CHAPITRE 10

LES MÉTÉORITES ET LES MÉTÉORES

 

Les plus grosses météorites terrestres : des sidérites

On connaît actuellement cinq météorites de plus de 25 tonnes. Toutes sont des sidérites, ce qui est logique car celles-ci sont plus résistantes que les aérolithes et plus faciles à repérer au sol.

La plus grosse est la sidérite de Hoba (Namibie), découverte en 1920 et qui pèse environ 60 tonnes. La seconde est celle de Cape York (Groenland), connue depuis 1818 et qui pèse 34 tonnes. La troisième est celle de Chingo, découverte dans le désert de Gobi à une date inconnue et qui pèse environ 30 tonnes. La quatrième est la sidérite de Bacubirito (Mexique), connue depuis 1863 et qui pèse 27 tonnes. La cinquième est celle de Mbosi (Tanzanie), connue depuis 1930 et qui pèse 25 tonnes. Pour ces chutes, on ignore la date réelle des impacts qui remontent à quelques siècles.

Plusieurs autres sidérites de plus de 10 tonnes sont connues, mais aucune d'entre elles n'a été observée lors de sa chute.

1947 : la "pluie de fer" de Sikhote-Alin

La chute météoritique de Sikhote-Alin, en 1947, fut très remarquable. Elle se produisit le 12 février, à 10h38 heure locale, dans une région boisée de la Sibérie orientale. Plusieurs milliers de témoins ont pu apprécier les différentes phases du phénomène.

La météorite, dont la masse préatmosphérique a été évaluée à un millier de tonnes et le diamètre à 6 ou 7 mètres seulement, se déplaçait du nord au sud. Pendant quatre à cinq secondes, elle fut plus éblouissante que le Soleil. Les arbres et tous les objets opaques avaient une deuxième ombre qui se déplaçait très rapidement en même temps que la météorite. Celle-ci laissait derrière elle une épaisse traînée sombre qui resta visible plusieurs heures. De violents coups de tonnerre furent entendus à plus de 200 km du point d'impact.

Les calculs montrèrent que la météorite de Sikhote-Alin, qui était une sidérite, a parcouru environ 140 km à l'intérieur de l'atmosphère terrestre, avec une vitesse de l'ordre de 15 km/s. Ce long séjour dans l'atmosphère entraîna une formidable augmentation de sa température qui atteignit 5000 degrés. A environ une dizaine de km du sol, la météorite, qui était un objet unique à l'origine, se fractura en plusieurs milliers de morceaux de toutes tailles. Cet émiettement entraîna une diminution très importante de la vitesse des divers fragments qui tombèrent au sol sous l'influence de leur propre poids. La pluie de fer fut un spectacle surprenant pour les rares témoins du dernier acte. Les débris parsemèrent une surface de 50 km2 environ. Plus de 20 tonnes de fer et de nickel furent récupérées, avec un fragment majeur de 1,7 tonne. De plus, 122 petits cratères de 0,5 à 26 mètres furent creusés dans une zone elliptique de 2 x 1 km. On trouva de nombreux arbres déchiquetés ou même fendus par des éclats dans le centre de la zone d'impact.

L'orbite préatmosphérique de cette sidérite a pu être reconstituée avec une bonne approximation. L'objet était un minuscule astéroïde de type Apollo 3 (membre de l'anneau principal des astéroïdes), avec a = 2,16 UA, e = 0,54, q = 0,99 UA et i = 9°. A noter donc que le périhélie était juste à l'intérieur de l'orbite terrestre.

Cette chute a été très bien étudiée et a permis de constater que même les corps denses comme les sidérites (densité entre 7,5 et 8,0) ne sont pas à l'abri de la fragmentation en traversant l'atmosphère qui forme un écran protecteur efficace pour les petits objets. Autre constatation importante : le total des fragments récupérés à la suite de plusieurs campagnes soignées sur le terrain ne représente que le 1/50 environ de la masse préatmosphérique. La très grande partie de l'objet initial s'est donc littéralement volatilisée et n'a pas touché le sol.

1969 : Allende et Murchison, des trésors tombés du ciel

L’année 1969 restera comme une année exceptionnelle dans l’histoire des météorites, une année unique même. Deux des plus extraordinaires connues à ce jour l’ont été cette année-là : Allende et Murchison. Nous allons rappeler brièvement ce qui fait l’intérêt de ces deux météorites.

Allende : la pierre de Rosette du ciel

La météorite d'Allende est tombée le 8 février 1969 près du village mexicain de Pueblito de Allende dans l'État de Chihuahua, dans le nord du pays. Elle se fragmenta dans l'atmosphère, mais à assez basse altitude, ce qui permit de ramasser plusieurs centaines de fragments éparpillés sur une surface de près de 150 km2. On récupéra une masse totale supérieure à deux tonnes, avec un fragment majeur de 110 kg, ce qui en fait le trésor le plus inestimable jamais récupéré par les météoriciens.

Tout de suite, la météorite d'Allende s'avéra unique et contraignit les cosmologistes à revoir leurs modèles. Elle était de type CV3, mais surtout certaines de ses inclusions renfermaient plusieurs éléments chimiques présentant des anomalies isotopiques inexplicables par les processus normaux agissant depuis l'origine du Système solaire. Ces éléments anormaux, enrichis, s'avérèrent avoir été créés par nucléosynthèse dans le cœur d'une étoile massive qui explosa par la suite et dont la matière fut injectée dans la nébuleuse présolaire, très peu de temps avant la formation du Système solaire. Ainsi la météorite d'Allende contient la plus vieille matière actuellement connue, une matière plus ancienne que la Terre elle-même, issue d'une génération antérieure d'étoile.

Quel cadeau du ciel pour toute la communauté scientifique que cette grosse météorite tombée un jour de février 1969 sur le territoire d'un petit village du Mexique ! Un vestige qui nous rappelle que les Terriens sont des poussières d'étoiles issues de cataclysmes cosmiques gigantesques ayant eu lieu il y a plusieurs milliards d'années. Des cataclysmes que les chercheurs actuels, munis d'instruments de mesure sophistiqués, sont capables de dater avec précision grâce à l'étude d'échantillons minuscules. On se rend bien compte avec cet exemple du bond phénoménal fait par la science au XXsiècle.

Murchison : des acides aminés par dizaines

C’est le matin du 28 septembre 1969, sept mois et demi seulement après la chute d’Allende, qu’une autre météorite carbonée, de type CM2, tomba à Murchison en Australie. Plusieurs fragments furent ramassés en quelques jours, avec beaucoup de soins, ce qui permit d’empêcher toute contamination terrestre, fléau n° 1 pour ce genre de météorites qui peuvent être rapidement polluées par de la matière organique terrestre.

L’analyse isotopique permit, comme pour la météorite d’Allende, de mettre en évidence de nombreuses anomalies dans les inclusions réfractaires. Les spécialistes annoncèrent que la matière de cette météorite était originaire de deux types de supernovae de composition différente, donc une matière très ancienne, présolaire, qui s’était condensée lors de l’effondrement de la nébuleuse de laquelle sont issus le Soleil et son cortège planétaire.

En outre, une analyse chimique qui se poursuivit plus d’un quart de siècle permit la découverte de plus de 70 acides aminés différents, dont beaucoup n’existent pas sur la Terre. Même s’ils ne sont pas d’origine biologique, il est clair que ces acides aminés d’origine cosmique laissent entrevoir une vie extérieure à notre Système solaire, et donc la possibilité d’une vie terrestre venue d’ailleurs, comme nous le verrons au chapitre 14.

1972 : le météore du Montana, le record d'approche à la Terre

Le 10 août 1972, il s'est passé un événement exceptionnel (unique à ce jour) dans le ciel de l'Amérique du Nord : un astéroïde d'une quinzaine de mètres de diamètre et d'une masse de 4000 à 5000 tonnes, connu sous l'appellation de météore du Montana, a traversé l'atmosphère terrestre sans se rompre et est reparti dans l'espace interplanétaire.

Un météore magnifique fut aperçu en début d'après-midi (à 14h30, heure locale), dans le ciel de l'Utah. Il fut suivi, pendant 101 secondes exactement, par plusieurs dizaines de milliers de témoins, sur une distance de 1500 km sur une trajectoire sud-nord qui lui fit traverser l'Utah, le Montana et une partie de l'Alberta au Canada, avant de quitter notre atmosphère (figure). Son éclat atteignit 100 fois l'éclat de la pleine Lune (soit une magnitude d'environ –18 ou –19). Sa vitesse était proche de 15 km/s par rapport à la Terre et il laissa derrière lui une épaisse traînée qui fut visible plus d'une heure, après avoir plusieurs fois changé de forme.

L'intérêt, c'est que ce petit astéroïde s'approcha jusqu'à 58 km au-dessus du sol du Montana. Si son altitude avait été de 10 km inférieure, il aurait frappé la Terre, probablement sur le territoire de l'Alberta. L'énergie d'un tel impact aurait été de l'ordre se 5 x 1014 joules, ce qui est loin d'être négligeable à l'échelle locale. C'est l'équivalent d'un séisme de 6,7 ou de plusieurs bombes du type Hiroshima. Cependant, comme nous l'avons vu pour la chute de Sikhote-Alin, il est possible (sinon probable) qu'il y aurait eu fracturation de l'objet dans les couches basses de l'atmosphère, et donc des dégâts moindres, sinon inexistants.

Le nombre important d'observations, de films et de photographies pris dans d'excellentes conditions, a permis de calculer une orbite assez précise pour cet objet céleste. Il s'agissait d'un minuscule astéroïde de type Apollo 2 (circulant en moyenne entre l'orbite de Mars et le bord interne de l'anneau principal des astéroïdes), avec a = 1,66 UA, e = 0,39, q = 1,01 UA, Q = 2,3 UA et i = 15°. A la date de la rencontre, le 10 août 1972, la Terre se trouvait à une distance de 1,014 UA du Soleil et avait une vitesse héliocentrique de 29,4 km/s. L'astéroïde venait juste de franchir le plan orbital de la Terre, du nord au sud, et voyageait à 34,8 km/s. Il rattrapa la Terre par derrière, à la vitesse initiale de 10,1 km/s, vitesse qui nous l'avons dit augmenta ensuite jusqu'à 15 km/s, du fait de la force d'attraction de la Terre qui accéléra sensiblement son mouvement.

Cet événement original est un cas particulier, très rare, en matière de rencontre entre la Terre et un corps cosmique. Comme il ne s'en produira pas un autre du même type avant fort longtemps (peut-être plusieurs centaines d'années), il n'en est que plus utile et il a passionné les spécialistes. Cela a prouvé, s'il en était encore besoin, que des objets cosmiques de ce diamètre (entre 5 et 20 mètres) sont légion et que de telles rencontres sont fréquentes, même à l'échelle humaine.

1976 : la chute de pierres de Jiling en Chine

Si les principales sidérites connues n'ont pu être observées lors de leur chute, il n'en est pas de même pour la plus grosse des aérolithes recensées, celle de Jiling, qui a eu lieu en 1976 et qui a eu pour témoins plusieurs dizaines de milliers de Chinois.

Le 8 mars, vers 15 heures heure locale, un magnifique météore rouge allant du nord-est au sud-ouest fut observé par de très nombreux habitants du district de Jiling (ville de 600 000 personnes à l'époque) en Mandchourie, dans le nord-est de la Chine. Durant la traversée de l'atmosphère, il y eut plusieurs explosions et dans les derniers instants avant l'impact, trois météores distincts furent observés. Grâce à une très importante mobilisation populaire, organisée par le gouvernement, de très nombreux fragments furent récupérés dans une zone elliptique orientée est-ouest, sur une distance de 1° en longitude, ce qui s'était jamais vu auparavant. Le principal morceau, d’un poids de 1,77 tonne, fut retrouvé à quelques dizaines de mètres d'un groupe de maisons, après avoir creusé un cratère de 2 mètres de diamètre et de 3 mètres de profondeur. Mais en fait, c'est plus de 4 tonnes de matériel qui furent récupérées. Tous les fragments avaient une croûte noirâtre fondue par l'échauffement causé par le frottement atmosphérique. Les analyses ont montré qu'il s'agissait d'une chondrite à olivine et bronzite (les plus riches en ferro-nickel), donc de type H.

Cette chute de Jiling est celle qui fut la mieux observée et dont on possède la meilleure documentation de toute l'histoire des chutes de météorites. Elle a permis de connaître la plus grosse aérolithe recensée à ce jour. L'ancien record appartenait à l'aérolithe de Norton, dans le Kansas (États-Unis) qui pèse 1,08 tonne, et dont la chute fut observée le 18 février 1948.

Les météorites de l'Antarctique

L'Antarctique est un continent de glace de 14 millions de kilomètres carrés, longtemps inviolé et qui s'est révélé être privilégié pour trouver des météorites. En trente ans la récolte a dépassé les prévisions les plus optimistes. De plus, leur conservation s'est trouvée être maximale. Autant de raisons qui font de l'Antarctique un véritable Eldorado pour les météoriciens. Les missions se succèdent pratiquement sans discontinuer durant la saison favorable, toujours avec le même succès, et on a déjà trouvé des spécimens de très grande valeur, parmi lesquels des météorites d'origine martienne et lunaire.

C'est un géologue japonais qui recueillit fortuitement les neuf premières météorites antarctiques en janvier 1969, alors qu'il participait à une campagne de sondages sismiques. En 1974, une première expédition japonaise ramassa plus de 600 météorites en un seul mois, réussite exceptionnelle qui démontra le remarquable potentiel du réservoir antarctique. A partir de 1976, grâce aux Américains, et notamment à William Cassidy qui comprit très tôt tout l'intérêt de ces trouvailles, les recherches devinrent régulières et systématiques.

Chaque pièce nouvelle se voit attribuer un numéro d'immatriculation (par exemple ALHA 77 005 et EETA 79 001), composé de lettres identifiant le lieu de la trouvaille (par exemple Y pour Yamoto mountains et ALHA pour Allan hills) et de cinq chiffres, les deux premiers pour l'année et les trois autres pour le numéro d'ordre dans l'année. Plus de trente sites différents sont recensés et il y en aura beaucoup d'autres dans l'avenir.

Le nombre déjà important d'échantillons recueillis (plus de 20 000), a permis de faire des premières études statistiques très intéressantes. On sait que 93 % des météorites antarctiques sont des aérolithes, 6 % des sidérites et 1 % des sidérolithes. En fonction de la masse des objets récoltés, on obtient environ 85 % d'aérolithes, 11 % de métalliques et 4 % de sidérolithes. Par rapport aux météorites traditionnelles, on a pu en conclure que les sidérites se conservent mieux et surtout se repèrent plus facilement.

L'Antarctique est une vraie chance pour les météoriciens, ils disposent là d'un réservoir quasiment inviolé sur un territoire qui demandera des décennies à être seulement défriché. Parmi les dizaines de milliers de météorites qui les attendent, on peut espérer découvrir de nouveaux spécimens uniques et plusieurs météorites d'origine martienne qui s'avèrent particulièrement intéressantes.

Composition et classification des météorites

Le tableau 10-1 donne une classification générale des météorites. On sait qu’elles se partagent en deux grandes catégories : les chondrites et les météorites différenciées (figure). Les premières sont des pierres primitives, rescapées de l’origine du Système solaire, qui ont conservé leurs caractéristiques originelles. Les secondes, beaucoup plus récentes, ont été fondues dans leur corps d’origine, ce qui signifie qu’elles sont des menus fragments d’objets primaires qui ont dépassé 300 km, diamètre nécessaire pour générer une différenciation sous l’effet de la gravité. Elles ont donc subi une modification de structure et de composition chimique.

Classiquement, on divise aussi les météorites en trois grandes classes selon leur composition :

1. les sidérites qui contiennent principalement du fer et du nickel, à la densité élevée (7,0-7,8).

2. les aérolithes (les météorites pierreuses), à la densité beaucoup plus faible (2,5-3,5), composées principalement de silicates.

3. les sidérolites, contenant en quantités équivalentes des silicates et du fer-nickel, de densité intermédiaire (5,0-6,0).

Il faut noter l’adjonction d’un chiffre (de 1 à 7) après la lettre ou les lettres qui indiquent le type chimique. Ce chiffre correspond au type pétrologique. Ainsi Allende est classée CV3, Murchison CM2, Pultusk H5 et Holbrook L6.

Pour ce qui est des corps parents, rappelons que parmi les achondrites les eucrites sont des vestiges de l’astéroïde Vesta et les sidérites sont des noyaux de gros astéroïdes différenciés et brisés ultérieurement. On connaît de tels astéroïdes de fer (type M). Les chondrites ordinaires (LL, L et H) sont très courantes, mais ont peu de corps parents recensés dans l’espace. Cela s’explique sans doute par l’existence d’une croûte de poussières silicatées à la surface des astéroïdes S. Mais sous cette croûte de surface protectrice, de nombreux NEA de type S doivent être des chondrites de type LL, L ou H qui subiront encore des fragmentations avant de venir heurter notre planète.

Les SNC, elles, sont suspectées d’être d’origine martienne. Elles auraient été éjectées de la planète rouge à la suite d’impacts rasants. Elles sont beaucoup plus jeunes que les météorites carbonées.

La météorite de Farmington et l'hypothèse HEPHAISTOS

Cette météorite de Farmington, qui pourrait n'être qu'une météorite parmi des milliers d'autres, est d'un intérêt exceptionnel. Elle est tombée le 25 juin 1890, vers 13 heures, près de la ville de Farmington dans le Kansas, à 39°45'N et 97°2'O. Cette chute faisait suite à l'apparition d'un météore très brillant et à des détonations. On connaît deux fragments issus de cette chute, l'un de 85 kg et l'autre de 4 kg. Les premières études montrèrent qu'il s'agissait à l'origine d'une pierre unique, brisée tardivement durant la traversée de l'atmosphère, et qui fut classée plus tard comme une chondrite noire à olivine et hypersthène, fortement bréchée. Il s'agit donc d'une chondrite ordinaire, de type L, à faible teneur en métal libre et de densité de l'ordre de 3,7.

Les diverses concentrations pour les éléments analysés dans la météorite de Farmington sont les suivantes (en parts par million) : K = 850, Ba = 9,1, Zn = 102, Sc = 6,0, Ti = 574, Ge = 9,5, V = 72,6, Se = 8,1, Te = 0,150, Cr = 2720, Mn =2760, F = 250, Cl = 170 et Co = 532. Rappelons que les chondrites à olivine et hypersthène sont les plus courantes dans les collections de météorites, puisqu'elles dépassent, à elles seules, le tiers des spécimens connus.

Beaucoup plus tard, il s'est avéré que cette météorite de Farmington était en fait la plus jeune météorite connue, et de loin, dans la mesure où son âge d'objet indépendant est de 25 000 ans seulement. Cet âge d'exposition dans l'espace, extraordinairement court à l'échelle astronomique, indique la date de la dernière fragmentation dont cet objet a été victime. Les astronomes catastrophistes de l’école britannique, à la recherche de tous les phénomènes en rapport avec le Complexe des Taurides, lié à P/Encke, ont pu montrer que cette météorite en faisait partie. Le radiant et la date de la chute, le 25 juin, semblent indiquer une identité probable, sinon incontestable.

Ainsi, on posséderait déjà un fragment du fameux centaure disloqué et dont certains fragments sont entrés en collision avec la Terre durant la protohistoire et l'Antiquité. La composition de ce fragment, composé principalement d'olivine et d'hypersthène, dans une matrice chondritique, indique une composition planétaire et non cométaire. Avec les traces retrouvées dans la résine des arbres de la Toungouska, ce serait le deuxième indice sérieux d'une origine au moins partiellement planétaire pour les débris connus des résidus de HEPHAISTOS. Rien d'étonnant à cela, dans la mesure où nous avons expliqué que le corps originel était un objet mixte, à la fois planétaire et cométaire. Et bien sûr, ce sont les fragments planétaires qui ont la meilleure chance de toucher le sol, et donc d'être récupérés sous forme de météorites, et non seulement sous forme de mitraille cométaire, de taille tout au plus millimétrique, comme le sont, au contraire, les débris d'origine cométaire.

Les micrométéorites et la poussière cosmique

On sait depuis longtemps que la Terre recueille chaque jour des milliards de grains de matière extraterrestre, principalement sous forme de poussières. Les estimations modernes donnent le chiffre approximatif de 100 tonnes par 24 heures, soit 4 tonnes par heure et 1 gros kilogramme par seconde, ce qui paraît assez peu. Une partie substantielle (90 %) de ces grains ont une taille comprise entre 0,05 et 0,5 millimètre. Il s’agit donc bien de poussière cosmique.

Les scientifiques ont évidemment cherché un moyen de récupérer cette matière extraterrestre pour l’étudier avec le matériel ultramoderne dont ils disposent. Il s’est avéré qu’il existait une excellente solution pour récupérer ces microparticules, même si elle n’est pas très commode à mettre en pratique : l’extraire des déserts de glace où elles sont piégées à l’abri de toute pollution. C’est ainsi que le météoricien français Michel Maurette a eu l’idée d’expéditions spécialisées au Groenland et en Antarctique. A partir de 1984, et avec des instruments de plus en plus sophistiqués, il a recueilli plusieurs milliers d’échantillons.

Comme prévu, il s’est avéré que cette matière était principalement de nature carbonée, puisque produit de décomposition des comètes, mais une partie semble concerner de la poussière interstellaire capturée par le Système solaire à l’occasion de la traversée de nuages galactiques. Cette matière micrométéoritique est d’une composition équivalente à la matière des chondrites carbonées, avec notamment une forte teneur en minéraux hydratés, en hydrocarbures, en acides aminés (c’est-à-dire une matière composant la matière biologique) et en hydrocarbures aromatiques polycycliques (les fameux PAH). On sait que l’ensemble de ces éléments organiques a été regroupé sous le nom générique de CHON (pour Carbone, Hydrogène, Oxygène et N pour azote).

L’intérêt principal des micrométéorites est qu’elles ne sont pas désintégrées en entrant dans l’atmosphère. Leur échauffement par friction est insuffisant pour les détruire, comme c’est la règle pour les particules de taille millimétrique et supérieure, et ainsi les acides aminés qu’elles renferment, et qui ne se décomposent qu’à partir de 300 degrés, température qui n’est jamais atteinte, gardent leurs propriétés. Simplement, cette poussière cosmique met plus de temps pour se déposer tranquillement sur le sol et dans les déserts de glace où elle se fait piéger pour des dizaines, ou même des centaines ou milliers d’années parfois.

Cette poussière cosmique, que l’on commence seulement à étudier en grand détail, pourrait avoir eu une importance capitale pour l’apport de la vie sur Terre. La panspermie microscopique paraît être une possibilité très acceptable et ses supporters sont de plus en plus nombreux, comme nous le verrons au chapitre 14. Car il faut bien comprendre que ce flux actuel de 100 tonnes par jour de poussières cosmiques est totalement résiduel par rapport à celui qui existait lors de la formation et de la consolidation des planètes. Maurette a calculé qu’alors 500 000 micrométéorites par mètre carré percutaient la surface terrestre en dix ans. Malgré un environnement que l’on sait hostile, les micrométéorites sont tombées partout en masse et donc aussi dans les bons endroits protégés, capables de générer la soupe primitive, et aptes à développer la vie, en agissant comme des "réacteurs chimiques chondritiques", comme l’a expliqué le chimiste français André Brack.

Il semble bien que des tonnes de poussière cosmique soient récupérables ces prochaines années en Antarctique et au Groenland. Les équipes spécialisées pourront donc avoir accès à des échantillons qui ne sont pas obligatoirement tous équivalents. Que découvrira-t-on dans ces échantillons de poussières cosmiques ? Probablement des traces de vie indéniables, mais aussi peut-être des traces de panspermie microbienne annoncées par Hoyle et Wickramasinghe, et dont nous parlerons au chapitre 16. Ainsi les micrométéorites, l’un des composants mineurs et longtemps sous-estimé de la matière cosmique, pourraient en définitive nous apporter des précisions décisives sur notre passé.

Les pluies de météorites

La fragmentation des météorites durant leur traversée de l'atmosphère n'est pas un événement rare. On peut même dire qu'elle est la règle quand l'objet est assez volumineux, et surtout quand sa configuration structurale (et donc son homogénéité) est de mauvaise qualité. On pense généralement que pour les aérolithes cette fragmentation (qui peut être une désintégration dans le cas de noyaux cométaires et de météorites carbonées) a lieu entre 30 et 10 km d'altitude, zone dans laquelle la pression atmosphérique augmente très rapidement. Pour les sidérites, dont la résistance est nettement supérieure, la fracturation peut être plus tardive et survenir à une altitude inférieure à 10 km. Bien entendu, la fragmentation peut avoir lieu seulement au moment de l'impact, surtout quand la trajectoire intra-atmosphérique est courte.

Quand la fragmentation a lieu dans l'atmosphère, on assiste à une pluie de météorites. Depuis le début du XIXe siècle, nous sommes assez bien renseignés sur ces pluies, du moins pour celles qui ont eu des témoins oculaires, car il ne faut pas perdre de vue que 71 % de la surface terrestre concerne des zones océaniques, et que parmi les 29 % restants, les zones désertiques, glaciaires et forestières sont nombreuses. On peut donc considérer que plus de 4 pluies sur 5 restent ignorées.

Quelques rappels sur les météores

La terminologie acceptée est claire de nos jours. On appelle météorites les corps célestes solides qui atteignent la surface terrestre, quel que soit leur poids, et météores, les phénomènes lumineux produits par ces météorites durant leur passage dans l'atmosphère. On réserve le terme de bolides pour les météores dont l'éclat dépasse celui des grosses planètes.

On connaît des essaims de météores qui sont désignés par le nom de la constellation où se trouve leur radiant, qui est le point d'émanation d'où semblent converger les trajectoires des différents météores issus d'une même région du ciel (figure). Ces essaims de météores (environ 1200 différents sont catalogués) ont une double origine. Certains ont une indéniable relation avec l'orbite de comètes connues ou inconnues et sont considérés comme des produits de la désintégration de ces comètes. D'autres essaims, moins nombreux, ont une relation avec le système des astéroïdes ou avec la matière interplanétaire répandue dans le plan de l'écliptique.

Le tableau 10-2 donne les caractéristiques des essaims de météores principaux ainsi que les comètes et astéroïdes associés, c’est-à-dire les objets parents ou issus d’un progéniteur commun. Pas moins de cinq de ces essaims sont liés au centaure HEPHAISTOS (voir plus loin).

Les astronomes estiment que la Terre balaie en 24 heures environ 100 tonnes de matière cosmique, parmi laquelle 90 tonnes environ (90 %) sous forme de poussière, et seulement une dizaine de tonnes (10 %) de météorites proprement dites, c'est-à-dire des objets d’au moins quelques grammes. Certains jours, ces valeurs peuvent être augmentées très sérieusement et même décuplées, notamment quand la Terre traverse à certaines dates des essaims météoriques plus denses.

Durant ce balayage permanent, les corpuscules qui sont animés de grandes vitesses entrent en contact avec les couches supérieures de l'atmosphère et sont ralentis par le frottement. Comme tout mouvement freiné est automatiquement compensé par un échauffement, celui-ci entraîne l'allumage du météore. Mais cette apparition est toujours très courte, sauf exceptions. Elle ne dure qu'une fraction de seconde pour les plus faibles et peut atteindre quelques secondes (de 3 à 5 en général) pour les météores brillants. En moyenne, pour les météores brillants, l'altitude de l'allumage est de 140 km et celle de l'extinction est de 50 km.

Rappelons enfin quelques chiffres. On a fixé à environ 30 millions le nombre de météores atteignant la magnitude 4 pour toute la Terre et par 24 heures. Pour la magnitude 0, qui est celle des étoiles brillantes comme Véga et Capella, le nombre des météores visibles par période de 24 heures est encore énorme : 400 000. Pour la magnitude -3, c'est-à-dire les bolides, près de 30 000 unités sont théoriquement observables. Mais il est important de rappeler que tous ces météores et bolides sont en fait des corpuscules insignifiants qui ne dépassent pas (sauf exceptions) quelques milligrammes pour les plus faibles et quelques grammes pour les plus lumineux.

Les essaims de météores liés à HEPHAISTOS

Le tableau 10-2, parmi la vingtaine d’essaims retenus, en comporte cinq qui pourraient être de lointains résidus de la désintégration d’un progéniteur unique, l’ancien centaure HEPHAISTOS, à travers quatre fragments encore existants. Nous allons dire quelques mots de ces essaims.

Sagittarides. Cet essaim est associé à Adonis et à son frère jumeau 1995 CS et est divisé en plusieurs essaims secondaires, probablement issus de la dernière séparation de quelques parties périphériques plus fragiles. Dans le cas de ces mini-fragments associés à Adonis, on doit plutôt parler d’un émiettement que de désintégration, émiettement qui se poursuit toujours.

Delta Cancrides. Cet essaim, visible à la mi-janvier, est lié à l’astéroïde cométaire Hephaistos, l’un des deux fragments majeurs (avec Heracles) survivants de la fragmentation du centaure HEPHAISTOS, auquel il donne logiquement son nom.

Bêta Taurides. Cet essaim diurne, lié directement à P/Encke est l’un des composants du fameux Complexe des Taurides, mis en évidence par Fred Whipple au début des années 1950 et popularisé par les astronomes catastrophistes britanniques. Il est observable fin juin début juillet et on lui associe Ogdy.

S Taurides. C’est le deuxième essaim du Complexe des Taurides, visible, lui, fin octobre et début novembre, et associé directement à P/Encke. Il est très diffus, preuve qu’il s’agit d’un essaim ancien et d’importance, vestige de la désintégration d’un gros objet, probablement de taille kilométrique, lié génétiquement à P/Encke, fragment qui a pu conserver une cohésion suffisante pour une survie provisoire.

S Khi Orionides. Cet essaim, visible en décembre, est associé à l’astéroïde cométaire Oljato, le frère jumeau de P/Encke, qui a eu une activité cométaire jusqu’à très récemment, et qui a donc pu injecter sur son orbite une multitude de poussières dont la Terre récupère une partie.

Il est très probable que d’autres essaims mineurs et récents pourront être associés dans l’avenir à quelques objets du tableau 7-2 et à d’autres à découvrir. C’est la preuve que la désintégration d’un objet unique peut déboucher à moyen terme sur une multitude d’essaims météoriques, disséminés tout autour de la sphère céleste par le jeu d’une dispersion inéluctable.

Ce que nous apprennent les météorites et les météores

Les astronomes ont obtenu progressivement de nombreux renseignements des analyses des chutes de météorites et des observations de météores. Nous allons dire quelques mots sur certains de ces résultats particulièrement significatifs.

Des orbites préatmosphériques comparables à celles des NEO

Les orbites préatmosphériques des météorites et des météores ont toujours intéressé les astronomes qui cherchent à les déterminer avec un maximum de précision. Il apparaît que toutes les orbites calculées sont tout à fait compatibles avec ce que l’on sait des orbites de NEO et celles des comètes (figure).

La majorité d’entre elles sont des orbites astéroïdales de sous-type 1, 2 ou 3, ce qui montre bien que les météorites et les météores sont des produits de désintégration d’objets plus gros (vrais astéroïdes et astéroïdes cométaires). De très nombreux météores ne sont pas membres de l’anneau principal des astéroïdes (objets de sous-type 3, rappelons-le), mais ont des orbites nettement plus petites avec a compris entre 1,00 et 1,50 UA (sous-type 1) ou plus rarement avec a compris entre 1,55 et 2,00 UA (sous-type 2). Rien d’étonnant à cela, puisque des milliards de fragments minuscules autonomes circulent dans le Système solaire intérieur, et que plus les demi-grands axes sont faibles, plus les possibilités d’approches à la Terre sont grandes.

La fragmentation est la règle

Les chutes de météorites ont également montré une chose importante : c'est que la fragmentation est la règle, même pour les objets denses. Il semble improbable que les objets ayant une densité inférieure à 3,0, c'est-à-dire tous les essaims, les noyaux cométaires formés de glace, de gaz gelés et de matière météoritique plus ou moins agglomérée, les astéroïdes carbonés (de types C et D), puissent éviter la fracturation et la fragmentation en traversant l'atmosphère. Cela est plutôt rassurant car les pluies de pierres ou la volatilisation complète d'autres objets dans l'atmosphère ont des conséquences moins sérieuses que l'impact d'un objet unique.

La fréquence des collisions d'EGA sur la Terre, notée dans le tableau 6-5, et qui concerne, rappelons-le, des objets entrant dans l'atmosphère, est donc moins inquiétante qu'il peut paraître à certains, surtout en ce qui concerne les petits objets. En règle générale, la fragmentation d'un objet unique produit un ou deux gros morceaux, quelques-uns de taille moyenne et de nombreux petits. Ainsi, un impact concernant un EGA de 300 mètres sur la Terre tous les 3500 ans, sur les parties immergées tous les 5000 ans et sur les parties émergées tous les 12 000 ans ne paraît pas une estimation excessive, au contraire elle paraît bien modeste. Rappelons que parmi les NEA, il y a une bonne proportion (40 % selon les données actuelles) d'objets carbonés et de noyaux cométaires, qui ont une densité inférieure à 3,0 et qui n'ont donc pratiquement aucune chance d'arriver au sol sans fragmentation. On est donc en droit de se demander si les chiffres que nous donnons ne sont pas, en fait, nettement inférieurs à la réalité, et s’il ne faudra pas rapidement envisager une réévaluation.

Par contre, les chutes de météorites sous forme de pluies doivent être très fréquentes. Et c'est bien ce que l'on observe, puisqu'on en connaît de nombreux exemples récents. Dans le cas de pluies météoritiques, il est souvent impossible de savoir avec précision quelle était la masse totale de l'objet original avant son entrée dans l'atmosphère. En effet, on s'est rendu compte qu'une part très importante (qui peut atteindre 95 % et même jusqu'à 99 % dans certains cas extrêmes) de la masse originale est totalement volatilisée et ne touche pas le sol. Cependant, on peut parfois en faire une estimation correcte d'après l'éclat du bolide, si l'on a pu calculer son orbite et donc sa distance réelle au moment de l'observation.

Des traînées persistantes dans l’atmosphère

Il faut insister sur cette constatation : l'existence de traînées persistantes à la suite de la traversée de l'atmosphère de météorites importantes et de météores très brillants. On l'a vu notamment en 1908, en 1947 et en 1972, où les objets concernés atteignaient ou dépassaient les 1000 tonnes, mais aussi lors de bien d'autres circonstances. Tous les observateurs ont constaté que ces traînées se déformaient au fil des minutes, du fait de perturbations atmosphériques, et qu'elles prenaient parfois des formes bizarres. Notamment, la forme du serpent a été notée à maintes reprises (figure).

Rappelons-nous la légende de Typhon et de nombreuses observations consignées dans les chroniques du passé concernant la présence de "serpents" dans le ciel. Il a dû s'agir dans la majorité des cas de traînées persistantes, consécutives à des passages de gros météores à l'intérieur de l'atmosphère terrestre. Les serpents à têtes multiples (c'était notamment le cas de Typhon, le serpent "aux cent têtes") étaient tout simplement des traînées devenues multiples après une fragmentation dans l'atmosphère et une légère dispersion des objets secondaires ainsi produits.

L’impactisme microscopique, véhicule de la vie

On voit avec les quelques remarques ci-dessus tout l'intérêt de ces chutes de météorites et de l'observation des météores. Ils représentent les constituants microscopiques du bombardement terrestre, mais un matériel permanent, de tous les instants, puisqu'il ne se passe pas une seconde sans que la Terre ne capture au moins, au cours de son périple autour du Soleil, quelques centaines de grammes de cette matière interplanétaire inépuisable.

Nous retrouverons les météorites au chapitre 14, qui concerne l'origine cosmique de la vie, car l'on sait aujourd'hui que certaines météorites carbonées contiennent des éléments prébiotiques, comme des acides aminés, et que d'autres qui sont originaires de la planète Mars pourraient receler des traces de vie fossile. Elles pourraient donc être les premières preuves directes que la vie existe, ou a existé, ailleurs que sur notre planète.

Il apparaît que l’impactisme microscopique pourrait avoir eu une influence essentielle dans le passé : il aurait apporté la vie. Alors que l’impactisme macroscopique apporterait la mort, à travers l’extinction de masse et l’impactisme particulaire l’évolution (voir le chapitre 15), l’impactisme microscopique pourrait véhiculer dans tout l’Univers un matériel prébiotique, capable en fonction des contingences locales, de générer la vie, une vie partout différente, toujours renouvelée, mais dont les éléments de base sont les mêmes.

L’étude des météorites montre bien que l’unicité de la vie terrestre ne tient pas. Les acides aminés existent partout, puisque certaines météorites carbonées recueillies en contiennent plusieurs qui n’ont pas réussi à s’imposer sur Terre. La vie terrestre est une vie locale, comme il en existe une, sinon partout tout au moins dans beaucoup d’endroits. C’est obligatoire. Croire l’inverse, c’est de l’anthropocentrisme moyenâgeux.

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