INTRODUCTION

LE RENOUVEAU DES IDÉES CATASTROPHISTES

 

Réhabilitation d'un concept scientifique

On peut se demander pourquoi cette vérité incontournable qu'est le catastrophisme, qu'il soit d'origine cosmique ou d'origine purement terrestre, n'émerge seulement que maintenant dans cette fin du XXsiècle.

Il suffit de se rappeler deux précédents, tristement célèbres, pour mieux saisir les raisons de ce retard incompréhensible pour un esprit rationnel. Il y a seulement 200 ans, les savants, parmi lesquels l'illustre Lavoisier (1743-1794), refusaient systématiquement d'admettre l'origine cosmique des météorites, contre toute logique et malgré des preuves irréfutables accumulées depuis plus de 3000 ans. Il y a moins de 50 ans, l'origine cosmique du Meteor Crater de l'Arizona était elle aussi contestée par une majorité de spécialistes et les astroblèmes étaient systématiquement ignorés. On se demande toujours pourquoi ces verrous psychologiques ont mis tant de temps à sauter. C'est la même chose avec l'impactisme et le catastrophisme.

Cependant, deux générations de nouveaux chercheurs ont suffi pour balayer les doutes, chercher et trouver les preuves indispensables. La révolution technologique aidant (l'apport de l'informatique, des satellites et des instruments modernes surtout), c'est la science elle-même qui a fait progressivement sa révolution, avec le renouvellement des chercheurs. On sait que les anciens ne veulent pas ou ne peuvent pas remettre en question leurs certitudes. Du coup, le catastrophisme, qui avait une image de marque désastreuse depuis Georges Cuvier (1769-1832) et ses disciples, qui étaient catastrophistes mais surtout fixistes, c'est-à-dire créationnistes, a refait surface comme un concept scientifique régénéré et crédible (car reflet indiscutable de la réalité).

Soyons clair pour éviter toute ambiguïté malvenue : ce livre est tout le contraire d'une étude procréationniste. A nos yeux, comme à ceux d'une majorité de chercheurs actuels, le catastrophisme scientifique et son ersatz créationniste sont antinomiques, même si le terme générique de catastrophisme, qui n'est pas dû à Cuvier d'ailleurs, qui parlait seulement de révolutions du globe, mais au géologue et philosophe anglais William Whewell (1794-1866), peut paraître effectivement un peu ambigu, du fait de son histoire douteuse. Mais comme il reste utilisé (à juste titre selon nous), nous l'utilisons aussi, mais sous son aspect uniquement scientifique (sauf précision expresse). Nous participons donc, à notre niveau et avec d'autres, à sa réhabilitation que l'on veut croire définitive.

La science fait sa révolution permanente

Depuis cinquante ans, les connaissances scientifiques ont fait un bond extraordinaire et de nouveaux concepts ont fait leur apparition, imposés par les observations et les analyses des données toujours plus nombreuses et plus précises. Pour certaines sciences on peut vraiment parler de révolution. Des disciplines aussi diverses que l'astronomie, la géophysique, la géologie, la paléontologie et d'autres encore se sont trouvées régénérées.

L'exploration spatiale, qui était une chimère au début des années 1950, a connu une réussite impressionnante. L'informatique a aussi connu un développement incroyable, permettant d'effectuer des calculs de plus en plus complexes et des simulations souvent décisives pour tester les différents modèles en concurrence. Enfin, toutes les sciences ont vu leur instrumentation se perfectionner et les ingénieurs se sont surpassés pour inventer de nouveaux outils, toujours plus efficients, qui repoussent les limites de l'impossible.

Les astronomes ont été les témoins de cataclysmes cosmiques très divers, comme le volcanisme hallucinant qui transforme la surface de Io, le satellite de Jupiter, en quelques siècles seulement, la fameuse explosion de la supernova du 24 février 1987 dans le Grand Nuage de Magellan et enfin, et peut-être surtout, la fantastique collision de la vingtaine de fragments de la comète brisée Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter en juillet 1994, qui d'après les statisticiens n'avait pas une chance sur cent milliards de se produire. Et pourtant ! La nature n'a que faire des statistiques humaines... Ces trois cataclysmes ont bien montré que nous vivons dans un Univers violent en permanence, dans lequel le cataclysme est la règle et non l'exception. Le troisième a rappelé que l'impactisme planétaire est une réalité de toujours et non pas seulement du passé.

En toute logique, les théories catastrophistes, qu'elles soient cosmiques ou terrestres, ont bénéficié d'un regain de faveur, de crédibilité. On connaissait par l'observation les astéroïdes et les comètes qui frôlent la Terre, on a identifié les cratères qu'ils forment sur notre planète, les astroblèmes, grâce aux satellites et sur le terrain par la signature caractéristique du métamorphisme de choc. La Terre elle-même est une planète violente en permanence, et on a pu expliciter le volcanisme et les tremblements de terre avec précision, grâce notamment à la tectonique des plaques.

Enfin, la décennie 1980 a vu une compétition scientifique entre les différentes équipes de chercheurs de diverses spécialités pour résoudre le fameux problème de l'iridium surabondant dans la fine couche géologique séparant le Crétacé du Tertiaire (la couche K/T), mis en lumière par Luis Alvarez (1911-1988) et son fils Walter Alvarez. Réussite complète et pour tous : astronomes, géologues et aussi paléontologues sont d'accord aujourd'hui pour dire qu'un astéroïde (ou une comète) s'est écrasé(e) sur la Terre il y a 65 MA. Les dinosaures et l'astroblème mexicain de Chicxulub ont un point commun, insoupçonnable jadis : les uns ont été détruits alors que l'autre a été formé par le même objet. Les conséquences de cette collision cosmique sont énormes, presque démesurées, compte tenu du diamètre (10 km environ) de l'objet responsable.

On le sait, pour exister et être crédible, une théorie a besoin de l'appui d'observations incontestables. Cette fin du XXe siècle aura été particulièrement bénéfique pour les catastrophistes des différentes sciences. Tous ont marqué des points décisifs. C'est cette histoire que nous racontons dans ce livre. Comprendre ce qui s'est réellement passé à chacune des grandes étapes de la Terre et de la vie qu'elle abrite, c'est la quête sans cesse renouvelée des scientifiques. Le catastrophisme, même s'il n'est pas seul en cause, s'annonce comme un moteur essentiel de l'évolution de la matière et aussi de celle du monde vivant.

Des preuves d'abord astronomiques et géologiques

Deux approches totalement différentes ont permis de se rendre compte du bien-fondé de la théorie de l’impactisme terrestre. D'abord, une approche astronomique. Depuis la fin du XIXe siècle, on a découvert plusieurs centaines de petits astéroïdes qui peuvent s'approcher fortement de la Terre. Certains sont d'origine planétaire, d'autres sont des noyaux de comètes mortes ou en sommeil. On sait maintenant d'une manière formelle et définitive qu'il s'agit là du matériel, constamment renouvelé, qui frappe et meurtrit notre planète depuis 4,6 milliards d'années. Dans certaines circonstances, beaucoup plus rares, ce sont des comètes actives qui peuvent entrer en collision avec la Terre.

Il existe aussi un autre impactisme, totalement différent de l'impactisme macroscopique résultant des impacts d'astéroïdes et de comètes, que l'on nomme l'impactisme invisible ou particulaire qui concerne les divers rayonnements et les poussières cosmiques et qui a un rôle très important sur l'évolution des formes vivantes. Il est principalement le champ d'étude des physiciens et des astrophysiciens.

La seconde approche est terrestre. Dès 1893, on a suggéré une origine cosmique pour le Meteor Crater de l'Arizona. En 1908, avec le cataclysme de la Toungouska, en Sibérie, on a eu un bon exemple de ce qui se passe lorsqu'un petit astéroïde explose dans l'atmosphère, avec des dégâts au sol qui peuvent être impressionnants. Mais c'est surtout à partir de 1950, la découverte des premiers astroblèmes, sur le territoire canadien qui a démontré la réalité de l'impactisme terrestre. Les conséquences des impacts ont été longtemps incroyablement sous-estimées, quasiment jusqu'au début des années 1980, et elles réservent de belles surprises. L'histoire de l'impact qui a mis fin au règne des dinosaures a été largement popularisée, mais ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Les impacts importants du passé ont libéré des énergies considérables, largement supérieures à celles engendrées par les grands cataclysmes purement terrestres, comme les éruptions volcaniques et les séismes. Ce sont les événements les plus cataclysmiques qui peuvent concerner notre planète et la vie qu'elle abrite. Si l'homme ne se détruit pas lui-même d'ici quelques milliers d'années, il sera peut-être le témoin (et la victime), s'il ne détecte pas suffisamment tôt le projectile se précipitant vers la Terre, d'un impact important et de ses conséquences.

Rechercher les causes de l'impactisme historique et protohistorique

Dans le chapitre premier, nous montrerons par le rappel de quelques textes et légendes anciens que le concept de catastrophisme est loin d'être nouveau. Notre planète a déjà été meurtrie dans un passé historique et protohistorique par des objets cosmiques qui ont effrayé les Anciens et contribué à la mise en place de mythes universels, comme le chaos primitif, l'effondrement périodique de la voûte céleste et la rupture des piliers du monde.

Pendant longtemps il fut de bon ton de se gausser de ces fables inventées par des ancêtres considérés comme quasi débiles, avec leur Terre plate et leurs dieux malveillants, mais les choses ont changé. Ce sera l'apanage des chercheurs de la prochaine génération d'apporter une explication scientifique incontestable sur le pourquoi de certaines de ces légendes.

On a longtemps cru qu'il ne serait pas possible d'apporter des preuves à ce qui s'est réellement passé au cours de la protohistoire et de l'histoire ancienne. Eh bien si ! Depuis le début des années 1980, on commence à y voir plus clair. Ces preuves seront astronomiques mais multiformes, comme nous l'expliquerons dans des chapitres différents. Au chapitre 6, nous montrerons que beaucoup d'astéroïdes ont des orbites semblables, qui dénotent probablement une origine commune pour de nombreux objets. Au chapitre 7, nous parlerons de la comète P/Encke, une comète périodique à courte période en fin de vie active et de son association avec un important courant de météores, celui des bêta-Taurides. Nous parlerons également d'objets connus depuis peu : les astéroïdes extérieurs d'origine cométaire, connus sous le nom générique de centaures, et aussi du disque de Kuiper dont ils sont issus.

Quel rapport entre tous ces objets et les catastrophes cosmiques qui ont eu lieu dans l'Antiquité et la protohistoire ? C'est là que l'histoire devient extraordinaire, et même quasiment incroyable. Sans entrer dès maintenant dans le détail, disons simplement que des objets du disque de Kuiper, qui peuvent être soit des comètes, soit des astéroïdes, soit des objets mixtes, et dont le diamètre peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres, sont chassés de ce disque à la suite de perturbations et sont injectés dans la partie du Système solaire intérieure à Neptune, la huitième planète principale. Ils deviennent alors des centaures, comme Chiron ou Pholus, objets à orbite chaotique dont l'espérance de vie sur ce genre d'orbites instables est très faible à l'échelle astronomique.

Suite à de nouvelles perturbations, ils peuvent être injectés dans un deuxième temps sur des orbites à courte période et très forte excentricité. Ces gros objets peuvent être alors brisés en une multitude de fragments, consécutivement à une forte approche à Jupiter, Saturne, Uranus ou Neptune, ou à une très approche à Mars, la Terre, Vénus et même Mercure. C'est probablement ce qui s'est passé, à une époque qui reste à définir avec une des planètes qui reste elle aussi à définir, pour un gros astéroïde-comète que nous appellerons HEPHAISTOS (en lettres capitales), et qui a généré après fragmentation P/Encke et de très nombreux astéroïdes associés, parmi lesquels certains sont déjà connus comme Hephaistos (le plus gros objet Apollo recensé avec un diamètre proche de 10 km, et qui donne logiquement son nom au géniteur HEPHAISTOS) et Oljato dont nous aurons souvent à reparler, ainsi que l'essaim de poussières des bêta-Taurides. Pour rajouter à l'extraordinaire, signalons que de nombreux astronomes pensent que l'objet de la Toungouska, maintenant connu sous le nom d’Ogdy, était lui aussi un de ces fragments associés à P/Encke, et donc également à leur géniteur commun.

C'est le calcul astronomique, via l'ordinateur, outil et associé indispensable de l'astronome, qui a montré que P/Encke, Hephaistos, Oljato et beaucoup d'autres NEA connus et à découvrir ne formaient qu'un seul objet il y a seulement quelques dizaines de milliers d'années. Chacun de ces objets aujourd'hui autonomes subit ses propres perturbations et s'éloigne inexorablement des autres, mais l'origine commune ne semble pas faire de doute. On comprend déjà mieux la suite, même si les points d'ombre restent nombreux pour le moment. HEPHAISTOS, ou l'un de ses premiers fragments, car la désintégration a pu avoir lieu en plusieurs étapes successives, est venu dans la proche banlieue de la Terre, peut-être à plusieurs reprises, avant la désintégration finale. Il paraît évident que plusieurs de ces fragments ont heurté la Terre, car les deux orbites se coupaient ou étaient très voisines. Encore de nos jours, l'essaim des bêta-Taurides croise l’orbite de la Terre fin juin et nous distille régulièrement chaque année une infime partie de sa matière sous forme de météores, et parfois comme en 1908, il nous octroie un morceau plus volumineux pour montrer que l'histoire n'est pas vraiment finie et que nous devons rester vigilants.

Hypothèse farfelue que celle de HEPHAISTOS, qui se met lentement mais sûrement en place ? Sans doute pas. Quand de nouveaux astéroïdes de la même famille seront découverts, quand l'étude physique des différents fragments cométaires et planétaires pourra être entreprise, et certaines anomalies expliquées, une solution acceptable se dégagera d'elle-même, mettant fin à une très longue période de ténèbres (pas mythologiques ceux-là, mais bien historiques et scientifiques !).

Une chose est sûre en tout cas : l'histoire cosmique des hommes est beaucoup plus complexe qu'on le croyait, et toutes ces légendes et ces concepts qui ont toujours paru absurdes méritent d'être revisités à la lumière des connaissances actuelles, même s'il ne faut pas leur accorder une importance démesurée.

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