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Les grandes étapes de l'évolution de la Terre et de la vie

L'histoire de la Terre. Document Cécil Baboulène.

L'apparition et le développement de la vie (II)

Le Précambrien : Hadéen (4.65 à 3.80 Ga)

Selon les modèles, il y a 4 milliards d'années la luminosité du Soleil était 27% plus faible qu'aujourd'hui et était encore 20% plus faible qu'aujourd'hui il y a 2.8 milliards d'années. Avec beaucoup moins de chaleur solaire disponible et le piégage du gaz carbonique dans les carbonates en raison du lessivage des roches, la Terre aurait pu connaître une glaciation durant l'Hadéen.

Or, comme nous l'avons expliqué, les analyses des zircons et des radioisotopes de l'oxygène et du silicum datant de 3.8 milliards d'années montrent que la pression du gaz carbonique était encore de 3 bars à cette époque, entraînant un puissant effet de serre, portant la température de l'air à plus de 250°C en surface tandis que la température des océans était probablement voisine de 70°C.

Quelles conditions faut-il réunir pour que la vie émerge ? Pour que la vie se développe (cf. la définition de la vie et les clés de la vie sur Terre), trois éléments doivent être réunis : l'eau, l'énergie et les nutriments (le carbone et des minéraux). Ces éléments étaient réunis à la fin de l'Hadéen.

On ignore encore précisément si l'atmosphère était toujours plus ou moins réductrice (riche en hydrogène) à la fin de l'Hadéen. Dans le pire scénario, l'hydrogène s'est rapidement dispersé dans l'espace conduisant à une atmosphère non réductrice mais encore très pauvre en oxygène. Cet environnement rendit difficile voire impossible la formation de molécules organiques dans un milieu neutre. Toutefois, dans certains endroits la planète était habitable et donc la vie était possible.

Ainsi, comme c'est toujours le cas aujourd'hui, la croûte terrestre présente un caractère réducteur qui permet la synthèse de composés organiques. Si la vie ne pouvait peut-être pas encore se développer dans l'air, les conditions étaient réunies dans les lacs et les océans, en particulier autour des sources hydrothermales et des fumeurs se formant à l'interface entre l'eau et les roches magmatiques réductrices riches en fer (Fe2+).

Sachant que les ions métalliques sont des catalyseurs des réactions chimiques, à partir du gaz carbonique dissout dans l'eau, grâce à la réaction de synthèse de Fischer-Tropsch dans un milieu aqueux et chaud, on peut produire des hydrocarbures (par exemple de l'essence et du gaz de synthèse à partir du charbon ou du gaz) et des acides gras, une première étape vers la vie.

A télécharger : Echelle des temps géologiques (et PDF)

Etant donné les conditions pour le moins hostiles qui régnèrent sur la Terre durant l'Hadéen, jusqu'à preuve du contraire, nous n'avons découvert aucune forme de vie remontant à cette époque. Mais comme nous venons de l'expliquer, cela ne veut dire que la vie n'a pas existé au fond des mers à la fin de l'Hadéen. Mais compte tenu du cycle de vie des fonds océaniques et des déplacement des plaques tectoniques, trouver d'éventuelles traces de vie identifiables de cette époque est un défi qui relèvera d'un coup de chance extraordinaire.

Les sources d'énergie

Pour que la vie puisse se développer, la condition sine qua non est l'existence d'une source d'énergie qui bien sûr ne soit pas létale. Comme le rappela la biologiste Olivia Judson de l'Université Libre de Berlin dans un article publié dans la revue "Nature" en 2017, les scientiques ont divisé l'histoire de la vie sur Terre en cinq époques "énergétiques", chacune présentant une période durant laquelle les formes de vie ont été capables d'exploiter une nouvelle source d'énergie.

Le développement de la vie sur Terre repose sur cinq sources d'énergie. Voir le texte pour les explications. Document Olivia P.Judson (2017).

Comme on le voit sur le graphique présenté à gauche, ces sources sont : l'énergie géochimique (la plus ancienne, apparue lorsque l'eau réagit avec les basaltes et les autres roches), la lumière du Soleil (photosynthèse), l'oxygène (produit pour moitié par le plancton et qui fit exploser la vie au Cambrien notamment), la viande (pour son apport en protéines chez les carnivores et les omnivores) et le feu (naturel comme celui déclenché par les éclairs qui affecte la qualité des sols et peut développer la biodiversité, la distribution des plantes et des animaux qui s'en nourrissent). En résumé, cinq sources d'énergie participent au développement de toute la chaîne alimentaire.

Les deux premières sources d'énergie existent depuis la formation de la Terre tandis que l'oxygène, la viande et le feu sont les résultats d'évènements évolutifs. Étant donné qu'aucune catégorie de source d'énergie n'a disparu, au cours de l'histoire de la Terre, leur disponibilité eut un impact majeur sur l'environnement planétaire dont les effets se sont étendus et diversifiés au fil du temps. Cette diversification des sources d'énergie a également transformé les environnements qui, par rétroaction, ont contraint les changements évolutifs, y compris la diversité des organismes dans certaines directions plus ou moins temporaires ou durables en fonction des circonstances.

Le fait que la Terre dispose d'énergie libre dite gratuite est une exigence universelle pour la vie. Comme nous l'apprend l'écologie, elle entraîne des mouvements mécaniques et des réactions chimiques qui, en biologie, peuvent transformer une cellule, un organisme ou toute une population; c'est la théorie de l'évolution de Darwin avec ses effets à travers la faculté d'adaptation des organismes.

Notons que l'étude de l'évolution des sources d'énergie et leurs rétroactions sur le développement de la vie sur Terre peut nous apporter des informations sur l'évolution potentielle de la vie sur d'autres planètes. On y reviendra en bioastronomie.

De la vie sans tectonique des plaques

La tectonique des plaques implique le mouvement horizontal et l'interaction de grandes plaques lithosphériques à la surface de la Terre. Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2023 John A. Tarduno de l'Université de Rochester et ses collègues ont montré que la tectonique des plaques mobiles - considérée comme nécessaire à la création d'une planète habitable - ne se produisait pas sur la Terre pendant au moins 1 milliard d'année, entre l'Adéen et l'Archéen. Cette découverte contredit les hypothèses précédentes sur le rôle de la tectonique des plaques mobiles dans le développement de la vie sur Terre. En effet, jusqu'à présent les scientifiques avaient toujours pensé que la tectonique des plaques qui permet à la chaleur interne de la Terre de s'échapper vers la surface, formant des cratons puis des continents et d'autres caractéristiques géologiques, étaient nécessaire à l'émergence de la vie. Mais de nouvelles études mettent en doute cette hypothèse.

Les auteurs ont utilisé des zircons prélevés sur des échantillons de grès pour étudier la tectonique des plaques il y a environ 3.9 milliards d'années, époque vers laquelle les scientifiques pensent que les premières formes de vie sont apparues sur Terre. On y reviendra.

Pour rappel, les zircons sont de minuscules cristaux contenant des particules magnétiques qui figent l'aimantation générée par la Terre au moment de leur formation. En datant les zircons, les chercheurs peuvent construire une ligne du temps retraçant le développement du champ magnétique terrestre dont l'intensité et la direction varient en fonction de la latitude. Nous reviendrons sur les zircons en d'autres occasions.

En principe, si l'efficacité de la géodynamo - le processus générant le champ magnétique - est constante et que l'intensité du champ change sur une période, la latitude à laquelle les zircons se sont formés doit également changer. Mais Tarduno et son équipe ont découvert le contraire : les zircons qu'ils ont étudiés en Afrique du Sud ont indiqué qu'il y a environ 3.9 à 3.4 milliards d'années, la force du champ géomagnétique n'a pas changé, ce qui signifie que les latitudes n'ont pas changé non plus et donc que les continents n'ont pas dérivés.

Selon Tarduro, du fait que la tectonique des plaques comprend des changements de latitudes de diverses masses terrestres, "les mouvements tectoniques des plaques ne se produisaient probablement pas pendant cette période et il devait y avoir une autre façon pour la Terre d'évacuer la chaleur."

Pour appuyer leur hypothèse, les chercheurs ont trouvé les mêmes motifs dans des zircons d'Australie occidentale. En conclusion dit Tarduno, "nous ne disons pas que les zircons se sont formés sur le même continent, mais il semble qu'ils se soient formés à la même latitude inchangée, ce qui renforce notre argument selon lequel il n'y avait pas de mouvement tectonique des plaques à ce moment-là."

A gauche, la tectonique des plaques implique le mouvement horizontal et l'interaction de grandes plaques lithosphériques à la surface de la Terre. Les travaux de John A. Tarduno et ses collègues indiquent que la tectonique des plaques mobiles, considérée comme nécessaire à la création d'une planète habitable, n'existait pas sur la Terre entre 3.9 et 3.4 milliards d'années. A droite, les chercheurs ont utilisé des zircons collectés en Afrique du Sud pour étudier la dérive des continents. En piégant le champ magnétique (illustré par les lignes de force), ces cristaux nous renseignent indirectement sur le déplacement ou non des plaques tectoniques. Documents T.Lombry et U. Rochester/ J. Adam Fenster, Michael Osadciw.

Les résultats de leur étude mettent en lumière les conditions qui régnaient il y a 3.9 milliards d'années et quelques temps après, révélant une interaction complexe entre la croûte terrestre, le noyau et l'émergence de la vie. Les chercheurs ont découvert que sans mouvement des plaques tectoniques, la Terre libéra de la chaleur à travers ce que l'on appelle "un régime de couvercle stagnant". De quoi s'agit-il ?

La Terre est un moteur thermique et la tectonique des plaques représente en fin de compte le dégagement de chaleur de la Terre. Mais la tectonique du couvercle stagnant - qui crée des failles à la surface de la Terre - est un autre moyen permettant à la planète d'évacuer sa chaleur interne.

Tarduno et ses collègues rapportent qu'en moyenne, les plaques tectoniques des 600 derniers millions d'années se sont déplacées d'au moins 8500 km en latitude. En revanche, la tectonique du couvercle stagnant décrit comment la couche la plus externe de la Terre se comporte sans mouvement horizontal actif des plaques. Au lieu de cela, la couche externe reste en place pendant que l'intérieur de la planète se refroidit. De grands panaches de matériaux en fusion provenant de l'intérieur profond de la Terre peuvent provoquer la fissuration de la lithosphère. La tectonique des couvercles stagnants n'est pas aussi efficace que la tectonique des plaques pour libérer la chaleur du manteau terrestre, mais elle peut toujours conduire à la formation de continents. Selon Tarduno, "la Terre primitive n'était pas une planète où tout était mort en surface. Il se passait encore des choses à la surface de la Terre ; nos recherches indiquent qu'ils ne se produisaient tout simplement pas à travers la tectonique des plaques. Nous avions assez de cycles géochimiques fournis par les processus de couvercles stagnants pour produire des conditions propices à l'émergence de la vie."

La planète Vénus présente une tectonique du couvercle stagnant. Selon Tarduno, "Les gens ont tendance à penser que la tectonique du couvercle stagnant n'aboutirait pas à une planète habitable à cause de ce qui se passe sur Vénus. Ce n'est pas un endroit très agréable à vivre : elle a une atmosphère écrasante de dioxyde de carbone et des nuages d'acide sulfurique. C'est parce que la chaleur n'est pas évacuée efficacement de la surface de la planète." Sans la tectonique des plaques, la Terre aurait peut-être connu un sort similaire.

Alors que chercheurs laissent entendre que la tectonique des plaques a peut-être seulement commencé sur Terre peu après 3.4 milliards d'années, la communauté des géologues est divisée sur la date précise, une question finalement très technique.

Tarduno conclut : "Nous pensons que la tectonique des plaques, à long terme, est importante pour éliminer la chaleur, générer le champ magnétique et garder les choses habitables sur notre planète [...] Mais, nous avons découvert qu'il n'y avait pas de tectonique des plaques au moment où l'on pense que la vie est née, et qu'il n'y avait pas de tectonique des plaques pendant des centaines de millions d'années après. Nos données suggèrent que lorsque nous recherchons des exoplanètes qui abritent la vie, les planètes n'ont pas nécessairement besoin d'avoir une tectonique des plaques."

Traces primitives de métabolisme biologique : 4.37 à 3.95 milliards d'années

Comme nous l'avons évoqué, si la plupart des paléontologues et paléobiologistes n'ont pas trouvé de fossiles datant du Précambrien (Hadéen), en revanche ils ont découvert de nombreuses roches sédimentaires très anciennes présentant des traces évoquant un métabolisme biologique.

La géologie nous apprit par exemple que la zone d'Ishua (ou Isua) située près de Godhab au Groenland remontait aux environs de 3.8 milliards d'années et comptait ainsi parmi les plus vieilles roches sédimentaires. De retour d'une expédition dans cette région, le géologue Vic MacGregor ramena des échantillons qui datèrent de 3.7 milliards d'années. Un échantillon de l'Est Indien datait même de 3.8 milliards d'années mais il se décomposa. En 1988, Mandred Schidlowski de l'Institut Max Planck de Chimie apporta enfin la preuve aux moyens d'enregistrements isotopiques que la vie avait bien existé à cette lointaine époque. L'exobiologiste Cyril Ponnamperuma du centre Ames de la NASA confirma dans le rapport concluant ses analyses chimiques que l'on avait reculé l'âge des premiers signes de la vie bien au-delà de la limite des 2 milliards d'années qui tenait depuis 20 ans.

Puis il fallut de nouveau attendre plusieurs décennies pour qu'on découvre des traces suggérant qu'il existerait des formes de vie plus anciennes. En effet, en 2015 le géochimiste Mark Harrison et ses collègues de l'UCLA ont annoncé dans les "PNAS" avoir découvert des traces de vie âgées de 4.1 milliards d’années.

Sa collègue Elizabeth A. Bell et son équipe avaient analysé plus de 10000 grains de zircon extraits d’'une roche récoltée à Jack Hills, dans l'ouest de l'Australie. Les chercheurs ont ensuite sélectionné 656 spécimens âgés de plus de 3.8 milliards d'années présentant des inclusions sombres puis analysé 79 specimens par spectroscopie Raman, une technique qui permet de connaître la structure moléculaire et chimique de microfossiles en trois dimensions grâce à un balayage vertical à travers l'échantillon.

A gauche, spectroscopie Raman révélant des traces de graphite dans un échantillon de zircon. Au centre, datation des plus anciens échantillons biotiques. A droite, l'échantillon de zircon daté de 4.4 milliards d'années. Il comprend également de l'oxygène et de la silice (les grandes zones bleues foncées elliptiques correspondent à des inclusions de quartz). Document M.Harrison et al. et J.Valley et al.

Du graphite, du carbone pur, a été découvert dans une inclusion de zircon. Or, le graphite est la forme stable des molécules carbonées que Steve Mojzsis avait déjà découvert en 1996 à Ishua.

Dans ces nouvelles inclusions, les chercheurs ont trouvé un mélange d’isotopes de carbone 12C/13C rappelant “les restes visqueux d’une vie biotique”, a déclaré Harrison. Ces résidus carbonés contiennent un taux plus important de 12C que de 13C, typique des échantillons d’organismes vivants ou fossiles. Selon Harrison le carbone proviendrait d'une colonie de micro-organismes inconnus.

Jusqu'à présent, les plus anciennes traces de vie remontaient à 3.8 milliards d’années (Ishua 1996 et Akilia 2007). A présent, cette découverte reculerait l'apparition de la vie de 300 millions d'années. C'est donc vers 4.1 milliards d'années que nous devrions assister à l'étape de transition entre la matière inanimée et les organismes primitifs.

Toutefois les indices récoltés ne constituent pas une preuve irréfutable que la vie est apparue à cette époque. En effet, plusieurs études (Mark Van Zuilen 2002, Dominic Papineau 2011) ont déjà montré que du graphite pouvait se former sous l'action de fluides infiltrés postérieurement dans ces roches.

Enfin, toujours en 2017, Takayuki Tashiro de l'Université de Tokyo et son équipe ont annoncé dans la revue "Nature" la découverte de roches sédimentaires au Labrador dans le nord-est du Canada, contenant des traces biologiques remontant à 3.95 milliards d'années, c'est-à-dire de l'époque Eoarchéenne où l'écorce terrestre était encore toute récente et l'atmosphère très chargée et ne contenant pratiquement pas d'oxygène.

Mais une nouvelle fois, il ne s'agit pas d'organismes primitifs mais de traces de graphite et de carbonate qui analysés au radiocarbone contiennent des éléments biogéniques pouvant être soit des restes fossilisés de cellules soit le résultat de processus géochimiques.

Les chercheurs ont comparé les températures de cristallisation du graphite et celles qui ont chauffé la roche sédimentaire et exclut une contamination ultérieure. Étant donné que les traces ne sont pas beaucoup plus que des fragments chimiques de graphite et de carbonate, ils ne nous apprennent pas grand chose sur la nature des éventuels organismes qui les ont laissés derrière eux. Toutefois, cette découverte apporte un élément de plus au puzzle du vivant en apportant une donnée sur la manière dont la vie aurait pu évoluer à cet endroit, suggérant qu'elle devait s'adapter à des conditions hostiles.

Ces quelques découvertes renforcent l'idée que la biosphère a pu abriter une forme de vie bien plus tôt qu'on le pensait, en fait dès que la surface terrestre s'est solidifiée et les premières étendues liquides sont apparues, c'est-à-dire 440-510 millions d’années seulement après la formation de la Terre.

Complétée par la découverte de zircons remontant à 4.374 milliards d’années par John Valley précité (cf. "Nature Geoccience", 2014), ces traces montrent qu'à cette époque la Terre présentait déjà des surfaces solides et abritait vraisemblablement la vie. Bien que la vie complexe se développe sur des échelles de temps très longues, elle semble facilement émerger dès que les conditions physico-chimiques sont réunies. Cela donne encore plus d'espoir de trouver des traces de vie, vivantes ou fossiles ailleurs que sur Terre et notamment sur Mars et Encélade sans même imaginer sur les exoplanètes telluriques.

Effet de l'activité microbienne sur le climat Archéen

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2020, Boris Sauterey de l'Institut de Biologie de l'ENS et ses collègues ont montré qu'entre 3.5 et 4 milliards d'années avant notre ère, le développement d'écosystèmes primitifs basés sur la production et la consommation du méthane, un gaz atmosphérique à fort effet de serre, a influencé, en lien avec le cycle du carbone, le climat terrestre, les cycles glaciaires et donc l'habitabilité de notre planète. L'activité biologique a exercé un contrôle sur l'atmosphère et le climat plusieurs centaines de millions d'années avant l'apparition des premiers organismes photosynthétiques producteurs d'oxygène.

Ce modèle de l'écosystème terrestre décrit l'abondance de la population (biomasse totale, flèches jaunes) des méthanogènes microbiens à base de H2 (MG), des acétogènes à base de CO (AG) et des acétotrophes méthanogènes (AT), ainsi que les concentrations océaniques de CH4, CO, CO2 et H2 et les rapports de mélange atmosphérique. Les flux directement impliqués dans la fonction de l'écosystème MG sont indiqués par les flèches noires. Les flux impliqués dans la fonction de l'écosystème AG+AT sont indiqués en rouge. Les réactions photochimiques clés sont indiquées par les flèches en pointillés. La principale source de réduction d'énergie (H2) est le dégazage volcanique. Les flux à travers la surface de l'océan sont régis par un modèle de couche limite stagnante. Les taux d"échappement du H2 dans l'espace et l'enfouissement de la biomasse morte dans les sédiments profonds sont constants. Les méthanotrophes à base de sulfate ne sont pas représentés.

Rétroaction biologique à court terme sur l'atmosphère et le climat. Les effets sont calculés en fonction du dégazage volcanique du H2 et de la température abiotique en surface (TGeo), pour chaque composition de l'écosystème. MG indique des méthanogènes à base de H2. AG+AT indique les acétogènes à base de CO et les systèmes d'acétotrophes méthanogènes. MG+AG+AT indique des méthanogènes, des acétogènes et des acétotrophes concomitants. TGeo varie en changeant la concentration de CO2 dans le modèle climatique. a). Concentration de CH4 atmosphérique à l'équilibre écosystème-climat. Les zones ombrées indiquent les conditions de formation d'un trouble organique. b) Différence de température entre TGeo et la température de surface globale atteinte à l'équilibre écosystème-climat, TBioGeo. Les zones ombrées indiquent les conditions conduisant à la formation de brume organique (a) et à la glaciation (b).

Documents B.Sauterey et al. (2020) adaptés par l'auteur.

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs se sont basés sur la théorie précédente (cf. K.Ozaki et al., 2017; J.F. Kasting et al., 2005; J.F. Kasting et al., 2001) et développèrent une modélisation probabiliste dans laquelle l'évolution d'une biosphère microbienne est couplée à la dynamique géochimique et climatique sur les premières surfaces solides. Les chercheurs ont étudié 4 métabolismes microbiens simples impliqués dans le cycle du méthane et supposés compter parmi les premiers processus de l'écologie terrestre : la méthanogenèse hydrogénotrophique (MG), l'acétogenèse (AG), l'acétotrophie méthanogène (AT) et l'oxydation anaérobie du méthane (MT). Ensuite, le modèle calcula l'évolution de la biosphère en prédisant de quelle manière un métabolisme qui n'était pas présent apparaît et s'adapte. En fermant la boucle de rétroaction globale entre processus biologiques de surface et planétaire, le modèle prédit à la fois l'écosystème et les états atmosphère-climat dans l'hypothèse où ils s'influençaient mutuellement.

État d'équilibre de la planète à mesure que la biosphère se diversifie. Séquences évolutives plausibles de l'innovation métabolique. Les astérisques indiquent des transitions provoquant probablement un changement significatif de la composition atmosphérique. Document B.Sauterey et al. (2020) adapté par l'auteur.

Les résultats des chercheurs confirment que la Terre de la fin de l'Hadéen/début Archéen était très probablement habitable dans les biosphères chimiolithotrophes basées sur le cycle du méthane. Dans l'hypothèse d'un approvisionnement suffisamment élevé en hydrogène, ces biosphères représentaient des facteurs clés de l'évolution chimique de l'atmosphère.

Selon les résultats des simulations, sur de courtes échelles de temps (105-106 ans), l'évolution des biosphères méthanogènes a pu considérablement réchauffer le climat et influencer sa résilience, malgré une très faible productivité des écosystèmes. Sur des échelles de temps plus longues, proportionnelles à la réponse abiotique du cycle du carbone aux variations de température, tous les écosystèmes convergent vers de nouveaux équilibres stables. Dans ces conditions d'équilibre à long terme, la température de surface moyenne ne diffère pas beaucoup de l'état abiotique et le cycle du carbone est le mécanisme prédominant de la régulation du climat. Cependant, tous les équilibres des écosystèmes partagent une signature atmosphérique distincte de l'état abiotique caractérisée par un faible rapport CO/CH4.

En plus d'influencer les caractéristiques planétaires à l'équilibre, le rythme de l'évolution métabolique a fortement influencé l'atmosphère et l'histoire du climat. En particulier, l'évolution rapide des méthanotrophes (des procaryote chimioautotrophes basés sur le cycle du méthane) aurait eu un effet limité ou nul sur le climat, alors que leur évolution retardée pourrait provoquer de fortes périodes transitoires conduisant à une glaciation mondiale.

Le nouveau modèle a notamment permis de prédire de façon générale que les écosystèmes MG et AG+AT sont caractérisés par une faible production de biomasse par rapport à leur impact planétaire sur l'atmosphère et le climat; la production de biomasse serait 1 à 4 ordres de grandeur inférieure aux estimations précédentes et 3 à 7 ordres de grandeur inférieure aux valeurs modernes. La production mondiale maximale de biomasse (atteinte pour une combinaison très spécifique de conditions biotiques et abiotiques) est de 1010 molécules de carbone par cm2 par seconde, ou 30 millions de tonnes de carbone par an. C'est environ 1000 fois moins que les estimations de production primaire moderne. Tant en termes de stock que de flux, la biomasse a donc très peu d'effet sur le couplage biogéologique, ce qui est une différence majeure avec les écosystèmes modernes.

Les premiers organismes : 3.5 milliards d'années

Pour les paléontologues des années 1960, la vie semblait avoir débuté au Cambrien, il y a 540 millions d'années avec les trilobites et les méduses, car il n'y avait a priori aucune trace de squelettes antérieure à cette date, donc il n'y avait pas de vie tout simplement. Remercions le travail effectué par les micro-paléontologues et les biochimistes qui reculèrent la date du début de la vie toujours en arrière. En effet, en 1981 les géologues Donald R. Lowe et Gary R. Byerly de l'Université de Louisiane découvrirent des stromatolites microfossiles au Zimbabwe qui remontaient à 3.5 milliards d'années, à l'époque du continent Gondwana. Mais ces fossiles ne contenaient pas de cyanobactéries (voir plus bas) comme leurs descendants.

A consulter : Lifemap

A gauche, les strates circulaires d'environ 1.5 m de diamètre visibles dans cette roche datent de 2.7 milliards d'années. Il s'agit du fossile d'un stromatolite découvert en Australie occidentale (WA) et témoigne d'une vie unicellulaire, photosynthétique, au bord d'un grand lac. Ce fossile suggère que cette vie microbienne prospérait malgré une atmosphère encore assez mince (cf. S.M.Som et al., Nature, 2016). A droite, la coupe d'un stromatolite se développant aux Bahamas. L'image couvre une longueur de 5 mm. Documents Roger Buick/U. de Washington et anonyme.

Les stromatolites sont constitués de sédiments sur lesquels se fixent les cyanobactéries qui capturent le calcium contenu dans l'eau et le fixe avec de la boue collante. Ils se développent à raison de quelques millimètres d'épaisseur par an. Un travail similaire est exécuté par les éponges. Celles-ci assuraient déjà cette fonction à la période jurassique dont on retrouve des spécimens dans les montagnes du Jura. Voici 3.5 à 3.8 milliards d'années, malgré leur taille microscopique, ce sont ces colonies bactériennes qui ont apporté tout l'oxygène contenu dans les océans et ensuite dans l'atmosphère il y a environ 2.4 milliards d'années. Nous leur devons la vie.

Comme on le voit ci-dessous, aujourd'hui les descendants des stromatolites du Précambrien (Archéen) survivent toujours, en particulier dans les eaux chaudes et peu profondes de Shark Bay en Australie Occidentale, à Exuma Cays aux Bahamas (découverts en 1983) ainsi que dans les lacs turquoises des "Rosas esmeralda" de Cuatro cienegas au nord-est du Mexique et dans la lagune de Bacalar au Yucatan.

A gauche, des stromatolites vivant dans les eaux peu profondes de Shark Bay en Australie. Au centre et à droite, des stromatolites âgés d'environ 2000 ans découverts en 1983 à Exuma Cays aux Bahamas. Documents D.R.

En 2017, le paléobiologiste J.William Schopf de l'UCLA et ses collègues découvrirent dans les collines d'Apex Chert dans l'ouest de l'Australie des microfossiles âgés d'environ 3.5 milliards d'années préservés dans des couches sédimentaires fossilisées. En fait, les fossiles furent découverts en 1993 mais ce n'est qu'en 2017 qu'une analyse chimique sophistiquée fut réalisée grâce à un nouveau modèle de spectromètre de masse à ionisation secondaire (SIMS modèle IMS 1280) capable de séparer les différents isotopes de carbone et mesurer le rapport isotopique 12C/13C. Il fallut 10 ans à Valley et ses collègues pour mettre au point la méthode d'analyse.

Ces microfossiles primitifs appartiennent à différents groupes de microbes dont des bactéries photosynthétiques, des archées produisant du méthane et des gammaprotéobactéries consommant du méthane. Comme on le voit ci-dessous, ces microbes mesurent environ 10 microns de longueur.

Comme souvent en sciences, sans même étudier les spécimens, certains chercheurs ont contesté les résultats, estimant qu'il s'agissait simplement de structures minérales ressemblant à des structures biologiques. Toutefois selon John Valley, expert en géoscience à l'Université du Wisconsin à Madison et coauteur de cette étude, il s'agit bien d'organismes biologiques.

Notons que les équipes de Valley et Wilde avaient déjà découvert en 2001 des grains de zircon confirmant que des océans d'eau liquide (donc à moins de 100°C) existaient dans la région il y a 4.3 milliards d'années, soit 800000 ans avant l'apparition de ces bactéries.

Ces fossiles de bactéries sont à ce jour les plus anciennes traces attestant que la vie existait il y a 3.5 milliards d'années.

A gauche, la formation rocheuse de l'Apex Chert dans l'ouest de l'Australie où furent découverts des microfossiles bactériens âgés de 3.5 milliards d'années. Au centre, un échantillon de roche d'Apex Chert contenant des microfossiles. A droite, une vue au microscope de l'un des microfossiles étudiés, vraisemblablement une bactérie primitive. Documents J.William Schopf/UCLA.

Un peu plus tôt en 2017, le géologue Dominic Papineau du Collège Universitaire de Londres et son équipe ont annoncé dans la revue "Nature" avoir probablement découvert des micro-organismes fossilisés datant de 3.77 milliards d'années et peut-être même de 4.28 milliards d'années dans des couches de jaspe, une variété de quartz microcristallin, composées de roches sédimentaires ferrugineuses. Le site se situe dans la partie est de la baie d'Hudson, dans la ceinture de Nuvvuagittuq, au Québec, au Canada.

Ces organismes seraient des bactéries extrêmophiles ayant vécu près de cheminées hydrothermales sous-marines comme le font encore aujourd'hui de nombreux créatures car elles trouvent près de ces oasis sous-marines des eaux chargées en de nombreux nutriments. Ces micro-organismes fossiles mesurent moins de 0.5 mm et sont constitués de tubes et de filaments (cils) en oxyde de fer, précisément du chert d'hématite (65-95% de SiO2 + 3-35% de Fe2O3) dont les morphologies et les assemblages minéraux ressemblent à ceux des bactéries filamenteuses modernes vivant près des cheminées hydrothermales et capables d'oxyder les composés ferreux ou soufrés (certaines peuvent même vivre dans des environnements acides à fortes concentrations en métaux lourds). Leur structure contient également du graphite, de l'apatite (groupe des phosphates) et évidemment du carbone. Les microfossiles comprennent également des rosettes, les résidus du métabolisme de ces créatures.

Rappelons qu'aujourd'hui encore, l'hématite (Fe2O3) abonde dans les systèmes hydrothermaux où l'eau très chaude percole à travers les roches volcaniques, permettant aux minéraux riches en fer dont l'hématite de précipiter par refroidissement. Un processus similaire aurait déjà existé voici 3.77 à 4.28 milliards d'années, permettant le développement des premières bactéries extrêmophiles capables d'oxyder le fer.

Ci-dessus à gauche, les bactéries fossilisées découvertes dans les couches de quartz de la ceinture de Nuvvuagittuq au Québec, au Canada datant d'au moins 3.77 milliards d'années, peut-être même de 4.28 milliards d'années. A droite, l'aspect des tubes constitués d'oxyde de fer (sur les encarts b, c et h, la flèche indique le filament ou cil en hématite). Ci-dessous à gauche, reconstruction de ces bactéries filamenteuses métabolisant le fer et qui vivaient probablement près des cheminées hydrothermales. A droite, le jaspe (en rose) en contact avec la roche volcanique plus sombre visible au-dessus à droite de l'image représente la cheminée hydrothermale formée par précipitation sur le fond marin. Documents D.Papineaun et al. (2017).

Toutefois certains auteurs mettent en doute la nature biologique des structures fossilisées ainsi que la datation de 4.28 milliards d'années du fait que la roche s'est cristallisée. En effet, cette cristallisation peut être le résultat d'une précipitation chimique spontanée et abiotique. Matthew Dodd, coauteur de cette étude, reconnaît lui-même qu'il faut "rester prudent", raison pour laquelle ils ont donné "un âge minimum de 3.77 milliards d'années" mais elles sont peut-être 510 millions d'années plus anciennes.

En résumé, malgré de nombreux indices, nous n'avons toujours pas de preuve que la vie existait il y a plus de 3.5 milliards d'années.

L'ère des cyanobactéries : 3.8 milliards d'années

On estime que durant l'Archéen, les océans occupaient 25% de plus que leur volume actuel. Comme nous l'avons expliqué, cette eau provient du dégazage du manteau terrestre qui débuta durant l'Hadéen.

En analysant l'évolution biologique des sites volcaniques (Hawaï, Dallol, les Açores, etc.) ou très isolés comme les Tépuys au Vénézuela (Mt Roraima), on sait que la lave est riche en potassium et phospore notamment, constituant un excellent engrais. La lave se fracture et s'effrite également facilement sous l'effet du vent et des intempéries. De petits débris peuvent alors s'insérer et s'accumuler dans les fractures des roches magmatiques. Ces roches conservent également la chaleur et étant très poreuses, elles conservent l'humidité. L'environnement minéral des volcans en sommeil et des premières îles a donc constitué le premier milieu terrestre stable propice au développement de la vie.

Différents types de cyanobactéries, des bactéries procaryotes vivant en colonies dans l'eau ou sur la terre ferme (à ne pas confondre avec les algues vertes). On dénombre au moins 7500 espèces de cyanobactéries. Compilation de T.Lombry.

Dans ces lieux inhospitaliers, on découvre généralement que les premiers organismes vivants se développant dans les flaques d'eau par exemple y compris dans les sources hydrothermales (jusqu'à 75°C) sont des microbes transportés par les vents, les intempéries et les marées, parmi lesquels les cyanobactéries dont quelques spécimens sont présentés à gauche. Anciennement appelées à tord les "algues bleues" (on verra en troisième page que l'apparition des algues est beaucoup plus tardive), il s'agit en réalité de bactéries procaryotes (sans noyau).

Rappelons que le phytoplancton qui vit dans les océans est également un producteur primaire d'oxygène. Ces organismes dont il existe aujourd'hui environ 20000 espèces sont divisés en deux branches dont la plus ancienne appartient à la classe des cyanobactéries. La seconde appartient au domaine des eucaryotes apparu plus récemment (~1.6 Ga).

On a identifié quelque 7500 espèces de cyanobactéries réparties en plus de 150 genres. Apparues, il y a environ 3.8 milliards d'années (mais les plus anciens fossiles remontent à 2 milliards d'années et furent découverts en Chine), il s'agit d'organismes unicellulaires capables de vivre dans l'eau et sur la terre ferme en formant de grandes colonies. Grâce à leur métabolisme basé sur la photosynthèse, les cyanobactéries sont capables de produire de l'oxygène. Elle transforment également l'azote de l'air en ammonium et en nitrates, constituants des engrais pour les futures plantes. Lorsqu'elles vivent dans l'océan, elles séquestrent le carbone, produisent le calcaire des stromatolites et participent à la désacidification des océans.

Ensemble, les fragments de laves et les cyanobactéries vont créer les premières ébauches de sol, c'est-à-dire de terre dans les infractuosités humides des roches. C'est dans ces endroits privilégiés que progressivement des organismes plus complexes vont s'enraciner et notamment les mousses et les champignons, en particulier les mycènes. S'ils n'existaient pas, la vie n'aurait probablement pas émergé sur la terre ferme car ce sont les mycènes qui ont brisé les roches et sont à l'origine de la terre que nous foulons et des premiers peuplements terrestres. Ce n'est que beaucoup plus tard que les pollens ont participé au développement de la vie.

On a également retrouvé des traces de vie aquatique remontant à plus de 3.5 milliards d'années. Il s'agit d'organismes unicellulaires. Ensuite, pendant plus de 1.5 milliard, la vie évolua peu car les conditions n'étaient pas réunies pour qu'elle survivre dans de bonnes conditions. En effet, la Terre était couverte de volcans actifs, de nuages toxiques et d'immenses étendues de lacs de lave tandis que le Soleil bombardait le sol de rayons ultraviolets mortels. Même si les organismes vivaient dans l'eau, à l'abri des aléas du climat, la flore était encore éparse.

A une époque où les tempêtes et les éruptions volcaniques faisaient rage, il est à se demander comment la vie put émerger de ce chaos. Nous reviendrons sur cette fabuleuse histoire dans le dossier consacré à la bioastronomie.

Bien que les cyanobactéries photosynthétiques vivaient déjà depuis longtemps dans les océans et probablement sur les premières terres émergées, la photosynthèse n'eut un impact majeur sur la biosphère qu'un milliard d'années après leur apparition, c'est-à-dire au Protérozoïque. Mais il faudra encore patienter des millions d'années pour que l'atmosphère devienne respirable et que les océans soient le siège d'une vie complexe.

A consulter : Cyanobacteria, MTU - Cyanobacteria, R.Wagner

La Grande Oxydation : 2.45 à 2.05 milliards d'années

Pour se développer, on suppose que les premiers métazoaires ont bénéficié d'une augmentation significative mais temporaire de la concentration en oxygène dans l'atmosphère. Ce phénomène s'est produit entre 2.45 et 2.05 milliards d'années; c'est l'époque de la "Grande Oxydation" ou GOE (Great Oxydation Event).

Comme nous le verrons à propos des acides aminés, les organismes aérobies ont dû s'adapter à la présence d'oxygène ou périr. Ils ont donc appris à utiliser l'oxygène pour respirer tout en neutralisant les radicaux libres susceptibles d'oxyder les molécules et d'endommager leur organisme. Ce fut réalisé grâce notamment à trois nouveaux acides aminés, la méthionine (M ou MET), le tryptophane (W ou TRP) et la sélénocystéine (U ou SEC) qui furent incorporés dans leur machinerie génomique. Depuis cette époque, tous les organismes aérobies ne craignent plus l'oxygène, du moins tant qu'il reste à des concentrations normales, sinon comme nous l'avons évoqué, c'est toujours un poison. Puis, il y a 1.9 milliard d'années, le taux d'oxygène dans l'atmosphère chuta brusquement.

Evolution des systèmes terrestres (manteau, croûte, océan, atmosphère). Document U.Montpellier/Géosciences.

Dans une étude publiée dans les "PNAS" en 2019, l'équipe de Malcolm S. W. Hodgskiss de l'Université de Stanford présenta les analyses des échantillons de baryte, un minéral qui était déjà présent dans les îles Belcher du Canada subarctique il y a plus de 2 milliards d'années.

Les chercheurs ont combiné un modèle de la quantité de dioxyde de carbone et d'oxygène présents dans l'atmosphère basé sur des recherches antérieures, avec leurs mesures chimiques basées sur la barite pour calculer la durée de vie des organismes. A partir des données tirées des mesures des isotopes du soufre et du baryum, combinées aux âges radiométriques des couches géologiques, les chercheurs ont déduit que les minéraux sulfatés étudiés ont gardé les traces du sulfate ambiant immédiatement après la GOE, il y a environ 2.018 milliards d'années. Ces minéraux sulfatés ont capturé des anomalies isotopiques négatives de l'oxygène triple atteignant environ -0.8‰. De telles valeurs négatives survenant peu de temps après la GOE nécessitent une réduction rapide de la productivité primaire supérieure à 80%, bien que des réductions encore plus importantes soient plausibles.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Conséquence de la Grande Oxydation, les micro-organismes ont épuisé les nutriments dont ils avaient besoin pour créer de l'oxygène, ce qui déstabilisa l'atmosphère. Cela provoqua une chute énorme de la biomasse. Mais jusqu'à présent les scientifiques ne savaient pas à quel point la chute avait été radicale. Les calculs des chercheurs ont montré qu'entre 80 et 99.5% des organismes avaient été éliminés à la fin de la Grande Oxydation. Selon les chercheurs, ils étaient tout simplement trop nombreux et produisaient trop d'oxygène.

Hodgskiss souligne que cette catastrophe nous rappelle que la Terre est toujours vulnérable aux changements atmosphériques. Aujourd'hui, les changements qu'on observe dans tous les écosystèmes menacent les organismes photosynthétiques qui fournissent plus de la moitié de l'oxygène présent dans l'atmosphère.

Stagnation de l'oxygène atmosphérique au Protérozoïque

L'oxygène s'est accumulé pour la première fois dans l'atmosphère terrestre il y a environ 2.4 milliards d'années, durant la "Grande Oxydation" évoquée ci-dessus. Les indices géologiques suggèrent que les premières bactéries photosynthétiques consommaient cet oxygène depuis des centaines de millions d'années, mais elles n'ont pas pu tout consommer. Or au Protérozoïque, entre 2.4 et 0.7 milliard d'années, entre les glaciations de l'Huronien et du Cryogénien (voir graphique ci-dessus) , on observe un plateau dans la production d'oxygène comme si quelque chose l'avait interrompu ou absorba l'oxygène. Pendant des décennies, les biochimistes et les géophysiciens se sont demandés en vain où était passé le surplus d'oxygène ? Aujourd'hui, ils pensent avoir enfin trouvé la réponse.

Une nouvelle interprétation des roches vieilles de plusieurs milliards d'années comprenant des komatiites révèle que les gaz volcaniques sont probablement les responsables. Les résultats de cette étude furent publiés dans la revue "Nature Communications" en 2020 par Shintaro Kadoya de l'Université de Washington et ses collègues.

Dans un article précédent (cf. R.W. Nicklas et al., 2019) auquel participèrent plusieurs auteurs du nouvel article, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que le manteau de la Terre primitive (3.55 Ga) était beaucoup moins oxydé ou contenait plus de substances pouvant réagir avec l'oxygène que le manteau moderne.

Pour rappel, l'oxygène a tendance à capter des électrons. Donc tout atome disposant d'un ou deux électrons libres (non apparié) peut réagir avec lui. C'est ainsi par exemple que l'hydrogène libéré par un volcan se combine avec l'oxygène libre, éliminant cet oxygène de l'atmosphère. C'est cette électronégativité de l'oxygène qui explique qu'il forme facilement des composés (oxydes) avec la plupart des éléments (sauf He, Be et A).

A Lire : Komattite - Spinifex, par Alex Strekeisen

La komattite est une roche volcanique ultramafique formée vers 200 km de profondeur dérivée de magmas magnésiens. Selon les endroits, elle date entre 1.8 et 3.8 milliards d'années, les plus récentes de 90 millions d'années. Elle est rare et fascinante et permet d'étudier l'évolution de la chimie du manteau de la Terre. A gauche, de la komatiite de la vallée de la Komati en Afrique du Sud. On reconnait la roche à son extraordinaire texture dendriforme Spinifex (les minéraux en forme de baguettes), nom emprunté à la plante Triodia spinifex d'Australie. Le Spinifex contient une petite proportion de phénocristaux d'olivine solide et une plus grande proportion de grains d'olivine noyés dans une matrice de verre d'augite. Au centre, de la komattite provenant de la Ceinture de roches vertes d'Abitibi (Abitibi Greenstone Belt) au nord du Canada. A droite, une coupe mince de 2.5 cm de largeur de komattite récoltée à Alexo, dans la Ceinture de roches vertes d'Abitibi. Documents CSIRO Sceince Image, Ryan Anderson et Andy Tindle via A.Strekeisen.

La composition chimique du manteau terrestre contrôle en fin de compte la nature des laves et les gaz provenant des volcans. Un manteau primitif moins oxydé produit plus de gaz comme l'hydrogène qui se combine avec l'oxygène libre. L'étude de 2019 montra que le manteau s'est progressivement plus oxydé entre 3.5 milliards d'années et aujourd'hui.

Les chercheurs ont donc analysé des roches volcaniques datées de 3.55 milliards d'années récoltées en Afrique du Sud et au Canada, données qu'ils ont combinées avec des preuves provenant d'anciennes roches sédimentaires. Ils ont démontré l'existence d'un point de basculement peu après 2.5 milliards d'années, lorsque l'oxygène produit par les micro-organismes surpassa la quantité supprimée par les gaz volcaniques et commença à s'accumuler dans l'atmosphère.

Selon David Catling, coauteur de cet article, "Fondamentalement, l'approvisionnement en gaz volcaniques oxydables était capable d'absorber l'oxygène photosynthétique pendant des millions d'années après l'apparition de la photosynthèse. Mais comme le manteau lui-même est devenu plus oxydé, moins de gaz volcaniques oxydables furent libérés. Ensuite, l'oxygène envahit l'atmosphère quand il n'y eut plus assez de gaz volcanique pour l'absorber."

Cela a des implications pour comprendre l'émergence de la vie complexe sur Terre et la possibilité de vie sur d'autres planètes. En effet, selon Kadoya, "Cette étude renoue avec une hypothèse classique sur l'évolution de l'oxygène atmosphérique. Les données démontrent qu'une évolution du manteau de la Terre pourrait contrôler une évolution de l'atmosphère de la Terre, et éventuellement une évolution de la vie. Si des changements dans le manteau contrôlaient l'oxygène atmosphérique, comme le montre cette étude, le manteau pourrait finalement fixer le rythme de l'évolution de la vie."

Si on va plus loin, découvrir de la komattite ou des roches ultramafiques serpentinisées (altérées par l'hydrolyse et la transformation à basse température) sur une autre planète comme Mars peut être un indice intéressant dans le cadre exobiologique (cf. Nna Mvondo er Martinez-Frias, 2005; Vago et Westall, 2017).

Lokiarchaeum, un organisme transitionnel

A quelle époque apparurent les organismes complexes ou en tout cas des cellules présentant des facultés génétiques voire un noyau cellulaire ? Les biologistes n'ont pas encore de réponse ferme et définitive car cela remonte à une époque tellement reculée que l'identification d'un tel fossile est extrêment hasardeuse et difficile.

Malgré cela, en 2015 une équipe de biologistes de l'Université d'Uppsala en Suède, annonça dans la revue "Nature" avoir découvert un organisme transitionnel entre les cellules procaryotes (sans noyau, comme les bactéries) et les cellules eucaryotes (à noyau et qu'on retrouve dans tout le règne animal). Il s'agit d'une nouvelle espèce d'archéobactérie baptisée Lokiarchaeum. Elle appartient au nouveau phylum ou embranchement archéen des Lokiarchaeota. C'est une première mondiale.

Cet organisme fut découvert grâce à un robot explorant l'océan Arctique, entre le Groenland et la Norvège, dans une couche de sédiments située à plus de 3000 mètres de profondeur, au pied d'une cheminée hydrothermale appelée le "Château de Loki" par 73°N.

Pour rappel, les cellules eucaryotes sont les organismes les plus complexes du vivant, en particulier en raison de la présence non seulement du noyau cellulaire qui protège et renferme l'ADN mais également des mitochondries, véritables usines énergétiques de la cellule. A l'origine, ces mitochondries étaient des bactéries, des parasites que les premières cellules ont incorporées (phagocytées) dans leur enceinte cellulaire et dont elles ont tiré profit. Or les cellules procaryotes ne possèdent pas ces entités.

Les bactéries et les archées sont probablement les organismes les plus anciens. On retrouve des signatures chimiques des lipides archéens remontant à 3.8 milliards d'années alors que les cellules eucaryotes les plus anciennes remontent à 2.1 milliards d'années. On y reviendra. Jusqu'à présent il n'existait pas de forme intermédiaire (qu'on appelle à tord le "chaînon manquant"). Aussi, la découverte de Lokiarchaeum qui ne présente pas encore toutes les caractéristiques des eucaryotes témoigne de l'existence d'une transition entre les archées et les eucaryotes.

Illustration artistique représentant le passage des cellules procaryotes aux eucaryotes par association de plusieurs cellules procaryotes, une sorte de symbiose primitive. Document Jacopin/BSIP.

Selon Anja Spang, chercheuse au département de biologie cellulaire et moléculaire à l'Université d'Uppsala, Lokiarchaeum n'a ni noyau ni mitochondrie. Son génome comprend 5381 gènes codant pour des protéines. Parmi celles-ci, environ 32% ne correspondent à aucune protéine connue, 26% ressemblent étroitement à des protéines archéennes et 29% correspondent à des protéines bactériennes. Son génome le place dans l'arbre phylogénétique comme un groupe sœur des cellules procaryotes.

Selon Spang, cet organisme présente une troublante similarité génétique avec les cellules eucaryotes : "elle dispose de gènes qui codent pour des protéines qu'on ne retrouve normalement que chez les cellules eucaryotes. On n'en connaît pas encore la fonction chez Lokiarchaeum."

Cet organisme dispose également de facultés génétiques lui permettant de fabriquer des protéines complexes. Selon Spang, "Naturellement cela ne veut pas dire que Lokiarchaeum est la copie conforme de cet ancêtre commun" entre procaryotes et eucaryotes, car "Lokiarchaeum a également évolué pendant des siècles."

Compte tenu des divergences qui existent encore sur l'agencement des trois domaines de Carl Woese (archaea, bacteria et eucaryotes), il est impossible de dater avec précision Lokiarchaeum. Bien qu'il se place quelque part entre les archaea et les eucaryotes il y a plus de 2.1 milliards, probablement durant l'Archéen (avant 2.5 Ga), cela laisse une marge supérieure à 1 milliard d'années !

Malgré cette incertitude, cette découverte représente une étape majeure dans notre compréhension de l'évolution cellulaire. Lokiarchaeum apporte un nouvel éclairage sur la manière dont les cellules complexes qui composent aujourd'hui tout le règne du vivant, des champignons à la faune en passant par la flore, ont évolué à partir de cellules sans noyau.

A présent que les zones humides foisonnent de formes de vie élémentaires et que certaines commencent à intégrer des bactéries, des virus et des gènes étrangers qui travaillent à leur profit, certains organismes ont profité de cette opportunité pour se complexifier. Mais pour cela, ils ont dû s'adapter à la présence de l'oxygène dont les radicaux sont toxiques car oxydants et indirectement germicides, rappelez-vous le rôle désinfectant de l'eau oxygénée (H2O2) et de l'eau de Javel (NaClO). On reviendra sur les conséquences de cet évènement à propos du rôle de certains acides aminés.

Prochain chapitre

Les premiers métazoaires (2.1 Ga)

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