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La Terre, berceau de l'Humanité

Notions de géodésie et de géophysique (II)

La géodésie permet de déterminer la dimension et la forme exacte de la Terre. D'un diamètre de 12756 km à l'équateur et 12713 km aux pôles (et un rayon moyen de 6371 km), la Terre présente un aplatissement de 0.33% (contre 1.05% pour Mars et 6.47% pour Jupiter). Elle ressemble à une poire (cf. le géoïde) dont le diamètre moyen serait inscrit dans une ellipse. Cet objet est un géoïde dont les "bosses" vont de 15 à 80 m (Nouvelle-Guinée) au-dessus de l'ellipse de référence, tandis que les "dépressions" oscillent entre 25 et 108 m (Sri Lanka) en dessous de la surface moyenne. Son aplatissement est donc à peine perceptible.

La superficie de la Terre est de 510 millions de km², sa densité moyenne est de 5.514 pour une masse de 5.97x1021 tonnes. Il en résulte que la force de gravité agit à sa surface avec une accélération constante de 9.78 m/s2 en moyenne, l’équivalent d’une force de "1 g" (cf. NASA).

A gauche, l'aspect de la Terre photographiée à plus de 100000 km de distance au téléobjectif de 70 mm lors du vol d'Apollo 17 vers la Lune le 12 juillet 1972. Le globe terrestre ressemble à une sphère bleue marbrée a priori parfaite. Mais les géophysiciens la voit autrement après l'analyse des données du satellite GOCE (à droite), telle un géoïde présentant des bosses de 80 m (orange) et des creux de 108 m (mauve) par rapport à la surface moyenne. Voir le texte pour les explications. Documents NASA et ESA/HPF/DLR.

Du point de vue géophysique, c'est-à-dire des propriétés physiques de la Terre, même si l'intérieur de la planète est inaccessible, au moins trois méthodes permettent de caractériser sa structure interne sur base à la fois d'expériences et de simulations :

- l'analyse des effets mécaniques, en particulier le moment d'inertie qui dépend de la distribution des masses

- la vitesse de propagation des ondes sismiques P (de compression) et S (de cisaillement) qui dépend de la densité (masse atomique) des éléments (loi de Birch)

- les données géochimiques concernant le rapport de masse et la différenciation entre fer et magnésium.

Ces études ont permis de découvrir que l'intérieur de la Terre est constitué de plusieurs coquilles concentriques de masse et de composition différentes.

Le noyau interne (graine)

Depuis le développement de la séismologie dans les années 1920, nous savons qu'au centre de la Terre se trouve un noyau cristallin constitué de fer qu'on appelle la graine ou noyau interne. Il mesure environ 1216 km de rayon et présente une température variant entre 4700 et 5500°C. Sur base de l'équation hydrostatique, dont la formule différentielle est la suivante :

dP = ρ g dz

avec P la pression lithostatique (ou hydrostatique), ρ la densité (masse volumique), z la profondeur et g l'accélération de la pesanteur, on peut estimer qu'au centre de la Terre il règne une pression lithostatique maximale d'environ 360 GPa soit 3.5 millions d'atmosphères.

La structure interne de la Terre en 4 couches basée sur la distribution des ondes P et S. Le noyau se divise en noyau interne solide et externe fluide, le manteau fluide se divisant également en un manteau inférieur et supérieur. Une 5e couche aurait été identifiée dans la graine. Documents Gary Hincks adapté par l'auteur.

C'est en 1936 que la sismologue danoise Inge Lehmann et son équipe découvrirent grâce aux ondes sismiques que le noyau interne était solide. Avant cette découverte on supposait que tout le noyau était liquide en raison de sa température élevée.

À un certain moment de l'histoire de la Terre, le noyau interne commença à "nucléer", ou à se solidifier, sous les pressions intenses existant au centre de la planète. On ne sait toujours pas quand ce processus debuta mais nus verrons que les indices s'accumulent vers une possible explication.

Malgré la chaleur, sous cette pression la graine est solide mais il fallut près de 80 ans pour en avoir la certitude. En effet, dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2018, les géophysiciens Hrvoje Tkalcic et Thanh-Son Pham de l'ANU d'Australie ont analysé les ondes J ou ondes de cisaillement qui se manifestent lors des tremblements de terre et qui traversent le noyau interne. Après les avoir isolées du bruit ambiant et des autres formes d'ondes, en mesurant leur vitesse de propagation grâce à un réseau mondial de séismographes, ils sont parvenus à la conclusion que la graine est effectivement solide tout en étant "souple", partageant certaines propriétés élastiques avec l'or et le platine. Autrement dit, la graine présente une résistance mécanique plus faible que prévu et peut se déformer. Il est même possible qu'elle soit animée de mouvements de convection à l'instar des fluides chauds.

Jusqu'à présent, on ignorait à quelle époque se solidifia le noyau interne. On sait qu'il est solide car les ondes sismiques S qui peuvent traverser les milieux liquides ricochent dessus tandis que les ondes P se réfractent dans le noyau externe sans pouvoir pénétrer dans la région plus profonde.

Selon différentes études, des valeurs de conductivité thermique indiquent que le déclenchement de la croissance du noyau interne dura 2 milliards d'années, entre ~0.5 et plus de 2.5 milliards d'années. Les données paléomagnétiques fournissent des indications directes des conditions passées du noyau, mais les âges de formation du noyau interne et de sa solidification varient encore du simple au triple, entre 0.5 et 1.5 milliard d'années. Pour l'instant, retenons donc la valeur médiane de 1 ±0.5 milliard d'années, ce qui signifie qu'il fallut environ 3.5 millliards d'années pour que la graine se forme et se solidifie, ce qui est relativement tard dans l'histoire de la Terre.

On reviendra plus loin sur la formation du champ géomagnétique (cf. page 4) ainsi que sur la solidification du noyau interne dans l'article consacré aux grandes étapes de l'évolution de la Terre et de la vie.

Toutefois les chercheurs sont loin d'avoir répondu à toutes les questions. On ignore précisément quand le noyau interne se forma, quelle est sa température exacte, comment la chaleur s'y propage, à quelle vitesse il se refroidit ou quelle est la proportion des éléments qu'il contient en plus du fer. On sait seulement que le modèle classique de la graine constituée d'un alliage de fer et de nickel dans un rapport 90/10 présente une densité trop faible de 10 à 15% pour expliquer la vitesse de propagation des ondes sismiques. Il devrait donc contenir quelque 3% d'éléments légers (H, C, O, Si et S) tandis que le noyau externe en contiendrait 10% (cf. L.Vocadlo, 2013). On sait également que la graine participe au dégagement de chaleur à travers le noyau externe et le manteau jusqu'en surface.

On ignore également dans quelles condiitions se forma le noyau, structure qui est propre à toutes les planètes y compris gazeuses. En revanche, cela faisait des décennies qu'on cherchait à comprendre comment le fer était "descendu" jusqu'au centre de la Terre. On se doutait bien qu'il devait y avoir un écoulement des fluides mais les résultats des simulations ne correspondaient pas aux données. Ensuite, il fallait aussi expliquer comment l'intérieur de la Terre s'était différencié en différentes couches comme le révèlent les sondages sismiques (voir plus bas).

La percolation du métal fondu

Le noyau métallique de la Terre comme de toutes les planètes rocheuses se serait formé lorsque le métal fondu emprisonné entre les grains des roches silicatées percola jusqu'au centre du globe à une époque très précoce de leur formation. Document UTAustin adapté par l'auteur.

Concernant la différenciation du noyau, on a rapidement pensé que cela s'était produit pendant la phase d'accrétion des planétésimaux (des corps dont la taille est plus grande que celle d'un astéroïde mais plus petite que celle d'une planète naine) sachant que ces corps sont composés de roches silicatées et de métaux. Sur base de simulations, les géophysiciens ont suggéré qu'au cours du processus de formation de la Terre, la masse initiale s'est séparée en un noyau métallique recouvert d'une couche de silicates comprenant un manteau fluide et une croûte solide (voir plus bas). Restait à expliquer par quel mécanisme le noyau se forma et se différencia.

Dans une étude publiée dans les "PNAS" en 2017, le géophysicien doctorant Soheil Ghanbarzadeh de l'Université du Texas à Austin et ses collègues ont apporté les preuves qu'un processus de percolation du métal fondu s'est produit vers le centre de la Terre à travers les minuscules interstices existants entre les grains des roches silicatées (composées de SiO4 mélangé à d'autres métaux).

Cette découverte remet en question la théorie traditionnelle fondée sur l'interprétation des expériences et des simulations visant à comprendre comment les métaux se comportent sous une chaleur et une pression élevées lors de la formation des planètes. En effet, les résultats antérieurs suggéraient que de grandes quantités de métaux fondus furent piégées dans des pores isolés entre les grains de silicates. En revanche, les résultats de la nouvelle étude suggèrent que lorsque ces pores sont isolés, ils deviennent suffisamment gros pour s'interconnecter. Le métal en fusion peut alors s'écouler et la presque totalité percole le long des jointures ou canaux se formant entre les grains. Ce processus permettrait au métal en fusion de s'écouler à travers le manteau, de s'accumuler au centre de la planète et de former une graine métallique comme dans le cas de la Terre.

Ghanbarzadeh qui travaille aujourd'hui comme ingénieur chez BP America a développé un modèle informatique au Texas Advanced Computing Center (TACC) pour simuler la distribution du fer fondu entre les grains silicatés en fonction de la porosité ou de la fraction de métal fondu. Les chercheurs ont constaté que lorsque le métal commence à percoler, il peut continuer à couler même si la fraction fondue diminue de façon significative. Or selon les anciens modèles, lorsque le métal commence à couler, il suffisait d'un petit espace vide dans le volume de la masse fondue pour arrêter la percolation. Selon le nouveau modèle informatique, seuls 1 à 2% du métal initial seraient piégés dans le manteau de silicate lorsque la percolation s'arrête, ce qui correspond à la quantité de métal existant dans le manteau terrestre.

Les chercheurs soulignent que l'arrangement des grains silicatés explique les différentes façons dont les espaces entre les grains sont plus ou moins bien connectés. Dans les travaux antérieurs, les modèles utilisaient un motif géométrique de grains réguliers et identiques, alors que la nouvelle étude repose sur des simulations de grains irréguliers, censés refléter plus fidèlement les conditions réelles. La géométrie des grains a été construite sur base des données réelles d'un échantillon de titane polycristallin qui fut modélisé par microtomographie aux rayons X.

La géométrie des grains a un effet très important sur la manière dont le métal fondu se connecte au réseau. Dans les grains irréguliers, les canaux interconnectant la masse fondue présentent une largeur variable et les plus larges restent connectés même si la plus grande partie du métal s'écoule.

En d'autres termes, ce résultat démontre qu'une parfaite modélisation tridimensionnelle fondée sur des données réelles est essentielle pour comprendre et quantifier le fonctionnement du piégeage du métal fondu dans les roches.

A lire : Physique de la Terre (PDF), A.Fournier/U.Jussieu

A gauche et au centre, détermination de la structure interne de la Terre à partir de la vitesse de propagation des ondes sismique P et S. A droite, expériences de compression de différents éléments chimiques et comparaison avec la vitesse de propagation des ondes P afin de déterminer la composition interne de la Terre. Documents D.R., A.Denoel et al. (2014) et F.Birch (1961).

Enfin, par curiosité les chercheurs ont également comparé leurs résultats à un réseau de métal fondu fossilisé dans une achondrite, une famille de météorites provenant d'un astre qui s'est différencié en différentes couches. Les radiographies de la météorite ont révélé une distribution de métal comparable aux réseaux de masse fondue calculés par leur simulation. Cette comparaison démontre que le nouveau modèle s'applique également aux caractéristiques observées dans ce type de météorite.

Un noyau interne hétérogène

Selon une étude publiée dans la revue "Nature" en 2023 par Guanning Pang du Département des sciences de la Terre et de l'atmosphère de l'Université de Cornell et ses collègues, le noyau interne n'est pas la masse homogène comme le supposaient autrefois les scientifiques, mais plutôt un mélange de différentes matières. Selon Pang, "Pour la première fois, nous avons confirmé que ce type d'inhomogénéité est partout à l'intérieur du noyau interne."

Selon le géologue et sismologue américain Keith D. Koper coauteur de cette étude et qui dirige les stations sismographiques de l'Université d'Utah, "Notre étude consistait à essayer de regarder à l'intérieur du noyau interne. C'est comme une zone frontalière. Chaque fois que vous voulez imager l'intérieur de quelque chose, vous devez éliminer les effets superficiels. C'est donc l'endroit le plus difficile pour faire des images, la partie la plus profonde, et il y a encore des choses inconnues à ce sujet."

Pour cette étude, les chercheurs ont exploité un ensemble de données provenant du réseau sismique mondial mis en place pour détecter les explosions nucléaires. En 1996, l'ONU créa la Commission préparatoire de l'Organisation du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, l'OTICE, pour assurer le respect du traité international qui interdit de telles explosions. Sa pièce maîtresse est le système de surveillance international (IMS), qui comprend quatre systèmes de détection d'explosions à l'aide d'instruments de détection avancés installés à travers le monde. Bien que leur objectif soit de faire respecter l'interdiction internationale des explosions nucléaires, ils ont fourni des trésors de données que les scientifiques peuvent utiliser pour mieux comprendre ce qui se passe à l'intérieur de la Terre, dans les océans et dans l'atmosphère.

Depuis quelques années, le laboratoire de Koper analyse la sensibilité des données sismiques au noyau interne. Dans une étude précédente publiée en 2022, Pang et ses collègues ont identifié des variations entre les rotations de la Terre et de son noyau interne qui pourraient avoir déclenché un changement dans la durée du jour entre 2001 et 2003. Selon Koper, le noyau "est comme une planète dans une planète qui a sa propre rotation et qui est découplée par ce grand océan de fer en fusion."

A gauche, en a), coupe schématique illustrant les trajets des ondes PKiKP (lignes pleines) et de l'énergie du noyau interne (ICS, en lignes pointillées). En b), exemple d'ondes de retard et de sommation relevés dans le centre de l'Alaska. En c), carte des réseaux sismiques et du relevé des 2455 tremblements de terre utilisés dans cette étude. A droite, la structure de diffusion 3D du noyau interne. De a) à d), la force de rétrodiffusion dans le noyau interne au-delà de 150 km (a), 150–300 km sous l'ICB (b), 300–500 km sous l'ICB (c) et 500–800 km en dessous l'AOI (d). La couleur indique l'intensité de diffusion (D est la diffusivité sismique). Documents G.Pang et al. (2023).

Pour cette étude, Pang et ses collègues analysèrent les données sismiques enregistrées par 20 réseaux de sismomètres qui détectèrent 2455 tremblements de terre, tous dépassant la magnitude 5.7 (les tremblements de terre moins intenses ne génèrent pas d'ondes suffisamment fortes pour être utiles à l'étude). La façon dont ces ondes ont rebondi sur le noyau interne permet de cartographier sa structure interne.

Selon Koper, "Ce signal qui revient du noyau interne est vraiment minuscule. La taille est de l'ordre du nanomètre. Ce que nous faisons, c'est chercher une aiguille dans une botte de foin. Donc, ces bébés échos et reflets sont très difficiles à voir."

Comme nous l'avons expliqué on ignore encore quand le noyau interne de la Terre commença à se solidifier, mais l'équipe de Pang a glané des indices importants à partir des données sismiques, qui ont révélé un effet de diffusion associé aux ondes qui pénétrèrent à l'intérieur du noyau. Selon Pang, "Notre plus grande découverte est que l'inhomogénéité a tendance à être plus forte quand on s'enfonce. Vers le centre de la Terre, il a tendance à être plus fort". Selon Koper, "Nous pensons que cette stucture est liée à la vitesse de croissance du noyau interne. Il y a longtemps, le noyau interne s'est développé très rapidement. Il atteignit un équilibre, puis se mit à croître beaucoup plus lentement. Tout le fer n'est pas devenu solide, donc du fer liquide pourrait être piégé à l'intérieur."

Une nouvelle structure dans le noyau interne

Cela fait des décennies que les géophysiciens observent une anomalie dans la propagation des ondes sismiques à l'intérieur du noyau interne de la Terre et la majorité des géophysiciens l'attribue à l'anisotropie dans la graine.

L'anisotropie est une qualité ou un état physique dans lequel les propriétés varient selon la direction considérée, par opposition à l'isotropie où les propriétés physiques sont invariantes. En géologie, les propriétés des ondes sismiques varient selon la composition des matériaux, ce qui permet par exemple de détecter des couches de transition et l'existence des différentes couches internes de la Terre. A travers l'analyse des ondes sismiques, on peut donc étudier l'anisotropie du noyau et obtenir des informations sur sa composition.

Une nouvelle structure a été détectée dans la graine de la Terre qui se composerait désormais de 5 couches. Document L.Calvetti/T.Lombry.

Toutefois, les structures présentes dans le noyau externe, telles que les extrémités des cylindres de convection pourraient aussi en partie expliquer ces observations. Il fallait donc réaliser d'autres études.

Dans une étude publiée dans le "Journal of Geophysical Research" fin 2020, Joanne Stephenson de l'ANU et ses collègues ont analysé plusieurs décennies d'enregistrements sismiques et ont confirmé cette anisotropie, la variation de la composition du noyau interne qui correspondrait à une nouvelle structure. En effet, le comportement des ondes sismiques est incompatible avec le modèle classique en quatre couches.

En 1995, des chercheurs avaient déjà indiqué sur base de calculs théoriques que la transition de phase du fer (les polymorphes de structure bcc, fcc et hcp) à plus de 150 GPa de pression régnant dans le noyau était instable et incompatible avec le modèle du noyau interne (cf. Stixrude et Cohen, 1995).

Plus récemment, en 2013 des chercheurs ont analysé cette anisotropie en reliant les temps de trajet des phases PKP (bc-df) avec les propriétés élastiques du fer dans les phases bcc et hcp. Pour rappel, une onde PKP est une onde P qui remontre en surface après avoir traversé le noyau externe comme illustré ci-dessous. Les calculs ont montré qu'il existerait "une structure plutôt compliquée, en forme de mosaïque dans le noyau interne, où des plaques bien séparées de différents cristaux de fer composent la région hémisphérique occidentale anisotrope et un conglomérat de phases de fer presque indiscernables construit le côté oriental faiblement anisotrope" (cf. M.Mattesini et al. (2013).

Stephenson nous rappelle que "traditionnellement, on nous a enseigné que la Terre comprend quatre couches : la croûte, le manteau, le noyau externe et le noyau interne. L'idée d'une cinquième couche distincte fut proposée il y a une vingtaine d'années, mais les données ne sont pas très claires. Nous avons contourné ce problème en utilisant un algorithme de recherche très intelligent qui passa en revue des milliers de modèles du noyau interne" pour trouver celui correspondant aux mesures sismiques.

Selon les chercheurs, "Il n'y a pas de changement significatif de la force de l'anisotropie avec la profondeur dans le noyau interne. Au lieu de cela, nous avons découvert un lent changement de 54° de la direction de l'anisotropie dans un rayon de ~650 km dans le noyau interne, avec une direction devenant rapidement parallèle à l'axe de rotation de la Terre." Cette minuscule fluctuation indique qu'il y a une structure interne cachée dans la graine.

A gauche et au centre, des vues schématiques des ondes sismiques PKP (ab, bc, df) pour un évènement sismique proche de la surface. La distance épicentrale est de 152°. ξ représente l'angle des ondes PKPdf entrants par rapport à l'axe de symétrie vertical de la Terre. A droite, même représentation appliquée à un évènement sismique se produisant à 200 km de profondeur. La distance épicentrale est de 148°. Documents J.Stephenson et al. (2021) et M.Mattesini et al. (2013) adaptés par l'auteur.

Bien que cette nouvelle couche soit difficile à détecter, elle présente des propriétés distinctes qui prouveraient qu'un évènement inconnu se produisit au cours de la formation du noyau de la Terre. Selon Stephenson, "Nous avons trouvé des preuves qu'il existerait un changement dans la structure du fer, suggérant que peut-être deux évènements de refroidissement distincts sont survenus au cours de l'histoire de la Terre."

Comme le dit Stephenson, "C'est très excitant - et cela pourrait signifier que nous devons réécrire les manuels !" et modifier toutes nos illustrations ! Mais pour cela il faudra patienter jusqu'à ce que d'autres chercheurs confirment les résultats de cette étude.

En attendant décrivons les autres structures entourant la graine et remontons ainsi jusqu'en surface.

Le noyau externe

Etant très dense, le noyau représente 30% de la masse de la Terre et la moitié de son diamètre (en volume, on peut comparer la Terre à une pêche). La graine qui est solide est entourée par le noyau externe, une enveloppe de magma fluide d'environ 2275 à 2300 km d'épaisseur. Cette enveloppe est composée d'un alliage de fer en fusion porté entre 3700 et 4700°C et d'éléments plus légers (silicium, soufre, oxygène, nickel, etc). C'est sa lente rotation sous l'effet de la rotation de la Terre et l'effet de la convection qui engendrent un déplacement des électrons à l'origine du champ magnétique terrestre. On y reviendra.

Diagramme de phase du fer dans le manteau et le noyau de la Terre. Documents B.Romanowicz (2011) et Earth Science Stack Exchange (2014).

Des gaz nobles dans le noyau

Les météoritologues et les géophysiciens trouvent dans les météorites des matériaux très intéressants sur l'histoire primordiale du système solaire et de la Terre dont des gaz, des métaux, des nucléides cosmogéniques, les traces de champ magnétique, des cristaux de sels, de l'eau et des molécules organiques (cf. les chondrites carbonées) remontant souvent à plus de 4.5 milliards d'années.

Les sidérites, des météorites métalliques contenant du fer et du nickel, intéressent particulièrement les géophysiciens car ils peuvent les utiliser comme modèles naturels du noyau métallique de la Terre. 

À l'aide d'un spectromètre de masse de gaz rares, Manfred Vogt de l'Université d'Heidelberg et ses collègues ont analysé un échantillon de la sidérite de Washington County découverte dans le Colorado en 1927 (cf. M.Vogt et al., 2021; M.Vogt, 2021). Ils ont découvert que cette météorite contient des gaz rares dont les rapports isotopiques de l'hélium et du néon sont typiques du vent solaire.

Pour rappel, dans les années 1960 les chercheurs pensaient que ces nucléides de gaz nobles avaient une origine cosmique (cf. O.A. Schaffer et D.E. Fisher, 1960). Mais dans les années 1980, des astronomes ont découvert que les rapports isotopiques de ces météorites correspondaient à ceux des isotopes du vent solaire (cf. R.H. Becker et R.O. Pepin, 1982).

Selon Vogt et ses collègues, lors de la formation du système solaire, les particules du vent solaire ont été piégées par les matériaux précurseurs de l'astéroïde parent de la météorite de Washington County. Les gaz rares capturés avec les poussières furent dissous dans le métal liquide à partir duquel le noyau de l'astéroïde s'est formé. Les chercheurs en déduisent que le noyau de la Terre pourrait également contenir de tels gaz rares.

A gauche, la sidérite de Washington County (ung) et ses principaux constituants minéralogiques. Les graphiques présentent les profils de dégazage fractionnaire des isotopes He et Ne mesurés au cours des extractions de chauffage par étapes. On voit la signature des rejets de gaz de schreibersite à ~1100°C et de kamacite-taénite à ~1400°C. Au centre, les modèles schématiques montrant des réservoirs possibles de He et Ne d'origine solaire (en rouge) à l'intérieur de la Terre et les flux sous forme de flèches. A droite, la sidérite de Alvord (type IV A) découverte en 1976 en Iowa qui présente le motif caractéristique de Widmanstätten. Le spécimen pèse 38.5 kg et est exposé au MNH. Document M.Vogt (2021) et D.Goodwin/Flickr.

Une autre observation scientifique soutient cette hypothèse. Les chercheurs mesurent depuis longtemps les isotopes des gaz rares solaires de l'hélium et du néon dans les roche ignées d'îles océaniques de subduction comme Hawaï et la Réunion. Ces roches magmatiques proviennent d'une forme particulière de volcanisme provenant de plumes du manteau s'élevant depuis des milliers de kilomètres de profondeur dans le manteau terrestre. Leur teneur en gaz solaire particulièrement élevée les rend fondamentalement différentes du manteau peu profond représenté par l'activité volcanique des dorsales sous-marines médio-océaniques. Les chercheurs se sont toujours demandés pourquoi des signatures de gaz aussi différentes pouvaient exister dans un manteau à convection lente mais constante.

Leurs découvertes semblent confirmer l'hypothèse que les gaz nobles solaires dans les plumes du manteau proviennent du noyau de la Terre. Cela signifie donc que des particules de vent solaire furent piégées dans le noyau la Terre. Selon Vogt, "Seulement un à deux pour cent d'un métal ayant une composition similaire à celle de la météorite de Washington County dans le noyau de la Terre suffirait à expliquer les différentes signatures de gaz dans le manteau." Le noyau terrestre peut donc jouer un rôle actif jusque-là sous-estimé dans le développement géochimique du manteau terrestre.

La couche E prime ou les eaux profondes de la Terre

Il y a quelques décennies, les sismologues ont identifié à hauteur du noyau externe une fine couche de quelques centaines de kilomètres d'épaisseur. L'origine de cette couche, connue sous le nom de couche E prime (E'), restait mystérieuse jusqu'à présent. Dans un article publié dans la revue "Nature Geoscience" en 2023, Sang-Heon Shim de l'Université d'Arizona et ses collègues ont élucidé ce mystère.

L'eau qui s'écoule à la surface de la Terre peut s'infiltrer profondément dans la planète, modifiant la composition de la région externe du noyau liquide métallique, créant une couche mince et distincte. Les recherches indiquent qu'au fil des milliards d'années, des plaques tectoniques plongeantes ou subductées ont transporté ces eaux de surface dans les profondeurs de la Terre. En atteignant la limite noyau-manteau (CMB), vers 2900 km sous la surface, cette eau déclenche une profonde interaction chimique, modifiant la structure du noyau externe.

Les auteurs ont réalisé des simulations informatiques et des expériences sur des cellules à enclume de diamant chauffées au laser à haute température et haute pression dans le Laboratoire National d'Argonne (ANL) américain et dans le synchrotron PETRA III de DESY installé en Allemagne.

Selon les auteurs, l'eau infiltrée provenant de minéraux hydratés et des alliages Fe-Si réagit chimiquement avec les matériaux du noyau. Cette réaction forme une couche riche en hydrogène (FeHx) et appauvrie en silicium, transformant la couche limite extérieure du noyau externe en une structure semblable à un film. En complément, la réaction chimique forme de la silice (SiO2) qui monte et s'intègre dans le manteau. Cette couche métallique liquide modifiée serait moins dense, avec des vitesses sismiques réduites, conformément aux caractéristiques anormales cartographiées par les sismologues.

Ci-dessus à gauche, illustration de l’intérieur de la Terre révélant une subduction d’eau et un panache de magma ascendant. À l'interface où l'eau subductrice rencontre le noyau, un échange chimique se produit pour former une couche riche en hydrogène dans la partie supérieure du noyau externe et de la silice dense au fond du manteau. A droite, illustration de cristaux de silice émergeant du noyau externe de métal liquide en raison d'une réaction chimique induite par l'eau. Ci-dessous, schéma décrivant les processus chimiques dans le système Fe-Si-OH dans la région à la limite noyau-manteau (CMB). Documents U.Yonsei et S.-H.Shim et al. (2023) adapté par l'auteur.

Selon Shim, "Pendant des années, on a cru que les échanges de matière entre le noyau terrestre et le manteau étaient limités. Pourtant, nos récentes expériences à haute pression révèlent une histoire différente. Nous avons constaté que lorsque l'eau atteint la limite noyau-manteau, elle réagit avec le silicium dans le noyau, formant de la silice. Cette découverte, ainsi que notre observation précédente de diamants formés à partir d'eau réagissant avec le carbone dans du fer liquide sous une pression extrême, indique une interaction noyau-manteau beaucoup plus dynamique, suggérant un échange matériel substantiel."

Cette découverte fait progresser notre compréhension des processus internes de la Terre, suggérant un cycle global de l'eau plus étendu qu'on le pensait auparavant. Le "film" modifié enveloppant le noyau a de profondes implications pour les cycles géochimiques qui relient le cycle des eaux de surface au noyau métallique profond.

Le manteau

Le noyau est recouvert par les manteaux inférieur et supérieur composés d'un mélange de silicate de magnésium et de silicate d'aluminium qui s'étend en moyenne jusqu'à 35 km de la surface. Bien que le manteau soit composé de roches solides, il est légèrement fluide, s'écoulant à raison de quelques millimètres par an, ce qui est suffisant pour générer des courants électriques qui participent également au développement du champ magnétique planétaire. Le manteau inférieur présente une température maximale de 3700°C et subit une pression maximale de 140 GPa.

Toujours sur base de l'équation hydrostatique, à mesure qu'on remonte vers la surface, la pression diminue pour atteindre 1 MPa vers 3000 km de profondeur, 100 kPa vers 300 km et 10 kPa à 30 km de profondeur.

A gauche, simulation des plumes chaudes remontant du manteau inférieur vers la croûte terrestre et à l'origine des points chauds. A droite, illustration des mouvements du magma dans le manteau avec la remontée d'une plume chaude à l'origine des points chauds. Il existe une corrélation entre le mouvement des plaques tectoniques, le flux du manteau et le taux d'inversion du champ géomagnétique. Soulignons que la théorie des "plumes" n'est pas encore prouvée et reste une hypothèse. Voir cet article pour les explications. Documents P.Allen (2011) et extrait de E.Tarbuck et al., "Earth, An Introduction to Physical Geography" (2016) adapté par l'auteur.

On estime que les courants convectifs du manteau mettent au moins 300 millions d'années pour boucler un cycle complet (remonter du noyau externe, atteindre un point chaud et redescendre au fond du manteau). Suite au phénomène de subduction, on pense que des fragments "froids" de plaques lithosphériques sont emportés vers les profondeurs du manteau et pourraient s'accumuler autour du noyau externe, altérant sensiblement la thermodynamique des plumes ascendantes et probablement le taux d'inversion du champ magnétique.

Les LLSVP et les ULVZ

Le manteau terrestre n'est pas complètement uniforme. Au contact du noyau externe composé de fer et de nickel, la structure de la base du manteau composé de roches silicatées est très complexe au point qu'on l'appelle la couche anormale D. Elle serait notamment à l'origine des "points chauds" (cf. L.Czechowski, 1993). Grâce aux sondages effectués par tomographie sismique sous l'océan Pacifique, des géologues ont découvert des cryptovolcans, des cryptocontinents, des sources de panaches chauds et les restes d'anciennes plaques océaniques.

Les "Grandes Provinces à Faible Vitesse de Cisaillement" ou LLSVP (Large Low-Shear-Velocity Provinces) sont deux énormes structures, chacune environ 100 fois plus hautes que l’Everest découvertes à ~2880 km de profondeur, au fond du manteau terrestre. Document E.J. Garnero et al. (2016).

Environ 8% du volume du manteau sont différents du reste et forment deux grandes masses à la limite noyau-manteau (CMB), vers 2880 km de profondeur. Ces deux zones sont appelées les "Grandes Provinces à Faible Vitesse de Cisaillement" ou LLSVP (Large Low-Shear-Velocity Provinces), ainsi nommées parce que les ondes sismiques de cisaillement (ondes S) se déplacent environ 1 ou 2% plus lentement lorsqu'elles les traversent. Ce changement de vitesse lié à leur différence de densité permet de les localiser dans l'espace. Ces deux masses sont gigantesques. L'un se trouve sous le continent africain et l'autre sous l'océan Pacifique. On les surnomme communément les superplumes ou les superpanaches (cf. l'hypothèse des plumes dans le manteau de la Terre).

Les scientifiques connaissent l'existence de ces LLSVP depuis les années 1970. Des modèles ont aidé les scientifiques à les repérer mais jusqu'à présent, ils ne savaient pas quand ni comment ces structures avaient émergé et se sont ensuite retrouvées au fond du manteau. Certains scientifiques ont suggéré que des fragments de la croûte terrestre se sont enfoncés dans le manteau où ils se sont regroupés au fil du temps.

De nouvelles analyses des roches volcaniques ont en partie résolu ce problème. Selon une étude publiée par l'équipe de Curtis D. Williams de l'Université de Californie à Davis dans la revue "Geochemistry, Geophysics, Geosystems" en 2019 (et résumée sur le blog de l'AGU), les LLSVP pourraient s'être formées lorsque l'océan de magma primordial se solidifia à l'époque où la Terre était encore une protoplanète. Selon les chercheurs, ces "continents" souterrains seraient aussi vieux que la Terre et ont probablement survécu à l'impact qui donna naissance à la Lune.

Pour parvenir à cette conclusion, Williams et ses collègues ont compilé des données sur des échantillons géologiques provenant d'Hawaï, d'Islande, des îles Balleny en Antarctique et d'autres régions où du magma provenant du noyau est remonté jusqu'en surface et s'est solidifié. Ces échantillons contiennent des isotopes d'hélium-3, un élément qui fut créé quelque 3 minutes après le Big Bang il y a plus de 13.7 milliards d'années. Les chercheurs ont ensuite tenté de retracer le parcours de ces roches vers la surface.

Dans le passé, de nombreux modèles géologiques supposaient que les plumes du manteau profond ou des piles thermochimiques - remontaient à la surface en lignes droites. Mais on sait aujourd'hui que ces plumes sont déviées, ricochent et changent de direction en remontant vers la croûte terrestre. Par conséquent, les chercheurs ont développé un nouveau modèle qui a révélé ces déviations des plumes du manteau profond, permettant ainsi de retracer certains échantillons jusqu'aux blocs formant les LLSVP. À partir de ces simulations, Williams et son équipe pensent pouvoir déduire la nature des matériaux dont sont composés ces énormes blocs et à quel moment ils se sont formés.

Si les chercheurs déterminent la composition de ces masses rocheuses, ils pourront mieux modéliser les processus primordiaux qui ont façonné la Terre et conduit au manteau moderne.

A gauche, cartographie des zones de cisaillement LLSVP à la limite noyau-manteau (CMB), vers 2880 km de profondeur basé sur le modèle de tomographie S40RTS (Ritsema et al., 2011). Les isovitesses varient entre -2 et 2% δVs avec des incréments de 0.5% δVs. Au centre, localisation des LLSVP selon le modèle S40RTS et des ULVZ. A droite, cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF. de 4 MB) montrant l'emplacement des LLSVP basée sur la tomographie sismique (la mesure des temps de parcours des ondes sismiques). Documents EGU Blogs, S.Yu et al. (2018) et S.Cottaar et V.Lekic (2016).

Certains chercheurs pensent que les LLSVP ralentissent les ondes de cisaillement parce qu'elles sont plus chaudes que le reste du manteau. D'autres pensent qu'elles sont plus denses et différentes non seulement par leur température mais également par leur composition (cf. W.Wang et al., 2021; Z.Li et al., 2022) ou qu'il pourrait s'agir des vestiges d'une couche primordiale (cf. E.J. Garnero et al., 2016). En fait, les deux hypothèses sont possibles.

Les LLSVP et les ULVZ seraient-elles les restes de Théia, l'astre qui aurait percuté la proto-Terre et forma la Lune ? Plusieurs équipes de chercheurs ont étudié directement ou indirectement cette possiblité, les unes en étudiant les LLSVP, les autres en étudiant les ULVZ.

Lors d'une conférence virtuelle qui s'est tenue au LPI du 15 au 19 mars 2021, le géophysicien Qian Yuan de l'Université d'Arizona et ses collègues ont suggéré qu'une partie de Théia se serait enfoncée dans le manteau. Sur la base des modèles du manteau de Théia et de la teneur plus élevée en oxyde de fer de la Lune (10% en masse contre 8% pour la Terre), Yuan et ses collègues ont constaté que les LLSVP sont 2.0 à 3.5% plus denses que le manteau de la proto-Terre. Les résultats de leurs simulations indiquent que les débris de Théia représenteraient au moins 0.026 masse terrestre. La taille des deux LLSVP représentait 80 à 90% de la taille du manteau de Mars. En ajoutant la Lune, ils ont obtenu pratiquement les 100%, confirmant que leur hypothèse était plausible (cf. Q.Yuan et al., 2021). Leur étude a fait l'objet d'un article publié dans la revue "Nature" en 2023.

A gauche, schéma de la collision de Théia avec la proto-Terre et la descente des débris jusqu'au fond du manteau où ils ont formé les LLVP. A droite, simulation de la formation de piles thermochimiques de type LLSVP à partir des débris de Théia. En a) le champ de composition initial à partir d'une profondeur de 1400 km jusqu'à la CMB sous forme de sphères distribuées de manière aléatoire. En b), le champ de température du modèle il y a 4.5 Ga. En c), le champ de composition il y a 4.5 Ga montrant la formation des LLVP. En d), les perturbations de la vitesse de cisaillement sismique (en fixant le gradient de température à 0.35 K/km). Documents Q.Yuan et al. (2023).

Dans une autre étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2021, Surya Pachhaie de l'Université Nationale Australienne et ses collègues ont étudié les "ULVZ" (Ultra Low-Velocity Zones), des zones d'environ 30 km de hauteur et d'une centaine de kilomètres de large situées sur la CMB dans lesquelles les ondes sismiques se propagent jusqu'à deux fois plus lentement qu'aux alentours.

Découvertes dans les années 1990 (cf. Q.Williams et al., 1996; Q.Williams et al., 1998; A.K. McNamara et al., 2010), comme illustré ci-dessus au centre, on a détecté des ULVZ au nord de l'Ecosse, au large du Japon, sous le Canada, sous l'Indonésie, au milieu du Pacifique et au nord de la Nouvelle Zélande parmi d'autres lieux. Jusqu'à présent on ignorait leur nature et leur origine.

En analysant une région à forte activité sismique située sous la Mer de Corail, entre l'Australie et le nord de la Nouvelle Zélande, les chercheurs ont découvert que ces ULVZ ont une forme triangulaire. Ils ont également déterminé leur composition et leur densité. Selon leurs modèles, ces ULVZ seraient probablement stratifiées, un phénomène survenu après la différenciation du noyau. Selon Pachhai, "la découverte principale et la plus surprenante est que les zones à ultra-faible vitesse ne sont pas homogènes mais contiennent de fortes hétérogénéités (variations structurelles et compositionnelles)." Cette découverte est un indice permettant de comprendre comment ces zones se sont formées.

A gauche, schéma des réflexions des ondes sismiques dans le manteau et sur les ULVZ. Au centre, localisation de l'ULVZ située sur la limite noyau-manteau à la base de la plume hawaïenne (la hauteur n'est pas à l'échelle). A droite, un agrandissement de l'ULVZ modélisée, montrant des signaux supplémentaires appelés des ondes postcurseurs piégées faisant écho à la structure (notez que les ondes analysées ont un déplacement horizontal). Documents J.Jenkins et al. (2021) et Z.Li et al. (2022) adaptés par l'auteur.

Grâce à une nouvelle technique d'imagerie, Zhei Li de l'Université de Cambridge et ses collègues ont analysé l'ULVZ de 900 km de longueur découverte à 3000 km de profondeur, sous la plume de l'archipel d'Hawaï, illustrée ci-dessus à droite. Les chercheurs estiment que le fer supplémentaire qui s'est amassé dans ces zones inhabituelles pourrait créer la densité supplémentaire qui apparaît sur les modèles d'ondes sismiques (cf. Z.Li et al., 2022).

Li et ses collègues concluent que cette "ULVZ est chimiquement distincte avec une teneur en fer croissante vers la limite noyau-manteau, ce qui a des implications pour l'histoire primordiale de l'évolution de la Terre et l'interaction noyau-manteau." Selon Li, "Il est possible que ce matériau riche en fer soit un vestige d'anciennes roches des débuts de l'histoire de la Terre ou même que du fer s'échappe du noyau par un moyen inconnu."

Notons qu'une ULVZ similaire fut découverte en 2020 sous les îles Marquises grâce à un algorithme d'apprentissage automatique (cf. D.Kim et al., 2020).

En analysant des données sismiques sous la Mer de Corail et aidé par la modélisation géodynamique à haute résolution, les chercheurs ont découvert que les ULVZ situées à la limite noyau-manteau (CMB) seraient stratifiées. Il s'agit vraisemblablement des résidus d'un astre (Théia) qui percuta la Terre il y a plus de 4 milliards d'années. Documents S.Pachhai et al. (2021) adaptés par l'auteur.

De nombreux géophysiciens estiment qu'il y a plus de 4 milliards d'années, à une époque où le noyau de la proto-Terre se formait et que des minéraux plus légers flottaient dans le manteau, la collision entre Théia et la proto-Terre éjecta une partie de la matière dans l'espace qui forma la Lune tandis que le reste forma un océan de magma constitué de roches, de gaz dissous et de cristaux en suspension. En se refroidissant, cet océan de magma se serait organisé, les matériaux denses s'enfonçant et s'accumulant en couches sur la CMB. Au cours des milliards d'années qui suivirent, alors que le manteau s'agitait de mouvements convectifs, ces couches superposées plus denses auraient formé les petites structures stratifiées des ULVZ et peut-être égalementr les LLSVP.

Un manteau électrifié par des minéraux superioniques

En 2018, des chercheurs ont prouvé expérimentalement l'existence de la glace d'eau superionique. C'est une phase exotique qui n'apparaît qu'à très hautes température et pression dans laquelle l'hydrogène se libère de sa liaison avec l'oxygène, devient un proton mobile et donc conducteur d'électricité. On retrouve cette phase notamment dans le manteau de Jupiter et de Saturne et pourrait expliquer le puissant champ magnétique de ces deux planètes géantes. On y reviendra (cf. Jupiter).

Sachant que l'intérieur de la Terre est également soumis à des conditions de pression et de température extrêmes, pourrait-on y trouver une phase d'eau superionique ?

Malgré son abondance en surface, il existe peu d'eau autonome à l'intérieur de la Terre. La forme d'eau la plus courante est l'hydroxyle (OH) qui est associé à des métaux pour former des minéraux hydratés. C'est par exemple le cas des serpentines comme l'antigorite, la lizardite et la chrysotile provenant de l'hydratation des minéraux du manteau.

Le manteau terrestre pourrait être électrifié par des minéraux hydratés superioniques. Document Qingyagn Hu.

Dans un article publié dans la revue "Nature Geoscience" en 2021, Mingqiang Hou du département des Sciences de la Terre et Planétaires de l'Université du Nouveau Mexique et ses collègues du centre HAPSTAR (Center for High Pressure Science and Technology Advanced Research) ont annoncé avoir découvert qu'un de ces minéraux hydratés entre également dans une phase superionique exotique, similaire à l'hydrogène métallique des planètes géantes.

Selon Yu He, coauteur de cette étude et qui réalisa la simulation informatique, "Dans l'eau superionique, l'hydrogène est libéré de l'oxygène, devient liquide et se déplace librement dans le réseau d'oxygène solide. De même, nous avons étudié un oxyde-hydroxyde de fer minéral hydraté (FeOOH) dans lequel les atomes d'hydrogène se déplacent librement dans le réseau d'oxygène solide de FeO22."

Guidée par leurs calculs théoriques, l'équipe tenta de vérifier cette phase superionique prédite dans le FeOOH chaud en réalisant des expériences à haute température et haute pression en utilisant une technique de chauffage au laser et une presse à enclume en diamant ou cellule à enclume en diamant (diamond-anvil cell ou DAC), la même technique qui permet par exemple de créer des pallasites. Ces diamants résistent aux expériences car ils furent forgés dans les mêmes conditions dans les entrailles de la Terre (entre 140 et 190 km de profondeur, sous des pressions comprises entre 4.5 et 6 GPa et des température comprises entre 1100 et 1400°C. Au-delà, entre 600 et 1100 GPa, le carbone change d'état et devient liquide et à plus de 1700°C il se transforme en graphite).

Selon Hu, "Il est techniquement difficile de reconnaître expérimentalement le mouvement des atomes d'hydrogène; cependant, l'évolution de la liaison O-H est sensible à la spectroscopie Raman. Ainsi, nous avons suivi l'évolution de la liaison O-H et capturé cet état exotique sous sa forme ordinaire."

Les chercheurs ont constaté que la liaison O-H s'affaiblit brusquement au-dessus de 7.4 GPa (73000 fois la pression atmosphérique normale qui est de 1013 hPa en bordure de mer) d'environ 55% par rapport au pic d'intensité Raman de l'OH, produisant un ramolissement de la molécule. Ces résultats indiquent que certains ions H+ peuvent être délocalisés de l'oxygène et devenir mobiles, affaiblissant ainsi la liaison O-H, conformément aux simulations. Ce ramolissement et cet affaiblissement de la liaison O-H dans des conditions de haute pression et de température ambiante est considéré par les chercheurs comme un précurseur de l'état superionique.

Dans les matériaux superioniques, on observe un changement de conductivité électrique. L'équipe a donc mesuré l'évolution de la conductivité de l'échantillon de FeOOH dans des conditions de température et de pression élevées. Ils ont effectivement observé une augmentation brutale de la conductivité électrique autour de 1500-1700°C et 12 GPa, indiquant que l'hydrogène avait diffusé et couvert tout l'échantillon solide et était donc entré dans un état superionique.

Le FeOOH n'est que le premier exemple de molécule ayant une phase superionique dans le manteau inférieur profond. Il est très probable que d'autres oxydes métalliques contenant de l'hydrogène et stables dans les phases hydratées denses, puissent également présenter un comportement superionique.

Selon Duck Young Kim, coauteur de cette étude, "Ce phénomène se développe dans la phase superionique au-dessus d'environ 1700°C et 81 GPa (800000 fois la pression atmosphérique normale). Ces conditions de pression et de température garantissent qu'une grande partie du manteau inférieur de la Terre peut accueillir le minéral hydraté superionique. Ces régions profondes peuvent contenir des rivières constituées de protons, qui s'écoulent à travers les solides." Autrement dit, le manteau profond serait électrifié par des minéraux superioniques.

Des montagnes et des vallées dans la zone de transition

Suite au séisme majeur de magnitude 8.2 qui s'est produit en Bolivie le 9 juin 1994, le géophysicien Wenbo Wu de l'Académie des Sciences de Chine et ses collègues de l'Université de Princeton ont découvert que l'intérieur de la Terre n'a pas une structure en oignon faite d'une succession de couches lisses concentriques mais présente des couches de transitions vallonées.

Illustration des "rugosités", des montagnes et des vallées d'au moins 3 km d'altitude (très amplifiées sur ce dessin), découvertes dans la zone de transition du manteau vers 660 km de profondeur. Doc Kyle McKernan/U.Princeton/T.Lombry.

Comme les chercheurs l'ont expliqué dans la revue "Science" en 2019, en voulant étudier la rigidité du noyau de la Terre, Wu et ses collègues ont découvert que les données sismiques révélaient l'existence de montagnes et d'autres topographies à la base de la zone de transition, une couche située à 660 km de profondeur séparant les manteaux supérieur et inférieur comme l'illustre le dessin présenté ci-dessous à droite.

Les chercheurs sont arrivés à cette conclusion après avoir injecté les données très complexes à interpréter dans le puissant superordinateur Tiger (2.6 PFLOPS pic) du HPCRC de l'Université de Princeton de manière à obtenir une simulation du comportement des ondes dans les profondeurs de la Terre.

Leur modèle statistique n'a pas permis de déterminer la hauteur de ces "rugosités" avec précision. Ces montagnes (et ses vallées) font au moins 3 km de hauteur, elles s'étendent sur plus de 400 km de longueur et sont vraisemblalement présentes dans toute la zone de transition comme des vagues recouvrant uniformément une couche visqueuse. Il est très possible que ces montagnes soient plus grandes que celles existantes à la surface de la Terre. Mais leur rugosité n'est pas également répartie. Selon les chercheurs, les couches profondes de la Terre sont aussi complexes que ce que nous observons en surface. Comme la croûte terrestre présente des fonds marins lisses et des montagnes gigantesques, la limite des 660 km présente des zones rugueuses et des zones lisses. Les chercheurs ont également examiné une couche située à 410 km de profondeur, au sommet de la zone de transition, sans y trouver de rugosité similaire.

La présence de rugosités à 660 km de profondeur a des implications importantes pour comprendre comment notre planète s'est formée et continue d'évoluer. Le manteau représente environ 84% du volume de la Terre et 75% de sa masse. Pendant des années, les géophysiciens ont débattu de l’importance et des effets de cette zone de transition. En particulier, ils ont étudié la façon dont la chaleur se propage à travers le manteau (si les roches chaudes sont transportées de manière fluide ou non depuis la limite noyau-manteau jusqu'au sommet du manteau ou si ce transfert est interrompu dans la zone de transition). Certaines preuves géochimiques et minéralogiques suggèrent que les manteaux supérieur et inférieur sont chimiquement différents, ce qui conforte l’idée que les deux couches ne se mélangent pas thermiquement ni physiquement. D'autres observations ne suggèrent aucune différence chimique entre les manteaux supérieur et inférieur, conduisant certains chercheurs à plaider en faveur de ce qu'on appelle un "manteau bien mélangé", les manteaux supérieur et inférieur participant tous deux au même cycle de transfert de chaleur. Des études complémentaires sont donc encore nécessaires pour répondre à ces questions toujours ouvertes.

Cette découverte suggère également qu'à mesure que les instruments sismiques s'améliorent et qu'on explore de nouvelles zones, les chercheurs continueront à détecter de nouveaux signaux à petite échelle qui révèleront de nouvelles propriétés des couches internes de la Terre.

La ringwoodite

En 1879, une grande météorite tomba à Tenham, dans le Queensland, en Australie, éparpillant de nombreux fragments sur plusieurs kilomètres. Cette météorite est une chondrite ordinaire de type L6 offrant la particularité de contenir de la ringwoodite (nom donné en hommage au géologue Ted Ringwood qui étudia les phases polymorphiques de l'olivine et du pyroxène).

Localisation de la ringwoodite vers 660 km de profondeur. Document T.Lombry.

La ringwoodite est une roche de couleur bleue. C'est une forme polymorphe stable de l'olivine qui se forme dans des conditions de hautes températures et de pressions similaires à celles existant dans le manteau supérieur, dans la zone de transition, entre 525 et 660 km de profondeur. Cette roche peut être fabriquée en laboratoire.

Par un heureux hasard, en 2014 des géologues découvrirent au Brésil un diamant de 0.09 g contenant une inclusion de 40 microns de ringwoodite, le premier spécimen d'origine terrestre.

En analysant les ondes sismiques P se propageant dans le manteau, les scientifiques ont découvert vers 660-700 km de profondeur l'existence d'une couche de ringwoodite saturée d'eau au point qu'elle contiendrait l'équivalent de 3 fois la quantité d'eau contenue dans les océans ! Vu sa localisation, la pression et la température, l'eau n'est pas sous forme liquide ou de gaz mais combinée aux molécules minérales.

On suppose que cette eau migra à cette profondeur à l'époque où la Terre accréta des planétésimaux riches en gaz et fit l'objet d'un intense bombardement par des météorites et des comètes riches en eau. Cela remonte à plus de 4 milliards d'années.

Les géophysiciens (cf. Chen Cai et al., 2019) ont également découvert que l'eau des océans disparaît dans les entrailles de la Terre dans les zones de subduction en quantité apparemment 3 fois plus importante que la quantité d'eau rejetée en surface. Cette eau se retrouve prisonnière des roches situées entre 400 et 660 km de profondeur et en particulier dans la ringwoodite.

On reviendra sur cette roche à propos du cycle de l'eau.

Une nouvelle couche partiellement en fusion sous la croûte terrestre

C'est au-dessus du manteau supérieur de la Terre illustré sur ce dessin que des chercheurs ont découvert une nouvelle couche partiellement en fusion. Document Leonello Calvetti/Dreamstime.

En 1959, dans son livre "Physics of the Earth's Interior" le géologue allemand Beno Gutenberg (1889-1960) proposa l'existence à faibles profondeurs de LVZ (Low-Velocity Zones) qui sont en fait des plaques en fusion. Des études plus récentes ont confirmé leur présence (cf. par exemple J.Chantel et al., 2016).

Dans un article publié dans la revue "Nature Geoscience" en 2023, le postdoctorant Junlin Hua de la Jackson School de Géoscience de l'Université du Texas à Austin et ses collègues ont montré pour la première fois l'étendue globale de cette couche et son rôle dans la tectonique des plaques. Ils ont découvert une nouvelle couche de roche partiellement en fusion sous la croûte terrestre qui pourrait aider à résoudre le débat sur la façon dont les plaques tectoniques se déplacent.

La couche en fusion est située à environ 150 km sous la surface et fait partie de l'asthénosphère qui se trouve sous les plaques tectoniques, dans le manteau supérieur. L'asthénosphère est importante pour la tectonique des plaques car elle forme une frontière relativement douce qui permet aux plaques tectoniques de se déplacer à travers le manteau.

Les raisons pour lesquelles elle est douce ou peu visqueuse restent un mystère. Les scientifiques pensaient auparavant que les roches en fusion pourraient être un facteur déterminant. Mais cette étude montre que le fait qu'elle soit partiellement en fusion, ne semble pas influencer notablement l'écoulement des roches du manteau.

Selon Hua, "Lorsque nous pensons à quelque chose en fusion, nous pensons intuitivement que la masse fondue doit jouer un rôle important dans la viscosité du matériau. Mais ce que nous avons découvert, c'est que même aux endroits où la fraction en fusion est assez élevée, son effet sur l'écoulement du manteau est très faible."

La convection engendrée par la chaleur et le type de roche dans le manteau sont les principaux facteurs influençant le mouvement des plaques. Bien que l'intérieur de la Terre soit en grande partie solide, sur de longues périodes, les roches peuvent se déplacer et couler comme du miel.

En montrant que la couche en fusion n'a aucune influence sur la tectonique des plaques supprime une variable délicate dans les modèles informatiques de la Terre. Selon Thorsten Becker, professeur à la Jackson School et coauteur de cet article, "Nous ne pouvons pas exclure que la fusion locale n'a pas d'importance. Mais je pense que cela nous pousse à voir ces observations de fusion comme un marqueur de ce qui se passe dans la Terre, et pas nécessairement une contribution active à quoi que ce soit."

L'idée de rechercher une nouvelle couche à l'intérieur de la Terre est venue à Hua alors qu'il étudiait des images sismiques du manteau sous la Turquie au cours de ses recherches doctorales.

Coupe transversale de l'asthénosphère de la Terre. Elle se situe juste au-dessus du manteau supérieur (en jaune) et facilite la tectonique des plaques. C'est dans cette zone que des chercheurs de l'Université du Texas ont détecté une couche partiellement en fusion (LVZ en rouge moucheté) qu'on retrouve sur près de la moitié de la Terre. Document J.Hua et al. (2023).

Intrigué par des signes révélant des roches partiellement fondues sous la croûte, Hua compila des images similaires d'autres stations sismiques jusqu'à ce qu'il ait une carte globale de l'asthénosphère. Avec ses collègues, il observa que cette "anomalie" était en fait courante à travers le monde, apparaissant sur les relevés sismiques partout où l'asthénosphère était plus chaude.

La surprise suivante est apparue lorsque Hua compara sa carte des régions en fusion avec des mesures sismiques du mouvement tectonique et n'a trouvé aucune corrélation, malgré le fait que la couche en fusion englobe près de la moitié de la Terre.

Selon Karen Fischer, sismologue et professeur à l'Université Brown et coautrice de cet article, "Ce travail est important car comprendre les propriétés de l'asthénosphère et les origines de sa faiblesse est fondamental pour comprendre la tectonique des plaques."

La lithosphère

La lithosphère est la couche supérieure et solide de la Terre située au-dessus de l'asthénosphère. Elle comprend deux parties : le manteau cratonique (ou lithosphérique) qui plonge localement jusqu'à 200 km de profondeur jusqu'au manteau supérieur et la croûte terrestre en surface.

Coupe transversale de l'intérieur de la Terre. Document MIT OpenCourseWare adapté par l'auteur.

La croûte continentale sur laquelle se forment les continents présente une épaisseur moyenne de 30 km mais atteint 79.5 km sous les Andes et au Tibet, tandis que la croûte océanique est en moyenne épaisse de 5 à 7 km, le minimum étant observé en certains endroits des failles sous-marines ou des fosses abyssales.

La lithosphère présente une densité de 2.9 contre 3.4 pour le manteau et flotte pour ainsi dire sur le manteau supérieur, les continents dérivant au gré des mouvements des plaques tectoniques.

La croûte se compose d'une succession de strates : une couche superficielle de sédiments, une couche intermédiaire continentale granitique appelée "sial" (silicium-aluminium) et une couche basaltique mêlée de Gabbro (roche plutonique magmatique) qui forme le plancher des océans. Elle contient pour les trois quarts du silicium et de l'oxygène, ce sont des silicates. Mais ce modèle est une simplification car la croûte terrestre est en réalité hétérogène, la croûte océanique étant d'une composition différente de la croûte continentale.

La croûte continentale est pratiquement composée des mêmes éléments que les météorites carbonées. Ainsi à quelques pourcents près, comme sur Terre, on retrouve dans ces météorites les mêmes éléments O, Al, Si, Na, Mg, Ca et Fe parmi d'autres moins abondants. On en déduit que ces roches proviennent d'un astre parent qui s'est formé de la même manière que la Terre et donc que les planètes telluriques reposent apparemment sur le même modèle. Nous reviendrons sur le sujet et celui de l'abondance des éléments chimiques dans l'article consacré à la formation du système solaire et des planètes telluriques à partir des grains de poussière.

Nous verrons plus loin à propos du champ magnétique que l'hypothèse selon laquelle il existe une corrélation entre le mouvement des plaques tectoniques, le flux du manteau et le taux d'inversion du champ géomagnétique est aujourd'hui confirmée, résolvant une question en suspens depuis des décennies.

Températures

A partir d'un peu plus de 1 mètre de profondeur, les variations de températures journalières ne se font plus sentir et à partir de 20 à 30 m de profondeur selon les sols, les variations annuelles n'ont plus aucun effet. A mesure que l'on s'enfonce sous terre, la température augmente d'environ 3° tous les 100 m pour atteindre environ 3700°C à la surface du noyau et 5500°C au centre de la Terre.

Cette température est essentiellement entretenue par la radioactivité naturelle des roches à laquelle s'ajoute une petite contribution liée aux échanges thermiques avec le magma. C'est ensuite l'effet mécanique de la pression qui augmente la température et transforme finalement la matière visqueuse en réseau cristallin dans la graine.

Le noyau est le siège de mouvements convectifs qui peuvent être d'origine thermique suite à la température plus importante qui règne à la limite noyau interne-noyau externe (ICB) qu'à la limite noyau externe-manteau (CMB). La cristallisation de la graine libère également de l'énergie d'enthalpie de solidification (ou chaleur latente de solidification) qui réchauffe le fluide alentour et alimente la convection jusqu'aux couches supérieures du manteau, où l'activité volcanique trouve son origine.

Le noyau externe fluide étant conducteur, ses mouvements différenciés engendrent le champ magnétique terrestre par un phénomène de dynamo auto-excitée sur lequel nous reviendrons.

L'IceCube et l'absorption des neutrinos

On a longtemps cru que les neutrinos émis par le Soleil et les autres étoiles (cf. SN 1987A) étaient capables de traverser la Terre entière sans pratiquement interagir avec la matière. En effet, ces particules élémentaires élusives sont neutres, sans charge électrique, et de ce fait elles sont capables de traverser des milliers de kilomètres de roche ou de magma sans être absorbées ou se lier.

L'observatoire de neutrinos IceCube installé près de la base Amundsen-Scott au pôle Sud. Document Felipe Pedreros, IceCube/NSF.

Les théories de la physique des particules prédisent toutefois qu'à partir de certains niveaux d'énergie (au moins 106 GeV), les neutrinos sont absorbés par la matière et peuvent même interagir avec les atomes d'hydrogène ou d'oxygène contenus dans la glace d'eau. Mais jusqu'à présent personne n'avait observé concrètement ce phénomène.

Grâce à l'observatoire de neutrinos IceCube géré par l'Université du Wisconsin à Madison et partagé avec le CERN installé près de la base Amundsen-Scott au pôle Sud, en Antarctique, en 2017 les chercheurs ont découvert que les neutrinos ne pouvaient pas traverser le globe terrestre de part en part car ils étaient absorbés par la matière, et ce d'autant plus s'ils sont très énergétiques comme le montre le schéma présenté ci-dessous à gauche (cf. Collaboration IceCube, 2017).

Sur ce diagramme, on constate qu'en partant du pôle Nord, c'est-à-dire aux antipodes (180°) de l'IceCube, en traversant la Terre par le noyau, après avoir parcouru une distance de 12750 km à travers la roche et le magma, les neutrinos de plus de 1 million de GeV sont pratiquement tous absorbés (zone bleue) alors que sous un angle de 120° environ 35% des neutrinos (zone turquoise) traversent la Terre (via le manteau) et sont détectés.

Bonne nouvelle, la probabilité d'interaction des neutrinos avec la matière, ce qu'on appelle leur "section efficace" est conforme aux prédictions du modèle Standard des particules au détriment des théories exotiques.

Cette découverte est également intéressante sur le plan instrumental de la recherche appliquée car, de manière similaire à la muographie utilisée pour sonder l'intérieur des pyramides, le fait que les neutrinos soient perturbés par la matière entrevoie la possibilité de les utiliser pour étudier la structure interne de la Terre et notamment pour cartographier les interfaces entre la lithosphère, le manteau et le noyau. Ceci dit, il reste des questions ouvertes.

A gauche, coupe transversale (cross-section) de la Terre et distribution des neutrinos traversant le globe. Voir le texte pour les explications. A droite, schéma de l'observatoire de neutrinos IceCube installé près de la base polaire d'Amundsen-Scott au pôle Sud. Les détecteurs sont installés dans la glace à plus de 2000 m de profondeur. Les chercheurs de l'IceCube utilisent principalement cette installation pour étudier les sources de neutrinos du ciel profond (supernovae, quasars, etc). Documents Collaboration IceCube.

Parmi les questions ouvertes, signalons qu'en 2016 grâce à l'instrument radio ANITA, les physiciens de la Collaboration IceCube détectèrent des évènements neutrinos de haute énergie qui ne s'expliquent pas (encore) dans le cadre du modèle Standard des particules. On y reviendra en physique quantique.

Enfin, en 2017 le VirginiaTech de l'Institut polytechnique de l'Université d'État de Virginie mit au point le premier détecteur mobile de neutrinos dénommé "MiniCHANDLER". Mais jusqu'à présent il est dédié à la détection des neutrinos dans le cadre de l'usage illicite d'armes nucléaires.

Prochain chapitre

Structure tectonique

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