CHAPITRE 12

UNE RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE ET CULTURELLE


Réhabilitation d'un concept scientifique

On peut se demander pourquoi cette réalité incontournable qu'est le catastrophisme, qu'il soit d'origine cosmique ou terrestre, n'a émergé que durant le dernier quart du XXe siècle. Il suffit de se rappeler deux précédents, tristement célèbres, pour mieux saisir les raisons de ce retard incompréhensible pour un esprit rationnel. A la fin du XVIIIe siècle, les savants de l'époque, parmi lesquels le chimiste Lavoisier, refusaient encore systématiquement d'admettre l'origine cosmique des météorites (1), contre toute logique et malgré des preuves irréfutables accumulées depuis plus de 3000 ans. Il y a moins de 60 ans, l'origine cosmique du Meteor Crater de l'Arizona était elle aussi contestée, niée même, par une majorité de "spécialistes" et les astroblèmes étaient systématiquement ignorés. On se demande toujours pourquoi ces "verrous psychologiques" ont mis tant de temps à sauter. C'est exactement la même chose avec l'impactisme terrestre et le catastrophisme d'origine cosmique qui lui est associé.
Cependant, deux générations de nouveaux chercheurs, plus ouverts et conscients de la nécessité d'évoluer et de tenir compte des observations, ont suffi pour balayer les doutes et surtout pour laisser la science "respirer", chercher et trouver les preuves indispensables. Après les preuves, on passe aux causes et aux conséquences, et tout s'éclaire enfin. La révolution technologique aidant (l'apport de l'informatique, des satellites, des instruments modernes et d'internet), c'est la science elle-même qui a fait progressivement sa révolution, avec le renouvellement des chercheurs (2).
Du coup, le catastrophisme, qui avait une image de marque désastreuse depuis Georges Cuvier et ses disciples (3), qui étaient catastrophistes mais surtout fixistes (4), c'est-à-dire en fait créationnistes, a refait progressivement surface comme un concept scientifique régénéré et crédible.

Pour éviter toute ambiguïté malvenue, il faut préciser une chose importante : le catastrophisme scientifique et le catastrophisme religieux (créationnisme) sont deux façons différentes d'appréhender des phénomènes identiques, une façon scientifique d'une part, et religieuse d'autre part. Les scientifiques et les religieux  ne sont pas sur la même longueur d'onde (5), ce qui peut provoquer des frictions sérieuses. C'est la raison pour laquelle le terme de catastrophisme, qui n'est pas dû à Cuvier d'ailleurs, qui parlait seulement de "révolutions du globe", mais au géologue et philosophe anglais William Whewell (1794-1866), peut paraître effectivement un peu ambigu.

La science fait sa révolution permanente

Depuis soixante ans, les connaissances scientifiques ont fait un bond extraordinaire et de nombreux nouveaux concepts ont fait leur apparition, imposés par les observations et les analyses des données toujours plus nombreuses et plus précises. Pour certaines sciences, on peut vraiment parler de révolution. Des disciplines aussi diverses que l'astronomie, la physique, l'astrophysique, la cosmochimie, la géophysique, la géologie, la paléontologie, la biologie et d'autres encore se sont trouvées régénérées.
Les astronomes et les astrophysiciens ont été les témoins de cataclysmes cosmiques très divers, comme le volcanisme hallucinant qui transforme la surface de Io, le satellite de Jupiter, en quelques siècles seulement, la fameuse explosion de la supernova du 24 février 1987 dans le Grand Nuage de Magellan et enfin, et peut-être surtout, la fantastique collision de la vingtaine de fragments de la comète brisée Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter en juillet 1994 (6), qui d'après les statisticiens n'avait pas une chance sur cent milliards de se produire. Et pourtant ! La nature n'a que faire des statistiques humaines...
Ces trois cataclysmes ont bien montré que nous vivons dans un Univers violent en permanence, dans lequel le cataclysme est la règle et non l'exception. Le troisième a rappelé que l'impactisme planétaire est une réalité de toujours et pas seulement du passé.
En toute logique, les théories catastrophistes, qu'elles soient cosmiques ou terrestres, ont bénéficié d'un regain de crédibilité. On connaissait par l'observation les astéroïdes et les comètes qui frôlent la Terre, on a identifié les cratères qu'ils forment sur notre planète, les astroblèmes (7). La Terre elle-même est une planète violente en permanence, et on a pu expliciter le volcanisme et les tremblements de terre avec précision, grâce notamment à la tectonique des plaques.
Enfin, la décennie 1980 a vu une extraordinaire compétition scientifique entre les différentes équipes de chercheurs de diverses spécialités pour résoudre le fameux et irritant problème de l'iridium surabondant dans la fine couche géologique séparant le crétacé du tertiaire (la couche K/T), prévu théoriquement par le physicien américain Luis Alvarez (1911-1988), et étudié sur le terrain par Walter Alvarez, son fils, géologue de profession (8). Réussite complète et pour tous : astronomes, géologues, volcanologues et aussi paléontologues sont d'accord aujourd'hui pour dire qu'un astéroïde (ou une comète) s'est écrasé(e) sur la Terre il y a 65 millions d'années. Les dinosaures et l'astroblème mexicain de Chicxulub ont un point commun, totalement insoupçonnable jadis : les uns ont été détruits alors que l'autre a été formé par le même objet. Les conséquences de cette collision cosmique sont énormes, démesurées, compte tenu du diamètre (10 km environ) de l'objet responsable.
On le sait depuis toujours : pour exister et être crédible, une théorie a besoin de l'appui d'observations incontestables. La fin du XXe siècle aura été particulièrement bénéfique pour les catastrophistes des différentes sciences (9), de plus en plus nombreux et conscients de la justesse de leur combat. Ce livre est plus particulièrement consacré à l'histoire cosmique des hommes depuis qu'ils sont devenus homo sapiens, mais les autres cataclysmes purement terrestres ont été nombreux et particulièrement meurtriers depuis que l'humanité est devenue plus vulnérable. Dans un second ouvrage, il sera question de l'histoire cosmique de la Terre et de la vie, tributaires toutes les deux, elles aussi, de l'impactisme et du catastrophisme qui lui est associé. Extinctions de masse, bruit de fond de l’extinction, évolution sont directement et étroitement liés aux rapports, souvent conflictuels qu’entretient notre planète la Terre avec le monde cosmique extérieur.

De la science-fiction à la réalité de demain

Le film "catastrophe" américain Meteor, sorti sur les écrans en 1979 et tiré du roman du même nom (10), a popularisé le thème d'une Terre sous la menace de corps célestes susceptibles de rayer la vie, sinon totalement, du moins partiellement, sur notre planète. Le ciel a toujours fait peur, dans l'Antiquité déjà, mais aussi au Moyen Age et au cours des siècles suivants.
De nos jours, depuis la découverte d'astéroïdes comme Hermes, Asclepius et Toutatis qui ont frôlé la Terre au XXe siècle, et encore plus depuis la découverte en 2004 d'Apophis qui va la frôler en avril 2029, on sait qu'un impact sérieux reste toujours possible, inéluctable à l'échelle du millier d'années. L'armée américaine, elle-même, consciente que le danger est réel et garante de la sécurité des populations, a pris le problème en main au début des années 1990 pour traquer "l'ennemi extérieur" et envisager tous les moyens nécessaires pour parer à un impact d'envergure annoncé. Annoncé, car les astronomes peuvent parfaitement être pris au dépourvu et un objet menaçant être repéré trop tard, on l'a bien vu en 1908 avec le cataclysme de la Toungouska.
E
n 1979, le film Meteor a eu un excellent effet pédagogique auprès du public qui ignorait souvent tout du problème et souvent ne voulait rien en connaître. La vedette de ce film est un météore (en fait un astéroïde) de 7 km de diamètre qui fonce dans l'espace à 40 000 km à l'heure, soit à la vitesse de 11 km/s, et qui a pour cible la Terre. Sa force de frappe, prodigieuse, équivaut à environ 2 500 000 mégatonnes de TNT. Ce météore annonciateur de l'Apocalypse est précédé sur son orbite par une nuée d'objets plus petits (des météorites, de plusieurs dizaines de mètres pour certaines) qui causent déjà toutes sortes de misères et d'importants dégâts sur notre planète (impact en Sibérie, destruction d'un village dans les Alpes autrichiennes, raz de marée de 35 mètres de haut qui dévaste Hong Kong suite à un impact dans le Pacifique, destruction de New York (11)). Heureusement, les deux super-grands de l'époque (États-Unis et URSS), d'accord pour une fois, envoient leurs fusées nucléaires stationnées en orbite autour de la Terre vers le gros météore en un tir groupé, libérant assez d'énergie pour le dévier sur une orbite sans danger pour notre planète. La fin du monde est ainsi repoussée à plus tard, et les populations terrorisées peuvent se remettre de leurs émotions et reprendre leur vie normale.
Plus récemment, en 1993, l'auteur de science-fiction britannique Arthur Clarke (1917-2008) a écrit un passionnant petit livre : Le marteau de Dieu (12), dans lequel il raconte l’histoire d’un astéroïde de 1 km de diamètre, baptisé Kali, pour la déesse de la mort et de la destruction dans la mythologie hindoue, qui fonce vers la Terre et que les hommes du XXIIe siècle essaient de dévier sur une orbite sans danger pour notre planète. Comme le raconte Clarke dans son roman :

" Les hommes ont tout prévu… sauf l’imprévisible ! " (13)

En exergue de son livre, il dit également ceci :

" Tous les événements situés dans le passé se sont effectivement produits aux lieux et époques indiqués ; tous ceux situés dans le futur se produiront peut-être. Un seul est inéluctable : tôt ou tard nous rencontrerons Kali. " (14)

Kali, pour Clarke, c’est l’objet cosmique d’envergure qui obligatoirement se retrouvera dans les siècles à venir sur une orbite de collision avec la Terre et la percutera si l’homme n’intervient pas. C’est déjà lui qui, en 1973, dans son célèbre roman Rendez-vous avec Rama (15), avait imaginé la création d’un système international de surveillance, nommé Spaceguard, destiné à repérer tout astéroïde ou comète s’approchant un peu trop près de la Terre, ou même tout vaisseau interstellaire pénétrant dans le Système solaire. Clarke a été entendu et Spaceguard existe aujourd’hui. C'est un réseau de télescopes automatiques spécialisés dans la détection d’objets célestes dangereux, s’avérant indispensable pour recenser tous les astéroïdes potentiellement dangereux pour la Terre.
Tou
s ceux qui ont vu Meteor, ou plus récemment Deep Impact ou Armageddon, les deux grands films parus sur le même sujet en 1998, ou qui ont lu Le marteau de Dieu, ou un autre livre du même genre, se sont posé ces questions : " Une telle collision est-elle possible dans la réalité ? avec quelles conséquences principales ? ". Aujourd'hui, on sait sans aucune équivoque que la réponse est oui. Cette éventualité est non seulement possible, mais certaine à l'échelle astronomique.
Arthur Clarke a résumé en une seule phrase la conséquence essentielle du cataclysme d’origine cosmique qui a eu lieu il y a 65 millions d'années, période qui marque la fin de l'ère secondaire, et détruit les dinosaures et de nombreuses autres espèces :

" L’horloge de l’évolution remise à zéro, le compte à rebours menant à l’homme pouvait commencer. " (16)

Le marteau de Dieu ne fait que raconter la réalité de demain, une réalité dure à admettre, mais inéluctable.

Rechercher les causes des cataclysmes

Le rappel de quelques textes et légendes anciens dans les chapitres 1 et 2 a montré que l'idée de la Terre bombardée est loin d'être nouvelle. Notre planète a déjà été meurtrie dans un passé historique et protohistorique par des objets cosmiques qui ont effrayé les Anciens et contribué à la mise en place de concepts universels, comme le Chaos primitif, l'effondrement périodique de la voûte céleste et la rupture des "piliers du monde".
Pendant longtemps il fut de bon ton de se gausser de ces fables inventées par des ancêtres considérés comme quasi débiles, avec leur Terre plate et leurs dieux malveillants, mais les choses ont changé. Ce sera l'apanage des chercheurs de la prochaine génération d'apporter, sinon un point final, tout au moins une explication scientifique incontestable sur le pourquoi de certaines de ces légendes.
On a longtemps cru qu'il ne serait pas possible d'apporter des preuves à ce qui s'est réellement passé au cours de la protohistoire et de l'histoire ancienne. Eh bien si ! Depuis le début des années 1980, on commence à y voir plus clair. Les pièces du gigantesque puzzle scientifique et historique que constitue le catastrophisme commencent à s’assembler. Comme l’ont annoncé Clube et Napier, les deux pionniers majeurs de ce domaine de la recherche, la vérité est peut-être à portée de la main dans l’étude exhaustive des carottes glaciaires qui ont été prélevées dans le Groenland et dans l’Antarctique. L’analyse des poussières piégées dans ces carottes, d’un intérêt extrême pour comprendre l’histoire de la Terre et celle des hommes aussi, pourrait déboucher sur une découverte majeure, révolutionnaire : en fait, l’Apocalypse, à travers un âge glaciaire inhumain par sa longueur et sa rudesse, ponctué d’impacts de comètes et de ténèbres déstabilisants pour le monde vivant, a déjà eu lieu !
Notre époque, même si elle est révolutionnaire à certains égards, n'est qu'un simple jalon dans la longue histoire des hommes et dans la connaissance qu'ils en ont, et chaque génération s'appuie sur les acquis de la précédente et prépare ceux de la suivante. Une relecture de Sénèque et de ses Questions naturelles (17) n’est pas inutile pour bien montrer que la recherche n’aura jamais de fin et que demain apportera de nouvelles réponses qui entraîneront de nouvelles questions.

" Soyons satisfaits de ce que l'on a déjà découvert et permettons à nos descendants d'apporter aussi leur contribution à la connaissance de la vérité...
Ne nous étonnons d'ailleurs pas que l'on amène si lentement à la lumière ce qui est caché si profondément...
La génération qui vient saura beaucoup de choses qui nous sont inconnues. Bien des découvertes sont réservées aux siècles futurs, à des âges où tout souvenir de nous sera effacé. Le monde serait une pauvre petite chose, si tous les temps à venir n'y trouvaient matière à leurs recherches. "

Ces phrases pleines de sagesse, écrites par Sénèque au crépuscule de sa vie, entre les années 62 et 65 de notre ère, sont toujours d'actualité.

Une nouvelle vision du monde se dessine

Les très nombreuses découvertes récentes inquiètent et font réfléchir les scientifiques, les militaires et même certains politiciens qui veulent être en mesure de réagir rapidement, et en connaissance de cause, le cas échéant. Plusieurs rapports et études très détaillées ont été publiés ces dernières années.
Le danger potentiel semble plus réel, plus proche. On comprend mieux aussi aujourd'hui, d'une manière plus générale, que le cataclysme d'origine cosmique est un phénomène universel qui s'impose comme un moyen naturel et incontournable de régulation de la matière cosmique, sous toutes ses formes, et de la vie, et cela à un niveau galactique, donc totalement surhumain.
Même si le Spaceguard survey, mis progressivement en place depuis le début des années 1990, était une nécessité impérative (18) et permettra peut-être de retarder l'échéance d'un impact sérieux et de ses conséquences humaines totalement incalculables, l'avenir paraît bien sombre. L'homme devra être très vigilant et imaginatif pour le contrôler et le maîtriser. Ne serait-ce pas mission impossible ?
Surtout depuis que les astronomes ont compris que l'introduction dans le Système solaire intérieur d'objets de plus de 100 km de diamètre, comme les centaures issus de la ceinture de Kuiper, était possible (et même quasiment inéluctable) plusieurs fois par million d'années, comme nous l'avons vu avec l'hypothèse Hephaistos. Même si la Terre n'est qu'une planète parmi d'autres, elle est, elle aussi, obligatoirement concernée.
Comme résumé et conclusion de ce livre, je propose une chronique que j'ai écrite en collaboration avec l'astronome belge Jean Meeus et qui est parue en 1993 (19). Elle est toujours d’actualité et permettra au lecteur d’avoir un petit rappel historique et un aperçu de la réalité de demain.

" SPACEWATCH : UNE NOUVELLE VISION DU MONDE SE DESSINE

Les premiers résultats obtenus à Kitt Peak, avec l'extraordinaire télescope automatique Spacewatch, confirment bien entendu que la Terre est constamment frôlée par une multitude de petits corps célestes. Avec toutes les conséquences qui en découlent. Des impacts d'objets de 100 mètres ou plus sont inévitables à l'échelle du millier d'années. Un impact comme celui de la Toungouska (objet de 80 mètres) pourrait avoir lieu tous les 200 ou 300 ans.
C'est une bonne leçon pour tous ceux qui se sont moqués, un peu à la légère, des "catastrophistes" (qui étaient astronomes ou naturalistes en général, mais aussi astrologues, philosophes, ecclésiastiques ou érudits) qui se sont succédé de l'Antiquité à nos jours. Certains se sont fourvoyés parfois, certes, faute de connaître comme nous tous ces NEO (Natural Near-Earth Objects, selon l'appellation de l'UAI), ou en se cloisonnant à l'intérieur de schémas (astrologiques parfois, religieux souvent) tout tracés, mais un peu trop exigus. D'autres n'ont pas pu ou pas voulu s'exprimer clairement sur ce sujet ambigu (parce que mêlant science et religion) pour ne pas s'attirer les foudres des autorités religieuses, intransigeantes à certaines époques, ou les sarcasmes de leurs contemporains. Mais tous les "catastrophistes" pressentaient bien que le ciel réel était bien plus complexe que le ciel observé et qu'il était quasiment inévitable qu'il réserve parfois de mauvaises surprises.
Les deux premiers détonateurs astronomiques vraiment sérieux en ce domaine furent le passage à proximité de la Terre de la comète D/Lexell en 1770 (ce qui donna à réfléchir aux savants clairvoyants de l'époque) et ensuite la découverte d'Eros en 1898 (capitale car elle prouvait l'existence d'astéroïdes pouvant s'approcher de la Terre). Mais jusqu'aux découvertes d'Apollo, d'Adonis et d'Hermes, dans les années 1930, la théorie de l'impactisme terrestre, plus généralement appelée catastrophisme d'origine cosmique, a toujours eu une connotation nettement péjorative, et elle était restée marginale, faute de preuves terrestres suffisamment probantes.
Il ne faut jamais perdre de vue que jusqu'en 1803 (avec l'averse météoritique de l'Aigle dans l'Orne, observée en plein jour par plusieurs centaines de témoins, qui obligea à une déchirante volte-face), c'est l'existence même des météorites qui était contestée, et celle des cratères météoritiques terrestres l'a été jusqu'au début des années 1950. On croit rêver devant tant d'inutiles retards et de tergiversations incompréhensibles pour des chercheurs actuels.
Mais aujourd'hui, en ce début des années 1990, avec les progrès fulgurants dus au télescope Spacewatch, qui nous fait découvrir un monde nouveau, le gigantesque billard cosmique dans lequel la Terre évolue, nous sommes vraiment passés à la vitesse supérieure. Et quand ce seront une dizaine de télescopes automatiques qui surveilleront le ciel (dans le cadre du Spaceguard Survey dont Spacewatch est le premier maillon), et qui mettront en évidence des centaines d'approches serrées par mois à la Terre et l'existence de nombreux astéroïdes sur des orbites de collision, la moquerie et l'incompréhension liées au catastrophisme risquent de laisser place à l'inquiétude.
Depuis quinze ans, on parle beaucoup de la fin des dinosauriens, il y a environ 65 millions d'années, due à l'impact d'un astéroïde ou d'une comète. Mais il serait temps maintenant d'aller plus loin et de tenter d'élucider les autres grands cataclysmes du passé. Il y a énormément à faire dans ce domaine, notamment en associant plus étroitement extinctions de masse et astroblèmes géants, eux-mêmes consécutifs à des impacts d'EGA ou de comètes de plusieurs kilomètres de diamètre.
Il paraît indispensable surtout d'étudier sous tous ses aspects l'impact (peut-être double) de grande envergure qui a eu lieu il y a environ 700 000 ans et qui est associé à la création des millions d'australasites, les plus récentes des tectites (via le cratère météoritique fantôme de Wilkes Land en Antarctique ?) et à la dernière inversion du champ magnétique terrestre. Des surprises de taille nous attendent et la réalité pourrait bien dépasser la fiction ! Car il ne s'agit plus d'une extinction de masse, comme notre planète en a connu quelques-unes au cours de son histoire mouvementée, mais d'un épisode récent et important de l'évolution de la vie (du fait des radiations et des mutations qui s'ensuivirent subies par de nombreuses espèces, parmi lesquelles les ancêtres de l'homme actuel). Il n'est plus possible aujourd'hui de nier la corrélation : mort des dinosauriens - émergence des primates et des conséquences qui en découlent, mais ce n'était là qu'une étape parmi d'autres.
On en revient toujours aux conséquences de l'impactisme terrestre, sous ses deux formes essentielles : macroscopique (gros impacts) et particulaire (radiations diverses), qui semblent faire peur à certains chercheurs. Qu'on le veuille ou non, le catastrophisme d'origine cosmique (qui n'a rien à voir avec le catastrophisme d'origine "divine" ou un créationnisme étriqué, et qui sont même antinomiques) sera l'une des grandes théories scientifiques du siècle prochain. Il y a là un beau challenge pour les jeunes chercheurs qui veulent faire table rase des idées préconçues... et fausses. A eux de démontrer définitivement que l'impactisme terrestre est bel et bien l'un des moteurs essentiels de l'évolution. Une vraie révolution culturelle qui mettra fin à une "guéguerre" d'un autre âge : catastrophisme contre uniformitarisme. Il est bien clair qu'il faudra parler de catastrophisme et uniformitarisme.
Le télescope Spacewatch pourrait bien être un nouveau détonateur décisif. Ses résultats vont obliger en effet ces prochaines années les scientifiques sceptiques (il en reste bien sûr) à envisager enfin le monde d'une manière différente, plus proche de la réalité. Il leur faudra admettre que nous vivons dans un univers cataclysmique, aussi bien dans notre bras galactique (avec les explosions d'étoiles qui redistribuent la matière, mais aussi l'énergie sous forme de particules), que localement dans le Système solaire (avec les caprices épisodiques du Soleil et l'impact des astéroïdes et des comètes) ou même chez nous, sur la Terre (avec les ouragans, les séismes, les éruptions volcaniques et notre atmosphère parfois perméable aux radiations nocives).
Un monde nouveau finira par s'imposer, un monde où le cataclysme est la règle, PARTOUT, TOUJOURS. La vie a dû obligatoirement s'accommoder de ces soubresauts épisodiques, violents, irréversibles. La double conclusion est claire pour les catastrophistes modernes : l'homme, sous sa forme actuelle, n'est qu'un phénomène récent, transitoire, et la vie si elle existe ailleurs, ne peut être que très différente de celle qui a pris racine (peut-être par panspermie), puis évolué sur Terre. Dur à admettre pour ceux qui ignorent tout de l'astronomie, et pour ceux qui s'accrochent désespérément, par le biais du créationnisme, aux certitudes bibliques. Inacceptable même !
Il n'est pas étonnant, par contre, que les spécialistes des astéroïdes et des comètes (et plus généralement la communauté astronomique) soient de plus en plus partisans des idées catastrophistes. Ils sont les premiers à savoir que les collisions sont inévitables. Et ce n'est pas la découverte, à un mois d'intervalle, de 1993 HD et 1993 KA2, les deux premiers EGA connus à être sur des orbites de quasi-collision avec la Terre, qui risque de les faire changer d'avis, même s'il s'agit là de deux objets minuscules sans danger pour notre planète.
Ils savent que Spacewatch, et bientôt ses homologues prévus dans le cadre du Spaceguard Survey, vont nous faire entrer dans une ère nouvelle et passionnante. Mais il est bien clair que les astronomes ne peuvent, à eux seuls, comprendre et résoudre le problème du catastrophisme d'origine cosmique dans sa globalité. Seule une vaste campagne d'études multidisciplinaires peut permettre des progrès vraiment décisifs sur la connaissance du passé, le pourquoi du présent et la manière de gérer un avenir incertain et un peu inquiétant quand même à long terme.
Même les militaires américains commencent à leur manière à s'intéresser à ce futur, en travaillant sur les techniques à développer pour se débarrasser (principalement par destruction dans l'espace ou par changement d'orbite) d'éventuels objets trop dangereux. C'est un nouvel épisode pacifique de la "guerre des étoiles" et un recyclage imprévu pour un arsenal nucléaire privé de ses objectifs terrestres familiers. Il est cocasse d'imaginer que la survie de l'humanité tiendra peut-être à l'existence de cet arsenal, prévu à l'origine pour une tout autre utilisation, et qui est voué aux gémonies par ceux qui, au contraire, sont toujours persuadés qu'il va entraîner sa perte. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Et surtout, il ne faut pas oublier que l'homme et l'univers ne cohabitent pas dans une même échelle de temps. L'homme aura disparu depuis longtemps que la Terre subira encore (et toujours) des agressions du cosmos. C'est une autre confirmation de ce catastrophisme renaissant : l'homme ne représente vraiment pas grand-chose dans l'espace et dans le temps, tout juste un épiphénomène passager extrêmement marginal. On est bien loin de l'époque précoperniciennela Terre était encore le centre du monde et l'homme le but ultime de la Création ! La science est impitoyable...

Informer, à défaut de convaincre

Platon, Whiston, Laplace, Cuvier et tous les autres savants catastrophistes du passé ou actuels ont cherché et cherchent encore, chacun selon ses moyens et les connaissances de son époque, à informer et à faire comprendre à leurs contemporains que la vie terrestre est totalement tributaire de phénomènes physiques extérieurs qui les dépassent de beaucoup. Et d'abord, la vie et les hommes dépendent du Soleil (20). Sans lui, ils n'existeraient pas et il peut les faire disparaître s'il se fâchait vraiment en inondant la Terre de radiations mortelles.
Faire comprendre les dangers que le ciel représente aux personnes qui ignorent quasiment tout de la science en général, et de l'astronomie en particulier, est une tâche assez difficile. L'humanité actuelle, dans sa grande majorité, tout comme celle des siècles précédents, a peur de l'avenir et refuse instinctivement tout ce qui a trait au cataclysme. Beaucoup préfèrent l'irrationnel, à commencer par l'astrologie, à la réalité scientifique. Certains préfèrent se faire peur avec des alignements planétaires imaginaires et un millénarisme absurde, et qui n'est rien d'autre qu'un fantasme, plutôt que de regarder la réalité en face.
Le devoir des chercheurs actuels est d'informer, encore et toujours, à défaut de convaincre, éventualité illusoire. De nombreux livres sont parus sur le problème des cataclysmes d'origine cosmique depuis une quinzaine d'années (voir la bibliographie), c'est une très bonne chose. Il est nécessaire, en effet, que des auteurs de formation et de sensibilité parfois très différentes présentent d'une manière plurielle (car le sujet est multidisciplinaire) une réalité que toute personne cultivée se doit de connaître. Certains auteurs, notamment des historiens (21), semblent prendre à la légère la menace du ciel car ils ne connaissent pas les données astronomiques du problème. Libre à eux ! C'est aux lecteurs de juger sur pièces ce qu'ils doivent ou désirent retenir de cette menace du ciel qui a façonné la Terre, mais aussi la vie et la montée de l'homme vers la civilisation. De toute manière, au fil des siècles, la réalité scientifique finira par s'imposer, sinon à tous, tout au moins à ceux qui veulent savoir le pourquoi et le comment de leur histoire cosmique.

Notes

1. M.-A. Combes, La Terre bombardée (France-Empire, 1982).
2. On sait que les savants en place ne veulent pas, ou ne peuvent pas, remettre en question leurs certitudes, de peur de voir "le savoir", leur raison de vivre souvent, leur échapper.
3. C. Babin, Autour du catastrophisme (Vuibert - Adapt,2005). Ce livre explique bien les hauts et les bas qu'a connu la théorie du catastrophisme, avec une domination sans partage de l'actualisme durant la première moitié du XXe siècle.
4. C. Grimoult, Évolutionnisme et fixisme en France (CNRS Éditions, 1998).
5. J. Arnould, Dieu versus Darwin (Albin Michel, 2007). Ce livre du théologien Jacques Arnould a comme sous-titre "Les créationnistes vont-ils triompher de la science ?" ou l'éternel débat entre foi et raison.
6. L'impact de la vingtaine de fragments de la comète Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter en juillet 1994 a été un événement scientifique d'un intérêt considérable, l'un des plus importants du XXe siècle.
7. K. Mark, Meteorite craters (The University of Arizona Press, 1987). On ne connaît quasiment rien des astroblèmes océaniques. Le XXIe siècle sera décisif à ce sujet. Notamment, il faudra répondre à cette question majeure : un impact océanique important est-il capable de fracturer la croûte océanique terrestre ?
8. W. Alvarez, La fin tragique des dinosaures (Hachette, 1998).
9. J.-L. Schneider, Les traumatismes de la Terre (Sté géologique de France - Vuibert, 2009). Ce livre est sous-titré : "Géologie des phénomènes extrêmes". Il rappelle une réalité de toujours : "Séismes, glissements de terrain, éruptions volcaniques, cyclones et tsunamis sont, entre autres phénomènes, à l'origine de catastrophes terribles pour les sociétés humaines".
10. E. North et F. Coen, Meteor (Belfond, 1980).
11. Ces catastrophes préliminaires n'ont pas été choisies au hasard par les scénaristes, excepté la dernière. Elles correspondent à des cataclysmes ayant eu lieu, ou soupçonnés avoir eu lieu, dans le passé.
12. A.C. Clarke, Le marteau de Dieu (J’ai lu, S-F 3973, 1995). Titre original : The hammer of God (1993).
13. Le marteau de Dieu, citation p. 4 de couverture.
14. Le marteau de Dieu, citation p. 5.
15. A.C. Clarke, Rendez-vous avec Rama (Robert Laffont, 1975). Titre original : Rendez-vous with Rama (1973).
16. Le marteau de Dieu, citation p. 30.
17. Sénèque, Questions naturelles (Les Belles Lettres, 1930 ; traduction et annotations par P. Oltramare).
18. Ce n'était pas l'avis de tout de le monde aux États-Unis dans les années 1990, notamment celui de quelques scientifiques pour qui les sommes utilisées (assez modestes) auraient pu être employées plus utilement, et celui d'antimilitaristes primaires qui ont vu d'un mauvais œil les militaires venir s'incruster (en la sponsorisant) dans la recherche purement scientifique. Aujourd'hui, le partenariat science - militaires apparaît comme une obligation et ne soulève plus vraiment de critique.
19. M.-A Combes et J. Meeus, Chronique des objets AAA (n° 6), Observations et Travaux, 35, pp. 20-26, 1993. Citation pp. 24-26.

20. M. Gargaud, H. Martin, P. Lopez-Garcia, T. Montmerle et R. Pascal, Le Soleil, la Terre... la vie (Belin - Pour la Science, 2009). Ce livre est sous-titré : "La quête des origines". Un superbe résumé de l'histoire cosmique des hommes et de la vie avant que l'homme soit devenu Homo Sapiens à la suite de mutations favorables. Il a eu beaucoup de chance et bénéficié d'une contingence extrêmement favorable jusqu'ici. Mais jusqu'à quand ?
21. L. Boia, La fin du monde. Une histoire sans fin (Editions La Découverte, 1989). Dans son excellent livre, l'historien des mythes roumain Lucian Boia traite avec érudition, et aussi avec un certain humour, des différentes versions de la fin du monde depuis l'Antiquité. Pour lui, l'imaginaire prime les données scientifiques. Il ignore totalement certaines données astronomiques. La "Comète" (avec un C majuscule) l'amuse et il s'en délecte. Il ne cite pas Victor Clube et Bill Napier qui ont montré que la "Comète" n'était pas une vue de l'esprit, mais une réalité dont nos ancêtres ont eu à souffrir. Ce n'est pas pour rien que les Etats-Unis investissent aujourd'hui dans des surveys spécialisés dans la recherche des PHA (les astéroïdes potentiellement dangereux pour la Terre). Ils veulent pouvoir détruire ou détourner les objets qui en menaçant la Terre menaceraient aussi la civilisation actuelle.