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Les trous noirs supermassifs

Illustration d'un trou noir supermassif en rotation entouré de son disque d'accrétion. Les collisions entre débris et la chaleur générée dans l'accrétion combinées à l'effet Doppler augmentent l'éclat du côté du disque s'approchant de l'observateur, donnant l'impression d'observer l'explosion de supernovae. Document ESO/ESA/Hubble, M. Kornmesser.

De l'observation à la théorie (I)

Comme nous l'avons expliqué à propos des catégories de trous noirs, un trou noir supermassif ou SMBH (Super Massive Black Hole) présente une masse d'au moins 50000 M mais en raison de la taille encore modeste des instruments, la plupart de ceux détectés à ce jour "pèsent" plusieurs millions ou milliards de masses solaires. Leur diamètre (celui de l'horizon externe ou horizon des évènements) mesure plusieurs millions de km - ils sont plus grands que le Soleil -, certains atteignant 1000 UA et présentent un disque d'accrétion de gaz et de poussière qui peut dépasser 10 années-lumière de diamètre ! Lorsqu'ils sont actifs, en radio et en optique, leur jet bipolaire peut s'étendre sur 5000 années-lumière sans parler de leurs immenses lobes radios ou de leur jet de rayons X qui sont plus vastes que leur galaxie hôte !

Parmi les trous noirs supermassifs confirmés et imagés, citons Sagittarius A* (Sgr A*) découvert dans le coeur de la Voie Lactée et M87* situé dans la galaxie elliptique et quasar M87 alias Virgo A.

Pour les astrophysiciens qui cherchent à comprendre comment de tels astres peuvent exister et générer de telles émissions, il s'agit de sujets d'études passionnants tant ils défient nos connaissances, non seulement de la physique mais également de l'évolution de l'univers.

Comment calcule-t-on la masse d'un trou noir supermassif ?

Il existe plusieurs méthodes pour calculer la masse d'un SMBH. La plus ancienne consiste à mesurer les vitesses des étoiles en orbite autour de lui, à condition de pouvoir les observer. Cette méthode ne peut s'appliquer qu'aux trous noirs galactiques ou à quelques rares SMBH particulièrement brillants.

Ensuite, grâce aux données du satellite rayons X Chandra, les astrophysiciens découvrirent que le profil de température du gaz chaud autour d'un SMBH présente un pic qui dépend de la masse du trou noir. Cette découverte fut appliquée au trou noir supermassif de la galaxie elliptique géante NGC 4649 située à 51 millions d'années-lumière dans la constellation de la Vierge dont la masse fut estimée à 3.4 milliards de masses solaires (cf. F.Brighenti et W.Mathews, 1999; P.Humphrey et al., 2008). C'était le premier SMBH auquel on appliqua deux méthodes différentes pour calculer sa masse.

Si le SMBH est suffisamment massif (grand) et lumineux, on peut également calculer sa masse par imagerie directe en analysant l'ombre que porte son horizon des évènements sur le disque d'accrétion. Cette méthode fut utilisée avec succès par l'EHT pour calculer la masse du SMBH caché au coeur de M87 situé à ~55 millions d'années-lumière. Sa masse représente ~6.5 milliards de masses solaires.

Puis, pour la première fois, en 2021 des chercheurs ont découvert une corrélation entre le scintillement (les fluctuations de la densité du flux) du disque d'accrétion des trous noirs supermassifs et leur masse (cf. C.J. Burke et al., 2021).

A gauche, corrélation entre la période de scintillement du disque d'accrétion et la masse du trou noir supermassif. A droite, illustration du scintillement d'un trou noir supermassif. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (.GIF de 4.4 MB). Documents C.J. Burke et al. (2021) adapté par l'auteur et Mark A. Garlick/Simons Foundation.

Colin J. Burke de l'Université d'Illinois et des collègues ont analysé les données de 67 galaxies à noyau actif ou AGN possédant un trou noir supermassif dont la masse est comprise entre 10000 et 10 milliards de masses solaires entouré d'un disque d'accrétion. Ils ont confirmé une corrélation du scintillement du disque en fonction de la masse sur plus de 6 ordres de grandeur. Comme on le voit dans le graphique ci-dessous, les plus petits SMBH (104 M) affichent les scintillements les plus rapides, avec un temps caractéristique d'amortissement de quelques heures. Les SMBH peu massifs (106 M) ont un temps caractéristique d'amortissement de l'ordre de 20 jours. Les SMBH les plus massifs (1010 M) scintillent le plus lentement, sur des échelles de temps atteignant 2 ans.

En 2020, une équipe de chercheurs japonais découvrit des scintillements dans le disque d'accrétion de Sgr A*, en particulier dans la densité de flux mesurée par ALMA à 230 GHz (cf. Y.Iwata et al., 2020). Cette fois l'équipe de Burke montra que ce scintillement est lié à la masse du trou noir supermassif. Désormais on peut donc utiliser cette nouvelle méthode pour caractériser les SMBH et estimer leur masse.

On pourrait éventuellement appliquer cette méthode aux trous noirs de masse intermédiaire (IMBH, entre 100 et 100000 M). Selon les chercheurs, le temps caractéristique d'amortissement pour un IMBH de 1000 M est de seulement 1 jour, une durée compatible avec de courts programmes d'observations. Cette méthode est donc plus rapide que la méthode photométrique ou spectrale.

Simulations d'un trou noir supermassif entouré de son disque d'accrétion. A gauche, simulation GRMHD réalisée par Scott C. Noble en 2011. A droite, simulation pour l'émission NOVA de la chaîne PBS.

Quant à l'origine de ces scintillements dans le disque d'accrétion, actuellement c'est un mystère et on ignore si d'autres paramètres influencent ce phénomène comme par exemple le taux d'accrétion ou le taux de spin. Toutefois les chercheurs ont une piste. Ils estiment que ce scintillement est généré dans la partie interne du disque. Il serait d'abord émit dans l'UV avant d'induire un scintillement visible qui se propage vers l'extérieur du disque jusqu'à ce qu'il soit amorti. Autrement dit, le scintillement est la trace d'une signature thermique qui se propage dans le disque d'accrétion.

Comment se forme un trou noir supermassif ?

Vu leur masse, ces trous noirs ne se forment pas par l'effondrement d'une étoile massive dont la singularité accrète ensuite progressivement des milliards de masses solaires de matière. Si ce mécanisme fonctionne en théorie, en pratique il demande des ingrédients supplémentaires particuliers.

Mais faisons d'abord un retour en 1963. Quelques années après la découverte des QSO, futurs quasars, Fred Hoyle et William Fowler, adeptes d'un modèle d'Univers statique et éternel (sans début, sans fin et sans expansion), considéraient que les quasars n'étaient pas aussi lointains que leurs décalages spectraux l'indiquaient. Ils proposèrent que les quasars s'étaient formés à partir d'étoiles supermassives d'environ 100 millions de masses solaires (cf. W.Fowler, 1965, p15) proches de la Voie Lactée. Mais ils ne décrivaient pas comment elles se formaient. Ils avaient choisi ce scénario parce le champ gravitationnel d'étoiles aussi massive est si puissant qu'il produit un important rougissement gravitationnel. Par conséquent les quasars n'avaient pas besoin d'être situés à des milliards d'années-lumière et pouvaient même résider dans la Voie Lactée. 

Le physicien théoricien Richard Feynman puis l'astrophysicien et mathématicien Subrahmanyan Chandrasekhar découvrirent que les effets relativistes rendaient des étoiles aussi massives très instables et qu'elles s'effondreraient en trou noir.

Mais la découverte en 1965 du rayonnement cosmologique à 2.7 K confirma la théorie du Big Bang et de nouvelles études spectrales confirmèrent l'éloignement des quasars, écartant définitivement la théorie des étoiles supermassives proches. 

Toutefois, l'idée qu'une étoile supermassive effondrée servirait de germe à un trou noir fut retenue.

Illustrations de trous noirs supermassifs actifs (avec leur jet bipolaire). A gauche, le coeur d'un quasar, un AGN particulier, entouré d'un tore de poussière ainsi que de condensations ou "nuages" (clumps) qui s'étendent à plus de 1 pc et peuvent atteindre 1 pc de large. Ils se forment dans un milieu perturbé, thermiquement instable, où la densité du gaz est un peu plus faible, ce qui lui permet de chauffer très efficacement, provoquant l'éloignement des poches de gaz froid comme l'air chaud fait s'élever un ballon (cf. les simulations de R.C. Dannen et al., 2020) . A droite, vue rapprochée du tore de poussière entourant un trou noir supermassif. Documents Nima Abkenar et ESA/NASA, AVO project, Paolo Padovani via ESO.

Peu après la publication des travaux de Stephen Hawking sur les trous noirs, dans les années 1980 les astrophysiciens ont proposé l'hypothèse hardie que des trous noirs supermassifs résidaient au coeur des galaxies et des quasars. De fait, parmi ceux étudiés de longue date l'un se cache au coeur même de la Voie Lactée - c'est Sgr A* - l'autre au coeur de la radiogalaxie géante M87 - c'est M87*. On y reviendra.

Si cette théorie était hardie à l'époque, elle finit par convaincre les astrophysiciens. Mais de nouvelles observations allaient bientôt mettre cette hypothèse en difficulté.

Découvertes de trous noirs supermassifs dans le jeune univers

En 2011, Daniel J. Mortlock de l'Imperial Collège de Londres et ses collègues découvrirent le quasar ULAS J1120+0641 dans la constellation du Lion à z = 7.085 soit plus de 13 milliards d'années-lumière de la Voie Lactée. Il évolue dans un univers âgé de seulement 770 millions d'années mais il brille déjà 150 à 300 fois plus que la Voie Lactée. Son rayonnement intense s'explique par la présence d'un trou noir supermassif actif d'environ 2 millions de masses solaires.

Dans un autre article publié dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021, Feige Wang de l'Observatoire Steward de l'Université d'Arizona et ses collègues annoncèrent la découverte d'un quasar encore plus éloigné. Le quasar nommé J0313-1806 se situe dans la constellation d'Eridan à z = 7.642 soit plus de 13 milliards d'années-lumière. Il s'est formé alors que l'univers n'avait que ~670 millions d'années, durant l'ère de la Réionisation. Ce quasar brille déjà 1000 fois plus que la Voie Lactée. La galaxie hôte présente un taux de formation stellaire (SFR) d'environ 200 M par an soit ~69 fois plus élevé que la Voie Lactée de nos jours (cf. les découvertes récentes). Elle abrite un trou noir supermassif d'environ 1.6 milliard de M qui absorbe l'équivalent de 25 M chaque année.

Nous verrons à propos des quasars qu'en 2018 et 2019, des astronomes ont découvert 83 quasars abritant des trous noirs supermassifs dans l'univers lointain, dont 41 quasars situés entre 5.7 ≤ z ≤ 6.9 et un quasar à z > 7.

Illustration d'un trou noir supermassif. Document ESA.

Ces découvertes prouvent qu'il existait déjà des trous noirs supermassifs dans le jeune univers. Or, pendant des décennies les modèles de croissance des galaxies et des trous noirs supermassifs qu'elles abritent indiquaient qu'il existerait une relation de proportionnalité entre la taille des galaxies et la masse des trous noirs supermassifs (cf. la co-évolution page 3). Ces deux exemples, mais ce ne sont pas les seuls, contredisent cette théorie.

Il est difficile d'expliquer comment des trous noirs supermassif peuvent se former si rapidement et si tôt après le Big Bang. En effet, les simulations montrent que des processus de coalescence ou d'accrétion de nuage de matière prendraient trop de temps au point que certains auteurs estimaient il y a quelques décennies encore que l'univers devait être plus âgé qu'on ne le pensait, remettant en cause la théorie du Big Bang.

Selon les chercheurs, des trous noirs aussi massifs évoluant si tôt dans l'histoire de l'univers ne peuvent pas se former si rapidement suite à l'effondrement d'une étoile supermassive ou d'un amas stellaire relativiste.

Si on peut déduire l'existence et la position des trous noirs les plus massifs en étudiant leur environnement, il est difficile d'expliquer l'origine et l'activité d'astres aussi massifs. Les trous noirs supermassifs situés à 13 milliards d'années-lumière, correspondant à seulement 5% de l'âge actuel de l'Univers, posent un sérieux défi aux théoriciens qui ne comprennent pas encore très bien les mécanismes physiques qui forment ces trous noirs et assurent leur croissance à une époque aussi précoce.

Plusieurs hypothèses ont donc été proposées pour expliquer l'origine des trous noirs supermassifs. Toutes ces hypothèses reposent sur des simulations. En effet, à défaut de pouvoir étudier les trous noirs supermassifs in situ, la seule solution est de simuler leur évolution à partir des lois de la physique et des dernières découvertes en astrophysique et en cosmologie. En effet, même si une simulation n'est jamais qu'un modèle de la réalité contenant beaucoup d'approximations et d'hypothèses, il est déjà arrivé que les astronomes finissent par découvrir des particules ou des phénomènes uniquement sur base des résultats de simulations fondées sur des données incomplètes mais significatives (cf. la découverte du boson de Higgs ou celle des baryons manquants). On peut donc imaginer apprendre quelque chose sur l'origine des trous noirs supermassifs en simulant leur formation dans des modèles proches des conditions régnant dans l'Univers primordial. C'est à ce travail théorique mais porteur de beaucoup d'espoirs que se sont attelés quelques chercheurs.

Des trous noirs supermassifs formés par effondrement direct

Pour expliquer la formation des trous noirs supermassifs dans le jeune univers, selon une autre théorie, en vertu de la théorie du Big Bang, l'Univers naissant était rempli d'un plasma dense et turbulent de matière dont la densité fluctuait de manière chaotique. Localement, la matière était suffisamment dense pour que son champ gravitationnel résiste à l'expansion de l'univers et à la pression de radiation. Des trous noirs primordiaux de toutes tailles (comprise entre la masse d'une montagne et des milliers de masses solaires) pouvaient donc se former par effondrement direct, ce sont des DCBH (Direct Collapse Black Hole).

Grâce à des simulations, Joseph Smidt du Laboratoire National de Los Alamos (LANL), Daniel Whale de l'Université de Portsmouth en Angleterre et leurs collègues ont montré dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2018 que les premiers trous noirs massifs pourraient se former suite à l'effondrement direct de nuages géants d'hydrogène et d'hélium qui forment d'abord des étoiles supermassives de 100000 M qui s'effondrent en trous noirs de masse intermédiaire (entre ~100 et 100000 M). Ils accrètent ensuite rapidement du gaz et deviennent supermassifs, atteignant de l'ordre d'un milliard de masses solaires en ~700 millions d'années. Ces trous noirs supermassifs devaient donc déjà être nombreux et même dix fois plus massifs un milliard d'années après le Big Bang.

A gauche, évolution de la masse d'un trou noir supermassif en fonction du temps et du redshift. Les points noirs et leurs barres d'erreur sont les masses des trous noirs tapis dans les quasars ULAS J1342+0928 et ULAS J1120+0641 observés respectivement à z = 7.5 et 7.1 qui présentent un taux d'accrétion de respectivement 28 et 40 masses solaires par an. Au centre, SFR (taux de formation stellaire) dans la galaxie hôte d'un trou noir en fonction du temps. A droite, section à travers le centre du quasar ULAS J1120+0641 situé à z = 7.1 montrant sa métallicité. Les distances sont en Mpc. Documents J.Smidt et al. (2018).

Dans une variante de cette théorie, des nuages géants de matière se sont effondrés peu après le Big Bang et auraient donné naissance à des étoiles supermassives dans des conditions inhabituelles qu'on ne retrouve plus dans les galaxies plus récentes, où les étoiles ne dépassent plus ~150 M. Ces premières étoiles supermassives étant très instables, elles se sont effondrées et formèrent des trous noirs intermédiaires (jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de masses solaires).

Toutefois, si les simulations avaient bien montré qu'il était possible de former des étoiles supermassives de 10000 à 100000 M quelques centaines de millions d'années après le Big Bang, c'est uniquement dans des environnements exotiques qui n'existent pas dans le cadre du modèle ΛCDM (avec de la matière sombre et froide). Il faut par exemple d'intenses sources de rayonnement ultraviolet ou des écoulements supersoniques de gaz combinés à de la matière baryonique en interaction avec la matière sombre, alors qu'on estime que la matière était dominée par des mouvements turbulents. Mais une contrainte astrophysique s'oppose à ce scénario.

Illustration artistique d'une simulation montrant trois étoiles supermassives absorbant des étoiles de masses solaires. Document CfCA/NAOJ.

La matière baryonique à l'origine des premières étoiles dites de Population III est constituée d'un mélange d'hydrogène, d'hélium et leurs isotopes, sans aucune trace d'éléments lourds comme le carbone, le silicium et le fer puisqu'ils n'ont pas encore été synthétisés par les étoiles. Cette composition particulière est très importante car l'existence dans le milieu interstellaire ou intergalactique de nuages de poussière composés de silicates et de carbone est nécessaire pour permettre l'effondrement des nuages moléculaires froids où naissent les étoiles et les amas stellaires.

En s'effondrant sous leur propre poids, les nuages de gaz primordiaux s'échauffent mais la pression de radiation interrompt leur effondrement, sauf si des poussières dissipent une partie de la chaleur et permettent de refroidir le nuage moléculaire. Autrement dit, la présence de poussière dans les nuages moléculaires conditionne la formation des étoiles au point qu'ils empêchent la formation d'étoiles supermassives de plusieurs centaines ou milliers de masses solaires, celles qui explosèrent en supernovae et qu'on imaginait former les germes des trous noirs supermassifs.

Or nous avons la preuve qu'à z = 7.642 soit plus de 13 milliards d'années-lumière ou ~670 millions d'années après le Big Bang le quasar J0313-1806 situé dans la constellation d'Eridan contient déjà du carbone, du silicium, du magnésium et du fer. La galaxie hôte contient déjà 5 fois plus de poussière que la Voie Lactée (cf. F.Wang et al., 2021). A z = 6.9 soit ~12.88 milliards d'années-lumière ou ~890 millions d'années après le Big Bang, la galaxie SPT0311-58 contient également du carbone.

De plus, les modèles de formations d'étoiles massives ont montré que ces étoiles naissaient trop tôt à partir du gaz primordial. L'enrichissement très rapide de ce gaz en éléments lourds inhibait également leur formation, conduisant rapidement à la fragmentation des nuages atomiques d'hydrogène et à la formation d'étoiles nettement moins massives. Apparemment, ce scénario ne permet donc pas de former rapidement des trous noirs supermassifs.

Dans un article publié dasn les "MNRAS" en 2020 (en PDF sur arXiv), Sunmyon Chon et Kazuyuki Omukai, tous deux de l'Institut Astronomique de l'Université de Tohoku au Japon ont réalisé des simulations numériques MHD 3D sur le superordinateur Cray ATERUI II de la NAOJ (3 PFLOPS) et montré qu'il est possible de former des étoiles supermassives par accrétion dans des nuages de gaz légèrement enrichis en métaux (métallicité Z/Z ≥ ~5x10-6) suite à l'explosion des premières supernovae et former des trous noirs par effondrement direct (DCBH).

Ces simulations montrent que si des nuages géants de gaz peuvent effectivement se refroidir dès que la métallicité dépasse 10-3 Z, se fractionner et former quelques étoiles de seconde génération pouvant atteindre 150 M, un fort flux d'accrétion se manifeste en direction des régions centrales les plus denses de ces nuages qui attirent les petites étoiles qui finissent par fusionner et former des étoiles atteignant 10000 M. Ce mode de formation que les auteurs appellent l'accrétion super compétitive où seules quelques étoiles centrales deviennent supermassives expliquerait la formation des SMBH et leur population très élevée dans l'univers. Toutefois, ce scénario doit être confirmé par l'observation.

A voir : Simulation Visualization of Massive Star Formation, Sunmyon Chon/U.Tohoku

Arrêt et zoom sur une simulation MHD 3D montrant la distribution de densité des nuages de gaz (en vert) de différentes métallicités (Z) formant des trous noirs supermassifs à partir d'étoiles massives (en noir). Les points blancs représentent des étoiles dont la masse est inférieure à 10 masses solaires qui se sont formées lors de la fragmentation du nuage de gaz. Par la suite, de nombreuses étoiles moins massives vont fusionner avec les étoiles plus massives situées au centre, conduisant finalement à la formation d'étoiles supermassives. Documents Sunmyon Chon/U.Tohoku.

A ce jour, sur plus de 1.3 milliard d'étoiles cataloguées grâce au satellite Gaia et toutes celles repérées dans l'univers lointain par le HST et le JWST, une seule étoile de plus de 150 M a été découverte. Il s'agit de l'étoile R136a1 découverte en 2010 (cf. P.A. Crowther et al., 2010). C'est une étoile Wolf-Rayet appartenant à l'association R136. Elle se situe dans l'amas ouvert NGC 2070 dans le Grand Nuage de Magellan, non loin du centre de la nébuleuse de la Tarentule. En début de cycle elle atteignait environ 315 M mais elle aurait déjà perdu 55 M. C'est une étoile hypergéante ~32 fois plus grande que le Soleil (~44 millions de km de diamètre), 8.7 millions de fois plus lumineuse et 10 fois plus chaude que le Soleil (~56000 K).

A ce jour, aucune étoile supermassive n'a été découverte dans l'univers profond. L'étoile la plus lointaine découverte par le Télescope Spatial Hubble, Earendel, se situe à z = 6.2 soit ~12.9 milliards d'années-lumière et présente une masse estimée à plus de 50 M. Nous sommes loin des prédictions des simulations.

L'effet de la matière sombre

Quel résultat obtiendrait-on si on tenait compte des effets de la matière sombre dans les simulations de la formation des trous noirs dans l'univers primitif ? C'est à cette question qu'ont tenté de répondre plusieurs équipes de chercheurs.

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2017 (en PDF sur arXiv), une équipe internationale de chercheurs dirigée par Naoki Yoshida de l'Institut Kavli/IPMU utilisa des superordinateurs Cray XC30 dont l'ATERU du CfCA de la NAOJ, pour simuler la formation d'un trou noir de masse intermédiaire à partir des courants de gaz supersoniques générés par le Big Bang. Leur étude montre que de petits trous noirs pourraient donner naissance aux trous noirs supermassifs qu'on observe aujourd'hui.

Des études théoriques ont suggéré que les trous noirs supermassifs se sont formés soit à partir des éjecta des étoiles de première génération qu'a justement étudié Yoshida soit par effondrement gravitationnel direct d'un nuage massif de gaz primordial. Cependant, ces théories permettent difficilement de former des trous noirs supermassifs assez rapidement soit nécessitent des conditions très particulières.

Shingo Hirano de l'Université du Texas à Austin et coauteur de cet article a identifié un processus physique prometteur à partir duquel un trou noir massif pourrait rapidement se former. Pour être efficace, le mécanisme proposé tient compte de l'effet des mouvements d'un gaz supersonique par rapport à la matière sombre omniprésente dans un halo proto-galactique. Des simulations antérieures ont montré que la matière sombre se serait formée lorsque l'Univers avait seulement 100 millions d'années vers z = 13.7.

A gauche, l'un des ordinateurs Cray XC30 ATERU utilisé par l'IPMU pour simuler l'évolution des trous noirs supermassifs. Au centre, simulation dans l'Univers primordial de la distribution de la densité de la matière sombre (en bleu) et du gaz (en orange) au cours de la formation d'une étoile massive de première génération entre z=90 et z=30.5 soit il y a plus de 13.5 milliards d'années, à l'époque de la réionisation où la température de l'Univers était déjà inférieure à 100 K. A droite, un gros-plan sur la formation de la protoétoile environ 100000 ans après le début de la phase d'accrétion. Les zones bleues sont les nuages denses de gaz en accrétion rapide tandis que la région centrale blanche représente la zone centrale turbulente où le gaz est en train de tomber (accréter) rapidement sur le coeur de la protoétoile en gestation. Le gaz va augmenter sa masse jusqu'à 34000 fois celle du Soleil, provoquant son effondrement et formant un trou noir de masse intermédiaire qui va continuer de croître par accrétion de matière jusqu'à former un trou noir supermassif. Documents IPMU et Shingo Hirano et al. (2017) adaptés par l'auteur.

Selon les chercheurs, les flux de gaz supersoniques générés par le Big Bang furent capturés par la matière sombre beaucoup plus massive et forma un nuage de gaz dense et turbulent. À l'intérieur, le coeur d'une protoétoile commença à se former. Du fait que le gaz environnant fournissait plus de matière que nécessaire pour alimenter la protoétoile, celle-ci est devenue rapidement très massive sans libérer beaucoup d'énergie.

Selon Yoshida, "une fois atteinte la masse de 34000 fois celle du Soleil, l'étoile s'est effondrée sous sa propre gravité, créant un trou noir massif." Ces trous noirs massifs nés dans l'univers primitif ont continué à croître pour former des trous noirs supermassifs. Selon Hirano qui réalisa l'une des simulations, "la densité numérique des trous noirs massifs est d'environ un par volume de trois milliards d'années-lumière de côté, remarquablement proche de la densité numérique observée des trous noirs supermassifs."

Selon d'autres simulations réalisées par Christian Reisswig du Caltech et ses collègues (cf. C.Reisswig et al., 2013), il serait possible de former des trous noirs supermassifs par effondrement de nuages de gaz dans un halo de matière sombre à partir d'étoiles de 10000 à 100000 M. En quelques millions d'années, ces astres finissent par épuiser leur réserve d'hydrogène et s'effondrer pour former des nauges de gaz compacts et aplatis. A l'intérieur, il se forme deux zones de matière condensée orbitant l'une autour de l'autre. Devenant plus denses, la température de ces condensations augmente. Ainsi que l'avaient prédit les physiciens Igor Novikov et Yakov Zel'dovich en 1965, elles finissent par atteindre un niveau d'énergie tellement élevé qu'elles peuvent créer des paires d'électron-positron. Ces paires de particule-antiparticule étant très instables, le nuage de gaz s'effondre rapidement pour former un système binaire composé de deux trous noirs de masse intermédiaire. Le système finit par fusionner en générant des ondes gravitationnelles à l'instant de la coalescence et forme un trou noir encore plus massif.

A voir : Simulation Reveals Spiraling Supermassive Black Holes, NASA-GSFC, 2018

Formation and Coalescence of SMBH Binaries in Supermassive Star Collapse, Collab. SXS, 2013

Arrêt sur image d'une simulation de l'effondrement d'une étoile supermassive à rotation différentielle rapide à partir d'une minuscule perturbation initiale. L'étoile est instable au mode non axisymétrique et s'effondre en formant un système binaire de trous noirs. Ceux-ci finissent par fusionner en émettant un puissant rayonnement gravitationnel. L'effondrement est accéléré par la production de paires d'électron-positon à haute température. Document C.Reisswig et al. (2013). Voir également la vidéo ci-dessus de la Collaboration SXS sur YouTube.

Plus récemment, dans une article publié dans la revue "Nature" en 2022, Daniel Whalen précité et ses collègues se sont penchés sur la même question et ont également réalisé des simulations de l'évolution des trous noirs supermassifs dans le cadre du modèle cosmologique ΛCDM. Leurs résultats montrent que les SMBH peuvent accréter des courants froids de matière baryonique canalisés par des filaments de matière sombre.

Mais ces simulations présentent une difficulté : comment des trous noirs de plusieurs millions à plusieurs milliards de masses solaires pourraient résulter de l'effondrement d'étoiles dont les observations prouvent que leur masse ne dépasse pas 100 à 150 M (en excluant R136a1) ?

Le fait de ne pas (encore) avoir découvert d'étoiles géantes supermassives ne signifie pas qu'elles n'existent pas. Les différentes simulations décrites ci-dessus suggèrent qu'elles peuvent se former en présence de matière sombre. A partir des "germes" de ces étoiles effondrées, des trous noirs supermassifs de plusieurs millions à plusieurs milliards de masses solaires pourraient donc se former.

A gauche, un extrait d'une simulation montrant la naissance de trois étoiles supermassives (les noyaux rouges plus denses) dans un nuage de gaz froid. A droite, extrait d'une simulation CASTRO visualisée dans VisIT montrant une coupe à travers une étoile supermassive d'environ 55500 masses solaires le long de l'axe de symétrie. On voit le coeur interne d'hélium en train de se tranformer en oxygène, générant des instabilités dans le fluide (les tourbillons). Cet arrêt sur image a été pris 1 jour après le début de l'explosion en supernova, lorsque le rayon de l'étoile était légèrement supérieur à 1 UA, soit le rayon l'orbite terrestre. Son coeur effondré formera le germe d'un trou noir supermassif. Documents D.Whalen et al. (2022) et Ken Chen/UCSC.

Comme l'explique Whalen, "En remontant à des temps très anciens, nos modèles numériques ont révélé que les mêmes filaments de gaz froids et denses, capables de former un trou noir en le faisant croître d'un milliard de masses solaires en quelques centaines de millions d'années seulement, créaient leurs propres étoiles supermassives sans avoir besoin d'environnements inhabituels. Les courants froids engendrent des turbulences dans un nuage de matière qui empêchent la formation d'étoiles normales jusqu'à ce que le nuage devienne si massif qu'il s'effondre de manière catastrophique sous son propre poids, formant deux gigantesques étoiles primordiales - l'une de 30000 M et l'autre de 40000 M. Par conséquent, les nuagesprimordiaux capables de former un quasar juste après l'Aube Cosmique - lorsque les premières étoiles de l'Univers se sont formées - ont également créé leurs propres germes de trous noirs supermassifs. Ce résultat simple et beau explique non seulement l'origine des premiers quasars mais aussi leur démographie - leur nombre aux premiers temps cosmiques. Les premiers trous noirs supermassifs étaient donc simplement une conséquence naturelle de la formation de structures dans les cosmologies de matière sombre et froide - les enfants de la toile cosmique."

D'autres scénarii sont possibles et même une combinaison de plusieurs scénarii simultanément comme par exemple des coalescences précoces de trous noirs de masse intermédiaire. On peut aussi remonter plus loin dans le temps.

L'effet précoce de la matière sombre

Vu la difficulté de comprendre comment des trous noirs supermassifs ont pu se former très tôt dans l'histoire de l'Univers, dans l'esprit de certains physiciens l'intervention de matière sombre semble inévitable.

Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2022, les physiciens théoriciens Hooman Davoudiasl, Peter Denton et Julia Gehrlein des du Laboratoire National de Brookhaven du Département américain de l'énergie DOE) ont développé un modèle dans lequel une transition de phase survenue peu après le Big Bang aurait facilité la formation de trous noirs supermassifs dans un secteur de l'Univers contenant de la matière sombre.

Parmi ces particules, il pourrait y avoir une composante sombre ultra-légère, supposée être 28 ordres de grandeur plus légère que le proton; il pourrait s'agir de l'axion dont la masse au repos est de ~10-5 eV/c2).

Sachant que les phénomènes d'accrétion et de collisions galactiques durent des centaines de millions d'années voire davantage, les physiciens se demandent si des particules de matière sombre ultralégères ne pourraient pas être la pièce manquante en accélérant l'effondrement des premiers germes de matière. Selon Denton, "Nous avons théorisé comment les particules du secteur sombre pourraient subir une transition de phase qui permet à la matière de s'effondrer très efficacement dans les trous noirs. Lorsque la température de l'univers est idéale, la pression peut soudainement chuter à un niveau très bas, permettant à la gravité de prendre le dessus et à la matière de s'effondrer. Notre compréhension des particules connues indique que ce processus ne se produirait pas normalement."

Selon la théorie du Big Bang, nous avons assisté à plusieurs des transitions de phase (qui sont différentes des brisures de symétrie) entre 10-43 et 10-35 s après la naissance de l'Univers. Chaque fois ce fut un évènement global et catastrophique à l'échelle de l'Univers. La situation aurait été toute aussi violente en présence de matière sombre. Selon Denton, "Ces effondrements sont un gros problème. Ils émettent des ondes gravitationnelles. Ces ondes ont une forme caractéristique, nous faisons donc une prédiction pour ce signal et sa plage de fréquences attendue."

A gauche, graphique récapitulatif des contraintes et des régions préférées du modèle de P.Denton et al. (2022) dans le plan masse-axion d'un SMBH. La région verte montre les masses des SMBH observés aux redshifts z ~ 6 à 7. La région bleue correspond aux contraintes de superradiance d'un trou noir (BHSR), la région grise indique les contraintes de la forêt Lyman-α et dans la région rouge, la longueur d'onde où la matière sombre (DM) dépasse les plus petites structures sombres observées, ce qui fournit une limite inférieure sur la masse sombre. Les régions orange et violette sont les deux scénarii de référence pour la relation entre la masse de l'axion et la masse primordiale des SMBH (10E17 GeV en violet et 10E18 GeV en orange). A droite, illustration d'un SMBH par George Sorin.

Actuellement, les expériences sur les ondes gravitationnelles telles LIGO ne sont pas assez sensibles pour valider la théorie, mais les expériences de nouvelle génération pourraient être en mesure de détecter les signaux de ces ondes. Si on les découvre, les physiciens pourraient alors se concentrer sur les détails de la formation des trous noirs supermassifs. D'ici là, les théoriciens de continueront d'évaluer de nouvelles données et d'affiner leur modèle.

Finalement qui détient la bonne explication ? A ce jour, les astrophysiciens n'ont aucune preuve pour départager ces théories et ils ne peuvent donc se fier qu'aux prédictions des simulations. Pour valider l'un ou l'autre scénario, les astrophysiciens comptent beaucoup sur le regard perçant du télescope spatial James Webb (JWST) qui pourrait permettre de découvrir des trous noirs supermassifs ou de masse intermédiaire cachés derrière les nuages de poussière des quasars les plus distants. En complément, leur découverte permettrait également d'augmenter le nombre d'observations de trous noirs de masse intermédiaire et supermassifs dans l'univers primitif et de confirmer l'époque exacte à laquelle l'univers fut totalement réionisé (qu'on data en 2022 à 1.1 milliard d'années après le Big Bang).

A plus longue échéance (~2034), selon les simulations du projet EAGLE réalisées par les chercheurs de l'Institute for Computational Cosmology (ICC) de l'Université Durham, grâce aux futurs projets de détecteurs spatiaux eLISA de l'ESA et OMEGA de la NASA, on pourrait détecter des ondes gravitationnelles émises par des trous noirs supermassifs, ce qui permettrait de fixer des contraintes et de départager les théories.

Effet de la torsion gravitationnelle

Si on ne s'explique pas encore comment se forme un trou noir supermassif, encore moins dans l'univers primitif, on peut simuler sa formation pour tenter de comprendre comment il devient supermassif, comme le fit l'équipe de Chris Nixon de l'Université du Colorado, aujourd'hui à l'Université de Leeds. Les résultats de leur étude ont fait l'objet d'un article publié dans les "MNRAS" en 2013.

Les auteurs ont simulé un système binaire de trous noirs afin d'étudier l'évolution d'un disque d'accrétion désaligné autour du système. Par souci de simplicité, ils ont analysé un système binaire circulaire de masse égale, agissant sous les effets de la gravité newtonienne. La seule variable dans leurs modèles était l'inclinaison du disque, qui variait entre 0° (parfaitement aligné) et 120°. Les résultats de leurs simulations sont illustré ci-dessous.

A voir : Tearing up discs: tilted black hole accretion - large inclination, C.Nixon, 2013

A gauche, simulation du disque d'accrétion d'un trou noir binaire vu dans le plan du système binaire (de profil). A droite, même simulation sous des angles différents. Les disques d'accrétion désalignés par rapport à l'axe de rotation engendrent une précession qui déforme le disque. Dans ce cas, le transfert de la précession par viscosité n'est pas assez fort pour maintenir la cohésion du disque qui se disloque en plusieurs plans et accentue fortement l'accrétion. Voir aussi la vidéo ci-dessus sur YouTube. Documents C.Nixon et al. (2013).

Lorsque deux galaxies entrent en collision, leurs trou noirs supermassifs respectifs plongent au centre de la galaxie fusionnée et forment un système binaire jusqu'à ce qu'il merge en un seul trou noir. Les simulations montrent que le disque d'accrétion entourant les trous noirs binaires se désaligne par rapport à l'orbite du système. Pour presque toutes les inclinaisons, le disque finit par se disploquer en plusieurs plans distincts qui sont accrétés par les trous noirs, leur permettant de devenir plus massifs.

Selon Nixon, dans une galaxie en fusion, les flux de gaz sont turbulents et chaotiques. Pour cette raison, "tout gaz alimentant les trous noirs supermassifs binaires est susceptible de présenter un moment cinétique non corrélé avec l'orbite. Par conséquent, un disque d'accrétion se forme selon un angle aléatoire par rapport à l'orbite du système binaire." Dans la plupart des cas, "cela conduit à une accrétion dynamique directe sur le trou dans environ 70% des cas."

Selon Nixon, "Les couples de torsion gravitationnels du système binaire sont capables de maîtriser le transfert interne dans le disque de gaz (en termes de pression et de viscosité). Cela permet d'arracher les anneaux de gaz, qui peuvent ensuite être accrétés beaucoup plus rapidement." Une telle dislocation peut produire un taux d'accrétion 10000 fois supérieur à celui du même disque aligné (prograde et coplanaire). L'accrétion est 6 fois plus importante lorsque le disque est incliné à 120° (6.1%) qu'à 45° (1.2%) et quasi nulle lorsque le disque n'est pas incliné (0.1%).

Dans tous les cas, le gaz interagira dynamiquement avec le système binaire. S'il n'est pas accrété directement sur les trous noirs, il sera projeté sur de grandes distances. Selon les auteurs, la dislocation du disque d'accrétion suggère que de nouvelles signatures observables sous forme de chocs ou de formation d'étoiles pourraient être recherchées autour de trous noirs supermassifs binaires et d'autres systèmes tels que les binaires protostellaires.

Dix ans après cette étude, dans un article publié dans les "MNRAS" en 2023, Rebecca G. Martin, Chris Nixon et leurs collègues ont cette fois examiné l'évolution d'un disque d'accrétion entourant un trou noir binaire, en tenant compte des effets de la relativité générale. Les résultats confirment l'étude antérieure.

Selon les auteurs, "une masse de disque représentant seulement quelques pour cent de la masse [du système] binaire peut augmenter considérablement l'excentricité du [système] binaire à travers des oscillations de type ZKL (von Zeipel-Kozai-Lidov) [...au point de] provoquer la rupture du disque [...] avec la formation d'un anneau interne qui s'aligne rapidement sur l'anneau polaire. Ce dernier entraîne une précession absidale rétrograde rapide du [système] binaire qui affaiblit l'effet ZKL. Cela permet à l'excentricité [du système] binaire de rester à un niveau élevé qui peut réduire considérablement le temps de fusion des trous noirs. Le mécanisme nécessite que l'inclinaison initiale du disque par rapport au [système] binaire soit plus proche de [l'orbite] rétrograde que de la prograde."

Corrélation entre la masse et la luminosité des trous noirs

Le catalogue eRASS1 du satellite à rayons X eROSITA publié en 2024 reprend 900000 sources à haute énergie (0.2-2 keV) dont 710000 trous noirs supermassifs situés dans des AGN lointains (ainsi que 180000 étoiles émettant des rayons X situées dans la Voie Lactée et 12000 sources situées dans des amas de galaxies). Utiliser les rayons X est donc une très bonne méthode pour étudier les trous noirs, d'autant qu'on peut mesurer le spectre d'énergie des photos individuels à l'instant où ils tombent sur le capteur photosensible.

Grâce aux rayons X, les chercheurs peuvent en savoir plus sur l'activité des trous noirs, suivre par exemple l'évolution des nuages de gaz incandescents en accrétion, évaluer leur luminosité et leur taux d'accrétion, découvrir des éruptions quasi périodiques et d'autres phénomènes transitoires qui nous renseignent sur leur envrionnement et leur évolution.

C'est dans ce contexte qu'un équipe internationale d'astronomes a découvert une toute nouvelle façon d'étudier le comportement des trous noirs supermassifs actifs (en accrétion). L'équipe d'Ilaria Ruffa, chercheur postdoctorant à l'École de physique et d'astronomie de l'Université de Cardiff a étudié un échantillon de trous noirs actifs et constaté qu'ils brillent tous de la même manière dans les bandes micro-ondes et rayons X, quel que soit leur taux d'accrétion de la matière galactique environnante. Ce phénomène n'est pas prédit par les théories existantes. Leur découverte a fait l'objet d'un article publié dans les "MNRAS" en 2023.

Corrélation entre la masse et la luminosité de quelques trous noirs supermassifs. Documents I.Ruffa et al. (2023).

Les auteurs ont étudié le lien entre le gaz froid présent autour des trous noirs supermassifs actifs et la manière dont ceux-ci sont alimentés dans un échantillon de 48 galaxies proches qui furent sondées à l'aide du réseau radiointerférométrique ALMA dont 31 galaxies extraites du sondage WISDOM.

Jusqu'à présent les astronomes considéraient les trous noirs actifs intrinsèquement différents selon leur appétit, c'est-à-dire la manière dont ils accrètent la matière galactique. Or les auteurs ont découvert que ces trous noirs pourraient présenter plus de similitudes qu’on ne le pensait auparavant.

Ce que les astophysiciens appellent le "plan fondamental d'accrétion des trous noirs"ou FP en abrégé est une corrélation empirique entre la masse des trous noirs supermassifs, leur émission radio à 5 GHz et leur luminosité en rayons X entre 2 et 10 keV, un phénomène initialement observé en 2003 et 2004. L'origine de la FP est encore débattue, mais il est largement admis qu'elle contient des informations sur la physique de l'accrétion des trous noirs supermassifs.

Selon Ruffa, auteur principal de cet article, "les rayonnements micro-ondes et rayons X que nous détectons dans les régions entourant ces trous noirs semble être directement liés à leur masse et provenir des flux de gaz extrêmement chauds qu'ils absorbent. C'est le cas des trous noirs supermassifs qui absorbent presque l'équivalent de la masse du Soleil chaque année comme de ceux moins massifs qui absorbent la même quantité de matière en 10 millions d'années."

Les auteurs furent surpris par leur découverte car ils pensaient que de tels flux de plasma devraient uniquement se produire dans les trous noirs actifs ayant un faible taux d'accrétion, les trous noirs accrétant énormément de matière formant un disque d'accrétion permettant au système d'être alimenté de manière plus ordonnée et continue.

Selon les auteurs, "Notre étude suggère que le rayonnement micro-onde que nous détectons pourrait en réalité provenir des flux de plasma dans tous les types de trous noirs actifs, modifiant ainsi notre vision de la façon dont ces systèmes consomment la matière et deviennent les monstres cosmiques que nous voyons aujourd’hui."

Les corrélations observées par les auteurs fournissent également une nouvelle méthode pour estimer la masse des trous noirs, ce qui est essentiel pour comprendre leur impact sur l'évolution des galaxies à travers l'Univers. En effet, bien que ces trous noirs supermassifs soient petits et "légers" par rapport à la taille d'une galaxie, ils portent leur influence jusqu'à des dizaines de milliers d'années-lumière, affectant sensiblement la dynamique et donc l'évolution des galaxies.

Les auteurs vont à présent comparer la masse des trous noirs avec les propriétés de leurs galaxies hôtes afin de mieux comprendre leurs relations et leurs évolutions.

Relation entre la structure d'un SMBH et son développement

En connaissant le taux d'accrétion d'un trou noir, sa masse et la quantité de rayonnement qu'il émet, les chercheurs peuvent déterminer quand certains trous noirs connurent ou connaîtront leur plus forte croissance. Cette information, à son tour, apporte des contraintes et donc des indices sur l'évolution de l'Univers.

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2022, une équipe internationale de chercheurs a étudié les signatures lumineuses des trous noirs supermassifs qui ont intrigué les chercheurs pendant plus d'un demi-siècle. Leur étude basée sur l'analyse d'une décennie de données rayons X des AGN au moyen du satellite Swift-BAT de la NASA clarifie le mystère entourant leur croissance rapide.

Le rayonnement provenant de l'environnement d'un trou noir supermassif peut présenter différents profils, d'où l'existence de quasars "rouges" et "bleus", "calmes" ou "bruyant" en radio et plus ou moins puissants avec et sans jet détectable. Ils peuvent également présenter différentes luminosités et signatures spectrales. Jusqu'en ~2017, comme nous l'avons expliqué à propos du modèle unifié des AGN, les chercheurs pensaient que ces différences dépendaient de l'angle de visée et de la manière dont le trou noir était caché par son tore de poussière comme illustré ci-dessous.

Mais dans cet article, les chercheurs remettent ce modèle en question. Ils ont découvert que les trous noirs se présentent différemment car ils sont en fait à des étapes distinctes de leur cycle de vie.

Le modèle unifié des AGN, dont voici la version originale de Padonani et Urry de 1995 et la version de Beckman de 2013, peut se résumer à trois aspects d'un trou noir supermassif correspondants à trois grandes catégories de quasars qui en fait cachent une même réalité. Lorsque les astronomes observe un trou noir le long de l'axe du tore de poussière, d'en haut ou d'en bas, et peuvent avoir une vue dégagée du trou noir, l'AGN est alors appelé "source de type 1" ou "Seyfert 1". Lorsqu'ils observent le tore de poussière de profil et que la vue du trou noir est totalement bloquée par la poussière sur une gamme de longueurs d'ondes allant du proche infrarouge aux rayons X mous, dans ce cas il s'agit de "source de type 2"ou "Seyfert 2". Alors que de nombreux quasars abritant des trous noirs de faible puissance obscurcis par la poussière étaient catalogués parmi les "Seyfert 2", jusqu'en ~2004 peu de leurs homologues de haute puissance étaient connus. L'équipe scientifique européenne AVO dirigée par Paolo Padovani du Space Telescope-European Coordinating Facility et de l'ESO a découvert toute une population de trous noirs supermassifs obscurcis et puissants. Trente de ces objets ont été trouvés dans les champs GOODS (Great Observatories Origins Deep Survey) du HST. Mais en 2022, Ryan Hickox, Tonima Tasnim Ananna et leurs collègues du Collège de Dartmouth ont remis ce modèle en question en proposant un modèle unifié "radiorégulé". En réalité les structures toriques entourant les trous noirs supermassifs ne sont pas toutes identiques et dépendent de leur stade évolutif. Documents Astronomy magazine/Roen Kelly.

La postdoctorante Tonima Tasnim Ananna du Collège de Dartmouth aux Etats-Unis et autrice principale de cet article et Ryan Hickox, professeur de physique et d'astronomie ont découvert que la quantité de poussière et de gaz entourant un trou noir supermassif est directement liée à son taux de croissance. Lorsqu'un trou noir accrète de la matière à un taux élevé, l'énergie qu'il dissipe évacue la poussière et le gaz obscurcissants dans un laps de temps très court. En conséquence, il est plus susceptible d'être dégagé et d'apparaître plus lumineux. C'est donc le taux d'accrétion relatif appelé le "rapport d'Eddington" et non l'angle de visée qui détermine les signatures lumineuses des trous noirs supermassifs et donc les caractéristiques observées des AGN.

Les chercheurs fournissent certaines preuves selon lesquelles il existe des différences fondamentales entre les trous noirs supermassifs affichant différentes signatures lumineuses, et que ces différences ne peuvent pas être expliquées uniquement par le fait que l'observation s'effectue à travers ou au-dessus du tore.

Selon Hickox, "Cela confirme l'idée que les structures toriques autour des trous noirs ne sont pas toutes identiques. Il y a une relation entre la structure et la façon dont elle se développe."

Selon Ananna, "Au fil du temps, nous avons émis de nombreuses hypothèses sur la physique de ces objets. Nous savons maintenant que les propriétés des trous noirs obscurcis sont très différentes de celles des trous noirs non obscurcis."

Les chercheurs suggèrent de réviser le modèle unifié des AGN car les trous noirs supermassifs obscurcis et non obscurcis ne sont pas similaires, non pas en raison de l'angle de visée mais en raison de leurs caractéristiques intrinsèques. Ils proposent un modèle unifié "radiorégulé" comme l'avait suggéré l'équipe de Claudio Ricci en 2017.

Cette découverte devrait permettre aux chercheurs de créer des modèles plus précis de l'évolution des trous noirs mais également de l'évolution de l'Univers.

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Les records

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