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Le trou noir

Simulation d'un trou noir stellaire de Reissner-Nordström (statique et chargé) de 10 masses solaires vu à 9 rayons de Schwarzschild et passant devant la Voie Lactée et la Croix du Sud. On remarque l'absence de disque d'accrétion et de jets, l'importante déformation optique et l'effet de lentille gravitationnelle (images multiples des étoiles). Document Alain Riazuelo/IAP.

Topologie et paramètres (III)

Subrahmanyan Chandrasekhar avait déclaré que "les trous noirs de la nature sont les objets macroscopiques les plus parfaits de l'univers : les seuls éléments de leur construction sont nos concepts de l'espace et du temps."

Depuis, plus d'un demi-siècle de recherche s'est écoulé et cette définition doit être nuancée car contrairement à ce que les physiciens pensaient à l'époque, les trous noirs ne sont pas tout à fait des puits sans fond desquels aucun rayonnement ne peut s'échapper. Comme on le constate avec l'illustration du trou noir stellaire présenté à droite, même un trou noir ne disposant pas de disque d'accrétion et n'émettant pas de jets (inactif) peut être détecté suite aux déformations optiques qu'il provoque sur les objets de l'arrière-plan devant lesquels il transite. Quant aux trous noirs présentant un disque d'accrétion, ce disque est tellement chauffé dans sa partie interne qu'il brille très fortement dans le rayonnement X. Bien que cela soit rare, certains trous noirs émettent également des flashes en lumière blanche au moment où la matière est absorbée sous l'horizon, comme ce fut le cas du système binaire X de V404 Cygni qui connut un flash en 2015 comme le montre cette vidéo. Ces flashes sont visibles dans de petits télescopes de 20 cm de diamètre.

Les trois paramètres caractérisant un trou noir

Dans le cadre de la théorie de la relativité (et uniquement celle-ci), un trou noir est en fait une chose "très simple". Il se caractérise par son champ gravitationnel qui se définit par 3 paramètres scalaires indépendants : sa masse, son moment cinétique (angulaire) lié à sa vitesse de rotation et éventuellement sa charge électrique globale. Dans le cas d'un hypothétique trou noir de Reissner-Nordström, la charge électrique peut être remplacée par la charge magnétique (celle des monopôles magnétiques prévus par les Théories de Grande Unification).

Toutes les autres caractéristiques comme la distribution asymétrique des masses, de la charge électrique (moments multipolaires), du moment cinétique ou même du nombre baryonique n'a aucun effet sur les propriétés d'un trou noir.

Nous verrons dans l'article trou noir et conservation de l'information qu'en émettant des ondes gravitationnelles (et parfois un signal lumineux), le trou noir perd une partie de son énergie et de son moment cinétique (spin). On en déduit que certaines grandeurs comme son spin et sa masse (et donc les nombres quantiques associés) ne sont pas totalement conservés en cours d'effondrement. En effet, selon le modèle Standard (celui des particules élémentaires allié à la relativité générale) il semble bien que passé l'horizon interne du trou noir (voir page suivante) le continuum espace-temps se déchire, et ainsi que nous l’avons dit, les deux entités espace et temps s’individualisent pour former des quanta, rompant le principe de causalité qui nous est si cher. Cela signifie qu'un trou noir ne garde donc pas le souvenir de ce qu'il absorbe; il perd les relations causales et donc ignore par exemple les propriétés et l'origine de cette matière et la chronologie temporelle. Toutefois selon les dernières spéculations de Leonard Susskind, Samir Mathur et Stephen Hawking parmi d'autres, une partie de l’information serait conservée. Nous y reviendrons car ce qui deviendra le "paradoxe de l'information" a préoccupé les physiciens pendant plus d'une génération et le problème n'est pas encore totalement résolu.

Un trou noir actif (il émet un jet) entouré de son disque d'accrétion et de son tore de poussière. Document T.Lombry.

D'un point de vue théorique, selon le modèle Standard, sous l'horizon interne l'espace intérieur du trou noir n'existe plus au yeux du monde et seule la surface géométrique de l'horizon des évènements garde une réalité, ce que l'on appelle d'un point de vue géométrique la "membrane" du trou noir (différent du concept de membrane en théorie M).

Ce sont ces paramètres qui déterminent la forme, la dimension et d’autres propriétés du trou noir. Rien n’est donc plus simple qu’un trou noir. Même une toupie a plus de degrés de liberté !

Paradoxalement rien n’est aussi plus complexe qu’un trou noir. A l’image d’une boîte de Pandore qui se ferme sur le temps et l’espace, le fait qu'il nous manque encore des théories pour comprendre ces conditions aux limites, nous sommes incapables d’imaginer aujourd’hui comment se transforme l’espace-temps dans une singularité. Nous verrons un peu plus loin que des processus quantiques apparaissent dans le voisinage d’un trou noir et qu’ils sont capables de déterminer son avenir à très long terme. Ils sont d’une telle importance que les physiciens théoriciens et les mathématiciens les plus renommés se perdent en conjectures.

Comme l’a écrit le physicien théoricien Igor Novikov[5], aujourd’hui à l'Institut Niels Bohr au Danemark dans son livre "Black Hole and the Universe" (1995), "La découverte des trous noirs sera une découverte fondamentale pour la science. Nous serons capables d’étudier les nouvelles lois qui gouvernent les propriétés de l’espace et du temps soumis à des champs gravitationnels intenses, et de nouvelles lois qui dictent le mouvement de la matière dans des conditions extrêmes. On peut dire que les trous noirs représentent un nouveau et très vaste champ d’étude du monde de la physique."

Pour mieux comprendre les propriétés de cet objet exotique et fascinant, si le Soleil devenait un trou noir, à condition que sa masse soit suffisante (ce qui ne sera jamais le cas), ainsi que nous l'avons dit la Terre resterait sur l'orbite qu'elle a toujours eu, sans tomber sur lui. En fait, la force d'attraction du Soleil avant et après qu'il se soit effondré serait la même. Les seules différences notables seraient que nous ne bénéficierions plus de sa chaleur et nous pourrions nous approcher jusqu'à 3 km du centre, où quasi instantanément le champ gravitationnel augmentera jusqu'à l'infini. Il va sans dire qu'il sera alors trop tard pour faire marche arrière.

De manière générale, un trou noir est un astre inactif et mort d'un point de vue thermonucléaire qu'on peut uniquement modéliser à partir de l'intensité du champ gravitationnel et son effet sur l'espace-temps, de ses paramètres physiques et surfaciques ainsi que des effets indirects qu'il produit dans son environnement et notamment par son éventuel disque d'accrétion. Ce sont ces différentes composantes que nous allons décrire.

La limite statique et l'ergosphère

Comme on le voit sur le schéma simplifié ci-dessous, un trou noir en rotation (trou noir de Kerr) présente plusieurs structures concentriques[6]. En allant de l'extérieur vers le centre du trou noir, nous trouvons d'abord la surface statique ou limite statique de forme grossièrement sphéroïdale qui définit la distance minimale sous laquelle la matière est entraînée par la rotation du trou noir. Autrement dit, elle représente également la distance limite où un corps peut rester au repos par rapport au trou noir. Déjà ici, on observe une distorsion très paradoxale : les lignes d'univers sont inversées, c'est-à-dire qu'à cette distance, le temps en dehors de la limite statique devient l'espace à l'intérieur du trou noir[7]. On y reviendra à propos des travaux de Marek A. Abramowicz car d'autres paradoxes nous attendent (voir plus bas).

Topologie d'un trou noir de Kerr (en rotation)

A gauche, coupe en perspective dans l'espace euclidien Kerr-Schild d'un trou noir de Kerr. Il faut imaginer un volume de forme oblate et oblique (non représenté) en rotation. A droite, les différentes géométries d'un trou noir de Kerr selon la taille de la singularité annulaire (a) par rapport à l'horizon interne (m) ou horizon de Cauchy. Documents T.Lombry inspiré de Matt Visser (2008) et C.Heinicke et al. (2015) adapté par l'auteur.

L'espace compris entre la limite statique et l'horizon externe s'appelle l'ergosphère (ou ergosphère externe). Ce néologisme fut inventé par John Wheeler lors du séminaire d'été aux Houches en 1971 à partir de la racine grecque "ergon" signifiant "travail" car Wheeler découvrit qu'il est possible d'extraire de l'énergie de rotation de cette région. Notons que Stephen Hawking était présent à ce séminaire et nous verrons qu'il fut très contrarié par l'hypothèse d'un élève de Wheeler qui prétendait que les trous noirs ne pouvaient pas émettre de rayonnement en vertu des lois de la thermodynamique. On y reviendra.

L'ergosphère touche l'horizon des évènements aux pôles d'un trou noir en rotation mais en revanche elle s'étend dans le plan de l'équateur, formant une région dans laquelle un vaisseau spatial par exemple pourrait évoluer. Si le trou noir présente un faible taux de rotation (le spin, voir plus bas), la forme de l'ergosphère correspond à peu près à celle d'une oblate oblique tandis que les trous noirs présentant un spin élevé auront une ergosphère inégale aux pôles avec une surface non isométrique comme on le voit à droite représenté dans l'espace euclidien.

Emboîtements isométriques (à longueur égale) dans l'espace euclidien de l'ergosurface externe et d'une partie de l'horizon externe d'un trou noir de Kerr. Document Matt Visser (2008).

Le rayon équatorial de l'ergosphère correspond au maximum (cas d'un trou noir statique) au rayon de Schwarzschild, 2GM/c2, tandis que le rayon polaire d'un trou noir correspond au minimum (cas d'un trou noir présentant un spin maximum) à la moitié du rayon de Schwarzschild soit 0.5 GM/c2[8].

Notons que si la représentation d'un trou noir dans l'espace plat euclidien est la plus commune, sur le plan mathématique c'est aussi la modélisation la plus simple, dans le sens qu'elle est simplifiée et loin de correspondre à la réalité du fait que dans ce système de coordonnées cartésien certains effets sont ignorés ou ne peuvent pas être représentés (comme on ne peut pas représenter l'arrière d'un objet tridimensionnel si on le dessine sur un plan).

Pour résoudre ce problème de topologie, les mathématiciens ont inventé d'autres représentations (d'où les petites différences entre les schémas, chaque utilisant un système de coordonnées particulier (métrique de Minkowski, Schwarzschild, Reissner–Nordström, Kerr, Kerr-Newman, Kerr-Schild, Boyer-Lindquist, etc). Leur avantage est de par exemple prendre en compte la rotation du trou noir ou de permettre de calculer plus facilement les effets relativistes.

Soulignons également qu'à l'image de l'horizon des évènements dans la métrique de Schwarzschild (dans laquelle la déformation de l'espace-temps est représentée par un puits), les points de singularité ne sont qu'apparents car ils dépendent du choix des coordonnées. Ainsi, en choisissant un système de coordonnées approprié, on peut modéliser un espace-temps continu (à l'image du temps imaginaire qui permet d'éviter la singularité du Big Bang et de représenter cet instant comme le sommet d'une sphère et donc comme un lieu mathématiquement accessible).

Comme tout objet, un vaisseau spatial qui pénétrerait dans l'ergosphère risque d'être désintégré mais il peut échapper à ce funeste sort. En effet, la matière présente un moment angulaire et acquiert de ce fait de l'énergie cinétique. Si elle dispose d'une vitesse suffisante, elle peut donc encore s'échapper de l'ergosphère en suivant une trajectoire en spirale sortante et ainsi échapper à l'emprise fatale du trou noir ou même extraire de l'énergie du trou noir (voir le mécanisme de Penrose page suivante).

Le rayon de l'ergosphère, c'est-à-dire la distance entre l'ergosurface et l'horizon des évènements n'est pas proportionnelle au rayon de l'horizon des évènements mais à la force de gravité du trou noir et à son moment angulaire. Ainsi, un point situé aux pôles ne bouge pas et n'a donc pas de moment angulaire alors qu'à l'équateur son moment angulaire sera le plus élevé. Cette variation du moment angulaire des pôles à l'équateur explique la forme oblique de l'ergosphère. Comme l'a montré Matt Visser, à mesure que la masse du trou noir ou son taux de rotation augmente, la taille de l'ergosphère augmente également. Le tableau suivant résume les paramètres d'un trou noir dans les principales métriques.

Type de trou noir

Statique (J = 0)°

Moment linéaire (P = 0)¨

Rotatif (J ≠ 0)

Moment linéaire (P ≠ 0)

Non chargé (Q = 0)

Schwarzschild

Kerr

Chargé (Q ≠ 0)

Reissner-Nordström

Kerr-Newman

Kerr-Schild^

Boyer-Lindquist*

° Moment angulaire ou cinétique nul.

¨ Le moment linéaire est une quantité conjuguée où impulsion et quantité de mouvement coïncident en absence de champ magnétique (de particules chargées).

^ Métrique de Kerr-Newman dans un système de coordonnées cartésien.

* Généralisation de la métrique de Schwarzschild appliquée à la métrique du trou noir de Kerr. Les coordonnées sont exprimées en unités naturelles (G=c=1).

Cette ergosphère contient de la matière que le trou noir a capturé à partir de la région interne du disque d'accrétion (cf. page 5). Si le trou noir est supermassif, il se peut que la matière ne soit pas déformée ou détruite par l'effet des marées gravitationnelles mais étant donné la friction (viscosité) régnant dans cette région, elle baigne dans un milieu excessivement chaud où les rayonnements sont très intenses et mortels (X et gamma). On y reviendra.

L'ISCO

Nous verrons en relativité avec les travaux de Marek A. Abramowicz que près du rayon de Schwarzschild (de l'horizon des évènements), il existe une distance où la force centrifuge compense exactement la force du champ gravitationnel et qu'il est ainsi possible de survoler un trou noir sans être happé par lui, un vol à très haut risque cela va sans dire ! Cette orbite particulière est appelée la "dernière orbite circulaire stable" ou "orbite stable la plus interne", ISCO en abrégé (Innermost Stable Circular Orbit). Pour un trou noir statique, elle correspond à trois fois le rayon de Schwarzschild (Risco= 3(2GM/c2)) soit dans le cas du Soleil (3 M/M) km ≈ 3 km tandis que pour un trou noir de Kerr, elle dépend du moment angulaire du trou noir (voir plus bas) et vaut grosso modo la moitié du rayon entre le centre et l'horizon du trou noir (soit 0.6 km dans le cas du Soleil-trou noir s'il était animé de sa vitesse de rotation maximale).

A consulter en Relativité :

L'effet "Seeing-is-believing" ou le principe de saint Thomas

En 2012, grâce à l'ETH (Event Horizon Telescope), Sheperd S. Doeleman et son équipe ont étudié le cœur de la galaxie M87, alias Virgo A, à 230 GHz ou 1.3 mm. Ils sont parvenus à calculer son ISCO qui vaut 5.5 fois le rayon de Schwarzschild, ce qui est significativement plus petit que la limite interne du disque d'accrétion rétrograde. Ceci suggère que le jet de M87 est alimenté par un disque d'accrétion en orbite prograde (en rotation dans le même sens) autour d'un trou noir en rotation. C'est la première observation directe confirmant le mécanisme par lequel un trou noir alimente le jet bipolaire. On reviendra en détails sur ce phénomène.

Précisons que l'ISCO est très utile pour déterminer les paramètres (taille, masse et taux de spin) d'un trou noir. En effet, à cette distance les restes d'une étoile capturée peuvent temporairement se maintenir en dehors de l'horizon des évènements, évoluant sur une orbite stable et émettant des flashes périodiques de rayons X jusqu'à ce que toute la matière soit absorbée sous l'horizon externe. Ces évènements très bien décrits théoriquement peuvent être observés en de rares occasions près de certains trous noirs. On y reviendra à propos des QPO (Quasi Periodic Oscillations ou Oscillations Quasi Périodiques).

L'horizon des évènements

Sous l'ergosphère se trouve deux horizons : l'horizon externe également appelé l'horizon des évènements et l'horizon interne ou horizon de Cauchy. Ces lieux géométriques divisent l'espace-temps du trou noir en trois zones appelées les blocs de Boyer-Lindquist par référence au système de coordonnées utilisé pour mesurer leur métrique.

C'est la dimension de l'horizon externe c'est-à-dire le rayon de l'horizon des évènements qui définit la taille du trou noir. A cette distance, la vitesse de rotation peut en théorie atteindre la vitesse de la lumière (voir plus bas). Cela signifie également qu'à l'image du rayon de Schwarzschild d'un trou noir statique, si une particule franchit la limite de l'horizon externe, elle ne pourra plus s'échapper du trou noir.

L'horizon externe ou la sphère de photon définit la taille ou le rayon du trou noir. Lorsque l'horizon externe est franchi plus aucune information ne peut s'en échapper et la matière tombe vers la singularité où les lois actuelles de la physique n'ont plus cours. Document T.Lombry.

Selon les modèles actuels, sous l'horizon externe c'est-à-dire dans les régions des Bloc 2 et 3, il n'existe plus de matière mais un espace vide jusqu'à la singularité centrale. Quand on imagine que dans un trou noir supermassif, cette espace vide peut atteindre plus de 100 milliards de kilomètres de diamètre, c'est hallucinant !

Nous verrons à propos du modèle quantique des trous noirs - la "balle floue" - qu'en 2019 des chercheurs auraient découvert de faibles échos des ondes gravitationnelles suggérant que l'horizon des évènements des trous noirs serait plus compliqué que prévu voire même qu'il n'existerait pas. Si elle est confirmée, c'est une découverte très importante qui renforce la théorie de la gravité quantique et nous permettra peut-être de sonder la structure quantique de l'espace-temps.

 La signature distinctive de l'horizon des évènements

Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2020, une équipe internationale d'astrophysiciens dirigée par Srimanta Banerjee du Tata Institute of Fundamental Research en Inde a découvert l'empreinte distinctive de l'horizon des évènements dans les spectres rayons X des trous noirs stellaires.

Température électronique en fonction du paramètre de Comptonisation relevés à partir des observations aux rayons X de trous noirs stellaires et d'étoiles à neutrons. Document S.Banerjee et al. (2020).

En utilisant les données d'archives de rayons X du satellite d'astronomie aujourd'hui déclassé Rossi X-Ray Timing Explorer, les chercheurs ont identifié l'effet lié à l'absence de surface solide sur l'émission de rayons X émis par quelques dizaines de trous noirs stellaires.

L'absence de surface solide fait que toute énergie cinétique restante de la matière s'accrétant sur le trou noir est absorbée sous l'horizon des évènements. Dans le cas d'une étoile à neutrons, au contraire, la matière accrétée est décélérée sur la surface et son énergie cinétique est finalement rayonnée.

Les nombreux photons "mous" (en terme d'énergie X) produits par la surface d'une étoile à neutrons affectent les propriétés du composant Comptonisé (le processus de diffusion provoqué par la collision de photons et d'électrons) dominant les spectres des binaires à rayons X (LMXB). Selon les auteurs, les deux paramètres des spectres Comptonisés - la température électronique kTe et le paramètre de Comptonisation - pourraient servir d'outil important pour distinguer les trous noirs des étoiles à neutrons. En effet, au cours de cette étude les chercheurs ont découvert une signature extrêmement forte d'accrétion stellaire chez les trous noirs.

Comme on le voit dans le graphique présenté à gauche, on observe clairement une différence entre les trous noirs (symboles rouges) et les étoiles à neutrons (symboles bleus) dans le paramètre y de Comptonisation. Cette signature X est de loin la signature constante la plus forte découverte à ce jour qui distingue indéniablement les trous noirs des étoiles à neutrons, ces dernières étant confinées dans une surface solide.

La singularité

La région du Bloc 2 est délimitée dans sa partie interne par l'horizon interne, sous lequel nous pénétrons dans la région du Bloc 3 contenant la singularité annulaire. Les scientifiques ignorent la nature de cette structure qui peut être gravito-quantique ou appliquer d'autres lois. Sa taille est inconnue mais en théorie, sur le plan mathématique, elle est a priori plus petite qu'une particule élémentaire, avec une longueur de 10-33 cm (la longueur de Planck). S'agissant d'une stucture subatomique, pour peu que les lois de la physique s'y appliqueraient, dans cette singularité, la "matière" ou quel que soit son nom n'existe plus. Selon les lois de la relativité générale, elle présente une densité infinie mais selon la mécanique quantique, elle existerait sous forme de quanta d'une énergie aussi élevée que le permettent les relations d'incertitudes d'Heisenberg.

Notons que selon la théorie de la gravité quantique à boucles (LQG), cette singularité n'en serait pas une mais en fait un milieu constitué de quanta dissociés d'espace et de temps. Une autre théorie dérivée de la LQG proposée en 2018 par Aurélien Barrau du CNRS et ses collègues prétend qu'un trou noir serait en réalité un trou blanc.... Enfin, selon la conjecture de la balle floue (fuzzball) de Samir Mathur et ses collègues, un trou noir ne contiendrait ni horizon des évènements ni singularité et se résumerait à une "balle de cordes" quantiques. On y reviendra.

En résumé, ainsi qu'on le constate, les physiciens théoriciens ont encore beaucoup de mal à formaliser (et plus encore à se représenter) la structure située sous l'horizon interne d'un trou noir et donc à décrire son évolution faute d'une théorie complète de la gravité quantique ou d'une autre théorie unifiée. Aussi, faute de mieux, nous continuerons à nous baser sur les théories de la relativité générale et de la physique quantique pour décrire les trous noirs et leurs effets, quitte lorsque nous rencontrerons des impasses à prendre des analogies dans d'autres disciplines comme la thermodynamique, la théorie de l'information ou la mécanique. Et nous allons découvrir qu'avec ces outils théoriques, il est parfaitement possible de décrire ces astres singuliers et même de prédire en partie leur évolution.

Déviation de la lumière

En raison de l'intensité de son champ gravitationnel, à proximité d'un trou noir, l'espace est tellement recourbé que les rayons lumineux sont déviés. Les rayons très proches de l'orbite circulaire des photons ou "sphère des photons" peuvent même faire le tour du trou noir avant de s'échapper comme illustré ci-dessous.

A télécharger : Ray Tracing a Black Hole in C#

L'orbite des photons près d'un trou noir de 10 rayons de Schwarzschild (Rs). Notez que certains rayons font un demi-tour autour du trou noir, d'autres font un tour complet avant de s'échapper tandis que ceux plongeant sous l'ISCO sont piégés. Documents D.Nolte et Getty Images.

Pour un trou noir statique (qui n'est pas en rotation) la dernière orbite circulaire ou ISCO se situe à r = 6GM/c2 soit 3 Rs du trou noir. L'orbite de la sphère des photons se situe à r = 3GM/c2 soit 1.5 Rs. En dessous de cette distance, les photos sont capturés par le trou noir et à jamais piégés. Ces distances sont plus petites si le trou noir est en rotation.

Il existe donc une distance critique à laquelle les photons sont forcés de suivre une trajectoire circulaire et fermée autour du trou noir : c'est "l'anneau de photons" (ou la "sphère de photons" en 3D) qui dans le référentiel du photon est une géodésique ayant la forme d'une ligne droite infinie mais dont le rayon est quantifiable et vaut Rp= 3GM/c2.

Selon la théorie d'Einstein, il existe plusieurs anneaux de photons autour d'un trou noir en rotation, chacun correspondant à des photons situés sur des orbites différentes autour du trou noir. Un trou noir statique ne possède qu'une seule sphère de photons. Notons que tout objet situé sous la sphère de photons mais à l'extérieur de l'horizon des évènements a toujours la possibilité de s'échapper du trou noir. On y reviendra à propos du théorème "Pas de cheveux". 

Réflexions divergentes autour de la sphère de photons

Représentation de l'anneau (ou de la sphère) de photons situé à 3/2 Rs de la singularité d'un trou noir de Kerr (cas théorique d'un trou noir vu du pôle à 2 Rs). Elle est en cororation avec le trou noir. Voici l'image de l'anneau de photons de M87* obtenu par l'EHT en 2022. Il existe un deuxième anneau légèrement plus éloigné qui tourne en sens contraire. Un trou noir statique ne possède qu'une seule sphère de photons. Document T.Lombry.

Cette déviation touche également l'image des astres situés optiquement à l'arrière-plan et à proximité du trou noir. Lorsqu'une galaxie se situe à l'arrière-plan d'un trou noir, on peut observer plusieurs fois la même image de la galaxie et elle est de plus en plus déformée à mesure que l'écart angulaire avec le trou noir diminue.

Le mécanisme est illustré ci-dessous. Une galaxie lointaine se situe derrière un trou noir par rapport à l'observateur. Les rayons lumineux les plus écartés du trou noir sont légèrement déviés. En revanche, les rayons qui passent tout près du trou noir peuvent subir une déviation si forte qu'ils effectuent un tour complet du trou noir avant de s'échapper et parvenir jusqu'à nous. Lorsque l'écart angulaire avec le trou noir devient très faible, les rayons peuvent effectuer plusieurs fois le tour du trou noir. Ainsi, en regardant tout près d'un trou noir, on peut apercevoir plusieurs images de la même galaxie, l'image la plus interne étant la plus déformée.

Bien que ce phénomène soit connu depuis les années 1970, jusqu'à présent il n'existait pas d'expression mathématique exacte. Mais en 2021, Albert Sneppen, étudiant en master au Cosmic Dawn Center de l'Institut Niels Bohr a trouvé la formulation qu'il publia dans les "Scientific Reports" de la revue "Nature".

À quelle distance du trou noir les images sont-elles déformées ? Il faut se rapprocher d'un facteur exponentiel d'environ 500 pour observer ces déformations, plus précisément d'un facteur e2π. Le facteur 500 découle directement du "fonctionnement "des trous noirs et de la gravité, de sorte que les répétitions des images deviennent désormais un moyen d’examiner et de tester la gravité. Selon Sneppen, "Il y a quelque chose de fantastiquement beau à comprendre maintenant pourquoi les images se répètent d'une manière si élégante. En plus de cela, cela offre de nouvelles opportunités pour tester notre compréhension de la gravité et des trous noirs."

La méthode de Sneppen peut également être généralisée et s'appliquer aux trous noirs en rotation. Selon Sneppen, "Lorsqu'un tour noir tourne réellement très vite,, les calculs montrent qu'il ne faut plus se rapprocher du trou noir d'un facteur 500, mais nettement moins. Chaque image n'est désormais plus que 50, ou 5, voire seulement 2 fois plus près du bord du trou noir""

Le fait de devoir regarder 500 fois plus près du trou noir pour observer chaque nouvelle image signifie que les images secondaires sont rapidement "compressées" en une seule image annulaire, comme le montre l'illustration ci-dessous à droite. En pratique, ces images multiples seront difficiles à observer. Mais lorsque les trous noirs sont en rotation - et ils le sont tous -, il y a plus de place pour les images secondaires. Les astrophysiciens peuvent donc espérer confirmer la théorie par l'observation dans un proche avenir.

A gauche, La lumière de la galaxie située à l'arrière-plan fait le tour du trou noir un certain nombre de fois avant de parvenir à l'observateur. Par conséquent, on observe plusieurs images de la même galaxie dans plusieurs directions. A droite, la situation vue par l'observateur. A mesure qu'on se rapproche optiquement du trou noir, on observe une succession d'images de la galaxie qui deviennent de plus en plus serrées et déformées. Documents P.Laursen adaptés par l'auteur.

Comme l'effet de lentille gravitationnelle amplifie l'image des galaxies pâles situées derrière elle, ces réflexions divergentes près d'un trou noir permettent également aux astrophysiciens d'en apprendre davantage sur les trous noirs, mais aussi sur les galaxies situées à l'arrière-plan. En effet, le temps de trajet de la lumière augmentant, plus elle doit faire de tours du trou noir, plus les images sont "retardées". Si, par exemple, une supernova apparaît dans une galaxie située à l'arrière-plan, en théorie on pourrait assister à l'explosion et même l'observer plusieurs fois à des époques différentes dans les images successives.

L'effet Lense-Thirring ou le glissement du cadre de référence

Un effet important produit par un trou noir en rotation est le fait... qu'il ne "tourne" pas réellement "dans l'espace" comme une toupie sur une table. En réalité, si on applique correctement le sens de la relativité générale, en raison de sa force de gravité extrêmement élevée, il déforme et entraîne l'espace-temps dans le sens de la rotation avec une intensité qui diminue à mesure qu'on s'éloigne de l'horizon des évènements[9]

Ce glissement du cadre de référence est appelé l'effet Lense-Thirring. Il crée également une précession relativiste qui fut confirmée expérimentalement dans le cas de la Terre au cours de la mission du satellite Gravity Probe B de la NASA lancé en 2004. Après analyse, il apparut que le satellite subissait une précession relativiste dont le cycle était de 33 millions d'années. Un trou noir étant bien plus massif, l'effet est beaucoup plus sensible et le cycle de précession ne prend que quelques secondes. On reviendra sur ce phénomène à propos du scintillement des trous noirs (QPO) en rayons X et à propos de la précession du jet bipolaire.

Notons qu'au-delà de la limite statique, l'espace-temps est toujours entraîné, mais à un taux moins élevé. En théorie, cet effet se produit jusqu'à une distance infinie et pour tous les corps mais en pratique il est impossible de mesurer cette distorsion à grande distance en raison de l'influence des autres corps massifs.

Ce phénomène décrit par Roy Kerr n'est pas lié à un éventuel effet de couple mécanique comme dans la physique de Newton mais est une conséquence de la courbure de l'espace-temps induite par la présence du trou noir comme on le voit ci-dessous.

A lire : The Kerr spacetime, Markus Hanke

Diagrammes de plongement dans un espace-temps statique (métrique de Schwarzschild) d'un trou noir de Schwarzschild, c'est-à-dire statique (première image de chaque animation) et d'un trou noir de Kerr en rotation (2e image et suivantes de chaque animation). Noter la déformation du système de coordonnées et de la géométrie de l'espace-temps dans le trou noir de Kerr. En utilisant le langage classique de Newton, cela signifie que tout l'espace-temps et donc ce qu'il contient également comme matière et rayonnement est entraîné par la rotation du trou noir et pas seulement le trou noir. Documents d'Andersen Cramer animés par l'auteur.

En raison de cet effet relativiste, un objet se trouvant dans l'ergosphère ne peut pas rester immobile par rapport à un observateur extérieur (sauf si l'objet se déplace à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans cet espace-temps local, ce qui est impossible). Pour qu'un objet reste stationnaire dans l'ergosphère, sa vitesse doit augmenter à mesure qu'il s'éloigne de l'horizon des évènements, jusqu'à ce que sa vitesse atteigne celle de la lumière. Cette distance définit la surface de l'ergosphère.

Selon la relativité générale, la conséquence de ce phénomène est une distorsion apparente (il s'agit de géodésiques) de la trajectoire des objets situés à courte distance, y compris de la lumière qui est entraînée par le trou noir de Kerr.

Propriétés de l'ergosphère

Du fait qu'il existe une singularité de densité et courbure d'espace-temps infinies dans un trou noir, si un objet est au repos, la force gravitationnelle devient infinie sur la surface de Schwarzschild. Si le corps accélère dans l'ergosphère dans le sens de la rotation d'un trou noir, la force reste limitée, on dit qu’elle devient finie, tant sur la surface que dans l’ergosphère. Il en résulte qu’un corps qui se déplace sur une trajectoire circulaire dans l’ergosphère d’un trou noir ne tombera pas au centre. Cela signifie aussi que le taux de rotation change drastiquement sur la limite statique. C'est la raison pour laquelle tant qu'on réside dans l’ergosphère, on peut encore s’échapper d’un trou noir.

Quelle que soit la vitesse angulaire de la matière tombant dans l’ergosphère, une fois l’horizon des évènements franchit, tous les corps présentent la même vitesse angulaire et tournent à la même vitesse que la surface de Schwarzschild du trou noir, comme s’ils étaient collés sur un solide; c'est la corotation. Pour un gyroscope au repos, sa vitesse angulaire augmente et tend vers l’infini sur la surface de l’horizon interne. Passé ce rayon de Schwarzschild, toutes les particules demeurent éternellement prisonnières du trou noir. Rien ne peut s’en échapper (nous verrons plus loin que sous certaines conditions, un trou noir peut malgré tout rayonner à travers le rayonnement de Hawking). On y reviendra.

A lire : Schwarzschild Spacetime And Black Holes, Markus Hanke

A voir : Simulation de l'orbite d'un corps autour d'un objet massif

Applet Java réalisé par John Walker, Fourmilab

A gauche, simulation de l'approche d'un trou noir jusqu'à l'horizon interne des évènements où la trajectoire des photons reste “indécise”, le temps est arrêté vu de l’extérieur. Passé cet horizon qui correspond au rayon de Schwarzschild, selon la théorie de BKL l’effondrement s’effectue dans toutes les directions de façon chaotique. A droite, aspect de l'horizon à 1.37 Rs si la Terre devenait un trou noir. Cliquer sur l'image de droite pour lancer l'animation (Mpeg de 613 Kb). Documents Robert J. Nemiroff.

Le rayonnement propre émis par un trou noir, où plutôt par son ergosphère, se compose de particules sans masse de repos qui se déplacent dans l’espace à la vitesse de la lumière. Il s’agit des photons (rayonnements radio, X et gamma), des électrons, des neutrinos muoniques, de leurs antiparticules et des gravitons qui restent à découvrir.

Un trou noir d’origine stellaire, c'est-à-dire qui n'a pas été formé dans l’univers primordial et qui n'est pas un trou noir galactique, émet un flux qui se compose de 81% de neutrinos, 17% de photons et seulement 2% de gravitons. Ce spectre d’émission très particulier est lié aux propriétés des différentes particules. Les physiciens nous disent que les neutrinos sont majoritaires parce que leur nombre de spin est minimum (1/2) alors que celui des gravitons est maximum (2). Un trou noir de 5x1011 kg (moitié moins massif que la Lune) émettra également des muons et des particules élémentaires plus lourdes. Quant aux trous noirs primordiaux formés au cours des touts premiers instants de l'univers, en plus des particules déjà citées, ils produisent également des paires d’électron-positrons. Selon Hawking, Novikov et Zel’dovitch, ils seraient aujourd’hui tous évaporés. C’est la raison pour laquelle le rayonnement de Hawking sur laquelle nous insisterons est extrêmement importante pour la cosmologie.

Cela signifie aussi que nos détecteurs sont pratiquement incapables de détecter les trous noirs. Ce sont principalement les photons X et gamma qui peuvent nous renseigner sur leur nature. Nous captons trop peu de neutrinos et sous des angles bien trop dispersés pour être sûr qu’ils proviennent de trous noirs.

La seule façon d’y voir clair dans ce flou quantique reste encore la détection d'effets indirects sur lesquels nous reviendrons et la modélisation.

Cette théorie fut proposée dès 1967 par Donald Lynden-Bell de l’Université de Cambridge pour expliquer le rayonnement intense que l'on détecte dans les quasars et autres AGN, la région centrale du disque de la Voie Lactée et dans le coeur de la plupart des galaxies.

Masse

Comment calculer la masse d'un trou noir ? Il existe de nombreuses méthodes principalement basées sur les lois de la gravitation. En général, on détecte des étoiles ou du gaz qui se déplace sur une période de quelques mois ou de quelques années autour du centre de masse. Le déplacement de ces objets crée un décalage Doppler dont la valeur correspond à la vitesse orbitale de l'objet, valeur à partir de laquelle on peut calculer la masse de l'astre central en utilisant les lois de Kepler :

m = a3(4π2) / (GT2)

avec G la constante de la gravitation (6.67x10-11m3/kg.s2), T la période orbitale en seconde et a le demi-grand axe de l'orbite.

Ainsi, dans le cas de la Terre (où a = ~1.5x1011 m), on obtient pour le Soleil une masse m=2x1030 kg, ce qui correspond à 1 M. De manière similaire, on peut utiliser le rayonnement radioélectrique et observer au radiotélescope (ALMA, etc) les émissions des molécules de formaldéhyde (HCN) ou du HCO dans le milieu interstellaire. Enfin, on peut mesurer le profil de température de l'objet dans le rayonnement X (cas de NGC 4649 observé par Chandra) car elle dépend directement de la masse du trou noir. Il faut toutefois soustraire de cette masse le disque d'accrétion (cf. page 5) qui entoure généralement le trou noir mais pouvoir le distinguer est déjà tout un programme.

Taille

La taille d'un trou noir, c'est-à-dire celle de son horizon des évènements est proportionnelle à sa masse comme l'indique l'équation de sa circonférence présentée ci-dessous. Nous avons vu précédemment que pour un trou noir de la masse du Soleil, son rayon de Schwarzschild est de 2.95 km, soit une circonférence de 18.5 km. En revanche, pour un trou noir de 10 M, on arrive déjà à un rayon de 159154 km (4 fois inférieur à la taille actuelle du Soleil) et une circonférence de 1 million de kilomètres. On ne sera donc pas étonné que les trous noirs supermassifs atteignent des dimensions astronomiques. Ainsi un trou noir supermassif de 1 milliard de M présente un rayon de Schwarzschild de 2.95 milliards de kilomètres soit 20 UA ou 2 heure-lumière; sa circonférence est plus grande que l'orbite d'Uranus !

Mais il existe des trous noirs bien plus vastes encore. Ainsi, selon les modèles, le trou noir supermassif caché au coeur de la galaxie NGC 4889 dans l'amas de Coma présente un rayon (celui de l'horizon des évènements) de 65 milliards de kilomètres soit 485 UA tandis que celui de 40 milliards de masses solaires caché au coeur du quasar S5 0014+813 ou de la galaxie géante Holmberg 15A mesure 118 milliards de kilomètres de rayon ou 790 UA, soit 20 fois la distance moyenne du Soleil à Pluton ! Pour fixer un ordre de grandeur, à la vitesse de la sonde spatiale Voyager 1 qui parcourt actuellement 3.3 UA par an (17 km/s soit 61200 km/h), en partant du centre d'un tel trou noir il lui faudrait près de 240 ans pour atteindre son horizon des évènements !

Calculatrices en ligne :

Schwarzschild Radius - Black Hole Temperature, Omni Calculator

Paramètres d'un trou noir

Rayon de Schwarzschild

Paramètre de densité

La densité est inversement proportionnelle au carré du rayon.

Si M = 1 M, Rs = 3 km.

 

Masse

Circonférence de l'horizon

Entropie

S = kBc3A / 4Gh

avec A l'aire de l'horizon des évènements, kB, c, h et G les constantes habituelles.

L'entropie S ou degré de désorde d'un trou noir ne peut pas diminuer.

Diamètre angulaire du champ optique

Densité

A mesure que le trou noir accrète la matière de son environnement, sa masse et sa taille (celle de l'horizon des évènements) augmentent sans cesse au point qu'il peut atteindre des dimensions réellement astronomiques comme nous l'avons évoqué. La densité d'un trou noir varie comme l'inverse du carré de sa masse (en 1/M2 ou M/R3). Autrement dit, plus un trou noir accrète de la matière et devient massif et volumineux, plus sa densité moyenne est faible et moins on ressent les effets de marée dans son voisinage (voir plus bas). Ainsi un trou noir supermassif de 1 million de M aura une densité équivalente à 20000 fois celle de l'eau tandis qu'un trou noir de 1 milliard de M présentera une densité équivalente à seulement 2% de celle de l'eau.

Température

On peut s'étonner de donner une température à une étoile morte qui n'a plus de réaction thermonucléaire et devrait donc logiquement avoir une température de 0 degré absolu (0 K). Mais c'est bien une température que découvrit Stephen Hawking en 1974 et que popularisa peu après l'astronome et cosmologiste Dennis Sciama (1926-1999) au cours d'une conférence donnée à la Belfer School de New York (rappelons que c'est Sciama qui supervisa la thèse de doctorat d'Hawking en 1966 à Cambridge).

Cette température trouve en fait son origine dans l'entropie S associée aux trous noirs et décrite par Jacob Bekenstein en 1973 sous la forme de la relation suivante :

S = (kB c3 A) / (4 G h), où A est l'aire du trou noir.

La température d’un trou noir dite température de Hawking est inversement proportionnelle à sa masse et obéit à la relation suivante :

T = (h c3) / (16 π2G M kB)

5.84 x 10-8 K x M/M

avec M la masse du trou noir, h la constante de Planck, c la vitesse de la lumière, G la constante de gravitation et kB la constante de Boltzman.

Ainsi, pour un trou noir de 1 M, la température vaut 5.84x10-8 K, soit voisine du zéro absolu. Pour un trou noir de 1014 kg (l'équivalent de la masse d'une petite montagne), la température dépasse 1010 K, soit équivalente à celle qui régnait 10 secondes après le Big Bang ! Pour une masse équivalente à celle de la Lune (7x1022 kg), la température d'un trou noir n'est plus que de 2.7 K soit -270.45° tandis qu'un trou noir ayant la masse de la Terre (6x1024 kg) présente une température de 0.01 K.

Illustration du jet émis par un trou noir actif. Document T.Lombry.

Les trous noirs stellaires massifs et les trous noirs galactiques supermassifs sont donc des astres glacés incapables d'émettre la moindre chaleur mais qui paradoxalement rayonnent intensément à travers différents mécanismes dont la friction régnant dans le disque interne et l'accélération des particules dans le jet bipolaire. On y reviendra.

Cette température ne s'applique qu'aux trous noirs "ordinaires" (stellaires et hypermassifs) car les mini-trous noirs primordiaux de taille subatomique sujets à évaporation quantique finissent par émettre un rayonnement de corps noir dont le spectre thermique TTN vaut :

TTN = g/2π, avec g la gravité à la surface du trou noir.

Cette évaporation quantique est négligeable pour les trous noirs ordinaires (stellaires, etc.). On y reviendra.

Un trou noir est donc un corps noir puisqu'il absorbe totalement la lumière au sens large mais il n'est pas au 0 absolu. Mais le Soleil aussi est qualifié de corps noir puisqu'il émet de la lumière mais n'en réfléchit aucune ! Mais alors, à part la différence de luminosité, quelle est la différence entre ses deux corps noirs ? La différence est que le Soleil rayonne par son activité thermonucléaire et sa température est proportionnelle à sa masse (sa couleur) tandis que le trou noir rayonne uniquement en raison de l'agitation des atomes et sa température est inversement proportionnelle à sa masse. C'est la découverte de ce mécanisme qui conduisit Hawking a publier un article en 1975 intitulé "Particle Creation by Black Holes" dans lequel il décrivit la fameuse radiation qui porte aujourd'hui son nom et sur laquelle nous reviendrons.

Etant donné qu'il possède une température et donc de la chaleur, un trou noir rayonne et doit donc perdre de l'énergie. Compte tenu de la loi d'équivalence d'Einstein (E=mc2), puisqu'il perd de l'énergie, il perd donc de la masse. Finalement, sachant que sa taille est liée à sa masse, à mesure qu'il perd son énergie, il arrivera un jour où le trou noir va s'évaporer. On reviendra sur ce mécanisme.

Durée de vie

La durée de vie d'un trou noir est proportionnelle au cube de sa masse. On estime que la durée de vie d'un trou noir de 1 M est de l'ordre de 1064 ans. En revanche, un mini trou noir d'une tonne ne survit que 10 milliardièmes de seconde, un trou noir d'un million de tonnes survit 3 ans et un trou noir de 1 à 10 milliards de tonnes (le poids d'une montagne ou d'un petit asteroïde) survit 14 à 15 milliards d'années. Pour un trou noir supermassif, les facteurs se multiplient et on atteint une durée de vie de 1074 ans pour un trou noir de 10 milliards de masses solaires !

Une durée de vie aussi longue n'est pas étonnante quand on connaît la force des interactions à l'oeuvre dans un trou noir. En effet, pour que les forces de marée (voir plus loin) puissent vaincre les interactions entre paires de particules-antiparticules, le trou noir doit avoir une taille microscopique. Dès qu'il dépasse quelques centaines de tonnes, l'évaporation quantique sous forme de rayonnement de Hawking devient insignifiante face à la masse du trou noir qui absorbe la matière à un taux bien plus élevé que son évaporation quantique.

Etant donné que l'univers baigne dans un rayonnement à ~2.7 K, les lois de la thermodynamique prédisent que seuls les trous noirs primordiaux ayant une température supérieure à 2.7 K et donc une masse inférieure à 1020 kg (100 millions de milliards de tonnes condensés dans un objet de 0.1 mm de rayon) peuvent s'évaporer. Tous les autres ne peuvent qu'absorber de l'énergie et grossir. Par conséquent, ceux dont la masse dépasse 1020 kg s'évaporent en plus de 14 milliards d'années (quelques trous noirs primordiaux et tous les trous noirs stellaires et galactiques).

Pour ne pas alourdir cet article, nous reviendrons en relativité sur la question de la stabilité des trous noirs qui n'est toujours pas entièrement démontrée.

Taux de rotation et spin

A l'image des particules élémentaires, la vitesse angulaire ou taux de rotation d'un trou noir de Kerr se définit par le paramètre de spin symbolisé par a* ou par le vecteur de spin |χ| alias chi qui obéit à la relation suivante :

a* = (J/M)/M ou Jc/GM2

S = χ (GM2TN / c)

avec, J le moment cinétique, M la masse du trou noir, c et G étant les constantes habituelles. Habituellement on utilise la notation a=J/M et donc a*=a/M. Comme tout paramètre, a* ou |χ| est un nombre sans dimension qui varie entre 0 (sans spin) et ±1 (spin maximum). Le spin est positif si le sens de rotation est prograde (dans le sens inverse des aiguilles d'une montre en regardant l'astre depuis son pôle Nord).

Graphique des différentes orbites autour d'un trou noir de 10 Ms en fonction du paramètre de spin et du rayon. Document C.S.Reynolds (2019).

Notons que dans un article publié en 2019 dans la revue "Nature", Christopher S. Reynolds de l'Institut d'Astronomie de l'Université de Cambridge a décrit toutes les méthodes permettant de mesurer le spin d'un trou noir.

Si en théorie un trou noir peut présenter un spin a* = 1 cela ne signifie pas qu'en pratique sa vitesse de rotation atteint la vitesse de la lumière. En effet sa vitesse maximale est déterminée par celle de l'horizon des évènements et, si le spin est très élevé, elle atteint la singularité. Comme a priori il n'existe pas de "singularité nue" et donc pas de singularité exposée au monde extérieur (mais on en reparlera en relativité), cela signifie que la singularité n'a pas la possibilité d'émettre de rayonnement (énergie ou lumière) et reste donc invisible aux observateurs. Par conséquent, cela représente la limite physique à laquelle un trou noir peut tourner sur lui-même. Cette vitesse limite représente celle où le moment cinétique est égal à la masse du trou noir, soit J = M et donc a* = 1. Autrement dit, s'il est suffisamment petit, un trou noir peut tourner sur lui-même à une vitesse limite voisine de celle de la lumière. En revanche, un trou noir galactique ne tournera jamais à cette vitesse.

Le spin des trous noirs a rarement été mesuré du fait qu'il est très difficile d'observer avec une résolution suffisante les trous noirs stellaires ou la partie interne du disque d'accrétion des trous noirs galactiques. Comme nous l'avons expliqué, il faut donc souvent utiliser des moyens indirects comme l'analyse spectrale du continuum X et s'aider de simulations pour calculer le spin.

Grâce aux satellites X tels que XMM-Newton et NuSTAR, depuis quelques années les astrophysiciens ont pu calculer avec plus de 90% de confiance le taux de rotation de plusieurs trous noirs.

En 2013, Guido Risaliti de l'Observatoire d'Astrophysique d'Arcetri et son équipe ont pu calculer le spin du trou noir d'environ 200000 M situé au centre de la galaxie NGC 1365 et obtenu une valeur a* ≥ 0.84.

En 2014, Mark T. Reynolds de l'Université du Michigan et son équipe sont parvenus grâce à l'effet de microlensing gravitationnel à mesurer les paramètres du trou noir supermassif situé dans le quasar Q2237+0305, la fameuse "Croix d'Einstein" : ce trou noir représente un milliard de masses solaires et son spin a* ≥ 0.65. Selon une étude publiée en 2016 par des astrophysiciens espagnols, ce trou noir présente un disque d'accrétion aussi étendu que le système solaire et dont le disque interne est très proche du rayon limite du trou noir (ISCO).

Concernant les trous noirs stellaires, le record de spin est détenu par la Nova Aquilae 1982 alias GRS 1915+105, un microquasar abritant un trou noir de 14 M dont une illustration est présentée à droite, pour lequel en 2006 Jeffrey McClintock et son équipe ont calculé le spin a* > 0.98 ! C'est aussi le premier objet stellaire où on observa des jets superluminiques, un indice supplémentaire en faveur de la présence d'un trou noir. Depuis, les astronomes ont découvert plusieurs trous noirs ayant un spin compris entre 0.92 ≤ a* ≤ 0.95.

Quant au trou noir supermassif Sgr A* situé au coeur de la Voie Lactée, son spin ne dépasse pas ~10% du taux maximal (cf. Fragione et Loeb, 2020).

Peut-on convertir le paramètre de spin en vitesse de rotation ? Le spin n'ayant pas de dimension, ce n'est pas une vitesse angulaire et il n'est pas linéaire par rapport à la vitesse de la lumière (on ne peut donc pas faire de raccourcis comme le font certains journalistes qui en lisant a*=0.84 en déduisent que cela correspond à 84% de la vitesse de la lumière. C'est faux). Pour cela il faut définir la vitesse angulaire ΩH à l'horizon externe qui est la première surface à tourner de façon rigide. La formule est :

, avec a=J/M

Cette valeur s'exprime en unités de c/M = (0.2 rad/s)(106 M/M). Lorsque a tend vers M, alors ΩH tend vers c/M.

Illustration du système binaire GRS 1915+105 constitué d'une étoile ordinaire et d'un trou noir stellaire de 14 masses solaires présentant un taux de rotation supérieur à 98% de la vitesse de la lumière. Il faut s'imaginer que tout ceci est animé comme le montre cette vidéo de la NASA/GSFC. Le disque d'accrétion et le trou noir sont en rotation et son jet de plasma émet des rayons X toutes les 40 secondes, battant comme les pulsations d'un coeur. Document T.Lombry.

Pour un trou noir de 1 M, avec un rayon d'environ 2.94 km et une circonférence d'environ 18.5 km, la fréquence de rotation de l'horizon est de 62 microsecondes, c'est-à-dire qu'il effectue une révolution toutes les 0.000062 s soit 16129 rotations/seconde ! A la surface de ce trou noir, cela correspond à une vitesse linéaire de (18.5 km / 0.000062 s), soit 298387 km/s, c'est-à-dire voisine de celle de la lumière (299792 km/s) ! Cette vitesse de rotation est 8 fois plus rapide que celle des pulsars millisecondes. Cette vitesse est qualifiée de "maximale" car au-dessus de cette valeur les horizons éclatent. Comme nous l'avons évoqué, pour un trou noir dit "maximal" dont la vitesse de rotation de l'horizon égale la vitesse de la lumière, la force centrifuge annule la gravité sur l'horizon des évènements.

A titre de comparaison, bien que la taille et la nature des astres soit très différente, la surface du Soleil (rayon de 696342 km) tourne à seulement 2 km/s à l'équateur (1 rotation en 25 jours).

Pour un trou noir de 3 M, la fréquence de rotation de l'horizon est de 0.0002 s soit 5000 rotations/seconde. Si nous prenons cette fois un trou noir supermassif de 1 million de M, sa circonférence critique est un million de fois plus grande et sa fréquence de rotation est donc un million de fois plus petite : il effectue une rotation toutes les 62 secondes et il ne peut vraiment pas tourner plus vite au risque d'éclater.

Notons que si les deux horizons d'un trou noir en rotation sont bien séparés dans le plan équatorial (voir premier schéma), à mesure que le moment angulaire augmente, les deux horizons se rapprochent : le rayon de l'horizon interne augmente tandis que celui de l'horizon externe diminue. En théorie, lorsque le trou noir atteint sa vitesse angulaire maximale, les deux horizons fusionnent et se disloquent, mettant la singularité à nu et ouvrant la boîte de Pandore (du moins dans le modèle Standard).

Enfin, à partir de toutes ces données on peut établir ce qu'on peut appeler la première loi de la mécanique du trou noir :

dM = (k/8π) dA + Ω dJ + Φ dQ

avec M la masse, k la gravité de surface, A l'aire du trou noir, Ω la vitesse angulaire, J le moment angulaire, Φ le potentiel électrique, Q la charge et les constantes c, , k et G = 1.

En thermodynamique son analogue est la fameuse relation dU = TdS - PdV, avec dU la différentielle de l'énergie interne, T la température, S l'entropie, P la pression et V le volume du système.

Autrement dit, la mécanique d'un trou noir de Kerr-Newman (en rotation) ou même de Reissner-Nordström (statique) peut être dérivée des lois classiques de la thermodynamique. On peut ainsi calculer sa gravité superficielle, sa température de surface, son énergie, son potentiel électromagnétique, sa vitesse angulaire, son aire, son entropie, les rayons des horizons et sa masse. On constate que certains produits ne sont pas des quantités universelles (valides universellement) et que son entropie est indépendante de sa masse. On y reviendra à propos du paradoxe de l'information.

On reviendra sur le taux de rotation des trous noirs car dans le cas des trous noirs supermassifs, elle joue un rôle déterminant dans la formation des jets de haute énergie des quasars.

Prochain chapitre

Les forces de marée

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[5] I.Novikov, “Black Holes and the Universe”, Canto, 1995, p50.

[6] Lire Jean-Pierre Luminet, "Le destin de l'univers", Fayard, 2006, p271; "Les trous noirs", Belfond-Sciences, 1987/1989/1998 - Kim Griest, Physics 161, "Black Holes: Lecture 22" (PDF), 2010 - Pour les détails mathématiques lire Matt Visser, "The Kerr spacetime: A brief introduction" (PDF), 2008, p35 - George Efstathiou, Michael Hobson et Anthony Lasenby, "Relativité générale" (Ch.13 - La géométrie de Kerr), de boeck, 2009.

[7] Lire Charles Misner, Kip S. Thorne et John Wheeler, "Gravitation", W. H. Freeman and Co., 1973/2017, p879. Voir aussi la vidéo en anglais sur YouTube préparée par PBS (à revoir plusieurs fois jusqu'à comprendre !).

[8] Si le Soleil devenait un trou noir (mais c'est impossible car il est trop peu massif), son rayon de Schwarzschild Rs = 2GM/c2 ou environ (3 M/M) km soit 3 km tandis que s'il présentait un spin maximum, son rayon polaire serait la moitié du rayon de Schwarzschild c'est-à-dire GM/c2 soit 1.5 km.

[9] Lire Charles Misner et al., op.cit., p879.

[10] K.S.Thorne et R.Price, "The Membrane Paradigm For Black Holes", Scientific American, 258, 1986, p45 - K.Thorne, “Trous noirs et ralentissements du temps”, op.cit., p430 et suivantes et Notes, p603 et suivantes.


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