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L'accident de Tchernobyl réinterprété par la Pravda

Analyses et commentaires (II)

Suite à mes requêtes, quelque 20 scientifiques et membres d'administrations m'ont répondu positivement en l'espace de quelques jours, ce qui est très rapide, quelques autres m'ayant répondu en fonction de leur disponibilité.

Une difficulté à laquelle je ne m'attendais pas fut de retrouver des archives remontant à 1986 dans tous les domaines concernés. Parfois il n'existe aucun enregistrement ou il n'ont été collecté que durant un ou deux jours au mois d'avril 1986 et évidemment, Loi de Murphy oblige, jamais les jours où vous en avez besoin !

Généralement, les données étaient disponibles en ligne sur des serveurs américains. D'autres ont nécessité des demandes particulières auprès des instituts scientifiques. Le restant bien souvent n'existait pas et il a fallu procéder à des extrapolations ou tout simplement ne pas se prononcer sur la question.

Restait ensuite à analyser ces données. Cela prit parfois plusieurs heures par critère, le temps de confirmer l'interprétation avec d'autres données.

Concernant l'article de la Pravda, un seul géophysicien qui m'a pourtant beaucoup aidé a préféré ne pas se prononcer sur le fond, jugeant qu'il ne pouvait ni confirmer ni infirmer les faits évoqués sans disposer de données. Toutefois ses collègues ainsi que la totalité des autres scientifiques qui ont répondu à ma demande confirment qu'il s'agit bien d'un article peu objectif voire farfelu. 

Leurs réactions à la lecture de l'article de la Pravda est parfois assez sanguine : "comment peut-on écrire des c... pareilles", "on nage en plein délire pataphysique", "je reste muet devant autant d'aberrations", etc ! Les adjectifs ne manquent pas non plus pour le qualifier : fumisterie, foutaise, des c..., etc ! Leurs arguments sont en revanche convaincants et quasiment tous les scientifiques contactés ont pris soit la peine de détailler leur explication soit de joindre des données ou d'autres adresses de contact.

Aucun des scientifiques contactés ni aucune donnée n'a pu confirmer l'existence formelle des liens évoqués par V.Vasiliev ou V.I.Starostenko, ni les fractures concentriques, ni l'existence de perturbations inhabituelles au-dessus de la région de Tchernobyl en avril 1986. Quant au tremblement de terre précédent l'événement, il n'a été enregistré que par trois stations du réseau CSE ukrainien proche de Tchernobyl.

Plusieurs arguments peuvent donc a priori déjà être avancés pour contredire la théorie évoquée par Vasiliev et Starostenko, parfois de manière inattendue. Mais ce ne serait pas faire un devoir d'enquête scientifique que de procéder ainsi.

En fait, toute l'hypothèse de Vasiliev tourne essentiellement autour de deux idées : l'influence météorologique ou magnétosphérique et les soi-disant particularités géologiques du sous-sol de la région de Tchernobyl. Ce sont ces soi-disant influences que nous allons examiner.

Voyons tout d'abord l'identité de l'auteur qui peut directement nous renseigner sur la qualité de l'article. Nous verrons ensuite les hypothèses astronomiques et météorologiques et l'effet éventuel du rayonnement issu de l'environnement spatial. Nous enquêterons finalement sur les facteurs géophysiques et sociaux. Je vous rappelle que cette fois nous faisons de la science !

Identité de l'auteur

Il y a tout d'abord la question de l'identité de l'auteur à la source de cette soi-disant information. A l'heure de l'informatique et du village global, la manière la plus rapide pour trouver une trace de Valery Vasiliev est de questionner Internet (via Google par exemple) puisqu'il s'identifiait sous son propre nom.

Il existe de nombreux homonymes, y compris en Russie dont un professeur, un Lieutenant Général et un sportif. Celui dont on parle est uniquement cité par la Pravda. Il peut exister d'autres traces, mais il faut d'abord que les bases indexées du moteur de recherche de Google soient mises à jour. Cet outil ne m'était donc pas très utile pour l'instant.

Le siège de l'AIEA à Vienne.

Par coïncidence, l'AIEA cite un Vladimir I. Vasiliev à l'Institut Kurchatov de Moscou qui a travaillé sur les effets des rayonnements ionisants. Mais il s'agit encore d'une autre personne.

Restait à contacter l'AIAE que cite l'article de la Pravda. La division du personnel m'a confirmé qu'ils ont une trace d'un Mr. Valeri Vasilyev. Etant donné que les orthographes russes sont toujours modifiées à l'étranger, u et y devenant respectivement ou et i par exemple, il pouvait s'agir de notre auteur.

Et de fait, la responsable de la Division Information Publique m'a confirmé que "Valeri Vasilyev" a travaillé à l'AIEA comme précisé dans l'article, du 7 février 1984 au 6 février 1988 sous contrat nominatif. Il fut employé comme Chimiste des rayonnements (Radiation Chemist) dans le département des Sciences Nucléaires et des Applications, Division des Sciences Physique et Chimique, section Applications Industrielles et Chimiques.

Pour des raisons de confidentialité, l'AIEA n'a pas souhaité répondre à mes questions plus personnelles mais elle a accepté d'enquêter en mon nom auprès de leurs collègues russes pour savoir si Vasiliev était citoyen de Russie à l'époque, son âge, sa fonction, etc. Ces informations personnelles ne m'ont pas été confirmées.

Ceci nous permet toutefois de confirmer le statut de chercheur de l'auteur et ses compétences dans la chimie des rayonnements et en particulier dans les applications industrielles. Ce n'est pas un amateur, ni un journaliste ni un romancier, quoique aucun de ces titres ne puisse être associé à un manque de compétence a priori; il existe des autodidactes qui connaissent leur sujet aussi bien que les professionnels. Si cela ne nous informe pas sur le fond de l'article, cela ajoute un degré de crédibilité aux propos de V.Vasiliev. Reste à déterminer quel degré de crédibilité. Nous savons déjà qu'il est chimiste de formation et nullement astrophysicien, géophysicien, météorologiste ou statisticien. Sans mettre en doute ses compétences, cela nous force malgré tout à enquêter sur les phénomènes qu'il cite et déterminer leur vraisemblance.

Pour recouper mes informations, j'ai contacté Vitaly Starostenko à l'Institut Ukrainien de Géophysique. Il confirme ne pas avoir lu l'article de la Pravda mais fut en contact préalablement avec Vasiliev. Il considère que "son hypothèse est seulement intéressante". Il me dit en suspens qu'il allait étudier l'article et me tenir au courant de ses conclusions.

Les instituts de recherche

Outre l'AIEA, Vasiliev cite deux instituts scientifiques dans son article : l'Institut de Météorologie dépendant de l'Académie des Sciences d'Ukraine et l'Institut de Recherche de Kharkov de Radio Ingénierie et d'Equipement d'Automation.

Question : ces instituts de recherche existent-ils ? Selon Victor Rozumenko, professeur-assistant à l'Ecole de Radio Physique de l'Université Nationale de Karkov V.Karazin, située à Kharkov, l'Institut de Recherche Kharkov cité par Vasiliev n'existe pas.

Du moins sous ce nom là, car on ignore comment ce nom a été traduit du russe ou de l'ukrainien en anglais. L'institut peut encore exister sous un autre nom. V.Rozumenko me précise qu'"il existe des douzaines d'instituts de recherches similaires à Kharkov notamment le XIKA" (Kharkov Research Institute of Complex Automation) qui dépend du Département du Combustible et de l'Energie d'Ukraine. Du fait que cet institut est concerné par le nucléaire et les systèmes de contrôle, Rozumenko estimait qu'il avait de bonnes chances de correspondre à l'institut recherché ou serait à même de nous aiguiller. Mais renseignement pris, ce n'est pas de cet institut là qu'il s'agit et contrairement à nos espérances, ils n'ont pas été en mesure de nous dire de quel institut il pourrait s'agir.

Quand à l'Institut de Météorologie, il existe bien un département de météorologie à l'Université d'Odessa et des météorologistes au Département de Géographie de l'Université Taras Shevchenko située à Kiev mais ils ne correspondent pas à l'institut cité par Vasiliev car ils ne sont pas directement sous la direction de l'Académie des Sciences. En revanche, il existe un département de Physique du Système solaire au Principal Observatoire Astronomique (MAO) de l'Académie des Sciences d'Ukraine (NAS) situé à Kiev où les astronomes étudient notamment l'atmosphère terrestre. Il pourrait correspondre à l'institut cité. Mais renseignement pris auprès de plusieurs checheurs du MAO, ces instituts n'ont jamais travaillé directement sur l'hypothèse météorologique évoquée par Vasiliev et ne sont pas au courant d'informations qui auraient été "déclassifiées" par l'Académie des Sciences concernant cette question. 

De plus, le MAO m'a confirmé qu'il n'existait pas d'Institut de Météorologie dépendant de l'Académie des Sciences en Ukraine. Il existe en revanche plusieurs laboratoires de recherche se consacrant à l'hydrométéorologie à Kiev, notamment l'Institut d'Hydrométéorologie et l'USRIH, l'Ukrainian Scientific Research Institute of Hydrometeorology.

Ceci ne veut pas dire que les chercheurs et les Académiciens ukrainiens n'ont pas étudié les conditions géophysiques précédant l'accident dans le cadre de leurs propres recherches ou celles de leurs étudiants. Il faudrait prendre le temps de les interroger individuellement ou retrouver leurs articles, ce qui serait très long et fastidieux.

Personne à ce jour n'a donc pu vérifier si les deux instituts cités par Vasiliev existaient. Supposer qu'ils existent en se fondant sur le fait que l'AIAE et les stations séismiques du réseau CSE citées par l'auteur existent bel et bien n'est pas un argument valable.

Dommage que nous n'ayons pas de certitude à ce sujet car cela nous aurait permis d'interroger les sources de Vasiliev et éventuellement de confirmer ou d'infirmer ses propos. Nous allons donc devoir investiguer et tenter de retrouver des données originales similaires à celles que l'auteur aurait utilisé.

En attendant d'avoir un jour éventuellement des éclaircissements par l'auteur même de l'article, voyons pour commencer le facteur astronomique, à petite et grande échelles. Par expérience, j'estime que c'est probablement le facteur que nous pourrons écarter le plus facilement et avec lui "l'influence de l'espace", mais rien n'est gagné d'avance. Travaillons méthodiquement et objectivement.

Le facteur astronomique

Du côté de l'influence astronomique, la Terre est effectivement plongée dans un rayonnement solaire corpusculaire et électromagnétique relativement intense et permanent. Nous étions à la fin du cycle solaire 21 qui débuta en juin 1976 et se termina 10 ans et 3 mois plus tard, en septembre 1986. L'activité solaire était donc assoupie et la surface solaire ne présentait qu'une très faible activité comme on peut le voir sur la photographie suivante.

Aspect du disque solaire début 1986. Photographie réalisée par Marty Schultz avec un Canon 10D.

Les valeurs numériques présentées ci-dessous peuvent varier d'un observatoire à l'autre mais les moyennes mensuelles et annuelles tendent à les lisser. Les mesures discutées dans le texte proviennent de l'IPS. Si elles proviennent d'un autre centre de recherches, la source est indiquée.

On releva un nombre quotidien de taches solaires variant entre 0 et 58 (le 24 avril). Le nombre moyen de taches solaires pour ce mois d'avril 1986 reste très faible, avec un SSN moyen mensuel de 18.5 et un SSN moyen annuel de 13.4, sachant que cet indice peut atteindre 250.

Il n'y a pas eu d'émission intense de matière coronale (CME) en direction de la Terre. Concernant les éruptions X, des régions solaires qui deviennent soudainement beaucoup plus actives et très brillantes en surface en libérant des particules de haute énergie, le satellite GOES enregistra une seule éruption de classe M le 24 avril qui atteignit une puissance de 10-5 watts/m2 entre 1 et 8 angströms (X) mais qui dura moins de 6 heures. Elle se décomposa en fait en 3 événements de classe M1.1, M1.2 et M2.4 qui furent observés vers 3-4°N et 4-7°E héliocentrique, associés à la région active 4726. Ces éruptions solaires ont put induire des effets dans l'ionosphère terrestre. On y reviendra.

Point de vue radioastronomique, la densité de flux à 10.7 cm (2800 MHz) relevée à hauteur de l'orbite terrestre en avril 1986 oscilla entre 69.5 et 81.1 (25 avril) avec une moyenne mensuelle de 75.6 et une moyenne annuelle de 74.0, indice qui peut dépasser 260 lors des paroxysmes de l'activité solaire. Le flux moyen mensuel de cette année 1986 fut le plus élevé en février (81.5) et sera le plus faible en juin 1986 (69.7). De si faibles valeurs de flux confirment une nouvelle fois l'assoupissement de l'activité solaire en cette fin de cycle.

SSN  YR  DAY   JAN   FEB   MAR   APR   MAY   JUN   JUL   AUG

     1986 25     0    11    10    43    22     8     0     9

10CM YR  DAY   JAN   FEB   MAR   APR   MAY   JUN   JUL   AUG

     1986 25  68.0  70.1  69.6  85.7  81.1  68.5  70.9  69.3

FLARE  86 04 24 0039  0120  0042  N03E07 4726 SB M1.1
        86 04 24 0345  0428  0347  N04E06 4726 SB M1.2
        86 04 24 0607  0653  0613  N04E04 4726 1B M2.4

Pour être complet, il y eut également deux éclipses de soleil, une éclipse partielle le 9 avril 1986 dans le sud-est du Pacifique et une éclipse totale le 3 octobre 1986. Si nous étions des indiens Mapuches, Quetchuas ou Patagons, nous dirions que la première fut de mauvaise augure... Pour renforcer cette idée, rappelons également que la comète de Halley nous visita en mars et avril 1986...

Mais nous savons tous aujourd'hui que ces phénomènes n'ont aucun impact sur la nature humaine ou sur les objets (si ce n'est que les comètes peuvent percuter la Terre). Quant à l'effet de la queue magnétique de la comète de Halley dans l'environnement terrestre, la comète passa à 63 millions de kilomètres de la Terre le 11 avril 1986. Sa queue ne s'étendit que sur 15°. Quand bien même la Terre serait passée dans sa queue ionique, cette dernière aurait été dissipée et neutralisée dans l'atmosphère terrestre. Quant aux quelques dizaines de tonnes de gaz et de poussière libérés par son noyau à chaque seconde, les gaz se seraient dilués dans l'atmosphère et les poussières nous auraient donné l'occasion d'observer quelques étoiles filantes de plus. A part un impact direct, étant donné que le noyau de la comète de Halley pèse 3x1011 tonnes et mesure environ 16x7.5x8 km - c'est un tout petit objet de la taille d'un astéroïde - son passage près de la Terre n'a provoqué aucun effet significatif.

A présent zoom arrière. A plus grande échelle, il y eut 13 supernovae en 1986, dont 3 furent découvertes par des amateurs du réseau ISN. Ces explosions n'ont rien d'anormal avec les centaines de milliards de galaxies contenant autant d'étoiles (soit ~1022 étoiles) existant dans l'univers visible dont une fraction des plus massives arrivent naturellement en fin de vie. Comme d'habitude cela s'est produit dans des galaxies extérieures situées entre 15 et 54 millions d'années-lumière, y compris dans des radiosources (SN 1986G dans NGC 5128), sans oublier quelques novae (Nova Centauri et Nova Andromedae). 

A lire : L'histoire de Sanduleak, SN 1987A

Si l'explosion d'une étoile peut-être dramatique pour toute la biosphère si elle se produit à moins de 100 années-lumière (cf. Les extinctions de masse), dans ce cas-ci l'effet dans l'environnement terrestre fut négligeable (les centre de recherches ont bien détecté quelques neutrinos mais la plupart sont d'origine solaire), d'autant moins quand il s'agit de nova. Exit la thèse astronomique.

Prochain chapitre

L'activité géomagnétique

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