CHAPITRE
6
Les deux réservoirs de comètes
On
distingue deux réservoirs très différents de comètes qui ont été mis en évidence
au début des années 1950 (1), le premier par Jan Oort (1900-1992) et le second
par Gerard Kuiper (1905-1973). Mais le second n'a
vu sa réalité confirmée qu'au début des années 1990, grâce à la révolution
technologique apportée par l'utilisation de caméras CCD très performantes,
couplées avec des télescopes de grand diamètre sur des sites d'observation
privilégiés (2). Les noms des deux pionniers de ces découvertes doivent être
mentionnés ici, car ils ont permis une nouvelle avancée fondamentale. Ce sont
David Jewitt et Jane Luu,
deux astronomes américains qui travaillaient sur le site de Mauna
Kea, à Hawaii, avec un télescope de
Le
nuage de Oort
C'est
une "coquille" sphérique dont le Soleil est le centre (les inclinaisons
ont toutes les valeurs possibles), que l'on peut situer en gros entre 2000
et 100 000 UA, c'est-à-dire une tout autre population que celle existant dans
le Système solaire intérieur. On a tendance, de nos jours, à le diviser en
deux parties bien distinctes : le nuage externe, compris entre 10 000
et 100 000 UA et le nuage interne, compris entre 2000 et 10 000 UA.
Le nuage de Oort contient un nombre illimité d'objets (plusieurs milliards
à coup sûr). Celles qui sont "précipitées" dans le Système solaire
intérieur le sont à la suite de perturbations stellaires (passage d'une étoile
à proximité relative du Soleil).
Le diamètre de ces objets peut varier de quelques km à plusieurs milliers
de km. Mais en règle générale, la quasi-totalité des membres de ce groupe
n'ont aucune raison de venir dans le Système solaire interne. Ce sont des
astres primordiaux, c'est-à-dire directement issus de la formation du Système
solaire, amorcée il y a plus de 4,6 milliards d'années par la condensation
du disque de gaz et de poussière présolaire, en
rotation sur lui-même, et qui engendra, outre le Soleil, les planètes et leurs
satellites, d'innombrables résidus qui n'ont pas tous disparus par la suite.
Les statistiques ont montré
que certaines comètes "neuves" (celles qui viennent pour la première
fois dans le Système solaire intérieur) arrivent prioritairement d'une région
située entre 40 000 et 50 000 UA (dans le nuage externe donc). Cela tendrait
à montrer qu'il existe certaines zones plus denses en noyaux cométaires vers
cette distance. On considère, en général, qu'une comète dont le demi-grand
axe est inférieur à 10 000 UA (issue du nuage interne donc) n'est pas une
comète neuve au sens strict, et que celles qui ont un tel demi-grand axe ont
déjà effectué quelques (rares) apparitions près du Soleil.
De telles comètes ont déjà évolué dynamiquement. Ainsi la fameuse comète
West, l'une des plus belles du XXe siècle, qui est venue près du Soleil en
1976 et donc le demi-grand axe (= la distance moyenne au Soleil) était de
l'ordre de 6800 UA (d'où une période voisine de 560 000 ans) n'était pas une
comète neuve, puisqu'elle nous a déjà rendu plusieurs visites dans le passé,
fort espacées dans le temps à l'échelle humaine, mais pas à l'échelle astronomique.
Du fait de sa rupture en quatre morceaux lors de sa dernière visite, elle
ne reviendra plus.
Les perturbations ne sont pas
seulement dues aux passages erratiques d'étoiles près du Soleil, même si l'on
sait que celles-ci en sont les responsables essentielles, ni aux forces de
marée générées par la rotation de
Depuis leur formation, il y a 4,6 milliards d'années, le Soleil et sa nombreuse
famille ont pu traverser ce genre de nuage géant une bonne dizaine de fois.
Il n'est pas exclu alors qu'une quantité anormale de comètes ait pu être injectée
en peu de temps dans le Système solaire intérieur. La traversée de nuages
moléculaires plus petits, de l'ordre de 1000 à 10 000 fois la masse du Soleil,
est bien sûr beaucoup plus fréquente. Elle serait de l'ordre d'une fois tous
les 10 millions d'années (c'est-à-dire d'une centaine de fois par milliard
d'années), avec des conséquences moindres, mais cependant nullement négligeables.
On voit ainsi que ces perturbations,
qui peuvent être de nature différente, sont largement suffisantes pour permettre
un renouvellement permanent de la matière cométaire près du Soleil,
et aussi expliquer l'extraordinaire cratérisation qu'ont subi les diverses
planètes et satellites, cratérisation qui, on le sait maintenant, était à
la fois d'origine planétaire, mais aussi cométaire.
La
ceinture de Kuiper
C'est
en fait un disque relativement plat (quelques degrés pour les inclinaisons)
situé entre environ 38 et 100 UA (peut-être même 200 UA) du Soleil, donc incontestablement
une composante du Système solaire interne. Il pourrait contenir plusieurs
millions d'objets (comètes et/ou astéroïdes), dits objets de Kuiper,
de 10 à plus de 1000 de km de diamètre, composés de glace mais aussi probablement
de roches. Ceux qui "décrochent" de cette ceinture le font à la
suite de perturbations planétaires, mais en général les excentricités sont
modestes (très souvent inférieures à e = 0,20) et les orbites stables.
Ce qui signifie que beaucoup de membres de ce groupe pourraient être des objets
primordiaux.
Le bond technologique décisif du début des années
– les Plutinos qui forment la bordure interne
de la ceinture. Ces objets qui ont a compris entre 38 et 42 UA apparaissent
très nombreux. Comme Pluton (et son satellite Charon), ils ont la particularité
très importante d'être en résonance 3/2 avec Neptune. Ils sont donc protégés
de toute approche avec cette planète qui pourrait s'avérer dangereuse et signifier
pour eux "le début de la fin", c'est-à-dire la plongée dans le Système
solaire intérieur, avec les conséquences qui en découlent sur leur espérance
de vie.
– les autres KBO (pour Kuiper Belt Objects) qui ont entre 40 et 100 UA (et même plus pour
certains) et qui ne bénéficient pas de cette résonance 3/2. Ce sont des membres
de la ceinture de Kuiper qui ont en principe une orbite très stable et beaucoup
doivent exister depuis la formation du Système solaire. C'est parmi eux que,
suite à des perturbations, principalement dues à Neptune, certains objets
voient leur excentricité augmenter et leur périhélie diminuer, avec les risques
majeurs que cela comporte : approche à Neptune et injection sur une orbite
plus petite, souvent dans un premier temps de type centaure, ou injection
directe avec une excentricité quasi parabolique dans le Système solaire intérieur
et avec un périhélie à l'intérieur de l'orbite de Jupiter.
Les objets de Kuiper sont soit des astéroïdes, soit des comètes, soit des
objets mixtes qui ont à la fois des caractéristiques physiques planétaires
(noyau rocheux notamment) et cométaires (enveloppe de glace et de poussières
agglomérées). Bien sûr, il existe des milliards d'objets plus petits que les
quelques milliers qui sont observables de
Les
centaures et autres objets apparentés
Il
est apparu, depuis l'utilisation des caméras CCD qui permettent de repérer
des astres beaucoup plus faibles que précédemment, qu'il existe de nombreux
objets circulant d'une manière autonome (comme des mini-planètes) entre les
orbites de Jupiter et de Neptune. Tous sont enregistrés comme astéroïdes (puisque
n'ayant pas d'activité physique apparente), mais quasiment tous peuvent être
considérés comme d'origine cométaire (ou astéroïdo-cométaire
pour les objets mixtes), puisque issus très probablement des deux réservoirs
cométaires. Ce sont les centaures.
Cette étape centaure semble être une étape intermédiaire "normale"
pour les objets du Système solaire externe. Certains objets de Kuiper éjectés
de la ceinture sont injectés dans le Système solaire intérieur sur des orbites
provisoires et chaotiques. Ces orbites évoluent ensuite sans cesse
au gré des perturbations planétaires, avec une tendance à la diminution progressive
du demi-grand axe. Leurs jours, à l'échelle astronomique, sont comptés. La
fragmentation, l'émiettement, la désintégration, la disparition totale à long
terme (parfois aussi une expulsion salvatrice) les guette.
Deux objets sont représentatifs des centaures et des objets apparentés (ceux
qui circulent entre les orbites de Jupiter et Uranus) : Chiron et Damocles. Leur histoire
permet de comprendre les différentes étapes de la vie d’objets extérieurs
perturbés et qui peuvent se retrouver en fin de vie dans le Système solaire
intérieur avec une espérance de vie, avant fragmentation ou impact direct
dans certains cas, très faible à l'échelle astronomique : quelques millions
d'années au maximum.
Damocles
Il
s'agit d'une ancienne comète, découverte en 1991 par Robert McNaught, qui
est issue du nuage de Oort et qui ensuite, à l'occasion d'une intrusion dans
le Système solaire intérieur, a été capturée par Uranus (3). N'ayant
pas d'activité cométaire, cet objet a été catalogué comme un astéroïde, bien
que son origine cométaire ne fasse pas de doute. Ses éléments orbitaux sont
exceptionnels : a = 11,9 UA (il circule donc en moyenne entre
Saturne et Uranus), e = 0,87 et i = 62°. Damocles s'approche de l'orbite de Mars au périhélie (q
= 1,58 UA). Les calculs montrent que cette orbite chaotique est très
provisoire et qu'elle va évoluer, avec une diminution de la période et du
demi-grand axe. Damocles deviendra un objet Apollo
dans quelques dizaines de milliers d'années.
Il est devenu le prototype des "objets venus d'ailleurs" qui peuvent
devenir dangereux à long terme pour
Damocles a permis de montrer l'un des mécanismes
d'introduction (et de renouvellement permanent) d'anciennes comètes à longue
période dans le Système solaire intérieur. Ce mécanisme comporte quatre étapes
principales :
1. perturbations stellaires qui les chassent du nuage de Oort et en précipitent
certaines dans le Système solaire intérieur ;
2. capture de l'une d'entre elles par l'une des grosses planètes (Jupiter
principalement, mais aussi Saturne, Uranus et Neptune) sur une orbite chaotique
à courte ou moyenne période ;
3. évolution de cette orbite, avec parallèlement diminution progressive, puis
disparition totale des éléments volatils, et possibilité d'approches serrées
aux planètes ;
4. impact possible sur une planète avec éventuellement formation de cratère
et conséquences sur la vie s'il s'agit de
Ce
Chiron
Cet
objet est le prototype des centaures. Il a été découvert en 1977 par
Charles Kowal (4) et catalogué comme un astéroïde, puisqu'il s'était jusqu'alors
toujours montré ponctuel. En effet, on l'a retrouvé sur plusieurs plaques
photographiques prises antérieurement, la plus ancienne remontant à 1895.
Ce n'est que bien plus tard, en 1988, que l'on commença à soupçonner une activité
cométaire, liée à un sursaut anormal de magnitude (son éclat doubla quasiment)
en relation avec le rapprochement de Chiron vers son périhélie. Apparemment,
le léger réchauffement de la surface a été suffisant pour "réveiller"
la grosse boule de glace et de roches en léthargie sur la plus grande partie
de son parcours, et il a bien fallu (re)considérer Chiron comme une comète.
Cet objet circule sur une orbite instable avec a = 13,7 UA,
e = 0,38 et i = 6,9°. Sa période est donc de 51 ans. Il vient
au périhélie à 8,5 UA (la dernière fois en février 1996). Tous les calculs
montrent que l'orbite est chaotique et donc obligatoirement récente. Il a
décroché d'une orbite stable dans la ceinture de Kuiper à la suite de perturbations
exceptionnelles, pour suivre provisoirement une orbite de type centaure comme
actuellement.
Chiron est le premier spécimen d'une nouvelle population d'objets, beaucoup
plus gros que les comètes normales, et à la fois comète et astéroïde
(5) . Des observations dans l'infrarouge ont montré qu'il s'agit d'un objet
de forme grossièrement sphérique, mais qui présente quand même des variations
régulières de 9 % dans sa courbe de lumière, avec une période de rotation
de 5,9 heures et un albédo de l'ordre de 0,10. Un tel albédo suggère que Chiron
est probablement constitué en surface d'un mélange de roches, de poussières,
de gaz gelés et aussi de glace. C'est celle-ci qui se sublime et qui provoque
les sursauts d'éclat observés. La présence d'une légère chevelure de glace
et de poussières prouve qu'un mécanisme, que l'on suppose être dû principalement
à la sublimation, éjecte de la surface de Chiron ses composants les plus volatils.
On a noté entre autres la présence de cyanogène (CN) dans cette chevelure.
Le diamètre de Chiron n'est pas encore connu avec précision. Il a H = 6,0,
mais comme son albédo est nettement plus élevé que celui des objets de type
C et D, ce diamètre pourrait être de l'ordre de
Chiron fut le premier centaure repéré, mais on en connaît déjà de nombreux
autres, tels Pholus et Nessus. Le XXIe siècle permettra
d'en découvrir des centaines d'autres.
La
désintégration des comètes
Nous
allons voir maintenant le problème de la fragmentation et de la désintégration
des comètes, à travers deux exemples différents mais très significatifs. Il
faut bien comprendre, en effet, que ce problème est crucial pour expliquer
le renouvellement constant de la matière dans le Système solaire intérieur.
Des comètes sont capturées, elles se fragmentent, certains débris heurtent
les planètes, d'autres se désagrègent en poussière cosmique, c'est la règle
immuable depuis des milliards d'années et pour des milliards d'années encore
car la matière disponible dans le nuage de Oort et dans la ceinture de Kuiper
est inépuisable.
La
comète d'Aristote et le groupe de Kreutz
On
connaît cette comète (et ses multiples résidus ultérieurs) depuis l'époque
d'Aristote (6) qui l'observa lui-même en –371 alors qu'il n'était qu'un enfant
de 12 ans. Elle fut observée très près du Soleil à l'horizon ouest et, paraît-il,
sa queue s'étendit sur un tiers du ciel. Il est certain qu'il s'agissait alors
d'un astre très impressionnant, d'une très grosse comète unique qui
se divisa à l'occasion de ce passage dans la banlieue solaire en deux fragments,
observation capitale rapportée par l'historien grec Ephorus
(~400-330) (7). C'était le premier acte d'une fragmentation due principalement
aux forces de marée solaire, prélude à un véritable émiettement ultérieur.
En 1880, Daniel Kirkwood (1814-1895) suggéra que
Par la suite de très nombreuses comètes se révélèrent avoir des éléments orbitaux
quasiment identiques et donc avoir une origine commune. C'était donc un véritable
chapelet de comètes qui revenaient au périhélie, à proximité immédiate du
Soleil, vestiges de la comète mère d'Aristote. On
doit à l'astronome allemand Heinrich Kreutz (1854-1907)
d'avoir montré que les quatre comètes des années 1880 avaient des orbites
similaires et qu'elles descendaient directement de la comète de 1106, elle-même
fragment de la comète d'Aristote à son quatrième passage près du Soleil. Cette
comète de 1106 avait P = 370 ans environ et a = 51,5 UA environ,
donc un demi-grand axe à l'intérieur de la ceinture de Kuiper (bien qu'elle
n'en soit pas originaire). C'est lui qui donna son nom à ce groupe de comètes,
véritables Sun-grazers : le groupe de Kreutz.
Ce groupe est une véritable famille puisque tous ses membres ont un
progéniteur commun. Kreutz identifia également les comètes de 1668 et de 1695
comme faisant partie de ce groupe.
Au cours du XXe siècle, de nombreux nouveaux membres du groupe ont été identifiés
(8), notamment la fameuse comète Ikeya-Seki de 1965
qui atteignit la magnitude –10. A partir de 1979, ce sont les satellites Solwind
et SMM qui remplacèrent les découvertes terrestres. Depuis
1996, plus d'un millier de nouveaux fragments du même groupe ont été
repérés (9) très près du Soleil par le satellite SOHO, destiné principalement
à l’étude de notre étoile, mais capable aussi d’annoncer des impacts minuscules
à sa surface et des passages à proximité immédiate de sa surface. SOHO
s'est avéré un surveillant du ciel très efficace et un formidable
découvreur de comètes.
Il semble bien que ce soient
des milliers de fragments minuscules qui ont été successivement engendrés
par les résidus principaux de la comète mère, qui devait être un astre d’envergure,
d’un diamètre centaurien (plusieurs centaines
de km).
La généalogie
complète de cette grande famille de comètes a été établie par Brian Marsden
qui a montré que les comètes du groupe de Kreutz
se rangent aujourd'hui en deux sous-groupes principaux. Il apparaît clairement
que le progéniteur de tous ces résidus cométaires
est bien la comète de –371, et que la majorité des fragments connus sont directement
issus de la comète de 1106. Celle-ci s'est fragmentée depuis en plusieurs
morceaux de tailles inégales, certains de ceux-ci s'étant eux-mêmes fragmentés
à leur tour. La comète de 1882 s'est scindée en quatre fragments, celle de
1965 (Ikeya-Seki) en trois fragments. On assiste
donc à un véritable émiettement progressif. Certains fragments reviendront
encore près du Soleil, d'autres l'ont déjà heurté et n'existent plus, d'autres
encore se sont littéralement désintégrés et sont redevenus poussière cosmique.
L'exemple du groupe de Kreutz est extrêmement instructif
et montre clairement la réalité et l'importance de ce problème de fragmentation
et d'émiettement et celui des comètes apparentées, c'est-à-dire issues d'un
progéniteur unique, parfois d'un gros diamètre comme
c'était obligatoirement le cas pour la comète d'Aristote.
D'où venait-elle : nuage de
Oort ou ceinture de Kuiper ? Probablement du nuage de Oort, compte tenu de
l'inclinaison rétrograde de 145° (180 - 145 = 35°). Elle semble, dès le début,
avoir dû subir une fragmentation du fait d'une cohésion physique insuffisante
des glaces et des poussières la composant. La comète d'Aristote et ses innombrables
débris sont uniquement composés de matière fragile et elle s'est quasiment
désintégrée en moins de 2500 ans et quelques passages à proximité du Soleil.
Il est quasiment certain que d'ici quelques millénaires, il ne restera rien
de la fameuse comète d'Aristote. Tout redevient poussière, parfois à une vitesse
accélérée pour les comètes, surtout si elles viennent frôler le Soleil.
La
fragmentation de Hephaistos
Il
existe un autre cas de fragmentation, très différent de celui que nous venons
de voir qui concernait une comète de glace venant du nuage de Oort. Hephaistos,
la comète brisée à laquelle est consacrée ce chapitre, était un objet de plusieurs
dizaines de kilomètres de diamètre au minimum, issu de la ceinture de Kuiper,
à la fois comète et astéroïde, qui a certainement subi provisoirement
l'étape centaure, de quelques millions d'années tout au plus, avant
de venir se faire piéger dans le Système solaire intérieur où ses jours en
tant qu'objet unique étaient comptés. Ce n'est qu'à partir du début
des années 1990 qu'on a pu saisir les diverses étapes de la vie de tels objets.
La surprise est venue du fait qu'une comète active fait partie de cette
famille. Il s'agit de P/Encke, une comète à courte période
qui doit son nom à l'astronome allemand Johann Franz Encke (1791-1865)
qui ne l'a pas découverte, mais qui calcula son orbite en 1819. A l'époque,
elle étonna les astronomes car elle aurait dû être découverte
beaucoup plus tôt. En fait, les spécialistes se persuadèrent,
probablement avec raison, que cette comète venait de se "réveiller"
suite à un choc dans l'espace et qu'auparavant elle était comme
beaucoup d'autres objets semblables une comète en sommeil, protégée
par une carapace épaisse de poussières qui bloquait son dégazage.
On connaît plus d'une centaine d'objets (avec e > 0,70 (10)) connus
ou soupçonnés être des fragments et résidus de Hephaistos,
ce progéniteur aujourd’hui disparu, dont la capture
dans le Système solaire proche (à l’intérieur de l’orbite de Neptune) ne peut
excéder quelques millions d'années et la fragmentation initiale quelques
centaines de milliers d'années, une durée insignifiante à l'échelle astronomique.
L'émiettement se poursuit encore de nos jours et entraîne pour les membres
de la famille une dispersion des éléments orbitaux, notamment les valeurs
des nœuds ascendants, des arguments et longitudes des périhélies qui s'écartent
les uns des autres à une vitesse de 4° par millénaire (1° tous les 250 ans
en moyenne) et qui finiront par prendre toutes les valeurs possibles entre
0 et 360°.
L’existence de deux groupes principaux a été mise en évidence. Ils sont issus
d’une rupture globale récente, mais on peut aussi mettre en évidence des dislocations
ultérieures (l’émiettement permanent). On peut ainsi "reconstituer"
des objets intermédiaires qui existaient encore il y a quelques dizaines de
milliers d'années et même quelques milliers d'années pour certains
d'entre eux, c'est-à-dire quelques petites "secondes" à l'échelle
astronomique.
Ce n'est que dans le courant des années 1980 que les astronomes ont compris
que des objets qui paraissaient différents comme P/Encke
et Oljato ne formaient en fait qu'un seul objet
il y a seulement 9500 ans, c'est-à-dire vers –7500. Dès 1978, Lubor
Kresak (1927-1994) avait envisagé une parenté entre
P/Encke et Ogdy, l'objet
de
"
Cette ressemblance frappante des éléments orbitaux a fait émettre l'hypothèse,
par certains astronomes, que les deux objets seraient deux fragments d'une
ancienne comète brisée lors d'un passage près du Soleil. Mais cela est plus
que douteux pour la raison suivante : il se trouve que le g de 1978 SB est
relativement élevé (15,2), ce qui correspond à un diamètre voisin de
Aujourd'hui,
au contraire, la parenté étroite entre ces deux objets ne fait plus guère
de doute. Il reste à résoudre la question : pourquoi P/Encke
est-elle encore une comète active et Hephaistos
déjà un astéroïde cométaire ? Il est obligatoire de trouver une solution satisfaisante
à ce problème. Les spécialistes dans leur majorité (12) optent maintenant
pour l'idée que j'ai rappelée plus haut : le fragment P/Encke
qui a préservé certains éléments volatils a été en sommeil durant plusieurs
millénaires et n'est de nouveau actif que depuis peu de temps.
Il ne se serait "réveillé" que quelques dizaines d'années avant
sa découverte au XVIIIe siècle. Il paraît impossible en effet qu'il ait été
actif en permanence depuis l'Antiquité. Découvert seulement dans les années
2100, P/Encke aurait été cataloguée directement comme un astéroïde
comme l'est son frère jumeau Oljato, qui a peut-être
lui aussi eu des sursauts cométaires durant les siècles passés, mais
qui semble aujourd'hui définitivement "éteint" et privé de toute
matière encore susceptible de se sublimer et donc de présenter un caractère
cométaire.
Parmi les membres possibles de la famille Hephaistos,
on cite parfois la comète à courte période D/Helfenzrieder,
découverte en 1766 mais qui n'a pas été réobservée
depuis. Qu'est devenue cette comète ? S'est-elle totalement désintégrée ?
Survit-elle sous la forme d'un astéroïde minuscule que l'on découvrira peut-être
un jour ? A-t-elle bénéficié à l'époque d'un sursaut exceptionnel de courte
durée qui a permis sa découverte ? Autant de questions qui restent sans réponse,
mais la parenté avec les astéroïdes de la famille reste possible.
Notons encore, pour terminer avec le problème de la désintégration des comètes,
que quasiment chaque fragment volumineux engendre à son tour une famille de
météores associés. Plusieurs essaims sont liés génétiquement aux fragments
de Hephaistos, et notamment celui très important connu
sous le nom de Complexe des Taurides, qui est associé à P/Encke et qui comporte encore des objets de taille substantielle.
Ogdy, l'objet de
La
famille Hephaistos
Une
famille mi-cométaire/mi-planétaire
Tous
les membres connus, excepté P/Encke, sont recensés comme astéroïdes puisqu'ils n'ont
plus actuellement d'activité cométaire perceptible. La plupart sont
des astéroïdes cométaires, c'est-à-dire qu'ils ont été actifs à
une certaine période de leur vie d'astres indépendants. Quelques-uns, par
contre, n'ont peut-être jamais eu d'activité cométaire et sont de vrais astéroïdes.
C'est le paradoxe de ces gros objets venus de la ceinture de Kuiper qui ont
une composition hétérogène et qui sont à la fois des comètes et des
astéroïdes. Certaines parties sont composées de glace, capables après fragmentation
de se sublimer et de présenter provisoirement une activité de type cométaire,
d'autres parties sont rocheuses et donc astéroïdales. On retrouve donc cette
double composition dans les débris. Hephaistos est une famille mixte, mi-cométaire
et mi-planétaire.
Tous les objets de la famille ont une très forte excentricité (voisine de
0,80 et toujours supérieure à 0,60) et une faible inclinaison (comprise entre
0 et 13°), mais avec des différences qui deviennent sensibles avec le temps
qui passe. Des perturbations, parfois sévères, que certains débris peuvent
subir à l'occasion d'approches serrées aux planètes, peuvent entraîner des
modifications dans les éléments orbitaux. Il faut aussi se rappeler que certains
fragments ont subi des perturbations de type non gravitationnel, alors
qu'ils étaient encore actifs, qui les ont éloignés des éléments types qui
étaient ceux de l'objet primitif Hephaistos
avant sa première fragmentation.
Car il est certain, comme c'est le cas pour le groupe de Kreutz,
que la fragmentation s'est constamment répétée, chaque morceau devenu autonome
générant à son tour de nouveaux fragments plus petits et une infinité de poussières
(13). Pour ce qui est du demi-grand axe (et de la période), les écarts sont
plus importants, certains fragments s'étant retrouvés sur des orbites plus
petites à la suite de l'accélération du mouvement subie à l'occasion
de fortes approches aux planètes. On peut penser qu'une valeur assez proche
de 2,17-2,20 UA (qui est celle de Hephaistos, Oljato
et P/Encke) était la valeur de base, mais on constate
que certains fragments ne font plus partie de l'anneau principal des astéroïdes
(2,06-3,58 UA) et circulent en moyenne entre Mars et l'anneau principal. Ils
forment la famille Heracles. Il n'y a pas lieu de vraiment s'en étonner,
et cela ne doit pas masquer une origine commune probable.
La comète, puis probablement centaure, progéniteur de la famille Hephaistos
était un gros objet, de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre au
minimum, mais qui pouvait peut-être atteindre ou dépasser en fait
Une
fragmentation obligatoirement récente
La
question que l'on se pose est celle-ci : " Depuis quand a commencé
la fragmentation de Hephaistos ? " Et une autre vient immédiatement
après : " Peut-on dater approximativement la fragmentation
des différents objets actuellement recensés ? " Bien sûr, il est
exclu de répondre avec précision à ces deux questions puisqu'on ignore les
perturbations gravitationnelles et aussi non gravitationnelles qu'ils ont
subies, mais on peut avoir un ordre de grandeur intéressant. Celui-ci se chiffre
seulement en dizaines de milliers d'années pour la première question, et en
milliers d'années pour les fragmentations les plus récentes, comme nous allons
le voir.
On ne sait pas quand Hephaistos a été définitivement
injecté dans le Système solaire intérieur, suite à des perturbations catastrophiques
dues à l'une des quatre grosses planètes externes (Neptune, Uranus, Saturne
ou Jupiter). Cet événement peut remonter à plus de 100 000 ans. Mais le début
de la fragmentation a pu être sensiblement plus tardif et remonter à seulement
quelques dizaines de milliers d'années. On pense qu’elle doit être
liée à une très forte approche à l’une des deux planètes intérieures :
Mercure ou Vénus, peut-être même une interaction des deux
Un détail intrigue les astronomes : de nombreux fragments peuvent s'approcher
très près de Mercure (c'est encore le cas de P/Encke
et surtout de Hephaistos, notamment), ce qui est
assez rare quand même en général pour les astéroïdes et les comètes. Cela
a-t-il un rapport possible avec la fracture initiale ou est-ce pure coïncidence
? En règle générale, les astronomes n'aiment pas trop les coïncidences, surtout
si elles se répètent de façon anormale.
Se pourrait-il que ce soit une approche rasante à Mercure qui ait fait
exploser Hephaistos et, en accélérant
fortement son mouvement, diminuer d'une manière drastique la période de
révolution qui est anormalement faible pour une comète, puisque l'aphélie
de P/Encke et celui des autres fragments devenus astéroïdaux sont
largement inférieurs au demi-grand axe de Jupiter. On sait que les comètes
de la famille de Jupiter ont quasiment toutes leur aphélie à l'extérieur de
l'orbite de la planète géante. Il s'est donc passé pour Hephaistos
un événement unique (non encore identifié) qui a permis une réduction
très importante des valeurs de l'aphélie et du demi-grand axe. Par contre,
le périhélie n'aurait pas beaucoup évolué. Ce détail laisse à penser que le
cataclysme responsable a eu lieu près du Soleil.
Une
dispersion des éléments orbitaux avec le temps
On
considère qu'en moyenne la dispersion des longitudes du périhélie s'effectue
à raison de 4° par millénaire, soit en gros 1° tous les 250 ans. Donc, pour
les 360° de la sphère céleste, le processus complet demande environ 90 000
ans, pour 180° 45 000 ans, et pour 90° 22 500 ans. Quand on compare la longitude
du périhélie, qui est un élément caractéristique, pour les objets connus de
la famille, on a une première indication sur les fractures successives
des différents fragments.
Certains groupements serrés (moins de 20°) pourraient signifier une rupture
datant de 5000 ans seulement. Les calculs ont montré que P/Encke
et Oljato dont les périhélies diffèrent de seulement
12° formaient encore un seul astre il y a 9500 ans (soit vers –7500). Mais
la dispersion des autres éléments orbitaux montre que leur histoire ultérieure
(surtout celle d'Oljato d'ailleurs) a été très
agitée, et que Jupiter y a joué un rôle prépondérant.
Des
essaims de poussière comme produits de désintégration
L'espérance
de vie de tous ces fragments est très faible à l'échelle astronomique. Vont-ils
heurter une des quatre planètes intérieures, être expulsés ou s'émietter encore
? Nous verrons au chapitre 10 que certains
fragments ont déjà probablement heurté
Victor Clube et Bill Napier vont encore plus loin.
Pour eux, un gros fragment cométaire de Hephaistos
pourrait fort bien avoir été le responsable de la dernière glaciation.
La grande quantité de poussière cométaire déposée sur
Cette hypothèse pourrait être confirmée dans l'avenir (15) par une étude approfondie
de la distribution et de la nature exacte de la poussière piégée dans les
calottes polaires du Groenland et de l'Antarctique entre –20000 et –10000.
Cette poussière, de nature particulière, pourrait fort bien être une poussière
d'origine cosmique et non terrestre. Une
étude préliminaire semble indiquer une concentration anormale de certains
éléments, notamment en argent et surtout en étain. Ces éléments montrent bien
le caractère mixte du progéniteur qui ne
pouvait être une simple boule de glace géante.
Une
période de pollution cosmique
Il
est important de noter l'existence de nombreux objets de taille hectométrique
et décamétrique parmi les fragments déjà identifiés de Hephaistos.
Cela signifie évidemment que des milliers d'autres fragments minuscules
restent à découvrir, véritable mitraille cosmique issue de fragmentations
successives, et aussi d'un émiettement qui se poursuivra encore pendant plusieurs
milliers ou même dizaines de milliers d'années, à partir du moment où le progéniteur
de base n'était pas uniquement formé de glace, mais aussi de roches plus résistantes.
Le résultat est clair et étonnant : nous vivons actuellement, depuis quelques
dizaines de milliers d'années, une période de pollution astronomique inhabituelle.
Cette mitraille cosmique, issue d'un corps unique, hétérogène par sa composition,
existe encore, principalement sous forme microscopique mais pas uniquement,
dans les différents essaims associés aux débris des principaux fragments,
notamment dans le Complexe des Taurides associé, lui, directement à
P/Encke.
Les cataclysmes du passé doivent être un avertissement (16/17). Ils n'étaient
pas une fin en soi, mais un aboutissement normal de la désintégration d'un
corps cosmique important dans la banlieue solaire. Le catastrophisme d'origine
cosmique existe depuis toujours, sous des formes diverses. Avec Hephaistos et ses débris, nous vivons un épisode du
billard cosmique à l'échelle locale.
Certaines collisions futures paraissent d'ores et déjà inévitables à moyen
terme, poursuite d'un processus qui existe en fait depuis quelques milliers
d'années, et appelé à se poursuivre encore sur plusieurs dizaines de milliers
d’années. L’émiettement pourrait en être seulement à une phase intermédiaire,
puisque de nombreux fragments connus et à découvrir sont incontestablement
de taille kilométrique. Avant que tous ces fragments soient redevenus poussières,
il y aura encore de nombreux impacts et une infinité de météores associés
aux divers courants météoriques liés aux résidus de Hephaistos.
Il faut bien l’admettre, Clube et Napier ont levé un lièvre fantastique avec
leur hypothèse d’une comète géante éclatée dans l'environnement immédiat de
Des
milliers de petits fragments restent à découvrir
L’hypothèse
de la capture, il y a quelques dizaines de milliers d’années, dans le Système
solaire intérieur, d’une grosse comète, ou plus probablement d'un objet mixte
mi-comète/mi-astéroïde, est probablement fondée. Le nombre d’astéroïdes connus
issus de la fragmentation et de l'émiettement ultérieur d'un progéniteur
unique est en constante augmentation. Et surtout tous ces objets sont assez
facilement identifiables, grâce à leur très forte excentricité (dans la fourchette
0,70-0,85 en général) et leur faible inclinaison (entre 0 et 12°), les valeurs
du demi-grand axe étant plus dispersées, suite à des perturbations différentes.
Certains membres ont été accélérés et ont vu leur période diminuer, quittant
ainsi l’anneau principal où ils ont "commencé leur carrière" pour
devenir des NEA circulant entre
Une
origine dans la ceinture de Kuiper
On
penche aujourd’hui pour la capture récente (à l'échelle astronomique) d’un
centaure plutôt que d’une comète géante arrivant directement
de la ceinture de Kuiper, mais l'origine de Hephaistos
est très probablement cette ceinture dans laquelle cohabitent des milliards
d'objets de toute taille, certains pouvant dépasser les
On sait que ces centaures sont souvent des objets mixtes et que leurs
fragments peuvent être de nature différente, ce qui est moins paradoxal qu’il
n’y paraît. Certains ont eu une activité cométaire, mais pas tous.
Le type physique de ces fragments est différent selon leur composition
de surface, et c’est bien ce que l’on observe avec les divers fragments recensés.
Un des fragments de Hephaistos, qui n’est
pas le plus gros, loin de là, après une longue période de sommeil durant laquelle
il a été un NEA cométaire parmi d’autres, s’est réveillé, peut-être
à la suite d’un choc dans l’espace. C’est P/Encke,
la fameuse comète périodique qui n’est à nouveau active que depuis trois
siècles seulement et pour très peu de temps (deux ou trois siècles au
maximum).
La découverte par le calcul que P/Encke et Oljato étaient encore, il y a moins de 10 000 ans, un seul
et même fragment de Hephaistos a été une
découverte essentielle pour comprendre la complexité de notre histoire cosmique
récente. A la fragmentation initiale, il s’est ajouté une fragmentation ultérieure
et un véritable émiettement, du fait de la très faible cohésion de
certains fragments et des très fortes approches aux planètes qu’ils ont subies.
Mais comme la rupture initiale est quasi contemporaine (à l’échelle astronomique),
la désintégration est loin d’être terminée et elle se poursuit encore actuellement
quasiment sous les yeux des astronomes.
P/Encke est le fragment le plus connu de la famille,
et c’est par rapport à cette comète que l’on situe les divers courants météoriques
associés, courants déjà dispersés et issus eux-mêmes de l’émiettement d’objets
secondaires qui se sont séparés bien après le cataclysme initial qui a donné
naissance à des fragments majeurs comme Hephaistos
(qui a logiquement donné son nom au progéniteur
Hephaistos) et Heracles.
Une partie de ces divers courants et de nombreux astéroïdes minuscules (moins
de
Il n’empêche qu’aujourd’hui la quasi-totalité des fragments générés par Hephaistos sont des astéroïdes, définitivement
dégazés pour ceux qui ont eu une activité cométaire. On est en droit d’attendre
la découverte de plusieurs centaines de membres de taille kilométrique
et hectométrique, ce qui est énorme et montre bien que l’environnement terrestre
est pollué par des produits de désintégration cométaire.
Heureusement que notre atmosphère est un écran de protection très efficace
pour tout le matériel fragile d’origine cométaire, et qu’elle est en mesure
de faire elle-même le plus gros du ménage. Il semble bien que les fragments
de glace de taille décamétrique, ainsi que les fragments carbonés (type physique
C ou D) soient condamnés à une désintégration quasi complète. Mais d’autres
sont composés de roches (type S et même type E), avec une cohésion nettement
supérieure. Ogdy aurait été de ce type. Une autre
"preuve" que Hephaistos était un
objet mixte, et pas totalement cométaire, a été fourni par une météorite,
comme nous allons le voir maintenant.
La
météorite de Farmington et l'hypothèse Hephaistos
Cette
météorite de Farmington, qui pourrait n'être qu'une météorite parmi des
milliers d'autres, est en fait d'un intérêt exceptionnel. Elle est tombée
le 25 juin 1890, vers 13 heures, près de la ville de Farmington
dans le Kansas, aux Etats-Unis, à la position 39°45'N et 97°2'O. Cette chute
faisait suite à l'apparition d'un météore très brillant et à des détonations,
comme c'est souvent le cas. On connaît deux fragments issus de cette chute,
l'un de
Les premières études, tout de suite après la chute, montrèrent qu'il s'agissait
à l'origine d'une pierre unique, brisée tardivement durant la traversée de
l'atmosphère, et qui fut classée plus tard comme une chondrite noire à olivine
et hypersthène, fortement bréchée.
Il s'agit donc d'une chondrite ordinaire, de type L, à faible teneur en métal
libre et de densité de l'ordre de 3,7. Les diverses concentrations pour les
éléments analysés dans la météorite de Farmington
sont les suivantes (en parts par million) : K = 850, Ba
= 9,1, Zn = 102, Sc =
6,0, Ti = 574, Ge = 9,5, V = 72,6, Se
= 8,1, Te = 0,150, Cr = 2720, Mn
=2760, F = 250, Cl = 170 et Co = 532 (18). Les chondrites
à olivine et hypersthène sont les plus courantes
dans les collections de météorites, puisqu'elles dépassent, à elles seules,
le tiers des spécimens connus (35 % environ).
Beaucoup plus tard, il s'est avéré que cette météorite de Farmington
était en fait la plus jeune météorite connue, et de loin, dans la mesure
où son âge d'objet indépendant est de 25 000 ans seulement. Cet âge d'exposition
dans l'espace, extraordinairement court à l'échelle astronomique, indique
la date de la dernière fragmentation dont cet objet a été victime. Les astronomes
catastrophistes de l'école britannique, David Asher,
Victor Clube, Bill Napier et Duncan Steel (19), à la recherche de tous les phénomènes célestes
en rapport avec le Complexe des Taurides, ont pu montrer que cette
météorite faisait partie de ce Complexe, lié à P/Encke.
Le radiant et la date de la chute, le 25 juin, semblent indiquer une identité
probable, sinon incontestable.
Ainsi, on posséderait déjà un fragment du fameux centaure disloqué
et dont certains fragments sont entrés en collision avec
Les
essaims de météores liés à Hephaistos
Parmi
les nombreux essaims de météores connus (20), cinq sont probablement de lointains
résidus de la désintégration de Hephaistos,
à travers quatre fragments encore existants. Ce sont les suivants :
– Sagittarides. Cet essaim est associé
à Adonis et à son frère jumeau 1995 CS et est divisé en plusieurs essaims
secondaires, probablement issus de la dernière séparation de quelques parties
périphériques plus fragiles. Dans le cas de ces mini-fragments associés à
Adonis, on doit plutôt parler d’un émiettement que de désintégration,
émiettement qui se poursuit toujours.
– Delta Cancrides. Cet essaim, visible
à la mi-janvier, est lié à l’astéroïde cométaire Hephaistos,
l’un des deux fragments majeurs (avec Heracles)
survivants de la fragmentation du progéniteur Hephaistos.
– Bêta Taurides. Cet essaim diurne, lié directement à 2P/Encke est l’un des composants du Complexe
des Taurides, mis en évidence par Fred Whipple au début des années 1950
et popularisé par les astronomes catastrophistes britanniques. Il est observable
fin juin début juillet et on lui associe Ogdy, l’astéroïde
qui a explosé dans le ciel de
– S Taurides. C’est le deuxième essaim du Complexe des Taurides,
visible, lui, fin octobre et début novembre, et associé directement à P/Encke.
Il est très diffus, preuve qu’il s’agit d’un essaim ancien et d’importance,
vestige de la désintégration d’un gros objet, probablement de taille kilométrique,
lié génétiquement à P/Encke, fragment qui a pu conserver une cohésion suffisante
pour une survie provisoire.
– S Khi Orionides. Cet essaim, visible
en décembre, est associé à l’astéroïde cométaire Oljato,
le frère jumeau de P/Encke, qui a eu une activité
cométaire jusqu’à très récemment, et qui a donc pu injecter sur son orbite
une multitude de poussières dont
Il est probable que d’autres essaims mineurs et récents pourront être associés
dans l’avenir à quelques fragments connus ou à découvrir, membres de la grande
famille Hephaistos. Ces essaims d'objets
minuscules et de poussières innombrables sont la preuve que la désintégration
d’un objet unique peut déboucher, à moyen terme (quelques milliers d'années),
sur une multitude d’essaims météoriques, disséminés tout autour de la sphère
céleste par le jeu d’une dispersion inéluctable.
La
formation du cratère lunaire Giordano Bruno en 1178
Parmi
les hypothèses crédibles, mais non confirmées, en liaison avec l'hypothèse
Hephaistos, figure en bonne place la formation
très récente du cratère lunaire Giordano Bruno (21). Certains chercheurs
croient que ce cratère de
"
Alors que dans la soirée du 18 juin de l'an de grâce 1178 j'observais
Le
18 juin de Gervais est une date julienne qui correspond au 25 juin
1178 dans le calendrier grégorien (23) qui est le nôtre. Cette date
est compatible avec l'impact d'un objet faisant partie du "Complexe
des Taurides ". Ce texte du frère Gervais n'avait pas jusqu'alors
attiré l'attention. Il est pourtant très intéressant et laisse perplexes les
astronomes. Que s'est-il passé sur
Ce sont l'astronome française Odile Calame et son confrère américain Derral Mulholland qui ont
proposé les premiers cette hypothèse d’un impact sur la face cachée de
Un cratère terrestre ou lunaire de
D'autre part, la date rappelée par Gervais a immédiatement attiré l'attention.
La deuxième quinzaine de juin fait obligatoirement penser au "Complexe
des Taurides" et aux débris de Hephaistos.
Certains spécialistes, parmi lesquels l’astronome allemand Jack Hartung (24),
qui confirma le bien-fondé de l’hypothèse de Calame et Mullholland,
ont rappelé que ce cataclysme lunaire est à rapprocher de l'événement de
Quels sont les arguments scientifiques qui sous-tendent cette hypothèse d'un
impact lunaire quasi contemporain, qui paraissait extravagante et irréaliste
à beaucoup avant les années 1990, mais qui a trouvé une certaine crédibilité
avec l'impact de la comète P/Shoemaker-Levy 9 sur
Jupiter en juillet 1994 ? (25). En effet, avec cet événement imprévu mais
arrivé fort à propos, on a eu la confirmation définitive que l'impactisme
planétaire est aussi contemporain dans tout le Système solaire, système
Terre-Lune compris évidemment. Et de toute manière, il est bien évident que
la surface lunaire n'a nullement son aspect définitif, et il qu'il y aura
d'autres impacts importants dans l'avenir, de beaucoup supérieurs aux modestes
Etonnamment, les astronomes ont trouvé que
Pourtant, l'hypothèse de l'impact en 1178 n'a pas convaincu pas la majorité
des astronomes. Pour ces sceptiques, si le cratère est indéniablement récent
(à l'échelle astronomique), il daterait quand même de plusieurs dizaines ou
même centaines de milliers d'années, et ils croient surtout que le résonnement
observé doit pouvoir s'expliquer par d'autres raisons liées à des phénomènes
internes, des problèmes de sismicité, de libration et de résonance
(à ne pas confondre avec résonnement).
L'énigme de la formation du cratère Giordano Bruno ne pourra être définitivement
résolue qu'après une visite in situ, qui malheureusement n'est
pas pour demain, malgré son grand intérêt.
Notes
2. J.-C. Merlin, Les astéroïdes (Tessier & Ashpool,
2003).
3. M.-A. Combes et J. Meeus, Chronique des objets AAA (n° 7), Observations
et Travaux, 36, pp. 33-41, 1993. Quatre pages de cet article (pp. 37-41) sont
consacrées à Damocles. Une intégration numérique
de son mouvement pour la période 1800-2154 montre que les éléments orbitaux
varient très peu à court terme. Par contre, à long terme, il suffirait
d'une diminution de 8° de l'inclinaison pour que Damocles
devienne un objet de type Apollo. Un tel objet de
4. M.-A. Combes et J. Meeus, Un nouvel astéroïde exceptionnel : 1977 UB (Chiron),
L'Astronomie, 92, pp. 231-235, 1978.
5. A. Stern, Chiron : Interloper from the Kuiper disk, Astronomy,
22, august 1994. Stern préférait
le qualificatif de "disque" plutôt que "anneau"
ou "ceinture" pour les astéroïdes transneptuniens,
dans la mesure où, en règle générale, les inclinaisons sont faibles. Les objets
à forte inclinaison ne sont pas originaires de la région et sont probablement
des objets capturés. Mais c'est l'appellation "ceinture de
Kuiper " qui s'est imposée au fil des années et qui est aujourd'hui
adoptée par les spécialistes.
6. Il faut se rappeler qu'Aristote
considérait les comètes comme faisant partie du monde sublunaire, c'est-à-dire
en fait comme des phénomènes atmosphériques. Son opinion eut malheureusement
force de loi jusqu'à ce que Tycho Brahé, en 1577, prouve le contraire.
7. Cette observation rapportée
par Ephorus, historien grec du IVe siècle
av. J.-C., contemporain de l'événement, est citée par Sénèque dans ses Questions
naturelles pour la critiquer. Elle avait très étonné les Anciens qui ne
croyaient pas possible jusqu'alors la fragmentation d'une comète.
8. Dans leur livre Les comètes,
Jean-Claude Merlin et Michel Verdenet donnent l’arbre
généalogique détaillé des comètes du groupe de Kreutz (tableau 4.17, p. 259), à partir de la comète d’Aristote
de –371.
9. Pour prendre connaissance
des multiples découvertes, il faut consulter sur internet
le site de la sonde SOHO (voir la liste des sites en fin d'ouvrage). Les comètes
du groupe de Kreutz repérées depuis 1996 (plus d'un
millier) par SOHO prennent logiquement son nom. Toutes sont des résidus minuscules
issus de l'émiettement des fragments de la comète d'Aristote.
10. De nombreux autres membres
de Hephaistos pourraient avoir vu leur excentricité
initiale (voisine de 0,82) diminuer et se situer actuellement entre 0,60 et
0,70. On connaît dans cette gamme d’excentricités des objets de taille kilométrique
comme Poseidon, Mithra, Zeus et Cuno qui pourraient être des fragments de l'objet primordial.
11. M.-A. Combes et J. Meeus, Nouvelles des Earth-grazers
-
12. Certains spécialistes continuent
à penser que le problème des diamètres évoqué dans l’extrait de l’article
est incontournable et que l’hypothèse ad hoc de la comète en sommeil
est spécieuse. Pour eux, la solution serait autre : deux comètes venant
de la ceinture de Kuiper et se présentant d’une manière identique seraient
capturées et injectées par Jupiter dans un même "corridor" sur une
orbite à courte période du type Encke ou Hephaistos, avec a ~ 2,20 UA, e ~ 0,80 et i
~ 5°. Ainsi, ces deux objets pourraient bien être d’origine différente
et Hephaistos serait plus ancien et donc
déjà astéroïdal, alors que P/Encke, plus récente,
serait encore cométaire. Ce qui m'a fait changé d’avis c’est la multiplication
des découvertes ultérieures identiques, caractéristiques incontestablement
d’une fragmentation quasi contemporaine à l’échelle astronomique.
13. Il n’est pas exclu que
1991 BA, un objet d'une dizaine de mètres seulement et qui a frôlé
1
15. P. LaViolette, Earth under fire (Bear &
Company, 2005).
16. G.L. Verschuur, Impact ! The threat of comets & asteroids (Oxford
University Press, 1996).
17. J. Gribbin and M. Gribbin, Fire on Earth (St. Martin Press, 1996).
18. M.H. Hey, Catalogue of meteorites (The British Museum, 1966).
19. D. Steel, Rogue asteroids and doomsday comets (John Wiley &
Sons, 1995).
20. C.W. Kronk, Meteor showers, a descriptive catalog (Enslow Publishers,
1988).
21. Il faut se rappeler que
la première photographie de la face cachée de
22. Il y a 800 ans : une
fantastique explosion. Historia, 384, novembre 1978. Citation p. 2.
23. L'année julienne
vaut 365,25 jours et l'année grégorienne 365,2425 jours (l'année tropique
valant, elle, 365,2422 jours). L'écart vaut 0,0075 jour par an, soit 0,75
jour par siècle. Le calendrier julien avait été remis à jour en 325 au Concile
de Nicée, date à laquelle les Pères de l'Église enlevèrent 4 jours au
calendrier julien pour faire coïncider la date de Pâques avec l'équinoxe de
printemps (le 21 mars). En
24. Au fil des années, d’autres astronomes que les précurseurs de l’école
catastrophiste britannique, comme Jack Hartung, admettent le bien-fondé de
l’hypothèse du Complexe des Taurides et de l’origine de celui-ci.
25. J.R. Spencer and J. Mitton, The great comet crash
(Cambridge University Press, 1995). C'est le livre qui raconte en détail
la collision de la comète Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter en juillet
1994.