CHAPITRE 11

LES ASTROBLÈMES ET LES TECTITES

 

Une réalité longtemps contestée par les scientifiques

Depuis le début des années 1950, la meilleure des preuves a pu être apportée à cette théorie des impacts d'astéroïdes et de comètes : l'existence de cratères météoritiques fossiles à la surface de la Terre elle-même qui ont reçu l'appellation d'astroblèmes.

Quelques astronomes et géologues plus clairvoyants que les autres se doutaient bien que certains petits cratères, éparpillés à la surface de la Terre entière, étaient d'origine cosmique. Parmi ceux-ci, le fameux Meteor Crater de l'Arizona était connu depuis des temps immémoriaux des habitants de la région, les Indiens Navajos, qui l’avaient incorporé dans leurs légendes en faisant croire aux Blancs que leurs ancêtres avaient été les témoins oculaires de sa formation, ce qui est exclu puisqu'elle remonte à 50 000 ans.

En règle générale, les scientifiques concernés par les problèmes d'impacts terrestres étaient tout à fait hostiles à l'idée même d'impactisme. L'United States Geological Survey (USGS) fera la sourde oreille pendant près de cinquante ans avant d’admettre l’origine cosmique du Meteor Crater. Pour une raison très peu scientifique surtout : accepter l'origine cosmique de quelques cratères, c'était accepter aussi les conséquences annexes qui en découlent et remettre en question certains fondements de la géologie, comme l'exclusivité de l'uniformitarisme qui avait eu tant de mal à s'imposer au XIXe siècle au détriment du catastrophisme.

A partir de 1950, changement de tendance

Les choses ont bien changé depuis, et tout le monde admet maintenant l'explication évidente et de bon sens de ce manque apparent de cratères météoritiques terrestres. Ceux-ci sont des formations éphémères, parce que la Terre est une planète vivante sur laquelle tout se transforme rapidement. Ces cratères sont détruits par une érosion active, comblés par la sédimentation (surtout les formations marines des talus continentaux), profondément modifiés par les actions tectoniques et les impératifs de l'isostasie. Seuls les cratères très récents sont donc aisément décelables.

Sous l'impulsion des géophysiciens et géologues canadiens, puis américains, l'existence de ces astroblèmes en tant que vestiges de collisions cosmiques a pu être démontrée. La découverte du cratère de 3,2 km de diamètre de New Québec au Canada, en 1950, allait être le point de départ d'un vaste programme photographique de recherches sur le territoire canadien qui allait connaître un succès imprévu par son ampleur. Dès 1954, le fantastique astroblème de Manicouagan, au Québec, d'un diamètre de 100 km, était identifié sur des photos aériennes.

Très rapidement, le développement des études concernant les astroblèmes est devenu résolument multidisciplinaire, ce qui a permis d'élargir sensiblement les chances d'identification qui jadis étaient fort minces. Le seul critère ancien sans équivoque était l'existence de fragments de météorites à l'intérieur, ou à proximité immédiate, des cratères. Or, cette présence est l'exception et ne concerne que des petits cratères très récents.

L'espérance de vie des astroblèmes terrestres

Dans les années 1960, les spécialistes sont arrivés à une conclusion un peu étonnante de prime abord, mais qui s'explique en fait fort bien : l'espérance de vie des astroblèmes est très variable selon les régions. Elle est sensiblement plus élevée dans les régions géologiquement stables, notamment sur les boucliers, que dans les régions où la vie géologique est mouvementée.

Ce qu'il faut retenir principalement, c'est qu'un petit cratère de quelques dizaines de mètres est immédiatement gommé de la surface terrestre, ou devient totalement indécelable en quelques centaines d'années. Tous les cratères météoritiques de 1 km ou moins sont des formations quaternaires ou tertiaires. En règle générale, on estime actuellement l'espérance de vie moyenne d'un astroblème terrestre de la façon suivante :

— 1 MA environ pour un cratère de 1 km de diamètre ;

— quelques MA ou dizaines de MA pour un cratère de 1 à 10 km ;

— quelques centaines de MA pour un cratère de plus de 10 km ;

— 1 ou 2 milliards d'années pour un cratère de 100 km ou plus.

La première conclusion importante est qu'il n'existe plus sur Terre aucun astroblème plus ancien que deux milliards d'années. Toutes les formations d'origine cosmique remontant aux deux premiers milliards d'années de la Terre ont disparu définitivement. Il faut noter cependant que certaines formations très anciennes, baptisées astrons, repérées par les satellites d'observation de la Terre à la limite de la visibilité, pourraient être également des marques de cicatrices causées par des objets célestes (figure). On en connaît une trentaine, mais ces astrons sont trop vieux pour être étudiés comme des astroblèmes classiques, toute trace de métamorphisme de choc ayant à jamais disparu.

Il faut aussi savoir que certains astroblèmes de grande taille, relativement jeunes (quelques dizaines de MA seulement), sont quasiment indécelables. C'est le cas surtout de formations partiellement maritimes qui sont envahies par les eaux et comblées par une sédimentation à la fois marine et fluviale. Un grand astroblème, comme celui de Chesapeake Bay sur la côte est des États-unis, large de 90 km et vieux de 35 MA, a été décelé en 1992 seulement.

Formation et identification des cratères météoritiques et des astroblèmes

Deux formations différentes selon la taille de l’impacteur

La formation des cratères d'origine cosmique est fondamentalement différente selon leur taille. Pour les petits cratères de moins de 100 mètres de diamètre, la destruction du sol est mécanique. Ils sont formés par des corps de faible masse, dont la vitesse d'impact n'excède pas 1 ou 2 km/seconde. De nombreux fragments de l'objet initial existent souvent dans les talus de débris rocheux qui entourent ces cratères et à l'intérieur même de ces cratères. L'importance du phénomène est à la mesure de l'énergie dégagée : insignifiante, même à l'échelle régionale.

Il n'en va pas de même pour les cratères de plus de 100 mètres et qui peuvent dépasser 100 km dans certains cas. La destruction est alors explosive et le corps céleste (même s'il s'agit d'une sidérite) est totalement vaporisé au cours de l'impact (figure). C'est ce qui explique que l'on ne retrouve que des débris insignifiants de l'objet initial. En touchant le sol, celui-ci connaît une décélération exponentielle extrêmement rapide, qui s'amortit sous la surface terrestre à une profondeur égale à quelques fois son propre diamètre, et qui provoque des ondes de choc très puissantes. La pression ainsi créée instantanément peut sans doute atteindre, lors de certains impacts importants, celle que l'on doit trouver au centre de la Terre (plus de 10 mégabars).

Cette phase de compression des roches dans la zone atteinte par les effets du choc est suivie de deux autres phénomènes importants : l'écoulement hydrodynamique et la dispersion explosive du matériel comprimé. Un impact sérieux entraîne donc obligatoirement la vaporisation, la fusion, la bréchification, le métamorphisme de choc et la fracturation d'un volume de roches qui peut être assez impressionnant. Il convient d'insister sur le fait que tout se passe très rapidement : en moins d'une minute tout est fini, le temps que le sol revienne à sa pression normale.

Dans les environs du cratère, on trouve des roches fondues, particulièrement des sables de quartz et des verres de silice : les impactites. Celles-ci sont les roches du cratère transformées physiquement et chimiquement par les ondes de choc. Nous en reparlerons quand nous étudierons les tectites.

Depuis le début des années 1960, de nombreux travaux ont été consacrés à la recherche de critères utilisables pour l'identification possible d'impacts, en l'absence de débris météoritiques. Parmi les plus importants et les plus caractéristiques de ces critères d'identification, outre évidemment la forme particulière du cratère et ses rebords saillants, on peut d'abord citer les cônes de pression (les shatter-cones). Il s'agit de déformations coniques couvertes de stries rayonnantes et branchues qui vont de 1 cm à plus de 12 mètres. Elles sont provoquées par l'onde de choc sur les roches et ont leur apex dirigé vers la source de pression. L'avantage c'est que les cônes de pression sont très reconnaissables, et qu'ils n'existent que comme conséquence d'impacts sérieux. Aucun cataclysme terrestre, même très énergétique, n'est capable d'en produire. Il s'agit donc d'un critère significatif.

Dans le domaine géophysique, il faut citer dans le cas de grands cratères, d'importantes anomalies gravimétriques, correspondant au contraste entre le remplissage du cratère par des brèches lors de la retombée des débris après l'explosion et l'environnement non choqué. Certaines anomalies du champ magnétique peuvent être également mises en évidence sur le plan local.

Le métamorphisme de choc

Mais c'est surtout le métamorphisme de choc qui a renouvelé les critères acceptables d'identification des impacts météoritiques. L'existence de très hautes pressions, pouvant dépasser 1000 kbar, et de très fortes températures, pouvant dépasser 5000 °C, entraînent obligatoirement de très nombreuses altérations des matériaux originaux. Les roches soumises à de hautes pressions de choc subissent des déformations microscopiques que l'on peut mettre en évidence. Les spécialistes ont noté des changements de phase à l'état solide, ainsi deux variétés denses de pression du quartz, la coesite (densité 2,93) et la stishovite (densité 4,28) ont été retrouvées dans certains cratères météoritiques ou à leur proximité immédiate. Enfin, les très fortes pressions et températures entraînent une fusion sélective ou complète et une vitrification des minéraux initiaux. Seuls les impacts d'objets cosmiques importants peuvent créer ces pressions et températures extraordinaires et leurs sous-produits. On essaie donc de les mettre en évidence dans les cratères d'impact supposés.

La preuve moderne : les spinelles nickélifères

La preuve imparable de la réalité d’impacts d’astéroïdes et de comètes sur la Terre a été apportée dans les années 1980. Outre l’iridium et les quartz choqués qui sont des marqueurs importants, les spécialistes ont mis en évidence une nouvelle espèce minérale de la famille de la magnétite : les magnétites nickélifères appelées spinelles. Ce sont des minéraux très particuliers dont la formation nécessite la fusion à une température supérieure à 1300 °C d’un matériel cosmique fortement nickelifère dans une atmosphère riche en oxygène. Comme toujours durant la traversée de l’atmosphère à grande vitesse, la surface externe de la météorite s’échauffe et subit la classique ablation aérodynamique. De fines gouttelettes de matière en fusion deviennent provisoirement autonomes et s’oxydent rapidement au contact de l’atmosphère, cristallisant les magnétites nickélifères. Ces agglomérats de cristaux finissent par retomber à la surface terrestre et se mélangent alors aux autres résidus de l’impact.

Les spinelles se présentent sous la forme de pyramides octaédriques pour les monocristaux et sous la forme de motifs cruciformes ou étoilés pour les macles (qui sont des assemblages de plusieurs cristaux). Leur taille est microscopique : de 1 à 50 micromètres en général.

Les chercheurs ont fait cette découverte remarquable : leur composition dépend de la pression d’oxygène, donc de l’altitude à laquelle s’est effectuée l’oxydation. Les spinelles ne se forment donc pas à la surface terrestre et ne peuvent être des minéraux terrestres comme les autres. Leur présence signifie une association avec un impact cosmique, car les spinelles sont des vestiges de la météorite. Partout donc où l’on découvrira des spinelles, on saura qu’il y a eu un cataclysme d’origine cosmique. Ainsi la présence de spinelles dans la fameuse couche K/T a confirmé d’une façon quasi certaine l’hypothèse de l’impact cosmique au détriment de l’hypothèse volcanique concurrente.

Relations entre les impacts d'astéroïdes et les astroblèmes

Une formule très simple permet de se faire une idée assez précise du rapport existant entre les cratères météoritiques et les astéroïdes responsables. Des calculs théoriques ont montré que la formule ½ diamètre = ( 3Ö masse x vitesse2 ) donne une bonne approximation du diamètre d'un cratère météoritique formé comme résultat de l'explosion au point d'impact. L'énergie d'un impact et le diamètre du cratère qui en résulte dépendent donc principalement de la masse de l'astéroïde et de sa vitesse au moment de l'impact. Il faut cependant prendre en considération d'autres données, comme la nature physique de l'objet cosmique et celle du substrat terrestre choqué, si l'on veut faire une analyse plus fine.

Dès les années 1960, les spécialistes sont tombés d'accord, pour admettre comme valeur moyenne, que la part totale revenant à la densité de l'objet cosmique et à sa vitesse dans l'énergie d'un impact est de 2 x 106 joules. Cette part dans l'énergie correspond à un objet de densité 5,0 et à une vitesse d'impact de 20 km/s et aux densités et vitesses suivantes : densité 2,0 et vitesse = 31,6 km/s (cas fréquent pour une comète ou un EGA cométaire type Oljato), densité = 3,0 et vitesse = 25,8 km/s, densité = 4,0 et vitesse = 22,4 km/s, densité = 6,0 et vitesse = 18,3 km/s, densité = 7,0 et vitesse = 16,9 km/s, densité = 8,0 et vitesse = 15,8 km/s (cas pour une sidérite du type Meteor Crater).

On estime, en moyenne, qu'un astéroïde peut créer un cratère d'un diamètre 20 fois supérieur au sien. Dans la réalité, le résultat peut varier d'une manière assez sensible selon la nature de l'objet et celle du substrat choqué, mais il s'agit d'un ordre de grandeur tout à fait acceptable, utilisé par la quasi-totalité des spécialistes.

Ainsi, on se rend compte qu'un cratère de 1 km peut être creusé par un EGA de 50 mètres seulement au moment de l'impact (de densité 5,0 ayant une vitesse de 20 km/s) ou par une sidérite de même diamètre ayant une vitesse de 16 km/s. L'énergie libérée est de 6,6 x 1016 joules, soit l'équivalent d'un séisme de magnitude 7,8. Si la fragmentation ne réduisait pas dans une proportion importante le nombre d'impacts d'EGA de cette catégorie de diamètre, les cratères météoritiques terrestres de quelques centaines de mètres seraient fort nombreux, en dépit de leur très faible espérance de vie.

Un cratère de 10 km est creusé par un EGA de 500 mètres, libérant une énergie de 6,6 x 1019 joules. L'équivalence entre les plus énergétiques des cataclysmes purement terrestres et un impact d'EGA se fait à environ 1020 joules pour un EGA de 600 mètres de diamètre moyen. On remarque donc que la formation d'un cratère météoritique de 12 km est comparable à ces très grands cataclysmes, mais aussi que la formation d'un cratère plus petit (même de 10 km de diamètre) libère une énergie inférieure à celle d'un grand cataclysme terrestre.

Par contre, tout cratère météoritique de plus de 12 km de diamètre est la trace d'une catastrophe (sur le plan énergétique) de plus grande envergure que celles que l'on a répertoriées à l'époque historique. Un cratère de 20 km, limite inférieure de ce que l'on considère comme un "grand" cratère, est creusé par un EGA de 1 km, diamètre déjà important pour un astéroïde qui frôle la Terre. L'énergie libérée est de 5,2 x 1020 joules. Les grands astroblèmes de 100 km de diamètre et plus ont été formés par des objets de 5,0 km et plus.

Les petits cratères météoritiques terrestres certains

Plusieurs catalogues de cratères météoritiques (formations récentes) et d'astroblèmes (formations fossiles) ont été publiés depuis quarante ans, toujours plus complets évidemment, toujours plus précis en ce qui concerne l'âge des diverses formations.

On connaît seize petits cratères (ou groupes de cratères associés) certains, aux environs ou à l'intérieur desquels on a retrouvé des débris de météorites. Ils sont répertoriés dans le tableau 11-1. Ce tableau indique successivement, pour les cratères classés par ordre de latitudes décroissantes : le nom du cratère avec la région et le pays concernés, ses coordonnées géographiques, son diamètre en mètres ou le diamètre du cratère le plus important en cas de cratères multiples, éventuellement le nombre total de cratères du site et l'âge approximatif en milliers d'années.

Tous ces cratères (sauf un) ont moins de 60 000 ans et sont donc très récents. Ils ont été formés par des EGA de très petites dimensions, de l'ordre de 60 mètres pour la sidérite qui creusa le Meteor Crater et inférieurs à 10 mètre de diamètre (pour un objet sphérique) pour les cratères de moins de 200 mètres de diamètre. On peut noter qu'un cratère sur deux est double ou multiple, ce qui confirme que la fragmentation dans les couches denses de l'atmosphère est tout à fait courante pour les petits objets cosmiques.

Il est certain que d'autres petits cratères ont été formés sur la Terre depuis 20 000 ans, peut-être une centaine. Quelques-uns restent probablement à découvrir et à identifier (par la présence de météorites associées), mais la plupart sont indécelables depuis longtemps.

Les astroblèmes principaux probables

Le tableau 11-2 répertorie les 39 astroblèmes quasi certains actuellement recensés d'un diamètre de 20 km ou plus, c'est-à-dire qui ont été formés par des EGA de 1 km de diamètre au minimum. Ce tableau indique successivement, pour les cratères classés par ordre de latitudes décroissantes : le nom du cratère avec la région et le pays concernés, ses coordonnées géographiques, son diamètre (initial) en km et son âge en millions d'années.

Ce tableau des grands astroblèmes appelle un certain nombre de commentaires. D'abord, la répartition géographique montre une inégalité très nette entre les deux hémisphères, mais aussi entre les différentes régions. Sur les 39 cratères, 31 sont situés entre 76° et 31° de latitude nord et seulement 7 entre 15° et 32° de latitude sud. Le Canada se taille la part du lion avec 12 astroblèmes, suivi de l'ex-URSS avec 10 astroblèmes. Même si le Canada se trouve un peu avantagé par rapport à d'autres grandes régions, du fait de l'existence de son bouclier, qui est une région géologiquement très stable, il n'en demeure pas moins que le magistral travail de recherche et d'étude des spécialistes canadiens depuis 1950 permet de faire la différence quand on regarde les statistiques. D'immenses territoires comme l'Inde, la Chine, l'Amérique du Sud, l'Afrique doivent aussi receler leur part d'astroblèmes. Malheureusement, ils n'ont pas encore été étudiés avec le même soin que l'Amérique du Nord ou l'ex-URSS.

Au niveau des âges, on trouve un très large éventail, de 2 milliards d'années pour les plus anciens (Sudbury et Vredefort) à 3,5 MA seulement pour l'astroblème sibérien de Elgygytgyn qui a 23 km de diamètre et qui est parfaitement repérable de l'espace. Plusieurs grands astroblèmes ont moins de 100 MA, notamment le cratère de Chicxulub, dont nous aurons à reparler dans d'autres chapitres, et qui est daté de 65 MA, en liaison avec la fin de l'ère secondaire.

On ne retient pas moins de six astroblèmes quasi certains ayant eu un diamètre initial de 100 km ou plus. Ce sont par ordre décroissant : Chicxulub (Mexique) avec 180 km, Acraman (Australie) avec 160 km, Sudbury (Canada) et Vredefort (Afrique du Sud) avec 140 km et Popigai (Sibérie) et Manicouagan (Canada) avec 100 km.

Signalons également l'existence de deux paires de grands cratères formés en même temps, suite à une fragmentation tardive de l'objet cosmique responsable : une en Russie, Kara (65 km) et Ust-Kara (25 km) et l'autre au Québec, les Clearwater lakes (appelés east et west) d'un diamètre de 32 et 22 km. Ces deux cas de cratères doubles montrent que la fragmentation est peut-être plus difficile pour les grands cratères que pour les petits, mais qu'elle n'est nullement impossible. On pense aussi que plusieurs fragments d'un astéroïde peuvent participer à la formation d'un même cratère, si la fragmentation s'est effectuée à basse altitude.

Le XXIe siècle devrait être décisif pour l'identification définitive de nombreuses autres structures d'origine cosmique, notamment dans un premier temps par le repérage de formations totalement invisibles du sol, mais plus ou moins repérables à partir des satellites qui observent la Terre. L'étude sur le terrain pose d'autres problèmes, certains pays n'étant pas partisans que des spécialistes étrangers viennent étudier de trop près leurs possibles astroblèmes.

De nombreux autres astroblèmes plus petits (entre 2 et 20 km) sont connus. Le nombre total d'astroblèmes quasi certains, de l'ordre actuellement de 150, augmente chaque année.

Les astroblèmes de moins de 40 millions d'années

Le nombre d'astroblèmes de moins de 40 MA augmente continuellement. Le tableau 11-3 répertorie 36 cratères certains et possibles (c'est-à-dire non encore retenus définitivement car le doute subsiste à leur sujet). Ce sont donc des formations des ères tertiaire et quaternaire. On peut donc les qualifier de récentes à l'échelle géologique, puisque toutes ont moins de 1/100 de l'âge de la Terre. Le tableau 11-3 donne les mêmes indications que le tableau 11-2, mais dans l'ordre chronologique.

A l'examen de ce tableau des astroblèmes récents (à l'échelle géologique), on se rend compte que la Terre a subi quelques gros impacts depuis moins de 40 MA, même si certains d'entre eux sont contestés pour diverses raisons. Dans l'ordre de la liste, on voit que trois cratères importants sont recensés à –35 MA : le golfe du Saint-Laurent (contesté mais fort possible), Chesapeake Bay, un remarquable astroblème de 90 km de diamètre, très difficile à repérer, mais bien réel (c'est la preuve que certains astroblèmes de grande taille sont eux aussi gommés rapidement par la sédimentation) et Popigai, l'astroblème sibérien de 100 km, creusé par un astéroïde de 5 km de diamètre.

On peut aussi citer les cratères allemands du Nördlinger Ries, de Steinheim et de Stopfenheim Kuppel qui forment un triplet, c'est-à-dire un ensemble de trois cratères liés génétiquement. Ces trois formations de 24 km, 3,5 et 8 km respectivement de diamètre sont voisines et alignées. Cet alignement indique presque obligatoirement une origine commune, hypothèse qui est totalement confirmée par le fait que les trois cratères ont un âge identique : 15 MA. Ils ont été creusés par les fragments d'un EGA morcelé en traversant l'atmosphère, phénomène quand même moins fréquent pour les gros objets que pour les petits, puisque les cratères doubles (ou triples) de bonne taille sont relativement rares.

Vers –3,5 MA, c'est l'astroblème sibérien de Elgygytgyn, dont nous avons déjà parlé plus haut, qui fut formé par un EGA de plus de 1 km de diamètre. Son diamètre est de 23 km, ce qui est déjà important pour un astroblème. C'est le premier gros impact dont furent témoins les premiers Homo ou leurs prédécesseurs immédiats, comme nous le verrons au chapitre 15. On se doute de l'effroi des témoins rescapés devant un cataclysme de cette ampleur.

Dernier très grand cataclysme, celui qui a créé l'astroblème de Wilkes Land, il y a 700 000 ans. Nous reparlons plus loin de cette formation, génitrice de la très importante famille de tectites connue sous le nom générique des australasites.

Enfin, le tableau 11-3 recense deux cratères très récents, celui de Sithylemenkat en Alaska, vieux de 12 000 ans et d'un diamètre de 12 km, et celui de Köfels en Autriche, vieux de 8500 ans seulement et d'un diamètre de 5 km. Ces deux formations, quasi contemporaines, sont très contestées mais en fait elles sont probables. Nous en parlerons au chapitre 19, car elles font partie de l'histoire cosmique des hommes que nous analysons en détail. De nombreux indices postulent en leur faveur.

Ce tableau, obtenu seulement après un demi-siècle de recherches, est assez éloquent pour plusieurs raisons. D'abord, il est certain qu'il est bien incomplet et qu'il devra être mis à jour régulièrement. La distribution par hémisphères, 29 pour l'hémisphère nord et 7 seulement pour l'hémisphère sud, montre bien qu'il y a du pain sur la planche pour les spécialistes au niveau de la détection. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que les EGA cométaires et de nombreux EGA planétaires qui pénètrent dans l'atmosphère terrestre ne participent pas à la cratérisation, du fait de leur désintégration avant de toucher le sol.

Enfin, on sait que la Terre est une planète essentiellement océanique, puisque 71 % de sa surface concernent des océans et des mers, et il est bien évident que 7 impacts sur 10 ont lieu dans des régions immergées. On peut d'ailleurs, semble-t-il, espérer pouvoir identifier dans l'avenir quelques formations marines avec les moyens modernes d'investigation.

Pour toutes ces raisons, les statistiques actuelles sur les astroblèmes récents sont loin de refléter la fréquence exacte des collisions entre les corps d'origine cosmique et notre planète. La conclusion est claire : l'impactisme terrestre existe encore de nos jours à l'échelle astronomique et géologique, même si ses effets sont moins sensibles à l'échelle humaine. Ses conséquences ont toujours été très importantes comme nous le verrons en détail dans plusieurs chapitres ultérieurs. La Terre, la vie, l'évolution des espèces, l'histoire des hommes ont été tributaires des cataclysmes cosmiques.

Les tectites et les impactites

Les tectites, un mystère définitivement élucidé

Les tectites (du grec tectos, qui signifie fondu) sont des petites pierres vitreuses qui ressemblent aux obsidiennes (verres naturels formés lors de certaines éruptions volcaniques), mais qui diffèrent de toutes les laves terrestres par leur composition chimique. Ces tectites ont longtemps constitué un mystère pour les astronomes et les spécialistes des météorites.

La première allusion les concernant dans la littérature scientifique remonte à 1787. Elles étaient alors considérées comme une catégorie de verres volcaniques et parentes lointaines des obsidiennes. Les tectites furent étudiées en 1844 par Charles Darwin (1809-1882) qui pensait être en présence de bombes volcaniques. Leur nom fut donné en 1900 par le géologue autrichien Eduard Suess (1831-1914) qui voyait en elles des météorites vitrifiées.

De nombreuses autres hypothèses ont été envisagées pour expliquer l'origine des tectites : objets vitreux d'origine humaine, résidus d'une planète du Système solaire ou d'une comète, fulgurites (sables fondus sous l'effet de la foudre), fragments du sol lunaire projetés sur la Terre lors de l'impact d'astéroïdes ou de comètes sur notre satellite, ou même restes de laves projetées vers la Terre par l'activité volcanique lunaire. Cette dernière hypothèse a eu quelques partisans jusqu'à la fin des années 1970, mais elle ne résiste pas à l'analyse, puisqu'elle sous-tend que la Lune est encore un astre géologiquement actif, ce que les différentes missions Apollo ont formellement démenti.

La seule hypothèse qui résiste à un examen poussé, et qui est aujourd'hui universellement retenue, est d'ailleurs de loin la plus simple et la plus logique : les tectites sont des fragments de roches sédimentaires terrestres, arrachés du sol lors d'importants impacts météoritiques, fondus sous l'effet du choc et figés sous leur forme vitreuse à la suite du refroidissement brutal qu'ils subissent pendant leur trajet dans l'atmosphère, entre le cratère d'impact dont ils sont issus et leur site définitif.

Certains spécialistes modernes ont tendance à associer dans un groupe unique les impactites et les tectites. C'est une erreur et il est nécessaire d'examiner ce qui les différencie.

Mécanisme de formation des impactites et des tectites

On a reconstitué de la manière suivante la formation des impactites et des tectites. Sous l'action de la violente onde de choc provoquée par l'impact, les roches du substrat choqué subissent diverses transformations. Un certain volume de roches est vaporisé, un autre fondu (à plus de 2500 °C), un autre pulvérisé, un autre enfin seulement brisé et concassé.

Tout ce matériel est projeté dans l'atmosphère à des altitudes différentes, de quelques centaines de mètres à plusieurs centaines de kilomètres. Le matériel solide et une partie du matériel fondu retombent dans le cratère ou à sa proximité immédiate, pour former les impactites qui ont souvent des formes tourmentées et très irrégulières. Ces impactites sont donc des fragments minuscules (quelques grammes ou dizaines de grammes) des roches préexistantes du substrat choqué, mais transformées physiquement et chimiquement par le métamorphisme de choc. Ces transformations sont maximales là où les pressions et les températures sont les plus élevées. Les transformations sont moins sensibles pour les zones périphériques du substrat choqué, là où les pressions et les températures sont inférieures.

Mais durant la projection des roches du cratère, tout le matériel ne retombe pas à proximité immédiate de ce cratère. Les gaz et la matière vaporisée montent davantage dans l'atmosphère, jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres, en compagnie d'une partie du matériel fondu. Celui-ci retombe sur Terre dans des sites plus ou moins éloignés selon la violence de l'éjection, mais toujours de quelques centaines de kilomètres au moins de leur point de départ, c'est-à-dire du cratère parent, pour former ce que l'on appelle les tectites au sens strict. Les tectites sont donc toujours séparées du cratère dont elles sont issues, et elles ont subi ce que l'on appelle l'ablation aérodynamique durant leur traversée de l'atmosphère. Le résultat est que les vraies tectites sont toutes des objets de forme régulière : disques, objets en forme de poires, de larmes et d'haltères, évoquant les gouttes d'un liquide visqueux figées brutalement.

On a découvert également des microtectites (diamètre inférieur à 1 mm), lors de carottages océaniques en eau profonde. Cette découverte a permis d'élargir considérablement les sites de tectites, qui sont en réalité beaucoup plus vastes que ce qu'on imaginait jusqu'alors. Il faut savoir que les EGA tombent sur Terre avec un angle incident qui peut être considérable et que, par conséquent, l'éjection des roches du cratère se fait avec une trajectoire oblique. La distribution géographique des tectites et des microtectites, plus ou moins en éventail, permet de repérer le cratère parent ou du moins la région où il devrait se trouver.

En conclusion, il faut retenir ce fait très important : l'existence même des tectites est la preuve de la réalité de l'impactisme terrestre. Pour chaque famille de tectites, il y a (ou il y a eu) obligatoirement un cratère parent. La formation de tectites nécessite un cratère parent d'au moins 10 km de diamètre, alors que la formation d'impactites ne nécessite qu'un cratère et une énergie libérée beaucoup plus modestes.

Par contre, il faut signaler que plusieurs grands cratères d'impact récents n'ont apparemment pas engendré de tectites. Il y a là un problème non résolu. On a notamment essayé d'associer, mais sans succès, un des champs de tectites connus à l'astroblème géant de Popigai qui date de 35 ± 5 MA. La cratérisation a été extraordinairement énergétique (7 x 1022 joules) et la masse de produits éjectés tout à fait considérable, mais rien n'a été encore retrouvé qui puisse correspondre à ces débris. Au point même que certains spécialistes croient qu'une grosse partie de ceux-ci ont été provisoirement satellisés ou ont même échappé à l'attraction terrestre. C’est ainsi que des météorites terrestres existent peut-être sur Mars, Vénus ou Mercure.

Les familles de tectites et les astroblèmes associés

On connaît depuis longtemps quatre grands groupes de tectites (figure) et on a songé, dès que possible, à les associer à des cratères parents. Cette liaison génétique a pu être établie dans les années 1960 pour deux des quatre groupes. Un cinquième groupe a été plus récemment rattaché à l’astroblème de Chicxulub, mais il ne concerne pratiquement que des microtectites.

Les tectites de Côte-d'Ivoire, connues sous le nom d'ivoirites, ont le même âge que le lac-cratère de Bosumtwi au Ghana, soit 1,0 ± 0,1 MA. Les tectites d'Europe centrale, connues sous le nom de moldavites, ont exactement le même âge que le cratère allemand de Nördlinger Ries, soit 15,0 ± 0,5 MA. La parenté pour ces deux familles ne fait pas de doute.

Pour les deux autres champs de tectites, les choses sont plus difficiles à établir, comme nous allons l'expliquer dans les deux sections suivantes, mais il semble que le cas des tectites américaines, connues sous le nom de bédiasites et de georgites, ait été résolu récemment. Pour les australasites, les tectites les plus récentes, et qui datent de seulement 700 000 ans, pratiquement tout reste à faire, et comme nous le verrons, la réalité s'annonce extraordinaire, à tel point qu'elle entraîne un nouveau verrou psychologique, comme ce fut déjà le cas pour les météorites et les astroblèmes, et qu’elle retarde les recherches elles-mêmes.

Le tableau 11-4 regroupe les données sur les tectites : familles et sous-familles, localisations, âges approximatifs, astroblèmes associés ou soupçonnés et diamètre des EGA responsables.

Avant d'étudier les deux dernières familles de tectites, il faut revenir un instant sur cette énigme qui étonne astronomes et géologues : pourquoi n'y a-t-il que quatre grandes familles de tectites, alors que les astroblèmes existent par centaines, même si seulement 150 environ sont actuellement recensés de façon certaine ? Le problème présente deux aspects : quel est l'âge maximal possible de survie des tectites ?, et quelle est l'énergie minimale nécessaire au moment de l'impact pour qu'il y ait effectivement formation de tectites ?

L'impact dont résultent les tectites de Côte-d'Ivoire semble avoir été assez anodin (EGA de 500 mètres de diamètre) et correspond pratiquement au minimum dont nous avons parlé : cratère parent de 10 km et énergie libérée de l'ordre de 7 x 1019 joules. Donc, théoriquement, tous les astroblèmes de plus de 10 km ont été capables d'engendrer des tectites. Théoriquement seulement, car un cratère récent (1,1 MA), celui de Zhamanshin en ex-URSS, n'a, lui, été capable que d'engendrer des impactites (les irgizites).

D'autre part, on sait que les tectites les plus anciennes (les haïtites) ont 65 MA. On peut penser que les tectites ne se conservent pas au-delà, et il n'y a sans doute rien d'anormal à ce que l'on n'en ait pas découvert de plus anciennes. Il est probable que la multiplication des carottages en eau océanique profonde permettra de découvrir des microtectites anciennes, liées génétiquement à d'autres familles que celles recensées à l'heure actuelle. N'oublions pas enfin que plusieurs cratères récents ont des positions excentrées, dans des régions difficiles d'accès et peu peuplées. Il n'est donc pas tout à fait exclu que l'on retrouve un jour des tectites encore inconnues dans ces régions déshéritées ou dans les océans.

Trois cratères parents pour les tectites d'Amérique du Nord ?

Pour bien comprendre la difficulté qu'il y a eu pendant longtemps d'apporter la preuve d'une liaison génétique entre les tectites d'Amérique du Nord et un cratère parent, rappelons ce que nous disions à ce sujet en 1982 :

« La parenté est franchement délicate à établir pour les tectites d'Amérique du Nord qui sont les plus anciennes connues (35 ± 1 millions d'années). Plusieurs essais ont été tentés pour faire de l'astroblème de Popigai le cratère parent, mais tous ont échoué. Ni l'âge (5 millions d'années d'écart), ni la composition chimique, ni surtout la distribution géographique de ces tectites ne correspondent et il faut se faire une raison : il n'y a pas de liaison génétique entre les tectites d'Amérique du Nord et Popigai. Depuis la fin des années 1950, plusieurs auteurs ont pensé résoudre le problème en attribuant à la partie sud du golfe du Saint-Laurent, qui a une forme sensiblement circulaire, le rôle de cratère d'impact. Cette formation canadienne est pratiquement la seule possible par sa taille (290 km de diamètre) et surtout par ses coordonnées pour expliquer la distribution géographique de ces tectites et microtectites qui existent dans le Maine, au Texas, en Floride, à Cuba et dans la mer des Caraïbes. En fait, le champ de ce groupe vient d'être considérablement augmenté par la découverte de microtectites associées dans plusieurs sites du Pacifique et même dans l'océan Indien. Il a pu concerner la moitié de la surface terrestre et près de 1000 milliards de tonnes de microtectites ont dû être réparties dans cette surface tout à fait considérable. Bien que l'hypothèse du golfe du Saint-Laurent soit toujours contestée, elle reste très plausible. Le cratère a totalement été oblitéré par l'âge et par la sédimentation très importante dans cette région et il ne peut être étudié comme un astroblème classique. Ce qui crée, évidemment, pour le moment, de sérieuses difficultés pour prouver qu'il s'agit bien d'une formation d'origine cosmique. Mais ne l'oublions pas : il y a eu obligatoirement un cratère géant pour engendrer cette masse énorme de microtectites et le golfe du Saint-Laurent est le mieux placé pour avoir été celui-là. » 1

Les choses se sont à la fois éclaircies et compliquées depuis la rédaction de ce texte. Éclaircies, parce que l'on vient de découvrir un cratère qui peut fort bien convenir comme cratère parent : celui de Chesapeake Bay, et compliquées parce que ce sont aujourd’hui quatre grands cratères qui ont une ancienneté soupçonnée de 35 MA. Voyons ce problème de cratérisation multiple.

La découverte du grand cratère de Chesapeake Bay (90 km), doublée du cratère océanique de Tom’s Canyon (20 km), laisse à penser que le problème des tectites américaines est résolu (figure). Mais celui du golfe du Saint-Laurent reste entier et l’origine cosmique plausible, et même probable selon quelques sondages dans le secteur. Le fait que ces deux grands cratères ne soient pas décelables selon les critères habituels ne doit pas surprendre. Tous les astroblèmes maritimes et côtiers, on l’a bien compris avec Chicxulub, doivent être traités en prenant en compte un autre agent, extrêmement efficace à long terme, qu’est la sédimentation, qui cache le substrat choqué en très peu de temps (quelques milliers d’années seulement).

Le problème s’est encore compliqué du fait que l’astroblème de Popigai, jadis daté à 30 MA, a été vieilli et est daté maintenant de 35 ± 5 MA. L’âge médian est le même que les trois autres cratères certains ou soupçonnés. Nous sommes donc en présence de quatre cratères, dont trois très grands (d > 80 km) creusés par des objets célestes d’au moins 4 km chacun (et même beaucoup plus pour celui du golfe du Saint-Laurent), pour la frontière Éocène-Oligocène. Popigai est-il vraiment contemporain des trois autres ? Sa position géographique et la composition du substrat choqué avaient déjà parues rédhibitoires pour une parenté avec les tectites d’Amérique du Nord, comme le rappelle l’extrait rappelé plus haut. Mais par contre on s’étonnait, à juste titre, que Popigai n’ait pas produit sa propre famille de tectites.

Il faudra attendre pour résoudre cet irritant problème. Maintenant il y a trop-plein d’astroblèmes pour expliquer l’existence des bédiasites et des georgites et la multitude de microtectites associées qu’on a trouvées dans l’Atlantique, mais aussi dans le Pacifique et l’océan Indien.

Le problème des tectites d'Australasie

Les australasites sont le nom générique de la principale famille de tectites qui regroupe plusieurs sous-familles : les indomalaysianites, les indochinites, les philippinites et les australites, représentant à elles toutes près de trois millions de spécimens. Leur dispersion géographique laissait croire, avant les possibilités de datation précise, que ces variétés régionales n'avaient rien en commun et correspondaient à des sources différentes, d'âge différent. En fait, il n'en est rien, les datations modernes ont montré sans ambiguïté que toutes ces tectites ont le même âge et qu'elles ont été engendrées par un cataclysme unique (mais peut-être un objet morcelé au moment de l'impact) d'une puissance fantastique.

Les tectites et les microtectites d'Australasie sont très probablement liées à un événement d'origine cosmique de première importance en ce qui concerne la Terre. Il n'est pas exclu que cet événement, vieux d'environ 700 000 ans, soit même le plus important de l'ère quaternaire, puisqu'il est lié à la dernière inversion totale du champ magnétique terrestre.

Comme toujours, quand il y a un cataclysme mystérieux comme celui-là, les savants des différentes disciplines sont extrêmement divisés, à la fois sur l'origine, les preuves terrestres et les conséquences de l'impact. Cela n'a jamais été si vrai que dans le cataclysme qui nous occupe ici. La seule preuve irréfutable est l'existence des tectites. Qui dit tectites dit obligatoirement impact, et dans le cas présent, impact majeur du fait de la dispersion géographique très importante des résidus. Jusque-là, tout le monde peut s'accorder. Mais le premier sujet (très profond) de discorde concerne le cratère parent : où est-il ? Il est à la fois très récent, puisque d'un âge équivalent à celui des tectites, soit 700 000 ans, et inconnu.

En 1976, le géologue américain John Weihaupt proposa une hypothèse séduisante, et apparemment très solidement étayée : le cratère existerait sous les glaces de l'Antarctique, dans la région de Wilkes Land, déjà soupçonnée d'ailleurs dès la fin des années 1950 à la suite de deux expéditions travaillant séparément, l'une française et l'autre américaine. En effet, la distribution des tectites d'Australasie laissait supposer une origine antarctique probable. Le cratère fantôme, connu maintenant sous le nom de Wilkes Land, serait en fait un cratère géant de 240 km de diamètre et d'environ 850 mètres de profondeur et serait situé dans une zone montagneuse haute de 2300 à 2600 mètres au-dessus du niveau de la mer. Sa position serait centrée sur 71°30'S et 140°00'E, autant dire dans une région difficilement accessible, mais par contre particulièrement intéressante puisqu'elle présente un assemblage inhabituel d'anomalies géologiques et géophysiques. C'est surtout une analyse poussée des anomalies gravimétriques très importantes dans cette région qui aurait permis a Weihaupt d'obtenir la confirmation de l'existence du cratère parent des australasites, mais également une vingtaine d'autres raisons plus ou moins convaincantes.

Plutôt moins que plus, semble-t-il, car les résultats de Weihaupt ont été très sérieusement critiqués, et aujourd'hui de nombreux géologues et géophysiciens ne veulent pas entendre parler de cratère antarctique. Ils n'aiment pas les cratères fantômes et refusent d'y croire. Pourtant seul un cratère situé dans la région de Wilkes Land peut expliquer la distribution des australasites, et il n'y a aucune raison pour que ce continent de glace soit épargné. Le diamètre retenu par Weihaupt, 240 km, paraît colossal à première vue, et il est peut-être un peu exagéré, même s'il correspond aux anomalies gravimétriques signalées plus haut. Car pour creuser un cratère d'un tel diamètre, celui de l'EGA responsable aurait dû être de l'ordre de 12 km, la masse voisine de 4,5 x 1012 tonnes et l'énergie cinétique de la collision de l'ordre de 9 x 1023 joules, si l'on s'en tient aux valeurs moyennes en ce qui concerne la densité de l'objet et la vitesse d'impact. Seuls trois NEA actuellement connus dépassent ce diamètre de 12 km (Ganymed, Eros et Don Quixote), aucun d'eux n'étant actuellement de type Apollo et susceptible donc de croiser l'orbite terrestre. Mais d'un autre côté, il ne faut pas oublier que la zone de distribution en éventail des australasites (tectites et microtectites) est de l'ordre de 10 000 x 6000 km, ce qui est considérable et montre bien l'extrême violence de l'impact.

Les adversaires de l'option antarctique pour le cratère parent sont restés quasiment sans voix jusqu'à présent, en dehors de leurs critiques. Comme il leur faut trouver un cratère de rechange, un petit cratère à la frontière du Laos a été proposé, mais il n'explique pas, loin s’en faut, la totalité de la distribution géographique des australasites, notamment des australites qui n’ont strictement rien à voir avec un impact laotien. Le fond du problème est bien là : il est impératif d’expliquer le pourquoi de la distribution de toutes les sous-familles.

Tout reste à faire pratiquement concernant le problème crucial des australasites, et il faudra bien que la communauté scientifique finisse par s’y intéresser, même si le problème est difficile. Cet événement majeur de l'histoire terrestre récente, qui s'est produit il y a seulement 700 000 ans, a eu des conséquences très importantes, et à ce titre nous aurons à en reparler.

 

1. M-A. Combes, La Terre bombardée (France-Empire, 1982), p. 150-151.

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