CHAPITRE PREMIER
CATASTROPHES CÉLESTES DANS L'ANTIQUITÉ
Le souvenir obsessionnel
de grands cataclysmes
L'idée
que
Dans ce chapitre, il est question de certains aspects historiques et
mythologiques du problème. Ce sera l'occasion de retrouver quelques
grands noms de l'Antiquité qui s'intéressaient au passé et à l'avenir de
Il faut noter que la notion même de catastrophisme a évolué avec le temps,
au fur et à mesure des observations et des découvertes des Anciens. Et il
ne faut jamais oublier que jusqu'à Anaximandre (610-547), personne n'osa envisager
sérieusement une Terre autrement que plate, et jusqu'à Aristarque de Samos
(310-230) autrement que le centre du monde.
Très longtemps, de la préhistoire au Néolithique, le catastrophisme fut uniquement
mythologique, avant de devenir très progressivement astrologique
et cyclique quand les Anciens comprirent que
Le
catastrophisme mythologique : des dieux et des légendes
Je
vais d'abord rappeler quelques légendes prises dans les mythologies du monde
entier, pour bien montrer le caractère universel des bouleversements
et catastrophes qui ont meurtri les Anciens. J'ai été obligé, bien sûr, de
choisir parmi de nombreux textes (anciens, mais aussi modernes), et ceux-ci
ne sont que des textes parmi d'autres.
Mythologie aztèque : les quatre soleils
Les
anciens Aztèques racontaient que quatre mondes, ou quatre soleils, ont précédé
le nôtre et qu'ils furent détruits par des cataclysmes de grande ampleur.
" Quatre fois le monde fut détruit. La première fois, le soleil s'éteignit
et un froid mortel s'abattit sur la terre. Seul un couple humain put s'échapper
et perpétuer l'espèce. La deuxième fois, un vent magique souffla de l'ouest,
et tous les hommes, sauf deux encore, furent transformés en singes. La troisième
fois, ce fut le feu qui accomplit l'œuvre de destruction. Les rayons d'un
soleil gigantesque firent flamber la planète, tandis que les coups de foudre
répondaient aux rugissements des volcans déchaînés. Il y eut deux rescapés,
et l'homme ne mourut pas. Enfin vint le quatrième cataclysme, celui de l'eau.
Le ciel tomba sur la terre et ce fut le déluge. Tout disparut sous les flots,
étoiles, soleils et planètes. L'obscurité s'étendit sur l'abîme. Mais l'homme
survivait toujours. " (2)
Les
quatre destructions quasi totales du monde furent successivement le fait du
froid, du vent, du feu et de l'eau. On retrouve ces quatre agents de destruction
dans de nombreuses autres mythologies. Ces quatre âges du monde des
Aztèques s'étalent en fait sur plusieurs milliers d'années. Ils sont équivalents
à ceux des autres peuples d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et d'Amérique
du Sud.
Mythologie chinoise : Kong-Kong, le dragon
En Chine, les textes anciens font allusion à de sérieux cataclysmes qui se seraient produits à l'époque des cinq empereurs semi-légendaires (Huangdi, Zhuan Xu, Diku, Yao et Shun) que l'on situe en général au IIIe millénaire avant J.-C. Celui rappelé ci-dessous semble avoir eu une origine cosmique.
" Jadis, Kong-Kong disputa l'empire à Tchouan-hiu et, dans sa rage,
donna un coup de corne au mont Pou-tcheou. La colonne qui soutenait le Ciel
(au coin N.-O.) fut cassée, l'amarre de
En
Chine, on parle donc d'une rupture de l'axe du monde et
Mythologie égyptienne : Sekhmet, la lionne en furie
Dans la mythologie égyptienne, Sekhmet était le nom de la déesse de la guerre, représentée généralement comme une lionne ou comme une femme à tête de lionne. Elle devenait parfois aussi l'œil de Rê, le dieu-soleil, et était chargée de détruire ses ennemis. Elle répandait les épidémies sur toute l'Egypte quand le dieu voulait se venger. Une légende liée à un drame cosmique (celui de la fin du XIIIe siècle av. J.-C.) racontait que sur les ordres de Rê, elle se jeta sur les hommes révoltés avec une telle frénésie et une telle méchanceté que le dieu-soleil, redoutant l'extermination de la race humaine, dut lui demander d'arrêter le carnage. Comme elle refusait obstinément d'obtempérer, il dut employer un curieux stratagème, une ruse comme seuls les dieux en avaient le secret (4) :
" Rê fit préparer des cruches de "didi", liquide colorant
en rouge, qui sont mélangées à de la bière. Pendant toute la nuit, alors que
Sekhmet dort, la bière rouge est versée sur toute la terre d'Égypte. A son
lever, la déesse pense voir un fleuve de sang dû au massacre des hommes. Elle
se mire dedans, puis commence à laper. Bientôt totalement ivre, elle oublie
sa mission et s'en retourne auprès des dieux en épargnant les survivants.
"
On
remarque dans cette légende le fait souvent noté que le monde prit une couleur
rouge à l'occasion de ce cataclysme, du fait de la pigmentation de la matière
abandonnée dans l'atmosphère terrestre par la désintégration et l'émiettement
du corps céleste.
Il semblerait que
les Égyptiens aient retenu le jour de l'année du début du cataclysme : le
12 Tybi, soit une date correspondant à la fin octobre ou au début novembre
de notre calendrier moderne (5), si le cataclysme a bien eu lieu au XIIIe
siècle avant J.-C. C'est une précision très importante.
" C'est le douzième jour du premier mois d'hiver qu'a eu lieu le grand
massacre des hommes ; aussi le calendrier des jours fastes et néfastes note-t-il
soigneusement : "Hostile, Hostile, Hostile est le 12 Tybi, évite de voir
une souris en ce jour, car c'est le jour ou Rê donna l'ordre à Sekhmet".
" (6)
Mythologie germano-scandinave : le Ragnarök
Pour
les Germains et les autres peuples du Nord, la fin du monde était symbolisée
par le Ragnarök, ou Crépuscule des dieux. Cette catastrophe
cosmique de très grande ampleur est racontée en grand détail (mythologique,
pas scientifique !) dans le poème intitulé
" Du côté du Sud, là où commence le pays des géants du feu, Surt,
le maître de ces contrées, dresse déjà son épée de flammes. Au bord du ciel
est posté Heimdall, le veilleur des dieux ; personne au monde n'a la vue aussi
perçante ni l'ouie aussi fine ; pourtant, il se laisse ravir son épée par
Loki et ne commence à souffler dans son cor retentissant que lorsque les géants
sont en marche. Le loup Fenrir, que les dieux avaient jadis enchaîné, rompt
ses liens et s'échappe. Les secousses qu'il donne à ses entraves font trembler
la terre tout entière ; le vieux frêne Yggdrasil en est ébranlé des racines
jusqu'au faîte. Des montagnes s'écroulent ou se fendent de haut en bas...
Au Sud apparaît Surt, que suit la troupe innombrable des géants du feu ; son
épée lance des éclairs ; tout autour de lui des flammes jaillissent du sol
crevassé. A son approche les rochers s'écroulent, les hommes s'affaissent
sans vie. La voûte du ciel, ébranlée par le tumulte de cette armée en marche,
embrasée par l'haleine de fournaise qui l'environne, éclate en deux ; et quand
les fils du feu font passer leurs chevaux sur le pont que l'arc du ciel tend
de la terre au séjour des dieux, ce pont s'enflamme et s'effondre...
Les grands dieux sont morts. Et maintenant que Thor, protecteur des demeures
humaines, a disparu, les hommes sont abandonnés ; il leur faut quitter leurs
foyers ; la race humaine est balayée de la surface de la terre. La terre elle-même
va perdre sa forme. Déjà les étoiles se détachent du ciel et tombent dans
le vide béant... Le géant Surt inonde de feu la terre entière ; l'univers
n'est plus qu'un brasier ; des flammes jaillissent de toutes les fentes des
rochers ; la vapeur siffle de toutes parts ; toute plante, toute vie sont
anéanties ; seul le sol nu subsiste...
Et voici que toutes les mers, que tous les fleuves débordent. De tous côtés
les vagues pressent les vagues. Les flots, qui se gonflent en bouillonnant,
recouvrent peu à peu toutes choses. La terre s'enfonce dans la mer. L'immense
champ de bataille où s'étaient affrontés les maîtres de l'univers cesse d'être
visible.
Tout est fini. Et maintenant tout va recommencer. Des débris du monde ancien
naît un monde nouveau... "
L'épopée
cosmologique du Ragnarök est particulièrement intéressante pour qui étudie
les cataclysmes cosmiques de l'Antiquité. Elle est aujourd'hui associée au
dernier grand cataclysme cosmique qu'a subi
Mythologie grecque : Typhon et Phaéton
Il
s'agit de deux légendes célèbres, surtout connues par les textes classiques
d'Hésiode (VIIIe siècle) (8) et d'Ovide (43 av. J.-C.-18) (9). Apparemment,
elles n'ont rien à voir entre elles et sont toujours traitées séparément dans
les livres de mythologie. Mais pourtant, il paraît fort probable qu'elles
se rapportent toutes deux au cataclysme de la fin du XIIIe siècle qui a eu
des conséquences humaines et historiques très sérieuses.
Hésiode raconte dans sa Théogonie qu'à la suite d'une guerre entre
Zeus et les Titans, guerre qui faillit détruire l'univers, un monstre flamboyant
surmonté de cent têtes et baptisé Typhon (ou Typhée) fit son apparition dans
le ciel, effrayant les populations. Zeus dut intervenir une nouvelle fois
pour sauver le monde.
" ... Alors une œuvre sans remède se fût accomplie en ce jour ; alors Typhon eût été roi des mortels et des Immortels, si le père des dieux et des hommes de son œil perçant soudain ne l'eût vu. Il tonna sec et fort, et la terre à l'entour retentit d'un horrible fracas, et le vaste ciel au-dessus d'elle, et la mer, et les flots d'Océan, et le Tartare souterrain, tandis que vacillait le grand Olympe sous les pieds immortels de son seigneur partant en guerre, et que le sol lui répondait en gémissant. Une ardeur régnait sur la mer allumée à la fois par les deux adversaires, par le tonnerre et l'éclair comme par le feu jaillissant du monstre, par les vents furieux autant que par la foudre flamboyante. La terre bouillonnait toute, et le ciel et la mer. De tous côtés, de hautes vagues se ruaient vers le rivage. Un tremblement incoercible commençait : Hadès frémissait et aussi les Titans ébranlés par l'incoercible fracas et la funeste rencontre. Zeus frappa, il embrasa d'un seul coup à la ronde les prodigieuses têtes du monstre effroyable ; et, dompté par le coup dont il l'avait cinglé, Typhon mutilé, s'écroula, tandis que gémissait l'énorme terre. Mais, du seigneur foudroyé, la flamme rejaillit, au fond des âpres et noirs vallons de la montagne qui l'avait vu tomber. Sur un immense espace brûlait l'énorme terre, exhalant une vapeur prodigieuse ; elle fondait tout comme l'étain... sous l'éclat du feu flamboyant... " (Théogonie, 836-868)
Pline l'Ancien (23-79) dans le livre II de son Histoire Naturelle (10) , au chapitre " Comètes et prodiges " parle également de Typhon. En accord avec tous les autres auteurs "scientifiques" de l'Antiquité, il le considère comme une comète.
" ... Les peuples d'Éthiopie et d'Égypte connurent une comète terrible,
à laquelle Typhon, roi de ce temps-là, donna son nom : d'apparence ignée et
enroulée en forme de spirale, effrayante même à voir, c'était moins une étoile
qu'un vrai nœud de flammes. " (Histoire Naturelle, Livre II, 91, XXIII)
La
légende de Phaéton est l'un des meilleurs contes d'Ovide qui en fit une des
pièces maîtresses de ses Métamorphoses, écrites entre les années 2
et 8 de notre ère. Mais cette légende était bien antérieure à Ovide. On sait,
entre autres, qu'elle fut le sujet d'une tragédie perdue d'Euripide (480-406),
écrite plus de 400 ans auparavant.
Phaéton était le fils du Soleil. Pour satisfaire son orgueil, il demanda à
son père de conduire son char l'espace d'une journée à travers le ciel. Entreprise
démesurée qui se termina par une catastrophe cosmique, puisque le char de
Phaéton quitta la route habituelle et se précipita vers
" ... Sous l'action du feu, les nuages s'évaporent. Sur terre, les
plus hauts sommets sont les premiers la proie des flammes. Le sol se fend,
sillonné de crevasses et, toutes eaux taries, se dessèche. Les prés blanchissent,
l'arbre est consumé avec son feuillage, et les blés desséchés fournissent
eux-mêmes un aliment au feu qui les anéantit... De grandes cités périssent
avec leurs murailles ; des nations entières avec leurs peuples sont, par l'incendie,
réduits en cendre. Les forêts brûlent avec les montagnes... L'Etna vomit,
ses feux redoublés, des flammes démesurées... Phaéton voit, de toutes part,
le monde en flammes... Il ne peut plus supporter les cendres et la chaude
poussière partout projetée, il est enveloppé de toutes parts d'une fumée brûlante
: où va-t-il, où est-il ? dans l'obscurité de poix où il est plongé, il l'ignore,
et les chevaux ailés le ballottent à leur gré. C'est alors, croit-on, que
les peuples d'Éthiopie, par l'effet de leur sang attiré à la surface du corps,
prirent la couleur noire. C'est alors que
Quant à Phaéton, ses cheveux rutilants en proie aux flammes, il roule sur
lui-même dans le gouffre, laissant dans l'air au passage une longue traînée...
Loin de sa patrie, à l'autre bout du monde, le très grand Éridan le reçoit
et lave son visage fumant... "
Ce
texte d'Ovide, version "moderne" de textes plus anciens, est très
instructif quand on y lit entre les lignes. Il nous apprend en fait plusieurs
choses, bien qu'il mêle parfois le meilleur et le pire. Le pire est sans doute
ce qu'il dit sur l'origine de la couleur noire des Éthiopiens ! Il nous apprend
par contre que le Nil fut mis à sec, que
" ... une étoile était tombée du ciel sur la terre, il lui fut donné
la clef du puits de l'abîme. Elle ouvrit le puits de l'abîme. Il monta du
puits une fumée comme d'une grande fournaise et le soleil et l'air furent
obscurcis par la fumée du puits... "
On
peut se demander à la lecture de ce texte, si un fragment de Phaéton (qui
s'appelait Absinthe chez les Hébreux et Sekhmet chez les Egyptiens) n'est
pas tombé dans
Quoi qu'il en soit, ces deux légendes de Typhon et Phaéton, comme celle du
Ragnarök, montrent bien comment à partir d'un fait réel marquant, les auteurs
de l'Antiquité ont mis sur pied leur mythologie si compliquée, avec ses dieux
multiples, ses héros innombrables, ses grands thèmes, sa cosmologie. Il est
probable que, sous le manteau du mythe, chaque récit mythologique reprend,
transforme et embellit des événements authentiques dont la signification réelle
dépassait souvent l'entendement des peuples de l'époque. Mais une chose est
sûre, ils savaient bien quand un cataclysme était d'origine cosmique. Les
bouleversements terrestres qui en résultaient et les lourdes pertes en vies
humaines étaient du concret, pas de l'imaginaire.
Le
catastrophisme astrologique : alignements et cycles cosmiques
Déjà,
dans la haute Antiquité, certains savants et philosophes des grandes civilisations
entretenaient le mythe de l'éternel retour (11) ou celui de
Pour les Anciens, l'histoire n'était donc qu'une suite de cycles cosmiques
de durée variable. Le jour, la lunaison, les saisons, l'année, le cycle de
Méton, pour les cycles de durée humaine. Et surtout
Sénèque (4 av. J.-C.-65),
dans un passage célèbre de ses Questions naturelles (13), a cru pouvoir
donner, d'après le prêtre chaldéen Bérose (v. 330-v. 260) (14), les raisons
de ces catastrophes périodiques :
" Déluge et embrasement arrivent, quand Dieu a trouvé bon de mettre
fin à l'ancien monde et d'en commencer un meilleur. L'eau et le feu règnent
sur les choses de
" Bérose, le traducteur de Bélus, attribue aux planètes la cause de
ces bouleversements. Sa certitude à cet égard va jusqu'à fixer la date de
la conflagration et du déluge universels. Tout ce qui est terreux, dit-il,
sera embrasé lorsque les astres qui suivent maintenant des orbites différentes
se réuniront tous dans le signe du Cancer et se rangeront en file, de manière
qu'une ligne droite puisse passer par les centres de toutes les sphères. Le
déluge aura lieu, quand ces mêmes planètes viendront prendre place dans le
Capricorne. Le solstice d'été est amené par la première de ces deux constellations,
celui d'hiver par la seconde. Ce sont donc des signes d'une grande puissance,
puisque leur influence se manifeste par le changement même de l'année. "
(Livre III, XXIX, 1)
On
sait aujourd'hui que ces super-conjonctions des sept astres errants connus
des Anciens (le Soleil,
En fait, dès l'Antiquité,
certains philosophes savaient pertinemment que
Ce qu'il faut retenir
principalement, c'est que cette notion de cycles cosmiques est universelle.
Les peuples des cinq continents qui avaient une tradition millénaire ont parlé
de grands bouleversements naturels, qui étaient soit d'origine cosmique,
soit purement terrestres selon les cas. Nous avons vu avec les Aztèques que
ces cycles s'appelaient généralement des âges ou des soleils,
ou pouvaient avoir un nom particulier chez certains peuples. Leur nombre était
variable, compris ordinairement entre quatre et dix.
L'universalité de
cette notion de cycles cosmiques est la preuve que des catastrophes importantes,
pouvant causer la mort d'une partie appréciable des populations humaines et
animales, ont été le lot de toutes les parties du monde. Étonnamment, le langage
est le même dans le Bassin méditerranéen, qu'en Amérique centrale, en Extrême-Orient
ou en Polynésie.
Cependant, il faut
bien insister sur le fait que, dans la plupart des cas, il s'agissait d'événements
régionaux qui n'ont pu concerner l'ensemble de la planète. Les effondrements
périodiques du firmament ou les pluies de feu souvent cités dans les textes
et traditions orales des Anciens se rapportent à des cataclysmes cosmiques
(certainement la collision de petits astéroïdes ou de comètes ou de leur explosion
dans l'atmosphère) plus ou moins importants, mais surtout beaucoup plus fréquents
que ce qu'on croyait jadis.
Pour les 10 000 ans
qui ont précédé l'ère chrétienne, il paraît quand même très douteux qu'un
seul d'entre eux ait pu avoir des conséquences vraiment planétaires, ou
qu'il ait pu produire les effets de ce que l'on appelle de nos jours un hiver
d’impact mondial, et plonger ainsi la planète dans l'obscurité pendant
des dizaines d'années. Un hiver d’impact aurait eu des conséquences beaucoup
plus graves, notamment en détruisant la chaîne alimentaire. Il n'est pas sûr
alors que les peuples du Néolithique aient pu seulement survivre.
L'avertissement
de Platon
Bien
entendu, comme tous les philosophes de l'Antiquité ayant vécu avant et après
lui, l'illustre Platon (427-347) avait son idée sur la raison des catastrophes
qui dévastaient
" ... Vous êtes tous jeunes d'esprit ; car vous n'avez dans l'esprit
aucune opinion ancienne fondée sur une vieille tradition et aucune science
blanchie par le temps. Et en voici la raison. Il y a eu souvent et il y aura
encore souvent des destructions d'hommes causées de diverses manières, les
plus grandes par le feu et par l'eau, et d'autres moindres par mille autres
choses. Par exemple, ce qu'on raconte aussi chez vous de Phaéton, fils du
Soleil, qui, ayant un jour attelé le char de son père et ne pouvant le maintenir
dans la voie paternelle, embrasa tout ce qui était sur la terre et périt lui-même
frappé de la foudre, a, il est vrai, l'apparence d'une fable ; mais la vérité
qui s'y recèle, c'est que les corps qui circulent dans le ciel autour de la
terre dévient de leur course et qu'une grande conflagration qui se produit
à de grands intervalles détruit ce qui est à la surface de la terre. Alors
tous ceux qui habitent dans les montagnes et dans les endroits élevés et arides
périssent plutôt que ceux qui habitent au bord des fleuves et de la mer ...
Quand, au contraire, les dieux submergent la terre sous les eaux pour la purifier,
les habitants des montagnes, bouviers et pâtres, échappent à la mort, mais
ceux qui résident dans nos villes sont emportés par les fleuves dans la mer
... " Timée (22b-22d)
Platon
avait raison, tout au moins sur le fond, il y a vingt-quatre siècles : des
corps célestes dévient de leur course et viennent frapper
Le
Doctrines
et écrits des philosophes et scientifiques de l'Antiquité
Nous
devons à Pierre Duhem (1861-1916) une œuvre incomparable par sa richesse et
son intérêt historique : Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques
de Platon à Copernic (17), en dix volumes. Se basant lui-même sur le travail
des grands historiens de l'astronomie des XVIIIe et XIXe
siècles, et en en réalisant une synthèse d'une précision acérée, il a pu détailler
toutes les grandes doctrines cosmologiques des philosophes de l'Antiquité,
doctrines qui souvent se chevauchaient. Car il n'y a jamais eu unanimité,
et pour cause, puisqu'aucune hypothèse des Anciens ne représentait réellement
la réalité.
Il faut d’abord rappeler que les derniers très grands cataclysmes physiques
ayant eu des répercussions dans tout le Bassin méditerranéen remontent au
IIe millénaire. Il y en a eu deux, de nature différente : l'explosion du
Santorin, vers –1600 (18), un fantastique événement volcanique et géologique,
sans doute très impressionnant pour tous les témoins du phénomène et les survivants,
qui ont dû constater médusés l'anéantissement total d'une montagne, sacrée
de surcroît, considérée souvent comme la demeure des dieux ; ensuite, l'impact
de la comète Sekhmet vers –1200 (l'année pourrait être –1208), et toutes
ses multiples conséquences pour les populations et les civilisations de la
région et même de toutes les régions environnantes.
Il n'y eut aucun grand cataclysme durant le Ier millénaire et, à chaque génération,
le souvenir de ces grands cataclysmes se faisait plus lointain et plus incertain.
Chaos, feu du ciel, chute du ciel, déluge, après avoir été réalité avaient
rejoint le mythe, et les philosophes, pour les intégrer dans leur vision globale
de l'histoire du monde, devaient recourir à des périodes de plus en plus longues,
où le millier d'années était l'unité de base. Homère (v. 850 av. J.-C.) et
Hésiode ignoraient déjà la réalité et la nature exacte, faute de documents
écrits qui n'ont probablement jamais existé en Grèce, des deux grands événements,
et les avaient intégrés avec plus ou moins de bonheur dans leurs récits, dans
lesquels ils se bornaient à préserver l'idée de catastrophes.
Anaximandre, l'un des premiers grands astronomes grecs (le premier il envisagea
une Terre sphérique et on lui doit la découverte de l'obliquité de l'écliptique),
professait déjà l'opinion qu'au cours de l'éternité se succèdent une infinité
de mondes dont chacun a une durée limitée.
" L'Infini paraît avoir en sa possession la cause totale de la génération
et de la destruction de l'Univers. C'est de cet Infini que se sont séparés
les cieux et tous les mondes qui, pris dans leur ensemble, sont infinis. De
l'éternité infinie provient la destruction, comme la génération en était issue
longtemps auparavant ; toutes ces générations et ces destructions se reproduisent
d'une manière cyclique. " (19)
Comme
le note Pierre Duhem :
" Nous voyons ici Anaximandre affirmer un double infini : Une étendue
infinie, principe de la coexistence d'une infinité de mondes simultanés ;
une éternité infinie, principe des générations et des destructions périodiques
d'une infinité de mondes successifs. " (20)
Vers
le milieu du Ier millénaire, Héraclite (540-480), comme beaucoup de philosophes
de
" Le monde n'a été fait ni par un dieu ni par un homme ; il a toujours
été, il est et il sera toujours, le feu toujours vivant, qui s'allume régulièrement
et s'éteint régulièrement. "
Plus
tard, dans la seconde partie du Ier millénaire avant J.-C., quatre doctrines
principales tentaient d'expliquer l'histoire du monde. Celle de Démocrite
et de ses disciples, parmi lesquels Épicure (341-270) et beaucoup plus tard
Lucrèce (98-55), celle de Platon, celle d'Aristote (384-322) et celle de Zénon
(336-264) et de l'école stoïcienne, dont Sénèque fut un lointain disciple.
Pour tous, le dilemme se résumait à la question suivante : " Le monde
est-il éternel ou a-t-il une fin ? ".
Voyons les différents points de vue (21).
Pour Aristote, le monde est éternel, et tout signe tangible de dépérissement
doit être compensé par des signes de rajeunissement d'une intensité comparable.
Son monde est en équilibre. Comme il est éternel, il n'a pas été créé. Il
n'a pas besoin d'un démiurge pour causer une catastrophe.
Pour les Stoïciens,
le monde entier est périssable, et subit des phases alternées de destruction
et de restauration. Eux aussi sont matérialistes. Les manifestations évidentes
de décrépitude sont les symptômes d'une fin prochaine. Mais après la conflagration
universelle qui réduit tous les éléments au feu primitif, le monde renaîtra
tel qu'il fut précédemment. Il y a par conséquent un éternel retour
des êtres et aussi des événements. C'est la fameuse tirade de Némésius d'Émèse
(IVe-Ve siècle), un lointain disciple de Platon : " Il y aura de nouveau
un Socrate, un Platon... et cette restauration ne se produira pas une
fois, mais plusieurs ". Comme chez Aristote, en fait, le monde est
éternel, mais pour l'école stoïcienne, il y a renouvellement, régénération
périodique. Sénèque, qui se référait volontiers à cette école dont il se sentait
proche, expliquait que le monde périt régulièrement et cycliquement par déluge
et embrasement.
Pour les disciples
de Démocrite, et plus tard d'Épicure, le monde périt aussi à la suite d'une
conflagration, mais il se distingue nettement de celui des Stoïciens par la
place tenue par le hasard. Il n'y a pas retour périodique des mêmes
événements. Pour eux, c'est un monde nouveau qui démarre sur les ruines
de l'ancien. Cette vision paraît étonnamment moderne.
Platon est assez proche
du catastrophisme stoïcien. La conflagration ne fait pas de doute pour lui.
Mais chez lui le monde n'est pas anéanti totalement, c'est seulement l'humanité
qui pâtit sérieusement du cataclysme. Le monde perdure après les grandes catastrophes
de la conflagration et du déluge, comme chez son ancien élève Aristote. Mais
la grosse différence avec celui-ci, c'est que pour Platon le monde est créé
et détruit par Dieu. Pour lui, les catastrophes sont des moyens choisis par
Dieu pour purifier
Aujourd'hui, les historiens des mythes font clairement la différence entre
la fin du monde et la fin d'un monde vues par les Anciens (22/23).
La première était définitive, absolue, alors que la seconde était seulement
"momentanée" et permettait un redémarrage avec un nouveau cycle.
Chutes de pierres et météorites sacrées
dans l’Antiquité
Le
phénomène de la chute de pierres (aérolithes) et de morceaux de fer (sidérites)
sur
Il
faut savoir que le fer météoritique a été employé par les hommes dès les premiers
âges de la civilisation (25). Ce n'est pas sans raison que l'ancien mot par
lequel on désignait ce métal, sideros, signifie astre aussi bien que fer.
L'ancien nom égyptien du fer, baanepe,
veut dire "métal du ciel".
Chez
les Sumériens, le fer s'appelait an-bar,
ce qui signifie "feu du ciel" et chez les Hittites, ku-an, mot qui a la même signification.
Le mot hébreu pour fer, parZil,
et l'équivalent en assyrien, barZillu,
sont dérivés de barZu-ili qui signifie
"métal de Dieu" ou "métal du ciel" comme en Égypte. Encore
aujourd'hui, le mot georgien de météorite est le mot tsis-natckhi qui veut dire "fragment
du ciel".
Ce
fut probablement le destin d'une grand part des sidérites de bonne taille
que d'être utilisées comme matière première, utile et bon marché, pour la
confection d'armes, d'outils et produits domestiques divers, par les populations
ayant bénéficié (ou subi) de chutes de fer céleste sur leur territoire.
A
l'opposé de cet usage "utilitaire", certaines pierres météoritiques
anciennes furent élevées à la dignité de divinités
(26). Cela est dû au fait que le phénomène de la chute de pierres célestes
était regardé, par des populations encore bien frustes, comme une manifestation
directe des puissances surnaturelles.
La plus connue de ces pierres sacrées s'appelait Elagabale, du nom de l'empereur romain Elagabal (Marcus Aurelius Antoninus,
204-222) qui la fit amener en grande pompe à Rome sur un char tiré par quatre
chevaux et qui prétendit en faire la divinité suprême de tout l'Empire romain
(27). Cette célèbre pierre noire, ramenée des confins du désert de Syrie,
avait environ
Enfin,
et surtout, il faut parler de l'une de ces pierres sacrées qui a traversé
les millénaires et qui est encore adorées de
nos jours : la célèbre Pierre noire
qui est scellée dans l'angle sud-est de
Notes
1.
En fait, on a découvert beaucoup plus tard que la période de dix-neuf ans
qui caractérise le cycle lunaire avait déjà été découverte par les Chinois,
1600 ans avant Méton.
2. R. Escarpit, Contes et légendes du Mexique (Nathan, 1963). Citation
p. 10.
3. P. Ravignant et A. Kielce, Cosmogonies. Les grands mythes de Création
du Monde (Le Mail, 1988). Citation p. 110.
4. F. Braunstein et J.-F. Pépin, Les grands mythes fondateurs (Ellipse,
1995). Citation p. 40.
5. Le calendrier égyptien était basé sur une année de 365 jours seulement,
d'où une dérive annuelle de 0,2422 jour par an, 6 jours pour 25 ans, 12 jours
pour 50 ans, 18 jours pour 75 ans, etc. Le 12 Tybi de l'année 1321 avant J.-C.
correspondait au 27 novembre de notre calendrier grégorien, le 12 Tybi de
1271 au 15 novembre, celui de 1221 au 3 novembre et celui de 1196 au 28 octobre.
Il reste à trouver l'année exacte du cataclysme pour ajuster la
date exacte. Si 1209 avant J.-C. (soit –1208) est la bonne année (ce n'est
qu'une approximation à 10 ou 20 ans près qui dépend de la chronologie exacte
des pharaons), la date de la collision cosmique serait alors voisine du 31
octobre.
6. F. Guirand et J. Schmidt, Mythes & Mythologie. Histoire et dictionnaire
(Larousse, 1996). Le chapitre 2 (pp. 23-68), dû à J. Viau, concerne la mythologie
égyptienne. Citation p. 53.
7. Ibid. Le chapitre 8 (pp. 291-338), dû à E. Tonnelat, concerne la
mythologie germanique (Allemagne et pays scandinaves).
8. Hésiode, Théogonie (Les Belles Lettres, 1977 ; traduction par P.
Mazon). Citation p. 62-63. Hésiode ne connaissait plus avec précision les
grandes catastrophes qui avaient eu lieu au IIe millénaire. La compression
du temps avait déjà joué son rôle et sa Théogonie regroupe sous forme
de mythes des données très hétéroclites et d'époques différentes. Cela tendrait
à prouver que des sources écrites sur les grands cataclysmes du passé
n’ont jamais existé, tout au moins en Grèce. Cette hypothèse est confirmée
par le fait que les philosophes grecs plus tardifs ne parlent jamais de l’éruption
du Santorin avec un minimum de précision. Seul le bouche à oreille permit,
les premiers temps, de perpétuer le souvenir de cataclysmes destructeurs.
9. Ovide, Les métamorphoses (Garnier-Flammarion, 1966 ; traduction
par J. Chamonard). Citation p. 70-73.
10. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, Livre II (Les Belles Lettres,
1950 ; traduction par J. Beaujeu). Citation p. 39-40.
11. M. Eliade, Le mythe de l'éternel retour (Gallimard, 1969).
12. A. Barbault, L'astrologie mondiale (Fayard, 1979).
13. Sénèque, Questions naturelles (Les Belles Lettres, 1930 ;
traduction et annotations par P. Oltramare). Citations pp. 154-155. Le livre
troisième dont sont tirés ces deux extraits s'intitule " Des eaux
terrestres ". Sénèque était un avant-gardiste qui aurait pu éclipser
Ptolémée avec un peu de chance. La face du monde culturel aurait pu en être
totalement changée.
14. M. Rutten, La science des Chaldéens (PUF, QS 893, 1970).
15. E.M. Antoniadi, La découverte du système héliocentrique du monde en
Grèce antique, L'Astronomie, 41, pp. 449-458, 1927.
16. Platon, Timée (Garnier-Flammarion, 1969 ; traduction par E. Chambry).
Citation p. 405. Classique parmi
les classiques, ce passage du Timée a traversé les siècles.
17. P. Duhem, Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques
de Platon à Copernic (Hermann, 10 volumes, 1913-1957).
18. Il sera question de ce cataclysme au chapitre
9 consacré aux grands cataclysmes terrestres de la protohistoire et
de l'Antiquité. En effet, certains d'entre eux ont toujours interféré avec
les cataclysmes cosmiques. Il a fallu attendre le XXe siècle pour les
identifier avec précision.
19. Le système
du monde, citation p. 70. Il s'agit d'un texte d'Eusèbe.
20. Le système
du monde, citation p. 71.
21. Le lecteur intéressé
par cet intéressant sujet pourra se reporter aux ouvrages spécialisés, et
notamment à celui de Duhem, très explicite et très détaillé.
22. L. Boia, La
fin du monde.
Une histoire sans fin (Editions La découverte, 1989).
23. C. Dumas-Reungoat,
La fin du monde. Enquête sur l'origine du mythe (Les Belles Lettres,
2001). Un excellent livre, très détaillé.
24. P.-M.
Bigot de Morogues, Mémoire historique
et physique sur les chutes de pierres tombées à la surface de
25.
26. M. Eliade,
Traité d'histoire des religions
(Payot, 2004). Dans ce livre d'une grande érudition, Mircea Eliade
(1907-1986) étudie entre autres les rites et les symboles célestes,
le soleil et les cultes solaires, les pierres sacrées, et leurs rapports
avec les religions.
27. R. Turcan, Héliogabale et le sacre
du soleil (Albin Michel, 1985).
28. E.M. Antoniadi, Uranolithes vénérés,
L'Astronomie, 51, pp. 433-436, 1937.