carrément farfelue. Pour expliquer l'accélération séculaire du mouvement de Phobos, Shlovsky suggéra qu'il s'agissait d'un satellite extrêmement léger, seule condition pouvant entraîner une perturbation par l'atmosphère raréfiée de Mars.

A l'époque, la densité de Phobos fut estimée mille fois inférieure à celle de l'eau et sa masse de l'ordre de quelques centaines de millions de tonnes, à un facteur dix près. Etant donné qu'il n'existe aucun corps solide plus léger que l'eau, même le bois le plus léger est deux fois plus dense que l'eau, il devait donc être creux.

Etant donné que ni la densité atmosphérique, ni l'effet de marée ou la pression de radiation ne pouvait expliquer le ralentissement séculaire, les mesures elles-mêmes ne semblant pas erronées, Shklovsky ne trouva plus qu'une seule explication : "Il ne reste alors qu'une seule solution : supposer Phobos creux. Mais un corps cosmique naturel ne peut être creux. Donc Phobos (et aussi, vraisemblablement, Deimos) est un satellite artificiel de Mars." Phobos avait ainsi été élaboré par une ancienne civilisation martienne très avancée ! Ainsi les "Tars Tarkas" de E.Burroughs auraient construit deux satellites artificiels !? Hypothèse très séduisante mais qui prêtait à sourire.

Shklovsky estima que "cette idée de prime abord fantastique nous semble mériter l'examen le plus attentif." Il émit toutefois d'autres hypothèses comme le fait qu'il s'agissait d'astéroïdes capturés ou de débris issus de la formation de Mars. L'exploration spatiale, une fois de plus, eut le mot de la fin. En particulier, la densité plus forte que celle de l'eau et la structure des surfaces des deux satellites infirmaient l'hypothèse artificielle qui fut classée à la rubrique des anecdotes.

Origine de Phobos et Deimos

Pour expliquer les caractéristiques des deux lunes, les astronomes proposèrent que Phobos et Deimos se sont formées soit d'une manière similaire à notre Lune - par accrétion de débris suite à une collision - soit qu'ils résultent d'une collision et de la désintégration d'une grande lune. Décrivons ces différentes théories.

Les lunes Phobos et Deimos se seraient formées suite à une collision à l'époque de la proto-Mars. Mais on ignore encore si l'impacteur était rocheux et géant (trois fois plus petit que Mars) comme sur cette illustration ou glacé et plus petit. Document Labex UnivEarthS/IN2P3.

L'apparence sombre de Phobos et Deimos semble indiquer qu'elles sont constituées de basalte. Exposées aux micrométéorites, elles finirent par présenter des caractéristiques spectrales similaires à celles des astéroïdes. Un survol de Deimos par l'orbiter Hope de l'UAE début 2023 soutient cette idée. De plus, les orbites des deux lunes sont remarquablement circulaires au-dessus de l'équateur, défiant le scénario de capture classique des astéroïdes qui ont généralement une forme elliptique et des orbites orientées de manière aléatoire. Ces observations soutiennent un scénario d'impact géant.

Mais ce scénario présente quelques problèmes. Les simulations tentant de recréer la formation des lunes par impact éjectent trop de matière en orbite, ce qui entraîne un disque de débris trop massif autour de Mars. Dans ces modèles, les lunes fusionnent à partir de ce disque, mais il y a suffisamment de matière pour produire au moins une lune plus grande à l'intérieur de l'orbite actuelle de Phobos qui finit par se briser en morceaux. Dans d'autres modèles, Phobos est formé à partir de ce disque de débris secondaire.

Un autre problème est qu'un impacteur rocheux entraînerait la formation d'un disque de débris chauds, dont les températures élevées altéreraient ou détruiraient tous les matériaux primitifs, y compris les basaltes.

Dans un article sur Phobos et Deimos publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2016, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Pascal Rosenblatt alors à l'Observatoire Royal de Belgique suggéra que non seulement Phobos mais les deux lunes de Mars se sont formées par accrétion de débris éjectés lors d'une collision catastrophique entre la proto-Mars et un corps rocheux trois fois plus petit. Cette théorie fut appuyée par une nouvelle simulation réalisée par l'équipe de Ryuki Hyodo dont les résultats furent publiés sur le serveur arXiv en 2019. Si cette hypothèse est correcte, comment les deux lunes se sont-elles formées ?

En 2023, l'orbiter Hope renvoya de magnifiques images de Deimos prises à 100 km d'altitude. Les données suggèrent que la composition de Deimos correspond plus étroitement à Mars qu'à celle des astéroïdes de type D situés dans la Ceinture d'astéroïdes qu'on pensait jusqu'alors correspondre aux matériaux de Deimos et Phobos. Selon Hessa Al Matroushi, responsable scientifique de la mission Hope au Centre spatial Mohammed Bin Rashid à Dubaï, "Nous ne pensons pas que [Deimos] soit un astéroïde." Mais pour en savoir plus sur l'origine des deux lunes, une sonde spatiale sera envoyée sur place (voir plus bas).

Un impact avec un corps glacé

Dans une autre étude présentée lors de la Conférence sur les sciences lunaires et planétaires qui s'est tenue à The Woodlands, au Texas, en 2024, la doctorante en astrophysique Courteney Monchinski de l'Institut de Technologie de Tokyo a suggéré qu'un impact avec un corps glacé pourrait expliquer la taille et les orbites de Phobos et Deimos, éliminant certains des problèmes du scénario de l'impacteur rocheux géant.

Compositage de Mars et Deimos. Document Mission Hope/UAE.

Monchinski et ses collègues proposent un scénario dans lequel un impacteur glacé représentant environ 3% de la masse de Mars, composé d'au moins 30% et jusqu'à 70% de glace d'eau aurait percuté Mars. N'importe quel impacteur glacé aurait envoyé beaucoup moins de roches dans l'espace, ouvrant la possibilité de former Phobos et Deimos directement à partir de l'impact, sans avoir à invoquer une plus grande lune perdue depuis longtemps qui se serait formée en premier.

Un impacteur glacé entraîne également une température plus basse dans le disque, car la vaporisation de si grandes quantités d'eau absorbe beaucoup d’énergie. Par conséquent, la composition de la roche éjectée en orbite est mieux préservée.

Selon Pascal Rosenblatt aujourd'hui à l'Université de Nantes, "Le point le plus intéressant de ces résultats est qu'ils ont montré la possibilité, avec cette basse température dans le disque, de pouvoir conserver une partie de la composition chondritique de l'impacteur."

Dans leur étude précitée, Rosenblatt et ses collègues avaient proposé un scénario similaire mais en considérant un impacteur géant et rocheux. "Ce nouveau scénario ouvre de nouvelles perspectives". En effet, selon Rosenblatt, une grande quantité d'eau dans le disque modifierait également la composition chimique des roches. Cela entraînerait probablement la formation de minéraux hydratés appelés phyllosilicates. La sonde spatiale Mars Express de l'ESA a justement trouvé des indices de la présence de telles roches.

La vapeur d'eau pourrait également avoir joué un rôle dans la formation de Deimos au-delà de l'orbite synchrone de Mars, où les objets évoluent à la même vitesse que la planète. Au-delà de cette distance, les marées font reculer lentement les lunes de la planète. L'interaction entre les particules de poussière et la vapeur d'eau aurait pu contribuer à disperser le matériau du disque plus loin vers l'extérieur, permettant ainsi à Deimos de se former à son emplacement actuel, plus éloigné.

Reste à comprendre pourquoi y avait-il à l'origine un corps glacé sur une trajectoire de collision avec Mars ? Les chercheurs pensent que de tels corps "humides" auraient pu se former dans la bordure externe du système solaire, au-delà de l'orbite de Saturne ou de Neptune. Ensuite, les instabilités provoquées par les planètes géantes auraient pu projeter certains de ces corps dans le système solaire interne.

Rosenblatt souligne également qu'à l'origine Mars avait probablement de l'eau à sa surface, donc Mars aurait pu également apporter une partie de son eau native, nécessitant un corps moins glacé. Une mesure définitive devra probablement attendre le lancement de la mission Martian Moons Exploration (MMX) de la JAXA prévue en 2026 (voir plus bas).

Quand Mars avait un anneau

Les simulations réalisées par des astronomes de l'IN2P3 montrent qu'un astéroïde provenant de la Ceinture interne a pu entrer en collision avec la proto-Mars et former un immense anneau de débris il y a plus de ~4 milliards d'années. Cet anneau étant situé au-delà de la limite de Roche, il aurait ensuite formé plusieurs grosses lunes à 3 rayons martiens. Ces lunes ont alors suffisamment agité le disque externe de débris pour déclencher l'accrétion et former des lunes exactement aux distances des régions de résonances. Ensuite, ce sont les effets des marée martiennes qui ont déplacé les lunes. Celles situées sous l'orbite synchrone, dont Phobos, ont chuté vers Mars tandis que celles situées au-dessus de l'orbite synchrone, comme Deimos, ont été repoussées vers l'extérieur. Après 4 milliards d'années d'évolution, il ne reste plus que Phobos et Deimos à leur position actuelle.

Cette théorie fut confirmée par des simulations de la formation des deux lunes martiennes réalisées par Hesselbrock & Minton en 2017. Les deux astronomes ont montré que l'anneau formé après la collision s'accréta sur Phobos, ce qui expliquerait sa masse dix fois supérieure à celle de Deimos aujourd'hui. Cette théorie fut également confirmée dans une étude publiée par le SwRI en 2018.

Cette explication est séduisante, d'autant qu'aujourd'hui Mars présente un gigantesque bassin d'impact dans son hémisphère nord (Borealis basin, une ellipse de 10600 x 8500 km par 67° N et 208° E, cf. ce planisphère, à ne pas confondre avec Vastitas Borealis). Cette formation sans cratère apparent aurait été formée par l'impact d'un seul corps de 1600-2700 km de diamètre animé d'une très faible vitesse, de l'ordre de 6 à 10 km/s sous un angle oblique.

Cette explication pourrait également s'appliquer à la formation des autres satellites du système solaire dont on ne comprend pas encore très bien le processus de formation.

A voir : Formation des lunes de Mars, IN2P3

Simulation de l'impact géant sur la proto-Mars, IN2P3

Dans un article publié dans les "Astrophysical Journal Letters" en 2020 (en PDF sur arXiv), l'astronome Matija Ćuk de l'Institut SETI et ses collègues dont Minton précité sont arrivés à la même conclusion à partir d'une analyse différente qui apporta de nouvelles précisions.

Selon Ćuk, "Le fait que l'orbite de Deimos ne soit pas exactement dans le plan de l'équateur de Mars fut considéré comme sans importance et personne n'a voulu essayer de l'expliquer. Mais une fois que nous avons examiné de près cette idée, l'inclinaison orbitale de Deimos révéla son grand secret."

Du temps où Mars avait un anneau. Document Mark Garlick/SPL.

Selon l'étude publiée en 2017, la formation d'un anneau et de lunes aurait pu se produire plusieurs fois dans le passé. Selon Ćuk et ses collègues, c'est alors que Deimos entra en jeu.

Les chercheurs ont simulé la manière dont la proto-Phobos se déplaça vers l'extérieur et aurait affecté l'inclinaison orbitale de Deimos. Ils sont arrivés à former une proto-Phobos ayant 20 fois sa masse actuelle et qui serait entrée dans une résonance orbitale 1:3 avec Deimos à une distance de 3.3 rayons de Mars qui inclina légèrement l'orbite de Deimos. Depuis plusieurs milliards d'années, les paramètres de cette lune n'auraient pratiquement pas changé.

Selon les chercheurs, les deux lunes se seraient formées après le bombardement intensif tardif des astéroïdes il y a environ 3.9 milliards d'années qui aurait probablement détruit Deimos. Ensuite, la lune se serait réassemblée, mais à une inclinaison nulle ou très proche. Cet évènement ne peut pas s'être produit beaucoup plus tard car la résonance entre la proto-Phobos et Deimos nécessite une faible inclinaison au départ. Selon Ćuk, "Quelque chose comme 3.5 milliards d'années est notre meilleur pari. Cela correspond parfaitement au calcul de Hesselbrock et Minton sur le moment où Mars avait une lune intérieure ayant 20 fois la masse de Phobos."

Cette destruction et cette reformation probables de Deimos sous une faible inclinaison orbitale signifie également que le bombardement par les astéroïdes n'est probablement pas à l'origine de la perturbation de l'orbite de cette lune. De plus, si un astéroïde l'avait frôlée, il aurait perturbé son inclinaison et son excentricité. Étant donné que l'excentricité de Deimos est très faible, on peut en déduire que ce phénomène n'a probablement pas eu lieu.

En revanche selon Ćuk, "Lorsque l'anneau disparut, la lune commença à chuter en raison des marées martiennes (tout comme Phobos). Lorsqu'elle arriva trop près de Mars, les forces de marée la désintégrèrent dans un nouvel anneau, et le cycle se répéta probablement deux fois, pour arriver au Phobos que nous voyons."

Selon les chercheurs, cela signifie que la Phobos actuelle s'est probablement formée il y a environ 200 millions d'années tandis que la surface de Deimos serait âgée entre 3.5 et 4 milliards d'années. A partir de ces contraintes, leur théorie peut être testée.

Une même origine

Une autre étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2021 par Amirhossein Bagheri de l'Institut de géophysique de l'ETH Zurich et ses collègues supporte également la théorie selon laquelle Phobos et Deimos sont les restes d'une plus grande lune martienne qui fut perturbée il y a 1 à 2.7 milliards d'années.

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont d'abord affiner la théorie existante décrivant l'interaction gravitionnelle entre les deux satellites et Mars et notamment les forces de marée. Ces forces dissipent l'énergie sur une échelle qui dépend de la taille des corps, de leur composition interne et surtout des distances qui les séparent.

Grâce aux données sismiques de la mission InSight de la NASA à laquelle participe l'ETH Zurich, les chercheurs ont pu étudier l'intérieur de la planète Rouge et apporter des contraintes au modèle de Mars, notamment concernant la dissipation de l'énergie à l'intérieur de la planète.

Des images et des mesures obtenues antérieurement ont suggéré que Phobos et Deimos sont constitués d'un matériau très poreux. Avec une densité de ~1.9, selon Khan, "il y a beaucoup de cavités à l'intérieur de Phobos, qui pourraient contenir de la glace d'eau. C'est là que les marées dissipent beaucoup d'énergie."

En utilisant ces résultats et leur théorie affinée sur les effets de marée, en collaboration avec l'US Naval Observatory, les chercheurs ont ensuite réalisé des centaines de simulations informatiques pour retracer les orbites passées des deux lunes. Il s'avère que les orbites de Phobos et Deimos se seraient rejointes dans le passé; c'est le moment où les deux lunes se sont formées. Selon Amir Khan de l'ETH Zurich et coauteur de cette étude, "Cela signifie que les lunes étaient très probablement au même endroit et ont donc la même origine". Selon ces simulations, ce moment se situe entre 1 et 2.7 milliards d'années dans le passé. Le moment exacte dépend des propriétés physiques de Phobos et Deimos, c'est-à-dire de leur porosité.

Les chercheurs en ont déduit qu'à l'époque une grande lune était en orbite autour de Mars. Elle a probablement été percutée par un autre corps et s'est désintégrée. Phobos et Deimos sont les restes de cette grande lune.

Mission MMX vers Phobos et Deimos

On en saura certainement davantage sur la nature et l'origine de ces deux lunes vers 2030. En effet, les scientifiques veulent prélever des échantillons de Phobos et les ramener sur Terre pour les étudier. En 2012, une tentative de la Russie en ce sens s'est soldée par un échec, lorsque son vaisseau spatial Phobos-Grunt s'écrasa dans l'océan Pacifique peu de temps après son lancement. La JAXA espère éviter le même sort avec sa mission MMX (Martian Moons eXploration) à laquelle participe la NASA avec une équipe de dix scientifiques.

Mars entourée de Phobos et Deimos. Photo prise par le HST lors de l'opposition le 18 juillet 2018 à la fin de la tempête de sable globale. Voici la photo annotée. Document NASA/ESA/STScI.

La sonde spatiale à énergie solaire, dont le lancement est prévu en septembre 2024 aura pour objectif d'atteindre Phobos en 2026, de s'y poser et y prélever des échantillons qui seront ramenés sur Terre en 2029. MMX atterrira sur Phobos à deux endroits et passera deux heures en surface à collecter environ 10 grammes de matériau. Mais les difficultés sont nombreuses. Les opérations de surface sur Phobos posent de nombreux défis car la petite lune n'a qu'un millième de la gravité de la Terre et un champ de gravité inégal compte tenu de sa forme inhabituelle. MMX prélèvera des échantillons en utilisant deux méthodes : un carottier sur un bras extensible pour prélever des spécimens à plus de 2 cm de profondeur et un échantillonneur pneumatique pour soulever le matériau de la surface.

Notons que l'ESA avait prévu une mission similaire en collaboration avec l'agence spatiale russe Roscomsos mais qui fut suspendue (voire annulée) suite à la guerre en Ukraine. Cette mission était également prévue en 2024.

Avant que MMX ne collecte des échantillons, en 2026 ou 2027, le vaisseau spatial déploiera un mini-rover à la surface de Phobos pour une mission de 100 jours. L'attraction gravitationnelle faible et irrégulière de la lune signifie que le rover, bien qu'il ne pèse que 25 kg, ne pourra pas se déplacer plus vite que la vitesse d'un escargot au risque de s'échapper dans l'espace.

Selon Markus Grebenstein du Centre aérospatial allemand et chef de projet du mini-rover, "Si nous allons plus vite que 80 mm/s, nous pourrions retourner le rover ou même quitter le système de Phobos." Compte tenu de la durée de vie limitée du rover, cette limitation de vitesse "restreint essentiellement notre portée à environ 100 mètres". Au cours de sa mission, le rover devrait recueillir des données inestimables. Il étudiera la surface de Phobos et fournira au vaisseau-mère MMX des informations vitales sur les propriétés de surface de la lune. Le rover testera également les opérations robotiques sur cette petite lune. Enfin, le projet comprend un objectif acrobatique consistant à pousser le rover à ses limites en faisant tourner ses roues arrière à la fin de la mission pour tenter de le retourner. Selon Grebenstein, "Le rover pourrait facilement faire un saut périlleux arrière. Nous pourrions être autorisés à faire des expériences comme ça à la fin de sa vie."

Ensuite, après avoir collecté les échantillons de sol, MMX restera en orbite puis survolera Deimos avant de revenir sur Terre et atterrir dans le désert australien en juillet 2029.

 Les échantillons de surface seront ensuite analysés par des géologues de la NASA. Ils pourront déterminer s'il s'agit d'un minéral provenant de Mars ou d'un astéroïde capturé. Ils pourront ensuite être datés pour estimer l'âge de la surface de Phobos. Si elle ne dépasse pas quelques centaines de millions d'années, cela validerait la prédiction des chercheurs qui pourront ensuite réaliser de nouvelles simulations sur base de données plus précises.

Les chercheurs pensent que la surface de Phobos est recouverte d'un matériau qui fut éjecté de Mars par des impacts, puis retomba sur Phobos. Ainsi, lorsque la JAXA ramènera ses échantillons sur Terre en 2029, ils pourraient bien être les premiers échantillons vierges provenant de la planète Rouge elle-même, battant largement la NASA et son effort de ramener des échantillons de Mars à plusieurs milliards de dollars au plus tôt en 2033.

Si les échantillons révèlent qu'ils sont de même nature que des astéroïdes capturés, cette découverte aura des implications intéressantes sur la façon dont ils ont migré de la Ceinture externe d'astéroïdes vers Mars. Mais s'il s'agit de débris de Mars, formés suite à un impact survenu au début de son histoire, cela pose d'autres problèmes, notamment de savoir comment de petits objets comme ces deux lunes se sont formées autour d'une planète, si on compare le système de Mars au couple Terre-Lune. Selon Davidson, "Cela ne correspond pas aux modèles que nous avons concernant le matériau libéré par un impact géant. Quoi que nous découvrions, nous devons repenser ce que nous présumons savoir sur ces processus."

Selon Rosenblatt, "nous attendons l'échantillon. Je suis presque sûr que nous découvrirons quelque chose de nouveau."

Trajectoires futures de Phobos et Deimos

Les simulations de l'équipe de Bagheri précitée ont également montré que l'ancêtre commun de Phobos et Deimos était plus éloigné de Mars que Phobos ne l'est aujourd'hui. Le petit Deimos s'est d'abord déplacé vers l'intérieur de son orbite mais n'a jamais traversé le rayon de co-rotation en raison d'une excentricité insuffisante et donc d'une dissipation de marée insuffisante. Il est donc resté à proximité de l'endroit où il s'est formé. Aujourd'hui Deimos s'éloigne très lentement de Mars, tout comme notre Lune s'éloigne lentement de la Terre.

Dans quelque 39 millions d'année, Phobos glissera sous la limite de Roche et se désintégrera, formant un anneau autour de Mars. Documents Ron Miller et T.Lombry.

En revanche, selon l'ESA l'orbite de Phobos décroît de 1.8 cm par an, soit de 1.8 m par siècle. Selon les simulations, il devrait atteindre la limite de Roche - la distance sous laquelle les forces de marée désintègrent tout corps - située à 5470 km de la surface de Mars dans moins de ~39 millions d'années. En théorie, vu sa faible densité, les forces de marée engendrées par la planète détruiront la lune dans un nuage de poussière et de débris. Mais il est possible que des fragments de Phobos s'écrasent sur Mars. Vu la faible densité de son atmosphère, même légers et se déplaçant à seulement 2 km/s, ces fragments pourraient former des cratères de quelques mètres de diamètre.

Ensuite, les débris résultant de la désintégration de Phobos formeront un nouvel anneau autour de Mars comme illustré ci-dessus. Il sera probablement assez dispersé comme celui de Saturne mais beaucoup plus fin et clairsemé ou, bien que peu probable en raison de la faible gravité de Mars, plutôt fin et peu épais.

Prochain chapitre

Composition du sol

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[1] Soviétiques, Américains, Européens, Chinois et Emiratis ont à l'heure actuelle (2021) lancé 78 sondes spatiales vers Mars, tant des sondes orbitales, des Landers, des Rovers et même un mini hélicoptère mais 43 sondes seulement ont atteint leur objectif et 3 autres partiellement (échec du Lander). Quatre autres missions sont encore planifées : Mars Sample Return de la NASA et l'ESA, une mission de la JAXA en collaboration avec la NASA, puis deux missions aujourd'hui suspendues de l'ESA et Roscosmos dont ExoMars 2022 (ex-ExoMars 2020). Le détail de toute les missions est disponible sur le site du JPL et de l'ESA.

[2] A propos de Mars, lire National Geographic, 143, 2, Feb.1973, p231 (Mariner 9 et présentation du Viking I); 151, 1, Jan.1977, p3 (les Viking sur Mars et la recherche de la vie); 194, 2, Aug 1998, Return to Mars; Feb 2001, A Mars Never Dreamed Of; Jan 2004, Mars; Feb 2010, Hubble Renewed Mars (Terraforming); Cf.cette liste.

[3] Iosif S. Shklovsky, "Univers, vie, raison", Ed. Planète, 1967, ch.18, p196.


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