CHAPITRE 7

LES COMÈTES

 

Anatomie et composition des comètes

Plusieurs milliers de spécialistes, depuis des siècles, ont fait le maximum pour que les comètes soient enfin compréhensibles par les hommes, pour qu’elles laissent déchiffrer les détails cachés de leur anatomie et de leur composition. Ce n’est que dans le dernier quart du XXe siècle que des progrès décisifs ont pu être accomplis, notamment grâce aux sondes spatiales envoyées à la rencontre de P/Halley lors de son passage près du Soleil en 1986 (figure).

Les différents modèles de noyaux

On sait depuis longtemps que les noyaux cométaires sont des petits corps célestes, d’un diamètre ordinairement de taille kilométrique ou moins souvent décakilométrique, constitués principalement de glace d’eau, de roches et de poussières dans des proportions variables.

Progressivement, à partir de ce constat sommaire, plusieurs modèles ont été proposés pour répondre aux observations, sans jamais perdre de vue que la réalité peut être multiple et évoluer avec le temps. Ainsi un noyau nouveau est très différent d’un noyau usé qui devient progressivement astéroïdal quand il a perdu la quasi-totalité de ses éléments volatils.

Nous allons dire quelques mots sur les principaux modèles de noyaux, car selon leur configuration, leur densité et leur composition, les conséquences en cas d’impact peuvent être différentes (figure).

— Le conglomérat de glaces. C’est le modèle de la boule de neige sale, proposé par Fred Whipple en 1950. En fait, il s’agirait d’un mélange de glace d’eau, de grains de poussière de toutes tailles, de dioxyde de carbone et d’autres gaz gelés, avec parfois des molécules plus complexes, comme le formaldéhyde et le cyanoacétylène. Selon les spécialistes actuels, les éléments volatils n’existeraient pas sous la forme de glace pure, mais sous celle d’hydrates et de clathrates.

— L’agrégat de flocons. C’est le modèle fractal, proposé par Bertram Donn en 1985. Des flocons de matière interplanétaire et interstellaire s’agglutinent pour former des corps de taille cométaire.

— L’amoncellement de débris primitifs. C’est le modèle de l’empilage progressif de blocs primordiaux et hétéroclites, proposé par Paul Weismann en 1986.

Le modèle mixte : roches + glace collée. C’est le modèle mi-roches/mi-glaces, proposé par Tomas Gombosi et Harry Houpis en 1986, et qui paraît le mieux répondre à la majorité des observations. C’est un agglomérat de particules d’origines diverses, liées entre elles par un "ciment" et qui peuvent retrouver leur autonomie après une fragmentation ou une désintégration. Des parties de comètes (les roches) n’ont pas d’activité cométaire, seules les parties glacées sont soumises à la sublimation.

L’activité des noyaux

Depuis l’observation de P/Halley en 1985-1986, on a eu la confirmation que l’activité cométaire prend naissance dans un nombre limité de zones à la surface du noyau et uniquement du côté tourné (chauffé) vers le Soleil. Cette activité se caractérise par des émissions de matière (poussières) et de gaz à partir des quelques plages actives. Les spécialistes ont noté que les jets se désactivent rapidement lorsque celles-ci retournent dans l’hémisphère non éclairé, du fait d’un phénomène classique de recondensation.

L’activité cométaire est variable selon l’âge de la comète. Les comètes neuves, même minuscules comme C/Sugaino-Saigusa-Fujikawa (diamètre de 800 mètres), ont une activité maximale pouvant atteindre de 40 à près de 100 % de la surface. P/Halley, qui est une comète à mi-vie active, avait une fraction active de 20 % environ à son dernier passage. Par contre, les comètes usées, comme P/Schwassmann-Wachmann 1 ou P/Encke, n’ont plus que 1 ou 2 % de surface active. Les comètes à l’agonie (qui sont déjà quasi astéroïdales), comme P C/IRAS-Araki-Alcock, ont moins de 1 % de surface active. Ces comètes sont presque des comètes mortes, ou seulement en sommeil pour certaines, car un impact peut percer parfois la croûte protectrice accumulée au fil des passages près du Soleil et libérer provisoirement un résidu de matières volatiles. C’est ce qui est arrivé à P/Elst-Pizarro en 1996, comme nous l’avons expliqué au chapitre 6.

La sublimation des éléments volatils

Au fur et à mesure qu’une comète se rapproche du Soleil, son noyau se réchauffe. Vers 600 MK (soit 4,0 UA), les glaces sont sujettes à la sublimation, libérant par là même une quantité variable de gaz et de poussières. C’est ainsi que se forme progressivement la chevelure de la comète dont le diamètre peut approcher 100 000 km, et même plus dans certains cas.

Dans un deuxième temps, c’est la queue qui se forme à partir de la chevelure, une queue double, on le sait, l’une dite queue de plasma et l’autre dite queue de poussières.

La sublimation des éléments volatils est la conséquence directe du chauffage du noyau par le Soleil. Ces éléments volatils donnent d’abord des molécules mères (du genre HCN, H2O, CO, CO2, CH3OH, H2CO), qui elles-mêmes se dissocient en molécules filles, qui sont des radicaux, des ions et des atomes (du genre CN, H, OH, O, CO+, C, CO, CH, CH3O). Toute cette matière est libérée dans l’espace et vient enrichir la poussière cosmique au sens large.

Quand la sublimation ne peut plus se faire, la comète se présente sous la forme d’un astéroïde cométaire qui est le stade final avant la désintégration ou l’impact cosmique (figure).

Les fortes approches des comètes à la Terre

Le tableau 7-1 donne, par ordre chronologique, toutes les approches sûres recensées à moins de 0,100 UA de la Terre, ce que l'on considère comme de fortes approches. On en compte seulement vingt, ce qui est vraiment très peu, et montre bien que les approches serrées des comètes actives à notre planète sont beaucoup plus rares que celles des astéroïdes (astéroïdes cométaires inclus) qui se chiffrent, elles, par centaines par siècle. On connaît également douze autres fortes approches possibles antérieures à l'année 1500, que nous donnons dans la seconde partie du tableau.

Celui-ci est très instructif et mérite quelques commentaires d'ordre général. Il y a lieu d'abord d'insister sur la rareté de ces fortes approches. On en connaît six au XVIIIe siècle, quatre au XIXe et quatre au XXe, en dépit d'une multitude de découvertes. Elles peuvent se produire n'importe quand : aucune entre 1930 et 1983 et deux coup sur coup en mai et juin 1983. Elles ne concernent pas forcément des objets très brillants, ainsi les magnitudes absolues ont varié entre –3,5 (P/Halley en 837) et 6,0 (C/Sugano-Saigusa-Fujikawa en 1983). Seules P/Halley et P/Tempel-Tuttle figurent à plus d'une reprise (respectivement trois et deux fois). Le record des approches est déjà vieux de plus de deux siècles (D/Lexell en 1770).

Historique des huit très fortes approches cométaires à la Terre

Sur les vingt fortes approches certaines recensées, seulement huit sont considérées comme des très fortes approches. Ce sont celles inférieures à 0,050 UA (1/20 d'unité astronomique ou 7,5 MK). Nous allons les passer en revue rapidement.

1P/Halley. La plus célèbre des comètes est connue depuis l'Antiquité et ses trente approches près du Soleil depuis 240 av. J.-C. ont pu être calculées avec précision à partir des années 1970. Elle figure trois fois dans le tableau 7-1, mais elle a eu une seule très forte approche, celle du 10 avril 837, date à laquelle elle est passée à 0,0334 UA (5,00 MK) de la Terre. Elle était alors un astre superbe dans le ciel, de magnitude –3,5, et fut considérée comme un signe de Dieu par toute une population toujours angoissée par les "prodiges" visibles dans le ciel, à une époque particulièrement obscurantiste. On rapporte que le roi de France de cette époque, Louis le Débonnaire (778-840), fils de Charlemagne, y vit le présage de sa mort prochaine (il dut quand même attendre trois ans !). (figure)

55P/Tempel-Tuttle. C'est la comète mère des Léonides, dont on sait qu'elle perd depuis longtemps une partie substantielle de sa matière. Elle figure deux fois dans le tableau. Elle a eu une très forte approche à la Terre le 26 octobre 1366 à 0,0029 UA (0,43 MK), sous le règne de Charles V le Sage (1338-1380), tout en ne dépassant pas la magnitude 2.

C/1702 H1 (comète La Hire). Cette comète a eu une approche à 0,0437 UA (6,54 MK) le 20 avril 1702, qui fut observée par Louis XIV (qui avait créé en 1666 l'Observatoire de Paris pour promouvoir l'observation astronomique) et sa cour. A cette époque, il n'y avait plus de peur panique à l'apparition d'une comète, mais au contraire (tout au moins dans les milieux cultivés) intérêt et même passion. Celle-ci fut spectaculaire (m = –1,3), mais visible que peu de temps.

C/1743 C1 (comète Grischow). Cette comète à orbite parabolique a eu une approche à 0,0390 UA (5,83 MK) le 8 février 1743, sans être vraiment spectaculaire, ce qui signifie qu'il s'agissait d'une comète de taille relativement modeste. Sa très faible inclinaison (i = 2,3°) semble indiquer une origine dans le disque de Kuiper.

D/Lexell. Cette très remarquable comète, dont nous avons déjà parlé au chapitre 3, car elle a eu une importance considérable sur les idées de l'époque, détient le record des approches (pour les objets bien connus). Elle s'est approchée à seulement 0,0151 UA (2,26 MK) le 1er juillet 1770 et eut une magnitude négative (–1,3). La figure explique l'histoire complexe de cette comète qui a donné bien du fil à retordre aux calculateurs de l'époque. Elle n'est plus accessible actuellement, du fait d'un périhélie proche de Jupiter, mais elle sera peut-être de nouveau observable dans le futur.

3D/Biela. Cette célèbre comète aujourd'hui désintégrée, comète mère des Biélides, a eu une très forte approche à la Terre le 9 décembre 1805 : 0,0366 UA (5,48 MK). Il s'agissait d'une comète à courte période qui fut observée auparavant en 1772. Elle a joué un rôle important pour les idées catastrophistes (surtout religieuses), quand à l'occasion de son troisième retour observé, en 1826, Heinrich Olbers (1758-1840) signala qu'elle s'approchait à seulement 28 000 km (0,0002 UA) de l'orbite terrestre et que les deux orbites se coupaient donc pratiquement à l'échelle astronomique, avec les risques possibles de contamination et même de collision que cela comportait à l'occasion de passages ultérieurs. Cette catastrophe quasiment annoncée fut évitée puisque, dès 1845, la comète Biela se cassa en deux morceaux avant de se désintégrer complètement et de produire les deux célèbres averses météoriques de 1872 et 1885. (figure)

7P/Pons-Winnecke. C'est une comète à courte période très intéressante, connue depuis 1819 mais observée ensuite plus ou moins épisodiquement. Elle a la particularité de subir des modifications orbitales très sévères, notamment la distance périhélique qui a varié de près de 0,50 UA en moins de deux siècles, ce qui est énorme, dues en partie à des perturbations non gravitationnelles importantes. Elle a eu une très forte approche à la Terre le 26 juin 1927, à 0,0394 UA (5,89 MK), tout en restant à cette occasion relativement peu brillante (m = 3,5).

C/IRAS-Araki-Alcock. Cette comète récente est restée célèbre pour s'être approchée à 0,0312 UA (4,67 MK) de la Terre le 11 mai 1983, la plus forte approche depuis celle de D/Lexell en 1770. Elle se caractérise par une très forte excentricité (e = 0,990) et une très forte inclinaison (i = 73,3°) qui rend l'orbite dynamiquement très stable. Elle était quasiment ponctuelle lors de sa découverte et fut même prise pour un astéroïde dans un premier temps. D'abord considérée comme une comète minuscule, du fait de son faible éclat si près de la Terre (m = 1,5), elle a vu son diamètre réévalué par les mesures radar : noyau de l'ordre de 6 km. Cela s'explique par le fait que cette comète est un astre usé qui n'émet plus que très peu de poussières. C'est la conséquence de milliers de révolutions autour du Soleil (sa période actuelle est de l'ordre de 1000 ans). D'ici quelques dizaines de milliers d'années, elle deviendra un authentique astéroïde cométaire, avec un demi-grand axe qui n'évoluera probablement pas beaucoup, autour de 100 UA. Tous les 1000 ans environ, elle viendra près du Soleil, et peut-être à nouveau viendra frôler la Terre comme elle l'a fait en 1983.

Comètes à courte période et astéroïdes cométaires

Les comètes à courte période perdent continuellement de leur matière. De ce fait, elles deviennent rapidement à l'échelle astronomique, et d'autant plus vite que leur période de révolution et leur distance périhélique sont faibles et leur diamètre petit, des astéroïdes cométaires. Sauf celles, naturellement, qui disparaissent par désintégration comme D/Biela, qui n'a pas survécu à une première fragmentation simple, ou par émiettement progressif du fait d'un noyau à faible cohésion, conséquence d'une configuration structurale de mauvaise qualité.

Quand on parle de comètes, il faut donc prendre en compte deux épisodes successifs de leur vie, d'abord une phase active, ensuite une phase astéroïdale. Ces astéroïdes cométaires continuent d'avoir de fortes approches à la Terre (et aux autres planètes), en nombre beaucoup plus important que durant leur courte vie de comète active. On sait en effet que la phase inactive finale peut être 1000 fois plus longue que la phase active initiale.

La liste, sans cesse réactualisée et augmentée, des objets Aten-Apollo-Amor contient plus de 900 objets fin 1999. Parmi ceux-ci, un nombre très significatif (près de 40 % probablement) concerne des astéroïdes cométaires. De tels objets peuvent parfois être repérés, de trois manières : 1/ par leurs éléments orbitaux (excentricité et/ou inclinaison cométaire) ; 2/ par leur association avec des familles de météores ; 3/ par leur type physique particulier (D ou C notamment).

Le dénombrement des comètes

Plusieurs listes d'apparitions cométaires ont été publiées à partir du XVIIIe siècle. Depuis les années 1970, un catalogue de comètes, le Catalogue of cometary orbits, publié par le Minor Planet Center, de nos jours sous la double signature de Brian Marsden et Gareth Williams, est constamment mis à jour, et les orbites des comètes nouvelles, mais aussi des anciennes, sont calculées avec le plus grand soin. En ajoutant les divers retours des comètes périodiques, on aboutit actuellement à un nombre largement supérieur à 2000 apparitions différentes.

Il est certain que le nombre de comètes actives existant dans le Système solaire est extrêmement élevé. On cite, en général, le nombre approximatif de 100 milliards d'objets différents. On connaît deux grands réservoirs de comètes, tous deux très différents et tout à fait inépuisables : le nuage de Oort et le disque de Kuiper. Nous les étudierons en détail.

Une fraction très faible de ces 100 milliards de comètes peut, suite à des perturbations stellaires qui se produisent de temps à autre, venir au voisinage du Soleil et de la Terre. Parmi celles-ci, seule une petite partie est susceptible d'être capturée par les grosses planètes et donc de devenir des comètes périodiques. Mais compte tenu du réservoir de base extrêmement important, la très faible partie de comètes concernées se chiffre encore par millions. Elles ont été dans le passé, sont actuellement et seront dans l'avenir susceptibles de devenir, pour une période assez courte à l'échelle astronomique, des éléments permanents du Système solaire intérieur.

D'abord comètes actives durant quelques milliers ou dizaines de milliers d'années, puis pour certaines d'entre elles astéroïdes cométaires pendant quelques millions d'années, ces objets capturés pourront frôler la Terre, ou l'une ou l'autre des planètes voisines, et participer à leur manière, différente de celle des astéroïdes authentiques, à l'impactisme planétaire.

Les deux réservoirs de comètes

On distingue deux réservoirs très différents de comètes qui ont été mis en évidence au début des années 1950, le premier par Jan Oort (1900-1992) et le second par Gerard Kuiper (1905-1973). Mais le second n'a vu sa réalité confirmée qu'au début des années 1990, grâce à la révolution technologique apportée par l'utilisation de caméras CCD très performantes, couplées avec des télescopes de grand diamètre sur des sites d'observation privilégiés. Les noms des deux pionniers de ces découvertes doivent être mentionnés ici, car ils ont permis une nouvelle avancée fondamentale. Ce sont David Jewitt et Jane Luu, deux astronomes américains qui travaillaient sur le site de Mauna Kea, à Hawaii, avec un télescope de 2,2 mètres d'ouverture.

Le nuage de Oort

C'est une "coquille" sphérique dont le Soleil est le centre (les inclinaisons ont toutes les valeurs possibles), que l'on peut situer en gros entre 2000 et 100 000 UA, c'est-à-dire une tout autre population que celle existant dans le Système solaire intérieur. On a tendance, de nos jours, à le diviser en deux parties bien distinctes : le nuage externe, compris entre 10 000 et 100 000 UA et le nuage interne, compris entre 2000 et 10 000 UA. Le nuage de Oort contient un nombre illimité d'objets (plusieurs milliards à coup sûr). Celles qui sont précipitées dans le Système solaire intérieur le sont à la suite de perturbations stellaires (passage d'une étoile à proximité relative du Soleil). Le diamètre de ces objets peut varier de quelques km à probablement plusieurs milliers de km. Mais en règle générale, la quasi-totalité des membres de ce groupe n'ont aucune raison de venir dans le Système solaire interne. Ce sont des astres primordiaux, c'est-à-dire directement issus de la formation du Système solaire, amorcée il y a plus de 4,6 milliards d'années par la condensation du disque de gaz et de poussière présolaire, en rotation sur lui-même, et qui engendra, outre le Soleil, les planètes et leurs satellites, d'innombrables résidus qui n'ont pas tous disparus par la suite.

Les statistiques ont montré que certaines comètes neuves (celles qui viennent pour la première fois dans le Système solaire intérieur) arrivent prioritairement d'une région située entre 40 000 et 50 000 UA (dans le nuage externe). Cela tendrait à montrer qu'il existe certaines zones plus denses en noyaux cométaires vers cette distance. On considère, en général, qu'une comète dont le demi-grand axe est inférieur à 10 000 UA (issue du nuage interne) n'est pas une comète neuve au sens strict, et que celles qui ont un tel demi-grand axe ont déjà effectué quelques (rares) apparitions près du Soleil. De telles comètes ont déjà évolué dynamiquement.

Les perturbations ne sont pas seulement dues aux passages erratiques d'étoiles près du Soleil, même si l'on sait que celles-ci en sont les responsables essentielles, ni aux forces de marée générées par la rotation de la Galaxie. L'astrophysicien allemand Ludwig Biermann (1907-1986) a montré le premier que les grands nuages moléculaires que traverse parfois le Système solaire contribuent eux aussi à perturber sensiblement les comètes du nuage de Oort. Certains de ces nuages moléculaires sont très massifs et peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers de fois la masse du Soleil, dans un volume de plus de 100 années-lumière de diamètre. Depuis leur formation, il y a 4,6 milliards d'années, le Soleil et sa nombreuse famille ont pu traverser ce genre de nuage géant une bonne dizaine de fois. Il n'est pas exclu alors qu'une quantité anormale de comètes ait pu être injectée en peu de temps dans le Système solaire intérieur. La traversée de nuages moléculaires plus petits, de l'ordre de 1000 à 10 000 fois la masse du Soleil, est bien sûr beaucoup plus fréquente. Elle serait de l'ordre d'une fois tous les 10 millions d'années (c'est-à-dire d'une centaine par milliard d'années), avec des conséquences moindres, mais cependant nullement négligeables.

On voit ainsi que ces perturbations, qui peuvent être de nature différente, sont largement suffisantes pour permettre un renouvellement permanent de la matière cométaire près du Soleil, et aussi expliquer l'extraordinaire cratérisation qu'ont subi les diverses planètes et satellites, cratérisation qui, on le sait maintenant, était à la fois d'origine planétaire, mais aussi cométaire.

Le disque de Kuiper

C'est un disque plat (quelques degrés pour les inclinaisons) situé entre environ 38 et 100 UA (peut-être même 200 UA ou plus) du Soleil, donc incontestablement une composante du Système solaire interne (figure). Il pourrait contenir plusieurs millions d'objets (comètes et/ou astéroïdes) de plusieurs dizaines (ou plus) de km de diamètre, composés de glace mais aussi probablement de roches. Ceux qui décrochent de ce disque le font à la suite de perturbations planétaires, mais en général les excentricités sont modestes (très souvent inférieures à e = 0,20) et les orbites stables. Ce qui signifie que beaucoup de membres de ce groupe pourraient être des objets primordiaux, des planétésimales.

Le bond technologique décisif du début des années 1990 a permis de découvrir plusieurs dizaines d'objets appartenant au disque de Kuiper, et on distingue déjà deux groupes aux caractéristiques orbitales distinctes :

— les Plutinos qui forment la bordure interne du disque. Ces objets qui ont a compris entre 38 et 40 UA apparaissent très nombreux. Comme Pluton (et son satellite Charon), ils ont la particularité très importante d'être en résonance 3/2 avec Neptune et sont donc protégés de toute approche avec cette planète qui pourrait s'avérer dangereuse et signifier pour eux "le début de la fin", c'est-à-dire la plongée dans le Système solaire intérieur, avec les conséquences qui en découlent sur leur espérance de vie.

— les autres Kuiperoïdes qui ont entre 40 et 100 UA (ou même probablement plus) et qui ne bénéficient pas de cette résonance 3/2. Ce sont d'authentiques membres du disque de Kuiper qui ont en principe une orbite très stable et beaucoup doivent exister depuis la formation du Système solaire. C'est parmi eux, cependant, que suite à des perturbations, principalement dues à Neptune, mais aussi à celles des autres membres du disque, que certains objets voient leur excentricité augmenter et leur périhélie diminuer, avec les risques majeurs que cela comporte : approche à Neptune et injection sur une orbite plus petite, souvent dans un premier temps de type centaure, ou injection directe avec une excentricité quasi parabolique dans le Système solaire intérieur et avec un périhélie à l'intérieur de l'orbite de Jupiter.

La grande majorité des objets actuellement connus du disque de Kuiper ont une magnitude absolue H comprise entre 5,0 et 9,0, ce qui, combiné avec un type physique C ou D, correspond à un diamètre compris entre 500 et 100 km. Ce sont donc des gros astéroïdes/comètes, souvent des objets mixtes qui ont à la fois des caractéristiques physiques planétaires (noyau rocheux notamment) et cométaires (enveloppe de glace et de poussières agglomérées). Bien sûr, il existe des milliards d'objets plus petits qui peuvent atteindre quelques dizaines de mètres dans le bas de la fourchette. Beaucoup des objets de taille kilométrique resteront à jamais indécelables, sauf bien sûr s'ils sont éjectés du disque de Kuiper et survivent ultérieurement sur des orbites beaucoup plus petites (familles cométaires de Jupiter et Saturne).

Les centaures et autres objets apparentés

Il est apparu, depuis l'utilisation des caméras CCD qui permettent de repérer des astres beaucoup plus faibles que précédemment, qu'il existe de nombreux objets circulant d'une manière autonome (comme des mini-planètes) entre les orbites de Jupiter et de Neptune. Tous sont enregistrés comme astéroïdes (puisque n'ayant pas d'activité physique apparente), mais quasiment tous peuvent être considérés comme d'origine cométaire (ou astéroïdo-cométaire pour les objets mixtes), puisqu'issus très probablement des deux réservoirs cométaires que nous venons d'étudier.

Les objets qui sont originaires du disque de Kuiper ont droit au qualificatif générique de centaures (figure). Ceux qui viennent directement du nuage de Oort, et qu'on repère principalement au fait qu'ils ont une très forte excentricité et une très forte inclinaison, n'ont pas droit au nom de centaures, mais ils leur sont apparentés.

Cette étape centaure semble être une étape intermédiaire normale pour les objets du Système solaire externe. Certains d'entre eux sont capturés sur des orbites provisoires et chaotiques qui évoluent sans cesse au gré des perturbations planétaires, avec une tendance à la diminution progressive du demi-grand axe, avant une capture possible, mais pas systématique, dans le Système solaire intérieur, où leurs jours, à l'échelle astronomique, sont comptés. Nous en parlons plus loin : la fragmentation, l'émiettement, la désintégration, la disparition totale à long terme (parfois aussi une expulsion salvatrice) les guette. Nous en avons un exemple actuel dont nous parlons longuement plus loin, car il concerne l'histoire des hommes : c'est HEPHAISTOS.

Nous allons donner quelques renseignements sur deux objets très intéressants : Damocles et Chiron, qui sont représentatifs puisque originaires chacun d'un des deux réservoirs de comètes.

Damocles

Il s'agit d'une ancienne comète, découverte en 1991 en Australie par Robert McNaught, qui est issue du nuage de Oort et qui ensuite, à l'occasion d'une intrusion dans le Système solaire intérieur, a été capturée par Uranus. N'ayant pas d'activité cométaire, cet objet a été catalogué comme un astéroïde, bien que son origine cométaire ne fasse pas de doute. Ses éléments orbitaux sont exceptionnels : a = 11,89 UA (il circule donc en moyenne entre Saturne et Uranus), e = 0,87 et i = 62°. Damocles s'approche de l'orbite de Mars au périhélie (q = 1,58 UA). Les calculs montrent que cette orbite chaotique (figure) est très provisoire et qu'elle va évoluer, avec une diminution de la période et du demi-grand axe. Damocles deviendra un objet Apollo.

Il est devenu le prototype des objets venus d'ailleurs qui peuvent devenir dangereux à long terme pour la Terre (et les autres planètes intérieures) dont on soupçonnait depuis longtemps l'inclusion possible dans le Système solaire proche. Bien qu'il soit l’un des plus petits astéroïdes extérieurs actuellement connus, son diamètre est de l'ordre de 15 km (H = 13,3, type physique D probable), ce qui fera de lui le plus gros des objets Apollo, dont le diamètre n'atteint que rarement 10 km.

Damocles a permis aux astronomes de comprendre l'un des mécanismes d'introduction (et de renouvellement permanent à l'échelle astronomique) d'anciennes comètes à longue période dans le Système solaire intérieur. Ce mécanisme comporte quatre étapes principales :

1. perturbations stellaires qui les chassent du nuage de Oort et en précipitent certaines dans le Système solaire intérieur ;

2. capture de l'une d'entre elles par l'une des grosses planètes sur une orbite chaotique à courte ou moyenne période ;

3. évolution de cette orbite, avec parallèlement diminution progressive, puis disparition totale des éléments volatils, et possibilité d'approches serrées aux planètes ;

4. impact possible sur une planète avec éventuellement formation de cratère et conséquences sur la vie s'il s'agit de la Terre.

Damocles montre une bonne fois pour toutes que ce mécanisme de capture n'est pas une vue de l'esprit, et que si les comètes et les astéroïdes dangereux n'existent pas forcément actuellement, ils peuvent être introduits épisodiquement (et non pas cycliquement) dans le Système solaire intérieur à la suite de perturbations stellaires.

Chiron

Cet objet est le prototype des centaures. Il a été découvert en 1977 à Palomar par Charles Kowal et logiquement catalogué comme un astéroïde, puisqu'il s'était jusqu'alors toujours montré ponctuel. En effet, on l'a retrouvé sur plusieurs plaques photographiques prises antérieurement, la plus ancienne remontant à 1895. Ce n'est que bien plus tard, en 1988, que l'on commença à soupçonner une activité cométaire, liée à un sursaut anormal de magnitude (son éclat doubla quasiment) en relation avec le rapprochement de Chiron vers son périhélie. Apparemment, le léger réchauffement de la surface a été suffisant pour réveiller la grosse boule de glace et de roches en léthargie sur la plus grande partie de son parcours, et il a bien fallu (re)considérer Chiron comme une comète.

Cet objet circule sur une orbite instable avec a = 13,74 UA, e = 0,38 et i = 6,9°. Sa période est donc de 51 ans. Il vient au périhélie à 8,54 UA (la dernière fois en février 1996). Les calculs montrent que l'orbite est chaotique et donc récente. Il a décroché d'une orbite stable dans le disque de Kuiper à la suite de perturbations exceptionnelles, pour suivre provisoirement une orbite de type centaure.

Chiron est le premier spécimen d'une nouvelle population d'objets, beaucoup plus gros que les comètes normales, et à la fois comète et astéroïde. Des observations dans l'infrarouge ont montré qu'il s'agit d'un objet de forme grossièrement sphérique, mais qui présente quand même des variations régulières de 9 % dans sa courbe de lumière, avec une période de rotation de 5,92 heures et un albédo de l'ordre de 0,10, le double de ceux des objets de type C. Un tel albédo suggère que Chiron est probablement constitué en surface d'un mélange de roches, de poussières, de gaz gelés et aussi de glace. C'est celle-ci qui se sublime et qui provoque les sursauts d'éclat observés. La présence d'une légère chevelure de glace et de poussières prouve qu'un mécanisme, que l'on suppose être dû principalement à la sublimation, éjecte de la surface de Chiron ses composants les plus volatils. On a noté entre autres la présence de cyanogène (CN) dans cette chevelure.

Le diamètre de Chiron n'est pas encore connu avec précision. Il a H = 6,0, mais comme son albédo est nettement plus élevé que celui des objets de type C et D, ce diamètre pourrait, en fait, ne pas être supérieur à 200 km. Ce qui, rappelons-le, n'est pas un diamètre de comète classique, telle qu'on la concevait jusqu'alors, qui sauf rares exceptions, ne dépasse pas 50 km. En fait, toutes les comètes périodiques ont plutôt des diamètres de l'ordre de 5 ou 10 km, souvent moins même.

Chiron fut le premier centaure repéré, mais on en connaît déjà d'autres, tels Pholus et Nessus. Le XXIsiècle permettra d'en découvrir des centaines.

La désintégration des comètes

Nous allons expliquer le problème de la fragmentation et de la désintégration des comètes à travers deux exemples différents mais très significatifs. Il faut bien comprendre, en effet, que ce problème est crucial pour expliquer le renouvellement constant de la matière dans le Système solaire intérieur.

Des comètes sont capturées, elles se fragmentent (figure), certains débris heurtent les planètes, d'autres se désagrègent en poussière cosmique (figure), c'est la règle immuable depuis des milliards d'années et pour des milliards d'années encore car, nous l'avons vu, la matière disponible dans le nuage de Oort et dans le disque de Kuiper est inépuisable.

La comète d'Aristote et le groupe de Kreutz

On connaît cette comète (et ses multiples résidus ultérieurs) depuis l'époque d'Aristote qui l'observa lui-même en –371 alors qu'il était enfant. Elle fut observée très près du Soleil à l'horizon ouest et, paraît-il, sa queue s'étendit sur un tiers du ciel. Il est certain qu'il s'agissait alors d'un astre très impressionnant, d'une très grosse comète unique qui se divisa à l'occasion de ce passage dans la banlieue solaire en deux fragments, observation capitale rapportée par l'historien grec Ephorus. C'était le premier acte d'une fragmentation due principalement aux forces de marée solaires, prélude à un véritable émiettement ultérieur.

Dès 1880, Daniel Kirkwood (1814-1895) suggéra que la Grande comète de Mars 1843 (1843 I) et la Grande comète australe de 1880 (1880 I) pouvaient être associées avec la comète de –371, du fait de la similarité du mouvement. On sait que la comète 1843 I passa à seulement 0,0055 UA (soit 820 000 km) du centre du Soleil, sur une orbite inclinée à 144,4°, donc rétrograde, et la comète 1880 I à 0,0055 UA également, avec i = 144,7°. La parenté de ces deux comètes ne faisait aucun doute. Les considérer comme des descendantes de la comète d'Aristote était plus hardi, mais cette hypothèse de Kirkwood a été confirmée par tous les travaux ultérieurs sur le sujet.

En 1882, la comète Tewfik (1882 I) et la Grande comète de Septembre (1882 II), qui atteignit l'incroyable magnitude de –15, passèrent elles aussi très près du Soleil avec des inclinaisons similaires (i = 142-144°). Cinq ans plus tard, la Grande comète australe de 1887 (1887 I) les suivit avec un parcours analogue. C'était donc un véritable chapelet de comètes qui revenaient au périhélie, à proximité immédiate du Soleil, vestiges de la comète mère d'Aristote.

On doit à l'astronome allemand Heinrich Kreutz (1854-1907) d'avoir montré que les quatre comètes des années 1880 avaient des orbites similaires et qu'elles descendaient directement de la comète de 1106, elle-même fragment de la comète d'Aristote à son 4e passage près du Soleil. Cette comète de 1106 avait P = 370 ans environ et a = 51,5 UA environ, donc un demi-grand axe à l'intérieur du disque de Kuiper (bien qu'elle n'en soit pas originaire). C'est lui qui donna son nom à ce groupe de comètes, véritables Sun-grazers : le groupe de Kreutz. Il faut noter que ce groupe est en fait une véritable famille, puisque tous ses membres ont un progéniteur commun. Kreutz identifia également les comètes de 1668 et de 1695 comme faisant partie de ce groupe. A la fin du XIXe siècle, on connaissait donc neuf membres du groupe de Kreutz, fragments de la comète d'Aristote.

Depuis, plus d’une centaine d’objets de la même famille ont été découverts, principalement par des satellites (SMM, Solwind et SOHO), et on a constaté que de nombreux fragments ont heurté le Soleil ou ont subi une désintégration dans la banlieue solaire.

Il semble bien que ce soient des milliers de fragments minuscules qui ont été successivement engendrés par les résidus principaux de la comète mère, qui devait être un astre d’envergure, d’un diamètre centaurien (plusieurs dizaines de km).

L'exemple du groupe de Kreutz est très instructif et montre clairement l'importance de ce problème de fragmentation et d'émiettement et celui des comètes apparentées, issues d'un progéniteur unique, parfois d'un gros diamètre comme c'était le cas pour la comète d'Aristote. D'où venait-elle : nuage de Oort ou disque de Kuiper ? Probablement du nuage de Oort, compte tenu de l'inclinaison rétrograde de 145° (180 - 145 = 35°). Elle semble, dès le début, avoir dû subir une fragmentation du fait d'une cohésion physique insuffisante des glaces et des poussières la composant. La comète d'Aristote et ses innombrables débris sont uniquement composés de matière fragile et elle s'est quasiment désintégrée en moins de 2500 ans et quelques passages à proximité du Soleil. Bientôt il ne restera rien de la comète d'Aristote. Tout redevient poussière, parfois à une vitesse accélérée pour les comètes, surtout si elles viennent frôler le Soleil.

La fragmentation du centaure HEPHAISTOS

Nous allons étudier maintenant un autre cas de fragmentation, mais très différent de celui que nous venons de voir qui concernait une comète de glace venant du nuage de Oort. HEPHAISTOS, lui, était un objet de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre au minimum, issu du disque de Kuiper, à la fois comète et astéroïde, qui a certainement subi l'étape centaure de quelques millions d'années tout au plus, avant de venir se faire piéger dans le Système solaire intérieur où ses jours en tant qu'objet unique étaient comptés. Ce n'est qu'à partir du début des années 1990 qu'on a pu saisir les diverses étapes de la vie de tels objets.

Le tableau 7-2 comprend les objets (avec e > 0,70) connus ou soupçonnés être des fragments et résidus de ce progéniteur dont la capture ne peut excéder quelques millions d'années et la fragmentation initiale quelques centaines de milliers d'années. L'émiettement se poursuit encore de nos jours et entraîne une dispersion des éléments orbitaux, notamment les valeurs des nœuds ascendants, des arguments et longitudes des périhélies qui s'écartent les uns des autres à une vitesse de 4° par millénaire (1° tous les 250 ans en moyenne) et qui finiront par prendre toutes les valeurs possibles entre 0 et 360°.

L’existence de deux groupes principaux apparaît clairement à l’examen du tableau 7-2. Ils sont issus d’une rupture globale récente, mais on peut aussi mettre en évidence des dislocations ultérieures.On peut ainsi reconstituer des objets intermédiaires qui existaient encore il y a quelques dizaines de milliers d'années et même quelques milliers d'années pour certains d'entre eux.

Ce n’est que dans le courant des années 1980 que les astronomes ont compris que des objets qui paraissaient différents comme P/Encke et Oljato ne formaient en fait qu'un seul objet il y a seulement 9500 ans, c'est-à-dire vers –7500 (figure). Dès 1978, Lubor Kresak (1927-1994) avait envisagé une parenté entre P/Encke et l'objet de la Toungouska. La même année, Hephaistos attira l'attention des spécialistes du fait d'éléments orbitaux caractéristiques (a, e et i ) identiques pratiquement à ceux de P/Encke. Nombreux sont ceux qui envisagèrent alors une origine commune.

Notons encore, pour terminer avec le problème de la désintégration des comètes, que quasiment chaque fragment volumineux engendre à son tour une famille de météores associés. Comme nous le verrons dans le chapitre qui leur est consacré, plusieurs essaims sont liés génétiquement aux fragments de HEPHAISTOS, et notamment celui très important connu sous le nom de Complexe des Taurides, qui est associé à P/Encke et qui comporte encore des objets de taille substantielle.

La famille HEPHAISTOS

Une famille mi-cométaire/mi-planétaire

Revenons au tableau 7-2 qui est appelé à grossir ces prochaines années, puisqu'on découvre des nouveaux membres régulièrement. Un seul de ses composants est une comète active : P/Encke. D/Helfenzrieder n'est connue que d'après son passage de 1766 et n'existe plus (tout au moins en tant que comète active). Son appartenance réelle à la famille HEPHAISTOS n'est d'ailleurs pas prouvée, elle est seulement possible.

Tous les autres objets recensés le sont comme astéroïdes puisqu'ils n'ont plus d'activité cométaire perceptible. La plupart sont des astéroïdes cométaires, c'est-à-dire qu'ils ont été actifs à une certaine période de leur vie d'astres indépendants. Quelques-uns, par contre, n'ont peut-être jamais eu d'activité cométaire et sont de vrais astéroïdes. C'est le paradoxe de ces gros objets venus du disque de Kuiper qui ont une composition hétérogène et qui sont à la fois des comètes et des astéroïdes (figure). Certaines parties sont composées de glace, capables après fragmentation de se sublimer et de présenter provisoirement une activité de type cométaire, d'autres parties sont rocheuses et donc astéroïdales. On retrouve donc cette double composition dans les débris. HEPHAISTOS est une famille mixte, mi-cométaire et mi-planétaire.

Tous les objets de la famille ont une très forte excentricité (voisine de 0,80 et toujours supérieure à 0,60) et une faible inclinaison (comprise entre 0 et 13°), mais avec des différences qui deviennent sensibles avec le temps et les perturbations parfois sévères que certains débris peuvent subir à l'occasion d'approches serrées aux planètes. Il faut aussi se rappeler que certains fragments ont subi des perturbations de type non gravitationnel, alors qu'ils étaient encore actifs, qui les ont éloignés des éléments types qui étaient ceux de l'objet primitif HEPHAISTOS avant sa première fragmentation.

Car il est certain, comme c'est le cas pour le groupe de Kreutz, que la fragmentation s'est constamment répétée, chaque morceau devenu autonome générant à son tour de nouveaux fragments plus petits et une infinité de poussières. Pour ce qui est du demi-grand axe (et de la période), les écarts sont plus importants, certains fragments s'étant retrouvés sur des orbites plus petites à la suite de l'accélération du mouvement subie à l'occasion de fortes approches aux planètes. On peut penser qu'une valeur assez proche de 2,17-2,20 UA (qui est celle de Hephaistos, Oljato et P/Encke) était la valeur de base, mais on constate que certains fragments ne font plus partie de l'anneau principal des astéroïdes (2,08-3,58 UA) et circulent en moyenne entre Mars et l'anneau principal (ils sont donc de sous-type 2, voir le chapitre 6). Il n'y a pas lieu de vraiment s'en étonner, et cela ne doit pas masquer une origine commune probable.

Le tableau 7-2 classe les NEA retenus par valeur croissante des longitudes du périhélie et donne les éléments orbitaux actuels pour les membres de la famille. H est la magnitude absolue qui est liée au diamètre. On voit ainsi que les deux objets répertoriés les plus importants sont Hephaistos et Heracles qui ont H = 13,9 correspondant à un diamètre moyen de l'ordre de 7 à 10 km selon l’albédo. Ce sont donc des gros NEA, capables de causer des dégâts tout à fait considérables s'ils viennent percuter la Terre dans l'avenir.

Cela montre que le centaure progéniteur de la famille HEPHAISTOS était un gros objet, de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre au minimum, mais qui pouvait peut-être atteindre ou dépasser en fait 100 km, comme c'est le cas pour Chiron, Pholus et quasiment tous les objets connus du disque de Kuiper. Cette réalité a été une révélation pour ceux qui se sont penchés sur la menace réelle que présentent les astéroïdes et les comètes pour la Terre. Plusieurs fois par million d'années, des nouveaux objets sont transférés dans le Système solaire intérieur et leurs fragments ultérieurs renouvellent le stock des objets susceptibles de heurter une des planètes ou l'un de leurs satellites dans les quelques millions d'années qui suivent ce transfert.

Une fragmentation obligatoirement récente

Une question que l'on se pose est la suivante : « Depuis quand a commencé la fragmentation de HEPHAISTOS ? » Et une autre vient immédiatement après : « Peut-on dater approximativement la fragmentation des différents objets actuellement recensés ? » Bien sûr, il est exclu de répondre avec précision à ces deux questions puisqu'on ignore les perturbations gravitationnelles et aussi non gravitationnelles qu'ils ont subies, mais on peut avoir un ordre de grandeur intéressant. Celui-ci se chiffre seulement en dizaines de milliers d'années pour la première question, et en milliers d'années pour les fragmentations les plus récentes, comme nous allons le voir.

On ne sait pas quand HEPHAISTOS a été définitivement injecté dans le Système solaire intérieur, suite à des perturbations catastrophiques dues à l'une des quatre grosses planètes externes. Cet événement peut remonter à plus de 100 000 ans. Mais le début de la fragmentation a pu être sensiblement plus tardif et remonter à seulement quelques dizaines de milliers d'années. On pense qu’elle doit être liée à une très forte approche à l’une des trois planètes intérieures : Mercure, Vénus ou même la Terre. En tout cas, il s’agit d’un événement très récent à l’échelle astronomique.

Un détail intrigue les astronomes : de nombreux fragments peuvent s'approcher très près de Mercure (c'est encore le cas de P/Encke et surtout de Hephaistos notamment), ce qui est assez rare quand même en général pour les astéroïdes et les comètes. Cela a-t-il un rapport possible avec la fracture initiale ou est-ce pure coïncidence ? En règle générale, les astronomes n'aiment pas trop les coïncidences, surtout si elles se répètent de façon anormale. Se pourrait-il que ce soit une approche rasante à Mercure qui ait fait exploser HEPHAISTOS et, en accélérant fortement son mouvement, diminuer d'une manière drastique la période de révolution qui est anormalement faible pour une comète, puisque l'aphélie de P/Encke et celui des autres fragments devenus astéroïdaux sont largement inférieurs au demi-grand axe de Jupiter. On sait que les comètes de la famille de Jupiter ont quasiment toutes leur aphélie à l'extérieur de l'orbite de la planète géante. Il s'est donc passé pour HEPHAISTOS un événement unique (non encore identifié) qui a permis une réduction très importante des valeurs de l'aphélie et du demi-grand axe. Par contre, le périhélie n'aurait pas beaucoup évolué. Ce détail laisse à penser que le cataclysme responsable a eu lieu près du Soleil.

Une dispersion des éléments inexorable

On considère qu'en moyenne la dispersion des longitudes du périhélie s'effectue à raison de 4° par millénaire, soit en gros 1° tous les 250 ans. Donc, pour les 360° de la sphère céleste, le processus complet demande environ 90 000 ans, pour 180° 45 000 ans, et pour 90° 22 500 ans. Quand on compare entre eux les chiffres du tableau 7-2, on a donc une première indication sur les fractures successives des différents fragments. Certains groupements serrés (moins de 20°) pourraient signifier une rupture datant de 5000 ans seulement. Les calculs ont montré que P/Encke et Oljato dont les périhélies diffèrent de seulement 12° formaient encore un seul astre il y a 9500 ans (soit vers –7500). Mais la dispersion des autres éléments orbitaux montre que leur histoire ultérieure (surtout celle d'Oljato d'ailleurs) a été très agitée, et que Jupiter y a joué un rôle prépondérant.

En règle générale, l'espérance de vie de tous ces fragments est très faible. Vont-ils heurter une des quatre planètes intérieures, être expulsés ou s'émietter encore ?

Deux groupes principaux

De l'examen attentif du tableau 7-2, il ressort plusieurs choses importantes à signaler. D’abord et surtout, il existe deux groupes principaux que nous écrivons en capitales italiques. Ce sont le groupe ENCKE et le groupe HEPHAISTOS.

HEPHAISTOS est un groupe contenant 5 membres retenus avec p compris entre 216 et 255°, soit une dispersion de 39°. Celle-ci, à la vitesse moyenne de 4° par millénaire, a pu s'effectuer en 10 000 ans seulement. Hephaistos est le fragment majeur. Ce groupe contient aussi plusieurs autres objets importants non retenus ici (car ils ont e < 0,70), comme 1990 TG1 et Mithra.

ENCKE est le groupe principal qui comprend 13 objets retenus avec p compris entre 122 et 189°, soit une dispersion de 67° qui a pu s'accomplir en 17 000 ans. Il a été victime de multiples fragmentations plus récentes. Notamment, trois objets : P/Encke, Oljato et Heracles ont leurs p regroupés en 16°, dispersion correspondant à une période de 4000 ans seulement. Le fragment majeur de ce groupe est Heracles. 1982 TA, Jason et Oljato sont également des fragments importants. A noter, parallèlement, l'existence d’un fragment minuscule, 1993 KA2, qui ne dépasse pas 10 mètres de diamètre moyen, mais qui a pu être identifié lors d’une très forte approche à la Terre.

D’autres NEA sont isolés et n’appartiennent pas à l’un des deux groupes actuellement recensés, mais au fur et à mesure que l’on découvrira de nouveaux membres de la famille, on pourra probablement mettre en évidence des parentés encore plus récentes. Ainsi, on sait déjà qu’Adonis et 1995 CS sont deux fragments d’un objet cassé il y a moins de 2000 ans. Ils sont associés à un essaim météorique issu également de cette fragmentation.

Il est important de noter l'existence de nombreux objets de taille hectométrique et décamétrique parmi les fragments déjà identifiés de HEPHAISTOS. Cela signifie évidemment que des milliers d'autres fragments minuscules restent à découvrir, véritable mitraille cosmique issue de fragmentations successives, et aussi d'un émiettement qui se poursuivra encore pendant plusieurs milliers ou même dizaines de milliers d'années, à partir du moment où le progéniteur de base n'était pas uniquement formé de glace, mais aussi de roches plus résistantes.

Des approches suspectes aux planètes

Autres renseignements intéressants donnés par le tableau 7-2, les distances minimales des différents objets aux orbites de Mercure, Vénus et la Terre. On voit clairement que les trois planètes sont frôlées par de nombreux fragments de HEPHAISTOS, même Mercure comme nous l'avons déjà dit. Globalement, Mercure est frôlée par 9 objets (sur 29), Vénus par 26 et la Terre par 23. C’est beaucoup. Individuellement, il faut savoir que 1993 KA2 (objet de 10 mètres) est sur une orbite de quasi-collision (Dm < 0,0005 UA) avec Vénus et la Terre et qu’Oljato, 1995 CS et 1998 FW4 ont Dm = 0,001 UA à la Terre, c’est-à-dire une approche possible de l'ordre de 150 000 km, quasiment un cheveu à l'échelle astronomique, puisque la moindre perturbation peut les amener sur une authentique orbite de collision. Comme nous l’avons déjà signalé, Hephaistos frôle l’orbite de Mercure (Dm = 0,007 UA) et P/Encke a également une TFAP (0,022 UA) à la première planète, suspectée d’avoir été responsable de la rupture initiale du progéniteur de la famille.

Un processus qui se poursuit : l’histoire n’est pas finie

Certaines collisions futures paraissent d'ores et déjà inévitables à moyen terme, poursuite d'un processus qui existe en fait depuis quelques dizaines de milliers d'années, et appelé à se poursuivre encore sur peut-être plusieurs centaines de milliers d’années. L’émiettement pourrait en être seulement à une phase intermédiaire, puisque de nombreux fragments connus et à découvrir sont incontestablement de taille kilométrique. Avant que tous ces fragments soient redevenus poussières, il y aura encore de nombreux impacts et une infinité de météores associés aux divers courants météoriques liés aux résidus de HEPHAISTOS, notamment le fameux Complexe des Taurides dont nous parlerons au chapitre 10 et associé directement à P/Encke.

L’énergie d’impact des comètes

Pour terminer ce chapitre, nous allons dire quelques mots sur l’énergie des impacts. Le tableau 7-3 indique l’énergie d’impact des comètes pour plusieurs diamètres et densités, et il est à rapprocher du tableau 6-6 qui concerne les astéroïdes.

Il est différent sur trois points principaux :

les vitesses. La vitesse moyenne retenue pour les impacts cométaires est supérieure : 30 km/s au lieu de 20 km/s pour les astéroïdes, sans perdre de vue d’ailleurs que les vitesses concernant les orbites rétrogrades doivent être doublées (60 km/s), ce qui entraîne alors une énergie multiplié par 4.

les densités. Les densités cométaires sont incontestablement plus faibles que celles des astéroïdes. Nous retenons ici quatre densités typiques pour les noyaux cométaires : 0,1, 0,5, 1,0 et 2,0. On sait que ces noyaux sont souvent de nature hétéroclite (glace et roches notamment), poreux parfois et en général de configuration structurale de qualité médiocre, particularité qui débouche sur la fragmentation ou la désintégration.

les diamètres. Il apparaît que certaines comètes peuvent avoir un diamètre sensiblement supérieur à ceux des NEA classiques. C/Hale-Bopp a un diamètre de 40 km, un astéroïde cométaire comme Hidalgo frôle les 50 km et certains centaures, objets mixtes, dépassent les 100 km. A l’échelle astronomique, un impact avec un objet d’un tel diamètre n’est nullement invraisemblable.

Une comète de densité 1,0 de 1 km de diamètre a une énergie de 2,4 x 1020 joules. Une autre comète de 5 km a une énergie de 2,9 x 1022 joules, que l’on peut comparer aux cataclysmes terrestres, aux équivalents mégatonnes de TNT et aux magnitudes du tableau 4-2.

Quelques conséquences d’impacts cométaires sont à rappeler. D’abord ceux concernant des comètes actives sont beaucoup plus rares que ceux des astéroïdes cométaires. Par contre, ceux-ci débarrassés des éléments volatils après dégazage sont plus denses. S’ils sont des fragments rocheux d’objets mixtes, cette densité peut être quasiment astéroïdale : 2,5 et même 3,5 dans certains cas. Les objets de densité 0,1, 0,5 et même 1,0 n’ont pas la cohésion suffisante pour heurter la surface terrestre, pour eux la désintégration est quasi certaine.

Enfin, qu’est-ce qui différencie un impact d’astéroïde de celui d’une comète ? En quelques mots, on peut dire que ceux concernant ces dernières ont des vitesses supérieures, des densités plus faibles, des diamètres plus gros, une fréquence plus rare, débouchent davantage sur une désintégration et qu’ils enrichissent d’une manière plus importante la matière cosmique de gaz et de poussières.

La Terre subit indifféremment les deux types de collisions depuis plusieurs milliards d’années déjà, avec des conséquences que nous étudierons dans la troisième partie de ce livre. Au niveau de la Terre elle-même, tous les impacts courants concernant des astres de taille kilométrique sont de simples pichenettes, sans conséquences sérieuses. Au niveau de la vie, il en va tout autrement, l’impactisme étant l’un des moteurs de l’évolution.

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