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Et si le temps n'existait pas ?

Et si le temps n'était qu'une illusion ? Document T.Lombry.

La réalité intemporelle (I)

Le travail des théoriciens spécialisés en physique consiste notamment à développer la théorie la plus générale possible, unifiant les deux théories cadres de la physique moderne que sont la physique quantique et la théorie de la relativité générale.

Pour y parvenir, ces mathématiciens doivent bien comprendre le monde dans lequel nous vivons du point de vue physique : ses dimensions, les relations qui s'établissent entre ses variables physiques, etc. Ensuite, ils doivent tenter d'imaginer de nouvelles lois, de nouvelles relations qui leur permettraient d'avoir un nouveau point de vue afin de mieux comprendre ce qui se passe à "notre échelle", qui va de l'échelle de Planck à l'échelle de l'univers, un panorama dont les deux extrêmes sont encore loin au-delà de nos connaissances et de notre imagination tellement les valeurs physiques prennent des proportions a priori impossibles à concevoir. Mais sont-elles vraiment inimaginables et inacessibles pour des chercheurs qui souhaitent relever le défi de comprendre le monde dans lequel nous vivons ?

Si leur théorie est complète, elle devrait prédire ce qui se passe en dessous de l'échelle de Planck et aux limites de l'Univers. C'est en tout cas tout le bonheur qu'on peut leur souhaiter, mais cela reste un voeu pieux.

En compagnie de plusieurs physiciens et théoriciens dont nous allons résumer les recherches actuelles, nous allons passer en revue ces différentes étapes, que nous détaillerons dans d'autres articles, en les articulant autour de la notion de temps, un concept que nous avons déjà abordé en thermodynamique, où nous avons constaté qu'il était bien complexe à cerner.

Un dernier conseil avant de vous aventurer dans ce monde étrange. Fourbissez votre carquoi intellectuel de vos meilleures armes, car, si le voyage que nous vous proposons est extraordinaire, il met votre mental à dure épreuve. Mais rassurez-vous, nous baliserons le chemin pour ne pas vous perdre dans ce labyrinthe spatio-temporel aux dimensions multiples.

La notion de temps

Les physiciens comme les philosophes ont longtemps disserté sur le concept de temps que les Anciens Grecs croyaient régit par Saturne, le père de Jupiter : le temps est-il un absolu, le subit-on, y a-t-il une flèche irréversible du temps, qu'y avait-il "avant" le temps, ... ? Voilà des questions quasi métaphysiques et très difficiles à résoudre mais que certains hommes érudits n'ont pas hésité à étudier, notamment Platon, Boltzmann, Einstein, Prigogine, Kaku, Hawking et consorts.

Aujourd'hui, personne ne peut mieux définir le temps que Ferenc Krausz. Dans son laboratoire d'Optique Quantique de l'Université de Technologie de Vienne, en Autriche, en 2004 il a mesuré le plus petit intervalle de temps jamais enregistré.

Krausz a utilisé les émissions d'un laser UV pulsées à 250 attosecondes pour mesurer le plus petit saut quantique des électrons au coeur des atomes. Les événements qu'ils recherchent durent environ 100 attosecondes (100x 10-16 s), soit 1/100 quintillion de seconde. A une autre échelle, 100 attosecondes correspondent à une seconde comparée à 300 millions d'années. En langage informatique, cela équivaut à un processeur cadencé à près de 1 million de GHz (1015 Hz). Concrètement, le premier chiffre significatif de notre chronomètre digital se trouve à la 14e place derrière la virgule. C'est très court.

Bien que ses collègues ne voient pas encore très bien à quoi pourrait servir cette expérience, ils pensent qu'ils lui trouveront un jour une application.

Mais Krausz est encore loin d'approcher le "temps zéro" ni même la frontière ultime du temps. En effet, il existe en physique une sorte de mur du temps, c'est l'échelle de Planck, bien connue des cosmologistes quantiques et des théoriciens qui étudient le monde à l'échelle quantique. A cette échelle subatomique, les attosecondes ressemblent à des éons.

Le monde à l'échelle de Planck présente des dimensions inférieures à 10-33 cm et des durées inférieures à 10-43 seconde, soit moins d'un trillion de trillion d'attoseconde, c'est le temps de Planck. Qu'y a-t-il au-delà ou avant cette fraction de seconde ? Tempus incognito. Personne ne le sait. Du moins jusqu'à aujourd'hui.

L'échelle de Planck marque la frontière ultime, là où s'arrêtent les lois connues de la physique et où commencent les mystères, une région où les distances et le temps sont tellement étroits que les concepts même de temps et d'espace n'ont plus de signification.

A cette échelle, les physiciens ont besoin d'autres théories pour explorer ce monde étrange. Ces concepts font partie de la famille des théories dites "supersymétriques" car elles mettent sur un même pied d'égalité la matière et l'énergie, les fermions et les bosons : il s'agit des théories de supergravité, de supercordes, la théorie M, la théorie de Tout, etc, autant de concepts très élaborés faisant appel à des univers ayant jusqu'à 11 dimensions ! Voyons ceci en bref.

Les dimensions de l'Univers

Un univers à 3 dimensions

Notre réalité physique est faite de 3 dimensions spatiales. Personne ne remettrait cette idée en question. Ce n'est même pas une idée ou une impression, c'est la réalité physique. Nous ressentons l'espace tous les jours rien qu'à travers le fait d'évoluer dans cet environnement tridimensionnel. Oui, mais...

Bien que ce monde à 3 dimensions semble le seul existant, il représente notre réalité "sensorielle", c'est-à-dire une réalité subjective qui passe par la vue, le toucher et notre interprétation du monde. Or, nous savons d'expérience que nos sens peuvent nous tromper. Toutefois, rassurez-vous, une simple règle et une équerre peuvent nous prouver que notre univers présente bien 3 dimensions d'espace. 

Et s'il y en avait plus ?

Un univers à 4 dimensions

Un univers à 4 dimensions, vous avez déjà vu ça ? En 1905, dans sa théorie de la relativité restreinte, Einstein avait démontré que l'univers n'était pas constitué de 3 dimensions absolues plus celle du temps comme le pensait Newton, mais bien d'un continuum espace-temps à 4 dimensions dont les composantes se modifiaient en fonction de la vitesse relative des référentiels. Rappelez-vous le "paradoxe des jumeaux", le fameux "voyageur de Langevin".

Quelques physiciens un peu idéalistes ont mis 50 ans pour croire à ces effets relativistes - ou n'y ont jamais cru -, mais des expériences de physique très pointues ainsi que les phénomènes les plus violents qui se déroulent dans l'univers nous le confirment tous les jours : dans des conditions extrêmes de gravité ou d'accélération, la durée et la distance deviennent relatifs. C'est un fait, qu'on y croit ou qu'on y croit pas.

A gauche, représentation du "cône de lumière". Si on trace graphiquement l'équation de Minkowski d'un événement présent (au centre), la quantité ct représente un vecteur, un segment du temps que l'on appelle la "ligne d'univers". Cette solution signifie qu'au facteur c près, l'intervalle ds mesure le temps qui s'écoule entre deux évènements, la variable t déterminant l’écoulement du temps au repos. On peut en déduire que plus on s'éloigne de l'origine d'un mouvement uniforme, plus la "ligne d'univers" sera grande. Autrement dit, ds permet de calculer le "vieillissement" de la particule (ou de l'observateur embarqué) pendant l’intervalle de temps. Etant donné qu’aucune particule ne peut se propager plus rapidement que la lumière dans le vide, les cônes ne peuvent pas s’ouvrir à plus de 45°. Dans les trois dimensions de l’espace, ce cône prend la forme d’une sphère. A droite structure simplifiée et statique d'un proton (la grande sphère) et d'un neutron (la petite sphère en haut à droite). A l'intérieur, les trois grandes sphères solidaires sont les quarks de valence, les quarks u (en bleu) et les quarks d (en vert). Les autres petites sphères colorées sont des paires virtuelles de quark-antiquark (u, d, t, b, c et s) formant la mer de quarks. Les petits points représentent la mer de gluons qui assure la cohésion de l'ensemble. Les tire-bouchons représentent l'interaction des gluons. Documents T.Lombry.

A ce stade, un esprit critique préciserait que c'est du moins la réalité physique à notre échelle. En effet, personne n'a jamais vu la forme de l'univers dans un quark ou dans un électron, ces briques fondamentales de la nature. Or si nous voulons être logique avec nous-même et appliquer les principes de la Relativité, si on suppose que l'interaction gravitationnelle (l'attraction) et la densité d'énergie (leur compacité) sont très élevées dans ces particules, leurs effets doivent probablement affecter le tissu de l'espace-temps et peut-être même pour ainsi dire déchirer les dimensions locales de l'univers. Nous n'en avons pas encore la preuve pour la simple raison qu'on n'a jamais pu observer un quark ou un électron isolément, à peine leurs traces. Mais ce n'est pas parce que nous ne voyons pas quelque chose, qu'il n'existe pas.

Pure spéculation d'accord, mais depuis une génération, d'innombrables travaux théoriques indiquent que c'est effectivement à cette échelle quantique que tout se complique : l'univers tridimensionnel macroscopique pourrait n'être que l'illusion d'un monde bien plus complexe à l'échelle de la réalité physique fondamentale. Comment en sommes-nous arrivé à cette idée ?

Un univers à 11 dimensions

Tout commença peu après la publication d'Einstein. En 1919, Théodore Kaluza  nous demanda de faire un effort intellectuel supplémentaire et d'envisager un univers à plus de 4 dimensions.

Bon, d'accord, me direz-vous, nous acceptons avec plus ou moins de réticences que l'univers soit fait d'un continuum à 4 dimensions. Cela dépasse notre bon sens, mais ainsi que nous l'ont démontrées les prémisses, le bon sens est souvent l'ennemi de la logique et de la science. Ce pourrait-il que l'univers contienne plus de 3 dimensions d'espace ou plus précisément plus de 4 dimensions spatio-temporelles ? Nous sommes déjà plus sceptiques, et il n'y a pas que vous et moi. Même les scientifiques qui étudient la question reconnaissent qu'ils s'aventurent en terra incognita. Car une question demeure, où résident ces autres dimensions ?

Illustration d'un espace géométrique de Calabi-Yau à 11 dimensions représenté dans l'espace tridimensionnel. Document World Science Festival.

Accessoirement, plus d'un philosophe et physiciens se sont inquiétés de savoir si cela a un sens de s'interroger sur des choses que personne ne voit ni n'a jamais détecté ? Mais ainsi va la science, rappelez-vous son objectif. Elle s'interroge sur tout et même les questions les plus folles ou jugées métaphysiques méritent une réponse. Certes, parfois la réponse se formule difficilement, mais c'est cela aussi qui rend la chose d'autant plus belle.

Kaluza et ses collègues spécialistes de la supergravité nous parlent depuis bientôt un siècle d'univers à plus de 4 dimensions. Dans sa version la plus moderne, la théorie M, "M" pour membranaire (ou mère de toutes les théories diront certains), les théoriciens pensent que l'Univers pourrait avoir... 11 dimensions !

Un univers à 11 dimensions, me rétorquerez-vous, mais où avez-vous vu ça ? En fait sur papier. Selon les théoriciens, c'est la contrainte nécessaire pour unir la théorie de la Relativité et la théorie quantique dans une théorie plus générale et, en principe, capable de prédire de nouveaux phénomènes, et notamment d'expliquer la nature intrinsèque de la lumière, l'origine du temps et pourquoi pas, le Big Bang.

Les théoriciens qui ont essayé d'explorer ce monde en dessous de l'échelle de Planck en sont revenus avec d'étranges idées, et il faut le reconnaître, carrément révolutionnaires. Des physiciens comme Edward Witten, Michael Green, Michio Kaku ou Stephen Hawking nous parlent d'un espace-temps à 11 dimensions, 10 dimensions d'espace plus celle du temps, contenant non plus des particules, mais des supercordes ou des membranes en vibrations qui formeraient des particules dans leur état fondamental, de plus basse énergie. Selon les théoriciens, il est possible que les 7 dimensions spatiales excédentaires aient été "compactifiées", réduites jusqu'à l'échelle de Planck, ce qui expliquerait pourquoi on ne les voit pas. Bref, il s'agit de concepts très élaborés et intéressants mais qui, pour le dire franchement, rebutent l'ancienne génération et pas mal de lecteurs, même férus de mathématiques. Certes, ces concepts existaient depuis longtemps du point de vue théorique, mais il fallait oser les appliquer à l'univers.

A ce jour toutefois, ces étranges entités n'existent que dans la mémoire des ordinateurs car de mémoire d'homme personne n'a jamais vu les dimensions excédentaires de cet univers. Et ce n'est pas demain que nos moyens techniques nous permettront de les observer.

Cela n'empêche pas les théoriciens de poursuivre leurs recherches, comme en son temps Einstein était à des années-lumière devant les idées des astrophysiciens et des cosmologistes.

Le théoricien John Schwarz de Caltech pressent que la véritable équation de l'univers, la "théorie de Tout", n'a peut-être pas de dimension fixe et que les 10 dimensions émergent seulement une fois que nous avons essayé de résoudre le problème. Paul Townsend de l'Université de Cambridge partage une vue similaire quand il dit : "Toute la notion de dimensionnalité est une approximation qui émerge uniquement dans un contexte semi-classique." Si leur idée se concrétise, la théorie M pourrait être la théorie idéale. Mais ne brûlons pas les étapes !

Deuxième partie

La notion de temps

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