CHAPITRE
7
TOUNGOUSKA
1908
Un événement
exceptionnel s'est produit le 30 juin 1908 (1) en Sibérie centrale
(longtemps connu sous l'appellation inexacte et trompeuse de "météorite"
de
Les
circonstances de la collision et les premières constatations
Le
météore et la collision
L'objet (objet
car son origine n'a jamais pu être déterminée d'une manière définitive avec
certitude) de
La matinée démarrait à peine quand un météore blanc-bleuté éblouissant, suivi
d'une épaisse traînée de poussières beaucoup plus sombre, fut observé pendant
quelques dizaines de secondes par de nombreux témoins, dans une très vaste
région en forme de demi-cercle de plus de
A
Le météore, qui avait une trajectoire sud-est/nord-ouest, apparut au nord
du lac Baïkal et survola le ciel sibérien jusqu'à
Dan
La chute de l'objet de
Les
premières constatations
Parmi les premières constatations,
faites tout de suite après le cataclysme (6), il faut encore citer un phénomène
optique intéressant qui a été noté par de nombreux observateurs du ciel nocturne,
ignorant tout de la chute du 30 juin. La première nuit suivant celle-ci, c'est-à-dire
la nuit du 30 juin au 1er juillet 1908, fut exceptionnellement
brillante partout en Europe et en Sibérie occidentale. Dans le Caucase, dans
le sud de
Les diverses constatations concernant l'événement de
Les
premières expéditions : l'étude de la région dévastée
La
première expédition de 1927
La première expédition
réellement scientifique (7) sur le site de
Dans la partie centrale de la zone d'impact existait une dépression marécageuse
de plusieurs kilomètres carrés où les chercheurs notèrent une centaine de
petites cavités peu profondes de quelques mètres à quelques dizaines de mètres
de diamètre. Ils les prirent d'abord, à tort, pour des cratères météoritiques
car Kulik pensait que l'explosion avait entraîné
une fragmentation complète de l'objet cosmique originel, et donc une pluie
météoritique de nombreux fragments de toutes les tailles. En fait, il fut
établi plus tard que toutes ces formations étaient des fondrières naturelles,
très nombreuses dans cette région qui, nous l'avons dit, a
la particularité d'être marécageuse durant la période chaude et évidemment
d'être gelée l'hiver.
Autre surprise de taille, et une grosse déception pour les membres de l'expédition,
ils ne découvrirent aucune météorite, exception faite de quelques infimes
poussières, et cela malgré un ratissage sérieux et méthodique de la région
sinistrée. Ils durent se rendre à l'évidence : contrairement à l'opinion première
de Kulik, l'objet cosmique n'avait pas touché le
sol, même sous forme de petits fragments. Cet objet n'était donc pas une météorite,
au sens propre du terme, c'est-à-dire un objet ferreux ou pierreux qui aurait
dû laisser au moins quelques fragments significatifs. L’hypothèse de la comète
semblait donc s’imposer, avec une explosion et une désintégration dans l’atmosphère
et non un véritable impact.
Les
expéditions de 1928, 1929-1930 et 1938-1939
Deux autres expéditions
sur le site eurent lieu en 1928 et en 1929-1930 (8), cette dernière fort importante
puisqu'elle dura plus d'un an. Elles n'apportèrent rien de très nouveau. On
creusa plusieurs des dépressions que Kulik croyait encore être des cratères météoritiques, mais
sans succès. L'une d'entre elles fut explorée très soigneusement, jusqu'à
Enfin, en 1938-1939, une couverture photographique aérienne très complète
de la région fut effectuée, permettant de connaître d'une façon précise le
plan de la région touchée et de constater les extraordinaires dégâts, encore
nettement reconnaissables bien que datant déjà de trente ans. Ces photos ont
fait le tour du monde et illustrent encore tous les livres qui parlent en
détail de l'événement de
Ce
L'incertitude des savants sur la nature exacte de l'objet responsable de cette
catastrophe, frappante pour les imaginations, surtout après la publication
de photographies particulièrement révélatrices de la puissance de l'explosion,
allait entraîner l'apparition de très nombreuses hypothèses plus ou moins
(souvent moins que plus) plausibles. J'en dirai quelques mots en conclusion
de ce chapitre.
Les
points d'accord dans une controverse serrée
Trois
hypothèses plausibles en concurrence
De nos jours, près d'un
siècle après le cataclysme sibérien, la controverse sur la nature exacte de
l'objet responsable reste vive (10), même si l'on semble s'acheminer vers
une solution imprévisible il y a vingt ans, plus complexe que tous les spécialistes
qui ont étudié la question pouvait l'envisager.
En effet, la solution qui semble s'imposer est celle-ci : la désintégration
dans l'atmosphère d'un fragment astéroïdal de l'ancien
centaure Hephaistos (mi-comète, mi-astéroïde,
c'est-à-dire un objet mixte), et dont l'existence explique enfin la majorité
des événements concernant l'impactisme terrestre
récent. L'astronome slovaque Lubor Kresak (1927-1994) (11) avait déjà trouvé une partie
de la vérité dans les années 1970 en montrant que l'objet de
Pendant trois quarts de siècle, trois hypothèses furent très logiquement en
concurrence : celle du vrai astéroïde, celle du noyau cométaire
et celle de la comète active. Ces trois hypothèses ont eu (et ont encore)
leurs partisans et restent d'ailleurs les seules réellement envisageables.
Bien entendu, chacune a été étayée de nombreux arguments, disséquée, analysée,
confirmée (!) par des simulations multiples et parfois convaincantes (mais
une simulation convaincante n'est pas forcément le reflet de la réalité).
Jusqu'à présent aucune d'entre elles ne s'était vraiment imposée, faute de
connaître et de prendre en compte Hephaistos,
car toutes les trois présentent des insuffisances et des faiblesses plus ou
moins sérieuses. Seul le mixage des trois est concluant.
Les
points d'accord
Avant d'étudier séparément
ces trois hypothèses, examinons les points d'accord. D'abord, il faut insister
sur le fait que, pratiquement, tout le monde est d'accord pour admettre que
le cataclysme est dû à la collision d'un objet appartenant au Système solaire,
et que les hypothèses de l'antimatière et du mini trou noir (voir plus loin)
ne sont que des hypothèses d'école.
Un point important est celui de la masse de l'objet et de la puissance
de l'explosion. Toutes les valeurs entre 1014 joules et 8 x
1017 joules ont été avancées pour cette dernière, depuis la première
estimation d'Astapovich en 1933, mais on penche aujourd'hui pour une valeur
intermédiaire proche de 5 x 1016 joules. Ce résultat important
a été obtenu (12) après une nouvelle analyse des anciens sismogrammes enregistrés
le 30 juin 1908, et d'autres données, relatifs à l'événement et de leur comparaison
avec les effets sismiques et acoustiques concernant les explosions nucléaires
aériennes des années 1945-1965, dont les paramètres sont connus avec précision.
L'énergie libérée par la catastrophe de
Pour la masse, les valeurs ont été fixées dans une très large fourchette,
entre 10 000 et 1 million de tonnes. Mais là encore, les recherches dans les
années 1960-1970 ont sensiblement clarifié la situation. Une valeur approximative
de 500 000 tonnes pour la masse préatmosphérique
semble fort raisonnable, et elle est maintenant généralement acceptée par
les spécialistes actuels. Par contre, évidemment, le désaccord a longtemps
été total pour le diamètre de l'objet de
Une autre certitude, et donc un point d'accord total entre les spécialistes,
est que l'objet n'a pas touché le sol et a explosé dans l'atmosphère entre
5 et
Le problème de l'orbite préatmosphérique
de l'objet de
Les premiers calculs sérieux, dans les années 1930 ont tous montré,
étonnamment, que l'orbite du bolide était probablement rétrograde et
que l'objet devait être une comète à longue période. Astapovich
envisageait une vitesse géocentrique comprise entre 50 et 60 km/s, et localisait
le radiant du bolide vers l'apex de
Au sujet de l'orbite intra-atmosphérique, il faut démentir les bruits
qui ont longtemps couru sur le fait que l'objet de
Végétation
post-catastrophe et mutations possibles
Enfin, il faut rappeler
deux constatations datant des années 1970 fort intéressantes, mais qui semblent
aujourd'hui contestées par les chercheurs occidentaux qui n'ont pas eu accès
au site avant les années 1980. Des chercheurs soviétiques ont découvert avec
surprise que certains végétaux qui poussent aujourd'hui dans le périmètre
de la région sinistrée en 1908 ont une vitesse de croissance très sensiblement
supérieure à la normale. Elle serait de l'ordre de 5 à 10 fois plus rapide
que dans les régions voisines non sinistrées, et que dans des cultures de
contrôle surveillées par les chercheurs. Ceux-ci ont fait des vérifications
sur près de 200 espèces différentes de plantes diverses pour comparer les
dosages d'oligo-éléments. Cette nouvelle végétation "post-catastrophe"
s'est avérée anormalement riche en arsenic, iode, brome, zinc et tellurium.
Les savants soviétiques ont expliqué ce résultat surprenant, lié sans doute
possible à la diffusion du matériel pulvérisé lors de l'explosion, par l'enrichissement
du sol dû aux éléments chimiques cités plus haut et qui étaient obligatoirement
présents dans l'objet cosmique avant sa désintégration.
Deuxième constatation à retenir, il semble que les savants soviétiques aient
eu la preuve que des mutations soient également apparues sur plusieurs
espèces d'insectes qui ont repeuplé la région sinistrée. Ces mutations (si
elles sont réelles car là aussi il y a doute) ne peuvent être liées qu'à l'augmentation
de la radioactivité locale. Au fond, ce ne serait pas vraiment une surprise,
car on sait depuis longtemps qu'une radioactivité accrue débouche presque
obligatoirement sur des mutations génétiques parmi la faune et la flore. On
ne peut que regretter vivement le temps perdu entre 1908 et 1927, car une
étude poussée immédiatement dans les années post-catastrophe aurait permis
de lever cette ambiguïté et ce doute qui sévissent aujourd'hui.
Après ces points d'accord, nous allons voir les trois hypothèses concernant
la nature de l'objet de
L'hypothèse
de la comète active
L'hypothèse cométaire
pour l'objet de
L'étude d'une collision entre
La tête de la comète s'échauffe d'une façon fantastique en très peu de temps
(quelques secondes) en traversant l'atmosphère terrestre à une vitesse de
20 km/s (une telle vitesse équivaut à 66 fois la vitesse du son dans
l'air, soit une vitesse de Mach 66 (17)) et la température peut atteindre
plusieurs millions de degrés. C'est insuffisant cependant pour que s'amorcent
des réactions nucléaires, mais l'explosion est loin d'être sans effets (18).
D'une part, la tête de la comète se volatilise en moins de dix secondes en
milliards d'éclats infinitésimaux et, d'autre part, il y a production de rayonnements
X et gamma et de particules accélérées, électrons et neutrons. Tout cela s'est
trouvé confirmé en Sibérie.
Des
micro-sphérules par millions dans la zone d’impact
Lors de campagnes sur
le terrain en 1958 et 1961, menées avec du matériel sophistiqué (notamment
des appareils enregistreurs très sensibles), sous la direction du météoricien
soviétique Eugene Krinov (1906-1984), on a
découvert de très nombreuses micro-sphérules de silicates (d'un diamètre de
80 à 100 micromètres) ayant la structure et la composition des chondrites
carbonées, que l'on soupçonne être des vestiges de noyaux cométaires.
On a également trouvé des particules de magnétite (oxyde de fer magnétique)
et des billes microscopiques d'aspect vitreux contenant des vacuoles remplies
de gaz carbonique ou de sulfure d'hydrogène. Il y en a, à coup sûr, plusieurs
milliers de tonnes éparpillées dans toute la zone sinistrée en 1908. Tout
cela postule, bien sûr, pour l'origine cométaire.
Quant à la production de rayonnements nucléaires et à l'augmentation présumée
de la radioactivité à la surface terrestre en 1908 et 1909, elles ont connu
une éclatante confirmation, grâce notamment à la méthode dendrochronologique.
On a, en effet, constaté pour cette époque une augmentation voisine de 1 %
par rapport à la normale de la quantité de carbone 14 contenue dans les arbres
coupés et étudiés sur tous les continents (19). On est obligé d'attribuer
cette augmentation de la radioactivité terrestre en 1908-1909 à l'objet de
Enfin, n'oublions pas l'un des principaux arguments utilisés par les partisans
de l'hypothèse cométaire : les fameux phénomènes lumineux, notamment l'extraordinaire
luminosité du ciel nocturne durant plusieurs nuits. Ce phénomène serait dû
au passage de
Dans l'hypothèse cométaire, il faut admettre un diamètre important pour l'objet
de 1908. Pour une masse de 500 000 tonnes, qui est la plus raisonnable, combinée
avec une densité de 1,0 g/cm3 qui est celle de la glace, principal
constituant des noyaux cométaires actifs, on obtient un diamètre approximatif
de
La
possible association P/Encke - Ogdy
Plusieurs
astronomes ont essayé d'associer l'objet de
A l'exposé des "forces"
de l'hypothèse cométaire, on pourrait croire que tout est dit et que le doute
n'est plus permis. Nous allons voir maintenant que tout n'est pas si définitif
qu'il peut paraître aux non-spécialistes.
L'hypothèse
du noyau cométaire
Une
durée de vie active insignifiante pour Ogdy
On peut même dire que
l'hypothèse de la comète active présente une faiblesse terrible qui
pratiquement la condamne à n'être qu'une hypothèse d'école (mais rien n'est
moins sûr, on a vu en 1994 avec l'impact, tout à fait inattendu, de la comète
Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter que toutes les surprises
restent possibles). Car on sait que l'espérance de vie active des comètes
à courte période est extrêmement courte à l'échelle astronomique (23), variable
selon le diamètre sublimable de la comète, sa période de révolution
et sa distance périhélique (c'est la formule de
Öpik (24)). Les calculs montrent, sans ambiguïté,
que les comètes actives à courte période ayant un diamètre sublimable de l'ordre
de
On sait que les fortes approches à
Il n'en reste pas moins vrai que l'hypothèse du noyau cométaire est
là pour prendre la relève. Elle a longtemps été retenue par la majorité des
astronomes, car elle semblait nettement la plus probable, malgré quelques
insuffisances gênantes.
On sait que certaines comètes possèdent un noyau solide qui survit sous forme
d'astéroïde (d'origine) cométaire, une fois que tous les éléments volatils
qui distinguent une comète se sont sublimés dans l'espace (26). La vie passive
(ou inactive) des comètes à courte période est environ 1000 fois plus
longue que leur vie active et dure quelques millions ou dizaines de millions
d'années. Ce laps de temps leur laisse tout loisir de venir frôler une ou
plusieurs des quatre planètes intérieures, avant d'entrer en collision avec
l'une d'elles, ou d'être éjectées du Système solaire à la suite de perturbations
catastrophiques.
Une
densité au moins égale à 2,0 g/cm3
De nombreux spécialistes
croient que le noyau cométaire de
La majorité des effets constatés pendant et après l'explosion dans l'hypothèse
cométaire restent valables dans celle du noyau. Mais celui des phénomènes
lumineux devient moins évident, encore que les nuits claires sont explicables
par la diffusion dans l'atmosphère des milliards de particules microscopiques
produites lors de l'explosion. Rappelons-nous les éruptions volcaniques de
grande envergure et le "pseudo-miracle de Josué" qui ont été associés
à une luminosité inaccoutumée de l'atmosphère.
Cette hypothèse de l'impact d'un noyau cométaire, qui semblait s'imposer définitivement
dans le courant des années 1970, et qui reste d'ailleurs tout à fait envisageable,
a cependant été progressivement contestée pour des raisons que je vais expliquer
maintenant.
L'hypothèse
de l'astéroïde
Etonnamment, cette hypothèse
qui avait prévalu en 1908, sous l'appellation de météorite géante de
Depuis le début des années 1960, une douzaine de stations scientifiques permanentes
ou semi-permanentes, réparties dans quelques pays, et depuis les années
L'étude soigneuse de milliers de clichés a permis de distinguer trois types
différents de corps heurtant
Une
désintégration tardive
Le problème de l'altitude
des apparitions et des disparitions des différentes boules de feu enregistrées
sur les clichés a été particulièrement étudié. Une surprise apparaît au moment
des conclusions. C'est que même les grosses roches du groupe planétaire sont
pulvérisées durant leur traversée de l'atmosphère et que seuls quelques débris,
atteignant parfois une tonne, touchent le sol. C'est encore nettement plus
évident pour le matériel des deux groupes cométaires qui, dans la plupart
des cas, ne parvient pas jusqu'à la surface terrestre.
En octobre 1969, une boule de feu a survolé la ville d'Ojarks
aux Etats-Unis. Elle s'est désintégrée à
Pour l'objet de
Le
verdict de la résine : un astéroïde à enstatite
C'est ce problème de l'explosion
bien tardive, d'autant plus que l'objet de
Un progrès très significatif a pu être obtenu au début des années 1990. Une
équipe italienne, menée par Giuseppe Longo et Menotti Galli
(29/30), a eu l’excellente idée d’étudier des gouttes de résine datant
de 1908 et préservées dans le tronc même de certains conifères meurtris de
la zone d’impact. Cette résine s’est révélée extraordinairement riche, puisqu’elle
contient en grande quantité des micro-particules, en particulier du fer, du
calcium, de l’aluminium, de la silice, de l’or, du cuivre, du titatium, mais aussi plusieurs autres éléments. Les spécialistes
italiens ont conclu à l’explosion d’un astéroïde à enstatite de type E, c’est-à-dire un corps équivalent à nos
chondrites à enstatite dont on connaît deux variétés
(EL et EH).
Comment interpréter ce résultat étonnant et très important ?
Ogdy : un fragment planétaire d’un objet mixte
Ogdy,
dont le diamètre était de 60 ou
On sait aujourd'hui que les innombrables fragments générés par Hephaistos et ses divers groupes, nés d'un émiettement
inéluctable et quasi permanent depuis quelques milliers d’années, sont de
nature soit cométaire, soit planétaire. Certains morceaux existant encore
doivent être mixtes, avec des traces de glace originelle remontant à la formation
même du corps parent.
Le fameux Complexe des Taurides, identifié par Fred Whipple (1906-2004)
dans les années 1950, mais sans qu’il fasse le rapprochement avec Ogdy, contient d’innombrables morceaux de taille décamétrique,
de nombreux autres de taille hectométrique et quelques-uns de taille kilométrique
et tous ne sont pas homogènes, loin de là. L’hétérogénéité pourrait être la
règle, si l’on en croit la grande variété des micro-particules repérées dans
la fameuse résine des chercheurs italiens et celles ramassées sur le site
lui-même, et qui ont étonné par leur richesse qui a fait croire à certains
que leur origine était artificielle.
De nombreux astronomes catastrophistes croient à l'hypothèse de Kresak, d'une parenté entre P/Encke
et Ogdy, mais pour celui-ci une composition ou planétaire
ou mixte. Cette hypothèse devrait se préciser ces prochaines années. Mais
d'ici là un léger doute subsiste.
Une
source inépuisable d'hypothèses et d'élucubrations
Ce doute, à coup sûr,
arrangera les auteurs qui aiment et qui vivent du mystère. Mais celui-ci s'est
éclairci sérieusement, et les nouveaux auteurs auront du mal à être crédibles
s'ils s'éloignent des trois hypothèses classiques.
L’absence de cratère météoritique et de débris apparents constatés lors de
la première expédition scientifique de 1927 avait débridé les imaginations.
A ce jour, on ne compte pas loin d'une centaine d'hypothèses publiées, certaines
n'étant rien d'autre que des élucubrations dénuées de tout fondement scientifique
(31). Il est utile pour terminer de rappeler les trois hypothèses annexes
les plus connues et qui ont toutes obtenu lors de leur parution un petit succès
d'estime. Il faut cependant ajouter que la grande majorité des scientifiques
sérieux ne les considère plus que comme des curiosités.
La plus ancienne est l'hypothèse de l'astronef extraterrestre,
émise en 1946 par l'ingénieur soviétique Alexandre Kazantzev
(1906-2002) (32), et reprise depuis par de nombreux auteurs, scientifiques
ou non. Pour certains, l'astronef entier aurait explosé dans le ciel sibérien,
mais pour d'autres, il pourrait seulement s'agir d'un dispositif nucléaire
de l'engin largué sur Terre pour une raison inconnue. Kazantzev
avait été frappé par la similarité des dégâts constatés en Sibérie et à la
suite des explosions de Hiroshima et de Nagasaki en 1945. Il est facile de
comprendre pourquoi Kazantzev a fait de nombreux
émules depuis, le côté fascinant de son hypothèse est plus passionnant que
la stricte hypothèse astronomique.
Il est inutile de cacher que depuis 1946, cette possibilité de l'explosion
d'un vaisseau extraterrestre a toujours excité la curiosité des amateurs d'insolite.
Cette hypothèse s'est donc souvent trouvée répercutée par des organes de presse
un peu trop complaisants, pratiquement chaque fois qu'un nouveau chercheur
connu l'a reprise à son compte, bien souvent pour se faire un peu de publicité
facile. Ainsi dans son numéro du 30 octobre 1978, le Parisien
Libéré s'est fait l'écho de l'hypothèse de l'astronome russe Felix
Zigel (1920-1988) sous le titre suivant : "
Selon un savant soviétique, un OVNI s'est écrasé sur la taïga en 1908
(33) ". Dans cet article, repris d'autres articles parus en
URSS, Zigel conclut que l'engin était une sonde interplanétaire
d'origine artificielle et que la puissance de l'explosion était de 40 mégatonnes,
équivalente à 2200 bombes atomiques de type Hiroshima (ici les chiffres les
plus probables sont multipliés par 4). Il reprend à son compte les sornettes
selon lesquelles le corps céleste aurait changé deux fois de trajectoire en
pénétrant dans les couches denses de l'atmosphère : venant du sud, il aurait
d'abord obliqué vers l'est, pour finir ensuite vers l'ouest. D'après Zigel, seul, évidemment, un engin artificiel aurait pu effectuer
de telles manœuvres. Il parle aussi de la radioactivité accrue, des preuves
de mutations chez certaines espèces d'insectes et de plantes et de leur teneur
anormalement élevée en zinc, brome, sodium et fer. Il conclut que tous ces
éléments ne sont pas typiques des noyaux cométaires, mais sont très valables
pour des constructions artificielles. Si Zigel a
eu un certain succès avec les organes de presse, il n'en a eu aucun avec les
scientifiques soviétiques.
De
l’antimatière au trou noir
Cette hypothèse du vaisseau
spatial montre bien que la passion reste vive quand on aborde le sujet de
En 1965, trois scientifiques américains : Clyde Cowan
(1919-1974), Chandra Atluri
et Willard Libby (1908-1980) (34) proposèrent
leur hypothèse de la rencontre de
Enfin, il faut citer l'hypothèse du micro-trou noir, avancée en 1973
par deux physiciens américains : Albert Jackson et Michael Ryan (35).
Le micro-trou noir aurait eu la masse d'un gros astéroïde (1014
à 1016 tonnes) et un rayon géométrique négligeable (moins d'un
millionième de millimètre). Il aurait traversé
Inutile de dire que les trois hypothèses ci-dessus, ainsi que toutes les autres
(il faudrait un livre entier pour les étudier toutes), souffrent de la comparaison
avec celles étudiées précédemment, notamment celle de l'astéroïde qui est
presque satisfaisante. Toutes ces hypothèses marginales présentent des insuffisances
notoires et leur probabilité est pratiquement nulle.
L'imagination n'étant pas rare chez les scientifiques, de nouvelles
idées apparaîtront encore dans l'avenir pour tenter
d'expliquer cette catastrophe cosmique, la plus importante du XXe siècle.
Mais ce n'est pas s'avancer beaucoup de dire qu'elles resteront des hypothèses
marginales.
La
région de
Le retard pris pour aller
étudier la région de l'impact (il a fallu attendre 19 ans pour que Kulik
puisse atteindre la région dévastée) a été une faute impardonnable sur le
plan scientifique, une faute totalement inimaginable de nos jours, et, il
faut bien le dire, incompréhensible. Aujourd'hui c'est une lutte sans merci,
quasiment une course de vitesse, entre les scientifiques qui veulent percer
les secrets encore décelables et la nature qui, comme toujours sur
Les autorités russes, bien conscientes de l'intérêt tout à fait considérable
de la région sur le plan scientifique, ont ouvert le droit aux savants étrangers
de venir, eux aussi, sur le site, privilège réservé aux chercheurs soviétiques
jusqu'au début des années 1980 (36). On sait que cette non-étude par les savants
des autres pays a débouché sur des querelles concernant certains résultats
qui ont été ouvertement critiqués, notamment ceux concernant les mutations,
données comme certaines par les uns et niées par les autres.
On peut être certain que l'internationalisation de la recherche sur le site
de
Quelle satisfaction si de nouvelles recherches intensives sur le terrain permettaient
de retrouver ne serait-ce que quelques-uns de ces fragments ayant survécu
à la désintégration. Malgré les difficultés, les chercheurs restent optimistes.
Avoir dans les mains un échantillon de Hephaistos
qui a fait tant de misères à nos ancêtres est probablement une réalité de
demain. Un siècle après le cataclysme, l'intérêt pour le mystère de
Notes
1.
Cette date du 30 juin 1908 est celle du calendrier international (grégorien),
quasiment utilisé dans le monde entier à l'époque, sauf en Russie et
dans d'autres pays soumis à la religion orthodoxe (Grèce, Bulgarie, Yougoslavie).
En Russie, on utilisait encore à l'époque tsariste le calendrier julien
(établi sous Jules César) qui comportait un décalage de 13 jours en moins.
Pour les Russes de l'époque présoviétique, la catastrophe
sibérienne est donc datée du 17 juin 1908 (date notée dans les pays étrangers
17/30 juin, 17 vieux style, 30 nouveau style ou grégorien). Ce n'est que le
1/14 février 1918 que l'URSS adopta le calendrier grégorien.
2. Toungouska est le terme géographique français. Mais toute la littérature
anglo-saxonne utilise le terme international de Tunguska.
3. Z. Sekanina, The Tunguska
event : no cometary signature in evidence, Astronomical Journal, 88, pp.
1382-1414, 1983.
4. R.A. Gallant, Journey
to Tunguska, Sky and Telescope, 87, pp. 38-43, june 1994.
5. C. Sagan, Cosmos (Mazarine, 1981). Titre original : Cosmos
(1980). Dans ce livre de vulgarisation, associé à une série d'émissions télévisées,
Carl Sagan a consacré le chapitre IV, intitulé Le paradis et l'enfer
(pp. 73-99) aux cataclysmes d'origine cosmique. Il parle du cataclysme de
6. E.L. Krinov, Giant
meteorites (Pergamon Press, 1966). Le premier livre de référence
sur les impacts de
7. Quelques personnes ont atteint la région de
8. E.L. Krinov, The Tunguska
and Sikhote-Alin meteorites dans B.M. Middlehurst and G.P. Kuiper
(eds), The Moon, Meteorites and Comets (University of Chicago Press,
1963). Dans le chapitre 8 de ce gros livre collectif (pp. 208-234),
Krinov raconte d'une manière détaillée les premières
expéditions sur le site.
9. Ne pas confondre Francis Whipple (1876-1943), astronome britannique
qui le premier, en 1930, proposa une origine cométaire pour l'événement de
10. C. Trayner, The Tunguska
event, Journal of the British Astronomical Association, 107, 3, pp. 117-130,
1997.
11. L. Kresák, The Tunguska
object : a fragment of Comet Encke ?, Bulletin of the Astronomical Institutes
of Czechoslovakia, 29, 3, pp. 129-134, 1978.
12. A. Ben-Menahem, Source parameters of the siberian explosion of june
30, 1908, from analysis and synthesis of seismic signals at four stations,
Phys. Earth Planet. Int., 11, pp. 1-35, 1975.
13. Ogdy était obligatoirement un EGA de
type Apollo qui s’éloignait du Soleil et qui, dans les jours précédant l’impact,
était noyé dans le rayonnement solaire. La géométrie de son approche à
14. V.G. Fesenkov, A study
of the Tunguska meteorite fall, Soviet Astronomy, 10, pp. 195-213, 1966.
Vassili Fesenkov (1889-1972) a été l'un des
pionniers de l'astrophysique en URSS et un expert en météorites et en cosmologie.
15. K. Hindley, Tunguska,
la boule de feu du siècle,
16. Tous les spécialistes, pourvus d’ordinateurs de plus en plus performants,
travaillent sur différents modèles de collision, en faisant varier évidemment
tous les paramètres. Cela donne des résultats satisfaisants pour l’esprit
mais qui restent théoriques. Les résultats obtenus n’ont souvent rien à voir
avec ce qui s’est passé ponctuellement pour une collision donnée.
17. Le nombre de Mach qui est utilisé pour les vitesses supersoniques
n'est pas une unité de vitesse. C'est le rapport, variable selon le milieu
et la température, entre la vitesse du mobile et celle du son. La vitesse
du son, dans l'air à 0°, est de 331 mètres/seconde. Dans une atmosphère
surchauffée, comme dans le cas d'un impact, cette vitesse diminue. Dans l'eau
à 8°, la vitesse du son est beaucoup plus élevée : 1435 mètres/seconde. On
voit qu'une vitesse moyenne d'impact, qui est de 20 km/s, n'a rien de comparable
avec la vitesse du son : elle est près de 60 fois supérieure.
18. B.Y. Levin and
V.A. Bronshten, The Tunguska event and the meteors with terminal flares,
Meteoritics, 21, pp. 199-215, 1986.
19. J.C. Brown and
D. W. Hughes, Tunguska's comet and non-thermal
20. M.-A. Combes et J. Meeus, Les fortes
approches des comètes à
21. L’hypothèse de Kresak a immédiatement
séduit les astronomes catastrophistes. Elle est à la base de tous les développements
actuels concernant l’impactisme et le catastrophisme
cométaire. La possibilité qu’une grosse comète soit venue il y a quelques
dizaines de milliers d'années à proximité de
22. P.A. LaViolette, The
cometary breakup hypothesis re-examined, Monthly notices of the Royal
astronomical society, 224, pp. 945-951, 1987.
23. M.-A. Combes, Note sur les EGA planétaires et cométaires,
L'Astronomie, 94, pp. 131-137, 1980.
24. E.J. Öpik, Interplanetary
encounters, 1976.
25. On a recensé seulement 4 fortes approches (inférieures à 0,100
UA) de comètes actives à
26. Z. Sekanina, A
core-model for cometary nuclei and asteroids of possible cometary origin,
pp. 423-
27. J.G. Hills and
M.P. Goda, The fragmentation of small asteroids in the atmosphere,
Astronomical Journal, 105, pp. 1114-1144, 1993.
28. G.V. Andreev,
Was 1908 Tunguska's event begot by Apollo-type object ?, in C. Lagerkvist
and H. Rickman (eds), Asteroids, Comets, Meteors III, 1987.
29. G. Longo et al.,
Search for mocroremnants of the Tunguska cosmic body, Planetary and
Space Science, 42, pp. 163-177, 1994.
30. Tunguska’s
smoking gun ?, Sky and Telescope, p. 14, december 1994.
31. On a recensé une cinquantaine d'hypothèses différentes pour expliquer
le cataclysme de
32. L'ingénieur russe Alexandre Kazantzev
a proposé le premier l'hypothèse de l'impact accidentel d'un vaisseau spatial
dès 1946, mais il n'y a pas le début de commencement d'une preuve. Cette hypothèse
n'est ni plus ni moins qu'un fantasme.
33. Le Parisien Libéré, Selon un savant soviétique, un OVNI s'est
écrasé sur la taïga en 1908, numéro du 30 octobre 1978.
34. C. Cowan, C. Atluri
and W. Libby, Possible anti-matter content of the Tunguska meteor of 1908,
Nature, 206, pp. 861-865, 1965.
35. A.A. Jackson and
M.P. Ryan, Was the Tunguska event due to a black hole ?, Nature, 245,
pp. 88-89, 1973.
36. Ce sont les savants russes eux-mêmes qui demandent que la région
de
37. Vladimir Svetsov, comme beaucoup de ses
confrères, a effectué plusieurs simulations concernant l'entrée dans l'atmosphère
du météore de
38. S. Verma, The Tunguska
fireball (Icon Books, 2005).
39. V. Rubtsov, The Tunguska mystery (Springer, 2009).
Dans ce livre très intéressant, Vladimir Rubtsov raconte en
détail toutes les recherches effectuées par les scientifiques
soviétiques pendant un siècle, notamment durant la période
où les chercheurs non soviétiques n'avaient pas accès
au site. Il confirme la réalité de certaines données
controversées, comme la croissance accélérée de
certaines plantes. Il nous apprend une chose très étonnante