CHAPITRE 10

LES MÉTÉORITES ET LES MÉTÉORES


Un phénomène connu depuis l'Antiquité

Le phénomène de la chute de pierres (aérolithes) et de morceaux de fer (sidérites) sur la Terre était connu des hommes depuis la plus haute Antiquité (1), bien qu'il ait fallu attendre le début du XIXe siècle pour qu'il soit admis, à contre cœur les premiers temps, par la communauté scientifique. Jusqu'à cette période, celle-ci s'était montrée résolument rétrograde et aveugle devant l'évidence la plus flagrante. En effet, les historiens chinois, grecs et romains, et plus tard ceux du Moyen Age, ont transmis de très nombreuses relations de ces chutes d'objets célestes indiscutables.

Il faut savoir que le fer météoritique a été employé par les hommes dès les premiers âges de la civilisation (2). Ce n'est pas sans raison que l'ancien mot par lequel on désignait ce métal, sideros, signifie astre aussi bien que fer. L'ancien nom égyptien du fer, baanepe, veut dire "métal du ciel".

Chez les Sumériens, le fer s'appelait an-bar, ce qui signifie "feu du ciel" et chez les Hittites, ku-an, mot qui a la même signification. Le mot hébreu pour fer, parZil, et l'équivalent en assyrien, barZillu, sont dérivés de barZu-ili qui signifie "métal de Dieu" ou "métal du ciel" comme en Égypte. Encore aujourd'hui, le mot georgien de météorite est le mot tsis-natckhi qui veut dire "fragment du ciel".

Beaucoup plus récemment, le fer météoritique a encore été utilisé par les hommes, comme le montrent les deux exemples suivants (3). Le Rocher du Pôle ou Rocher du Nord, en mongol Khadasoutsilao, était une sidérite d'une quinzaine de mètres de haut, tombée non loin de la source du Fleuve Jaune en Chine. Elle se trouvait isolée au milieu d'une plaine et recouverte partiellement d'oxyde de fer. La tradition mongole racontait que ce rocher était une "étoile" tombée sur le Terre à la suite d'un "grand feu du ciel". Il semble, malheureusement, que cette météorite ait disparu depuis un siècle. Elle a dû être utilisée par les gens de la région pour un usage inconnu, mais probablement domestique.

La pièce principale de la chute de Campo del Cielo, en Argentine, chute qui remonte à environ 6000 ans, était une grosse sidérite connue son le nom de Meson de Fierro, la Table de fer. Elle a dû être également utilisée par la population locale, puisque à chaque expédition successive (1576, 1774, 1776, 1779 et 1783) son poids semble avoir été en régression. Estimé à 23 tonnes au XVIe siècle, il fut ramené ensuite à 18 puis à 14 tonnes. Cette météorite bien connue jadis n'existe plus aujourd'hui, tout au moins sous sa forme initiale.

Ce fut probablement le destin d'une grand part des sidérites de bonne taille que d'être utilisées comme matière première, utile et bon marché, pour la confection d'armes, d'outils et produits domestiques divers, par les populations ayant bénéficié (ou subi) de chutes de fer céleste sur leur territoire.

Météorites sacrées

A l'opposé de cet usage "utilitaire", certaines pierres météoritiques anciennes furent élevées à la dignité de divinités (4). Cela est dû au fait que le phénomène de la chute de pierres célestes était regardé, par des populations encore bien frustes, comme une manifestation directe des puissances surnaturelles.

Ainsi, d'authentiques pierres du ciel furent adorées sous les noms de Cybèle ou Mère des Dieux chez les Phrygiens, de Jupiter Ammon chez les Libyens, météorite qui fut transportée à Rome en 104 avant J.-C. où elle devint l'objet d'un culte particulier. La plus connue de ces pierres sacrées s'appelle Elagabale, du nom de l'empereur romain Elagabal (Marcus Aurelius Antoninus, 204-222, mort assassiné à 18 ans seulement par les prétoriens qui ne pouvaient plus le supporter !) qui la fit amener en grande pompe à Rome sur un char tiré par quatre chevaux et qui prétendit en faire la divinité suprême de tout l'Empire romain (5). Cette célèbre pierre noire, ramenée des confins du désert de Syrie, avait environ 90 cm de hauteur et 85 cm de diamètre à la base. Une pièce de monnaie de l'époque rappelle cette extravagante histoire.

Beaucoup plus récemment, certaines météorites étaient encore adorées par des peuplades primitives. Il suffit de se rappeler l'histoire d'une pierre du ciel qui tomba le 6 mars 1853, près de Duruma au Kenya, sur le territoire d'une tribu de noirs Wanikos. Pendant trois ans, cette pierre "divine" d'environ 600 grammes fut adorée par les membres de la tribu. Ils refusèrent des offres d'achat fort alléchantes de missionnaires européens, car ils étaient persuadés que leur divinité céleste allait les protéger contre leurs ennemis. Mais en 1856, une tribu voisine de l'ethnie rivale des Masaï extermina une bonne partie de la population soi-disant "protégée". Les survivants cessèrent immédiatement de croire en la puissance protectrice de leur divinité et ils vendirent dès qu'ils le purent la météorite, redevenue pour eux un simple caillou monnayable.

Enfin, et surtout, il faut parler de l'une de ces pierres sacrées qui a traversé les millénaires et qui est encore adorée de nos jours : la célèbre Pierre noire qui est scellée dans l'angle sud-est de la Kaaba, le fameux édifice cubique qui se trouve au centre de la principale mosquée de la Mecque. Cette pierre fut longtemps considérée comme "le centre du monde" avec au-dessus d'elle (à sa verticale) "la porte du ciel", lieu de communication entre la Terre et le Ciel, c'est-à-dire le point d'accès au Paradis céleste. Les Musulmans l'appelaient aussi "la main droite de Dieu sur la Terre", croyant être en présence de l'une des pierres précieuses du Paradis, d'où elle serait tombée en Arabie avec Adam (6). Cela dit, les Musulmans d’aujourd’hui refusent que la Pierre noire soit étudiée par des scientifiques, même par l’un des leurs, et un petit doute subsiste sur sa nature et sa composition exacte. Mais pour des minéralogistes du XIXe siècle qui, eux, l’ont eu en main, il n’y a pas de problème, et ils ont attesté à l’époque de la nature météoritique de la pierre sacrée.

1492 : la météorite d'Ensisheim, un "miracle" bien réel

En 1492, l'année même où Christophe Colomb découvrait l'Amérique, tomba en Alsace, à Ensisheim, après une série de détonations entendues de fort loin, la plus ancienne météorite conservée en Europe, d'un poids d'environ 127 kg. Plusieurs documents de l'époque relatent cette chute absolument incontestable. Voici le texte de l'un d'eux (7) :

" En l'an de grâce 1492, le mercredi d'avant la Saint-Martin, le septième jour de novembre, se produisit un étrange miracle. Ce jour-là donc, entre la onzième et la douzième heure de midi survint un grand coup de tonnerre et un vacarme qu'on entendit loin à la ronde, puis une pierre de deux cent soixante livres tomba des airs sur le ban d'Ensisheim. Et le bruit fut beaucoup plus fort ailleurs qu'ici. Un jeune garçon la vit s'abattre dans un champ de blé vers le bois situé vers le Rhin et l'Ill, près de Gissgang, et ceci sans faire de mal à l'enfant. Quand le Conseil l'apprit, il se rendit sur place et beaucoup de morceaux en furent détachés, ce que les baillis interdirent ensuite. On fit amener la pierre dans l'église où l'on devait la regarder comme quelque chose de merveilleux, et beaucoup de gens vinrent de partout la voir, et on raconta aussi beaucoup de choses curieuses au sujet de cette pierre. Les savants eux-mêmes disaient qu'ils ne savaient pas ce dont il s'agissait et qu'une telle pierre tombant du ciel serait quelque chose de surnaturel. Il s'agirait plus sûrement d'un signe divin dont on n'a jamais vu auparavant, lu ou écrit quelque chose de ressemblant. Quand la pierre fut trouvée, elle gisait à un mètre de profondeur dans le sol, comme si Dieu avait voulu qu'on la trouve. Et si le bruit s'est entendu jusqu'à Lucerne et Villingen, il fut si fort dans certains villages, que les gens crurent que des maisons s'étaient écroulées... "

Cela montre bien que la chute de pierres célestes était une chose avérée depuis toujours, même si on la prenait encore souvent pour un signe de Dieu, ou même pour un authentique "miracle", mot utilisé souvent à propos de la météorite d'Einsisheim. De nombreux dessins significatifs ont été publiés à ce sujet tout au long du Moyen Age.

A cette époque pourtant, quelques savants éclairés, qui surtout ne voulaient pas nier l'évidence, admettaient facilement l'origine atmosphérique de ces pierres tombées du ciel, acceptant en cela l'explication assez tarabiscotée donnée par Aristote (384-322), au IVe siècle avant J.-C., dans son Traité du Ciel et dans ses Météorologiques.

XVIIIe siècle : la destruction des collections

Au XVIIe siècle, René Descartes (1596-1650), dans son Discours sur les météores (1637), croyait encore en l'existence de ces "pierres de tonnerre" ou "pierres de foudre", comme on les appelait alors communément, et qui bien entendu continuaient de tomber plus ou moins régulièrement sur le sol terrestre. Des collections de pierres tombées du ciel existaient, on le sait, améliorées et complétées de génération en génération par des savants désireux de préserver l’avenir, même si parfois la nature exacte de ces pierres restait indéterminée pour beaucoup d’entre eux.

J'ai parlé au chapitre 3 de la suite de cette histoire et la difficile reconnaissance des météorites par la communauté scientifique de la fin du XVIIIe siècle. Aujourd'hui, tout cela c'est de l'histoire ancienne, et personne ne conteste l'origine cosmique de ces "pierres tombées du ciel". Une mauvaise période oubliée, mais sur laquelle il faut dire encore quelques mots pour ceux qui s’étonnent qu’on ne possède pas de météorites anciennes dans nos musées.

L’épisode que j'ai passé sous silence est l’incroyable destruction au XVIIIe siècle des collections de météorites amassées au fil des siècles, une véritable catastrophe qui résulte du zèle plus qu’intempestif des savants des Lumières. Avoir jeté comme "pierres sans aucune valeur" des trésors du genre Allende ou Murchison est un crime contre la science, et tout cela pour cause de "modernisme" autoproclamé. Les Lumières et les météorites, cela n’a pas été le grand amour, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais le mal est fait, irréversible, démentiel quand on y réfléchit. Quelle erreur que d’avoir dilapidé ces collections avec tant de légèreté, c’est quasiment l’équivalent de la destruction des livres de l’Antiquité, pour cause de culture perverse !

Les plus grosses météorites terrestres : des sidérites

On connaît actuellement, avec certitude, cinq météorites de plus de 25 tonnes. Toutes sont des sidérites, ce qui est logique, car ces dernières sont beaucoup plus résistantes que les aérolithes et aussi, il faut le dire, beaucoup plus faciles à repérer une fois au sol. Il a pu exister dans le passé des sidérites plus volumineuses que celles actuellement recensées, mais comme je l'ai signalé, elles n'existent plus (tout au moins dans leur forme initiale), car elles ont servi de matière première facilement utilisable aux populations locales.

La plus grosse météorite terrestre connue de nos jours d'une façon certaine est la sidérite de Hoba qui pèse environ 60 tonnes. Elle fut découverte en 1920, près d'une ferme située à 20 km de la ville de Grootfontein en Namibie (ex-Sud-Ouest africain). Mais il est bien évident que la chute est beaucoup plus ancienne et remonte probablement à plusieurs siècles. Aucune légende locale ne semble attachée à cet objet qui a dû pourtant, vu sa masse, provoquer un spectaculaire "feu du ciel" avant de toucher le sol.

La seconde météorite en importance est la sidérite de Cape York (Groenland), rebaptisée depuis Ahnighito, connue depuis 1818 et qui pèse 34 tonnes. Lors de son séjour au Groenland en 1818, le navigateur John Ross (1777-1856) reçut des Esquimaux de la baie du Prince Régent, où il avait accosté, des couteaux à lames de fer et à poignées en os. Ces lames s'avérèrent avoir été taillées dans un bloc de fer météoritique. En 1894, un autre navigateur, Robert Peary (1856-1920), se fit montrer par les autochtones les blocs météoritiques d'où avaient été extraites les fameuses lames en question. Il s'agissait alors de trois blocs, dont deux importants d'un poids de 34 et 3 tonnes, et d'un autre plus petit pesant environ 400 kg (un quatrième a été découvert depuis (8)). Peary fit transporter les deux petits fragments à New York en 1895, et le gros en 1897. Là encore, on ne sait rien de la date de cette chute multiple, les Esquimaux ne pouvant donner aucun renseignement à ce sujet.

La troisième météorite par ordre de poids décroissant, toujours une sidérite, est celle de Chingo. Elle a été découverte dans le désert de Gobi à une date inconnue, et pèse environ 30 tonnes. Elle a été transportée à Urumchi, ville du nord-ouest de la Chine. La chute pourrait dater du XIXe siècle, car des récits circulent à ce sujet parmi la population locale. La forme de cette météorite, grossièrement conique avec deux renflements caractéristiques, lui a valu le surnom de chameau d'argent.

On connaît encore deux météorites répertoriées de plus de 25 tonnes. Il s'agit de la sidérite de Bacubirito, au Mexique, connue depuis 1863 et qui pèse 27 tonnes et celle de Mbosi, en Tanzanie, connue depuis 1930 et qui pèse 25 tonnes. Pour ces deux chutes, on ignore également tout des dates réelles des impacts qui doivent remonter à quelques siècles.

Plusieurs autres sidérites de plus de 10 tonnes sont connues, mais aucune d'entre elles n'a été observée lors de sa chute.

1947 : la "pluie de fer" de Sikhote-Alin

La chute météoritique de Sikhote-Alin, en 1947 (9/10), fut très remarquable et mérite qu'on s'y arrête un instant. Elle se produisit, à 10h38 heure locale, dans une région boisée de la Sibérie orientale. Plusieurs milliers de témoins ont pu apprécier les différentes phases du phénomène.

La météorite, dont la masse préatmosphérique a été évaluée à un millier de tonnes et le diamètre à 6 ou 7 mètres seulement (l'équivalent des NEA minuscules de magnitude 28 ou 29 que l'on découvre aujourd'hui), se déplaçait du nord au sud. Pendant quatre à cinq secondes, elle fut plus éblouissante que le Soleil qui luisait déjà haut, dans un ciel hivernal pratiquement sans nuages. Les arbres et tous les objets opaques avaient une deuxième ombre qui se déplaçait très rapidement en même temps que la météorite. Celle-ci laissait derrière elle une épaisse traînée sombre qui resta visible plusieurs heures. De violents coups de tonnerre furent entendus à plus de 200 km du point d'impact.

Les calculs des astronomes montrèrent que la météorite de Sikhote-Alin, qui était une sidérite, a parcouru environ 140 km à l'intérieur de l'atmosphère terrestre, avec une vitesse de l'ordre de 15 km/s. Ce long séjour dans l'atmosphère entraîna une formidable augmentation de la température de l'objet céleste qui atteignit 5000 degrés. A environ une dizaine de km du sol, la météorite (qui était un objet unique à l'origine, tous les témoins sont formels) se fractura en plusieurs milliers de morceaux de toutes tailles. Cet émiettement entraîna une diminution très importante de la vitesse des divers fragments qui tombèrent sur le sol sous l'influence de leur propre poids. La "pluie de fer" fut un spectacle fantastique pour les rares témoins du dernier acte. Les débris parsemèrent une surface de 50 km2 environ. Plus de 20 tonnes de fer et de nickel furent récupérées, avec un fragment majeur de 1,7 tonne. De plus, 122 petits cratères de 0,5 à 26 mètres furent creusés dans une zone elliptique de 2 ´ 1 km. On trouva de nombreux arbres déchiquetés ou même fendus par des éclats dans le centre de la zone d'impact.

Il est intéressant de savoir que l'orbite préatmosphérique de cette sidérite exceptionnelle a pu être reconstituée avec une bonne approximation. L'objet était un minuscule astéroïde de type Apollo 3 (membre de l'anneau principal des astéroïdes), avec a = 2,16 UA, e = 0,54, q = 0,99 UA et i = 9°. A noter donc que le périhélie était juste à l'intérieur de l'orbite terrestre.

Cette chute de Sikhote-Alin a été particulièrement bien étudiée et a permis aux astronomes de progresser dans leur connaissance des météorites (qui ne sont rien d'autres que des astéroïdes minuscules avant de heurter la Terre). Elle a surtout permis de constater que même les corps denses comme les sidérites (densité entre 7,5 et 8,0) ne sont pas à l'abri de la fragmentation en traversant l'atmosphère. Celle-ci forme un écran protecteur relativement efficace pour les petits objets, notamment quand la trajectoire à l'intérieur de la zone dense de l'enveloppe atmosphérique dépasse les 100 km. Autre constatation très importante faite à la suite de cette chute : le total des fragments récupérés à la suite de plusieurs campagnes soignées sur le terrain ne représente que le 1/50 environ de la masse préatmosphérique. La très grande partie de l'objet initial s'est donc littéralement volatilisée et n'a même pas touché le sol.

1969 : Allende et Murchison, des trésors tombés du ciel

L’année 1969 restera comme une année exceptionnelle dans l’histoire des météorites, une année unique même. Deux des plus extraordinaires connues à ce jour l’ont été cette année-là : Allende et Murchison (11/12). Je vais rappeler brièvement ce qui fait l’intérêt de ces deux météorites.

Allende : la pierre de Rosette du ciel

J'ai déjà dit quelques mots de cette célébrissime météorite carbonée au chapitre 5, dans la section consacrée à la naissance du Système solaire, car elle contient des traces indéniables de l'explosion de la supernova qui précéda de peu la formation du Soleil et des planètes. Il s'agit donc d'un objet cosmique d'un intérêt exceptionnel dont il est utile de connaître la carrière terrestre.

La météorite d'Allende est tombée le 8 février 1969 près du village mexicain de Pueblito de Allende dans l'État de Chihuahua, dans le nord du pays. Elle se fragmenta dans l'atmosphère, mais à assez basse altitude, ce qui permit de ramasser plusieurs centaines de fragments éparpillés sur une surface de près de 150 km2. On récupéra une masse totale supérieure à deux tonnes, avec un fragment majeur de 110 kg, ce qui en fait le trésor le plus inestimable jamais récupéré par les météoriciens.

Tout de suite, la météorite d'Allende s'avéra unique et contraignit les cosmologistes à revoir leurs modèles. Elle était de type CV3, mais surtout certaines de ses inclusions renfermaient plusieurs éléments chimiques présentant des anomalies isotopiques inexplicables par les processus normaux agissant depuis l'origine du Système solaire. Ces éléments anormaux, enrichis, s'avérèrent avoir été créés par nucléosynthèse dans le cœur d'une étoile massive qui explosa par la suite et dont la matière fut injectée dans la nébuleuse présolaire, très peu de temps avant la formation du Système solaire. Ainsi la météorite d'Allende contient la plus vieille matière actuellement connue, une matière plus ancienne que la Terre elle-même, issue d'une génération antérieure d'étoile.

Quel cadeau du ciel pour toute la communauté scientifique que cette grosse météorite tombée un jour de février 1969 sur le territoire d'un petit village du Mexique ! Un vestige qui nous rappelle que la Terre (et les Terriens que nous sommes) sont des poussières d'étoiles, issus de cataclysmes cosmiques gigantesques ayant eu lieu il y a plusieurs milliards d'années. Des cataclysmes que les chercheurs actuels, munis d'instruments de mesure hyper sophistiqués, sont capables de dater avec précision grâce à l'étude d'échantillons minuscules. On se rend bien compte avec cet exemple du bond phénoménal fait par la science au XXe siècle.

Murchison : des acides aminés par dizaines

C’est le matin du 28 septembre 1969, sept mois et demi seulement après la chute d’Allende, qu’une autre météorite carbonée, de type CM2, tomba à Murchison en Australie. Plusieurs fragments furent ramassés en quelques jours, avec beaucoup de soins, ce qui permit d’empêcher toute contamination terrestre, fléau n° 1 pour ce genre de météorites qui peuvent être rapidement "polluées" par de la matière organique terrestre.

L’analyse isotopique permit, comme pour la météorite d’Allende, de mettre en évidence de nombreuses anomalies dans les inclusions réfractaires. Les spécialistes annoncèrent que la matière de cette météorite était originaire de deux types de supernovae de composition différente, donc une matière très ancienne, présolaire, qui s’était condensée lors de l’effondrement de la nébuleuse de laquelle sont issus le Soleil et son cortège planétaire.

En outre, une analyse chimique qui se poursuivit plus d’un quart de siècle permit la découverte de plus de 70 acides aminés différents, dont beaucoup n’existent pas sur la Terre. Même s’ils ne sont pas d’origine biologique, il est clair que ces acides aminés d’origine cosmique laissent entrevoir une vie extérieure à notre Système solaire, et donc la possibilité d’une vie terrestre venue d’ailleurs, comme nous le verrons au chapitre 14.

1972 : le météore du Montana, le record d'approche à la Terre

Le 10 août 1972, il s'est passé un événement exceptionnel (unique à ce jour) dans le ciel de l'Amérique du Nord : un astéroïde d'une quinzaine de mètres de diamètre (un NEA minuscule comme on en connaît plusieurs dizaines aujourd'hui) et d'une masse de 4000 à 5000 tonnes, connu sous l'appellation de météore du Montana, a traversé l'atmosphère terrestre sans se rompre et est reparti dans l'espace interplanétaire (13/14).

Un météore magnifique fut aperçu en début d'après-midi (à 14h30, heure locale), dans le ciel de l'Utah. Il fut suivi pendant 101 secondes exactement, par plusieurs dizaines de milliers de témoins, sur une distance de 1500 km sur une trajectoire sud-nord qui lui fit traverser l'Utah, le Montana et une partie de l'Alberta au Canada, avant de quitter notre atmosphère. Son éclat atteignit 100 fois l'éclat de la pleine Lune (soit une magnitude d'environ –18 ou –19). Sa vitesse était proche de 15 km/s par rapport à la Terre et il laissa derrière lui une épaisse traînée. Celle-ci fut visible plus d'une heure, après avoir plusieurs fois changé de forme.

L'intérêt, c'est que ce petit astéroïde s'approcha jusqu'à 58 km au-dessus du sol du Montana. Si son altitude avait été de 10 km inférieure, il aurait frappé la Terre, probablement sur le territoire de l'Alberta. L'énergie d'un tel impact aurait été de l'ordre de 5 ´ 1014 joules, ce qui est loin d'être négligeable à l'échelle locale. C'est l'équivalent d'un séisme de 6,7 ou de plusieurs bombes du type Hiroshima. Cependant, comme pour la chute de Sikhote-Alin, il est possible (sinon probable) qu'il y aurait eu fracturation de l'objet dans les couches basses de l'atmosphère, et donc des dégâts moindres, sinon inexistants.

Le nombre important d'observations, de films et de photographies pris dans d'excellentes conditions, a permis de calculer une orbite assez précise pour cet objet céleste. Il s'agissait d'un minuscule astéroïde de type Apollo 2 (circulant en moyenne entre l'orbite de Mars et le bord interne de l'anneau principal des astéroïdes), avec a = 1,66 UA, e = 0,39, q = 1,01 UA, Q = 2,3 UA et i = 15°. A la date de la rencontre, le 10 août 1972, la Terre se trouvait à une distance de 1,014 UA du Soleil et avait une vitesse héliocentrique de 29,4 km/s. L'astéroïde venait juste de franchir le plan orbital de la Terre, du nord au sud, et voyageait à 34,8 km/s. Il rattrapa la Terre par derrière, à la vitesse initiale de 10,1 km/s, vitesse qui augmenta ensuite jusqu'à 15 km/s, du fait de la force d'attraction de la Terre qui accéléra sensiblement son mouvement.

Cet événement original est un cas particulier, probablement assez rare, en matière de rencontre entre la Terre et un corps cosmique. Comme il ne s'en produira sans doute pas un autre du même type avant fort longtemps (peut-être plusieurs centaines d'années), il n'en est que plus utile et intéressant et il a passionné les spécialistes. Cela a prouvé, s'il en était encore besoin, que des objets cosmiques de ce diamètre (entre 5 et 20 mètres) sont légion et que de telles rencontres sont fréquentes, même à l'échelle humaine.

1976 : la chute de pierres de Jiling en Chine

Si les principales sidérites connues n'ont pu être observées lors de leur chute, hormis celle de Sikhote-Alin (mais dont le fragment principal n'est que de 1,7 tonne), il n'en est pas de même pour la plus grosse des aérolithes recensées, celle de Jiling, en Chine (15) (connue aussi sous l'appellation de Kirin), qui a eu lieu en 1976 et qui a eu pour témoins plusieurs dizaines de milliers de Chinois.

Le 8 mars 1976, vers 15 heures heure locale, un magnifique météore rouge allant du nord-est au sud-ouest fut observé par de très nombreux habitants du district de Jiling (ville de 600 000 personnes à l'époque) en Mandchourie, dans le nord-est de la Chine. Durant la traversée de l'atmosphère, il y eut plusieurs explosions et dans les derniers instants avant l'impact, trois météores distincts furent observés. Grâce à une très importante mobilisation populaire, organisée par le gouvernement chinois et orchestrée par plusieurs équipes de professeurs, de très nombreux fragments furent récupérés dans une zone elliptique orientée est-ouest, sur une distance de 1° en longitude, ce qui est assez énorme et ne s'était jamais vu auparavant. Le principal morceau avait un poids de 1,77 tonne, il fut retrouvé à quelques dizaines de mètres seulement d'un groupe de maisons, après avoir creusé un cratère de 2 mètres de diamètre et de 3 mètres de profondeur. Mais en fait, c'est plus de 4 tonnes de matériel qui furent récupérées. Tous les fragments avaient une croûte noirâtre fondue par l'échauffement causé par le frottement atmosphérique. Les analyses ont montré qu'il s'agissait d'une chondrite à olivine et bronzite (les plus riches en ferro-nickel), donc de type H.

Cette chute de Jiling est donc celle qui fut la mieux observée et dont on possède la meilleure documentation de toute l'histoire des chutes de météorites. Elle a permis de connaître la plus grosse aérolithe recensée à ce jour. L'ancien record appartenait à l'aérolithe de Norton, dans le Kansas (États-Unis) qui pèse 1,08 tonne, et dont la chute fut observée le 18 février 1948.

Les météorites de l'Antarctique

L'Antarctique est un vaste continent de glace de 14 millions de kilomètres carrés, longtemps inviolé et donc "neuf", et qui s'est révélé être tout à fait privilégié pour trouver des météorites. D'ailleurs la "récolte" a déjà dépassé les prévisions les plus optimistes. De plus, leur conservation s'est trouvée être maximale. Autant de raisons qui font de l'Antarctique un véritable Eldorado pour les météoriciens, d'autant plus qu'ils ne sont pas soumis dans cette partie du monde inaccessible, à la concurrence des "contrebandiers", terme employé un peu méchamment pour désigner les personnes qui ne font pas partie des sphères officielles. Les missions se succèdent pratiquement sans discontinuer durant la saison favorable, toujours avec le même succès, et on a déjà trouvé des spécimens de très grande valeur, parmi lesquels des météorites d'origine martienne et lunaire.

C'est un géologue japonais qui recueillit fortuitement les neuf premières météorites antarctiques en janvier 1969, alors qu'il participait à une campagne de sondages sismiques. En 1974, une première expédition japonaise ramassa plus de 600 météorites en un seul mois, réussite exceptionnelle qui démontra le remarquable potentiel du réservoir antarctique. A partir de 1976, grâce aux Américains, et notamment à William Cassidy (16) qui comprit très tôt tout l'intérêt de ces trouvailles, les recherches devinrent régulières et systématiques.

Chaque pièce nouvelle se voit attribuer un numéro d'immatriculation (par exemple ALHA 77 005 et EETA 79 001), composé de lettres identifiant le lieu de la trouvaille (par exemple Y pour Yamoto mountains et ALHA pour Allan hills) et de cinq chiffres, les deux premiers pour l'année et les trois autres pour le numéro d'ordre dans l'année. Plus de trente sites différents sont recensés et il y en aura beaucoup d'autres dans l'avenir.

Les météorites tombent normalement sur la glace, puis s'y enfoncent progressivement avant d'être entraînées avec elle par son écoulement superficiel. La structure du sous-sol et les barrières naturelles que forment les collines ou les montagnes, ainsi que le vent souvent violent qui balaie la surface du sol, permettent parfois aux météorites de "refaire surface" dans des zones privilégiées, zones qui peuvent être assez éloignées parfois du point de chute initial. Ce mécanisme naturel assez simple s'est avéré très efficace et permet en outre de prévoir où l'on a de bonnes chances de trouver des météorites sur la glace.

Le nombre déjà important d'échantillons recueillis (plusieurs milliers), a permis de faire des premières études statistiques très intéressantes. On sait que 93 % des météorites antarctiques sont des aérolithes, 6 % des sidérites et 1 % des sidérolithes. En fonction de la masse des objets récoltés, on obtient environ 85 % d'aérolithes, 11 % de métalliques et 4 % de sidérolithes. Par rapport aux météorites traditionnelles, on a pu en conclure que les sidérites se conservent mieux et surtout se repèrent plus facilement.

L'Antarctique est une vraie chance pour les météoriciens, ils disposent là d'un réservoir quasiment inviolé sur un territoire qui demandera des décennies à être seulement défriché. Parmi les dizaines de milliers de météorites qui les attendent, on peut espérer découvrir de nouveaux spécimens uniques et à coup sûr de nouvelles météorites d'origine martienne qui s'avèrent particulièrement intéressantes, comme nous le verrons au chapitre 14.

Composition et classification des météorites

Le tableau 10-1 donne une classification générale des météorites (17). On sait qu’elles se partagent en deux grandes catégories : les chondrites et les météorites différenciées. Les premières sont des pierres primitives, rescapées de l’origine du Système solaire, qui ont conservé leurs caractéristiques originelles. Les secondes, beaucoup plus récentes, ont été fondues dans leur corps d’origine, ce qui signifie qu’elles sont des menus fragments d’objets primaires qui ont dépassé 300 km, diamètre nécessaire pour générer une différenciation sous l’effet de la gravité. Elles ont donc subi une modification de structure et de composition chimique.

Classiquement, on divise aussi les météorites en trois grandes classes selon leur composition :

1. les sidérites qui contiennent principalement du fer et du nickel, à la densité élevée (7,0-7,8).

2. les aérolithes (les météorites pierreuses), à la densité beaucoup plus faible (2,5-3,5), composées principalement de silicates.

3. les sidérolites, contenant en quantités équivalentes des silicates et du fer-nickel, de densité intermédiaire (5,0-6,0).

Il faut noter l’adjonction d’un chiffre (de 1 à 7) après la lettre ou les lettres qui indiquent le type chimique. Ce chiffre correspond au type pétrologique. Ainsi Allende est classée CV3, Murchison CM2, Pultusk H5 et Holbrook L6.

Pour ce qui est des corps parents, parmi les achondrites, les eucrites sont des vestiges de l’astéroïde Vesta, comme je l'ai expliqué au chapitre 6, et les sidérites sont des noyaux de gros astéroïdes différenciés et brisés ultérieurement. On connaît de tels astéroïdes de fer (type M), comme 1986 DA qui pourrait heurter la Terre dans l’avenir. Les chondrites ordinaires (LL, L et H) sont très courantes, mais ont peu de corps parents recensés dans l’espace. Cela s’explique sans doute par l’existence d’une croûte de poussières silicatées à la surface des astéroïdes S. Mais sous cette croûte de surface protectrice, de nombreux NEA de type S doivent être des chondrites de type LL, L ou H qui subiront encore des fragmentations avant de venir heurter notre planète.

Les SNC (sigle pour le groupe des Shergottites, Nakhlites et Chassignites), elles, sont suspectées d’être d’origine martienne, et présentent donc un intérêt tout particulier. Ces météorites auraient été éjectées de la planète rouge à la suite d’impacts rasants. Elles sont beaucoup plus jeunes que les météorites carbonées.

La météorite de Farmington et l'hypothèse Hephaistos

Cette météorite de Farmington, qui pourrait n'être qu'une météorite parmi des milliers d'autres, est en fait d'un intérêt exceptionnel. Elle est tombée le 25 juin 1890, vers 13 heures, près de la ville de Farmington dans le Kansas, aux Etats-Unis, à la position 39°45'N et 97°2'O. Cette chute faisait suite à l'apparition d'un météore très brillant et à des détonations, comme c'est souvent le cas. On connaît deux fragments issus de cette chute, l'un de 85 kg et l'autre de 4 kg. Les premières études, tout de suite après la chute, montrèrent qu'il s'agissait à l'origine d'une pierre unique, brisée tardivement durant la traversée de l'atmosphère, et qui fut classée plus tard comme une chondrite noire à olivine et hypersthène, fortement bréchée. Il s'agit donc d'une chondrite ordinaire, de type L, à faible teneur en métal libre et de densité de l'ordre de 3,7.

Les diverses concentrations pour les éléments analysés dans la météorite de Farmington sont les suivantes (en parts par million) : K = 850, Ba = 9,1, Zn = 102, Sc = 6,0, Ti = 574, Ge = 9,5, V = 72,6, Se = 8,1, Te = 0,150, Cr = 2720, Mn =2760, F = 250, Cl = 170 et Co = 532. Je rappelle que les chondrites à olivine et hypersthène sont les plus courantes dans les collections de météorites, puisqu'elles dépassent, à elles seules, le tiers des spécimens connus (35 % environ).

Beaucoup plus tard, il s'est avéré que cette météorite de Farmington était en fait la plus jeune météorite connue, et de loin, dans la mesure où son âge d'objet indépendant est de 25 000 ans seulement. Cet âge d'exposition dans l'espace, extraordinairement court à l'échelle astronomique, indique la date de la dernière fragmentation dont cet objet a été victime. Les astronomes catastrophistes de l’école britannique, David Asher, Victor Clube, Bill Napier et Duncan Steel (18), à la recherche de tous les phénomènes célestes en rapport avec le célèbre Complexe des Taurides, ont pu montrer que cette météorite faisait partie de ce Complexe, lié à P/Encke et à certains autres astéroïdes de la famille Hephaistos. Le radiant et la date de la chute, le 25 juin, semblent indiquer une identité probable, sinon incontestable.

Ainsi, on posséderait déjà un fragment du fameux centaure disloqué et dont certains fragments sont entrés en collision avec la Terre durant la protohistoire et l'Antiquité. La composition de ce fragment, composé principalement d'olivine et d'hypersthène, dans une matrice chondritique, indique une composition planétaire et non cométaire. Avec les traces retrouvées dans la résine des arbres de la Toungouska, ce serait le deuxième indice sérieux d'une origine au moins partiellement planétaire pour les débris connus des résidus de Hephaistos. Rien d'étonnant à cela, dans la mesure où j'ai expliqué qu'il s'agissait d'un objet mixte, à la fois planétaire et cométaire. Et bien sûr, ce sont les fragments planétaires qui ont la meilleure chance de toucher le sol, et donc d'être récupérés sous forme de météorites, et non seulement sous forme de "mitraille cométaire", de taille tout au plus millimétrique, comme le sont, au contraire, les débris d'origine cométaire.

Les micrométéorites et la poussière cosmique

On sait depuis longtemps que la Terre recueille chaque jour des milliards de grains de matière extraterrestre, principalement sous forme de poussières. J'ai dit plus haut que des estimations modernes donnent le chiffre approximatif de 100 tonnes par 24 heures, soit 4 tonnes par heure et 1 gros kilogramme par seconde, ce qui paraît d’ailleurs assez peu. Une partie substantielle (90 %) de ces grains ont une taille comprise entre 0,05 et 0,5 millimètre. Il s’agit donc bien de poussière cosmique.

Les scientifiques ont évidemment cherché un moyen de récupérer cette matière extraterrestre pour l’étudier avec le matériel ultramoderne dont ils disposent. Il s’est avéré qu’il existait une excellente solution pour récupérer ces microparticules, même si elle n’est pas très commode à mettre en pratique : l’extraire des déserts de glace où elles sont piégées à l’abri de toute pollution. C’est ainsi que le météoricien français Michel Maurette a eu l’idée d’expéditions spécialisées au Groenland et en Antarctique (19). A partir de 1984, et avec des instruments de plus en plus sophistiqués, il a recueilli plusieurs milliers d’échantillons.

Comme prévu, il s’est avéré que cette matière était principalement de nature carbonée, puisque produit de décomposition des comètes, mais une partie semble concerner de la poussière interstellaire capturée par le Système solaire à l’occasion de la traversée de nuages galactiques. Cette matière micrométéoritique est d’une composition équivalente à la matière des chondrites carbonées, avec notamment une forte teneur en minéraux hydratés, en hydrocarbures, en acides aminés (c’est-à-dire une matière composant la matière biologique) et en hydrocarbures aromatiques polycycliques (les fameux HAP). On sait que l’ensemble de ces éléments organiques a été regroupé sous le nom générique de CHON (pour Carbone, Hydrogène, Oxygène et N pour azote).

L’intérêt principal des micrométéorites est qu’elles ne sont pas désintégrées en entrant dans l’atmosphère. Leur échauffement par friction est insuffisant pour les détruire, comme c’est la règle pour les particules de taille millimétrique et supérieure, et ainsi les acides aminés qu’elles renferment, et qui ne se décomposent qu’à partir de 300 degrés, température qui n’est jamais atteinte, gardent leurs propriétés. Simplement, cette poussière cosmique met plus de temps pour se déposer tranquillement sur le sol et dans les déserts de glace où elle se fait piéger pour des dizaines, ou même des centaines ou milliers d’années parfois.

Cette poussière cosmique, que l’on commence seulement à étudier en grand détail, pourrait avoir eu une importance capitale pour l’apport de la vie sur Terre (20). La panspermie microscopique paraît être une possibilité très acceptable et ses supporters sont de plus en plus nombreux, comme nous le verrons au chapitre 14. Car il faut bien comprendre que ce flux actuel de 100 tonnes par jour de poussières cosmiques est totalement résiduel par rapport à celui qui existait lors de la formation et de la consolidation des planètes. Maurette a calculé qu’alors 500 000 micrométéorites par mètre carré percutaient la surface terrestre en dix ans. Malgré un environnement que l’on sait hostile, les micrométéorites sont tombées partout en masse et donc aussi dans les bons endroits protégés, capables de générer la soupe primitive, et aptes à développer la vie, en agissant comme des "réacteurs chimiques chondritiques", comme l’a expliqué le chimiste français André Brack.

Il semble bien que des tonnes de poussière cosmique soient récupérables ces prochaines années en Antarctique et au Groenland. Les équipes spécialisées pourront donc avoir accès à des échantillons qui ne sont pas obligatoirement tous équivalents. Que découvrira-t-on dans ces échantillons de poussières cosmiques ? Probablement des traces de vie indéniables, mais aussi peut-être des traces de panspermie microbienne annoncées par Fred Hoyle et Chandra Wickramasinghe, et dont je parlerai au chapitre 16. Ainsi les micrométéorites, l’un des composants mineurs et longtemps sous-estimé de la matière cosmique, pourraient en définitive nous apporter des précisions décisives sur notre passé.

Les pluies de météorites

La fragmentation des météorites durant leur traversée de l'atmosphère n'est pas un événement rare. On peut même dire qu'elle est la règle quand l'objet est assez volumineux, et surtout quand sa configuration structurale (et donc son homogénéité) est de mauvaise qualité. On pense généralement que pour les aérolithes cette fragmentation (qui peut être une désintégration dans le cas de noyaux cométaires et de météorites carbonées) a lieu entre 30 et 10 km d'altitude, zone dans laquelle la pression atmosphérique augmente très rapidement. Pour les sidérites, dont la résistance est nettement supérieure, la fracturation peut être plus tardive, c'est-à-dire survenir à un moment où l'altitude au-dessus du sol est inférieure à 10 km. Bien entendu, la fragmentation peut avoir lieu seulement au moment de l'impact, notamment dans les cas où la trajectoire intra-atmosphérique est courte.

Quand la fragmentation a lieu dans l'atmosphère, on assiste à une pluie de météorites, spectacle inoubliable qui a marqué les témoins privilégiés de toutes les époques. Plusieurs pluies météoritiques ont été notées dans les chroniques de toutes les régions du monde. J'ai déjà parlé au chapitre 2 de la plus ancienne connue, celle qui date de l'époque de Josué (vers –1165) et qui a été notée dans la Bible.

Depuis le début du XIXe siècle, nous sommes assez bien renseignés sur ces pluies, du moins pour celles qui ont eu des témoins oculaires, car il ne faut jamais perdre de vue que 71 % de la surface terrestre concerne des zones océaniques, et que parmi les 29 % restants, les zones désertiques, glaciaires et forestières sont nombreuses. On peut donc considérer que plus de 4 pluies sur 5 restent ignorées (cela est vrai également pour les chutes simples).

Il est intéressant de donner quelques renseignements (21) sur les principales de ces pluies météoritiques récentes (période de 200 ans). J'ai déjà évoqué la chute de L'Aigle en 1803, étudiée par Biot, qui ouvrit cette série, et qui fut, on l'a vu, décisive pour la reconnaissance des météorites en tant qu'objets d'origine cosmique.

La pluie suivante eut lieu le 22 mars 1808, à 6 heures du matin, à Stannern en Moravie (République Tchèque). On recensa de 200 à 300 fragments, mais seulement 66 furent récupérés, d'un poids total de 52 kg. Le fragment majeur pesait 6 kg environ.

Une autre chute notable, celle de Knyahinya en Ukraine, eut lieu le 9 juin 1866 vers 17 heures. Près de 1000 pierres tombèrent dans une petite aire de 3 ´ 1 km. Le poids total des fragments récupérés avoisinait les 500 kg, avec un fragment majeur de 293 kg qui fut un temps la plus grosse aérolithe connue dont la chute a été observée.

Le 30 janvier 1868 eut lieu l'une des plus importantes pluies de météorites connues à ce jour. Elle est répertoriée sous le nom de pluie de pierres de Pultusk, mais en fait elle se produisit sur une aire elliptique de 8 km de long et 1,5 km de large, entre Pultusk et Ostralenka, deux petites villes de Pologne. Il était environ 19 heures, lorsqu'un splendide météore fut observé par les témoins dans le ciel nocturne. Plusieurs détonations furent entendues, puis plusieurs milliers de fragments tombèrent du ciel provoquant un vrai feu d'artifice. On donne souvent le chiffre de 100 000 pierres différentes, mais cela est très exagéré. Les estimations plus raisonnables donnent entre 3000 et 20 000 fragments, avec un nombre de l'ordre de 10 000 comme étant le plus probable. Ce n'est déjà pas mal. La plus grosse pièce avait 9 kg seulement et plus de 200 fragments d'un poids supérieur à 1 kg furent récupérés. La plupart des morceaux ne dépassaient pas quelques grammes. Plus de 200 kg de cette météorite figurent dans tous les grands musées spécialisés du monde.

La région de Mócs, près de Cluj en Transylvanie (Roumanie), fut également témoin d'une importante pluie, le 3 février 1882 vers 16 heures. Le nombre de fragments fut estimé à environ 3000. Le poids total récupéré atteignait près de 300 kg et le fragment majeur 56 kg.

Enfin, on peut citer l'une des plus remarquables pluies météoritiques du XXe siècle qui eut lieu en Arizona, près de la ville de Holbrook, le 19 juillet 1912 vers 19h15. Là encore, un météore brillant et des détonations furent enregistrés, puis une pluie très importante car on a estimé le nombre de fragments à 14 000. Le poids total récupéré fut de l'ordre de 210 kg, avec un fragment majeur de 6 kg environ et une multitude de petits grains de quelques grammes seulement.

J'ai parlé plus haut des importantes pluies de Sikhote-Alin en 1947, de Jiling en 1976 et d'Allende en 1969. Mais le nombre de fragments individuels tombés du ciel (et non le nombre de fragments après impact qui est évidemment nettement supérieur) n'est pas connu avec précision. On peut dire simplement que ces trois chutes furent très importantes et dépassèrent le millier d'unités.

Quelques rappels sur les météores

La terminologie acceptée dans le monde entier est claire de nos jours. On appelle météorites les corps célestes solides qui atteignent la surface terrestre, quel que soit leur poids, et météores, les phénomènes lumineux produits par ces météorites durant leur passage dans l'atmosphère. On réserve le terme de bolides pour les météores dont l'éclat dépasse celui des grosses planètes (Jupiter, Mars et Vénus). L'appellation étoile filante, qui fait partie du langage populaire, est à proscrire et n'est pas utilisée par les scientifiques.

On connaît des essaims de météores qui sont désignés par le nom de la constellation où se trouve leur radiant, qui est le point d'émanation d'où semblent converger les trajectoires des différents météores issus d'une même région du ciel. Ces essaims de météores (environ 1200 différents sont catalogués (22/23)) ont une double origine. Certains ont une indéniable relation avec l'orbite de comètes connues ou inconnues et sont considérés comme des produits de la désintégration de ces comètes. D'autres essaims, moins nombreux, ont une relation avec le système des astéroïdes ou avec la matière interplanétaire répandue dans le plan de l'écliptique. Ce sont les produits de l'émiettement constant qui a cours dans le Système solaire (collisions et fragmentations). D'une façon très arbitraire, on parle en général d'averses de météores, par opposition à des pluies de météorites, parce qu'une averse est une pluie abondante et que, en principe, les averses météoriques (qui ne touchent pas le sol) sont plus abondantes que les pluies météoritiques (qui arrivent à franchir le bouclier atmosphérique).

Le tableau 10-2 donne les caractéristiques des essaims de météores principaux ainsi que les comètes et astéroïdes associés, c’est-à-dire les objets parents ou issus d’un progéniteur commun. Pas moins de cinq de ces essaims sont liés au centaure Hephaistos (voir plus loin).

Les astronomes estiment que la Terre balaie en 24 heures environ 100 tonnes de matière cosmique, parmi laquelle 90 tonnes environ (90 %) sous forme de poussière, et seulement une dizaine de tonnes (soit environ 10 %) de météorites proprement dites, c'est-à-dire des objets d’au moins quelques grammes. Certains jours, ces valeurs de base peuvent être augmentées très sérieusement et même quasiment décuplées, notamment quand la Terre traverse à certaines dates des essaims météoriques plus denses.

Durant ce balayage permanent, les corpuscules qui sont animés de grandes vitesses entrent en contact avec les couches supérieures de l'atmosphère et sont ralentis par le frottement. Comme tout mouvement freiné est automatiquement compensé par un échauffement, celui-ci entraîne "l'allumage" du météore. Mais cette apparition est toujours très courte, sauf exceptions. Elle ne dure qu'une fraction de seconde pour les plus faibles et peut atteindre quelques secondes (de 3 à 5 en général) pour les météores brillants. Pour les gros bolides, la durée d'apparition peut dépasser quelques dizaines de secondes (le météore du Montana du 10 août 1972 fut visible durant 101 secondes, record absolu). En moyenne, pour les météores brillants, l'altitude de "l'allumage" est de 140 km et celle de "l'extinction" est de 50 km, la trajectoire intra-atmosphérique pouvant dépasser 200 km.

Je rappelle enfin quelques chiffres. On a fixé à environ 30 millions le nombre de météores atteignant la magnitude 4 pour toute la Terre et par 24 heures. Pour la magnitude 0, qui est celle des étoiles brillantes comme Véga et Capella, le nombre des météores visibles par période de 24 heures est encore énorme : 400 000. Pour la magnitude -3, c'est-à-dire les bolides, près de 30 000 unités sont théoriquement observables. Mais il est important de rappeler que tous ces météores et bolides sont en fait des corpuscules tout à fait insignifiants qui ne dépassent pas (sauf exceptions) quelques milligrammes pour les plus faibles et quelques grammes pour les plus lumineux.

L'histoire des essaims de météores les plus remarquables

Un des essaims les mieux connus et des plus remarquables est celui des Léonides. Celles-ci sont observables chaque année du 13 au 15 novembre dans la constellation du Lion, comme leur nom l'indique, et ont une période de 33,3 ans. Elles sont très rapides car elles rencontrent la Terre de face (et donc les vitesses s'additionnent). Ces Léonides sont associées à la comète 55P/Tempel-Tuttle qui pourrait avoir été capturée par la planète Uranus, en l'an 126 de notre ère, à partir d'une orbite quasi parabolique, comme l'a montré Urbain Le Verrier (1811-1877) au XIXe siècle. Il a été prouvé que les brillantes averses de météores, décrites par les historiens en 902, 931, 934, 1002, 1101, 1202, 1366, 1533, 1602 et 1698 étaient liées aux Léonides. Une importante averse eut lieu en 1766 et elle frappa profondément les indigènes du Venezuela.

Une autre averse fut observée en Amérique du Nord en 1799, elle dura quatre heures et fut extraordinaire. Celle de 1833 fut encore plus fantastique : 240 000 météores furent dénombrés dans le ciel d'Amérique du Nord en quelques heures. En 1866, une chute importante, mais moins riche que les deux précédentes, fut enregistrée avec un taux horaire de 6000 météores. Les deux averses principales (ces averses principales ont lieu tous les 33 ans en relation avec la période de révolution de la comète) suivantes eurent lieu en 1900 et 1933, mais elles furent très faibles. Cela est dû au fait que des perturbations causées par Jupiter, Saturne et Uranus ont écarté la masse principale de l'essaim de plus de 3 millions de km de l'orbite terrestre. Dernier épisode en date, en 1966, du fait de perturbations récentes de sens contraire, la Terre se retrouva de nouveau dans un très dense noyau de Léonides le 17 novembre. L'averse fut courte mais très puissante, puisqu'en Amérique du Nord on dénombra plus de 2400 météores à la minute pendant le maximum d'intensité.

Un autre essaim célèbre est celui des Perséides dont les averses, plus ou moins intenses, se produisent chaque année du 10 au 12 août. Ce sont elles qui ont reçu le nom particulier de larmes de Saint-Laurent, du nom du saint que l'on fête le 10 août. Les Perséides sont liées à la comète 109P/Swift-Tuttle, dont elles sont le produit de la lente désintégration. Cette comète périodique a une longue période de 130 ans (découverte en 1862, elle a été réobservée en 1992) et elle essaime depuis longtemps tout au long de son orbite. L'activité des Perséides est connue depuis le Moyen Age et a été notée dans les chroniques à partir de l'an 865. Les principales averses eurent lieu en 1779, 1834, 1836 et 1839.

Il faut encore citer un autre essaim, celui des Andromédides ou Biélides, qui a un radiant large et irrégulier et dont les averses ont lieu du 17 au 27 novembre. Elles sont spécialement intéressantes, car elles sont le produit de la désintégration de la comète 3D/Biela dont j'ai déjà parlé au chapitre 7. Après sa fracturation en décembre 1845 en deux composantes principales, sa fin fut très rapide et prit la forme d'une véritable désintégration non observée en direct malheureusement. La surprise pour les observateurs eut lieu le 27 novembre 1872, date à laquelle l'orbite de la comète coupait celle de la Terre. Dans la soirée, entre 19 heures et 1 heure du matin, soit pendant six heures, mais avec un maximum vers 21 heures, une fantastique averse de météores de toutes tailles fut observée en Europe. On a évalué le nombre total de Biélides à 160 000 cette nuit-là, où elles tombèrent sans interruption "à gros flocons", comme l'indiquèrent des milliers de témoins éberlués et incrédules, à partir d'un radiant proche de l'étoile Almak (gamma Andromède).

Treize ans plus tard, le 27 novembre 1885, on assista en Europe à une nouvelle averse exceptionnelle, juste à l'instant où la Terre croisait l'orbite de la comète désintégrée. On compta encore près de 15 000 météores à l'heure. Par contre, depuis, on n'a rien observé du fait probablement de perturbations planétaires. En remontant dans le passé, on a noté que le radiant proche d'Almak avait déjà été observé en 1741, 1798, 1830, 1838 et 1847. Cela signifie qu'avant sa désintégration finale, D/Biela perdait déjà depuis un certain temps une partie non négligeable de sa matière qui s'était dispersée tout au long de l'orbite elliptique.

Parmi les autres essaims moins importants, il faut citer les Draconides ou Giacobinides du 9 octobre qui sont associées génétiquement à la comète 21P/Giacobini-Zinner. Elles ont fourni en 1933 une averse restée célèbre, puisqu'elle fut la plus importante depuis celle de 1885.

Les essaims de météores liés à Hephaistos

Le tableau 10-2, parmi la vingtaine d’essaims retenus, en comporte cinq qui pourraient être de lointains résidus de la désintégration d’un progéniteur unique, l’ancien centaure Hephaistos, à travers quatre fragments encore existants. Jer vais dire quelques mots de ces essaims.

Sagittarides. Cet essaim est associé à Adonis et à son frère jumeau 1995 CS et est divisé en plusieurs essaims secondaires, probablement issus de la dernière séparation de quelques parties périphériques plus fragiles. Dans le cas de ces mini-fragments associés à Adonis, on doit plutôt parler d’un émiettement que de désintégration, émiettement qui se poursuit toujours.

Delta Cancrides. Cet essaim, visible à la mi-janvier, est lié à l’astéroïde cométaire Hephaistos, l’un des deux fragments majeurs (avec Heracles) survivants de la fragmentation du centaure Hephaistos, auquel il donne logiquement son nom.

Bêta Taurides. Cet essaim diurne, lié directement à 2P/Encke est l’un des composants du fameux Complexe des Taurides, mis en évidence par Fred Whipple au début des années 1950 et popularisé par les astronomes catastrophistes britanniques (24). Il est observable fin juin début juillet et on lui associe Ogdy,l’objet de la Toungouska.

S Taurides. C’est le deuxième essaim du Complexe des Taurides, visible, lui, fin octobre et début novembre, et associé directement à P/Encke. Il est très diffus, preuve qu’il s’agit d’un essaim ancien et d’importance, vestige de la désintégration d’un gros objet, probablement de taille kilométrique, lié génétiquement à P/Encke, fragment qui a pu conserver une cohésion suffisante pour une survie provisoire.

S Khi Orionides. Cet essaim, visible en décembre, est associé à l’astéroïde cométaire Oljato, le frère jumeau de P/Encke, qui a eu une activité cométaire jusqu’à très récemment, et qui a donc pu injecter sur son orbite une multitude de poussières dont la Terre récupère une partie.

Il est très probable que d’autres essaims mineurs et récents pourront être associés dans l’avenir à quelques objets du tableau 7-4 et à d’autres à découvrir. C’est la preuve que la désintégration d’un objet unique peut déboucher à moyen terme sur une multitude d’essaims météoriques, disséminés tout autour de la sphère céleste par le jeu d’une dispersion inéluctable.

Ce que nous apprennent les météorites et les météores

Les astronomes ont obtenu progressivement de nombreux renseignements valables des analyses des chutes de météorites et des observations de météores (25/26). Je vais dire quelques mots sur certains de ces résultats particulièrement significatifs.

Des orbites préatmosphériques comparables à celles des NEO

Les orbites préatmosphériques des météorites et des météores ont toujours intéressé les astronomes qui cherchent à les déterminer avec un maximum de précision. Il apparaît que toutes les orbites calculées sont tout à fait compatibles avec ce que l’on sait des orbites de NEO et celles des comètes. La majorité d’entre elles sont des orbites astéroïdales de sous-type 1, 2 ou 3, ce qui montre bien que les météorites et les météores sont des produits de désintégration d’objets plus gros (vrais astéroïdes et astéroïdes cométaires). De très nombreux météores ne sont pas membres de l’anneau principal des astéroïdes (objets de sous-type 3), mais ont des orbites nettement plus petites avec a compris entre 1,00 et 1,50 UA (sous-type 1) ou plus rarement avec a compris entre 1,55 et 2,00 UA (sous-type 2). Rien d’étonnant à cela, puisque des milliards de fragments minuscules autonomes circulent dans le Système solaire intérieur, et que plus les demi-grands axes sont faibles, plus les possibilités d’approches à la Terre sont grandes.

Il faut le rappeler, même si c’est aujourd’hui une évidence : météorites, météores, astéroïdes, comètes, tous font partie de la même grande famille, tous sont intimement liés (27).

La Terre grossit lentement

D'abord, il est certain que le poids de la Terre augmente régulièrement, même si ce phénomène n'est pas spectaculaire. On a calculé que 40 000 tonnes de particules cosmiques tombent sur la Terre chaque année. Le nombre de météorites touchant le sol avoisine les 200 000 par an, mais le poids de la météorite "moyenne" ne dépasse pas les 200 grammes. On admet actuellement qu'un corps de 100 tonnes entre chaque jour dans l'atmosphère terrestre, un corps de 1000 tonnes une fois par mois, un corps de 15 000 tonnes une fois par an, un corps de 100 000 tonnes tous les dix ans et un corps de 1 million de tonnes une ou deux fois par siècle.

Depuis 500 millions d'années, le poids de la Terre aurait augmenté de 0,001 %, c'est-à-dire de seulement 1/100 000, proportion négligeable par rapport à l'augmentation des 4 milliards d'années précédentes. Comme on sait que la masse de notre planète détermine en partie les différents processus géologiques et géophysiques qui ont lieu en permanence à l'intérieur de l'écorce terrestre, on en conclut cependant que l'apport de la matière cosmique, minime mais ininterrompu, fait de la Terre une planète qui poursuit sa formation et qui ne peut que "prospérer" au détriment de cette matière cosmique environnante inépuisable et sans cesse renouvelée, du fait que les comètes et les astéroïdes sont constamment menacés d'émiettement. Les astronomes ont calculé que si la matière météoritique qui tombe chaque jour sur la Terre ne se mélangeait pas aux roches terrestres existantes, elle formerait en un million d'années seulement une couche pouvant dépasser plusieurs centimètres.

La fragmentation est la règle

Les chutes de météorites ont également montré une chose importante : c'est que la fragmentation est la règle, même pour les objets denses (on l'a vu en 1947 avec la sidérite de Sikhote-Alin). Il semble très improbable, pour ne pas dire impossible, que les objets ayant une densité inférieure à 3,0, c'est-à-dire tous les essaims, les noyaux cométaires formés de glace, de gaz gelés et de matière météoritique plus ou moins agglomérée, les astéroïdes carbonés (de types C et D), puissent éviter la fracturation et la fragmentation en traversant l'atmosphère. Cela est plutôt rassurant car les pluies de pierres ou la volatilisation complète d'autres objets dans l'atmosphère ont des conséquences moins sérieuses que l'impact d'un objet unique ayant traversé cette atmosphère sans ralentissement significatif.

La fréquence des collisions d'EGA sur la Terre, notée dans le tableau 6-6, et qui concerne des objets entrant dans l'atmosphère, est donc moins "mortelle" qu'il peut paraître à certains, surtout en ce qui concerne les petits objets. En règle générale, la fragmentation d'un objet unique produit un ou deux gros morceaux, quelques-uns de taille moyenne et de nombreux petits (on l'a souvent constaté lors de pluies météoritiques). Ainsi, un impact concernant un EGA de 300 mètres sur la Terre tous les 3500 ans, sur les parties immergées tous les 5000 ans et sur les parties émergées tous les 12 000 ans ne paraît pas une estimation excessive, au contraire elle paraît bien modeste. Je rappelle que parmi les NEA, il y a une bonne proportion (40 % selon les données actuelles) d'objets carbonés et de noyaux cométaires, qui ont une densité inférieure à 3,0 et qui n'ont donc pratiquement aucune chance d'arriver au sol sans fragmentation. On est donc en droit de se demander si les chiffres ci-dessus ne sont pas, en fait, nettement inférieurs à la réalité, et s’il ne faudra pas envisager une réévaluation.

Par contre, les chutes de météorites sous forme de pluies doivent être très fréquentes. Et c'est bien ce que l'on observe, puisqu'on en connaît de nombreux exemples récents. Dans le cas de pluies météoritiques, il est souvent impossible de savoir avec précision quelle était la masse totale de l'objet original avant son entrée dans l'atmosphère. En effet, on s'est rendu compte qu'une part très importante (qui peut atteindre 95 % et même jusqu'à 99 % dans certains cas extrêmes) de la masse originale est totalement volatilisée et ne touche pas le sol. Cependant, on peut parfois en faire une estimation correcte d'après l'éclat du bolide, si l'on a pu calculer son orbite et donc sa distance réelle au moment de l'observation.

L'étude photographique et spectrographique des météores a clairement montré ce que l'on savait déjà : l'existence d'une double population de poussières cosmiques, l'une d'origine cométaire, l'autre d'origine astéroïdale. Je rappelle que toutes ces poussières et petits objets cosmiques, qui circulent en tant que particules ou essaims autonomes dans le Système solaire, sont le produit de la désintégration des noyaux de comètes et de l'émiettement permanent des astéroïdes. L'existence de cette double population se retrouve, bien sûr, à une échelle macroscopique, et l'on sait d'une manière certaine qu'il existe un impactisme planétaire et un impactisme cométaire, les deux entraînant des conséquences bien différentes.

Des traînées persistantes dans l’atmosphère

Il faut aussi insister un instant sur une constatation intéressante : l'existence de traînées persistantes à la suite de la traversée de l'atmosphère de météorites importantes et de météores très brillants. On l'a vu notamment en 1908, en 1947 et en 1972, où les objets concernés atteignaient ou dépassaient les 1000 tonnes, mais aussi lors de bien d'autres circonstances. Tous les observateurs ont constaté que ces traînées se déformaient au fil des minutes, du fait de perturbations atmosphériques, et qu'elles prenaient parfois des formes bizarres. Notamment, la forme du serpent a été notée à maintes reprises.

Rappelons-nous la légende de Typhon, dont j'ai parlé au chapitre 1, et de nombreuses observations consignées dans les chroniques du passé concernant la présence de "serpents" dans le ciel. Il a dû s'agir dans la majorité des cas de traînées persistantes, consécutives à des passages de gros météores à l'intérieur de l'atmosphère terrestre. Les serpents à têtes multiples (c'était notamment le cas de Typhon, le serpent "aux cent têtes") étaient tout simplement des traînées devenues multiples après une fragmentation dans l'atmosphère et une légère dispersion des objets secondaires ainsi produits.

L’impactisme microscopique, véhicule de la vie

On voit avec les quelques remarques ci-dessus tout l'intérêt de ces chutes de météorites et de l'observation des météores. Ils représentent les constituants microscopiques du bombardement terrestre, mais un matériel permanent, de tous les instants, puisqu'il ne se passe pas une seconde sans que la Terre ne capture au moins, au cours de son périple autour du Soleil, quelques centaines de grammes de cette matière interplanétaire absolument inépuisable.

Je reparlerai des météorites au chapitre 14, qui concerne l'origine cosmique de la vie, car l'on sait aujourd'hui que certaines météorites carbonées contiennent des éléments prébiotiques, comme des acides aminés, et que d'autres qui sont originaires de la planète Mars pourraient receler des traces de vie fossile. Elles pourraient donc être les premières preuves directes que la vie existe, ou a existé, ailleurs que sur notre planète.

Il apparaît que l’impactisme microscopique pourrait avoir eu une influence essentielle dans le passé : il aurait apporté la vie. Alors que l’impactisme macroscopique apporterait la mort, à travers l’extinction de masse et l’impactisme particulaire l’évolution (voir le chapitre 15), l’impactisme microscopique pourrait véhiculer dans tout l’Univers un matériel prébiotique, capable en fonction des contingences locales, de générer la vie, une vie partout différente, toujours renouvelée, mais dont les éléments de base sont les mêmes.

L’étude des météorites montre bien que l’unicité de la vie terrestre ne tient pas. Les acides aminés existent partout, puisque certaines météorites carbonées recueillies en contiennent plusieurs qui n’ont pas réussi à s’imposer sur Terre. La vie terrestre est une vie locale, comme il en existe une, sinon partout tout au moins dans beaucoup d’endroits. C’est obligatoire. Croire l’inverse, c’est de l’anthropocentrisme moyenâgeux.

Notes

1. P.-M. Bigot de Morogues, Mémoire historique et physique sur les chutes de pierres tombées à la surface de la Terre à diverses époques, 1812. Un vieux livre fort utile que l'on peut consulter à la bibliothèque du Muséum National d'Histoire Naturelle (le MNHN) qui détient une multitude de "trésors" du même genre. La lecture de ce remarquable document a dû être un véritable camouflet pour tous ceux qui ne voulaient pas croire à la chute de pierres sur la Terre.

2. L. LaPaz, The effects of meteorites upon the Earth (including its inhabitants, atmosphere, and satellites), Advances in Geophysics, 4, pp. 217-350, 1958.

3. C. Flammarion, Astronomie populaire (1880) et G.C. Flammarion, A. Danjon et autres, Astronomie populaire Camille Flammarion (Flammarion, 1955). Les deux classiques de la littérature astronomique française, séparés de trois quarts de siècle, contiennent une documentation inégalée sur l'astronomie du passé. Le livre V de l'édition de 1955 : Les comètes, météores et météorites (pp. 331-404), dû à Fernand Baldet, est particulièrement intéressant.

4. M. Eliade, Traité d'histoire des religions (Payot, 1964).

5. R. Turcan, Héliogabale et le sacre du soleil (Albin Michel, 1985). Ce livre étonnant raconte l'histoire de cet empereur démentiel et de sa passion sans limite pour la météorite. On comprend que tout le monde voulut l'éliminer le plus rapidement possible. Il fut assassiné à 18 ans après une courte vie de folie et de débauche, jamais renouvelée semble-t-il dans toute l'histoire des souverains ultérieurs.

6. E.M. Antoniadi, Uranolithes vénérés, L'Astronomie, 51, pp. 433-436, 1937.

7. Ce document est conservé à la bibliothèque de Strasbourg. Il est cité par Alain Carion dans son livre Les météorites et leurs impacts (Masson, 1997), pp. 103-104.

8. M. Maurette, Chasseurs d'étoiles (Hachette-La Villette, 1993).

9. E.L. Krinov, Giant meteorites (Pergamon Press, 1966).

10. B.M. Middlehurst and G.P. Kuiper (eds), The Moon, Meteorites and Comets (University of Chicago Press, 1963). Le chapitre 8, dû à E.L. Krinov, concerne The Tunguska and Sikhote-Alin meteorites (pp. 208-234).

11. Muséum National d'Histoire Naturelle (sous la direction de B. Zanda et M. Rotaru), Les météorites (Bordas, 1996). C'est le livre paru à l'occasion de la magistrale exposition "Météorites !" présentée (du 22 mai 1996 au 6 janvier 1997) par le MNHN à la Grande Galerie de l'Evolution au Jardin des Plantes de Paris, pendant laquelle les visiteurs pouvaient toucher de leurs mains certaines de ces météorites (certains le faisaient quasi religieusement !). Ce livre superbement illustré, écrit en collaboration par de nombreux spécialistes, est une véritable mine de renseignements. Un document indispensable.
Le chapitre 11 de ce livre " Des fossiles galactiques " (pp. 113-121), dû à Ernst Zinner, explique fort bien le problème des anomalies isotopiques et l’origine de météorites comme Allende et Murchison.

12. J.A. Wood, Meteorites (pp. 241-250) dans J.K. Beatty and A. Chaikin (eds), The new solar system (Sky Publishing Corporation and Cambridge University Press, 1990).

13. L.G. Jacchia, A meteorite that missed the Earth, Sky and Telescope, 48, pp. 4-9, 1974.

14. Une orbite approximative post-approche, calculée à la suite des observations d’août 1972, avait laissé espérer un nouveau passage près de la Terre en août 1997, 25 ans après l’approche record, du bolide du Montana. En fait, une réobservation aurait été quasiment miraculeuse et la tentative de redécouverte a échoué. Il ne faut pas s’en étonner, la période d’observation (101 secondes) étant beaucoup trop courte pour calculer une orbite suffisamment précise, surtout après les perturbations drastiques subies par le bolide durant sa traversée de l’atmosphère terrestre.

15. T. Tsung, The Jiling meteorite, Sky and Telescope, 56, pp. 465-466, june 1978.

16. Dans son livre Chasseurs d'étoiles, Michel Maurette raconte (pp. 62-63) que W. Cassidy dut se battre pour obtenir le financement d'une expédition en Antarctique qu'il avait sollicité dès 1974. Comme trop souvent, les pesanteurs administratives et le jugement négatif de "comités de scientifiques" lui mirent des bâtons dans les roues. C'est seulement après la réussite annoncée des Japonais qu'il obtint ses crédits. Aujourd'hui les résultats obtenus ont remboursé plus de 1000 fois les investissements. La bureaucratie a toujours été un frein à la recherche...

17. Ce tableau est basé sur celui paru dans Les météorites, op. cit., pp. 66-67.

18. D.J. Asher, V. Clube, B. Napier and D.I. Steel, Coherent catastrophism, Vistas in astronomy, 38, pp. 1-27, 1994. Voir aussi le chapitre 8 (pp. 109-136), qui porte le même titre : Coherent catastrophism du livre de D.I. Steel (voir la note 24).

19. G. Kurat et M. Maurette, Matière extraterrestre sur la Terre : de l’origine du Système solaire à l’origine de la vie (Michaël Ittah, 1997).

20. D. Bentaleb, La vie venue de l’espace, Science et Vie, 966, pp. 55-65, mars 1998.

21. M.H. Hey, Catalogue of meteorites, third edition (British Museum, 1966).

22. G.W. Kronk, Meteor showers, a descriptive catalog (Enslow Publishers, 1988). L'ouvrage de référence sur les essaims de météores.

23. N. Bone, Meteors (Sky Publishing Corp., 1993).

24. D. Steel, Rogue asteroids and doomsday comets (John Wiley & Sons, 1995). Steel a réétudié en détail le Complexe des Taurides, mis en évidence au début des années 1950 par Fred Whipple en collaboration avec l’astronome égyptien Salah El-Din Hamid, confirmant sa réalité et son intérêt.

25. J.G. Burke, Cosmic debris. Meteorites in history (University of California Press, 1986).

26. O.R. Norton, Rocks from space (Mountain Press Publishing Company, 1994).

27. A.H. Delsemme (ed.), Comets Asteroids, Meteorites - Interrelations, evolution and origins (University of Toledo, 1977).

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