CHAPITRE 14

L'ORIGINE COSMIQUE DE LA VIE

 

La vie : du plus simple au plus complexe

L'organisation de la matière est intimement liée à l'histoire de l'Univers. A partir d'un chaos complet, lié au phénomène du Big Bang, cette matière a très progressivement pris forme, du plus simple au plus complexe, irréversiblement. De la particule élémentaire aux molécules les plus sophistiquées, à travers "les laboratoires cosmiques de la vie" des astrophysiciens, et à l'aide des quatre forces fondamentales qui ont permis l'association de ces particules, tout cela dans un laps de temps d'une quinzaine de milliards d'années, indispensable pour arriver à la complexité que nous observons aujourd'hui, y compris et surtout celle de la vie, telle que définie par Hubert Reeves :

« Aujourd'hui, à la lumière de nos connaissances scientifiques, on est tenté de redéfinir la vie comme cette tendance mystérieuse et universelle de la matière à s'associer, à s'organiser, à se complexifier. Les vies animales et végétales en sont à notre connaissance les phases les plus évoluées. Leur présence est tributaire des phases antérieures, nucléaires, atomiques, moléculaires. Cette tendance à s'organiser existe dès le début de l'univers. Elle s'exprime par ces "forces" qui s'exercent entre toutes les particules élémentaires. » 1

A cette définition de la vie par un astrophysicien, on peut ajouter celle des biologistes qui est d'une précision et d'une concision remarquables : « Est vivante toute structure capable de s'organiser, d'assimiler et de transformer des éléments simples en macromolécules complexes, et capable de se reproduire à l'identique à elle-même. »

Il paraît évident aujourd'hui que la vie est un phénomène général, universel, inéluctable, obligatoire, et même que l'Univers est fait pour la vie puisque les constantes de la nature semblent avoir les valeurs juste nécessaires pour permettre la vie en général, et l'intelligence qui est la nôtre en particulier. Les physiciens ont compris qu’un changement minime dans l'une de ces constantes de la nature aurait eu des conséquences inimaginables et que la vie aurait pu ne pas être en mesure d'apparaître, celle que nous connaissons étant en tout cas totalement exclue.

Mais la vie terrestre existe et, tout le monde (sauf les créationnistes) l'admet, elle a été le résultat d'un très long processus évolutif. Comment cette vie est-elle apparue ? La question reste posée : origine locale ou exogène ? La réponse, on le sait aujourd'hui, peut être double : la Terre peut avoir fabriqué sa propre vie et aussi bien avoir accueilli une vie externe formée ailleurs. Les deux peuvent fort bien cohabiter et s'être associées dès le début pour accélérer un processus dont le démarrage semble quand même avoir été assez laborieux, du fait surtout des conditions environnementales (la fameuse guerre des mondes) très défavorables à une émergence sereine. On croit que la vie a dû s'y reprendre à plusieurs fois avant de s'imposer irrémédiablement sur notre planète.

La vie : un phénomène général dans l'Univers

Le problème de l'origine et de l'évolution de la vie a toujours passionné les savants. D'énormes progrès ont été réalisés depuis un siècle, sans que les détails ultimes soient résolus d'une manière définitive pour autant. Le seront-ils un jour d'ailleurs ? Il est déjà fort remarquable que l'on puisse débattre sur des événements qui remontent à des milliards d'années, alors que d'autres beaucoup plus récents nous resteront à jamais totalement indéchiffrables.

Plus personne pratiquement ne conteste la réalité d'une vie extraterrestre, les astrophysiciens et les exobiologistes ayant prouvé par la découverte de nombreuses molécules interstellaires que les "briques" nécessaires à la vie existent partout dans l'Univers.

Les étapes du Big Bang à la vie

Dans son livre Les origines cosmiques de la vie, Armand Delsemme explique en détail les diverses tribulations de la matière à partir du Big Bang, et il montre que la vie est une quasi-obligation résultant d'une complexification de la matière et de l'interférence de détours plus ou moins aléatoires. Le tableau 14-1 résume le travail de Delsemme. La vingtaine d'étapes, bien que d'importance et de durée inégale, semblent conduire inéluctablement à la vie. Delsemme note, en effet, que chacune des étapes vers la vie a toujours choisi le chemin le plus facile et celui qui avait le plus de chance de mener au succès. Il a écrit à ce sujet :

« Chaque étape vers la vie a toujours choisi le chemin le plus facile et celui qui avait la probabilité la plus grande de se réaliser. Par exemple, les premières molécules prébiotiques, comme l'eau, l'acide cyanhydrique et le formaldéhyde, se sont formées partout dans l'espace interstellaire, au départ des atomes les plus abondants fabriqués au cœur des étoiles. » 2

Le tableau de Delsemme explique d'une façon synthétique les conditions initiales, les processus cosmiques mis en œuvre et les "bifurcations" nécessaires qui s'enchaînent pour déboucher sur une complexification de la matière à partir du Big Bang. On estime que les neuf premières étapes ont demandé 300 000 ans seulement, ce qui est tout à fait insignifiant à l'échelle de l'Univers. On voit qu'il faut attendre la dixième étape pour la formation des galaxies et celle des amas de galaxies, et la onzième pour la formation des étoiles qui est postérieure pour les astrophysiciens.

Dès la phase "étoiles", durant les étapes 12, 13 et 14, il est certain que l'ensemencement de l'espace interstellaire put commencer, à travers deux mécanismes qui ont encore cours aujourd'hui : un processus explosif (novae et supernovae) et un vent stellaire quasi permanent. Les étoiles massives permirent un ensemencement en atomes lourds du milieu interstellaire. Les astrophysiciens ont calculé qu'un seul milliard d'années (sur les quinze qu'on attribue à l'Univers) après la formation de la Galaxie, la matière de toutes les étoiles dont la masse dépassait cinq masses solaires avait déjà réintégré l'espace interstellaire, suite aux explosions dont leurs progéniteurs avaient obligatoirement fait l'objet. On pense que près d'un demi-milliard d'étoiles (ce qui semble tout à fait considérable) subirent ce sort inéluctable résultant des lois incontournables de la physique.

Cet ensemencement, répété à chaque génération d'étoile massive, permit l'enrichissement progressif en carbone, oxygène et azote, mais aussi en éléments plus lourds et en métaux, de la matière cosmique disponible ensuite pour un nouveau cycle.

La quinzième étape est décisive pour l'installation ultérieure de la vie. Grâce à l'ionisation due aux ultraviolets des étoiles voisines et aux réactions chimiques ions-molécules dans les nuages galactiques, des molécules organiques apparaissent (figure). C'est le démarrage de la chimie organique (basée sur le carbone) avec toute sa richesse et sa complexité. Dès la fin de la première génération d'étoiles, de telles molécules ont été présentes dans les immenses nuages regroupant la matière éjectée par les supernovae. C'est alors que la complexification joua pleinement son rôle permettant l'association de molécules plus complexes et l'apparition de molécules prébiotiques.

Il semble indéniable que la vie dans l'Univers a pu commencer très tôt, dans la mesure où certaines étoiles de la première génération ont eu une vie extrêmement courte (quelques millions d'années seulement pour les plus massives). Si l'on considère que l'Univers date de quinze milliards d'années et que les premières étoiles ont été formées au bout de quelques millions d'années, on comprend que les premiers essais de vie pourraient remonter à environ quatorze milliards d'années, quasiment dix milliards d'années avant la nôtre. Que d'essais, d'échecs, mais aussi de réussites, la vie a eu le temps de connaître durant une période aussi immense dans l'ensemble de l'Univers.

Si le niveau humain demande, en gros, quatre milliards d'années pour se mettre en place, on voit que certaines civilisations, issues des premières générations d'étoiles, ont eu le temps d'évoluer d'une manière inimaginable pour nous. Mais il ne faut pas perdre de vue non plus que la vie n'est pas systématique, car certaines étoiles évoluent trop vite, sont doubles ou multiples, ou même parfois n'ont pas de planètes habitables, et alors l'évolution à très long terme est impossible. Même si, comme cela est probable, une vie primitive arrive à démarrer en fonction de circonstances favorables, elle ne peut être que provisoire et donc vouée à l'échec.

Delsemme place comme terme de sa dix-septième étape, la formation des comètes qui, pour lui, ont eu une importance décisive pour l'apparition de la vie terrestre, la création des biosphères étant réalisée à la fin de la dix-huitième étape. L'eau liquide est la condition initiale de la dix-neuvième étape qui débouche sur l'apparition de la vie proprement dite, tout au moins la vie telle que nous la connaissons, basée sur la chimie du carbone.

Pour Delsemme et d'autres, il semble probable que l'eau des océans et la grande partie de l'atmosphère terrestre ont été apportées par des comètes qui ont heurté notre planète en très grand nombre durant toute la période d'accrétion et celle de la formation de la croûte qui a duré 500 MA environ. Cette période a été cruciale et elle aurait permis l'insémination de molécules prébiotiques préexistantes dans la matière cométaire et issues de la matière présolaire.

Les molécules interstellaires, le creuset de la vie

Il nous faut revenir un peu en arrière pour bien expliquer comment la vie a pu se développer dans l'Univers. Le développement de la radio-astronomie a permis, à partir de 1937 (avec le radical CH, appelé méthylidine), la découverte d'une centaine de molécules organiques (qui contiennent du carbone) et inorganiques (qui n'en contiennent pas), allant de deux à treize atomes (HC11N), dans les nuages interstellaires. On a repéré notamment la signature de l'eau (H2O) et de l'ammoniac (NH3), tous les deux en 1968, et plus récemment de nombreuses autres molécules organiques importantes dans l'optique de la vie. En particulier, le formaldéhyde (H2CO), découvert en 1976, qui est l'unité moléculaire fondamentale à partir de laquelle les sucres et les polysaccharides ont dû se former.

Ainsi, s'est mise en place progressivement une nouvelle spécialité, la cosmochimie, qui associe astronomes, chimistes et même biologistes, et qui est appelée à un grand avenir puisque son but principal est d'étudier les origines de la vie dans l'Univers.

En 1996, un nouveau pas très important a été franchi grâce à l'astronome américain Thomas Geballe et au chimiste d'origine japonaise Takeshi Oka. Ces deux chercheurs ont réussi à identifier l'ion H3+ dans deux nuages interstellaires, ion qui a la particularité très remarquable de contrôler la chimie du cosmos et qui permet de fabriquer de l'eau et d'autres molécules complexes dans le milieu interstellaire. Ce ion H3+ est simple (il est composé de trois atomes d'hydrogène auquel il manque un électron), relativement stable et réactif et s'associe facilement avec d'autres éléments primordiaux comme l'oxygène, le carbone et l'azote, en dépit de la très basse température et de la faible densité des nuages interstellaires.

L'ion H3+ est donc à l'origine de réactions chimiques qui fabriquent des molécules organiques, la matière première du vivant, qui existent en grande quantité dans le milieu interstellaire, et sa découverte est un nouvel argument important concernant l'existence de la vie partout dans l'Univers. Une vie qui se crée en permanence, qui peut prendre des voies différentes selon les "briques" utilisées, et qui a toujours bénéficié du facteur temps, élément essentiel et qui est hors de l'entendement humain (notre échelle est l'année ou le siècle).

Les astrophysiciens se sont demandé pourquoi l'espace, que l'on croyait auparavant hostile aux composés organiques tolère-t-il toutes ces molécules interstellaires et ne les détruit-il pas. L'explication la plus plausible est l'existence de poussières dans les nuages interstellaires, sous la forme de grains de silice et de graphite, dont le diamètre est de l'ordre de 1/10 000 de millimètre. Ces poussières préservent les molécules de la destruction en interceptant la majeure partie du rayonnement ultraviolet originaire des étoiles voisines. Sans la présence de ces minuscules poussières, il est probable que ces ultraviolets (très énergétiques) dissocieraient les molécules.

L'origine terrestre de la vie

Le problème de l'apparition de la vie sur Terre est loin d'être résolu dans le détail. D'autant plus, nous l'avons dit, que la réponse peut très bien être double : la vie peut venir du cosmos, elle peut aussi être générée par notre planète. Très longtemps, les biochimistes ont d'ailleurs cru que la seconde alternative était la seule possible, ou tout au moins la seule crédible.

Avant de voir en détail dans la section suivante les différentes hypothèses cosmiques possibles, nous allons d'abord étudier l'hypothèse classique, et toujours privilégiée dans les milieux conservateurs, celle de l'origine terrestre de la vie. Il s'agit d'une hypothèse très acceptable et toujours crédible, mais qui souffre maintenant de la concurrence avec sa rivale extraterrestre, du fait surtout de son géocentrisme. Cette théorie a été peaufinée par plusieurs générations de spécialistes, chacune d'elles apportant des améliorations considérables dans un domaine ou dans un autre.

Parmi les grands noms, il est obligatoire de citer les deux premiers qui ont lancé la recherche sur ses rails actuels. Ce sont le biochimiste russe Alexandre Oparine (1894-1980) et le biologiste anglais John Haldane (1892-1964) qui reconnurent dans les années 1920 que la vie doit avoir un ancêtre chimique inorganique et qui introduisirent la notion d'atmosphère primitive réductrice ne contenant pas d'oxygène. Ces deux découvertes fondamentales, faites par deux chercheurs qui ignoraient chacun le travail de l'autre, allaient permettre d'appréhender et de comprendre notre lointain passé biologique et l'extrême complexité de l'évolution pour passer de la bactérie à l'homme.

En ce qui concerne la vie sur la Terre, on sait une chose : elle existait déjà, sous une forme évidemment très primitive, au précambrien inférieur. Les plus anciens êtres vivants connus ont été découverts dans des sédiments datés de 3,4 milliards d'années environ. Mais rien ne prouve que la vie n'est pas apparue avant, et, en général, les spécialistes du sujet admettent comme date pour la création ou l'insémination de la vie sur la Terre 4 milliards d'années avant notre ère. Rappelons que cette date est aussi celle donnée pour la consolidation définitive de la croûte terrestre.

L'atmosphère primitive de la Terre

On sait d'une manière définitive que la Terre s'est formée à partir d'un nuage de poussières et de gaz, il y a en gros 4,6 milliards d’années. Durant au moins 500 MA, la croûte se forma et se solidifia progressivement, il n'y avait alors pas d'atmosphère et pas de vie possible. Peu à peu, au cours de la condensation de la matière terrestre, les gaz les plus légers et les plus abondants, l'hydrogène et l'hélium, quittèrent la croûte et s'échappèrent dans l'espace par suite de leur faible masse atomique. Ce fut également le cas des autres produits les plus volatils. Les océans et l'atmosphère primitive proviennent de gaz chassés de l'intérieur même de notre planète.

Au début du Précambrien inférieur, il y a 4 milliards d’années, l'atmosphère était alors très différente de ce qu'elle est aujourd'hui, elle était réductrice, composée principalement de méthane, d'ammoniac et d'hydrogène, mais aussi d'eau, de dioxyde de carbone et d'azote. Elle était constamment irradiée par le Soleil (notamment les ultraviolets) et perturbée par de violents orages liés à l'activité volcanique intense.

Petit à petit, entre 4 et 2 milliards d’années, des changements de composition de l'atmosphère se firent sentir, conditionnant l'évolution de la vie. Après avoir été fortement réductrice, l'atmosphère devint peu à peu oxygénée. On croit qu'à l'ère primaire (vers –600 MA), la teneur en oxygène de l'atmosphère atteignait 1/10 de l'actuelle et que c'est seulement au Silurien, vers –500 MA qu'elle atteignit la valeur actuelle, avec une couche d'ozone dans la haute atmosphère très utile pour arrêter enfin les rayons ultraviolets qui jusqu'alors frappaient la Terre sans retenue.

La "soupe prébiotique" et le démarrage de la vie

C'est dans ce contexte très important d'atmosphère réductrice et de catastrophisme volcanique et atmosphérique permanent qu'advint l'évolution chimique initiale qui allait conduire à l'apparition de la vie terrestre. Les constituants de l'atmosphère pouvaient se combiner entre eux et former ainsi des molécules intermédiaires plus complexes et actives, lesquelles dissoutes dans les lacs, les lagunes et les océans, pouvaient réagir et donner naissance à des molécules organiques : les acides aminés et les sucres. C'est l'époque de la célèbre soupe prébiotique (encore appelée le bouillon primitif) imaginée par Oparine et Haldane à la fin des années 1920, et popularisée en 1953 par Stanley Miller et sa fameuse expérience, qui marquait les débuts de la chimie prébiotique, et prouvait surtout que des composés biochimiques ont pu se former en grande quantité dans une atmosphère réductrice soumise à des décharges électriques.

Dans les années qui suivirent, de nombreuses recherches destinées à comprendre la chimie organique confrontée à une atmosphère réductrice furent entreprises. Presque tous les acides aminés naturels furent identifiés comme produits des synthèses prébiotiques entreprises. La conclusion est claire pour les biochimistes : plusieurs des vingt acides aminés naturels existaient en grand nombre sur la Terre primitive (figure). D'autre part, certaines expériences complémentaires prouvèrent que la vie n'aurait pas pu s'installer dans une atmosphère de type actuel.

Ce résultat étonnant et important a poussé Leslie Orgel à écrire ceci :

« La situation peut sembler quelque peu paradoxale, puisque toutes les formes supérieures de vie et la plupart des autres dépendent totalement de l'oxygène. Seuls quelques types de bactéries et certains autres micro-organismes sont capables de subsister dans les conditions qui furent nécessaires à l'origine de la vie. Voilà un exemple frappant d'adaptation. La plupart des organismes ont, sans doute, commencé à utiliser l'oxygène lorsqu'il fut abondant, puis, au bout d'un certain temps, ils en sont devenus totalement dépendants. Actuellement, ils ne peuvent plus subsister dans un environnement dépourvu d'oxygène. » 3

Cette atmosphère réductrice a été, semble-t-il, un allié puissant pour l'apparition de la vie, et les choses se sont passées rapidement à l'échelle astronomique. Comme l'a noté Stephen Jay Gould, qui est à la fois professeur de biologie, de géologie et d'histoire des sciences à l'Université de Harvard, et donc bien placé pour faire la synthèse des événements :

« La vie est apparue très vite sur la Terre, aussi vite que possible : la vie était inéluctable ou, du moins, prévisible, à partir des constituants chimiques présents dans l'atmosphère et dans l'océan originels...

Pour des raisons liées à la chimie de l'origine de la vie et à la physique de l'auto-organisation, les premières "choses" vivantes sont apparues à la limite strictement inférieure de la complexité, la complexité la plus élémentaire. » 4

C'est ensuite l'enchaînement de la complexité. Certaines de ces molécules se condensèrent pour former des polymères et des agrégats macromoléculaires. Rappelons sommairement comment les biochimistes pensent que les choses se sont passées.

Les acides aminés, très nombreux dans les lacs et les lagunes, se groupèrent pour former des gouttelettes appelées coacervats. Ce sont eux qui donnèrent ensuite des cellules vivantes élémentaires contenant de l'ADN, que l'on appelle des coccoïdes. C'est à partir de ces derniers que deux processus principaux d'évolution prirent forme durant tout le Précambrien :

1. Par évolution individuelle, un coccoïde donne soit des bactéries, soit des algues bleues, c'est-à-dire des procaryotes, micro-organismes constitués d'une cellule unique avec un ADN libre. Il n'y a pas d'évolution ultérieure, la cellule reste unique. Cette évolution minimale a survécu jusqu'à maintenant, de telle sorte que l'on retrouve des bactéries et des algues bleues identiques à ce qu'elles étaient il y a trois milliards d'années.

2. Dans le second processus, qui allait être le bon, plusieurs coccoïdes se regroupent dans un sphéroïde, à l'intérieur duquel chaque coccoïde de base évolue individuellement, pour son propre compte, les divers éléments constitutifs de l'ensemble formant finalement une cellule eucaryote. C'est cette cellule qui dès le début de l'ère primaire, dans une atmosphère de plus en plus proche de la nôtre, s'est littéralement imposée, se complexifiant sans cesse, pour finalement déboucher progressivement (le facteur temps est essentiel dans les problèmes d'évolution gradualiste) sur l'immense éventail des animaux et végétaux eucaryotes passés et actuels, et donc sur un monde animal et végétal de plus en plus sophistiqué.

L'origine cosmique de la vie terrestre

Nous avons expliqué plus haut que la vie est une généralité dans l'Univers. Il nous reste à voir par quels processus elle a pu parvenir sur la Terre. Plusieurs scénarios sont possibles que nous allons étudier successivement : le premier met en scène les météorites, le deuxième les comètes et le troisième la traversée d'un nuage de molécules organiques. Mais auparavant nous allons dire quelques mots de cette remarquable hypothèse qu'est la panspermie, liée à la découverte des premières météorites carbonées étudiées par les chimistes, hypothèse envisagée dès l'Antiquité et reprise au milieu du XIXe siècle par quelques savants fort perspicaces et en avance sur leur temps.

La théorie de la panspermie

Comme de nombreuses idées qui reviennent seulement à la mode de nos jours, après avoir été totalement abandonnées, celle de la panspermie est loin d'être nouvelle. Dès l'Antiquité, plusieurs philosophes croyaient déjà que certaines formes de vie peuvent venir du cosmos. Le poète latin Lucrèce (98-55), notamment, était partisan de cette hypothèse. Dans son livre De la nature (De natura rerum), il a écrit : « Nous sommes tous nés d'une semence venue du ciel ».

Il fallut attendre le XIXe siècle pour que l'hypothèse de l'origine extérieure pour la vie terrestre refasse surface. Ce n'est pas un hasard. C'est l'époque où, à nouveau, les savants se posent la question : « D'où vient la vie ? ». On sait alors que des pierres tombent sur la Terre et les chimistes les étudient avec attention, surtout celles qu'on appelle charbonneuses à l'époque (et qui sont nos météorites carbonées d'aujourd'hui).

Le 15 mars 1806, l'année même ou Biot publia son rapport sur la chute de L'Aigle, deux pierres de 4 et 2 kg tombèrent à Alès (à l'époque on écrivait Alais) dans le Gard, qui s'avérèrent être des météorites carbonées. Elles furent examinées en détail en 1834 par le chimiste suédois Jöns Berzelius (1779-1848), l'un des créateurs de la chimie moderne. Avec étonnement, il mit en évidence la présence d'eau et nota aussi que la substance de la météorite ressemblait à de la matière organique, quelque chose qui a été vivant.

Le 14 mai 1864, une vingtaine de pierres (20 kg au total) tombèrent sur Orgueil, un petit village du Tarn-et-Garonne proche de Montauban. Elles se révélèrent assez extraordinaires, avec la présence incontestable de matière carbonée d'origine organique. Elles furent étudiées rapidement par plusieurs personnalités de l'époque et notamment par Marcellin Berthelot (1827-1907), l'un des créateurs de la chimie organique, qui arriva aux mêmes conclusions que Berzelius. Dès cette époque, le doute s'installa avec la constatation que les météorites carbonées pouvaient contenir de la matière vivante. On avait ainsi la quasi-certitude que la vie existait ailleurs et qu'avec ces météorites c'étaient les vestiges d'une autre vie qui nous arrivaient sur la Terre. L'autre question qui vint tout de suite à l'esprit fut celle-ci : « Et si la vie terrestre venait du cosmos via les météorites ? ».

Au début du XXe siècle, le chimiste suédois Svante Arrhenius (1859-1927) alla plus loin, confirmant que la vie pourrait bien avoir eu une origine extérieure à la Terre et qu'elle pourrait avoir été introduite sur notre planète à partir d'un autre corps céleste. C'est la fameuse théorie de la panspermie (du grec panspermia, mélange de semences). Selon Arrhenius, les organismes vivants, formés ailleurs, auraient pu effectuer un long voyage interplanétaire, ou même interstellaire, sous la forme d'une spore bactérienne véhiculée par la poussée des radiations.

Il est apparu que cette hypothèse, présentée sous cette forme un peu simpliste, ne tenait pas, du fait de la quantité trop importante de radiations que recevrait cette spore durant son long voyage dans l'espace. Ces radiations disloqueraient tout matériel organisé, constitué de carbone, d'hydrogène, d'azote et d'oxygène.

Cependant, sous une forme approchée, c'est-à-dire le voyage d'organismes vivants à l'intérieur de météorites ou de comètes, la théorie de la panspermie est beaucoup plus acceptable, pratiquement impossible à réfuter, même si cela ne signifie en aucune façon que la vie sur Terre soit réellement apparue ainsi. En effet, une cellule vivante enfermée dans une météorite ou une comète pourrait fort bien supporter un long voyage interstellaire, ou un long séjour dans le Système solaire, car elle se trouve à l'abri des radiations et la basse température de l'espace empêche une détérioration chimique spontanée.

Comme nous allons le voir maintenant, plusieurs versions modernes de la panspermie ont été proposées. Elles sont argumentées et assez convaincantes. Comme Berzelius et Berthelot le pensaient déjà, les météorites carbonées sont bien un véhicule du transfert de la vie d'un système à un autre, d'une époque à une autre. La version cométaire, proposée en 1978 par le tandem Fred Hoyle et Chandra Wickramasinghe concerne l'ensemencement de la Terre par des poussières interstellaires véhiculées par des noyaux cométaires.

Les météorites

Depuis les chutes de météorites carbonées d'Alès et d'Orgueil (la France était le paradis des météorites avant d'être remplacée par l'Antarctique !), de nombreuses autres ont eu lieu, certaines s'avérant exceptionnellement intéressantes, notamment les deux chutes de 1969 d'Allende et de Murchison. Le tableau 14-2 donne quelques caractéristiques pour les quatre types principaux. Les météorites des deux types les plus primitifs, CI et CM, sont particulièrement intéressantes, car elles contiennent de 2 à 5 % de carbone et de 5 à 20 % d'eau. Comme nous l'avons vu avec celles d'Alès et d'Orgueil, elles ont dès le XIXe siècle attiré l'attention des spécialistes, surtout par le fait que le carbone se présente partiellement sous la forme de composés organiques.

Mais il s'est longtemps posé un problème de contamination terrestre, ce qui fait qu'aucun résultat d'analyses concernant des météorites anciennes n'a pu être accepté sans de sérieuses réserves avant l'époque actuelle qui permet de faire des études extraordinairement sophistiquées. Les chondrites carbonées sont perméables à l'eau et captent donc rapidement des composés organiques terrestres, tels les acides aminés du sol. On conçoit donc le doute qu'entraînent des résultats d'analyses positifs concernant la vie extraterrestre décelée dans les météorites terrestres.

La chute d'une grosse météorite carbonée, de type CM, le 28 septembre 1969, dans une région aride près de Murchison en Australie, fut donc une véritable aubaine pour les spécialistes, un cadeau du ciel comme certains météoriciens l'ont dit. Un maximum de précautions furent prises pour éviter toute contamination terrestre. Des analyses chimiques, d'une précision toujours plus fine, qui se sont succédé pendant un quart de siècle, ont confirmé la présence de composés organiques et de grandes quantités d'acides aminés.

On sait que les acides aminés ont la particularité d'exister sous deux formes symétriques : les acides lévogyres (notés L) et les acides dextrogyres (notés D). Ces deux formes sont identiques mais ne sont pas superposables, la première faisant tourner le plan de la lumière polarisée vers la gauche, l'autre vers la droite. La biologie terrestre ne reconnaît que les acides lévogyres, ce qui pousse les biologistes à dire que la nature a choisi la gauche.

Or, sur près de 90 acides aminés différents, ce qui est considérable, repérés et étudiés dans la météorite de Murchison, seulement une vingtaine existent sur la Terre. Les 70 autres sont d'origine extraterrestre. Cela est une preuve quasi irréfutable de l'introduction de matériel prébiotique en permanence sur la Terre.

Ces observations ont été confirmées pour d'autres météorites carbonées contenant, elles aussi, des acides aminés particuliers, notamment celles de Murray (Kentucky) de type CM, et surtout, bien sûr, celle de Allende (Mexique), de type CV (un type moins primitif), tombée la même année (le 8 février) que celle de Murchison, et qui est aujourd'hui considérée comme la météorite connue la plus importante pour la science, d'autant plus que l'on a pu en récupérer plus de deux tonnes. Les anomalies isotopiques relevées dans certaines inclusions de cette météorite ont prouvé que plusieurs de ses composants sont antérieurs à la formation de la nébuleuse solaire et ont été créés lors de l'explosion d'une supernova voisine. Les spécialistes ont entre les mains un matériau qui remonte à une génération antérieure d'étoile.

Toutes les informations disponibles aujourd'hui indiquent clairement que des substances chimiques prébiotiques se forment ailleurs que sur la Terre. A toutes les étapes de la formation de notre planète et de son développement ultérieur, une quantité de matière carbonée, qui dépasse l'imagination la plus débridée, souvent d'origine présolaire, est entrée en collision avec les continents et les océans. Cette matière très fragile s'est rapidement dispersée sous forme de poussière pour se mélanger aux matériaux terrestres. Les acides aminés venus d'ailleurs ont fort bien pu s'associer à d'autres éléments terrestres prébiotiques pour former les premiers êtres vivants.

Ainsi, aujourd'hui, l'origine extraterrestre de la vie est devenue une probabilité qu'il est obligatoire de prendre en compte. Les météorites sont un vecteur possible de transfert et de transport de la vie à travers les étendues interstellaires. D'un autre côté, la vie a pu avoir une origine terrestre. Il ne serait pas surprenant que la vérité soit intermédiaire : la vie terrestre pourrait fort bien être une vie mixte, mi-terrestre, mi-cosmique.

Avant de laisser les météorites carbonées, rappelons qu'elles sont souvent apparentées aux astéroïdes carbonés de types C et D, eux même considérés comme pouvant être, dans certains cas, des vestiges de noyaux de comètes éteintes, disloquées par fragmentation ou même seulement par émiettement. Elles sont liées également à une partie de la poussière cosmique que la Terre attire en permanence à l'occasion de sa révolution autour du Soleil.

L'hypothèse cométaire

La parution, en 1978, du livre de Fred Hoyle et de Chandra Wickramasinghe, Lifecloud (paru en français sous le titre Le nuage de la vie), fit l'effet d'une bombe dans les milieux scientifiques.

Dès leur introduction, ils annonçaient clairement la couleur :

« Nous affirmerons que le nuage de gaz et de poussière interstellaire au sein duquel naquit notre système solaire a continué de rapporter des biomolécules longtemps après que se fut achevée la phase initiale à haute température de la nébuleuse solaire et de la matière planétaire. De tels apports de biomolécules fournirent les "briques" qui permirent l'émergence de formes encore plus complexes, formes qui se transformèrent par la suite pour devenir les premières cellules vivantes.

Le site propice à l'association des biomolécules en formes plus complexes fera l'objet d'un débat. La Terre constituait un site possible, mais elle semble moins favorable que la multitude de corps planétaires de la taille des comètes qui ont dû exister durant les quelques premières centaines de millions d'années de l'histoire de notre système solaire. Il est également très probable que la Terre ait tiré tous les matériaux plus ou moins volatils contenus dans l'atmosphère et les océans de corps planétaires de ce genre. Nous pensons que la vie arriva finalement sur la Terre comme une pluie de cellules déjà vivantes, originaires des corps de type cométaire. » 5

Ces deux auteurs bien connus démontraient dans Lifecloud, avec de nombreux arguments convaincants, que la vie a trouvé son origine dans l'espace et que la vie terrestre est une vie importée. Les premiers, ils reprenaient dans une version modernisée la théorie de la panspermie d'Arrhénius, préconisant que la Terre a été fertilisée dès les premiers moments de sa formation par des noyaux de type cométaire contenant des organismes primitifs vivants. Ces cellules vivantes (en fait des molécules biochimiques) seraient issues du nuage de poussières interstellaires, à partir duquel le Soleil, la Terre et les autres planètes se sont formés il y a 4,6 milliards d'années. Cela veut dire que les éléments vivants ont été à l'origine ensemencés sur toutes les planètes du Système solaire, mais apparemment seule la Terre a réussi d'une façon certaine à conserver cette vie, qui n'a jamais pu se développer ou qui a abandonné (ce serait le cas de Mars), pour des raisons diverses et complexes, les planètes voisines.

Pour Hoyle et Wickramasinghe, certains grains interstellaires sont vivants. Il s'agirait tout simplement de bactéries recouvertes d'un mince film de carbone (sous forme de carbynes) pour les protéger des effets destructeurs des ultraviolets issus des étoiles. Les queues cométaires servent donc d'agents de dispersion de ces bactéries.

Depuis la parution de Lifecloud, plusieurs autres auteurs ont repris l'idée de cette vie terrestre importée, notamment Armand Delsemme dans son livre Les origines cosmiques de la vie paru en 1994, seize ans plus tard. En fait, il apparaît clairement aujourd'hui que les comètes sont bien le meilleur support connu pour le transfert et le transport de la vie d'un système planétaire à un autre. Formées dans les marges externes de la nébuleuse présolaire, à partir de glace et de roches diverses, et parquées depuis quatre milliards d'années dans le nuage de Oort, elles peuvent garder pendant des milliards d'années leurs caractéristiques chimiques et leur intégrité.

A partir des années 1970, chaque belle comète a été étudiée en grand détail, et de très nombreuses molécules mères et filles (produits de dissociation) ont été repérées, aussi bien dans le noyau, la chevelure ou la queue. On s'est rendu compte que les comètes renferment une importante fraction de matière carbonée. En 1986, à l'occasion du retour de P/Halley, les sondes spatiales ont trouvé 30 % de matière organique dans le noyau contenant des atomes de carbone (C), d'hydrogène (H), d'oxygène (O) et d'azote (N). Pour cette raison, on a appelé la matière organique des comètes les "CHON". Quelle est leur nature exacte ? Les poussières cométaires se sont avérées contenir des grains de métal ou de graphite de la taille du micromètre, des poussières de roche (silicates de magnésium), des polysaccharides et des polymères organiques apparentés. La présence de ces éléments primordiaux, ajoutée à celle de l'eau (sous une forme gelée) suggère que des réactions prébiotiques peuvent avoir lieu dans les comètes malgré les basses températures auxquelles elles sont d'ordinaire confrontées.

Nous avons vu dans le chapitre consacré aux comètes, comment à partir d'une orbite entièrement située dans le nuage de Oort, certaines d'entre elles, suite à des perturbations stellaires (principalement le passage d'étoiles à 1 ou 2 UA du Soleil), quittaient leur orbite initiale pour plonger dans le Système solaire intérieur où leur vie en tant qu'astre actif était comptée. Une orbite plus courte et plus excentrique, un dégazage inéluctable qui élimine progressivement toutes les glaces et composants volatils, et une fin de vie active en quelques millions d'années au maximum sont la règle. Ces comètes peuvent survivre ensuite en tant qu'astéroïdes principalement carbonés (types C et D). Et leurs ultimes fragments peuvent heurter la Terre sous forme de météorites carbonées, surtout de types CI et CM. A moins bien sûr que ces comètes subissent un impact direct sur une planète, comme la fameuse comète Shoemaker-Levy 9 de 1994 qui a peut-être ensemencé Jupiter de molécules prébiotiques ou vivantes en plusieurs endroits de son atmosphère externe.

La théorie de Hoyle, Wickramasinghe, Delsemme et d'autres, chaque année plus nombreux, tient particulièrement bien la route, et nous considérons comme probables ses diverses implications (impacts sur toutes les planètes, ensemencement de molécules prébiotiques partout). Mais il est bien clair que cette vie n'a pas pu se développer ou se maintenir sur toutes les planètes. Vénus et Mercure n'en ont probablement jamais eu, Mars en a eu une mais n'a pas pu la garder à cause d'un impactisme macroscopique trop fréquent, Europe (le satellite de Jupiter) et surtout Titan (le satellite de Neptune) en ont probablement une, très différente de la nôtre.

La traversée d'un nuage de molécules organiques

On pense aujourd'hui que les immenses nuages dispersés entre les étoiles peuvent être également un possible support de propagation de la vie. Le Système solaire, au cours de son périple autour de la Galaxie (qu'il fait en 250 MA environ) pénètre parfois à l'intérieur de ces nuages, et cela pour plusieurs milliers d'années. Si ces nuages interstellaires contiennent des éléments prébiotiques, ou même carrément vivants dans certains cas, on ne voit pas pourquoi ceux-ci n'entreraient pas en collision avec la biosphère terrestre.

Lors de la traversée de ces nuages, la Terre peut être parfois littéralement ensemencée par ce nuage de la vie qui peut, par contre, en d'autres occasions être aussi un nuage de mort, comme nous le verrons au chapitre 16 consacré à ces questions.

Ces nuages de gaz et de poussières sont fréquents dans le ciel et ils apparaissent sur les clichés des astronomes sous forme de taches sombres sur le fond des champs d'étoiles. La lumière des étoiles est plus ou moins obscurcie lorsqu'elle traverse ces nuages de poussières. On pense, en général, que la masse des poussières pourrait représenter environ 2 % de la masse totale des nuages intersidéraux, ce qui ne paraît pas énorme par rapport à celle des gaz, estimée à 98 %. Mais 2 % d’une masse incommensurable, cela fait beaucoup, on s’en doute.

Quelle est la composition de la poussière interstellaire ? Elle est obligatoirement plurielle, mais certains résultats laissent à penser qu'une partie importante pourrait être constituée de carbone solide sous forme de graphite. De telles particules pourraient résister à de très fortes températures et servir de catalyseur pour la formation des molécules interstellaires, notamment l'hydrogène (H2). Hoyle et Wickramasinghe pensent, eux, que la poussière interstellaire est en partie constituée de cellulose ou d'un polysaccharide apparenté, c'est-à-dire de molécules géantes, qui peuvent au contact d'une atmosphère accueillante (comme l'atmosphère réductrice de la Terre il y a 4 milliards d’années) participer à l'éclosion de la vie proprement dite.

Poussière cosmique et vie terrestre

Nous avons déjà parlé au chapitre 10, consacré aux preuves de l’impactisme, des micrométéorites concernées par les trois hypothèses précédentes, puisqu’elles sont issues soit de planètes ou de comètes désintégrées, mais également de la poussière interstellaire qui n’a jamais été intégrée à un corps de taille métrique, tout au moins en ce qui concerne notre génération d’étoile.

Ces micrométéorites, longtemps ignorées, ont été réhabilitées par les travaux de Michel Maurette et de ses associés. En effet, les éléments de base du vivant : le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote (constituants des CHON) et aussi le soufre ont été identifiés de manière formelle dans la poussière cosmique recueillie dans les déserts de glace et préservée de toute pollution terrestre.

« De plus, les petites molécules prébiotiques, telles que l’acide cyanhydrique (HCN), le formaldéhyde (HCHO) et l’eau, existent partout dans l’espace interstellaire. La chimie de l’acide cyanhydrique dans l’eau conduit aisément aux acides aminés et aux bases azotées (puriques et pyrimidiques), et celle du formaldéhyde est une source de sucres biologiques. De là à leur imputer l’origine de la vie sur Terre, il n’y a qu’un pas. » 6

Maurette a identifié également dans certains des échantillons, ramassés par milliers au cours de ses expéditions au Groenland et en Antarctique, des carbures aromatiques polycycliques (connus sous le sigle de PAH), dont certains n’ont jamais pu être mis en évidence dans les météorites elles-mêmes. Le chimiste français André Brack a conclu que les micrométéorites auraient agi comme de minuscules "réacteurs chimiques chondritiques". Elles auraient synthétisé des molécules organiques au cours de réactions chimiques catalysées induites par l’eau liquide ou même gazeuse.

C’est une nouveauté très intéressante : les micrométéorites ont été un élément incontournable de la chimie prébiotique, notamment quand elles se trouvaient en grand nombre au fond de l’océan, dans un environnement préservé, à proximité d’une source hydrothermale chaude, apte à favoriser la synthèse des molécules prébiotiques. Pour Maurette, cette association dans une soupe primitive new look aurait pu déboucher très rapidement (en dix ou vingt ans, ce qui est quasiment instantané à l’échelle astronomique) à une vie mixte, base de la nôtre : une vie terrestre d’origine cosmique.

 

1. H. Reeves, Poussières d'étoiles, op. cit., p. 21.

2. A. Delsemme, Les origines cosmiques de la vie (Flammarion, 1994), p. 314.

3. L. Orgel, Les origines de la vie. Des fossiles aux extra-terrestres (Québec-Amérique, 1975), p. 118.

4. S.J. Gould, L'évolution de la vie sur Terre, Pour la Science, 206, 1994, p. 90-98.

5. F. Hoyle et C. Wickramasinghe, Le nuage de la vie. Les origines de la vie dans l'univers (Albin Michel, 1980), p. 11-12.

6. M. Maurette dans D. Bentaleb, La vie venue de l’espace, Science et Vie, 966, 1998, p. 55-65.

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