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L'accident de Tchernobyl réinterprété par la Pravda

Le facteur météo (IV)

Météorologiquement parlant l'impact fut tout aussi négligeable. Pour dire la vérité, on voit mal comment un effet atmosphérique aurait pu affecter la centrale de Tchernobyl; la région n'est pas réputée pour ses canicules, ses cyclones ni même pour ses inondations ou ses crues ! Les changements les plus importants sont soit des variations de pression limitées à quelques dizaines de millibars au cours d'une journée ou des changements de température de quelques dizaines de degrés durant la même période. Même durant les périodes caniculaires, la centrale souffre bien de la chaleur, d'autant plus qu'elle n'est protégée que par le béton du bâtiment extérieur, mais rien qui ne soit incontrôlable à ce jour.

Voyons tout d'abord quelles furent les conditions météorologiques en Europe centrale en consultant les prévisions numériques puis en analysant les cartes de surface des 24 et 25 avril 1986.

Les prévisions numériques

Selon les prévisions numériques du Centre de prévision à moyenne échéance ECMWF de Londres, bien que la résolution de leurs cartes soit limitée à 2.5° en latitude/ longitude, à 12h GMT les modèles prévoyaient pour Tchernobyl des valeurs de respectivement 20°C, pas de pluie, 1021 mb et un ciel modérement couvert, rien qui ne soit anormal pour la saison. Ces modèles ne prévoyaient pas de variations horaires anormales (température stable et légère baisse de pression).

Cartes réanalysées des prévisions des températures de surface, précipitations, pression au niveau moyen de la mer et de couverte nuageuse totale établies le 25 avril 1986 par l'ECMWF.

Analyse des cartes synoptiques

Dans les faits, les analyses des cartes synoptiques de surface réalisées le 24 et le 25 avril 1986 à 12h GMT par les prévisionnistes du Met Office de Londres confiment ces prévisions.

Comme on peut le voir sur les deux cartes présentées ci-dessous, le 24 avril 1986, une dépression de 1011 mb était centrée sur l'Allemagne et se déplaçait vers le nord-est en se creusant légèrement. Elle était influencée sur son versant Est par un anticyclone de 1037 mb situé sur l'ouest de la Russie. Il était relativement stable mais perdait de son intensité suite à l'approche de cette perturbation. Une faible zone anticyclonique de 1019 mb se situait au sud de l'Italie. On observe de faibles différences de températures entre l'avant et à l'arrière des fronts (env. 2°C). On observe un peu de pluie en Allemagne et en Pologne à l'arrière du front chaud, mais en général le temps était assez beau sur le continent.

A consulter : La météorologie

Cartes synoptiques de surface du 24, 25 et 26 avril 1986 à 12h GMT. Notez la dépression centrée sur l'Islande. Malgré les fronts traversant l'Europe, globalement on peut dire qu'il s'agit de deux très belles journées printanières. Sur les deux cartes de gauche, Tchernobyl est indiqué par le symbole rouge situé juste au dessus de la station météo de Kiev. Voir le texte pour les explications. Documents MetOffice adaptés par l'auteur et Weather Graphics. Droits réservés.

Le 25 avril 1986 à 12h GMT les fronts formaient une ondulation qui s'étendait à travers toute l'Europe, accompagnée d'une légère nébulosité et de pluie à l'arrière des fronts, notamment sur l'Angleterre, le sud-est de la France et au sud d'Hambourg dans le nord de l'Allemagne. A 12h GMT soit 15h locale à Kiev, dans la région de Tchernobyl, la pression était de 1018.5 mb en baisse, la température de 21°C sous abris (identique à la veille), le vent accusait une vitesse de 20 km/h de direction SSE (20 km/h de Sud la veille) et le ciel s'était couvert de 2 à 3/8 de nuages (ciel clair la veille). Il n'y avait pas de précipitation. C'était encore une belle journée de printemps.

Bien que la carte ne soit pas représentée, le 26 avril 1986 à 0h GMT, les perturbations avaient progressé vers l'est et la moitié de l'Europe était envahie de nuages bas (sc, cu, cb). Il y eut localement de la pluie (dans le front chaud) ou des averses (derrière le front froid).

Comme on le voit sur la carte des précipitations présentée à droite préparée par la C.E./IGCE pour le Caesium Atlas, le 26 avril 1986 il plut assez bien à l'arrière de l'ondulation, dans une bande allant de la Finlande au sud de la France, en Irlande, en Islande ainsi que dans le centre de l'Ukraine. On récolta jusqu'à 50 mm (ou l/m2) de précipitation sur la journée. A Kiev, le vent changea de direction et souffla du secteur est à sud-est, entraînant avec lui le nuage de Tchernobyl vers le Bélarus et l'Europe occidentale.

Cartes en altitude

Concernant les conditions en altitude, on peut tout d'abord examiner le sondage aérologique effectué par la station météorologique de Kryvyi Rih en Ukraine (station 33791, 48.02°N, 33.20°E) située à environ 400 km au sud-est de Tchernobyl et dont voici le sondage aérologique complet.

Ce sondage effectué le 25 avril 1986 à 0h GMT indiquait une pression au sol (124 m) de 1007 mb, une température de 11.4°C, une température du point de rosée de 7.1°C, 75% d'humidité et un vent nul. Le niveau du 0°C se situait vers 2000 m d'altitude. La masse d'air s'asséchait ensuite de façon très marquée à partir de 4000 m d'altitude (niveau 600 hPa) où elle ne présentait plus que 46% d'humidité et accusait une chute brutale de température de 10°C, annonciatrice de l'arrivée d'un masse d'air froid.

A gauche, la carte des températures au niveau 850 hPa relevées le 25 avril 1986 à 0h GMT. Au centre et à droite, les cartes du géopotentiel du niveau 500 hPa du 25 et du 26 avril 1986 à 0h GMT. En l'espace de 24 heures, la masse d'air s'est humidifiée, atteignant 95% d'humidité et perdant 10°C vers 4000 m d'altitude le 26 avril à 0h GMT, suite à la descente d'air polaire sur l'Europe occidentale. Documents Wetterzentrale.

Enfin, ainsi qu'on le constate sur les cartes en altitude présentées ci-dessus (niveaux 850 et 500 hPa) réalisées le 25 et le 26 avril 1986 à 0h GMT, l'Ukraine était influencée par une masse d'air chaud venant d'Afrique portant l'air à une température de 5 à 10°C à 1500 m d'altitude. La masse d'air se déplaçait d'ouest en est en perdant progressivement sa chaleur et accumulant de l'humidité par sa base, influencée sur son versant ouest par une dépression centrée sur l'Islande et progressant vers l'Angleterre, apportant de l'air froid et humide.

Cette situation météorologique est tout à fait normale. A 50° de latitude, les masses d'air sont encore inflencées par le front polaire mais en même temps par les anticyclones continentaux et les poussées d'air tropical. En aucun cas, ces conditions météorologiques n'auraient pu influencer qui ou quoi que ce soit d'une manière ou d'autre autre.

Enfin, Vasiliev écrit dans son article : "la pression atmosphérique serait montée et descendue abruptement plusieurs fois dans la région. Des informations déclassifiées montrent qu'une déflection locale de la couche ionosphérique se produisit au-dessus de Tchernobyl à cette époque, selon les rechercheurs de l'Institut de Météorologie dépendant de l'Académie des Sciences d'Ukraine. Leur opinion est partagé par l'Institut de Recherche de Kharkov de Radio Ingénierie et d'Equipement d'Automation". A défaut de pouvoir identifier ces instituts et retrouver les données dont il parle, on ne peut ni confirmer ni infirmer ces variations de pression ni d'ailleurs l'effet ionosphérique ainsi que nous l'avons vu.

On peut s'étonner que Vasiliev n'ait fourni aucune preuve de ses allégations en matière de météorologie, car si l'effet était si important ou si abrupte qu'il le prétend, il n'aurait pas manqué d'en apporter la preuve pour appuyer sa théorie. On peut donc considérer ses allégations comme suspectes et même non fondées.

Pour être complet signalons que l'explosion de Tchernobyl n'a probablement pas affecté la haute atmosphère au-dessus de 100 km d'altitude. En revanche, le nuage radioactif a probablement un peu affecté la chimie de l'atmosphère moyenne (40 to 80 km) qui est hétérogène. Mais trouver des données sur ce sujet est autrement plus complexe car s'il existe bien des bases de données sur la météorologie stratosphérique à la NOAA, elles ne contiennent aucun enregistrement pour 1986. Nous nous arrêterons donc ici puisqu'on ne peut pas démontrer l'influence des variables météorologiques sur l'accident.

Liens entre la météo et les humeurs de la terre

Si certains scientifiques sont encore sceptiques, des hydrologues et des géophysiciens ont démontré qu'il existe un lien entre la météo et les phénomènes géologiques (volcanisme et séisme). Ne citons que quelques exemples. Au Japon, Kosuke Heki de l'Observatoire National d'Astronomie a démontré qu'il existait une saison propice aux gros tremblements de terre (M >7) dans les régions enneigées du Japon (effet du poids de la neige et de la relâche de la pression sur les failles sismiques). Sur l'île de Monserrat aux Caraïbes, les fortes pluies réveillent le volcan de la Soufrière (l'eau percolant dans la roche empêche les gaz de s'échapper, faisant monter la pression à l'intérieur du dôme. La réaction du volcan est prévisible avec 12 heures d'avance). Il est notoirement connu que les crues du Verdon s'accompagnent régulièrement de séismes de magnitude comprise entre 2-4.5. Enfin, au Colorado William Schultz de l'USGS a démontré que les glissements de terrain de Slumgullion (une langue de sol et de roche de 4 km x 300 m) de quelques millimètres se produisent d'autant plus vite que la pression atmosphérique est basse.

Mais en 1986, ces liens n'étaient pas établi et encore moins pour la région de Tchernobyl. Quand bien même ils existeraient, il faut encore démontrer leur lien avec l'accident et notamment si l'effet se produit lorsqu'un seul, certains ou tous les facteurs météos sont réunis. Ce qu'aucun scientifique n'a pu démontrer. 

Car démontrer qu'un phénomène est causé ou déclenché par un facteur météo sont deux choses différentes, de même que démontrer que l'effet est systématique et déterminant est tout différent de conclure que l'effet est aléatoire et peu déterminant ou secondaire.

Le facteur géophysique

Plutôt que nous fonder sur le résumé publié par la Pravda, intéressons-nous à l'article de géophysique original publié en 1998 dans le Geophysical Journal[1]. Bien qu'il ait été traduit en anglais, il est issu de première main ce qui nous écarte d'une première interprétation des faits. Prenons un exemple.

Dans l'article de la Pravda, l'auteur parle notamment de "failles concentriques". C'est un concept inconnu des géologues. Une faille se développe pratiquement dans un plan et ne forme pas des cylindres. Ceci dénoterait que l'auteur connaît mal son sujet. Or quand on lit l'article du Geophysical Journal, il n'est nulle part fait référence à des "failles concentriques". En revanche les auteurs parlent de la "morphostructure circulaire de Pripyat-Korogodski" et font référence aux formations anticlinales (plis formant une convexité dont le centre est occupé par des couches plus anciennes). Vraisemblablement, l'auteur a mal interprété et traduit ces termes techniques. Basons-nous donc sur l'article scientifique original pour éviter ce genre de méprise.

Etude géophysique de la région de Tchernobyl

D'emblée les auteurs qui sont pour la plupart des géophysiciens de l'Académie des Sciences de Moscou ou de Kiev insistent sur le séisme de magnitude 1.4 survenu peu avant l'explosion et sur l'existence d'un réseau de fractures dans la région de Tchernobyl qui auraient été à l'origine de la catastrophe en déstabilisant les fondations du réacteur. Admettons. Encore faut-il le démontrer.

Un géologue qui se respecte connaît l'existence des failles depuis 1750 et il sait qu'il doit les interpréter en liaison avec les mécanismes de déformation qui affectent la croûte terrestre. Si en profondeur les roches ont une certaine capacité à se déformer, ce qu'on appelle la déformation plastique, en revanche, en surface elles se brisent net et les deux parois se déplacent d'un mouvemen brusque. C'est ce qui se produit lors d'un tremblement de terre. Si un tremblement de terre se produit dans une zone déjà fracturée, on observe évidemment un glissement préférentiel dans cette zone là plutôt que la création d'une nouvelle faille.

De manière générale l'implantation d'une centrale nucléaire répond à plusieurs critères aussi bien logistiques que géologiques. Les exploitants recherchent une rivière à fort débit et bien entendu des zones stables et donc non sismiques et de préférence en dehors des fractures. Mais il y a des exceptions.

La centrale de Tihange proche de Liège (B) est située tout près d'une des plus belles failles de Belgique, la faille Eifellienne ou du Midi. Son socle existe depuis l'ère Primaire, les champs de volcans rhénan remontant au Tertiaire. Elle est donc très ancienne mais totalement inactive aujourd'hui. En revanche, d'autres failles sont actives. Comme il se doit ces dernières sont suivies de près car elles constituent autant de zones de fragilité. Le meilleur exemple est que l'une d'entre elle fut associée au tremblement de terre que Liège connut en 1983 et que les habitants des autres grandes villes ont ressenti. Ce n'est pas pour autant que la centrale risque d'exploser.

Toutefois, compte tenu de la topographie parfois très accidentée des reliefs (Ardennes, Alpes, etc), les travaux de sismologie historique et de paléosismologie ne permettent pas toujours de retrouver les fractures suspectes sur le terrain, contrairement à la vallée de la Meuse par exemple où les déplacements consécutifs aux grands tremblements de terre (M > 6) se retrouvent dans la morphologie de la région.

Ceci étant précisé, voyons comment les auteurs décrivent la structure géomorphologique de la région de Tchernobyl.

La région étudiée par V.I.Starostenko et al. 1) les stations sismiques, 2) les marques de l'épicentre du 25 avril 1986 à 21h23m TU, 3) les fractures géologiques, 4) la limite sud de la zone de fractures de Pripyat. Document V.I. Starostenko et al., Geophysical Journal, 1998, adapté par l'auteur.

Les auteurs de l'article publié dans le Geophysical Journal précisent que "la centrale de Tchernobyl fut construite selon les normes et les recommandations du MAGATE" (AIEA) mais que "les études n'auraient pas été menées jusqu'au bout". Selon leur opinion, les experts "n'auraient pas suffisamment prêté attention à l'étude sismique régionale". Ils insistent notamment sur le fait que "la centrale a été construite à l'intersection de deux fractures régionales profondes : les failles de Pripyat Sud et de Teterev" (voir carte de gauche). "La comparaison entre les cartes tectoniques et la fréquence des séismes survenus dans la région indique que ces fractures étaient actives à l'époque Néogène-Quaternaire et ont sensiblement affecté l'état géodynamique de la région". Pour rappel, le Néogène fait partie de l'ère Cénozoïque et remonte à moins de 23 millions d'années.

Ils notent par exemple "la présence de l'anticlinal ukrainien, une région élevée de l'Europe centrale et des synclinaux Baltique-Bélarus et du Dnieper. A la fin de la période Oligène-Quaternaire, cette région subit des mouvements de l'écorce terrestre variant dans un rayon de 20 à 30 km de +105 à +145 m. Dans la région de la centrale de Tchernobyl, ces amplitudes néotectoniques furent comprises entre +120 et +125 m [...] Le gradient de vitesse de l'écorce terrestre près de la faille de Teterev varie entre 0.003 et 0.04 cm/km/millier d'années alors que la moyenne de la région est de 0.003 à 0.009 cm/km/millier d'années". 

Les auteurs ont "identifiés trois maxima présentant un gradient supérieur à 0.01 cm/km/millier d'années entre 5 et 15 km autour du site de la centrale nucléaire, notamment dans la région de Pripyat où le gradient est de 0.02 à 0.04 cm/km/millier d'années".

Ils notent toutefois qu'"il n'est pas possible pour l'instant de déterminer le statut de ces distorsions" [et qu'] il est impossible d'identifier des distorsions similaires à l'est et au nord de la centrale nucléaire sur base d'une analyse des gradients" et autres activités géologiques.

Ils relèvent également "dans la région d'intersection des failles proche de Tchernobyl une activité de différents processus géologiques marqués par la morphostructure circulaire de Pripyat-Korogodski, une structure caractéristique d'une forte activité tectonique à l'époque Quaternaire qui provoqua en son temps des déplacements verticaux supérieurs à 40 mètres. La centrale de Tchernobyl et son bassin de refroidissement sont situés dans cette structure".

Selon les auteurs, "cette situation pourrait affecter la stabilité des installations durant les tremblements de terre. Le noeud d'intersection des fractures de Teterev et de Pripyat Sud se situant à 10-15 km à l'est de la centrale, les auteurs estiment qu'il a pu être à l'origine du tremblement de terre qui s'est produit la nuit du 25 au 26 avril 1986".

Ces propos nous conduisent à la simple conclusion que la région est effectivement soumise à une légère activité tectonique, mais beaucoup plus faible que les régions où se produisent généralement des tremblements de terre.

A gauche, le séisme de magnitude 1.4 survenu le 25 avril 1986 environ 16 secondes avant l'accident de Tchernobyl tel qu'il fut enregistré par les stations sismiques du réseau CSE d'Ukraine, notamment à Norinsk sur des sismographes à bande étroite (haute résolution). Son épicentre supposé se situe à 1 km à l'est de la centrale mais compte tenu des imprécisions (10 km), les auteurs estiment qu'il a pu se situer sous la centrale. Au centre, les déformations néotectoniques (fin Oligocène-Quaternaire) et les anomalies géologiques relevées dans la région de Tchernobyl : 1) isobases (mètres), 2) isogrades (cm/km/milliers années), 3) anomalies dans les gradients de vitesse moyenne, 4) fractures connues néotectoniquement actives, 5) fractures supposées actives, 6) épicentre supposé de l'événement du 15 avril 1986 à 21h23 TU.  A droite, la structure tectonique au-dessus de la discontinuité de Mohorovicic passant près de Tchernobyl : 1) DSS-CM Refr, 2) limlite SO de l'aulacogène Pripyat-Dnieper-Donets, 3) structure au-dessus de la discontinuité de Mohorovicic, 4) zone de fractures profondes, 5), la centrale de Tchernobyl, 6) les profils CDP. Documents V.I. Starostenko et al., Geophysical Journal, 1998.

Tchernobyl tout comme Tihange se situe donc sur une ou des failles sismiques. Pour un géologue c'est tout à fait normal, car vous et moi vivons pour le moment certainement sur une faille, mais sans doute mineure, car il en a partout.

Comme on n'est jamais trop prudent, les centrales sont construites pour résister au plus gros des tremblements de terre que l'on estime probable dans les 100 ans à venir. C'est ce qu'on appelle "l'évaluation de l'alea sismique" ! Leur magnitude peut atteindre 9.9 au maximum et 6.5-6.7 en Belgique.

On ne peut porter aucun jugement sur le sérieux avec lequel les autorités russes ont conduit leur enquête géologique avant d'installer la centrale à cet endroit. Plusieurs géologues belges et américains ont toutefois supposés que les autorités russes avaient pris en compte le risque d'alea sismique, et jusqu'à preuve du contraire, ils n'ont jamais fait d'erreur.

Le séisme

Qu'il y ait eu un tremblement de terre 16 secondes avant l'accident de Tchernobyl, c'est tout à fait possible car il y en a en permanence de très faible amplitude. Concernant la Russie, on peut ajouter que même les tests nucléaires souterrains réalisés à Semipalatinsk (Est du Kazakhstan, ~50°N/78°E) entre 1961 et 1989 ont été enregistrés par les stations russes situées entre 500 et 1500 km de distance dès que l'énergie de l'explosion dépassait 1 tonne de TNT ainsi que le confirme le DOE[2].

Comme en témoigne cet autre document de l'AGU publié dans le magazine Eos en 1996, il a même été demandé aux militaires de respecter les accords internationaux concernant les tests nucléaires et notamment de déclarer tous leurs essais clandestins (271 tests furent décrits sur 340, reste donc 69 "manquants") afin que les scientifiques ne les confondent pas avec des tremblements de terre naturels !

La première question est de savoir si ce séisme a bien eu lieu à Tchernobyl ? A priori nous n'avons pas de raison de mettre en doute l'authenticité des mesures effectuées par les stations ukrainiennes. 

Dans les banques de données américaines ou européennes, ni les sismomètres du réseau de l'USGS ni ceux de l'Observatoire Royal de Belgique (ROB) situés beaucoup plus près n'ont enregistré de secousse supérieure à la magnitude 1.0 dans cette région du globe avant l'accident. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas eu de séisme de faible amplitude dans la région de Tchernobyl. Voyons cela en détail.

Selon le DOE, les deux explosions de Tchernobyl se sont produites en l'espace d'une seconde. L'onde de choc et les effets secondaires se sont essentiellement propagés dans l'air tandis qu'une fraction seulement de l'énergie s'est propagée dans le sol à travers les fondations (et malgré leur épaisseur) sous forme de très basses fréquences. Il n'est donc pas du tout acquis que les sismomètres les proches de Tchernobyl (station de Norinsk située à 110 km à l'ouest) aient enregistré les deux explosions.

L'USGS a enregistré pas moins de 558 séismes en avril 1986 dont 71 séismes entre le 25 et le 26 avril 1986 ! L'USGS/NEIC et l'International Seismological Centre (ISC) n'ont localisé aucun séisme ou signal anormal début avril ni le jour de l'accident dont l'épicentre se situait dans les 10° de latitude et de longitude entourant Tchernobyl. En revanche ce mois là il y eut 70 séismes à travers le monde présentant une magnitude entre 5.0 et 6.7 et ayant parfois occasionné des dommages aux habitations.

Selon le géophysicien Bruce W. Presgrave de l'USGS/NEIC, il reste toutefois une possibilité qu'un événement se soit produit mais présentant une trop faible amplitude pour être enregistré par les stations sismographiques situées en dehors de la zone immédiate de l'épicentre (dans un rayon de 100 à 200 km), bien qu'il paraisse douteux qu'un tel événement puisse être à l'origine d'un accident dans une centrale nucléaire. Comme ses collègues, Bruce estime que s'il y avait eut un séisme de magnitude 4.0 ou supérieure, il aurait eu assez de données pour le localiser.

Si un tremblement de terre avait eu l'énergie suffisante pour ne fut-ce que fissurer un mur de la centrale, il aurait été enregistré dans toute l'Europe où les gens l'aurait nettement ressenti (magnitude 4-5). Au-dessus de la magnitude 5, il aurait également ébranlé les habitations et occasionné des dommages structurels. Or personne n'a rien remarqué ni aucun instrument, ce que confirment l'USGS et le ROB. Voyons les caractéristiques du séisme enregistré en Ukraine.

A titre d'information, voici quelques phénomènes particuliers que sont capables de détecter les sismomètres. De gauche à droite, les signaux inhabituels de basse fréquence (signal quasi monochromatique de grande amplitude d'une fréquence proche de 2.5 Hz) enregistrés à Uccle (B) suite au concert de Radiohead qui s'est déroulé à quelques kilomètres de distance à Forêt National le 11 novembre 2003; l'impact des deux avions et l'effondrement des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 enregistré à Palisades (New York, 40 km de distance); le tremblement de terre du 26 décembre 2004 à Sumatra (M=9) enregistré en Belgique (ORB, 9000 km de distance) et pour finir l'explosion sous-marine d'une bombe atomique de moins de 20 kT dans le lagon de Mururoa le 5 septembre 1995 enregistrée en Allemagne (16000 km de distance). A titre de comparaison le séisme de Tchernobyl de magnitude 1.4 présentait une énergie estimée à 10t de TNT, soit deux mille fois plus faible que cette bombe. Documents ROB, Popular Mechanics et GFZ Potsdam.

Selon les auteurs, le séisme fut détecté par les stations CSE (Complex Seismological Expedition) ukrainiennes à 21h23m39s TU et présentait une magnitude Ml = 1.4 (magnitude Mpva = 2.5). A partir des relevés effectuée par les sismomètres les plus sensibles (c'est relatif) et après réduction des données, les auteurs obtiennent pour les ondes P et S de faibles intensité des périodes de respectivement 0.5 et 0.45 sec (fréquences de 2-2.2 Hz). Ce signal de basse fréquence fut enregistré par la station de Norinsk située à environ 110 km à l'ouest de la centrale de Tchernobyl. Les ondes longitudinales et transverses se déplaçaient respectivement à 6.2 et 3.6 km/s, les ondes de surface à 2.9 km/s.

Selon les auteurs, "les caractéristiques spatiales de ces renregistrements sont très différentes des enregistrements d'explosions enregistrées dans des carrières et obtenus aux mêmes distances des épicentres".

Selon les auteurs, "l'hypocentre présumé du séisme aurait été localisé dans l'écorce supérieure terrestre, près de la surface en raison de la forte amplitude des mouvements résultants (isobase de +135 m) et des gradients de vitesses significatifs ainsi que de la faible épaisseur de la couche sédimentaire". Leur hypothèse est fondée sur des calculs réalisées à partir des accélérogrammes obtenus en Ukraine.

Rappelons qu'un accélérogramme trace les amplitudes des accélérations des ondes sismiques dans le temps et dans les trois directions de l'espace. Seul inconvénient, les géophysiciens se servent des accéléromètres uniquement pour mesurer les mouvements forts du sol et les caractéristiques des séismes d'une magnitude Ms > 3.5. Voici un exemple enregistré au cours du séisme survenu en Gadeloupe le 21 novembre 2004.

Les auteurs de l'article estiment que le séisme de Tchernobyl développa une énergie équivalente à 10 tonnes de TNT. Sur base de ces données ils estiment que l'épicentre se situait à 1 km à l'est de la centrale mais compte tenu d'une marge d'erreur de 10 km sur sa localisation, ils n'excluent pas qu'il ait pu se situer directement sous la centrale. Ils ne peuvent toutefois pas le confirmer sur base des données disponibles.

Après vérification de la précision des horloges de la centrale de Tchernobyl (2 sec près), les auteurs parviennent soi-disant à corréler les premiers incidents (problème d'alimentation d'eau à 21h23m08s) avec le début du séisme qui "se produisit au moins 10 sec avant l'explosion dans la centrale nucléaire, et plus probablement 16 secondes avant celle-ci" notent les auteurs. Quant à la seconde explosion, ils confirment que "les sismomètres ne l'ont pas enregistrée et que cela pourrait [expliquer] le faible effet sismique des explosions de surface qui se produisirent à la centre nucléaire".

En p393 de leur article ils en arrivent à la conclusion : "une analyse suggère que l'événement enregistré par les stations sismiques n'a pas été provoqué par l'explosion de l'unité IV de la centrale nucléaire. La raison est qu'il précède l'explosion et que l'épicentre fut très probablement situé en dehors du site industriel de la centrale nucléaire". Ils confirment également que les stations d'Ukraine et de Bélarus  n'ont pas enregistré cet événement du fait du manque de sensibilité de leurs instruments.

Nous avons expliqué précédemment qu'un séisme de magnitude 1.4 et même légèrement plus faible peut s'observer dans un rayon de 150 km voire même à 1000 km de distance si les stations sont sensibles. Les auteurs reconnaissent que le matériel de détection dont ils disposaient en 1986 manquait de sensibilité. Il y avait 3 stations sismiques dans un rayon de 200 km autour de Tchernobyl (Norinsk, Glushkovichi et Podduby) et on peut supposer qu'à l'époque les techniques étaient probablement moins performantes qu'aujourd'hui. Dans tous le cas il est normal qu'un séisme d'une telle magnitude n'ai pas été mesuré en Belgique ou par le réseau de l'USGS. En revanche, il est tout à fait possible de l'enregistrer en Ukraine, comme ce fut le cas.

Les auteurs reconnaissent également que "du fait de sa faible amplitude et de la faible épaisseur des couches cristallines (< 5 km) autour du site industriel, il est improbable que les grondements du tremblement de terre aient été entendus à 10 ou 15 km de distance".

Ils concluent toutefois qu'"il est hautement probable que le réacteur de l'unité IV de la centre nucléaire, qui ne disposait pas de protection antivibration, fut sujet à un événement sismique durant la période de test. Compte tenu du phénomène de résonance, il fut impossible d'immerger les barres d'absorption en graphite et d''interrompre l'emballement de la réaction et, par conséquent, d'éviter les intenses émssions de gaz et leur explosion".

Ces propos sont invalidés par les rapports des experts publiés par l'AIEA et le DOE qui confirment au contraire que suite à l'alarme déclenchée manuellement, les barres de contrôle ont été remises dans le réacteur, mais étant convertes de graphite, la réaction de fission s'est emballée.

Développements théoriques

Quoiqu'il en soit, pour valider leur théorie, les auteurs présentent une étude statistique et mathématique sur les phénomènes d'accélération des ondes souterraines. Ils ont pris pour référence des séismes de magnitudes supérieures (2.8 à 4.0 survenus entre 1977 et 1979), complétés par des estimations fondées sur des formules empiriques pour déterminer l'intensité du séisme du 25 avril et corroborer cette valeur avec celle estimée sur l'épicentre.

Les auteurs poursuivent dans une formulation alambiquée (traduite du russe en anglais) qu'"on ne peut exclure qu'à l'époque des tests, le système du réacteur [ne bénéficiant pas de] protection antivibration, pouvait être sujet à un effet sismique. Ceci en retour pourrait conduire à des distorsions dans les processus technologiques et finalement provoquer l'explosion du réacteur. Ces considérations imposent une sérieuse vérification étant donné qu'elles déterminent largement la fiabilité de l'évaluation du risque sismique des centrales nucléaires d'Ukraine". Notons que leur remarque n'est pas une affirmation et est formulée au conditionnel. Cela signifie que les auteurs ne peuvent pas apporter la preuve de ce qu'ils avancent, ni dans les faits ni même par simulation. C'est ce qu'on appelle une supposition gratuite.

Les auteurs disent avoir conduit des simulations numériques pour calculer et évaluer les états du stress sur les bâtiments suite à un tremblement de terre. Ils ne présentent toutefois aucun résultat non plus si ce n'est quelques formules classiques et beaucoup de commentaires à propos des accélérogrammes et des amplitudes des oscillations sismiques. Leur prose est purement spéculative, introduisant des hypothèses et des probabilités à tour de bras pour tenter de valider leur théorie que personne d'autre qu'eux ne soutient.

Pour ceux qui cherchent vraiment une relation entre l'accident et un séisme, précisons pour information qu'à la date et à l'heure qui nous concerne, soit le 25 avril 1986 à 21h23m44s TU (le 26 avril à 1h23m temps locale), l'USGS a enregistré un séisme d'amplitude négligeable (M <1, à calculer) à 21h29m20.54s TU, soit 6 minutes après l'accident, dont l'épicentre se situait à 38.78°N et 31.10°E, soit environ 13° au sud de Tchernobyl. Faut-il encore le préciser, il ne peut pas être en relation avec l'accident.

Pour être complet, les seuls séismes d'importance qui se sont produits vers cette époque sont apparus plusieurs heures après l'accident de Tchernobyl et n'ont donc pas déclenché l'explosion. Par exemple, en Europe, le 26 avril à 0h12m03s TU, soit 3 heures après l'accident, il y eut un séisme léger près de Granada en Espagne de magnitude 4.2. En Europe de l'Est, il y eut deux séismes de magnitude 4.8 (mineur) et 3.6 (léger) le 27 avril au matin à 25 minutes d'intervalle en Roumanie dont l'Institut National de Géophysique de Bucharest étudia les effets (Cf cette référence). A priori, ces deux séismes ne sont pas non plus en relation avec l'accident de Tchernobyl et on ne voit pas par quel mécanisme ils auraient pu en être la conséquence. Ce ne sont pas des répliques non plus car le séisme du 25 à 21h29m était trop faible et n'a sans doute pas donné lieu à une modification des états de contraintes en profondeur.

Comme le conclut un professeur de géologie à propos de cette hypothèse, "donc pure foutaise !" Ceci dit, bien qu'il existe une trace d'un séisme quelques 16 secondes avant l'explosion, avec une magnitude < 4 (1.4), il serait impossible d'établir une relation avec l'accident car la marge d'erreur est trop importante. Poser une théorie ou une hypothèse est en effet accessible à tout le monde, la démontrer demande un peu plus de compétences et surtout des preuves plus probantes que des simulations fondées sur des calculs empiriques.

La lave et le plasma

Quant à la lave découverte à l'intérieur des fondations du bâtiment, on peut jouer sur les mots. Avec les températures atteintes (2500°C) il y a effectivement de quoi faire de la lave : pour un géologue, du béton en fusion n'est rien d'autre qu'une lave ! Quoi de plus normal.

Ce "plasma" magmatique dont parle Vasiliev n'est d'ailleurs pas un plasma. Par définition, en physique un plasma est un milieu constitué de particules neutres, généralement un gaz ionisé. A Tchernobyl il s'agit d'une lave constituée d'un mélange de combustible fondu, de béton et d'autres matériaux volatiles. Il n'y aucune raison qu'un volcan apparaisse dans cette région du globe. Les fractures accompagnée de remontée de magma se produisent uniquement aux endroits de jointure des plaques tectoniques qui sont bien répertoriés sur le globe terrestre et connus de tous.

Vasiliev parle également de mouvements d'énergie de l'espace vers la terre et des remontées à travers le magma. On peut se demander comment les fractures géologiques "enverraient" de l'énergie vers l'espace. Vasiliev explique que la "terre tire constamment l'énergie de l'espace" et la "renverrait à travers les montées de plasma dans les fractures." La physique ne fonctionne pas ainsi car la Terre est un système en équilibre thermodynamique dont il faut respecter les bilans énergétiques. En deux mots, l'énergie est émise par le Soleil et est captée par la Terre. Celle qui retourne à l'espace est la lumière réfléchie par les nuages et le sol (continents ou mers), des gaz de la haute atmosphère ainsi que le rayonnement infrarouge émis par les surfaces chaudes.

Que peut-on encore ajouter... Je pense que ça suffit. On peut donc conclure serainement que l'hypothèse géophysique est tout à fait farfelue également.

Les accidents

Plus d'un auteur ont essayé d'identifier une relation entre l'activité solaire par exemple ou les conditions météorologiques et le comportement des individus, imaginant même une théorie "bioélectronique". Comme les astrologues, ils estiment que si le Soleil ou la Lune influence bien les marées (essentiellement la Lune), pourquoi les corps célestes n'affecteraient-ils pas l'homme également ? A ce jour, tous ces auteurs se posent beaucoup de questions mais n'en résolvent aucune. Ce type de relation n'a jamais été établie jusqu'à présent. Dressons donc simplement la liste des accidents et autres crimes et voyons leur évolution dans le temps.

Les accidents nucléaires

En 1986, outre Tchernobyl, il y eut 3 autres accidents nucléaires dont 2 civils :

- Le 6 janvier 1986, à la centrale de retrairement de Kerr-McGee en Oklahoma, un cylindre d'hexafluoride d'uranium éclata suite à un chauffage inapproprié. Un travailleur fut tué et il y eut 30 blessés.

-  Le 4 mai 1986 un réacteur expérimental de 300 MW (THTR-300) situé à Hamm-Uentrop en Allemagne libéra de la radioactivité suite à une action visant à dégager une conduite d'alimentation de fuel obstruée. Les manipulations endommagèrent la conduite, libérant des gaz jusqu'à 2 km de distance.

- Le 3 octobre 1986, à 770 km des Bermudes, un feu suivi d'un court-circuit du système primaire se déclenche à bord du sous-marin stratégique russe K-219 de classe Yankee I, tuant au moins quatre membres d'équipage. Ce sous-marin contenait 16 missiles nucléaires et deux réacteurs atomiques. Un marin se sacrifia pour couper manuellement le réacteur. Le Président Mikhail Gorbatchev avertit le Président Ronald Reagan en privé avant de reconnaître publiquement l'accident le 4 octobre. Deux jours plus tard, le sous-marin coula dans la mer des Sargasses par 5500 m de profondeur. Les réacteurs nucléaires n'ont pas été récupérés.

Nous pouvons également citer la révocation en 1986 de la licence d'exploitation de Radiation Technology, Inc (RTI) du New Jersey suite à 32 violations des règles de sécurité.

Je n'ai pas relevé d'accident écologique particulier en 1986.

Les accidents de trafic, crimes et autre délits

Je n'ai pas encore été en mesure de retrouver les statistiques des accidents de la circulation et de la criminalité pour la région de Tchernobyl pour le mois d'avril 1986 mais nous avons des statistiques globales.

Explosion de la navette spatiale Challenger le 28 janvier 1986 suite à une fuite dans son réservoir externe. Document NASA.

Parmi les accidents de trafic, il faut distinguer les accidents d'avion et le trafic routier. En Russie, les accidents d'avion sont survenus au cours de la guerre d'Afghanistan. 10 avions ont été abattus en 1986 dont 3 MiG durant les 4 premiers mois de l'année y compris un hélicoptère Mi-8 dont les deux membres d'équipage furent tués le 21 avril 1986. Côté civil, un B-727 de la compagnie Mexicana s'écrasa le 31 mars 1986, faisant 167 victimes.

Si on suit une logique bizarre, on peut évidemment aussi citer l'accident de la navette spatiale Challenger survenu le 28 janvier 1986 qui tua ses 7 membres d'équipage.

Les accidents de la route dans l'ex-Union soviétique n'ont pas spécialement augmenté en 1986 où on releva environ 100000 accidents et plus de 20000 tués. De manière générale, en Russie il y avait à cette époque à peine 200 voitures pour 1000 habitants, moins de la moitié du parc européen. Toutefois le taux d'accident augmenta en moyenne de 16% par an en Russie entre 1985 et 2002. En 2002, tous les jeunes chauffeurs ont raté leur examen de conduite à la première tentative.

A cette date on constata également une augmentation importante du nombre de tués sur les routes avec 14 tués pour 100 accidents contre 5 en Europe.

Concernant les accidents de bâteau, il faut citer essentiellement l'accident du navire Admiral Nokhimov le 31 août 1986 qui tua 398 passagers.

Concernant la criminalité et les délits, ils accusent une augmentation d'environ 18% par an en Russie au cours des 20 dernières années. Sur base de données ou par extrapolation, 1986 fut une année ordinaire. Il y eut environ 800000 crimes dans la Fédération, dont 8000 meurtres et autant de rapts. Le nombre total d'actes criminels a quadruplé en 1994. Le nombre d'incarcérations préventives avant jugement est passé de 30% en 1985 à 22% en 1986 et tomba à 17% en 1987. Tchernobyl étant une petite ville de province, on ne releva rien de particulier ou qui soit au-dessus de la moyenne provinciale dans ce domaine.

Ici également aucune influence extérieure n'a semble-t-il affecté dans un sens ou dans l'autre le comportement des Ukrainiens en 1986 ou durant les semaines qui précédèrent l'accident. Il semble au contraire que le comportement de la population ait obéit à des lois classiques du développement des sociétés et de la vie en communauté où le hasard et la compétition jouent un certain rôle : plus il y a de population, plus les risques potentiels de conflits augmentent, auxquels s'ajoutent les problèmes socio-économiques, financiers et politiques qui ne sont pas des moindres dans l'ex-Union soviétique.

Si Vasiliev a interprété ses statistiques dans un sens, à savoir qu'il estime qu'un ou plusieurs événements naturels extérieurs auraient influencé la population et peut-être affecté les installations nucléaires, pourquoi ne les a-t-il pas interprétés dans l'autre sens ? Je ne vois aucune raison de favoriser la première interprétation plutôt que la seconde si ce n'est pour des raisons arbitraires.

Ainsi, avant et après 1986, le nombre d'accident nucléaire n'a pas sensiblement varié, tandis que les accidents d'avions impliquant des civils ont progressé de manière exponentielle, passant d'un seul en 1986 à 20 en 1990 ! Si ces accidents étaient provoqués par dame Nature, les astrophysiciens, les géophysiciens et les météorologistes (climatologues) auraient dû observer plus d'anomalies durant les périodes considérées. Or ces phénomènes n'ont pas été constatés, si ce n'est les effets attendus liés à l'activité solaire (cycle 22 et 23) et au réchauffement du climat par exemple. Mais dans aucun cas, on ne peut prétendre ni démontrer que ces événements naturels auraient par exemple affecté le comportement des citadins, le manque chronique de maintenance de tout le parc des véhicules roulant et volant soviétiques ou celle des installations nucléaires ! Ne confondons pas les erreurs humaines avec l'évolution des systèmes qui tendent naturellement vers le chaos !

En guise de conclusion

Que peut-on bien conclure devant autant d'indices s'opposant à la thèse de Vasiliev ? Il m'a fallut beaucoup de courage pour aller jusqu'au bout de mes recherches et de mes explications, tant les propos de Vasiliev sont ridicules et ne méritent pas une deuxième lecture.

Ceci est particulièrement étrange quand on sait que l'auteur est chercheur lui-même et a travaillé dans des instituts internationaux réputés qui n'ont pas l'habitude de faire de la science-fiction et de passer pour des farfelus. 

Mais ici on se trompe de débat car justement le problème réside dans le fait que les compétences de Vasiliev n'ont rien à voir avec le sujet qu'il discute dans son article. A travers ses propos, il s'est littéralement qualifié d'expert en astronomie, géophysique et météorologie sans en avoir les qualifications. Si en soit ce n'est pas un problème s'il était capable de formuler scientifiquement ses hypothèses, dans ce cas-ci il n'apporte aucun argument convaincant fondé sur des données. Il ne sagit que d'une accumulation incohérente de suppositions gratuites; aucune de ses allégations n'a pu être confirmée.

En me faisant l'avocat du diable, il était évident que le verdict attendu était sans appel, c'est de la désinformation, même si Vasiliev prétend ne proposer aux lecteurs qu'une théorie alternative soi-disant plausible. Il n'aura finalement réussi qu'à augmenter le nombre de lecteurs sur le site de la Pravda, de promouvoir le sens de la mise en scène ou les capacités rédactionnelles des "journalistes" de ce magazine. Rappelons en passant que le journal n'existe plus sous forme papier mais est uniquement disponible en version électronique.

Je suis désolé, mais un journaliste comme un scientifique ne peut pas travailler de la sorte, il doit respecter une éthique et avoir un sens de la déontologie. Quand on voit tous les débordements médiatiques, on ne le rappellera jamais assez dans les universités.

Les effets évoqués sont d'autant moins probables que les énergies requises pour générer des remontées de magma ou des tremblements de terre sont sans communes mesures avec "l'énergie de l'espace" évoquée par Vasiliev.

Reste qu'individuellement, les phénomènes naturels évoqués peuvent provoquer des accidents, et les tremblements de terre ne sont pas des moindres. L'activité solaire et les perturbations ionosphériques sont également capables de faire sauter des centrales à haute tension et de créer des blackouts, y compris de provoquer des défaillances des satellites. Mais il faut atteindre un seuil d'énergie élevé et cela se manifeste dans des conditions exceptionnelles. Si indépendant les uns des autres, ces phénomènes sont relativement rares - et certainement en période de minimum solaire - la conjonction d'effets astronomiques, géophysiques, magnétiques et météos imaginés par Vasiliev est une pure hypothèse gratuite qui ne repose sur aucun fondement. Ce côté farfelu ne plaît pas du tout aux scientifiques. C'est certainement l'une des raisons pour lesquelles cette théorie des effets naturels n'a pas été évoquée dans les rapports d'enquêtes ! Restons sérieux !

S'il fallait encore le préciser, personne n'est jamais parvenu à démontrer que les effets naturels qui se sont produits avant la catastrophe auraient contribué d'une manière ou d'une autre à l'explosion du réacteur. Quand bien même il y a une fracture géologique près de la centrale et qu'un séisme s'est produit dans la région, les rapports comme toutes les simulations effectuées par les experts sont formels : l'accident fut uniquement provoqué par une suite malencontreuse d'erreurs humaines et une sous-estimation flagrante du risque nucléaire par les autorités.

En conclusion, l'accident de Tchernobyl n'a pas été provoqué par un ou une série d'événements naturels. Mais ce n'est pas plus rassurant pour autant car cela confirme que le risque d'un tel accident repose uniquement sur les décisions des autorités et des employés de la centrale nucléaire. Du reste, la question de la sécurité des installations nucléaires vis-à-vis des phénomènes naturels et des séismes en particulier reste d'actualité, ici ou ailleurs.

Je remercie en particulier Joan Burkepile, Elizabeth Dobie-Sarsam, Jim Flocks, Alan Jones, Frank Oehring, Petra du Calldesk, Steve Petrinec, Eric Pirard, Bruce W. Presgrave, Vitaly I. Starostenko, Kate Strachan et Michel Van Camp pour leurs informations et leur disponibilité.

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[1] Strakhov V.N., Starostenko V.I. et al., "Seismic phenomena in the area of Chernobyl nuclear power plan", Geophysical Journal, 1998, vol.17, pp.389-409.

[2] Vitaly I. Khalturin et al., “A study of small magnitude seismic events during 1961 – 1989 on and near the Semipalatinsk test Site, Kazakhstan”, Pure and Applied Geophysics, 158, pp143-171, 2001. Voir également le fichier PDF du DOE.


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