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La Voie Lactée

Photographie de la Voie Lactée prise depuis Cape Palliser en Nouvelle Zélande qui valut à l'Australien Mark Gee de gagner le prix "Astronomy Photographer of the Year" en 2013.

L'échine de la nuit (I)

Si vous avez déjà eu l'occasion d'observer le ciel lorsque la nuit est noire d'encre dans les régions éloignées de l'éclairage public, en altitude ou dans une région désertique, après les premières minutes d'accoutumance, vous avez certainement distingué à la limite de la visibilité une bande laiteuse irrégulière qui traverse le ciel au milieu des étoiles sur plusieurs degrés de largeur : c'est la Voie Lactée.

Historiquement, la Voie Lactée est connue depuis l'Antiquité. Son existence est avérée dans la cosmogonie égyptienne (on la retrouve sur les murs de certaines salles des pyramides) et dans la mythologie grecque où elle mentionnée dans la légende d'Héraclès, fils de Zeus et de la jolie mortelle Alcmène.

La légende rapporte que Zeus avait profité du sommeil de son épouse Héra pour lui mettre le nourrisson au sein afin qu'il devienne immortel en se nourrissant de son lait. Mais en se réveillant, Héra aperçut ce nourrisson qui n'était pas le sien et le repoussa. Du lait jaillit de son sein et se répandit dans le ciel en une traînée blanchâtre qui forma la Voie Lactée, "galaxías" en grec, dont la racine "gála" signifie "lait" et le suffix "ias" s'applique à un phénomène naturel. On reviendra en détails sur l'origine et l'usage du mot galaxie.

A la fin du XVIIe siècle, John Milton[4] qui observa la Voie Lactée avec la lunette de Galilée la décrivit avec beaucoup de poésie comme étant "un chemin large et ample dont la poussière est d'or et le pavé d'étoiles, comme les étoiles que tu vois dans Galaxie, cette voie lactée que tu découvres, la nuit, comme une zone poudrée d'étoiles."

Cette "poussière d'or" de forme irrégulière et évanescente dont parle avec grand art John Milton représente notre Galaxie vue de profil (qui par convention prend toujours un G majuscule pour la différencier des autres galaxies).

L'étude de la Voie Lactée est relativement récente. C'est William Herschel vers 1790 qui découvrit la forme aplatie de la Voie Lactée et la grande échancrure sombre à hauteur des constellations du Cygne et de Cassiopée. Mais il faudra attendre le début du XXe siècle et les travaux d'Edward E. Barnard sur les nébuleuses obscures en 1927 puis ceux de Jacobus Kapteyn et Jan Oort dans les années 1930 sur la vitesse radiale des étoiles (cf. la matière sombre) pour que les astronomes prennent conscience de la dimension et de la dynamique réelle de la Voie Lactée.

Les astronomes nous apprennent que les plus proches étoiles sont à plusieurs années-lumière, l’équivalant de quelques dizaines de milliers de milliards de kilomètres... Pourtant on s'imagine pouvoir tendre la main et caresser l'échine de la nuit. Mais comme un  nourrisson qui n'a pas encore la notion des distances, nos mains ne brassent que du vide.

Trois photos de la Voie Lactée. Vous contemplez une partie des 250 milliards d'étoiles qu'elle contient distribuées sur environ 120000 années-lumière ! Ci-dessus, plus de 50 ans séparent ces deux images et une évolution technologique époustoufflante. A gauche, l'un des premiers photomontages panoramiques réalisé dans les années 1950 par Knut Lundmark depuis l'Observatoire de Lund en Suède. Cette photographie est limité à 7000 étoiles jusqu'à la magnitude 6, la limite approximative de l'acuité visuelle. Pendant des décennies, cette image fut la seule disponible et illustra la plupart des livres consacrés à l'astronomie. A droite, une image synthétique de la Voie Lactée obtenue à partir des données de Gaia DR2 entre 2014-2016. Document ESA. Ci-dessous, un photomontage réalisé en 2009 par Serge Brunier dans le cadre du projet GigaGalaxy Zoom de l'ESO. Sur l'agrandissement on reconnaît la Grande Ourse inversée dans la partie supérieure de l'image, M45 et M31 dans la partie inférieure gauche, les deux Nuages de Magellan à droite de l'axe central et la constellation d'Orion à l'extrême droite.

Comme les milliards d'autres galaxies qui peuplent l'Univers, la Voie Lactée renferme non seulement tout un zoo stellaire allant des étoiles naines aux pulsars en passant par les hypergéantes, mais nous avons expliqué précédemment qu'elle contient également une masse très importante de nuages de gaz diffus plus ou moins neutres ou ionisés (plasma), brillants ou obscurs ainsi que de la poussière formant les nébuleuses et des protoétoiles en formation.

En raison de cette importante quantité de matière surtout rassemblée dans les bras spiralés, la Voie Lactée présente un taux de formation stellaire de 2.9% soit ~3 M par an,  l'équivalent de 3 étoiles chaque année.

Quant aux constellations et autres astérismes, il ne s'agit que de groupements arbitraires d'étoiles proches (moins de 1000 a.l.) dont l'origine historique coïncide avec le développement de l'astrologie en Mésopotamie. Aujourd'hui elle servent avant tout de repère nocturne aux astronomes amateurs.

Tracé des constellations par rapport à la Voie Lactée. Document réalisé par Axel Mellinger. En gros, la partie centrale est visible dans l'hémisphère sud tandis que les parties gauche et droite sont visibles dans l'hémisphère nord à différentes époques de l'année.

Mensurations et morphologie de la Voie Lactée

Mesurer les paramètres comme la distance et la masse d'un étoile ou d'une galaxie sans pouvoir l'approcher ni la mesurer in situ n'est pas évident et resta un problème en suspens pour les arpenteurs du ciel pendant plusieurs siècles. Si Newton et Kepler nous proposèrent bien certains lois très utiles, il faudra attendre le XIXe et le XXe siècle pour qu'on invente des méthodes pour calculer précisément les mensurations des étoiles et des galaxies.

Comment calcule-t-on la distance d'une étoile ?

Il existe plusieurs méthodes pour calculer la distance d'une étoile :

- la parallaxe : trigonométrique, spectroscopique, photométrique ou dynamique (3e loi de Kepler). La première méthode permet de mesurer l'angle ou écart annuel de la position d'un astre dans le ciel induit par la rotation annuelle de la Terre. Connaissant la distance Terre-Soleil, en appliquant le théorème de Pythagore, on peut facilement calculer la distance de l'astre. Au-delà d'environ 1000 années-lumière, les astrophysiciens utilisent l'une des trois autres méthodes. L'analyse spectroscopique permet de calculer la magnitude absolue (M) de l'étoile concernée. On peut ensuite utiliser la relation de Pogson (m - M = 5 Log (d) - 5) pour calculer la distance de l'étoile.

- l'ajustement de la Séquence principale : le diagramme H-R de l'étoile ou de l'amas stellaire concerné obtenu par spectroscopie ou photométrie est superposé dans un diagramme H-R de référence des principales étoiles de la Voie Lactée. Si le profil est décalé verticalement, cela signifie que la magnitude observée (apparente) de l'astre est décalée proportionnellement par rapport à la magnitude théorique. La mesure de ce décalage permet de déduire la distance de l'étoile ou de l'amas.

Photos de la Voie Lactée prise depuis les observatoires de l'ESO au Chili à La Silla en 2014 (gauche) et au Paranal en 2017 (centre) par Yuri Beletsky et au Paranal par Roger Wesson en 2014 (droite).

- les Céphéïdes : la classification des étoiles variables comprend les δ Céphéides, des étoiles pulsantes dont la luminosité varie périodiquement dans le temps avec une grande précision. En mesurant la magnitude apparente et la luminosité d'une étoile variable de type Delta Céphéide, connaissant son profil on peut calculer sa magnitude absolue (à 10 pc) et donc en déduire sa distance réelle (voir la parallaxe spectroscopique). Vu leur distance, cette technique est difficile à utiliser sur les galaxies extérieures mais eut un certain succès sur M31 à l'époque d'Edwin Hubble.

- les supernovae de Type Ia : du fait qu'elles obéissent toutes au même mécanisme d'explosion, ces étoiles servent de "chandelles standards" aux astrophysiciens et aux cosmologistes pour calculer leur distance mais également pour déterminer la constante de Hubble et le taux d'expansion de l'Univers.

- la relation Tully-Fisher : les astronomes américains Brent R. Tully et Richard J. Fischer découvrirent en 1977 une relation entre la vitesse de rotation des galaxies spirales et leur luminosité qui fut baptisée la "relation Tully-Fischer". Avec le temps, la luminosité fut remplacée par la masse baryonique visible totale, y compris le gaz. Toutefois, cette relation ne s'applique qu'aux galaxies spirales.

Pour rappel, la luminosité bolométrique (intégrale) de la Voie Lactée atteint 5x1036 watts ou ~5x1044 ergs/s (cf. S. van den Bergh, 1999). Par comparaison, certains quasars sont jusqu'à 10000 fois plus lumineux mais leur rayonnement provient surtout des rayons X émis par le disque chaud entourant leur trou noir supermassif central.

- l'astrométrie par satellite : il s'agit de calculer les paramètres astrométriques (données de position et de vitesse) des astres par satellite. Dans le cas du satellite Gaia de l'ESA, il comprend un instrument astrométrique qui mesure la position et le déplacement des étoiles, un instrument spectrophotométrique qui mesure leur luminosité et un spectromètre à haute résolution qui permet de calculer notamment la vitesse radiale des astres les plus brillants. En 5 ans d'activité, Gaia nous apprit plus sur la Voie Lactée qu'au cours des deux derniers siècles. Pour rappel, Gaia a permis de dresser une carte 3D de la Galaxie et de mesurer les paramètres de 1.7 milliard d'objets célestes jusqu'à la magnitude 20 dont 75 amas globulaires. On reviendra en détails sur les découvertes de Gaia.

Comment calcule-t-on la masse de la Voie Lactée ?

L'estimation de la masse de la Voie Lactée dépend de nombreux facteurs comme sa composition, des galaxies satellites qui sont liées et de la méthode de calcul et divers paramètres.

L'intuition voudrait qu'il suffirait de calculer le nombre d'étoiles et de convertir ce nombre en masses solaires équivalentes, la quantité de nébuleuses et de poussière formant proportionnellement une masse négligeable. Mais il faut aussi classer ces étoiles en fonction de leur masse sachant qu'une étoile hypergéante peut-être 1000 fois plus massive que la plus petite naine rouge (~70 vs 0.07 M, cf. le diagramme H-R).

Le potentiel gravitationnel des différentes composantes de la Voie Lactée en fonction de la distance au noyau. En gris, les résultats des simulations de la variation du rayon viriel et de la densité du halo. Le potentiel total de la Voie Lactée est représenté par la courbe grise. Les auteurs en déduisent que la Voie Lactée "pèse" 1.54x1012 masses solaire. Document L.Watkins et al. (2019) adapté par l'auteur. 

Pour connaître la masse d'un astre, les astrophysiciens peuvent utiliser les lois de la physique, en particulier l'équation de la vitesse orbitale (Vorb = √(GM/R)). Pour les systèmes binaires, ils peuvent aussi déterminer leur masse en calculant leur période orbitale (P) à partir de le 3e loi de Kepler (P=2π√(a3/GM). Ils peuvent aussi croiser ces résultats avec des mesures spectroscopiques et photométriques.

En réalisant ces calculs, les astrophysiciens ont constaté que les données de vitesses ne correspondaient pas aux valeurs calculées, surtout dans les bras de la Galaxie et dans le halo.

Nous verrons plus bas que la Voie Lactée comprend 4 composantes : le bulbe central, le disque (qui contient le disque mince et le disque épais), la barre nucléaire et le halo que nous allons décrire dans cet article.

Les trois premières composantes sont constituées de baryons, des particules qui regroupent les protons et les neutrons notamment et donc l'essentiel de la matière qui nous entoure. En revanche, les mesures de la courbe de rotation des galaxies indiquent que le halo est dominé par la matière sombre (ou noire), le pourcentage de masse baryonique dans le halo dépendant de la quantité de matière sombre. Toutefois, on ignore sa nature. On sait seulement qu'elle interagit fortement avec la gravité et faiblement avec la lumière. On reviendra sur ces différents sujets dans d'autres articles.

Trois techniques sont principalement utilisées pour calculer la masse de la Voie Lactée : l'argument temporel, les études de correspondance d'abondance et les méthodes du viriel ou dynamique.

L'argument temporel mesure la vitesse à laquelle deux galaxies se rapprochent et on utilise cette dynamique pour prédire sa masse. Les études de correspondance ou d'appariement d'abondance calculent le nombre de galaxies en fonction de leur vitesse circulaire et de la relation Tully-Fischer pour déterminer leur luminosité, qui peut ensuite être utilisée pour estimer leur masse. Enfin, les méthodes du viriel et dynamique examinent la vitesse des objets traceurs tels que les étoiles, les amas globulaires et les galaxies naines satellites; toute distribution de masse donne naissance à un potentiel gravitationnel qui déplace les astres. En étudiant ces mouvements, on peut cartographier le potentiel gravitationnel et donc évaluer la masse.

Pour rappel, les astrophysiciens utilisent trois concepts de masse :

La masse lumineuse d'une galaxie se réfère à la masse totale de matière visible dans la galaxie, principalement composée d'étoiles, de gaz et de poussières (bien visibles dans les nébuleuses) qui émettent (ou absorbent) de la lumière. Elle peut être calculée en mesurant la luminosité de la galaxie dans différents rayonnements, en particulier dans la bande optique (visible et proche infrarouge).

Mais en réalité, comme nous l'avons évoqué, la masse totale d'une galaxie peut être significativement plus élevée que sa masse lumineuse. En effet, en plus de la matière stellaire, du gaz et de la poussière, une grande partie de la masse d'une galaxie est composée de matière sombre qui, comme son nom l'indique, n'émet pas de lumière et n'interagit pas avec les rayonnements de manière détectable. Ainsi, la masse totale d'une galaxie, appelée masse dynamique (voir ci-dessous), comprend à la fois la masse lumineuse et la masse de la matière sombre. La compréhension de la distribution de cette masse totale dans une galaxie est cruciale pour comprendre son évolution et son comportement gravitationnel. On y reviendra.

La masse virielle d'une galaxie est une estimation de sa masse totale basée sur la vitesse moyenne des galaxies membres d'un amas galactique. Elle est déduite à partir des mouvements orbitaux des galaxies (et des amas globulaires) à l'intérieur de l'amas. La masse virielle suppose une relation entre la vitesse des galaxies et la distribution de la masse dans l'amas, et elle est souvent utilisée pour estimer la masse totale d'un amas de galaxies. Dans le cas de la Voie Lactée, cette méthode suppose une relation entre la vitesse des galaxies naines satellites de la Voie Lactée, les amas globulaires et la masse totale du système galactique.

La masse dynamique d'une galaxie est une estimation de sa masse totale basée sur les mouvements des étoiles qu'elle contient. Elle est généralement calculée en étudiant les orbites de quelque centaines de milliers à plusieurs milliards d'étoiles évoluant dans la galaxie. Cette masse est directement reliée au potentiel gravitationnel si sa courbe de rotation suit la loi de Kepler (V~√R, c'est-à-dire qu'elle diminue en fonction de la distance, comme c'est le cas des planètes dans le système solaire). Cette méthode tient compte de la masse des étoiles et du gaz et, idéalement, d'une estimation de la masse de la matière sombre qui, bien que ne pouvant pas être directement enregistrée, est nécessaire pour expliquer certaines caractéristiques de la Voie Lactée (et qui s'applique aussi aux autres galaxies).

A gauche, la Grande Ourse photographiée par Akira Fujii. A droite, la région centrale de la Voie Lactée entre le Sagittaire au nord et le Scorpion au sud jusqu'au complexe multicolore de Rho Ophiuchus à droite. L'image couvre un champ d'environ 15°x32°. Il s'agit d'une mosaïque de 1200 images prises par Stéphane Guisard dans le cadre du projet GigaGalaxy Zoom de l'ESO. Cf. la galerie des chefs-d'oeuvre. Les zones blanches sont des étoiles. Cette région montre clairement la présence de nuages opaques de poussière dans le plan de la Voie Lactée. En fait, ils s'alignent sur les bras spiralés que l'on voit de profil. Malgré son abondance relative, cette poussière qui semble omniprésente ne représente que 1% de la masse totale de la Voie Lactée. La mesure des paramètres stellaires (des étoiles et si possible des amas globulaires) et une estimation de la masse de gaz et de poussière visible dans la Voie Lactée permettent de calculer sa masse lumineuse. Mais contrairement aux apparences, elle ne représente qu'une faible proportion de sa masse totale.

En résumé, bien que les masses virielle et dynamique se réfèrent aux estimations de la masse totale d'un système cosmique, la masse virielle est souvent associée aux amas de galaxies et est basée sur les vitesses orbitales des galaxies, tandis que la masse dynamique est associée aux galaxies individuelles et est basé sur les mouvements observés à l'intérieur de la galaxie. Ainsi, quand les astronomes parlent de la masse de la Voie Lactée, il s'agit de sa masse dynamique, sinon ils précisent qu'il s'agit de sa masse virielle.

Le calcul des masses virielle et dynamique exige des observations astrométriques détaillées (de nos jours souvent réalisées par le satellite Gaia) et des modèles appropriés pour convertir les mesures cinématiques en estimations de masse.

A ce stade plusieurs incertitudes peuvent apparaître selon la méthode utilisée (vitesse des régions HII, parallaxe et vitesses radiales d'une certaine population d'étoiles plutôt qu'une autre ou vitesses propres des étoiles) mais également des convertisseurs d'unités utilisés, par exemple des magnitudes dans l'ancien système des bandes UGRIZ en magnitudes équivalentes UBVRI et d'indices de couleur (cf. SDSS).

Précisons que la comparaison entre la masse virielle et la masse dynamique de la Voie Lactée est possible mais dépend des méthodes utilisées pour estimer ces quantités, ainsi que des données et des modèles spécifiques employés. Ainsi, on ne peut pas dire que la première doit être égale ou est toujours supérieure à la seconde par exemple car les estimations peuvent varier en fonction des méthodes, des modèles et des hypothèses.

En fait, ces deux approches peuvent donner des estimations différentes. Malgré l'accès à des catalogues très complets tels celui de Gaia et des méthodes très précises, encore aujourd'hui il est difficile de dire avec certitude quelle équipe d'astronomes détient la valeur la plus proche de la réalité. Si on se doute bien que les données les plus récentes sont a priori plus complètes et plus précises que les anciennes, il faut tout de même vérifier quelle(s) méthode(s) les chercheurs ont utilisé, à quel échantillon et de quelle taille elles se réfèrent, quelle est la précision des données et quel modèle fut utilisé parmi d'autres paramètres. Cela fait beaucoup de facteurs et autant d'incertitudes ou de marges d'erreurs qui se multiplient et peuvent expliquer les différentes valeurs obtenues (cf. l'analyse de ces incertitudes faite par J.Bland-Hawthorn et O.Gerhard en 2016). De plus, la dynamique de la Voie Lactée est complexe, avec des interactions complexes entre ses composants, ce qui rend les estimations de masse encore plus délicates.

Ensuite, afin de cartographier correctement la masse de la Voie Lactée, il faut également tenir compte de paramètres tels que l'anisotropie de la vitesse (qui mesure la façon dont les mouvements des étoiles varient dans différentes directions), la densité de la Galaxie et le potentiel de gravité de la Galaxie. Sachant qu'il existe de la matière sombre qui influence le potentiel, les astrophysiciens utilisent le modèle de Navarro–Frenk–White (NFW) qui permet de calculer la distribution de la densité de matière au sein de la Galaxie afin de cartographier son potentiel.

Enfin, il faut réaliser des simulations en appliquant par exemple le théorème du viriel pour déterminer le rayon à l'intérieur duquel les particules sont liées gravitationnellement les unes aux autres (le rayon viriel) et la masse contenue à l'intérieur de ce rayon (la masse virielle). Selon les paramètres utilisés et en échantillonnant les différentes composantes de la Voie Lactée, on peut déterminer sa masse virielle totale ou sa masse dynamique. Pour être plus précis, on peut également utiliser les vitesses des étoiles pour calculer la vitesse angulaire de la Galaxie par rapport à l'amas globulaire le plus éloigné.

Pour plus de détails sur les questions de méthodologie et autres estimations de la masse de la Voie Lactée, consultez la vidéo suivante de la conférence donnée par François Hammer à la SAF le 8 novembre 2023.

A voir : Conférence "Gaia et la masse de la Galaxie et la nature des galaxies naines de son halo"

par François Hammer, CNRS, 2023

La Voie Lactée photographiée au fish-eye depuis l'hémisphère nord (à gauche, en Sicile en août 2018 au fish-eye Sigma de 8 mm sur APN Nikon D7000) et depuis l'hémisphère sud (à droite, au Chili en août 2019 au fish-eye Canon de 8-15 mm sur APN Canon R). Exposition d'environ 30 s à 8 mm et 1600 ISO sans suivi. Documents T.Lombry.

Les données et les modèles utilisés pour ces estimations peuvent évoluer avec le temps à mesure que de nouvelles observations sont effectuées et que de nouvelles techniques d'analyse sont développées. Par conséquent, nous allons voir que les estimations de la masse de la Voie Lactée ont régulièrement été révisées à mesure que de nouvelles données furent disponibles et une meilleure compréhension de la dynamique de la Galaxie.

1. Taille, nombre d'étoiles et masse

Les astronomes ne s'accordent pas encore tout à fait sur les mensurations - taille, nombre d'étoiles et masse - de la Voie Lactée car les estimations sont rendues difficiles dans le coeur et en périphérie de la Galaxie et des incertitudes liées à la taille des échantillons et des méthodes de calcul. Ceci dit, on peut fixer des limites minima et maxima compatibles avec sa vitesse de rotation.

Taille

La Voie Lactée est semblable à beaucoup d'autres galaxies. Ainsi que l'ont confirmées les observations réparties sur toute l'étendue du spectre électromagnétique, du rayonnement radio au rayonnement X en passant par le visible et l'infrarouge, la Voie Lactée forme un disque épais composé d'étoiles, de gaz et de poussière dont le diamètre estimé en 2015 par Yan Xu et ses collègues varie entre 31-55 kpc soit entre 100000 et 180000 années-lumière.

Toutefois des analyses réalisées en 2010 par Oleg Gnedin de l'Université du Michigan et ses collègues ont montré qu'il existe encore des composantes massives et sombres dans un halo de 40 kpc de rayon soit 130000 années-lumière autour du bulbe central. Mais grâce aux mesures faites par le satellite Gaia, compte tenu des amas globulaires présents parfois loin dans le halo et des effets de la matière sombre sur la vitesse de rotation de la Voie Lactée, son influence se ressent encore jusqu'à 300 kpc ou environ 1 million d'années-lumière du noyau, ce qui est supérieur au rayon d'influence de M31 (~240 kpc selon un estimation publiée en 2018).

A voir : Galaxy Map - Carte de la Voie Lactée du National Geographic (12.5 MB)

Cartes détaillées de la Voie Lactée

Illustration artistique de la Voie Lactée. Document NGS adapté par l'auteur.

Nombre d'étoiles

Selon les premières estimations réalisées entre 2007 et 2010, la Voie Lactée contiendrait entre 200 et 400 milliards d'étoiles (et entre 100 et 400 milliards d'exoplanètes), le nombre exact dépendant du nombre d'étoiles de faible masses (étoiles naines) qui restent difficiles à détecter au-delà de 300 années-lumière. A cette masse stellaire, Il faut ajouter tout le reste : d'abord le gaz, la poussière, les corps sombres, les planètes, mais également la matière sombre dont la masse invisible est prédominante.

Masse

Depuis 1978 (cf. H.L. Shipman) et pendant plus d'une génération, les astronomes ont estimé la masse limite inférieure de la Voie Lactée à 600 milliards de masses solaires, dont 200 milliards de masses solaires distribuées dans le disque visible. Ils ont estimé que la masse interstellaire constituée de gaz représente 5 milliards de masses solaires soit entre 2 et 5% de la masse des étoiles. Le reste est constitué de matière sombre que certains auteurs estiment représenter jusqu'à 90% de la masse totale (cf. L.L. Watkins et al., 2019) voire plus. Si ces valeurs restent dans une marge acceptable compte tenu des incertitudes et ne sont donc pas fausses, elles ont fortement varié.

Suite à de nouvelles estimations (cf. M.J. Reid et al., 2009; L.L. Watkins et al., 2010; P.Kafle et al., 2014, etc) basées sur la mesure de la vitesse radiale (le long de la ligne de visée) puis de leur mouvement propre (leur vitesse à travers le plan du ciel), la masse de la Voie Lactée a été revue à la hausse : 700 à 850 milliards de masses solaires dans un rayon de 300 kpc soit ~1 million d'années-lumière, rendant la Voie Lactée aussi massive que la galaxie M31 d'Andromède (~800 milliards de masses solaires selon A.Tamm et al., 2012 et P.Kafle et al., 2018) mais d'autres études estiment la masse de M31 deux fois supérieure à celle de la Voie Lactée.

En tenant compte des six principales galaxies satellites de la Voie Lactée, en 2010 Laura L. Watkins du STScI et son équipe ont obtenu une masse virielle atteignant ~1400 milliards de masses solaires, une valeur proche des 1300 milliards de masses solaires calculés en 2017 par Paul J. McMillan.

A voir : Hubblecast 117 Light: Hubble & Gaia weigh the Milky Way, 2019

Vidéos time-lapse de la Voie Lactée, Dakotalapse

La Voie Lactée

A gauche, survol de la Voie Lactée. Un document 2MASS/IPAC au format QuickTime (.mov) de 9.7 MB. A droite, la rotation nocturne de la Voie Lactée enregistrée en time-lapse depuis l'Observatoire du Vatican du Mt Graham avec un boîtier Nikon de 50 mm équipé d'une caméra CCD AP7. Compositage de 30 images exposées chacune 10 s et espacées d'une minute. Fichier GIF de 794 KB. Document CCD.

En 2018, l'équipe de Ekta Patel de l'Université d'Arizona réestima la masse virielle de la Voie Lactée à 960 milliards de masses solaires. Les chercheurs ont tenu compte du déplacement dans l'espace (tridimensionnel) des neuf plus importantes galaxies satellites de la Voie Lactée et les mesures de leur vitesse angulaire furent comparées dans un modèle d'Univers simulant 20000 galaxies similaires à la nôtre et 90000 galaxies satellites (modèle capable de simuler la trajectoire de toutes ces galaxies sur une période de plusieurs milliards d'années). C'est l'estimation la plus complète réalisée à ce jour.

En 2019, grâce aux données photométriques des satellites WISE, 2MASS et Gaia DR2 et des données spectrales d'APOGEE, l'équipe d'Anna-Christina Eilers du MIT publia dans "The Astrophysical Journal" une nouvelle courbe de rotation de la Voie Lactée présentée ci-dessous à droite. Les chercheurs en ont déduit une masse virielle du halo sombre de la Galaxie d'environ 725 milliards de masses solaires.

La courbe de rotation la Voie Lactée obtenue par l'équipe d'Eilers en 2019 révèle une légère décroissance la vitesse des étoiles au-delà de 15 kpc du noyau mais grevée d'une importante incertitude.

A l'époque c'était la courbe de rotation la plus précise. Elle révèle une légère décroissance la vitesse des étoiles au-delà de 15 kpc du noyau alors qu'on pensait que la courbe était plate comme celle de la galaxie M31. Toutefois, l'incertitude était vraiment trop élevée et il fallait absolument réduire ces barres d'erreurs et autres biais (distribution des vitesses radiales, gauchissement, etc) pour valider cette décroissance.

Quelques mois plus tard, grâce aux données du Télescopes Spatial Hubble et du catalogue DR2 de Gaia, l'équipe de Watkins précitée publia dans "The Astrophysical Journal" une nouvelle estimation de la masse de notre Galaxie. En tenant compte du mouvement de 34 amas globulaires dispersés sur 65000 années-lumière et 12 autres amas globulaires éloignés jusqu'à 130000 années-lumière qu'ils ont étudiés sur une période de 10 ans, les auteurs ont pu estimer la répartition de la masse de la Voie Lactée sur près de 300 kpc ou un million d'années-lumière et obtenu une masse virielle pour ce volume de 1540 milliards de masses solaires, c'est-à-dire dans la moyenne supérieure des estimations précédentes. Décidément, la grandeur la Voie Lactée nous surprendra toujours !

Sur base de ces dernières valeurs, on estime que le gaz interstellaire représente entre 10 et 15% de la masse visible (stellaire) soit plus de 150 millions de masses solaires. La poussière interstellaire représente 1% de la masse totale de gaz soit ~15 millions de masses solaires (cf. Sparke et Gallagher). Il faut y ajouter la matière sombre.

Dans un autre article publié dans les "MNRAS" en 2023 et en préimpression sur le serveur arXiv par l'équipe de Xiaowei Ou du MIT comprenant Anna-Christina Eilers précitée, en se basant sur le même échantillon que celui utilisé par l'équipe d'Eilers en 2019, les auteurs obtiennent une masse virielle variant selon les modèles entre ~181 milliards de masses solaires à 119 kpc et 694 milliards de masses solaires à 187 kpc. En moyenne, la masse de la Voie Lactée est 5 fois inférieure aux valeurs précédentes. Une nouvelle étude confirma cette faible valeur.

Dans une étude publiée dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2023 basée sur les données du catalogue DR3 de Gaia qui contient les paramètres de plus de 1.8 milliard de sources, l'équipe du postdoctorant Yongjun Jiao de l'Observatoire de Paris à mesurer la courbe de rotation de la Voie Lactée et obtient une masse dynamique de seulement ~206 milliards de masses solaires à 121 kpc (contre 260 milliards de masses solaires dans un article publié en 2021), tout en précisant que la limite supérieure basée sur les mesures maximales de vitesses est de 540 milliards de masses solaires. Notons qu'ils évoquent une masse dynamique maximale atteignant 1800 milliards de masses solaires. Mais comme me le précisa François Hammer du GEPI de l'Observatoire de Paris et coauteur de cet article, Gaia DR3 exclut formellement cette valeur qui était une limite supérieure obtenue avec Gaia DR2.

Graphiques de la courbe de rotation (vitesse circulaire autour du noyau en fonction de la distance, à gauche) et de la masse dynamique (droite) de la Voie Lactée obtenue par l'équipe de Yongjun Jiao en 2023 à partir des données de Gaia DR3. A gauche, le modèle (best fit) est représenté par la courbe noire et les barres d'incertitudes ont été surestimées pour évité toute erreur. Pour la première fois, on constate clairement une diminution keplérienne de la vitesse au-delà de 15 kpc.

Les résultats obtenus par l'équipe de Jiao en 2023 ont augmenté la précision (ou réduit les incertitudes) des précédentes études (par exemple celle de A.C. Eilers et al., 2019) d'un facteur 10 à 100. Comme le dit Hammer, on peut dire qu'"on a découvert la courbe de rotation de la Voie Lactée."

On découvre dans ce graphique que la courbe de rotation décroit de 30 km/s entre 19.5 kpc et 26.5 kpc, suivant la décroissance keplérienne (V~√R). On peut dire que c'est un résultat inattendu qui a surpris tous les astronomes. Il s'est vite propagé jusqu'au petit cercle des cosmologistes qui ne s'attendait pas du tout à ce que la Voie Lactée présente ce profil keplérien mais plutôt un profil plat au-delà de 15 kpc comparable à celui de M31.

Selon ces résultats, le disque galactique s'étend jusqu'à 17 kpc du centre. Quelque 200 milliards de masses solaires se concentrent dans moins de 30 kpc. Dans un rayon de 300 kpc soit 10 fois plus grand (un volume 1000 fois plus grand), se trouve seulement 6 milliards de masses solaires, une masse négligeable (< 1% du total). Au total, la masse lumineuse (ordinaire) de la Voie Lactée représente 60 milliards de masses solaires soit un tiers de sa masse (contre 1/10 pour la moyenne des autres galaxies et 1/6 pour l'univers dans son ensemble). Cela signifie qu'on ignore la nature des deux tiers de la masse de la Voie Lactée. Mais selon les modèles actuels, cela signifie aussi que la Voie Lactée contient "trop" de baryons comparée à la moyenne des galaxies (1/3 contre 1/10). A présent la question est de savoir si tout cela est exact où s'il n'y a pas un problème de méthodologie. L'avenir nous le dira. 

On reviendra en cosmologie sur les problèmes du modèle Standard et sur la matière sombre.

2. Morphologie

La Voie Lactée à la forme d'un disque aplati comprenant plusieurs structures à grande échelle qu'on retrouve dans toutes les galaxies spirales. Nous décrirons sa forme spirale et sa classification page suivante.

Comme le montre le schéma ci-dessous, du centre vers l'extérieur, nous trouvons le bulbe central comprenant la barre stellaire puis le disque mince et le disque épais formant les bras spiralés et enfin le halo stellaire. Voyons brièvement ces structures.

A. Le bulbe

Le bulbe central est la région la plus dense de la Voie Lactée comme de toutes les galaxies axisymétriques. Seules différences avec un bulbe "classique" qui se caractérise par une forme ellipsoïdale sans rotation et peu condensé, celui de notre Galaxie est petit, en rotation et donc aplati (on peut le modéliser par une sphéroïde de rapport axial 0.75) et cinématiquement froid, ressemblant plus à un disque par ses propriétés, si bien qu'on le qualifie de pseudo-bulbe.

La densité de surface du profil de la Voie Lactée calculée en 2013 par G.Ortwin et son équipe révèle la forme en X allongée ou en forme de cacahuète du pseudo-bulbe central. On distingue également le disque mince (rouge) et le disque épais (vert jusque violet). Documents G.Ortwin et al./MPE (2015).

En 1991, Leo Blitz et David N. Spergel ont montré que le bulbe présente de profil une forme en X allongée qui ressemble à une cacahuète. Cette structure fut confirmée par l'expérience DIRBE du satellite COBE

Notons qu'on retrouve ce bulbe en X dans plus de 40% des galaxies vues de profil des classes S0 à Sd pour citer parmi les plus connues NGC 128, NGC 3628 et ESO 597-G036 membre de l'amas compact Hickson 87 (HGC87). Cette forme en X est directement liée à la présence d'une barre triaxiale. On y reviendra plus loin (page 3) ainsi que dans l'article consacré à la classification des galaxies.

Ce bulbe présente une masse presque négligeable comparée aux autres composantes. On estime qu'il contient 10 fois moins de matière que le disque mince et représente à peine 5% de la masse visible. Il abrite également le trou noir supermassif Sgr A* dont la masse est proportionnelle à celle du bulbe.

Ce bulbe forme un halo d'environ 1.5 kpc de rayon (5000 a.l.) qui est enveloppé par le disque. Le bulbe est animé d'un mouvement de rotation qu'il acquit dès la naissance de la Voie Lactée entraînant la formation d'une barre nucléaire aux extrémités de laquelle s'échappent les bras spiralés. On y reviendra.

Le bulbe de la Voie Lactée est constitué d'environ 10 milliards d'étoiles provenant essentiellement du disque mais également capturées au cours de fusions mineures avec d'autres galaxies. Il s'agit essentiellement de vieilles étoiles mais il comprend également quelques étoiles jeunes.

A gauche, à partir de la densité de surface et du calcul des positions de 22 millions d'étoiles complétées par les résultats d'autres sondages dans différents rayonnements, on peut dresser un modèle schématique de la Voie Lactée en perspective. La position du Soleil est indiquée. A droite, un modèle plus précis insistant sur l'importance des deux bras principaux et détaillant le secteur situé du côté du Soleil (partie inférieure) en particulier l'Eperon d'Orion (bras d'Orion) qui est également le mieux connu en raison de sa proximité. Documents Robert Hurt/Caltech (2015) adapté par l'auteur (voici l'original) et Diana Marques.

Vu l'abondance des étoiles dans le bulbe, elles présentent une grande variabilité en terme d'abondance en métaux (tous les éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium) avec des étoiles très riches (Population II) et d'autres très pauvres (Population I). C'est peut être le signe de leurs origines très différentes ou celui de processus de formation différents. Pour le savoir, il faut quantifier la fraction des étoiles qui résultent de l'évolution interne du disque, des effets de l'attraction gravitationnelle vers le centre et des effets liés aux débris de marées (des fusions mineures avec des galaxies naines). Un technique consiste à déterminer le taux de rotation de toutes les étoiles, un travail rendu difficile par l'extinction interstellaire mais qui a progressé ses dernières années grâces aux nouveaux sondages en infrarouge et les mesures du satellite d'astrométrie Gaia sur lesquelles nous reviendrons.

En 2016, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Andrea Kunder de l'AIP de Potsdam en Allemagne découvrit que dans un rayon de 2000 années-lumière autour du centre de la Voie Lactée réside une ancienne population stellaire d'étoiles variables RR Lyrae âgées de plus de 10 milliards d'années. Quelque 1000 RR Lyrae ont été découvertes dont il faut à présent mesurer la métallicité pour préciser leur origine. Ces étoiles qui ne représentent que 1% de la masse de la barre nucléaire ne suivent pas les trajectoires oblonges des autres étoiles gravitant dans la barre nucléaire mais présentent de grandes orbites aléatoires et plus ou moins circulaires indiquant qu'elles se sont formées à grande distance du centre de la Galaxie. Elles n'ont donc pas la même origine que les autres étoiles du bulbe, ce qui tend à confirmer qu'elles font partie des premières composantes qui se sont formées dans la Voie Lactée à une époque où elle ne présentait pas encore de barre nucléaire.

B. Le disque mince

Le bulbe est entouré par un disque mince allongé qui comme son nom l'indique présente une faible épaisseur, de l'ordre de 300 pc (1000 a.l.) à hauteur du Soleil. Il présente un rayon caractéristique (distance où la densité est divisée par e=2.72) d'environ 3 kpc (10000 a.l.) mais s'étend dans un rayon d'au moins 20 kpc soit 65200 années-lumière comme le montra l'équipe de l'astronome Xiaodian Chen du NAO de Beijing en Chine dans la revue "Nature Astronomy" en 2019 sur base de l'étude de 1339 Céphéides classiques grâce au satellite Gaia. Bien qu'il soit quatre fois plus mince que le disque épais, selon les dernières estimations il est presque aussi massif avec une masse estimée à au moins 6 milliards de masses solaires.

Illustration artistique de la Voie Lactée avec son pseudo-bulbe, son disque gauchi et ses nuages de poussière qui soulignent ses bras en spirale. Document T.Lombry.

Le disque mince est principalement constitué d'étoiles et le Soleil en fait partie. Ce disque est associé à une composante encore plus fine constituée de gaz composée d'hydrogène neutre, atomique et moléculaire.

Les étoiles se formant uniquement dans les nuages moléculaires, seul le disque mince se renouvelle en permanence. On en déduit que la formation d'étoiles dans la Voie Lactée se produit à un taux moyen de quelques masses solaires par an, ce qui est faible dans l'absolu. On retrouve donc les étoiles les plus jeunes dans le disque mince, bien qu'il contienne quelques représentes âgées de 8 à 10 milliards d'années.

Au fil du temps et des interactions gravitationnelles avec les nuages moléculaires ou les bras spiralés, les étoiles du disque mince voient leur vitesse de dispersion augmenter mais en aucun cas elles quittent le disque mince qui forme une structure de nature et aux propriétés bien spécifiques.

Grâce à Gaia et à l'étude des Céphéides, Xiaodian Chen précité et ses collègues confirmèrent une observation déjà faite en 1990 par F.H. Briggs selon laquelle le disque d'hydrogène neutre (HI) de la Voie Lactée est gauchi (ou warpé, en forme de S) comme celui de M31 et ESO-510-13 parmi d'autres galaxies dont l'origine est parfois liée à l'interaction avec de petites galaxies.

Dans le cas du disque de la Voie Lactée, l'angle moyen du gauchissement est de 17.5° et obéit à la règle de Briggs sur les galaxies spirales qui suggère que l'origine de ce gauchissement est structurel et lié à des couples de forces (torques) présents dans le disque massif interne en rotation et dérivant vers l'extérieur du disque. Toutefois, des études complémentaires basées sur un échantillon plus important d'étoiles et de nouvelles simulations autour du modèle de Disque Galactique sont nécessaires pour déterminer sa forme exacte.

C. Le disque épais

En étudiant les différentes populations d'étoiles dans le voisinage du Soleil, en 1983, G.Gilmore et N.Reid identifièrent pour la première fois le disque épais qui enveloppe le disque mince et le bulbe. Il s'étend horizontalement jusqu'au bord de la Voie Lactée et verticalement entre 1-4.5 kpc (3000 à 15000 a.l.) au-dessus du plan galactique (1.2 kpc ou 4000 a.l. à hauteur du Soleil).

Comme évoqué ci-dessus, le disque galactique s'évase vers l'extérieur, donnant à la Voie Lactée une forme gauchie ainsi que le montrent les images présentées ci-dessous. L'origine du phénomène n'est pas encore connue avec certitude. Pour certains, c'est un effet induit par la rotation de la barre principale, pour d'autres c'est peut-être le résultat du passage d'une galaxie naine.

A voir : New Milky Way 3D Map Reveals S-Like Structure

Les Céphéides révèlent le gauchissement de la Voie Lactée

A gauche, le gauchissement (warping) du disque de la Voie Lactée souligné par la distribution de 2400 étoiles Céphéides. A droite, la carte du disque galactique obtenue en 2009 à partir de la distribution de l'hydrogène neutre (HI à 21 cm) montre clairement le gauchissement de la Voie Lactée induit par la barre du disque nucléaire. Documents D.M.Skowron et al. (2019) et IfA/Peter Kalbera/Jürgen Kerp (2009).

Dans un article publié en 2019 dans la revue "Science", l'équipe de Dorota M. Skowron de l'Université de Varsovie montra grâce à l'étude de 2400 Céphéides que le gauchissement du disque est plus important qu'on le pensait. Ils ont également pu le représenter en trois dimensions comme le montre la vidéo ci-dessus. En théorie, cette déformation est temporaire et devrait se stabiliser à long terme.

Le disque épais est principalement constitué d'étoiles et présente une dynamique différente de celle du bulbe ou du disque mince. Il contient environ 20% des étoiles de la Voie Lactée et représente quelques dizaines de milliards de masses solaires. D'après son épaisseur et sa composition, il représente la composante la plus ancienne du disque. On y reviendra.

Comme le disque mince, le disque épais est en rotation mais elle moins rapide et la dispersion des vitesses des étoiles y est plus grande que dans le disque mince. En revanche, étant de nature et d'origine différentes, les deux composantes ne se mélangent pas.

Les étoiles composant le disque épais présentent 4 à 5 fois moins de fer que les étoiles du disque mince. En revanche, elles sont plus riches en éléments dits "alpha" (éléments issues des réactions alpha et triple alpha de nucléosynthèse) comme l'oxygène ou le magnésium, ce qui permet de préciser leur origine et la manière dont elles se sont formées (voir plus bas).

On reviendra plus bas sur l'âge du disque épais.

D. Le disque épais pauvre en métaux

Grâce au satellite Gaia, en 2019 des astronomes ont découvert une troisième composante dans le disque galactique, le disque épais pauvre en métaux ou MWTD (Metal-Weak Thick Disk). Cette nouvelle composante se différencie du disque épais par une population d'étoiles se déplaçant un peu plus lentement (150 contre 180 km/s), une composition deux fois plus pauvre en métaux et une énergie cinétique plus élevée facilitant l'excursion des étoiles plus haut sur le plan galactique. Il s'est probablement formé suite à la fusion de plusieurs galaxies naines satellites avec la Voie Lactée. On y reviendra.

E. Le halo stellaire et de gaz chaud

Comme toutes les galaxies, la Voie Lactée est entourée par un halo stellaire, une zone sphéroïde centrée sur le bulbe qui s'étend dans un rayon visible pouvant atteindre 80 kpc (260000 a.l.), donc bien au-delà du disque épais de la Voie Lactée. Mais nous verrons qu'en réalité il est encore plus vaste.

Aspect général de la bulle de gaz chaud qui fut probablement émise il y a 6 millions d'années par le trou noir supermassif situé au coeur de la Voie Lactée. Document T.Lombry.

Jusqu'aux années 2000, à peu de choses près on pensait que ce halo était statique et ne contenait que des étoiles et des amas globulaires. Or, à partir de la décennie 2010 la dynamique et la chimie du halo ont totalement été revues suite à la détection de gaz chaud, de queues de marée et de nouvelles estimation de sa masse.

Le halo stellaire n'a pas de structure homogène. Il est constitué d'un mélange de matière visible et invisible, de gaz chaud ainsi que d'énergie sombre qui interagissent avec la masse de la Voie Lactée.

Selon une étude publiée en 2016 par Fabrizio Nicastro du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian et son équipe, le halo contient 65 milliards de masses solaires visibles faites d'étoiles, de poussière et de gaz froid et le double soit 135 milliards de masses solaires invisibles.

Le halo de gaz chaud est très peu dense et présente une température de 2 millions de degrés, émettant des rayons X de faible énergie (voir plus bas). Il s'étend dans un rayon d'environ 200 kpc soit 650000 années-lumière et représente une masse de 130 milliards de masses solaires. Autrement dit, la masse "manquante" ou plutôt cachée d'origine baryonique (la matière ordinaire) de la Voie Lactée se trouve bien là, dans le halo.

Nous verrons plus loin que ce gaz chaud n'est pas uniforment réparti mais forme deux immenses "bulles de Fermi" distribuées de part et d'autre du centre galactique (cf. les bulles pourpres sur le dessin ci-dessus à droite).

Selon les auteurs, au total le halo représente entre 800 millions et un milliard de masses solaires soit moins de 0.15% de la masse totale de la Voie Lactée et 17% de la masse stellaire. Il contient donc autant d'étoiles que le disque galactique. Ces étoiles évoluent sur des trajectoires totalement désordonnées. Il s'agit d'étoiles de Population II comptant parmi les plus âgées (12 milliards d'années) qui sont également les plus pauvres en métaux (abondance moyenne du fer 30 fois inférieure à celle du Soleil).

Comme le montre le schéma simplifié présenté ci-dessous à gauche, la densité spatiale des étoiles du halo n'est pas régulière mais accuse une chute rapide en périphérie qui suit grosso-modo une loi en 1/R3. Par conséquent, près de la moitié des amas globulaires se trouvent sous le rayon nucléaire, c'est-à-dire autour du bulbe où ils ont été enrichis par des étoiles riches en métaux.

Le halo contient 157 amas globulaires dont certains se situent au-delà du halo visible, à 100 kpc (320000 a.l.) du centre galactique. On reviendra sur ces objets car l'estimation de leur âge fut récemment révisée à la baisse et ce n'est pas sans conséquences sur les autres modèles, y compris celui de l'évolution de la Voie Lactée.

Distribution des amas globulaires dans la Voie Lactée. Près de la moitié d'entre eux se concentrent près du bulbe où ils ont été enrichis par des étoiles riches en métaux. Document extrait de Robert A. Freitas, "Xenology", ch.4, 1979 et Bruce MacEvoy.

Le halo stellaire comprend également les deux Nuages de Magellan (SMC et LMC) et leurs queues de marée ainsi que la galaxie naine elliptique du Sagitaire, SagDEG et le courant stellaire qui l'accompagne. Des simulations ont montré que cette galaxie naine a effectué plusieurs fois le tour de la Galaxie à une distance qui varie entre 15 et 60 kpc (48500 et 195000 a.l.) du centre galactique.

Grâce à l'analyse spectrale du gaz chaud du halo, en particulier de la raie O VII qui émet en rayons X à 570 eV soit 2.16 nm, l'astronome Edmund Hodges-Kluck et ses collègues de l'Université du Michigan ont découvert en 2016 que ce gaz loin d'être statique comme on le croyait jusqu'à présent tourne autour du centre galactique avec une vitesse d'environ 183 km/s, voisine de celle des étoiles du disque qui est de ~250 km/s.

Les découvertes du gaz chaud et de la rotation du halo sont importantes car cela signifie que le halo participe activement à la formation de la Voie Lactée et est probablement à l'origine d'une grande partie de la matière contenue dans le disque galactique. Nous verrons au dernier chapitre, quand nous aborderons la formation de la Voie Lactée, que plusieurs théories ont été proposées pour tenter expliquer l'origine du disque, du bulbe et du halo stellaire.

F. Le halo froid d'hydrogène diffus

A la fin du XXe siècle, les astronomes pensaient que ces différentes composantes représentaient l'ensemble des objets constituant la Voie Lactée, même s'ils se doutaient qu'il restait des "variables cachées" comme la matière et l'énergie sombre.

Mais au cours des différents sondages de l'espace profond, pendant qu'ils analysaient les spectres de millions d'objets situés au-delà de notre Galaxie et en particulier les Nuages de Magellan, le halo d'étoiles distantes, les quasars et les galaxies massives, dès 1991 (cf. B.P. Wakker et H. van Woerden) et beaucoup plus fréquemment depuis les années 2000, les astronomes mirent en évidence la présence de faibles raies d'hydrogène neutre (HI), d'oxygène (O VII, O VIII), du calcium (raies H et K), du sodium (raie D) et d'autres éléments qui semblaient parasiter les spectres, sous-entendant qu'il s'agissait d'une composante située à proximité de la Voie Lactée, dite circumgalactique.

Document ESO/L.Calçada adapté par l'auteur.

Fait intéressant, ces observations allaient dans le sens des simulations qui prédisaient l'existence d'une telle composante dans les halos galactiques.

Déjà en 2014, Guangtun Zhu et ses collègues avaient découvert un halo de gaz froid autour des galaxies rouges lumineuses (LRG). Il était donc envisageable que la Voie Lactée dispose également d'un halo de cette nature. Restait à présent à le localiser et l'identifier, une tâche plutôt longue et fastidieuse.

Grâce au télescope de 2.5 m de la fondation Sloan dédié au sondage SDSS installé au Nouveau-Mexique, l'astrophysicien Huanian Zhang de l'Université d'Arizona et son collègue Dennis Zaritsky ont réanalysé les spectres de 732225 galaxies et découvert que cette composante produit une absorption très faible représentant dans les spectres des galaxies moins de 0.78% du flux près de la raie de l'hydrogène alpha.

Sachant que le gaz froid interstellaire comme intergalactique se composent essentiellement d'hydrogène neutre (région HI) qui n'émet pas dans la raie de l'hydrogène alpha, typique d'un milieu ionisé (région HII), les chercheurs en ont déduit que ce gaz composé d'hydrogène neutre et ionisé se situe à courte distance. Mais où exactement ? Pour le déterminer, les chercheurs ont mesuré cette composante dans différentes directions pour vérifier d'une part sa distribution spatiale et d'autre part si les raies spectrales étaient ou non influencées par des effets locaux comme par exemple la présence du trou noir supermassif Sgr A* qui décalerait légèrement sa longueur d'onde ou s'il résidait à plus grande distance, ne subissant aucun effet local autre que l'effet apparent du déplacement de la Terre et du Soleil. Les chercheurs ont finalement conclu que l'hydrogène n'était pas influencé par des effets locaux et constituait une masse a priori diffuse principalement située dans le halo galactique.

En résumé, ce halo d'hydrogène est une composante froide inconnue jusqu'ici qui vient ajouter sa contribution à la "masse manquante" de la Voie Lactée. Cette découverte fut publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2017.

A l'avenir, les chercheurs espèrent déterminer sa distribution et sa densité précise toujours à partir de l'analyse spectrale des objets lointains dont la présence s'est avérée très utile pour détecter ce gaz froid d'origine locale.

Enfin, dans le cadre du projet AMIGA (Absorption Map of Ionized Gas in Andromeda), grâce au Télescope Spatial Hubble, l'équipe de Nicolas Lehner de l'Université de Notre-Dame en Indiana a découvert que le halo qui entoure la galaxie d'Andromède, M31, est tellement vaste - entre 1.3 et 2 millions d'années-lumière de rayon - qu'il toucherait le halo de de la Voie Lactée ! S'il était visible, il couvrirait trois fois la taille de la Grande Ourse soit un champ supérieur à 120° ! Son étude a fait l'objet d'un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2020 (cf. aussi l'article de la NASA).

L'étude du halo de M31 est utile pour comprendre celui de la Voie Lactée. En effet, il nous est difficile d'analyser la signature du halo de la Voie Lactée depuis l'intérieur de la Galaxie. En analysant le halo de gaz et de plasma de M31, on a découvert qu'il contient la matière nécessaire à la formation de futures étoiles ainsi que les produits issus de supernovae. Il contient de nombreux indices concernant le passé et l'évolution de M31 et les astronomes peuvent l'étudier dans tous ses détails et en tirer des indices sur la nature et l'évolution de celui de la Voie Lactée.

3. L'âge de la Voie Lactée

Pour déterminer l'âge de la Voie Lactée, il faut déterminer l'âge des étoiles sous-géantes. Dans ces étoiles, l'énergie n'est plus générée dans le noyau qui contient des cendres nucléaires mais s'est déplacée dans une enveloppe ou coquille entourant le noyau. L'étoile va se transformer en géante rouge. Du fait que la phase sous-géante est une phase évolutive relativement brève dans la vie d'une étoile, elle permet de déterminer son âge avec une grande précision, mais cela reste un calcul délicat à réaliser.

L'âge d'une étoile est l'un des paramètres les plus difficiles à déterminer. Il ne peut pas être mesuré directement mais doit être déduit en comparant les caractéristiques d'une étoile avec des modèles informatiques d'évolution stellaire. Les données de composition y contribuent.

L'Univers est né avec presque exclusivement de l'hydrogène et de l'hélium. Les autres éléments chimiques qu'on appelle les métaux, sont fabriqués à l'intérieur des étoiles (cf. la nucléosynthèse stellaire) et sont ensuite dispersés dans l'espace à la fin de la vie des étoiles, où ils peuvent être incorporés dans la prochaine génération d'étoiles. Ainsi, les étoiles plus anciennes affichent moins de métaux et présentent donc une métallicité plus faible.

Schéma du profil de la Voie Lactée avec son disque gauchi, les trois composantes du disque, son pseudo-bulbe en forme de X ou de cacahuète et son halo stellaire. Document T.Lombry.

En comparant le disque épais de la Voie Lactée à celui des autres galaxies, on estime qu'il s'est formé durant la toute prime jeunesse de la Galaxie, à une époque où il contenait jusqu'à 50% de gaz supplémentaire. Aujourd'hui une partie de ce gaz a participé à la formation des étoiles tandis que le reste constitue le milieu interstellaire.

Grâce aux données de la mission Gaia de l'ESA, les astrophysiciens ont enfin pu répondre à la question ouverte de longue date concernant l'âge du disque épais.

Des astrophysiciens de l'Institut Max-Planck d'astronomie ont utilisé les données de luminosité et de position de la 3e distribution intermédiaire de Gaia (EDR3) et les ont combinées avec des mesures du télescope chinois LAMOST de la composition chimique dont la métallicité d'environ 250000 étoiles pour déduire leur âge. Ils ont montré que le disque épais commença à se former il y a 13 milliards d'années, soit plus de 2 milliards d'années plus tôt que la précédente estimation (cf. M.Xiang et H.-W. Rix, 2022).

Rappelons qu'en 2019, sur base des données du télescope spatial Kepler et en utilisant l'astérosismologie, une technique qui permet d'identifier les structures internes des étoiles en mesurant leurs oscillations à partir des tremblements d'étoiles (cf. les vibrations du Soleil), des astrophysiciens avait calculé que le disque épais était âgé de 8 à 10 milliards d'années (cf. S.Sharma et al., 2019, en PDF sur arXiv). Mais le problème est que la marge d'erreur est de 2 milliards d'années et toutes les mesures antérieures à Gaia présentent une incertitude qui varie entre 20 et 40%.

Selon Xiang, la publication des données EDR3 de Gaia a fortement augmenté la précision : "Avec les données de luminosité de Gaia, nous sommes en mesure de déterminer l'âge d'une étoile sous-géante à quelques pour cent près."

L'analyse montre également qu'après le sursaut de formation d'étoiles déclenché par la fusion des galaxies naines Gaia-Sausage-Encelade avec la Voie Lactée, le disque épais a continué à former des étoiles jusqu'à ce que le gaz soit épuisé environ 6 milliards d'années après le Big Bang. Pendant ce temps, la métallicité du disque épais a augmenté d'un facteur supérieur à 10. Mais remarquablement, les chercheurs voient une relation âge stellaire-métallicité très étroite, ce qui indique que tout au long de cette période, le gaz formant les étoiles était bien mélangé à travers tout le disque. Cela implique que les premières régions du disque de la Voie Lactée ont dû se former à partir de gaz très turbulent qui propage efficacement les métaux à grande distance.

Un âge de 13 milliards d'années correspond à un décalage vers le rouge z=7. Grâce au télescope spatial James Webb qui est justement optimisé pour observer des proto-galaxies, on espère observer des galaxies en formation à cette distance afin de mieux comprendre l'évolution de la Voie Lactée.

Soulignons que Sharma et ses collègues ont entamé une deuxième étude pour combiner les données de K2 avec celles du satellite TESS de la NASA pour estimer l'âge d'un plus grand nombre d'étoiles du disque afin de préciser l'histoire de la formation de la Voie Lactée. Nous verrons dans le futur s'ils confirment les données de la mission Gaia de l'ESA. On reviendra plus loin sur l'origine du disque et des autres composantes (page 6).

4. Galaxies naines proches et satellites

La Voie Lactée est escortée par au moins 50 galaxies naines dont la majorité est satellisée parmi lesquelles les plus grandes relativement parlant sont les deux Nuage de Magellan (LMC et SMC), la galaxie naine sphéroïdale du Sagittaire (SagDEG) et Crater 2 découverte en 2016. Si la plupart d'entre elles sont situées dans le halo, les deux Nuages de Magellan gravitent à 180000 années-lumière du centre de la Voie Lactée tandis que Crater 2 découverte en 2016 se situe à 380000 années-lumière du noyau et Ursa Major III découverte en 2024 à seulement 32800 années-lumière du noyau. On reviendra sur ces galaxies naines à propos du Groupe Local.

5. Les courants stellaires

Sous l'effet de l'attraction générée par l'ensemble des étoiles du bulbe, du disque, de la masse de gaz moléculaire et du passage de certaines galaxies naines proches, les composants du halo peuvent être perturbés gravitationnellement, entraînant une déviation de la trajectoire des étoiles et du gaz alentour, formant des courants stellaires ainsi que des queues de marée.

Un exemple de ce processus nous est donné par le courant du Sagittaire associé à la galaxie naine SagDEG. Un phénomène similaire se produit avec les deux Nuages de Magellan qui étendent deux grandes queues de marée constituées de matière diffuse - le courant Magellanique et le courant principal (Leading stream) - vers la Galaxie comme on le voit ci-dessous.

A consulter : DES DR1 Release

Ci-dessus, les queues de marée du courant Magellanique entourant les deux Nuages de Magellan. Documents SCIRO et J.Kerp/U.Bonn. Ci-dessous, à gauche, les 11 courants stellaires découverts dans la Voie Lactée grâce au sondage Dark Energy Survey (DES). A droite, agrandissement d'une photo montrant quelques-uns de ces courants stellaires, seules traces résiduelles de petites galaxies absorbées par la Voie Lactée. Documents DES.

Notons qu'en 2018, l'équipe de Sergey Koposov de l'Université de Cambridge collaborant au sondage "Dark Energy Survey" (DES) découvrit une galaxie naine dénommée Hydrus 1 dans le nuage diffus reliant les deux Nuages de Magellan. Elle complète la liste des 9 objets ultra-faibles comprenant 3 galaxies naines découverts par la même équipe en 2015, ajoutant ainsi 10 galaxies satellites à la Voie Lactée.

Quelques mois auparavant, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Matias C. Kind de l'Université d'Illinois annonça la découverte de 11 courants stellaires correspondant aux résidus de petites galaxies ayant été absorbées par la Voie Lactée dont un schéma est présenté ci-dessus à gauche (2e ligne). Cette découverte publiée sur le site du Fermilab (en PDF sur arXiv) est le résultat de l'analyse des images du ciel de l'hémisphère sud prises en lumière blanche et infrarouge entre 2013 et 2016 au moyen du télescope Blanco de 4 m de diamètre du CTIO installé au Chili qui photographia le ciel entre les latitudes galactiques +5°N/-65°S et les longitudes galactiques de +110°/-60°. Ces courants stellaires couvrent un champ de 5000 degrés carrés soit 1/8e de la totalité du ciel. Comme on le voit sur la photo présentée ci-dessus à droite, d'une coloration jaune, bleue ou rouge, ces courants stellaires ressemblent à de fines agglomérations étirées d'étoiles à la limite de la sensibilité des capteurs CCD.

Ces courants cosmiques ont vraisemblablement été formés lors de la fusion de galaxies naines avec la Voie Lactée car chacun présente une nature et une dynamique différente en terme d'homogénéité, vitesse, métallicité, âge, etc. La présence de ces courants et de ces queues de marée expliquent la nature du halo qui est en partie composé des étoiles abandonnées par ces courants stellaires. On reviendra en détails sur ce sujet à propos des découvertes de Gaia car une quarantaine de courants stellaires furent découverts depuis que Gaia est opérationnel.

Nous verrons à propos des Nuages de Magellan que les interactions entre ces deux galaxies naines et la Voie Lactée s'est produite il y a plusieurs milliards d'années et que de nos jours encore - à l'échelle des temps cosmiques - la matière tombant des Nuages de Magellan sur la Voie Lactée est capable de former de nouveaux amas stellaires tels Price-Whelan 1.

Les sondages effectués au moyen des radiotélescopes n'ont pas révélé de halo radioélectrique dans le sens perpendiculaire à la Voie Lactée. En revanche, comme beaucoup de galaxies, elle présente un champ magnétique globalement horizontal, orienté dans le sens du disque épais qui maintient la structure des bras spiralés. Le même phénomène s'observe dans la galaxie M33.

Prochain chapitre

Structure spiralée

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[4] J.Milton, "Le Paradis Perdu" (1667), Belin, 1990, VII, v575, p317.


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