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Les trous noirs supermassifs et la vie

L'ADN cosmique. Document T.Lombry.

Aux origines de la synthèse des molécules prébiotiques

Immédiatement après le Big Bang, l'Univers ne contenait que de l'hydrogène et un peu d'hélium. Les éléments plus lourds furent façonnés dans le coeur des premières étoiles, puis furent dispersés par les supernovae dans le milieu interstellaire avant d'être incorporés dans les étoiles de deuxième génération et leurs planètes éventuelles.

Selon certains chercheurs, outre les étoiles, les trous noirs supermassifs ont peut-être contribué à disperser ces éléments à travers le cosmos et même participé au développement de la vie. C'est une théorie audacieuse qui offre une nouvelle perspective sur nos origines cosmiques et ouvre une voie de recherches aux spécialistes, non seulement aux astrophysiciens, mais également aux physiciens, aux exobiologistes, aux biochimistes et aux cosmologistes.

L'une des grandes questions de la cosmologie est de savoir quelle influence excercent les trous noirs supermassifs sur leur environnement. Autrement dit, les trous noirs jouent-ils un rôle dans la formation et l'évolution des galaxies, ce qu'on appelle communément la co-évolution des galaxies et des trous noirs supermassifs. La réponse n'est pas négative mais n'est pas encore affirmative non plus car il y a des contre-exemples qui infirment cette éventuelle co-évolution. On y reviendra dans l'article précité.

Mais puisque dans certains quasars il existe un couplage entre le trou noir supermassif et le taux de formation stellaire, on peut aussi se demander quel est l'impact des trous noirs supermassifs sur la synthèse des éléments, en particulier sur la formation des premières molécules prébiotiques.

Impact des trous noirs supermassifs sur leur environnement

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2007, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Yair Krongold de l'Université Nationale Autonome du Mexique étudia le trou noir supermassif situé au centre de la galaxie NGC 4051.

En se basant sur les données du satellite XMM-Newton de l'ESA, les chercheurs ont découvert que les trous noirs ne sont pas les destructeurs ultimes comme on les représente souvent dans la culture populaire. En réalité, le gaz chaud s'échappant des trous noirs pourrait être l'une des sources des éléments chimiques qui rendent la vie possible. En effet, les chercheurs ont découvert que le gaz émis par les trous noirs supermassifs peut emporter des éléments lourds comme le carbone et l'oxygène à travers les vastes étendues interstellaires.

Le gaz dont il s'agit n'est pas celui du jet bipolaire composé de plasma porté à quelque 1013 K et qui se déplace à une vitesse voisine de celle de la lumière, mais celui alimenté par les TDE (cf. les trous noirs), les perturbations par les effets de marée subies par les étoiles attirées par le trou noir qui finissent par former des nuages de gaz filiformes qui sont absorbés par le trou noir.

Les chercheurs ont également découvert que le gaz s'échappait de beaucoup plus près du trou noir qu'on ne le pensait auparavant. Selon les auteurs, la source d'émission se situe à environ 2000 rayons de Schwarzschild (Rs) du trou noir, soit environ 150 UA (pour NGC 4051, Rs ≈ 4.6 millions de km).

Les chercheurs ont également calculé que la quantité de gaz qui échappait au trou noir représente entre 2 et 5% du matériau accrété, une valeur inférieure à la fraction suggérée par les études précédentes. Ce "vent de trou noir" est animé d'une vitesse pouvant atteindre 1787 km/s soit 6.4 millions de km/h (c'est comparable à celle du vent solaire à hauteur de l'orbite terrestre lors des éruptions chromosphériques de classe X).

Si en théorie à travers leur flot de rayons cosmiques (cf. les nucléides cosmogéniques) les supernovae pourraient être à l'origine de la formation de certains isotopes (cf. D.N. Schramm et R.N. Clayton, 1978), de même des noyaux et des ions de carbone et d'oxygène contenus dans les vents de trous noirs supermassifs pourraient parcourir en quelques milliers d'années d'immenses distances intergalactiques et finalement enrichir des nébuleuses et des nuages moléculaires froids qui, après leur effondrement, formeront de nouvelles étoiles et des planètes dont certaines porteront la vie.

Le rôle des trous noirs supermassifs dans la chimie prébiotique

Selon la théorie couramment admise, l'intense rayonnement d'un noyau galactique dans lequel se trouve un trou noir supermassif doit ioniser le gaz environnant et affecter les nuages de gaz moléculaire qui sont l'ingrédient de base des futures étoiles en gestation. Selon son intensité, ce rayonnement intense active ou supprime la formation d'étoiles et la possibiliter de former des molécules complexes.

Dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2020 (en PDF sur arXiv), Chang Lui de l'Université de Beijing et ses collègues ont étudié Sgr A*, le trou noir supermassif situé au centre de la Voie Lactée, pour savoir quel serait son impact s'il était actif, sur la synthèse de l'eau et des molécules organiques dans la Voie Lactée. En effet, quelle que soit l'origine de la vie, l'eau est un élément clé. En assumant que cette thèse est universelle, la recherche d'eau est un sujet de prédilection en bioastronomie.

Les chercheurs présentent des preuves que Sgr A* aurait pu faire de la Voie Lactée un endroit beaucoup plus agréable à vivre.

Lorsque les trous noirs supermassifs accrètent le gaz et les poussières du milieu galactique, en réaction ils émettent énormément de rayonnements, devenant temporairement actifs, transformant la galaxie qui l'abrite en un AGN. Des sondages montrent qu'une activité similaire dans d'autres galaxies serait en corrélation avec une augmentation de la quantité d'eau et d'autres molécules organiques propices à la vie. Ces réactions se produisent lorsque les rayons X de l'AGN ionisent les atomes et les molécules neutres qui présentent des électrons libres. Leur charge électrique pourrait accélérer la création de molécules organiques comme une charge positive attire son opposé.

Les prémices de la vie au coeur d'un quasar. Adapté de Agsandrew/Shutterstock.

Les chercheurs se sont appuyés sur une simulation informatique d'un nuage moléculaire contenant des grains de poussière et des éléments gazeux tels que l'eau, le formaldéhyde (H2CO) ainsi que l'acide cyanhydrique (HCN), l'HCO+ et le CH3OH, des composés hydrocarbonés qu'on retrouve dans les AGNs (et les comètes). Ils ont vérifié ce qui se passerait s'ils exposaient le nuage aux rayons X comme ceux du jet bipolaire du trou noir supermassif d'un quasar pendant un million d'années. Ils ont observé que soit l'AGN perdit son activité soit om continua d'émettre des rayonnements pendant 10 millions d'années. Ces deux scénarii ont été comparés à la simulation d'un nuage moléculaire n'ayant subi aucune irradiation par des rayons X.

Lorsque l'AGN émettait des rayons X, au sein du nuage moléculaire une quantité plus importante d'eau se formait à la surface des grains de poussière par rapport au modèle non irradié. Cette tendance perdurait même lorsque l'AGN était inactif.

L'explication est que l'irradiation peut augmenter la vitesse à laquelle les molécules d'hydrogène se séparent, accélérant la formation d'eau. La simulation a également révélé que trop de rayons X pourraient conduire à une diminution de la vapeur d'eau, ce qui suggère qu'il existe un niveau privilégié ou "sweet spot" d'émissions de rayons X où l'eau peut se former et persister.

Selon les chercheurs, "les modèles informatiques comme ceux-ci sont complexes avec des hypothèses qui peuvent ne pas refléter parfaitement la réalité, mais ils peuvent aussi être vraiment utiles pour comprendre les évènements passés. L'étude montre que les émissions de rayons X d'un AGN pourraient avoir un effet substantiel sur l'abondance de l'eau dans la Voie Lactée".

Qu'en est-il de l'influence de Sgr A* sur nos conditions de vie ? Bien que Sgr A* soit inactif de nos jours (en tout cas on n'a pas détecté son jet de plasma), nous avons des indices selon lesquels il aurait présenté des épisodes de forte activité dans le passé, la dernière remontant à environ 3.5 millions d'années. Ce n'est pas une surprise sachant la masse de Sgr A* et que toute étoile s'approchant à moins de 10 fois la distance de l'horizon des évènement de Sgr A*, ce qui représente environ 1 UA soit la distance Terre-Soleil, est détruite par son attraction et transformée en un flux de gaz qui viendra alimenter son disque d'accrétion et le jet bipolaire.

Des analyses minutieuses de Sgr A* ont montré que des quantités massives de gaz ainsi que les jeunes étoiles proches de Sgr A* orbitent dans un plan préférentiel (cf. G.Fragione et A.Loeb, 2020, en PDF sur arXiv). On en déduit que ces étoiles se sont formées à partir de disques de gaz alignés dans un plan, tout comme les planètes gravitent dans le plan du système solaire ou les étoiles gravitent dans le disque de la Voie Lactée.

Étant donné que les étoiles proches de Sgr A* ont à peine 1% de l'âge de la Voie Lactée soit moins de 100 millions d'années et que ce trou noir existe depuis probablement la naissance de la Voie Lactée, leur existence prouve qu'il dut y avoir une centaine d'épisodes d'accrétions majeures engendrées par les perturbations des nuages de gaz attirés par Sgr A*. Nous vivons à une époque où Sgr A* est peu actif.

Les bulles de Fermi visibles au centre de la Voie Lactée sont composées de gaz chaud émis par Sgr A* de part et d'autre du plan galactique. Leur présence implique qu'il y eut "récemment" un épisode d'accrétion autour de Sgr A* qui les alimenta. Des calculs théoriques ont montré qu'en plus des perturbations des nuages denses de gaz, des étoiles sont également perturbées par l'effet de marée gravitationnelle (TDE) tous les 10000 ans (cf. H.Pfister et al., 2020, en PDF sur arXiv). Ces flux intenses de matière pourraient conduire aux éruptions les plus brillantes de Sgr A*. Des TDE similaires ont également été observés dans d'autres galaxies au rythme prédit (cf. N.Stone et al., 2016).

Selon Fragione et Loeb, la zone d'émission de Sgr A* proviendrait du disque plutôt que du jet. Il est même possible que le jet de plasma soit invisible car pointant dans notre direction.

Les éruptions de Sgr A* pourraient-elles avoir un impact sur la vie sur Terre ? Etant donné que Sgr A* est situé à ~27000 années-lumière du Soleil (cf. S.Yazici et al., 2019; Collaboration GRAVITY et al., 2021; et en PDF), les rayons létaux gamma, X et ultraviolets ont peu de chance de nous affecter. Mais selon les auteurs, si le système solaire avait été 10 fois plus proche du centre de la Voie Lactée soit à moins de 2700 années-lumière de Sgr A*, les rayonnements X-UV émis lors des éruptions de Sgr A* auraient la capacité d'évaporer les atmosphères de Mars ou de la Terre. Mais même à de plus grandes distances, les auteurs estiment que les rayonnements X-UV pourraient empêcher le développement d'une vie complexe. Mais cette théorie est spéculative (un type de théorie très critiquée que semble apprécier Abraham Loeb).

À l'emplacement actuel du Soleil,  la vie est à l'abri des éruptions X-UV de Sgr A*. Cependant, selon Fragione et Loeb, le lieu originel de naissance du Soleil était peut-être beaucoup plus proche du centre galactique et le Soleil a peut-être migré vers son emplacement actuel suite à des perturbations gravitationnelles. Même si c'est difficile à concevoir connaissant la cinématique des galaxies dont la théorie des ondes de densité, on ne peut pas écarter cette possibilité, mais il faudra plus qu'une thèse pour la démontrer.

À l'époque où la vie émergea sur Terre, l'exposition aux éruptions X-UV de Sgr A* à des distances plus proches aurait pu nuire au développement d'une vie complexe. Cela pourrait expliquer pourquoi le niveau d'oxygène dans l'atmosphère terrestre n'atteignit son niveau actuel élevé qu'environ 2 milliards d'années après la formation de la Terre (cf. G.Luo et al., 2016). Selon Fragione et Loeb, la raison est peut-être que la Terre devait être suffisamment éloignée de Sgr A*.

Une fois de plus, cette théorie ne repose sur aucune preuve. Pour cette raison, depuis 2020 Abraham Loeb et Manasvi Lingam étudient ce lien possible entre la vie terrestre et la migration éventuelle du Soleil loin du centre galactique.

Des nuages d'hydrogène froid autour de Sgr A*

Récemment, grâce au réseau ALMA, des astrophysiciens ont découvert un grand nuage d'hydrogène relativement froid (100-10000 K) à quelques parsecs de Sgr A*. Le rayonnement de ce dernier est suffisamment intense pour que les atomes d'hydrogène s'ionisent et se recombinent continuellement en produisant une émission H30α distincte à 1.3 mm de longueur d'onde.

Plus près, on a également identifié un disque de gaz plus froid et ionisé à 2000 Rs soit 0.01 année-lumière ou ~1000 UA de Sgr A*. Ce disque est en rotation et présente une masse de 10-5 à 10-4 M soit 10% de la masse de Jupiter pour une masse volumique d'hydrogène d'environ 105 à 106 particules/cm3 (cf. E.Murchikova et al. 2019). 

Si on pouvait détecter des molécules d'eau et organiques dans ces nuages, ce serait un indice de plus en faveur de l'influence des trous noirs sur les gaz environnements et peut-être de leur rôle dans la chimie prébiotique.

Ceci dit, à ce jour l'influence des trous noirs supermassifs sur la synthèse des éléments et sur la chimie prébiotique n'a jamais été prouvée. Mais il est vrai que le sujet est difficile à étudier, raison de plus de s'y intéresser de plus près.

En guise de conclusion

En résumé, jusqu'à présent on a toujours pensé que le Soleil était la seule source d'énergie et de lumière à l'origine de la vie sur Terre. Mais en étudiant les trous noirs, il semble également possible que Sgr A* ait joué par le passé un rôle important dans l'émergence de la vie sur Terre. C'est une filiation aussi surprenante que d'apprendre qu'un étranger aurait pu être à l'origine de votre histoire familiale ! Reste à prouver ce lien entre Sgr A* et la vie sur Terre. Celui qui l'établira est déjà assuré de gagner le prix Nobel !

Pour plus d'informations

Les trous noirs

Les trous noirs supermassifs

Schwarzschild Radius Calculator, Omni Calculator d'Alvaro Diez

Le trou noir supermassif de la Voie Lactée

La Voie Lactée

La chimie prébiotique.

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