CHAPITRE 20

L'INCONNU, L'AVENIR

 

Le XXe siècle a permis une avancée considérable de nos connaissances sur l'Univers et sur la Terre, mais de nombreux points restent obscurs. Ce sera l'apanage des scientifiques du XXIe siècle que d'apporter une réponse satisfaisante à ces dilemmes et incertitudes en cours. Nous allons en voir quelques-uns qui constituent « l'inconnu ».

Ensuite, nous parlerons de « l'avenir », c'est-à-dire de ce qui attend la Terre, mais surtout nos descendants qui seront confrontés à des problèmes quasiment insolubles, qui, en fait, ne se sont pas encore présentés à l'homme depuis qu'il est devenu Homo sapiens, comme par exemple la future inversion géomagnétique ou un impact multiple comme celui des fragments de SL9 en 1994.

Nos successeurs devront faire preuve de pragmatisme pour survivre, mais aussi d'audace pour envisager et mettre au point des techniques qui leur permettront de faire face à des situations que nous n'aurions pas été, nous-mêmes, Terriens du XXe siècle, capables de résoudre dans des conditions satisfaisantes. Faisons confiance à nos descendants pour qu'ils prennent en compte, et surtout à temps, ce que certains scientifiques visionnaires appellent « l'impératif extraterrestre », sans doute une nécessité vitale si l'humanité veut survivre en tant que telle, ou tout au moins faire face à une surpopulation qui s'annonce à moyen terme comme un danger de première grandeur.

Un impact en Antarctique = déglaciation partielle

Pour tous les scientifiques qui ont étudié le problème un tant soit peu dans le détail et sans idée préconçue, le danger principal pour la Terre serait un impact, même relativement modeste, en Antarctique. Il apparaît qu'une déstabilisation de la cryosphère antarctique pourrait déboucher sur un authentique désastre écologique, et ensuite humain (figure).

Au chapitre 18, nous avons longuement parlé de la dernière déglaciation en Europe, et rappelé que la montée des eaux a été de 110 mètres. La géographie a été totalement transformée, mais avec assez peu de répercussions au niveau humain, dans la mesure où la transgression a été progressive. A l'époque de la débâcle atlantique (appelée aussi Déluge de Lascaux), vers –13500, le niveau des océans augmenta de près de 20 mètres en quelques années seulement. Heureusement qu'il n'existait pas de villes côtières à l'époque.

Cet exemple montre ce qui pourrait se passer avec une déglaciation, même très partielle, de l'Antarctique, avec comme répercussion une montée générale des eaux océaniques de deux ou trois mètres seulement. Ce serait le pire désastre que l'humanité ait jamais connu. Aujourd'hui toutes les côtes sont truffées de villes. Des pays entiers sont à fleur d'eau et seraient irrémédiablement noyés en quelques dizaines d'années. Une nouvelle refonte des sociétés humaines serait inéluctable, avec les pires débordements que cela entraînerait, les nantis des pays peu touchés n'ayant nulle envie de partager la nouvelle pénurie issue de la débâcle glaciaire. On n’ose penser sur quoi déborderaient des migrations forcées de millions de personnes affamées et sans aucune perspective d’avenir, sinon la survie immédiate.

Et nous ne parlons pas évidemment d’une déglaciation générale due à un ensemble de causes dont les effets seraient additionnels (impact + effet de serre + augmentation générale de la température par exemple, mais aussi une augmentation de température due au seul Soleil à l’occasion d’une suractivité anormale). Notre civilisation ne s’en remettrait pas et retomberait rapidement dans la barbarie. La géographie serait à nouveau totalement remodelée avec une remontée des eaux de l’ordre de 60 à 80 mètres selon les régions (figure). Il ne faut jamais perdre de vue que de telles périodes ont déjà existé dans l’histoire de la Terre, périodes au cours desquelles notre planète avait totalement exclu la présence de glace de sa surface, pour des raisons non encore explicitées.

L’homme, lui, survivra. Il devra accepter un recul, pas forcément génétique, mais au moins culturel. C’est le moment de rappeler ici que la montée des civilisations n’a jamais été linéaire, et que les périodes de recul ont été nombreuses, notamment à la suite de cataclysmes de grande envergure, et en particulier ceux dus aux impacts. Le drame humain causé par l’impact de Sekhmet au XIIIe siècle avant J.-C. a fait reculer la civilisation grecque d’au moins quatre siècles, et il ne s’agissait que d’un cataclysme à l’échelle régionale.

L’impactisme particulaire : le vrai danger pour l’homme

Plus encore que l’impactisme macroscopique, il paraît évident pour l’homme que le principal danger (d’origine cosmique, car il est bien connu que le principal danger pour l’homme, c’est l’homme lui-même) sera l’impactisme particulaire. Nous allons voir deux éventualités, bien réelles à moyen terme, rattachées à ce problème.

Et si le Soleil se fâche un jour vraiment ?

Le Soleil est une étoile légèrement variable, comme nous l’avons expliqué dans plusieurs chapitres de ce livre. Le fameux schéma du cycle solaire (figure 8-1) ressemble à la respiration cyclique de l’étoile, et pour la période 1750-2000 tout semble relativement normal, même si d’un cycle à l’autre, on note certaines variations saisissantes.

Cependant, depuis quelques années, les climatologues s’inquiètent : il semblerait que la luminosité du Soleil augmente lentement, avec, en conséquence, premièrement une augmentation de l’énergie solaire reçue par la Terre, et corollairement un réchauffement global de la planète. Bien sûr, au niveau d’une seule décennie, il est très difficile de savoir si le phénomène va continuer, s’arrêter ou s’inverser.

Que la planète se réchauffe, personne n’en doute, les activités humaines et l’effet de serre qu’elles provoquent sont indiscutables. Mais le Soleil semble aussi avoir sa part dans le processus de réchauffement. Le flux solaire, qui est la quantité de lumière totale émise par le Soleil, aurait augmenté de 0,036 % entre 1986 et 1996, ce qui correspond à une augmentation de 0,5 watt par mètre carré. L’augmentation, quoique minime, si elle devait se poursuivre un siècle, finirait par provoquer un réchauffement moyen de 0,5 °C de la Terre, qui ajouté à celui dû à l’effet de serre qui pourrait être le triple (soit 1,5 °C) entraînerait un réchauffement global de 2 °C, réellement catastrophique, non en tant que tel mais pour les conséquences inévitables qu’il entraînerait.  (figure)

L’activité solaire semble bien variable à l’échelle du siècle, et il faut se rappeler qu’entre 1645 et 1715, période sensiblement plus froide que la moyenne en Europe, le nombre de taches solaires a été très faible, parfois même inexistant. C’est la fameuse période appelée minimum de Maunder, mise en évidence au XIXe siècle par l’astronome britannique Walter Maunder (1851-1928), dont la véracité a été confirmée par la découverte de la quantité anormale de béryllium-10 dans les glaces polaires, quasiment 30 % supérieure à la moyenne ultérieure (figure).

Le Soleil est un ami qui pourrait s’avérer dangereux, notamment durant la prochaine inversion géomagnétique, comme nous allons le voir. Jusqu’à présent, ses colères et ses sursauts ont toujours entraîné des perturbations psychologiques et physiques, mais maintenant, il semble bien qu’ils soient en mesure de déboucher sur une fragilité technologique préjudiciable, comme l’ont rappelé quelques incidents notables récents (coupures générales de courant et perturbations dans les circuits informatiques notamment).

La future inversion géomagnétique : un danger mortel

La dernière inversion géomagnétique totale remonte à 700 000 ans. C’est loin, très loin. Homo sapiens n’existait pas encore, et nous avons vu au chapitre 15 que c’est peut-être grâce à elle, plus exactement aux conséquences qu’elle a engendrées dans une biosphère fragilisée à l’extrême, traumatisée même, que Homo erectus s’est transformé (a muté) en Présapiens, notre ancêtre direct, puisque nous n’en sommes séparés qu’au niveau de la sous-espèce.

Les spécialistes du paléomagnétisme ont enregistré en moyenne trois inversions par million d’années durant les derniers soixante millions d’années, et tous savent bien que la prochaine ne saurait tarder maintenant, même s’il est encore impossible de la dater avec précision, comme l’ont fait un peu inconsidérément certains d’entre eux particulièrement impatients. On parle de milliers d’années, et on a proposé une inversion vers l’an 4000, en calculant la diminution annuelle, de l’ordre de 15 à 20 gammas, par rapport aux 40 000 gammas, valeur actuelle. Mais un effondrement reste possible quand l’intensité du champ sera tombée à quelques milliers de gammas.

On sait depuis longtemps que l’exposition des humains, et du monde animal en général, à des doses de radiations trop fortes conduit à des cancers (notamment de la peau et de la thyroïde, mais pas seulement), c’est-à-dire à une croissance incontrôlée des tissus vivants. Si cette irradiation n’est pas enrayée très rapidement, c’est la catastrophe. Catastrophe qui nous guette.

« Les radiations agissent sur l’organisme en provoquant des réactions qui libèrent des électrons énergiques dans les cellules avec les effets suivants : ils peuvent attaquer directement les molécules contenant l’information génétique des cellules, qu’on appelle l’ADN, ou bien ils peuvent, en détruisant les innombrables molécules qui existent dans une cellule, en générer de nouvelles qu’on appelle des "radicaux libres", oxydants, qui attaquent l’ADN. » 1

L’organisme humain est très fragile dès qu’il se passe quelque chose d’anormal qui le perturbe ou l’agresse un tant soit peu, et il n’aime pas les apports extérieurs anormaux. Certains organes sont particulièrement exposés au cancer (c’est le cas notamment pour le poumon avec le tabac, le foie avec l’alcool, la peau avec les radiations UV solaires). Tchernobyl a montré que les irradiés voyaient leur tension artérielle monter en flèche dans des proportions inquiétantes, avec corrélativement une extraordinaire fragilisation de l’organisme traumatisé. Les plus faibles sont très mal armés pour supporter les radiations anormales et sont irrémédiablement condamnés.

C’est la raison pour laquelle une forte irradiation durant une longue période ne peut que déboucher sur un désastre génétique et humain, dont on a encore qu’une très vague idée. Oui l’avenir sans bouclier magnétique est inquiétant ! Et nos successeurs devront impérativement s’y préparer pour y faire face et limiter les dégâts.

Conclusion : l'impératif extraterrestre

Ce concept d’impératif extraterrestre est dû à l’ingénieur spatial américain, d’origine allemande, Krafft Ehricke (1917-1984) qui, comme quelques autres grands savants allemands, se vit proposer un contrat de travail par les Américains à la fin de la dernière guerre. Le premier, Ehricke a compris que l’avenir de l’homme, à long terme, se situait dans l’espace, et toute sa vie il a été un fervent propagandiste de l’exploration des diverses planètes, mais surtout de l’humanisation du Système solaire. Vérité difficile à faire accepter, même aux États-Unis, car onéreuse et peu susceptible d’amener des résultats immédiats. Comme beaucoup de visionnaires, ce premier philosophe de l’espace fut souvent critiqué et considéré comme un utopiste.

Et pourtant, pour tous les savants qui voient plus loin que le présent immédiat, l’avenir de l’homme, c’est bel et bien l’espace. Cette vérité, déjà assénée par les pionniers de l’astronautique, sera incontournable à long terme. Un astrophysicien comme Nicolas Prantzos n’en doute pas. Dans son livre Voyages dans le futur, sous-titré L’aventure cosmique de l’humanité, il envisage déjà très sérieusement la place de l’homme dans cet Univers en perpétuelle évolution.

Il n’est pas évident que la Terre soit très longtemps habitable pour les hommes, tout au moins tels qu’ils existent actuellement, et "fabriqués" pour être performants dans des conditions atmosphériques et climatiques assez étroites. La biosphère peut se trouver altérée, notamment en cas de catastrophe nucléaire (voir Tchernobyl) et devenir rapidement invivable, avec des répercussions sur la stérilité de certaines espèces, dont la nôtre. En quelques générations, l’espèce humaine pourrait être rayée de la carte, car incapable de se reproduire d’une façon viable.

L’impératif extraterrestre peut donner à l’homme une possibilité appréciable de survie provisoire, et même à plus long terme s’il arrive à s’adapter à la nouvelle donne. On sait que l’homme est la première espèce engendrée par l’évolution qui soit capable d’influer sur son avenir, ce qui est un progrès inouï par rapport aux espèces précédentes qui ne pouvaient que subir.

On voit où mène la contingence de Stephen Jay Gould, l’impératif extraterrestre de Krafft Ehricke et l’appel des étoiles de Carl Sagan (1934-1996) : à la survie de l’espèce humaine, si elle accepte l’exil de sa planète mère. En attendant l’étape suivante obligatoire : Homo galacticus, différent, plus moderne, mais bel et bien authentique successeur de Purgatorius, via Oligopithèque, Homo erectus et Homo sapiens. Quelques dizaines de millions d’années et quelques dizaines de cataclysmes d’origine cosmique séparent Purgatorius de son futur successeur cosmique, mais ils font partie de la même lignée, lignée dans laquelle nous sommes un simple jalon : le Primate à la mode.

Mais le rêve ne doit jamais faire oublier un impératif plus pragmatique : la survie de l’espèce. Et l’obligation en filigrane de rendre habitables les planètes voisines ou de prévoir une solution de remplacement. Pour ce faire, nous allons voir dans la section suivante deux solutions souvent envisagées. La première concerne surtout le long terme avec le terraformage de Vénus et de Mars. La seconde concerne l’installation de villes de l’espace et pourrait être éventuellement mise en place durant le XXIe siècle, si le besoin s’en faisait vraiment sentir.

Survivre en dehors de la Terre

Quitter la Terre et s’installer ailleurs. C’est un vieux rêve sur lequel philosophaient les astronomes du XIXe siècle, quand on croyait encore que l’habitabilité de Vénus et Mars était chose possible. Mais les progrès de l’astrophysique ont brisé ce rêve chimérique, et l’on sait aujourd’hui que ce ne sera pas facile de rendre habitables les deux planètes voisines. Car si elles sont facilement accessibles de nos jours aux sondes spatiales, les conditions de vie y sont pires que prévu, surtout sur Vénus qui devra être totalement terraformée pour devenir un lieu de repli à l’espèce humaine.

Mais, même si cela peut demander des milliers d’années, la tâche ne paraît pas insurmontable contrairement aux apparences. Certains ingénieurs spatiaux planchent déjà sur diverses solutions qui pourraient transformer les deux planètes voisines en annexes de la Terre au même titre que la Lune, et, en général, ils se montrent assez optimistes.

Réchauffer Mars

Pour Mars, dont le cas est beaucoup plus simple, et sera donc résolu en premier, le terraformage passe d’abord par un réchauffement de son atmosphère, mais aussi par sa densification. On sait qu’actuellement la planète rouge est hostile à une vie comme la nôtre, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de la composition de son atmosphère, trop peu dense, trop froide, mais aussi toxique. Mais elle a probablement déjà accueilli la vie, apportée par des comètes ou de la poussière cosmique, vie qui a eu des difficultés à s’installer et à prospérer, avant de disparaître du fait peut-être d’un impactisme plus virulent encore que sur la Terre.

Pour les ingénieurs spatiaux, le problème immédiat est le suivant : il faut rendre possible l’existence d’eau liquide, qui apparemment a déjà existé dans un lointain passé. Pour ce faire, ils envisagent donc de modifier la composition des éléments volatils nécessaires à une vie quasi terrestre : eau, azote, carbone et oxygène qui existent déjà sur Mars, mais non sous une forme gazeuse. Ils existent seulement dans le sol de la planète et dans les calottes polaires.

Plusieurs scénarios sont à l’étude par les ingénieurs spatiaux, jamais à court d’idées neuves, sachant que le plus urgent est un réchauffement initial de l’atmosphère. On pense à introduire une grande quantité d'éléments volatils à partir d'un astéroïde carboné de type C que l'on ferait s'écraser à la surface. Un autre scénario plausible consisterait à introduire massivement des CFC (sigle de chlorofluorocarbures) qui sont des gaz de synthèse fabriqués à partir de méthane, d’éthane ou d’éthylène et de propène et qui ont la particularité d’être peu toxiques et miscibles dans l’eau. Du fait qu’ils absorbent le rayonnement infrarouge, ils participent à l’accroissement rapide de l’effet de serre et seraient très utiles pour réchauffer la planète d’environ une vingtaine de degrés.

Un autre scénario consisterait à introduire massivement des bactéries capables de métaboliser l’azote du régolite martien et de produire de l’ammoniac, autre gaz à effet de serre susceptible de réchauffer l’atmosphère d’une manière substantielle.

On pense que plusieurs processus différents seront nécessaires au début pour envisager avec succès le terraformage de Mars. Science-fiction d’aujourd’hui et réalité d’après-demain, tous les spécialistes y croient comme une probabilité sérieuse à long terme. Les plus optimistes pensent même qu’un seul millier d’années pourrait suffire, ce qui semble quand même très optimiste.

Refroidir Vénus

Rendre Vénus habitable sera beaucoup plus difficile et beaucoup plus long. Elle a une atmosphère écrasante, puisque sa pression à la surface est de l’ordre de 90 atmosphères terrestres, et brûlante avec une température de surface voisine de 500 °C. On sait que le formidable effet de surchauffe est du principalement au gaz carbonique et à la vapeur d’eau. Son terraformage consistera donc d’abord, à l’inverse de ce qu’il faudra faire pour Mars, à refroidir l’atmosphère et surtout à la désépaissir sérieusement.

On pourrait tenter de souffler cette atmosphère en faisant s’écraser plusieurs astéroïdes de taille décakilométrique, mais cela paraît bien insuffisant. On a aussi parlé de faire désintégrer des NEA de type Aten et Apollo (des Vénus-crossers qui existent déjà par milliers) à proximité de Vénus, entre celle-ci et le Soleil, pour diminuer la chaleur extérieure reçue par la planète. C’est la technique envisagée par Christian Marchal, un ingénieur français, à la fin des années 1970. Privée d’énergie solaire, Vénus pourrait refroidir progressivement, mais on voit mal comment on pourrait obliger la matière désintégrée à rester en permanence entre Vénus et le Soleil, à moins de renouveler constamment le processus. Dans ce scénario, l’impactisme planétaire et les NEA seraient donc de précieux alliés de l’homme dans sa conquête de l’espace. Les impacts n’auraient donc pas obligatoirement un effet négatif.

Carl Sagan, dans les années 1970, se montrait extraordinairement inventif et optimiste, prônant d’ensemencer les nuages vénusiens avec une algue (l’espèce nostocacae) qui effectuerait sa synthèse et qui permettrait au gaz carbonique et à l’eau de se convertir en composés organiques, surtout en hydrates de carbone et en oxygène. Il concluait qu’une fois condensée à la surface de Vénus, la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère donnerait une couche d’eau d’une trentaine de centimètres : « Pas un océan, mais de quoi irriguer le sol et satisfaire les besoins humains ». Avec lui, le problème de la survie de l’homme en dehors de son berceau terrestre ne faisait pas de doute. Il faut simplement s’attaquer au problème dès que possible.

La diminution drastique des crédits consacrés à l’espace dans les années 1980, a tempéré ce bel optimisme de la décennie précédente. Aujourd’hui, il faut admettre que les priorités budgétaires sont plutôt terrestres et que l’espace devra attendre. Mais les idées restent, et il y en aura d’autres.

Le danger des radiations existera toujours

On peut faire toute confiance à nos successeurs, ils trouveront probablement le moyen de rendre habitables les deux planètes sœurs. Avec du temps, quelques milliers d’années pour Mars, quelques dizaines de milliers d’années pour Vénus sans doute, ils viendront à bout de ce double chantier qui paraît quelque peu surhumain et utopique avec nos moyens actuels.

Mais quoi qu’il en soit, rien ne sera jamais totalement idyllique. En effet, il faut bien garder une chose à l’esprit. Vénus et Mars seront toujours soumises, comme la Terre, à un double impactisme : impactisme macroscopique, mais surtout particulaire. On sait que l’atmosphère terrestre est notre indispensable bouclier antiradiations. Qu’en sera-t-il des futures atmosphères martienne et vénusienne terraformées ? Pourront-elles filtrer, comme la nôtre, les rayons ultraviolets, X et autres particules crachés sans discontinuer par le Soleil ? Et les rayons cosmiques, ne perturberont-ils pas la belle atmosphère relookée par les ingénieurs spatiaux ? Comme nous l’avons vu plus haut, une colère du Soleil aurait aussi ses répercussions sur les deux planètes, surtout sur Vénus d’ailleurs qui est plus proche et donc davantage exposée.

Envisager des colonies extraterrestres artificielles

Hors les deux planètes voisines, aucun autre astre du Système solaire n’est terraformable dans les millénaires à venir. Seules des stations spatiales peuvent être envisagées sur certains astéroïdes ou quelques satellites, mais ce n’est pas la même chose qu’une planète habitable. Eros, par exemple, pourrait accueillir une mini-colonie humaine, mais pour y faire quoi, si ce n’est une station scientifique du genre de celles qui ont envahi l’Antarctique ? Quelques centaures pourraient également accueillir des stations de reconnaissance, mais il ne s’agira jamais de colonisation.

Contrairement à l’alternative précédente consistant à terraformer les deux planètes voisines, qui ne peut devenir opérationnelle que sur le long terme, les colonies extraterrestres artificielles peuvent se mettre en place en quelques décennies seulement. D’où leur intérêt évident, même si cela a encore un petit côté science-fiction.

Cette éventualité a été étudiée dans les années 1970, notamment par le physicien américain Gerard O’Neill (1927-1992) qui a écrit un livre passionnant (et évidemment très controversé) sur le sujet : Les villes de l’espace. Il considère à juste titre, que de telles colonies assureraient la survie de l’humanité en cas de cataclysme.

« Quand nous aurons colonisé l’espace interplanétaire - ce qui pourrait se produire dès le début du XXIe  siècle, d’après le calendrier du physicien de Princeton Gerard K. O’Neill - nous aurons accessoirement gagné notre indépendance par rapport aux futures catastrophes de la Terre. La survie des plus adaptés, à l’échelle d’un bouleversement géologique, pourrait signifier celle des espèces qui, à un moment donné, ont réussi la conquête de l’espace. » 2

O’Neill postule pour l’installation d’îles de l’espace aux points de Lagrange L5 et L4 de la Lune (figure), ou plus exactement dans les régions de stabilité tournant autour de ces points selon une très grande orbite. Il appelle d’ailleurs ces zones de stabilité Lagrangia. Pour lui, si l’humanité s’y prend suffisamment tôt, elle peut assurer pour longtemps sa survie hors de la Terre, si celle-ci devait être menacée par un cataclysme cosmique ou écologique rendant notre planète invivable.

Spaceguard : la sauvegarde de l’humanité

L’impératif désormais admis par tous (astronomes, militaires et politiciens) est la prise en compte du danger cosmique. On comprend mieux aujourd’hui l’intérêt, et même la nécessité absolue, de la fondation Spaceguard. Identifier tous les objets potentiellement dangereux, qui ont déjà leur sigle : PHO (pour Potentially Hazardous Objects) et calculer toutes les approches serrées à l’avance pour pouvoir intervenir en temps utile si cela est réellement nécessaire. C’est le minimum sur lequel tout le monde est d’accord.

Une liste des approches prévues existe et est constamment actualisée par les spécialistes du Minor Planet Center, l’organisme international qui collationne toutes les données nouvelles. Les très fortes approches réelles se chiffreront maintenant à plusieurs centaines par siècle. On a vu que la fameuse approche prévue le 26 octobre 2028 pour 1997 XF11 est déjà calculée et sera de toute manière inférieure à 1,0 MK. Mais cette liste reste pour le moment très incomplète. Il est bien évident que les objets les plus dangereux sont ceux qui ne sont pas encore découverts (figure).

Comme nous l’avons expliqué, l’affaire est devenue à la fois scientifique et à la fois militaire. Les militaires américains, mais aussi russes et chinois ne pouvaient pas laisser de côté le fameux ennemi extérieur, une véritable aubaine pour tous. Les militaires se sont institués sauveurs de l’humanité, et pour être totalement crédibles (ce qui est loin d’être le cas, surtout aux États-Unis), ils sponsorisent (parallèlement à leurs propres investigations technologiques) la recherche d’astéroïdes potentiellement dangereux. Tous sont partie prenante, directement ou indirectement, de la fondation Spaceguard, qui avec son côté international, se veut rassurante et pragmatique.

Une chose est déjà sûre : le Congrès américain a péché par optimisme en croyant que les astronomes seraient capables d’identifier la quasi-totalité des NEO en une dizaine d’années. Comme l’a bien expliqué le spécialiste italien Andrea Carusi, premier responsable de Spaceguard :

« Le Congrès américain a péché par optimisme. Comme l’a démontré le rapport Morrison, il est impensable d’identifier - et certainement pas en dix ans - tous les objets dangereux. Parmi les objets menaçants, on compte les comètes, que leur révolution soit courte ou longue. Or, tandis que l’on peut suivre le parcours des comètes de révolution courte, certes difficilement et avec une certaine approximation, les comètes de révolution longue sont totalement imprévisibles. Elles sont généralement découvertes quand elles se trouvent déjà bien à l’intérieur du système planétaire, quelques mois avant de passer à proximité du Soleil (donc de la Terre). Néanmoins, selon les estimations les plus courantes, l’ensemble des comètes ne représente que 10 % tout au plus de la population des objets, alors qu’elles constituent environ 25 % du danger total. » 3

Les astronomes se méfient des comètes depuis 1983, quand IRAS-Araki-Alcock, comète usée de plusieurs kilomètres de diamètre, qui a une période de l’ordre de 1000 ans, est venue frôler la Terre sans s’annoncer, puisqu’elle a été découverte au dernier moment. La Terre et l’espèce humaine l’ont échappé belle ! D’autres objets identiques existent, c’est obligatoire, et ne seront identifiés qu’alors qu’il sera déjà trop tard pour réagir efficacement, si le besoin s’en fait vraiment sentir. Les astronomes ne sont pas des magiciens, et il ne faut pas leur demander l’impossible.

Cela dit la fondation Spaceguard est un progrès énorme, puisqu’il s’agit du premier programme (quasiment d’utilité publique) auquel acceptent de participer des pays très différents comme les États-Unis, la Russie et la Chine, et ses résultats globaux s’annoncent tout à fait spectaculaires. Le premier maillon de Spaceguard, Spacewatch, le télescope automatique installé à Kitt Peak, a magnifiquement dégrossi le terrain avec sa cinquantaine de découvertes annuelles depuis 1990. Une demi-douzaine d’autres équipes depuis 1996 lui prêtent main forte, et particulièrement le programme LINEAR, héritier direct des satellites espions américains.

On l’admet enfin aujourd’hui : le danger cosmique reste omniprésent à l’échelle astronomique. C’est la raison pour laquelle le cataclysme destructeur prévu par les statistiques ne pourra pas toujours être évité. Une épée de Damoclès existe en permanence au-dessus de nos têtes.

Faire face aux impacts : les stratégies envisagées

Nous avons expliqué au chapitre 4 comment les militaires américains, qui se désespéraient à la fin des années 1980 de la disparition de leur ennemi traditionnel avec la désintégration de l'URSS, avaient rapidement trouvé la parade à leurs déboires et à la baisse annoncée de leurs crédits d'armement. En faisant connaître au monde, mais surtout au peuple et au Congrès américains, l'existence d'un redoutable ennemi extérieur sous forme de météorites géantes qui pénètrent chaque mois dans l'atmosphère terrestre, ils s'imposaient en même temps comme les sauveurs incontournables de la planète pour l'avenir.

Leurs nombreux ingénieurs et experts en tout genre eurent vite fait d'entreprendre des recherches pour mettre au point des parades aux possibles impacts d'astéroïdes et de comètes. De nombreux scénarios ont été étudiés pour détruire, ou plus simplement détourner, tout objet qui s'avérerait dangereux. Mais les scientifiques ne veulent pas être en reste, et plusieurs d'entre eux ont déjà mis au point des solutions, certaines fort astucieuses. En fait, dans l'avenir, les décideurs (des politiques sans doute) auront le choix entre plusieurs ripostes possibles, pouvant être différentes selon le type et la taille de l'objet menaçant. Nous allons en étudier quatre sommairement, mais il en est d'autres qui s'avéreront également crédibles, une fois qu'elles auront été améliorées.

— 1. La bombe nucléaire. C'est bien sûr la solution militaire, déjà évoquée dans le film Meteor de 1979, sur laquelle travaillent Américains, Russes et Chinois. Elle est quasiment au point, car depuis de nombreuses années tous les calculs théoriques indispensables ont été effectués. Dans ce scénario classique, des charges nucléaires sont emportées par des fusées et tirées sur le corps céleste menaçant. Les simulations montrent qu'un projectile de 30 tonnes pourrait dévier de 100 mètres environ la trajectoire d'un astéroïde. C'est peu, mais suffisant, semble-t-il, pour détourner un objet sur une orbite de collision sur une autre orbite sans danger.

Les spécialistes voient grosso modo les choses de la manière suivante : l'explosion d'une charge nucléaire à la surface même d'un astéroïde créerait un cratère important et cela entraînerait une substantielle perte de masse. L'impulsion et l’onde de choc déclenchées seraient suffisantes pour détourner l'objet menaçant. Le risque est double dans l'hypothèse de la bombe cosmique. Le principal est lié au lancement, gare s'il est raté, la Terre en subirait les conséquences. L'autre risque est celui de briser l'astéroïde en de nombreux fragments qui poursuivraient leur route. On se trouverait alors face à un impact multiple, du genre de celui de la comète Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter avec une vingtaine de fragments principaux de taille pouvant être kilométrique et hectométrique selon le diamètre du corps initial, ou même carrément face à une pluie de mini-fragments qui pourrait s’avérer extrêmement dangereuse et totalement incontrôlable, avec une multitude de cataclysmes locaux meurtriers.

Pour pallier ce danger, certains spécialistes préconisent plutôt de faire exploser l'arme nucléaire, non sur l'objet lui-même, mais à côté (figure). L'onde de choc engendrée par l'explosion devrait également être suffisante pour dévier l'objet dangereux, mais on n’en est encore qu’aux simulations, et entre simulation et la réalité , il peut y avoir des variantes d’importance.

— 2. Le filet à billes. Cette solution a été proposée par le physicien américain Edward Teller, le père de la bombe H, qui a repris du service à près de 90 ans. Son vieux cerveau, toujours créatif, a imaginé un stratagème remarquable, qui pourrait être fort efficace si l'objet cosmique menaçant n'est pas trop volumineux (200 mètres), et qui a le gros avantage de ne pas faire appel au nucléaire.

Le scénario est le suivant. Une multitude de microprojectiles d'une vingtaine de grammes au maximum (plusieurs millions de billes de tungstène, d'après Teller) sont largués à proximité du corps cosmique, en avant de celui-ci. Pour éviter qu'elles s'éloignent les unes des autres, elles sont reliées entre elles par une fibre solide, un véritable filet, qui entre en collision avec l'objet menaçant à grande vitesse. La première bille le transperce à une grande profondeur, la seconde continue le travail et ainsi de suite. Le criblage de la surface, puis de l'intérieur de l'objet, par des dizaines de milliers de microprojectiles lancés à grande vitesse devrait pulvériser un objet jusqu'à 200 mètres de diamètre.

— 3. Le miroir géant. Cette solution astucieuse a été proposée par le planétologue américain Jay Melosh et pourrait être efficace pour des gros objets, notamment des comètes, si on les découvre longtemps avant l'impact calculé. Elle consiste à faire fondre l'objet menaçant.

Dans ce scénario, un miroir concave géant (plusieurs centaines de mètres) en aluminium est lancé dans l'espace. En focalisant les rayons du Soleil en permanence sur une partie très précise du corps cosmique, on doit pouvoir augmenter sa température jusqu'à 1000 °C environ (figure). Cela devrait entraîner la fonte d'une partie importante du corps céleste, surtout s'il s'agit d'une comète, et permettre de le dévier sur une orbite sans danger pour la Terre.

— 4. Le billard cosmique. Cette technique n'est pas nouvelle (en tant qu'idée) et a déjà été envisagée pour détruire un objet menaçant, à condition que l'on sache longtemps à l'avance la date de collision prévue. Elle consiste à changer la course d'un petit objet céleste, de telle manière qu'il entre ensuite à grande vitesse en collision avec un objet plus gros, les deux étant alors pulvérisés dans l'espace.

Dans cette hypothèse, qui sera peut-être envisageable dans l'avenir dans certains cas particuliers, notamment celui d'une grosse comète dangereuse repérée longtemps à l'avance, il faut dans un premier temps tirer un projectile capable de dévier un petit astéroïde (avec l'option 1 de la bombe nucléaire) et maîtriser son orbite pour pouvoir atteindre le deuxième objet. Inutile de dire que cette solution n'est pas pour demain, mais elle pourrait être la plus efficace pour détruire un gros objet d'une dizaine de kilomètres.

Les militaires et les ingénieurs planchent maintenant sur les différentes formules acceptables qui peuvent être utilisées pour protéger la Terre du danger cosmique. Il paraît clair que plusieurs techniques puissent être envisagées selon la nature exacte du danger : une comète peut être plus facilement détruite qu’un astéroïde métallique. Outre les quatre possibilités dont nous avons parlé, certaines autres peuvent se montrées appropriées à des cas particuliers. Un objet de cent mètres ne présente pas le même danger qu’un objet de taille kilométrique, et il sera nécessaire de bien appréhender le pour et le contre de chaque intervention. Il serait inacceptable que le remède soit pire que le mal lui-même ! C’est un risque à ne pas négliger.

Laisser des documents pour les civilisations futures

Les chercheurs actuels souffrent cruellement du manque d'informations disponibles concernant la haute antiquité, informations qui pourraient les éclairer sur les catastrophes terrestres et d'origine cosmique du passé. Rappelons qu'aucun texte n'a expliqué clairement le cataclysme du Santorin, pourtant formidable, et qui ne date que du IIe millénaire avant notre ère. Son souvenir était déjà perdu chez les Grecs, et ne survivait que sous forme de légendes imprécises et complexes, quasiment indéchiffrables sur un plan scientifique. Les Crétois, et plus généralement la civilisation minoenne, n'ont laissé aucun témoignage sur ce cataclysme dont ils furent les principales victimes et auquel pourtant une partie non négligeable d'entre eux survécurent. On peut se demander pourquoi.

Il est impératif aux yeux des scientifiques et autres intellectuels modernes de prévoir le pire (qui est loin d'être exclu), et de laisser à nos descendants des traces écrites de notre civilisation. On sait qu'un cataclysme peut détruire au cours des siècles prochains la civilisation actuelle. Mais de toute manière, il y aura des survivants qui referont surface et qui redémarreront très progressivement sur les ruines de cette ancienne civilisation. Ces survivants auront le droit de savoir ce qui s'est passé avant le cataclysme qui les a fait reculer de plusieurs millénaires, et qu'il a existé, avant eux, une autre civilisation avancée. Le bouche à oreille qui prévaudra les premiers temps n'aura jamais la crédibilité suffisante pour assurer la transmission exacte des informations et des connaissances détenues par les survivants, et des écarts significatifs avec la réalité existeraient dès la deuxième génération. Ce savoir, notre savoir, résumé des connaissances essentielles du monde ancien, devra être facilement accessible et compréhensible pour être utilisable par les descendants des survivants du cataclysme.

Apprendre aux survivants d'un holocauste nucléaire (ou moins probablement cosmique) que nous avons vraiment existé paraît bien être une obligation minimale pour nous, pour éclairer ceux qui viendront plus tard. Dater approximativement notre passage ne devrait pas être trop difficile, il suffit de s'appuyer sur quelques événements astronomiques facilement déchiffrables. Aujourd'hui la question que toute personne raisonnable se pose est celle-ci : « Combien de temps une civilisation comme la nôtre, qui possède les armes pour se détruire, peut-elle survivre ? ». Nous avons rappelé au chapitre 18 que Platon, il y a vingt-cinq siècles, opposait déjà la raison et la mesure à la barbarie et au chaos. Le problème reste entier, mais la menace semble plus proche.

 

1. G. Charpak et R.L. Garwin, Feux follets et champignons nucléaires (Odile Jacob, 1997), p. 155.

2. R.N. Bracewell dans G. O’Neill, Les villes de l’espace (Robert Laffont, 1978), p. 211.

3. A. Carusi, Astéroïdes et comètes : les menaces sur la Terre, Pour la Science, 212, 1995, p. 97.

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