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Le champ magnétique terrestre

Intensité du champ géomagnétique calculé pour 1999 par le modèle IGRF. En rouge les fortes intensités, en mauve les plus faibles. Doc WHOI.

Les modèles de référence du champ magnétique (II)

Si nous comprenons à présent un peu mieux comment se manifeste le champ magnétique terrestre, l'idéal serait de pouvoir le modéliser et simuler son acivité pour prédire son évolution,c e qui a conduit au développement de plusieurs modèles géomagnétiques. Mais malgré des décennies d'études, il est encore utopique de prédire avec précision l'évolution du champ magnétique terrestre car les scientifiques ne connaissent pas encore tous les paramètres entrant dans cette équation.

La représentation du champ géomagnétique passe obligatoirement par la reconstruction du champ à la source d'émission, c'est-à-dire à la surface du noyau externe dont les valeurs sont ensuite plus ou moins extrapolées jusqu'à la surface où les altitudes supérieures (2 rayons terrestres).

Ce travail d'analyse est rendu difficile par la contribution de plusieurs composantes :

- le champ principal d'origine interne créé par le noyau

- le champ secondaire créé par les masses magnétisées (par ex. les roches et les océans)

- le champ magnétique d'origine externe créé par l'interaction du vent solaire avec la magnétosphère et l'ionosphère.

Bien que le champ magnétique externe ne représente que 1% de l'intensité du champ magnétique total, c'est une composante parasite que les géophysiciens doivent éliminer pour connaître les propriétés exactes du champ principal. L'une des méthodes consiste à effectuer ces mesures durant les phases calmes de l'activité solaire mais cela n'élimine pas totalement cette composante.

De plus, comme on le voit ci-dessous à gauche, localement le champ présente des anomalies magnétiques, notamment en Afrique centrale, le champ principal se combinant à un champ magnétique local d'origine crustal (les roches froides agissent comme autant de petits aimants en dessous de leur température de Curie). Ce champ crustal domine à petites échelles et forme donc un écran dont il faut également tenir compte selon l'échelle à laquelle on travaille. Ces anomalies ont également été modélisées.

Les anomalies magnétiques.

En fait on ne peut réellement étudier le champ magnétique interne qu'aux grandes échelles spatiales, moyennant certains précautions lors des relevés sur le terrain (y compris depuis l'espace).

Ce n'est qu'à partir du moment où la composante interne du champ géomagnétique est mesurée en tous points du globe et isolée de tout parasite que les géophysiciens peuvent élaborer des modèles à grande échelle et vérifier si les prédictions sont conformes à la réalité.

L'étude du champ géomagnétique est rendue difficile non seulement sur le plan théorique ainsi que nous l'avons expliqué mais également sur le terrain du fait qu'il est presque totalement enfoui sous la terre. Nous n'en voyons que les effets et son étude revient à en inférer les causes en étudiant une "boîte noire" ! Le scénario pourrait être plus simple, mais telles sont les conditions initiales.

Etant donné que les géophysiciens n'ont pas accès au noyau de la Terre ni à son manteau, ils ont beaucoup de difficultés pour comprendre de quelle manière le noyau externe entretient le champ magnétique. Les seuls enregistrements que l'on puisse faire se limitent à l'analyse des lignes de force du champ magnétique qui percent la surface considérée comme un isolant parfait et qui rejoignent le pôle opposé mais on ne sait rien ou presque des forces qui circulent dans le manteau et dans les couches plus profondes.

Principe du modèle numérique

En raison de ces difficultés, des modèles numériques simples peuvent aider les physiciens à comprendre ces phénomènes dont toutes les variables ou presque sont cachées.

Document T.Lombry.

Du point de vue théorique, le champ magnétique terrestre est orienté dans l'espace et présente deux composantes vectorielles en un point donné de la surface de la Terre : une composante d'induction magnétique z dirigée verticalement et une composante horizontale h. La résultante représente l'intensité du champ magnétique[1] illustrée par le vecteur champ magnétique .

Aux pôles magnétiques la composante horizontale s'annule. L'angle formé par le champ magnétique (la résultante) et le plan horizontal est appelé l'inclinaison magnétique. Elle est positive vers le bas. Sa valeur augmente à mesure qu'on se rapproche des pôles et atteint 90° au pôle magnétique nord (-90° au Pôle Sud magnétique). La valeur de l'induction magnétique est exprimée en tesla (anciennement en gauss, 1 T = 10000 G).

Cette représentation n'est toutefois pas conforme à la réalité. C'est un modèle théorique qui malgré les apparences ne permet pas de calculer l'intensité et la direction du champ magnétique.

Pour y parvenir, sachant que nous sommes en présence de phénomènes oscillants dont les valeurs changent en fonction de l'orientation, les physiciens doivent trouver une méthode de représentation qui leur permet d'étudier des sinusoïdes enroulées le long d'une sphère.

Cette méthode existe, c'est la décomposition en harmoniques sphériques qui est l'analogue tridimensionnel des séries de Fourier. En effet, les transformées de Fourier associent justement un spectre de fréquences à des fonctions qui peuvent être non périodiques mais elles s'appliquent dans le plan.

Les géophysiciens recourent donc à la géométrie sphérique et exploitent la même approche que celle qui s'applique à l'étude des phénomènes accoustiques, du champ de gravitation, des phénomènes météos ou des fonctions d'onde en physique quantique, c'est l'expansion en harmoniques sphériques.

Toutefois, en 1838 Carl Friedrich Gauss inventa une autre méthode de représentation du champ magnétique sous la forme d'une série de fonctions sphériques convergentes dont chacun des termes variait en fonction de la latitude, la longitude et la distance radiale à partir du centre de la Terre (et d'autres coefficients qui leur sont associés). Voilà deux cadres théoriques tout à fait adaptés à nos besoins.

A consulter : Mesure de la composante horizontale du champ magnétique terrestre

Première carte mondiale des anomalies magnétiques, NGDC, 2008

Simulateur d'harmoniques sphériques

Applet Java (le chargement est lent) de Polytechnique

Grâce à ces méthodes qui s'appliquent également au Soleil par exemple, les géophysiciens peuvent décrire les phénomènes harmoniques de différents ordres et degrés (paramètres l et m), y compris les harmoniques zonales (l=7, m=0) et sectorielles (l=7, m=7) que l'on retrouve dans les simulations numériques présentées ci-dessous et réalisés par Emmanuel Dormy de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). La valeur de l'harmonique sphérique réelle est représentée en blanc ou en noir en fonction de son signe. Concrètement certains de ces modes d'oscillations peuvent correspondre à la manière dont se manifeste le champ magnétique terrestre.

Document Emmanuel Dormy, IPGP.

Grâce à ces méthodes complexes, au sens propre comme au sens mathématique, on peut facilement calculer la déclinaison et les autres composantes du champ géomagnétique en utilisant ce qu'on appelle les modèles de référence du champ magnétique.

A l'image des modèles météorologiques, un modèle de référence du champ magnétique est un algorithme mathématique basé sur des paramètres provenant d'une analyse des observations magnétiques effectuées sur l'ensemble ou une partie du globe. Un tel modèle a par exemple permis d'élaborer la carte des anomalies magnétiques présentée en début de page. Ces modèles sont généralement basés sur l'analyse par harmoniques sphériques. 

Le Champ Géomagnétique International de Référence (IGRF) et le Modèle Magnétique Mondial (WMM) sont les deux modèles les plus utilisés, notamment pour la navigation. Chaque pays peut également développer ses propres modèles adaptés au champ géomagnétique local. C'est notamment le cas aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Belgique qui disposent chacun d'un modèle de champ magnétique de référence.

A télécharger : Modèle Géomagnétique IGRF

Zip de 102 KB préparé par le NGDC/NOAA

Evolution du champ géomagnétique

Simulation de la variation séculaire de l'intensité du champ géomagnétique entre 1600 et 2000 réalisée par l'Université de Kyoto à partir du modèle IGRF (GIF de 348 KB).

En complément les astrophysiciens ont développé des modèles solaires et des modèles de l'interaction de la magnétosphère terrestre avec le Soleil. Ensemble, ces modèles permettent de prédire le "temps spatial" (space weather) et son incidence éventuelle sur les activités humaines (risque de radiation, tempête magnétique, blackout radio, etc), tel que le présente ce tableau de bord ou ces différents indices.

Le dipôle magnétique

A grande échelle, le champ géomagnétique se divise en trois composantes : un dipôle axial et deux dipôles équatoriaux, l'ensemble formant le dipôle terrestre.

Ainsi que nous l'avons expliqué, la résultante des composantes d'induction verticale Bz et horizontale Bh donne l'intensité du champ magnétique. Sa valeur se détermine en mesurant le moment dipolaire.

Le champ magnétique terrestre est incliné de 11.6° par rapport aux pôles géographiques mais oscille de manière chaotique autour de son axe. Document NASA-MSFC.

Comme son nom l'indique, le dipôle magnétique présente deux pôles de polarités opposées dont l'axe est incliné d'environ 11.6° par rapport aux pôles géographiques, ce qu'indique la boussole.

Depuis les études sur le géomagnétisme effectuées par les physiciens Patrick Blackett, prix Nobel en 1948, Keith Runcorn et Ted Irving en 1959, nous savons que l'intensité du champ géomagnétique (l'induction magnétique ou champ B) est voisine de 56000 nT (0.56 G) aux pôles et diminue avec la latitude (48000 nT à Bruxelles) pour atteindre la moitié de sa valeur à l'équateur. C'est le champ magnétique le plus fort de toutes les planètes telluriques. L'intensité du champ magnétique chute rapidement avec l'altitude. Sur l'orbite géostationnaire il ne vaut plus que 100 nT et à l'extérieur de la magnétosphère il tombe à 5 nT.

En 1989, Bloxham et Gubbins découvrirent grâce à l'achéomagnétisme que depuis 3000 ans le champ magnétique terrestre diminuait de 0.04% par an, phénomène confirmé par les simulations.

En se basant sur des relevés magnétiques remontant à environ 1600, on a également pu démontrer que le moment magnétique diminuait régulièrement, ce qui tendrait à appuyer la thèse que le champ magnétique terrestre pourrait disparaître.

En 2005, sur base du modèle IGRF le moment dipolaire à la surface de la Terre était de 7.776 x 1022 A.m2 contre 7.779 x 1022 A.m2 en 2000. Selon les études paléomagnétiques réalisées par Valet et son équipe en 2005, au cours des derniers 780000 ans, jusqu'à la dernière inversion l'intensité du moment dipolaire était en moyenne de 7.5 ±1.7 x 1022 A.m2. Durant cette période, la valeur la plus faible était de 4x1022 A.m2 sans qu'on observe d'inversion. Plus tôt encore, entre 780000 ans et 1.2 million d'années, le moment dipolaire présentait une valeur moyenne de 5.3 ±1.5 x 1022 A.m2 seulement.

On peut donc en conclure qu'effectivement le champ géomagnétique diminue d'intensité depuis 3000 ans, mais il reste dans un régime élevé. La situation actuelle n'est donc pas inquiétante en soi ni même si on la compare aux valeurs passées.

On peut également en déduire que le battage médiatique fait autour de cette question est excessif ou ressemble fortement à un effet d'annonce suite aux résultats encourageants des simulations numériques mais ne repose sur aucun indice probant.

Calculez les valeurs du champ géomagnétique en un point du globe, U.Kyoto

Magnetic Field and Declination Calculator, NOAA

Calculateur de déclinaison magnétique, NRCAN

Evolution de l'intensité du champ magnétique (moment dipolaire axial virtuel, VADM) depuis 2 millions d'années établie à partir de mesures relevées dans des laves. Document Valet et al.

Si l'intensité moyenne du champ magnétique terrestre diminue (sa composante dipolaire), il ne faut pas oublier que le dipôle terrestre est constitué d'un dipôle axial qui est stable à long terme, celui qui nous intéresse, et des dipôles équatoriaux qui sont fluctuants. Il est donc intéressant de se demander comment évolue l'orientation du dipôle terrestre, en particulier sa composante axiale au cours du temps.

L'excursion du pôle géomagnétique

En 1853, le physicien italien Macedonio Melloni découvrit que les flots de laves solidifiées conservaient l'empreinte du champ magnétique de façon indélébile, ce qu'on appelle la "mémoire magnétique". Elle se mesure avec un magnétomètre astatique et conduisit à la création de la paléomagnétologie.

Si on analyse la latitude du dipôle géomagnétique depuis 1600 environ, on constate qu'elle s'est écartée des 90°, de la verticale, mais il est intéressant de noter que depuis 1950, tout en diminuant le dipôle axial s'aligne de plus en plus avec l'axe de rotation de la Terre. Autrement dit, le champ magnétique est plus faible que par le passé mais il n'est pas en train de s'inverser, que du contraire.

A lire : Comment évaluer la déclinaison magnétique?, NRCan

Evolution de la déclinaison du champ géomagnétique entre 1596 (gauche) et 2010 (droite) sur base du modèle IGRF. Voici aussi la carte de la NOAA.

On peut également mesurer la position du pôle géomagnétique, c'est-à-dire l'endroit où le champ d'isovaleurs de la composante horizontale du dipôle s'annule à la surface de la Terre. Ce lieu tient compte de l'ensemble du champ géomagnétique.

Depuis 400 ans la déclinaison du champ géomagnétique (la différence entre l'axe du pôle magnétique et l'axe de rotation de la Terre, autrement dit l'angle que forme la boussole avec le Nord géographique) est devenue plus faible et tend à s'aligner du nord au sud comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus ainsi que sur les deux illustrations suivantes, l'une basée sur les données de 1596, l'autre sur celles de 1988.

Ainsi, en 1960 à hauteur de Bruxelles (Observatoire d'Uccle) la déclinaison magnétique (modèle IGRF) était de 9°58' Ouest, elle est passée à 3°49' Ouest en 2006, à 0.77° Est en 2015 et 1°37' Est en 2020 et se déplace de 0.14°/an vers l'est.

Ce changement a des effets concrets. Ainsi, en 2013 par exemple la piste 02/20 de l'aéroport de Bruxelles est devenue la piste 01/19 suite au déplacement du nord magnétique.

Position du pôle Nord géomagnétique, WDCG/U.Kyoto

A télécharger : Logiciel de calcul de la déclinaison magnétique

La déclinaison magnétique calculée pour 1995 sur base du modèle Epoch de l'IGRF pour les besoins du DoD américain.

Grâce au phénomène de mémoire magnétique, on a également constaté que plus on remonte dans le passé, plus la position du pôle nord géomagnétique est loin de sa position actuelle; en l'espace de 500 millions d'années (depuis le Cambrien), le pôle géomagnétique nord s'est déplacé d'environ 10000 km à travers mers et continents suivant une trajectoire irrégulière ainsi qu'on peut le voir sur les deux graphiques présentés ci-dessous.

Origine du déplacement du pôle géomagnétique

Mais pourquoi le pôle géomagnétique se déplace-t-il ? Philip W. Livermore de l'Université de Leeds et ses collègues pensent avoir trouvé la réponse qu'ils ont décrite dans un article publié dans la revue "Nature Geoscience" en 2020 (voir aussi l'article de l'ESA). Les chercheurs ont analysé 20 ans de données géomagnétiques de la mission Swarm de l'ESA concernant les excursions du pôle géomagnétique nord. Ils sont arrivés à la conclusion qu'une compétition entre les deux lobes monolithiques de champs magnétiques proches du noyau est probablement à l'origine de l'excursion des pôles géomagnétiques.

Les excursions des pôles géomagnétiques nord et sud depuis plus d'un siècle. Documents P.Livermore  et al. (2020) et NOAA adapté par l'auteur. Voir également les cartes du WDCG de l'Université de Kyoto.

Comme on le voit sur la carte présentée à droite, lorsque la position précise du nord géomagnétique fut localisée pour la première fois en 1831, elle se trouvait à seulement 70° de latitude en plein Arctique canadien, sur la péninsule de Boothia dans le territoire du Nunavut et progressait vers le le nord du Canada.

Aujourd'hui, grâce à des technologies de pointe, les géophysiciens peuvent surveiller en temps réel l'emplacement du pôle géomagnétique avec une précision sans précédent. Avant les années 1970, la position du pôle Nord géomagnétique semblait progresser au hasard. Depuis, les chercheurs ont constaté que le pôle géomagnétique avance et même accélère en suivant une trajectoire imprévisible et les géophysiciens ne savent pas vraiment pourquoi (cf. A.Witze, 2019).

Entre 1940 et 1990, la position du pôle nord géomagnétique progressa de 5° vers le nord à la vitesse d'environ 15 km par an. Depuis les années 1990, sa vitesse quadrupla et il parcourt actuellement 50 à 60 km par an. 

Le modèle IGRF-13 prédit qu'en 2020 le pôle nord géomagnétique se situait à 86°29' 38.39" de latitude et 162° 52' 1.19" Est) et à moins de 400 km du pôle Nord géographique et s'en écarte. On s'attend à ce qu'il se situe à environ 270 km plus loin en 2030, ce qui le place à la limite nord de la mer de Sibérie orientale (cf. WDCG/U.Kyoto).

Au pôle Sud son évolution est plus lente et suit celle du champ magnétique. Ces mesures sont confirmées par les modèles de référence.

En revanche, dans le noyau, le magma parcourt 1 km par an seulement. Le pôle magnétique se déplace donc 60 fois plus vite qu'en profondeur.

Le déplacement rapide du pôle géomagnétique est un sujet préoccupant pour les systèmes de navigation qui s'appuient sur des calculs précis de l'emplacement du pôle, forçant le National Geophysical Data Center (NGDC) de la NOAA à publier en 2019 une mise à jour du modèle magnétique mondial.

Intensité des empreintes des deux piliers ou "blobs" du dipôle géomagnétique au pôle Nord. Document ESA.

Ce dont les chercheurs ont aujourd'hui besoin, c'est d'une idée précise des mécanismes physiques derrière ce déplacement afin de prédire avec précision les mouvements magnétiques de la Terre.

Selon les chercheurs, le cap du pôle Nord s'aligne parfaitement avec deux anomalies appelées flux magnétiques négatifs, l'une profondément enfoui sous le Canada et l'autre sous la Sibérie. L'importance de l'empreinte de ces deux piliers ou "blobs" pour déterminer la structure du champ près du pôle géomagnétique nord est connue depuis plusieurs siècles. Comme on le voit à gauche, ces grands lobes de champ magnétisme grandissent et rétrécissent avec le temps, ce qui engendre d'importants effets sur le champ géomagnétique mesuré en surface.

Entre 1970 et 1999, des changements dans les interactions entre le manteau flottant et le noyau dense et en rotation de la planète ont provoqué l'allongement du blob situé sous le Canada, réduisant la force du champ magnétique correspondant.

Selon Livermore, "Aujourd'hui le blob canadien a surpassé en intensité le blob sibérien et c'est pourquoi le pôle est centré sur le Canada. Mais au cours des dernières décennies, le blob canadien s'est affaibli et le blob sibérien s'est légèrement renforcé, ce qui explique pourquoi la position du pôle s'est soudainement accélérée loin de sa position historique."

Ce sont les mouvements du fer liquide qui compose la majorité du noyau terrestre qui font dériver les pôles magnétiques. Les dernières prévisions de Livermore et ses collègues suggèrent que le nord magnétique poursuivra sa route vers la Russie, mais il est impossible de prévoir s'il se dirigera vers le Canada ensuite.

Si on peut en déduire que la position du pôle géomagnétique nord avancera encore pendant quelque temps, on ignore toujours où il s'arrêtera, combien de temps et quand il pourrait reculer et revenir sur ses pas. En fait, les géophysiciens ignorent l'essentiel des propriétés du moteur qui tourne dans les entrailles de la Terre. Pour en savoir plus, ils doivent obtenir plus de données pour de développer des modèles plus précis afin de prédire où les pôles magnétiques se trouveront à l'avenir.

Champ d'isovaleurs autour du dip

Si on étudie à présent le champ d'isovaleurs de la composante magnétique horizontale, on constate qu'au pôle nord géomagnétique, ce qu'on appelle le "dip" (où il s'annule et où le champ géomagnétique pointe vers le bas), sa position est très mal définie. Comme on le voit ci-dessous, le zéro oscille dans une ellipse longue de plusieurs centaines de kilomètres alors qu'au Pôle Sud cette zone est quasi ponctuelle, ce qui explique la faible excursion de la position du pôle sud magnétique.

Plus étonnant, on a également découvert qu'en fonction de l'endroit où la mesure du moment magnétique était effectuée (Amérique du Nord, Europe ou Asie), on obtenait trois trajectoires différentes qui ne se rejoignaient pas au Pôle !

Positions des pôles géomagnétiques nord et sud ou "dip" (en rouge) à trois époques. Les isovaleurs de l'intensité de la composante magnétique horizontale sont représentées en nuances de bleu. Document M.Mandea et E.Dormy (2003).

Pour expliquer cette "anomalie", il n'y avait qu'une explication. Non, les opérateurs n'ont pas fait d'erreur et il n'y a pas trois pôles magnétiques ; c'est en fait une preuve de plus de la dérive des continents et de l'exactitude de la théorie de Wegener. Ainsi un travail scientifique réalisé dans une discipline a permis indirectement de renforcer une théorie dans une autre discipline. C'est un indice de plus de l'intérêt des conférences organisées entre scientifiques appartenant à des disciplines différentes.

Enfin, à l'image de l'axe instantané de l'inclinaison de la Terre, l'axe instantané du pôle géomagnétique oscille également sur une période d'une journée. Il évolue ainsi en permanence dans une ellipse d'environ 80 km de longueur.

A partir de ces différentes analyses on peut conclure que non seulement le champ magnétique est relativement intense comparativement au passé, il ne s'effondre pas et son axe s'aligne de plus en plus avec le nord géographique, ce qui vous en conviendrez ne va pas tout à fait dans le sens d'une inversion prochaine du champ magnétique ainsi que l'ont décrétés un peu trop rapidement les médias.

A leur décharge on peut éventuellement évoquer le fait que si l'axe du champ magnétique dépasse un peu trop rapidement le pôle, il va de fait s'incliner dans l'autre direction et donc tendre vers une nouvelle inversion; si on extrapole le taux de déplacement actuel, on constate qu'en 2050 il pourrait se retrouver de l'autre côté du pôle géographique. Mais entre-temps il peut très bien ralentir sa course.

De toute façon, qu'on le sache ou pas ne changera rien à la question : si l'inversion se produit on ne pourra que la subir. Mais quelle chance ce phénomène a-t-il de se produire ? C'est la question que nous allons à présent aborder.

Dernier chapitre

L'inversion du champ géomagnétique

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[1] Dans de nombreuses publications, l'intensité des champs magnétiques B et H est souvent assimilée à celle du "champ magnétique" ou on associe le champ magnétique au seul champ B, réservant le champ H aux milieux continus (aux phénomènes macroscopiques). Or selon la terminologie officielle, l'intensité du champ magnétique ne concerne que le champ H qui s'exprime en ampères par mètre (A/m), tandis que le champ B (l'induction magnétique) s'exprime en tesla (ou anciennement en gauss). La densité de flux magnétique dΦ représente le produit de l’intensité du champ magnétique B par la surface (dΦ=B.dS) et s'exprime en weber/m2 (1 Wb/m2 = 1 T = 10000 G).


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