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Le trou noir

La forte brillance sur la partie droite du disque d'accrétion est liée à l'effet Doppler gravitationnel sur les photons. Simulation réalisée avec APKPure.

L'évaporation des trous noirs (VII)

En 1974, Stephen Hawking[15] prédit que les mini-trous noirs (ceux formés juste après le Big Bang ou existant encore à l'échelle subatomique) pouvaient être sujets à une "évaporation quantique", appliquant en cela les lois d'une thermodynamique quelque peu modifiées, ce qu'on appelle une analyse semi-classique.

Hawking exploita la toute jeune théorie de la supergravité et la relation qui existe entre la physique quantique (les particules virtuelles) et la relativité générale (la courbure de l'espace-temps), chaque théorie s'occupant des particules qui la concerne : la physique quantique des collisions et autre annihilation suivant les préceptes du quantum d'action et la relativité des effets de courbure sur les ensembles de particules.

Sachant qu'en vertu de la deuxième loi de la thermodynamique la surface de l'aire d'un trou noir ne peut pas diminuer, les scientifiques ont qualifié la mesure de l'intensité de son champ gravitationnel comme étant égale à sa "gravité de surface". Si on peut assimiler la surface de l'horizon des évènements à la mesure du désordre - ou son manque d'information -, selon Hawking on peut assimiler cette entropie à la notion de température. Explications.

En 1973, Jacob Bekenstein[16] alors à l'Université du Néguev en Israël démontra que la perte d'information qui suit l'effondrement d'un trou noir était limitée. Le degré de désordre, l'entropie d'un trou noir, n'est pas infinie mais proportionnelle à l'aire de l'horizon des évènements. Mais dans son esprit, si l'aire d'un trou noir représente son entropie, c'était plus précisément son entropie multipliée par quelque chose, une constante, sinon il violait le second principe de la thermodynamique.

Hawking croyait en effet que l'entropie d'un trou noir était nulle. Pour Bekenstein, il fallait donc trouver un moyen pour qu'en absorbant la matière, le trou noir ne diminue pas l'entropie de l'Univers. Bekenstein supposa alors que l'entropie devait augmenter quand le trou noir absorbait de la matière, et la surface de l'horizon était un excellent candidat.

Hawking lui fit remarquer qu'en vertu des deux formules présentées ci-dessus, si un trou noir présentait une entropie, il avait donc aussi une température, et s'il avait une température, il devait émettre un rayonnement, bien qu'il s'agisse d'une singularité. Après plus de deux ans de recherches en collaboration avec Kip Thorne et Yakov Zel'dovitch principalement, Hawking découvrit que non seulement un trou noir émettait un rayonnement mais il le faisait de manière constante et sur toute l'étendue du spectre en fonction de sa masse. Finalement il s'évaporerait dans un intense flash de lumière. Il fit une conférence à ce sujet en 1974 et publia ses résultats dans la revue "Nature".

Dans l'esprit de Hawking il n'y avait pas de paradoxe : si le trou noir grossit son entropie doit croître en parallèle, c'est l'un des principes de la thermodynamique. Il peut ainsi être en équilibre à une température non nulle et présenter un spectre thermique.

Prenons un exemple. Dans la vie de tous les jours, toute transformation d'énergie, même si elle vise localement à bâtir de l'ordre, amplifie le désordre général de l'univers car tout travail demande toujours de l'énergie. Toute énergie finit par se dégrader et se transformer en chaleur. Une fois l'équilibre thermodynamique atteint cette chaleur n'est pas récupérable.

Pour Hawking, le fait que le trou noir soit en équilibre à une température non nulle signifie qu'il peut émettre des particules tout comme un corps chaud ordinaire. Si un trou noir peut ainsi s'évaporer, sa masse doit diminuer. Sa température étant inversement proportionnelle à sa masse, sa température doit donc s'élever. Appliqué en ces termes, la gravité de surface d'un trou noir devient alors synonyme de température. Si un trou noir est capable d'émettre de l'énergie, il doit donc exister une interaction entre le trou noir et son environnement.

Les experts en la matière pensaient d'abord qu'il s'était trompé dans ses calculs et se demandèrent même comment avait-il pu obtenir ses prédictions sans faire la moindre expérience...

Il s'avéra toutefois que la théorie de Hawking était cohérente, bien que basée sur son intuition. Jusqu'en 1975 toutefois, Zel'dovitch et d'autres physiciens soviétiques ne seront pas d'accord avec sa théorie car ils étaient convaincus que si un trou noir cessait de tourner, il cesserait également de rayonner et ne pourrait donc pas s'évaporer totalement.

Contredit par des spécialistes des champs quantiques dans l'espace-temps courbe, il était difficile de ne pas les écouter. Même Kip Thorne, l'un des spécialistes des trous noirs à l'époque, ne pouvait pas s'opposer à leurs arguments... Puis, à force de réfléchir à la question et de simuler les effets de telles conditions, quelques mois plus tard, Zel'dovitch annonça à Kip Thorne qu'il abandonnait et reconnaissait l'exactitude des calculs de Hawking. Cette fois le "rayonnement de Hawking-Bekenstein" était né.

Le rayonnement de Hawking

Comme toute légende, le coauteur de cette théorie paradoxale a été oublié dans les couloirs de l'Histoire. Cela dit, la radiation ou rayonnement de Hawking est vraiment négligeable. Pour un trou noir superpermassif, elle représente un photon X ou gamma. Selon l'émetteur ou le processus, l'énergie de ce photon varie entre 511 keV lors d'une annihilation électron-positron et environ 25 MeV lors de l'impact d'un électron contre une cible en tungstène. Pour un trou noir de la masse de la Terre, c'est un photon d'une fréquence de 1.35 GHz. Si l'astre est mille fois plus léger que la Lune, c'est un photon rouge sombre. Valant au mieux quelques nanojoules, ce n'est même pas l'énergie cinétique d'un moustique (qui vaut 1 TeV) ! Cette perte d'énergie ne vaudrait même pas la peine d'être signalée. Alors pourquoi est-elle si connue et en quoi est-elle importante ?

En fait, l'énergie gagnée par les rares particules présents dans l'espace interstellaire ou par la lumière qui tombe dans un trou noir est de loin supérieure à la perte de masse par "évaporation". Un trou noir grossit donc en réalité et ne se dégonfle jamais ! Dans les trous noirs galactiques, la température de ce rayonnement est encore plus faible et elle est absolument négligeable pour les trous noirs supermassifs. On peut donc se demander quel est l'intérêt d'étudier un évènement aussi insignifiant ?

Le rayonnement de Hawking. Lorsqu'une paire de particules virtuelles intriquées s'approche de l'horizon interne des évènements d'un trou noir, elle peut être séparée par l'effet de la gravitation : une particule est capturée par le trou noir, tandis que l'autre est contrainte de se matérialiser (en blanc). Pour un observateur extérieur, cela correspond à une émission du trou noir, à son évaporation. De nouvelles études théoriques (2023) montrent que ce rayonnement peut aussi être émis sans horizon des évènements. Document T.Lombry.

Comme tous les phénomènes quantiques, le rayonnement de Hawking peut violer les lois de la physique classique et c'est ce phénomène qui provoque cette "évaporation" tout à fait inattendue et extrêmement importante pour la cosmologie. En fait, cette découverte signifie que "l'éternité" des trous noirs n'existe plus ! Voyons cela en détails.

Hawking exploite en fait une théorie semi-classique, dans laquelle il applique la mécanique quantique aux particules émises, mais pas au trou noir lui-même, qui dispose d'un champ gravitationnel classique. 

Pour expliquer l'origine de ce rayonnement, Hawking applique l'effet tunnel de la physique quantique à des trous noirs en rotation. Il existe en effet une probabilité non nulle pour qu'une particule puisse traverser une barrière d'énergie infranchissable pour la mécanique classique. Le rayonnement ayant une chance de s'affranchir de la force gravitationnelle de l'horizon du trou noir, celui-ci pourrait s'évaporer une fois sa température (son énergie) supérieure à celle du vide.

En temps normal, si une paire de photons virtuels est séparée par l'effet de marée gravitationnelle qui règne près de l'horizon d'un trou noir, le photon virtuel le plus éloigné peut extraire suffisamment d'énergie des forces de marée pour se matérialiser dans le monde réel et s'échapper de l'horizon du trou noir, tandis que sa contrepartie réelle tombera sous l'horizon interne jusqu'à la singularité. La particule réelle se voit ainsi dotée d'un surplus d'énergie qui ne peut plus être équilibré. Pour un observateur extérieur le trou noir a émis un photon, il rayonne ! Une partie de l'énergie de rotation du trou noir sera ainsi cédée au monde extérieur.

Cette évaporation des trous noirs se manifeste par une température T dite de Hawking :

T ~ 1.55 (M / M) x 10-6

Dans le cas d'un trou noir virtuel formé suite à une fluctuation quantique de l'espace-temps comme l'a imaginé Hawking en 1983, au moment de son évaporation, le physicien Michel Peskin a calculé qu'en une fraction de seconde, ce trou noir libérait une chaleur pouvant atteindre 1030 K !

Nous avons vu qu'à mesure que la température d'un trou noir augmente, les émissions augmentent proportionnellement et sa masse diminue. Cette évaporation est proportionnelle au cube de la masse du trou noir. Ce processus n'est pas lié aux photons, mais fonctionne avec tous les types de particules (graviton, neutrino, etc). Seule contrainte, leur longueur d'onde doit être supérieure au quart de la circonférence du trou noir (qui oscille entre quelques kilomètres et plusieurs heures-lumières pour les plus vastes).

Vu la masse très élevée des trous noirs, peu de particules peuvent s'en échapper mais la situation est différente dans un trou noir primordial de taille subatomique (cf. le préchauffement de l'univers en cosmologie) car son énergie est telle qu'il peut matérialiser des paires d'électrons-positrons, des neutrinos et même des photons. A mesure que sa masse diminue, il s'évapore à un rythme de plus en plus rapide. Cette évaporation se produirait en moins de 15 milliards d'années, tout en libérant des photons γ intenses provenant de l'annihilation matière-antimatière. L'éclat de cette dématérialisation est égal à 1027 L soit l'équivalent du rayonnement d'un milliard de milliards de milliards de Voie Lactée condensées dans un espace plus petit qu'un proton (10-11 mm, soit à peine 10000 fois plus grand qu'un quark) !

L'entropie thermodynamique et la température d'un trou noir

A gauche, l'équation de Bekenstein-Hawking avec S, l'entropie du trou noir, A, l'aire ou surface de l'horizon des évènements, la constante de Planck, k la constante de Boltzman, G la constante de la gravitation et c la vitesse de la lumière.

Ainsi, plus la surface d'un trou noir est vaste plus son degré de désordre (S) est important. Un trou noir émet également un rayonnement comme un corps chaud mais sa température de Hawking (T) ne dépend que de sa masse (M) : plus elle est importante plus il est froid. Pour 1 M, T ~ 1.55 x 10-6 K.

L'évaporation quantique est tellement lente, même à l'échelle des temps cosmiques, qu'elle surviendra à une époque où toute la matière de l'univers aura déjà disparu (plus de 1064 ans pour un trou noir de 1 M). Cette évaporation se transformera finalement en une explosion gigantesque. Lorsque la masse résiduelle d'un trou noir ne sera plus que de quelques milliers à 100 millions de tonnes et que son horizon ne fera plus qu'une fraction de la taille d'un atome, ce mini trou noir présentera une température comprise entre 1012 et 1017 K qui le fera violemment exploser, libérant une énergie équivalant à l'explosion d'un million de bombes de 1 MT !

Nous avons vu précédemment que pour les trous noirs galactiques les plus massifs, l'explosion n'interviendra que dans quelque 1074 à 10100 ans lorsque leur température sera supérieure à celle du rayonnement cosmologique (en pratique 0 K à quelques décimales près). Nous reviendrons en détail sur ce sujet dans l'article consacré à la fin ultime de l'univers et l'éventuel Big Freeze.

L'horizon des évènements n'est pas nécessaire

Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2023, Michael F. Wondrak, Walter D. van Suijlekom et Heino Falcke de l'Université Radboud de Nimègue aux Pays-Bas expliquent qu'en raison du rayonnement de Hawking, les trous noirs finiront par s'évaporer, mais l'horizon des évènements n'est pas aussi crucial qu'on le croyait. La gravité et la courbure de l'espace-temps provoquent également ce rayonnement, ce qui a d'importantes implications pour l'avenir de l'Univers.

Profil radial de production de particules s'échappant à l'infini par unité de temps de Schwarzschild t. Document M.F. Wondrak al. (2023).

Si Hawking étudia l'évaporation des trous noirs près de l'horizon des évènements, cette fois les chercheurs de l'Université Radboud ont revisité ce processus et ont cherché à savoir si la présence d'un horizon des évènements jouait un rôle crucial ou non. Ils ont combiné des techniques issues de la physique (quantique et relativité), de l'astrophysique et leurs lots de mathématiques pour examiner ce qui se passe dans un espace-temps de Schwarzschild lorsque des paires de particules sont créées dans l'environnement des trous noirs.

Selon les auteurs, leur résulat montre que "la courbure de l'espace-temps joue le même rôle que le champ électrique dans l'effet Schwinger." Ils interprètent ce résultat comme le fait que de nouvelles particules peuvent également être créées bien au-delà de l'horizon des évènements.

Selon Wondrak, "nous démontrons qu'en plus du rayonnement de Hawking bien connu, il existe également une nouvelle forme de rayonnement." Selon Van Suijlekom, "bien au-delà d'un trou noir, la courbure de l'espace-temps joue un grand rôle dans la création de rayonnement. Les particules y sont déjà séparées par les forces de marée du champ gravitationnel."

Alors qu'on pensait jusqu'alors qu'aucun rayonnement n'était possible sans horizon des évènements, cette étude montre que cet horizon n'est pas nécessaire. Selon Falcke, "cela signifie que les objets sans horizon des évènements, tels que les restes d'étoiles mortes et d'autres grands objets dans l'univers, ont également ce type de rayonnement. Et, après une très longue période, cela conduirait à l'évaporation de tout ce que contient l'univers, y compris des trous noirs. Cela change non seulement notre compréhension du rayonnement de Hawking, mais aussi notre vision de l'univers et de son avenir."

Créer un analogue de trou noir

A ce jour, le rayonnement de Hawking reste une hypothèse car il n'a jamais été détecté et ne le sera probablement jamais vu sa très faible intensité. Toutefois, en 2016 le physicien Jeff Steinhauer de l'Université Technion d'Haifa, en Israël, eut l'idée de créer un trou noir synthétique en laboratoire, ce qu'on appelle un analogue de trou noir. En fait, il ne s'agit pas de créer un véritable système gravitationnel effondré mais uniquement un horizon des évènements pour simuler la barrière infranchissable de la physique classique.

Cette idée n'est pas nouvelle. Déjà en 1981, W.G. Unruh proposa un analogue sonique pour étudier le rayonnement de Hawking. En 2008, le physicien Ulf Leonhardt et son équipe de l'Université de St Andrews utilisèrent des fibres optiques dans lesquelles des impulsions lumineuses ultracourtes se propagaient. S'ils ont réussi à créer l'horizon d'un trou blanc et observé le décalage vers le bleu de la lumière, ils n'ont pas réussi à produire l'horizon d'un trou noir ni le rayonnement de Hawking.

Depuis, de nouvelles expériences furent réalisées avec succès dont celle de Alicia J. Kollár et son équipe en 2019, celle de Jeff Steinhauer et son équipe en 2021 et celle de Lotte Mertens et ses collègues en 2022. On reviendra sur cette dernière expérience plus originale que les autres à propos des découvertes récentes en physique des particules.

Le paradoxe de l'information

Comme nous l'avons évoqué, en 1975 Hawking postula également que le rayonnement de Hawking ne contiendrait aucune information sur l'intérieur du trou noir et une fois évaporé, toute l'information serait perdue de manière irréversible et définitive. Autrement dit, nous ne pourrions pas connaître l'origine de la matière qu'il a absorbé ni la chronologie des évènements comme cela se fait couramment en physique. Cette proposition fut très critiquée par plusieurs physiciens renommés dont Leonard Susskind car elle violait les principes fondamentaux de la physique quantique, à savoir la conservation de certains nombres quantiques et donc des informations qui leur sont attachées.

Le sujet étant éminement important pour la validité de la physique quantique mais également complexe à décrire, nous avons séparé sa description pour ne pas alourdir cette revue des trous noirs. Le lecteur intéressé pourra consulter les deux articles suivants repris dans le dossier consacré à la physique quantique.

A lire : Vers une résolution du paradoxe de l'information

Le trou noir et le principe holographique

Du trou noir au trou blanc

Selon la théorie de la gravité quantique à boucle (LGQ), au coeur d'un trou noir l'espace-temps prend une forme quantique; il n'y a pas de singularité comme en relativité générale mais des quanta. De plus quand un trou noir s'évapore, il se transforme en son inverse temporel, un trou blanc, où la matière peut ressortir (au même endroit que le trou noir et non à un autre endroit de l'univers).

Selon Carlo Rovelli et ses collègues spécialistes de la LQG, la fameuse matière sombre (ou noire) que tous les physiciens cherchent à identifier serait la manifestation du rayonnement des trous blancs (cf. C.Rovelli et al., 2018; C.Rovelli et al., 2021). Les astronomes auraient donc déjà détecté l'évaporation des trous noirs et un effet des trous blancs sans le savoir.

Le trou noir n'a pas de cheveux !

Portrait artistique de John Wheeler. Document T.Lombry.

Les origines de cette boutade remontent aux travaux de Doroshkevitch, Novikov et Zel'dovitch[17] en 1966 qui voulurent savoir pourquoi les trous noirs étaient sphériques et vides. Grâce à la technique des perturbations, ils simulèrent de petites anomalies sur des modèles sphériques simples afin d'évaluer l'effet des distorsions gravitationnelles. Ils découvrirent que l'horizon devenait sphérique, sans proéminence ou aspérité, celle-ci étant convertie en ondes gravitationnelles. Autrement dit, la région située sous l'horizon des évènements (Bloc 2) n'a aucune structure; elle est vide de toute matière.

Comme évoqué précédemment, c'est suite aux travaux de Werner Israel (1967) sur la métrique de Schwarzschild d'un trou noir et ceux de Brandon Carter (1971) sur les degrés de liberté d'un trou noir (limités à sa masse et son spin) que l'idée du théorème "pas de cheveux" naquit. Le sujet fut également développé par Remo Ruffini et John A. Wheeler dans la revue "Physics Today" en 1971.

C'est ensuite Charles Misner, Kip Thorne et John Wheeler qui confirmèrent en 1973 les étranges propriétés des trous noirs dans leur livre consacré à la "Gravitation" en résumant l'idée de Bekenstein par une expression qui fit grand bruit : " les trous noirs n'ont pas de cheveux".

En 1974, dans la revue américaine "Comments on Astrophysics and Space Physics", Curtis Michel donna plus de détails en disant que : "Si les trous noirs n'ont pas de cheveux, c'est parce qu'il n'y a pas de scalp à prendre. Cependant il y a des tas de choses qui flottent autour d'eux ressemblant avec suspicion à des pellicules."

Dans un second article sur les trous noirs publié en 1978, reprenant l'expression de Wheeler, Doroshkevitch et Novikov arrivèrent à la conclusion : "le trou noir n'a de cheveux ni à l'extérieur ni à l'intérieur."

Notons que le mot "hair" mentionné dans le texte original de Wheeler et consorts a parfois été traduit en français par "poil". Or la description de Curtis Michel fait bien référence à un scalp et des pellicules et nullement à des poils. Mais que cachait cette boutade typiquement anglo-saxonne ?

Concrètement, Vitaly L. Ginzburg, qui inventa la bombe H soviétique à carburant LiD, découvrit en 1964 que lorsqu'une étoile franchissait le rayon de Schwarzschild, les lignes de force du champ magnétique demeuraient sous l'horizon. Ainsi, un trou noir pouvait naître sans présenter de champ magnétique.

Démonstration : "Un trou noir n'a pas de cheveux"

Tout relief disparaît sous forme de rayonnement gravitationnel :

Le champ magnétique disparaît sous forme de rayonnement électromagnétique :

Au bilan, après comptabilisation de toutes les pertes, le trou noir ne conserve que sa masse et, s'il en est pourvu, son moment cinétique (taux de rotation ou spin) et sa charge globale (électrique); il n'y a pas d'autres états internes, "pas de cheveux" ! Documents T.Lombry inspiré de K.Thorne.

En 1975, John Wheeler conclut que si on pouvait s'évader d'un trou noir, nous pourrions découvrir la façon dont il s'était formé, sachant que sa masse, son spin et sa charge demeuraient intacts; c'était les seuls "cheveux" ou états internes dont disposait un trou noir. Les Français ont surnommé cette théorie le "théorème de la calvitie".

La conjecture "pas de cheveux" deviendra le théorème de Price qui est plutôt une conjecture qu'un théorème du fait qu'elle pose a priori certaines hypothèses liées aux difficultés conceptuelles auxquelles sont confrontées aujourd'hui les mathématiques appliquées à ce domaine.

Tester le théorème "Pas de cheveux" grâce à la sphère de photons

Jusqu'à présent, il était assez difficile de tester ce théorème qui exige d'enregistrer des images d'un trou noir avec suffisamment de détails pour observer le flux de matière s'engouffrant sous l'horizon des évènements dont la dimension est largement inférieure à la résolution actuelle des plus grands télescopes interférométriques.

Toutefois, en 2010 Tim Johannsen et Dimitrios Psaltis de l'Université d'Arizona ont proposé une méthode simple pour tester ce théorème. En effet, sachant que les trous noirs sont obligatoirement entourés d'une sphère de photons (un anneau lumineux) située juste à la limite extérieure de l'horizon des évènements (1.5 Rs pour un trou noir de Schwarzschild), ces photons devraient être dispersés par le gaz et la poussière tombant dans le trou noir. Or cet anneau lumineux présente d'intéressantes propriétés. Ainsi, dans le cas d'un trou noir d'environ 10 M, cet anneau devrait être sensiblement plus lumineux que la poussière et le gaz environnants. Avec un diamètre des dizaines de fois supérieur à la taille du trou noir, il devrait être visible dans un grand télescope et permettre de mesurer directement la masse du trou noir.

A voir : Simulation de la sphère de photons, New Scientist

Astronomy - Ch. 23: Black Holes (5 of 10) What is the Photon Sphere?

A gauche, représentation de 4 rayons lumineux s'approchant d'un trou noir de Schwarzschild (statique) dont le plus proche est happé par l'attraction du trou noir. On constate qu'à une certaine distance de l'horizon des évènements (la zone hachurée) valant 1.5 fois le rayon de Schwarzschild, le rayon lumineux suit une orbite circulaire autour du trou noir; c'est la sphère de photons. Pour un trou noir stellaire, cette lumière peut être plus intense que celle émise par le flux de matière tombant sur le trou noir. A droite, une représentation plus réaliste du phénomène lumineux et de la sphère de photons. L'expérience de gauche a été faite avec un guide d'onde optique microstructuré autour d'une microsphère pour simuler l'espace-temps courbe avec précision. Documents Tim Johannsen et al. (2010) et H. Liu et al. (2013) adapté par l'auteur.

Johannsen et Psaltis soulignent également que la forme de cette sphère de photons dépend uniquement des propriétés du trou noir et nullement de la structure des poussières et du gaz tombant dans le trou noir. En d'autres termes, la forme de l'anneau lumineux représente une mesure des propriétés du trou noir et toute asymétrie dans l'anneau sera une violation directe du théorème "Pas de cheveux".

Le candidat le plus proche permettant de vérifier ce théorème est bien entendu le trou noir supermassif Sgr A* caché au centre de la Voie Lactée. Cette sphère de photons n'a pas encore été observée car elle exige une résolution au moins cent fois supérieure à l'EHT.

Nous verrons dans l'article vers la résolution du paradoxe de l'information que des chercheurs ont démontré en 2022 qu'on peut concilier la relativité générale et la physique quantique et démontrer, du moins en théorie, que les trous noirs auraient bien des "cheveux".

Prochain chapitre

Les trous noirs existent-ils ?

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[15] S.Hawking, "Black hole explosions?", Nature, 248, 1974, pp.30-31 - S.Hawking, "Breakdown of predictability in gravitational collapse", Physical Review, D, 14, 1976, p2460 - S.Hawking, Scientific American, 236, 1977, p34 - D.Page, Physical Review Letters, 44, 1980, p301 - D.Page, Nature, 321, 1986, p111.

Sur les "cheveux" du trou noir, leur caractère le plus extrême - le "pic" de densité formé par une particule tombant dans un trou noir - s'estompe à distance de façon exponentielle, lire R.Ruffini et J. A. Wheeler, "Relativistic Cosmology and Space Platforms," Proceedings of the Conference on Space Physics (European Space Research Organization), 1971, pp. 45-174. Sur "Pas de cheveu" dans le sens de l'interaction faible causée par les leptons qui sont tombés dans un trou noir, lire J.B. Hartle, "Long Range Neutrino Forces Exerted by Kerr Black Holes," Phys. Rev. D3, 1971, 2938-40 et "Can a Schwarzschild Black Hole Exert Long-Range Neutrino Forces?", in " Magic without Magic", J.A. Wheeler, J. Klauder, Freeman, 1972, pp. 259-75 (en part. pp. 271-274). "Pas de cheveux" abandonné par les baryons tombés dans un trou noir : J.Bekenstein, "Nonexistence of Baryon Number for Static Black Holes I", Phys. Rev. D5, 1972, 1239-46; II, Phys. Rev. D5, 1972, 2403-12. Lire aussi M. J. Perry, "Black Holes are Coloured," Phys. Lett. 71B, 1977, 234-36 qui explique les raisons de croire qu'un trou noir peut être une source de champ de Yang-Mills.

[16] J.D.Bekenstein, "Black holes and entropy", Phys. Rev. D 7, 1973, pp.2333-2346.

[17] A.Doroshkevitch, I.Novikov et Y.Zel'dovitch, JETP, 22, 1966, p122 - A.Doroshkevitch et I.Novikov, JETP, 47, 1978, p1 (cf. la version PDF).


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