CHAPITRE 11

LES ASTROBLÈMES ET LES TECTITES


Il peut paraître bizarre à certains lecteurs d'étudier dans un même chapitre astroblèmes et tectites. En fait, il n'y a rien de plus logique, puisque l'on sait aujourd'hui d'une manière formelle qu'il y a liaison génétique entre les deux (1). Il ne peut y avoir de tectites sans un astroblème qui les a générées.

Une réalité longtemps contestée par les scientifiques

Depuis le début des années 1950, la meilleure des preuves a pu être apportée à cette théorie des impacts d'astéroïdes et de comètes: l'existence de cratères météoritiques fossiles à la surface de la Terre elle-même qui ont reçu, en 1960, l'appellation d'astroblèmes par le géologue américain Robert Dietz (1914-1995) (2). Ce terme d'astroblème, adopté internationalement, signifie "blessure par un astre". Pratiquement synonymes de nos jours, ces termes d'astroblème et de cratère météoritique se différencient quand même dans la mesure où les premiers sont des formations fossiles, souvent de grande taille et malaisées à mettre en évidence du sol, et les seconds des formations récentes et de petite taille facilement décelables, sauf s'ils sont totalement cachés par la végétation.

Depuis longtemps, plusieurs astronomes et géologues plus clairvoyants que les autres (passablement conservateurs dans leur grande majorité) se doutaient bien que certains petits cratères, éparpillés à la surface de la Terre entière, étaient d'origine cosmique. Parmi ceux-ci, le plus célèbre d'entre eux, le fameux Meteor Crater de l'Arizona (qui s'appelait alors simplement la dépression de Coon Mountain), était connu depuis des temps immémoriaux des habitants de la région, les Indiens Navajos, qui se l'étaient même "approprié" en récupérant à leur profit le cataclysme responsable et en faisant croire aux Blancs que leurs ancêtres avaient été les témoins oculaires de sa formation, ce qui est exclu puisqu'elle remonte à 50 000 ans.

En règle générale, les scientifiques concernés par ces problèmes d'impacts terrestres étaient tout à fait hostiles à l'idée même d'impactisme, ils ne voulurent jamais prendre en compte les découvertes d'Apollo, d'Adonis et de Hermes dans les années 1930. L'United States Geological Survey (USGS) fera la sourde oreille pendant près de cinquante ans. Pour une raison très peu scientifique surtout : accepter l'origine cosmique de certains cratères, c'était accepter aussi les conséquences annexes qui en découlent et remettre en question certains fondements de la géologie, comme l'exclusivité de l'uniformitarisme qui avait eu tant de mal à s'imposer au XIXe siècle au détriment du catastrophisme.

" Plus d'un demi-siècle : c'est le temps qu'il faudra à l'USGS pour admettre l'origine météoritique du Meteor Crater. A travers l'histoire de cette reconnaissance, se joue celle de l'impactisme et de la prise de conscience par l'homme du lien intime entre la Terre et les autres corps du Système solaire. " (3)

C'est bien cela, en fait, qui était en question. Comme pour le triste épisode des météorites à la fin du XVIIIe siècle, les savants préféraient se boucher les yeux plutôt que d'admettre l'évidence. Ils préféraient se persuader, et surtout persuader le monde non scientifique pour qui tout ce qui vient d'hommes de science est parole d'évangile, que l'absence sur Terre de cratères d'impact bien visibles tenait au fait que notre planète était privilégiée par rapport à la Lune et qu'elle était tenue à l'écart du bombardement cosmique qui avait façonné la surface lunaire. Ces scientifiques prétendaient qu'il n'y avait pas de preuves palpables pour admettre cette possibilité d'impact sur la Terre de gros objets extraterrestres. L'événement de la Toungouska s'étant terminé par une explosion dans l'atmosphère, il paraissait probable que toute collision importante, en admettant qu'il puisse en exister, devait se terminer de la sorte.

Le bombardement cosmique a toujours fait peur, et ce n'est que contrainte et forcée que la communauté scientifique de la fin des années 1940 a fini par admettre l'impactisme et le catastrophisme qui en découle. C'est seulement en 1946 que le nom de Meteor Crater fut officiellement adopté par le United States Board of Geographical Names, reconnaissant par là même définitivement l'origine cosmique du cratère. Les derniers savants réticents durent baisser pavillon les uns après les autres, sous peine de ridicule, et en 1953 l'ancienne hypothèse volcanique fut totalement abandonnée et prit place dans l'histoire des sciences, au rayon très fourni des "fausses pistes qui ont eu la vie dure".

A partir de 1950, changement de tendance

Heureusement les choses ont bien changé depuis, et tout le monde admet maintenant sans aucune réticence l'explication évidente et de bon sens de ce manque apparent de cratères météoritiques terrestres. Ceux-ci, en effet, sont des formations éphémères, parce que la Terre est une planète vivante sur laquelle tout se transforme rapidement, contrairement à la Lune, astre mort par excellence, qui garde intactes ses diverses formations (mers et cratères) tant qu'elles ne sont pas détruites ou déformées par de nouveaux impacts d'astéroïdes et de comètes. Les cratères terrestres, eux, sont rapidement détruits par une érosion active, comblés par la sédimentation (surtout les formations marines des talus continentaux), profondément modifiés par les actions tectoniques et les impératifs de l'isostasie. Seuls les cratères très récents sont donc aisément décelables.

Sous l'impulsion des géophysiciens et géologues canadiens, puis américains, l'existence de ces astroblèmes en tant que vestiges de collisions cosmiques a pu être démontrée. La découverte du cratère de 3,2 km de diamètre de New Québec au Canada, en 1950, allait être le point de départ d'un vaste programme photographique de recherches sur le territoire canadien, programme qui allait connaître un succès rapide et un peu imprévu par son ampleur. Dès 1954, notamment, le fantastique astroblème de Manicouagan, au Québec, d'un diamètre de 100 km, était identifié sur des photos aériennes. A partir de cet instant, astronomes et géologues comprirent une bonne fois pour toutes que des EGA comme Apollo, Adonis et Hermes, qui avaient frôlé la Terre entre 1932 et 1937, pouvaient fort bien la percuter à l'échelle astronomique.

Très rapidement, le développement des études concernant les astroblèmes est devenu résolument multidisciplinaire (géologie, géophysique, physique, cosmochimie, pétrographie, minéralogie, etc.) (4/5), ce qui a permis d'élargir sensiblement les chances d'identification qui jadis étaient fort minces. Le seul critère ancien sans équivoque était l'existence de fragments de météorites à l'intérieur, ou à proximité immédiate, des cratères. Or, cette présence est l'exception et ne concerne que des petits cratères très récents. Nous verrons qu'en fait un astéroïde est totalement volatilisé lors d'un gros impact et qu'il est donc nécessaire de se baser sur d'autres arguments, notamment sur les effets du métamorphisme de choc.

Mais avant d'étudier les astroblèmes d'une manière générale, je vais d'abord revenir sur le Meteor Crater de l'Arizona, archétype du cratère terrestre d'origine cosmique et le mieux conservé.

L'histoire du Meteor Crater

La légende des Indiens Navajos

La célèbre excavation météoritique est connue des spécialistes depuis les années 1880 et admise définitivement comme telle depuis 1946 seulement, quasiment soixante ans plus tard. Mais ce cratère a toujours intrigué les hommes (6). Les Indiens de l'Arizona, les Navajos, avant d'être décimés par les Blancs, avaient une légende se rapportant au cratère et à son origine. Cette légende raconte qu'un grand dieu très puissant tomba un jour du ciel sur la Terre. Il s'enfonça très profondément dans le désert où il repose depuis cette époque. La légende (qui en rajoute comme toutes les légendes) rappelle que le dieu déchu avait une haleine infernale qui brûla et détruisit pour longtemps toute la végétation sur une surface immense. La légende précise encore que l'événement eut lieu la nuit et qu'il causa une luminosité prodigieuse et un bruit formidable. Tout cela paraissait fort crédible, mais les Navajos, toutefois ne pouvaient pas dater la chute avec une précision acceptable, sachant seulement qu'elle remontait à très longtemps.

Les premières estimations de l'âge du Meteor Crater remontent au début du XXe siècle. La méthode dendrochronologique donna un âge de 700 ans pour un vieux cèdre qui poussait au bord du cratère et qui était obligatoirement postérieur à l'impact. Une étude sommaire sur la radioactivité des roches et des débris trouvés dans le secteur de la Coon Mountain indiqua un âge maximal de 5000 ans pour la chute. On prit donc l'habitude de situer entre ces deux limites la date de la catastrophe, en penchant pour une date voisine de 2000 ans, du fait qu'auparavant les Navajos n'habitaient probablement pas la région et ne pouvaient donc pas avoir été les témoins oculaires de la chute de leur dieu, racontée dans leur légende millénaire.

Jusque dans les années 1950, les savants se sont contentés de ces considérations acceptables. Mais les premiers examens approfondis du matériel du cratère et de la région environnante montrèrent rapidement la supercherie. Des datations au carbone 14 dans les années 1960 donnèrent tout d'abord un âge de 24 000 ans pour l'impact, déjà beaucoup trop important pour que la légende ait pu être basée sur une observation réelle. Dans les années 1980, une nouvelle étude très soignée a plus que doublé l'ancienneté du cratère, puisqu'on retient maintenant un âge de 50 000 ans.

Il faut donc admettre dans le cas du Meteor Crater que le cataclysme, qui saute aux yeux des plus candides observateurs, a été "récupéré" par les anciens Indiens de la région qui l'ont introduit dans leur tradition orale comme un fait réel et avec force détails. Il n'est pas impossible non plus que les Indiens aient regroupé en un seul événement deux cataclysmes : l'un dont ils n’ont pas pu être les témoins, le Meteor Crater, et un autre, l'explosion dans l'atmosphère d'un objet cosmique qu'ils ont assimilé à la chute sur la Terre de leur dieu déchu. Ce serait ce deuxième cataclysme que raconte leur légende, qui fut peut-être bien basée au départ sur un fait réel marquant.

L'histoire moderne du Meteor Crater

Dans le dernier quart du XIXe siècle, plusieurs géologues vinrent examiner le cratère de l'Arizona (situé exactement à 35°02'N et 111°01'W, à environ 35 km à l'ouest de Winslow) et connu entre autres sous le nom de Canyon Diablo Crater et Coon Mountain Crater. Tous furent impressionnés par ses dimensions fort respectables : diamètre de 1,220 km et profondeur de 180 mètres. Dès cette époque les avis furent partagés sur l'origine de la formation : volcanisme ou impact ? C'est en 1891 que parut le premier article scientifique, dû à une sommité de l'époque, le géologue américain Grove Gilbert (1843-1918), préconisant une origine cosmique (7) et une association avec les nombreux fers météoritiques de la région, éparpillés dans une large zone s'étendant jusqu'à 8 km tout autour du cratère, qui ne pouvait échapper aux chercheurs clairvoyants.

Au début du XXe siècle, en 1903, Daniel Barringer (1860-1929) (8), géologue, ingénieur des mines et homme d'affaires, obtint une concession pour exploiter industriellement le cratère. Des sondages, sans cesse ralentis par l'envahissement des eaux souterraines, montrèrent que les rochers du fond du cratère sont broyés sur une épaisseur supérieure à 100 mètres, et firent croire qu'une sidérite énorme, d'une masse de l'ordre de 10 millions de tonnes, était enterrée à une profondeur de 400 ou 500 mètres sous la périphérie sud du cratère. Mais l'entreprise fut un échec cuisant et entraîna quasiment la ruine pour le propriétaire. Dès 1908, cinq ans après le début du chantier, il fallut arrêter les travaux. Une société au capital de 850 millions de dollars prit le relais en 1920, toujours sous la direction d'un Barringer incroyablement obstiné, pour tenter d'exploiter ce qu'il croyait encore être un trésor inestimable, à la portée d'outils industriels modernes. Les estimations, toujours résolument optimistes pour appâter d'éventuels associés acceptant de financer ce qui risquait d'être un gouffre, laissaient croire qu'on pourrait récupérer 9,2 millions de tonnes de fer, 600 000 tonnes de nickel et 200 000 tonnes de cobalt, de cuivre, de platine et d'iridium. En fait, cette entreprise déboucha sur le fiasco le plus total et sur une faillite inéluctable.

Parallèlement à cet essai d'exploitation commerciale, le site du Meteor Crater fut l'objet d'une longue polémique scientifique entre les partisans de l'hypothèse cosmique, qui pouvaient présenter de nombreux arguments convaincants (comme l'existence de milliers de sidérites), et les partisans de l'hypothèse volcanique qui, par contre, ne pouvaient présenter aucun argument valable. La polémique dura pourtant plus d'un demi-siècle.

Depuis, cette très remarquable formation a été étudiée en grand détail par tous les spécialistes de la question et l'on connaît aujourd'hui pratiquement tout d'elle.

Le Meteor Crater aujourd'hui

Pour tous les visiteurs qui font le déplacement, scientifiques ou simples touristes, le Meteor Crater est "un lieu magique", très impressionnant à la première visite, et on ne peut s'étonner que les Indiens de la région aient voulu le récupérer et en faire un site privilégié de leurs légendes, même s'ils ont sérieusement extrapolé en prétendant que leurs ancêtres avaient été les témoins oculaires de sa formation.

Tous les spécialistes des cratères d'impact sont venus au Meteor Crater, passage obligé, mais leurs conclusions n'ont pas été nécessairement les mêmes, notamment sur la taille de l'objet responsable. On sait seulement, d'une manière formelle, que son diamètre était inférieur à 100 mètres en entrant dans l'atmosphère, mais pour le fragment majeur, qui a creusé le cratère, les avis varient du simple au plus du double : de 30 mètres à 70 mètres.

Le géologue-astronome américain Eugène Shoemaker (1928-1997) a été l'un des premiers à étudier le secteur en détail dans le courant des années 1950, débarrassé des préjugés anti-catastrophisme qui étaient encore ceux de ses prédécesseurs d'avant-guerre. Tout de suite, il fut convaincu de l'origine météoritique du cratère. Il pensait qu'il avait été creusé par une sidérite d'une trentaine de mètres seulement et d'une masse de l'ordre de 100 000 tonnes (on était déjà loin des 10 MT que Barringer espérait récupérer et revendre), avec un angle de 30° et une vitesse d'impact voisine de 15 km/s.

Pour expliquer les sidérites qui parsemaient encore la région au début du siècle, Shoemaker et tous les autres spécialistes qui visitèrent le site après lui supposaient que le corps céleste originel fut soumis à un échauffement très important en entrant dans les couches denses de l'atmosphère, ce qui déboucha tout d'abord sur une fragmentation partielle de quelques petits morceaux périphériques de taille métrique, qui eux-mêmes éclatèrent en d'innombrables fragments de taille météoritique, ceux-là mêmes qui furent ramassés ensuite par plusieurs générations de collectionneurs tout autour du cratère dans un rayon de 8 km.

L'énergie cinétique de l'astéroïde métallique fut transformée quasi instantanément en chaleur (en quelques secondes) juste avant et à l'instant de l'impact. L'impacteur et les roches du cratère furent brisés et vaporisés formant un nuage éblouissant de débris divers, de poussières et aussi d'innombrables gouttelettes de fer et de silice qui retombèrent dans le cratère lui-même et dans ses environs immédiats. Tous les fragments retombèrent en quelques minutes, seule la poussière dut mettre plusieurs jours à se diffuser et se disperser.

L'énergie totale dégagée par l'impact qui a engendré le Meteor Crater reste relativement faible, malgré les conséquences spectaculaires encore bien visibles aujourd'hui, quasiment 50 000 ans après. La combinaison d'un astéroïde de 30 mètres, avec une vitesse de 15 km/s et d'une densité de 7,8, comme le préconisait Shoemaker et quelques autres, débouche sur une énergie cinétique de l'ordre de 1,2 ´ 1016 joules, l'équivalent d'un séisme de magnitude 7,6, comme la Terre en connaît chaque année ou presque.

Si l'on retient cette hypothèse basse pour le diamètre de l'impacteur, il faut noter que le Meteor Crater est sensiblement 40 fois supérieur à celui de l'astéroïde métallique responsable. Pour un corps rocheux de densité 3,5 (une chondrite ordinaire), on table en général pour un cratère 20 fois plus important que l'astéroïde responsable. Mais aujourd'hui la majorité des spécialistes des cratères d'impact optent pour un objet plus gros : 50 mètres (avec une énergie de 5,7 ´ 1016 joules), 60 mètres (avec une énergie de 9,9 ´ 1016 joules) ou même 70 mètres (avec une énergie de 1,6 ´ 1017 joules). De tels diamètres expliqueraient mieux celui du Meteor Crater, puisqu'on retombe alors dans le critère normal pour le rapport cratère/astéroïde, soit 20 fois, ce qui est très plausible dans la mesure où la vitesse d'impact était inférieure d'un quart à la vitesse considérée comme "moyenne" (15 km/s au lieu de 20 km/s).

L'espérance de vie des astroblèmes terrestres

Très rapidement, dans les années 1960, les spécialistes sont arrivés à une conclusion un peu étonnante de prime abord, mais qui s'explique en fait fort bien : l'espérance de vie des astroblèmes est très variable selon les régions. Elle est sensiblement plus élevée dans les régions géologiquement stables, notamment sur les boucliers (ce qui explique en partie, par exemple, le nombre relativement important de cratères canadiens), que dans les régions où la vie géologique est mouvementée.

Ce qu'il faut retenir principalement, c'est qu'un petit cratère de quelques dizaines de mètres est immédiatement "gommé" de la surface terrestre, ou devient totalement indécelable en quelques centaines d'années. Tous les cratères météoritiques de 1 km ou moins sont des formations quaternaires ou tertiaires, c'est-à-dire des formations très récentes à l'échelle géologique. Cela explique le nombre très déficitaire des cratères terrestres, comparativement à ceux de la Lune, de Mars ou de Mercure.

En règle générale, on estime actuellement l'espérance de vie moyenne d'un astroblème terrestre de la façon suivante :

– 1 million d'années environ pour un cratère de 1 km de diamètre ;
– quelques millions ou dizaines de millions d'années pour un cratère de quelques km de diamètre ;
– quelques centaines de millions d'années pour un cratère de plus de 10 km de diamètre ;
– 1 ou 2 milliards d'années pour un cratère de 100 km ou plus de diamètre.

La première conclusion importante est qu'il n'existe plus sur Terre aucun astroblème plus ancien que deux milliards d'années. Toutes les formations (sans aucun doute très nombreuses) d'origine cosmique remontant aux deux premiers milliards d'années de la Terre ont disparu définitivement. Il faut noter cependant que certains point d'impacts possibles très anciens, baptisés globalement astrons, repérés par les satellites d'observation de la Terre à la limite de la visibilité, pourraient être également des marques de cicatrices causées par des objets célestes. On en connaît une vingtaine, mais ces astrons sont trop vieux pour être étudiés comme des astroblèmes classiques, toute trace de métamorphisme de choc ayant à jamais disparu.

Il faut aussi noter que certains astroblèmes de grande taille, relativement jeunes (quelques dizaines de millions d'années seulement), sont quasiment indécelables. C'est le cas surtout de formations partiellement maritimes qui sont envahies par les eaux et comblées par une sédimentation à la fois marine et fluviale. Un grand astroblème, comme celui de Chesapeake Bay sur la côte est des États-unis, large de 90 km et vieux de 35 MA, a été décelé en 1992 seulement.

Formation et identification des cratères météoritiques et des astroblèmes

Deux formations différentes selon la taille de l’impacteur

La formation des cratères d'origine cosmique est fondamentalement différente selon leur taille. Pour les petits cratères de moins de 100 mètres de diamètre, la destruction du sol est mécanique. Ils sont formés par des corps de faible masse, dont la vitesse d'impact n'excède pas 1 ou 2 km/seconde. De nombreux fragments de l'objet initial existent souvent dans les talus de débris rocheux qui entourent ces cratères et à l'intérieur même de ces cratères. L'importance du phénomène est à la mesure de l'énergie dégagée : tout à fait insignifiante, même à l'échelle régionale.

Il n'en va pas de même pour les cratères de plus de 100 mètres et qui peuvent dépasser 100 km dans certains cas. La destruction est alors explosive et le corps céleste (même s'il s'agit d'une sidérite) est totalement vaporisé au cours de l'impact. C'est ce qui explique que l'on ne retrouve que des débris insignifiants de l'objet initial. En touchant le sol, celui-ci connaît une décélération exponentielle extrêmement rapide, qui s'amortit sous la surface terrestre à une profondeur égale à quelques fois son propre diamètre, et qui provoque des ondes de choc très puissantes. La pression ainsi créée instantanément peut sans doute atteindre, lors de certains impacts importants, celle que l'on doit trouver au centre de la Terre (plus de 10 mégabars).

Cette phase de compression des roches dans la zone atteinte par les effets du choc est suivie de deux autres phénomènes importants : l'écoulement hydrodynamique et la dispersion explosive du matériel comprimé. Un impact sérieux entraîne donc obligatoirement la vaporisation, la fusion, la bréchification, le métamorphisme de choc et la fracturation d'un volume de roches qui peut être assez impressionnant. Il convient d'insister sur le fait que tout se passe très rapidement : en moins d'une minute tout est fini, le temps que le sol revienne à sa pression normale.

Dans les environs du cratère, on trouve des roches fondues, particulièrement des sables de quartz et des verres de silice : les impactites. Celles-ci sont les roches du cratère transformées physiquement et chimiquement par les ondes de choc. J'en reparlerai plus pour expliquer ce qui les différencie des tectites.

Depuis le début des années 1960, de très nombreux travaux ont été consacrés à la recherche de critères utilisables pour l'identification possible d'impacts, en l'absence de débris météoritiques. Parmi les plus importants et les plus caractéristiques de ces critères d'identification, outre évidemment la forme particulière du cratère et ses rebords saillants, on peut d'abord citer les cônes de pression (les shatter-cones comme les appellent les spécialistes). Il s'agit de déformations coniques couvertes de stries rayonnantes et branchues qui vont de 1 cm à plus de 12 mètres. Elles sont provoquées par l'onde de choc sur les roches et ont leur apex dirigé vers la source de pression. L'avantage c'est que les cônes de pression sont très reconnaissables, et qu'ils n'existent que comme conséquence d'impacts sérieux. Aucun cataclysme terrestre, même très énergétique, n'est capable d'en produire. Il s'agit donc d'un critère significatif, une "marque de fabrique" en quelque sorte.

Dans le domaine géophysique, il faut citer dans le cas de grands cratères, d'importantes anomalies gravimétriques, correspondant au contraste entre le remplissage du cratère par des brèches lors de la retombée des débris après l'explosion et l'environnement non choqué. Certaines anomalies du champ magnétique peuvent être également mises en évidence sur le plan local.

Le métamorphisme de choc

Mais c'est surtout le métamorphisme de choc qui a renouvelé les critères acceptables d'identification des impacts météoritiques. L'existence de très hautes pressions, pouvant dépasser 1000 kbar, et de très fortes températures, pouvant dépasser 5000°C, entraînent obligatoirement de très nombreuses altérations des matériaux originaux. Les roches soumises à de hautes pressions de choc subissent des déformations microscopiques que l'on peut mettre en évidence. Les spécialistes ont noté des changements de phase à l'état solide, ainsi deux variétés denses de pression du quartz, la coesite (densité 2,93) et la stishovite (densité 4,28) ont été retrouvées dans certains cratères météoritiques ou à leur proximité immédiate. Enfin, les très fortes pressions et températures entraînent une fusion sélective ou complète et une vitrification des minéraux initiaux. Seuls les impacts d'objets cosmiques importants peuvent créer ces pressions et températures extraordinaires et leurs sous-produits. On essaie donc de les mettre en évidence dans les cratères d'impact supposés.

A partir de 1957, dans le cadre des explosions nucléaires souterraines, les savants américains ont créé plusieurs cratères artificiels, fort ressemblants sur le plan morphologique aux cratères d'impact. Le cratère artificiel le plus important a été "fabriqué" en juillet 1962, par l'explosion la plus énergétique de la série, connue sous le nom de "événement de Sedan". L'explosion de 100 kilotonnes placées à 192 mètres de profondeur, dans une zone d'alluvion du désert du Nevada, a produit un cratère de 400 mètres de diamètre et d'une profondeur maximale de 110 mètres. L'explosion la plus faible, connue sous le nom de "Danny Boy", en mars 1962, concernait une charge de 0,4 kilotonne seulement, placée à 33 mètres de profondeur dans un sol basaltique. Le cratère créé a 86 mètres de diamètre et une profondeur maximale de 29 mètres. Tous ces cratères artificiels ont été étudiés en détail par les spécialistes des astroblèmes, dans le but de comprendre les modifications et les déformations subies selon la nature du terrain sinistré.

La preuve moderne : les spinelles nickélifères

La preuve imparable de la réalité d’impacts d’astéroïdes et de comètes sur la Terre a été apportée dans les années 1980. Outre l’iridium et les quartz choqués qui sont des marqueurs importants, les spécialistes ont mis en évidence une nouvelle espèce minérale de la famille de la magnétite : les magnétites nickélifères appelées spinelles (9/10). Ce sont des minéraux très particuliers dont la formation nécessite la fusion à une température supérieure à 1300 °C d’un matériel cosmique fortement nickelifère dans une atmosphère riche en oxygène. Comme toujours durant la traversée de l’atmosphère à grande vitesse, la surface externe de la météorite s’échauffe et subit la classique ablation aérodynamique. De fines gouttelettes de matière en fusion deviennent provisoirement autonomes et s’oxydent rapidement au contact de l’atmosphère, cristallisant les magnétites nickélifères. Ces agglomérats de cristaux finissent par retomber à la surface terrestre et se mélangent alors aux autres résidus de l’impact.

Les spinelles se présentent sous la forme de pyramides octaédriques pour les monocristaux et sous la forme de motifs cruciformes ou étoilés pour les macles (qui sont des assemblages de plusieurs cristaux). Leur taille est microscopique : de 1 à 50 micromètres en général.

Les chercheurs ont fait cette découverte remarquable : leur composition dépend de la pression d’oxygène, donc de l’altitude à laquelle s’est effectuée l’oxydation. Les spinelles ne se forment donc pas à la surface terrestre et ne peuvent être des minéraux terrestres comme les autres. Leur présence signifie une association avec un impact cosmique, car les spinelles sont des vestiges de la météorite. Partout donc où l’on découvrira des spinelles, on saura qu’il y a eu un cataclysme d’origine cosmique. Ainsi la présence de spinelles dans la fameuse couche K/T riche en iridium a confirmé d’une façon quasi certaine l’hypothèse de l’impact cosmique au détriment de l’hypothèse volcanique concurrente.

Relations entre les impacts d'astéroïdes et les astroblèmes

Une formule très simple permet de se faire une idée assez précise du rapport existant entre les cratères météoritiques et les astéroïdes responsables. Des calculs théoriques assez complexes ont montré que la formule ½ diamètre = 3Ö masse ´ vitesse2 donne une bonne approximation du diamètre d'un cratère météoritique formé comme résultat de l'explosion au point d'impact. L'énergie d'un impact et le diamètre du cratère qui en résulte dépendent donc principalement de la masse de l'astéroïde et de sa vitesse au moment de l'impact. Il faut cependant prendre en considération d'autres données, comme la nature physique de l'objet cosmique (qui peut être assez différente) et celle du substrat terrestre choqué, si l'on veut faire une analyse plus fine.

Dès les années 1960, les spécialistes sont tombés d'accord, pour admettre comme valeur moyenne, que la part totale revenant à la densité de l'objet cosmique et à sa vitesse dans l'énergie d'un impact est de 2 ´ 106 joules (2 millions de joules). Cette part dans l'énergie correspond à un objet de densité 5,0 et à une vitesse d'impact de 20 km/seconde (66 fois la vitesse du son dans l'air = Mach 66). Elle correspond également aux densités et vitesses suivantes : densité 2,0 et vitesse = 31,6 km/s (cas fréquent pour une comète ou un EGA cométaire type Oljato), densité = 3,0 et vitesse = 25,8 km/s, densité = 4,0 et vitesse = 22,4 km/s, densité = 6,0 et vitesse = 18,3 km/s, densité = 7,0 et vitesse = 16,9 km/s, densité = 8,0 et vitesse = 15,8 km/s (cas pour une sidérite du type Meteor Crater).

On estime, en moyenne, qu'un astéroïde peut créer un cratère d'un diamètre 20 fois supérieur au sien. Dans la réalité, le résultat peut varier d'une manière assez sensible selon la nature de l'objet et celle du substrat choqué, mais il s'agit d'un ordre de grandeur tout à fait acceptable, utilisé d'ailleurs par la quasi-totalité des spécialistes.

Ainsi, on se rend compte qu'un cratère de 1 km peut être creusé par un EGA de 50 mètres seulement au moment de l'impact (de densité 5,0 ayant une vitesse de 20 km/s) ou par une sidérite de même diamètre ayant une vitesse de 16 km/s. L'énergie libérée est de 6,6 ´ 1016 joules, soit l'équivalent d'un séisme de magnitude 7,8. Si la fragmentation ne réduisait pas dans une proportion importante le nombre d'impacts d'EGA de cette catégorie de diamètre, les cratères météoritiques terrestres de quelques centaines de mètres seraient fort nombreux, en dépit de leur très faible espérance de vie.

Un cratère de 10 km est creusé par un EGA de 500 mètres, libérant une énergie de 6,6 ´ 1019 joules. J'ai dit au chapitre 4 que l'équivalence entre les plus énergétiques des cataclysmes purement terrestres et un impact d'EGA se faisait à environ 1020 joules pour un EGA de 600 mètres de diamètre moyen. On remarque donc que la formation d'un cratère météoritique de 12 km est comparable à ces très grands cataclysmes, mais aussi que la formation d'un cratère plus petit (même de 10 km de diamètre) libère une énergie inférieure à celle d'un grand cataclysme terrestre, ce qui pour beaucoup sera une surprise.

Par contre, tout cratère météoritique de plus de 12 km de diamètre est la trace d'une catastrophe (sur le plan énergétique) de plus grande envergure que celles que l'on a répertoriées à l'époque historique. Un cratère de 20 km, limite inférieure de ce que l'on considère comme un "grand" cratère, est creusé par un EGA de 1 km, diamètre déjà important pour un astéroïde qui frôle la Terre. L'énergie libérée est de 5,2 ´ 1020 joules. Les grands astroblèmes de 100 km de diamètre et plus ont été formés par des objets de 5,0 km et plus. Inversement un NEA "géant" comme Eros, avec son diamètre moyen de 24 km, mais une vitesse d'impact nettement inférieure à 20 km/s, serait capable de creuser un cratère gigantesque de près de 400 km, à condition toutefois qu'il évite la fragmentation en traversant l'atmosphère terrestre, ce qui n'est pas du tout certain.

Les petits cratères météoritiques terrestres certains

Plusieurs catalogues de cratères météoritiques (formations récentes, rappelons-le) et d'astroblèmes (formations fossiles plus difficilement décelables) ont été publiés depuis cinquante ans, toujours plus complets évidemment, toujours plus précis en ce qui concerne l'âge des diverses formations (11/12).

On connaît seize petits cratères (ou groupes de cratères associés) certains, aux environs ou à l'intérieur desquels on a retrouvé des débris de météorites. Ils sont répertoriés dans le tableau 11-1. Ce tableau indique successivement, pour les cratères classés par ordre de latitudes décroissantes : le nom du cratère avec la région et le pays concernés, ses coordonnées géographiques, son diamètre en mètres ou le diamètre du cratère le plus important en cas de cratères multiples, éventuellement le nombre total de cratères du site et l'âge approximatif en milliers d'années.

Tous ces cratères (sauf un) ont moins de 60 000 ans et sont donc très récents (à l'échelle astronomique et géologique). Ils ont été formés par des EGA de très petites dimensions, de l'ordre de 60 mètres pour la sidérite qui creusa le Meteor Crater et inférieurs à 10 mètre de diamètre (pour un objet sphérique) pour les cratères de moins de 200 mètres de diamètre. On peut noter qu'un cratère sur deux est double ou multiple, ce qui confirme que la fragmentation dans les couches denses de l'atmosphère est tout à fait courante pour les petits objets cosmiques.

Sur les seize sites, quatre sont australiens, trois américains et trois ex-soviétiques. Ce n'est pas une surprise, car avec le Canada, ce sont les pays qui ont fait le plus d'efforts pour les repérer et les étudier. Il est certain que d'autres petits cratères ont été formés sur la Terre depuis 20 000 ans, peut-être une centaine. Quelques-uns restent probablement à découvrir et à identifier (par la présence de météorites associées), mais la plupart sont indécelables depuis longtemps, "gommés" de la surface terrestre.

Les astroblèmes principaux probables

Le tableau 11-2 répertorie les 39 astroblèmes quasi certains actuellement recensés d'un diamètre de 20 km ou plus, c'est-à-dire qui ont été formés par des EGA de 1 km de diamètre au minimum. Ce tableau indique successivement, pour les cratères classés par ordre de latitudes décroissantes : le nom du cratère avec la région et le pays concernés, ses coordonnées géographiques, son diamètre (initial) en km et son âge en millions d'années.

Ce tableau des grands astroblèmes appelle un certain nombre de commentaires. D'abord, la répartition géographique montre une inégalité très nette entre les deux hémisphères, mais aussi entre les différentes régions. Sur les 39 cratères, 31 sont situés entre 76° et 31° de latitude nord et seulement 7 entre 15° et 32° de latitude sud. Le Canada se taille la part du lion avec 12 astroblèmes, suivi de l'ex-URSS avec 10 astroblèmes. Même si le Canada se trouve un peu avantagé par rapport à d'autres grandes régions, du fait de l'existence de son bouclier, qui est une région géologiquement très stable, il n'en demeure pas moins que l'important travail de recherche et d'étude des spécialistes canadiens depuis 1950 permet de faire la différence quand on regarde les statistiques. D'immenses territoires comme l'Inde, la Chine, l'Amérique du Sud, l'Afrique doivent aussi receler leur part d'astroblèmes. Malheureusement, ils n'ont pas encore été étudiés avec le même soin que l'Amérique du Nord ou l'ex-URSS.

Au niveau des âges, on trouve un très large éventail, de deux milliards d'années (2000 MA) pour les plus anciens (Sudbury et Vredefort) à 3,5 MA seulement pour l'astroblème sibérien de Elgygytgyn qui a 23 km de diamètre et qui est parfaitement repérable de l'espace. Plusieurs grands astroblèmes ont moins de 100 MA, notamment le célèbre cratère de Chicxulub, dont je reparlerai longuement dans d'autres chapitres, et qui est daté de 65 MA, en liaison avec la fin de l'ère secondaire.

On ne retient pas moins de six astroblèmes quasi certains ayant eu un diamètre initial de 100 km ou plus. Ce sont par ordre décroissant : Chicxulub (Mexique) avec 180 km, Acraman (Australie) avec 160 km, Sudbury (Canada) et Vredefort (Afrique du Sud) avec 140 km et Popigai (Sibérie) et Manicouagan (Canada) avec 100 km.

Signalons également l'existence de deux paires de grands cratères formés en même temps, suite à une fragmentation tardive de l'objet cosmique responsable : une en Russie, Kara (65 km) et Ust-Kara (25 km) et l'autre au Québec, très connue, les Clearwater lakes (appelés east et west) d'un diamètre de 32 et 22 km. Ces deux cas de cratères doubles montrent que la fragmentation est peut-être plus difficile pour les grands cratères que pour les petits, mais qu'elle n'est nullement impossible. On pense aussi que plusieurs fragments d'un astéroïde peuvent participer à la formation d'un même cratère, si la fragmentation s'est effectuée à basse altitude, ce qui paraît probable pour des objets ayant une configuration structurale de bonne qualité.

Enfin, parmi ces grands astroblèmes, signalons le cratère français de Rochechouart, dans le Limousin. Il date d’environ 185 MA et avait un diamètre initial de 23 km, ramené aujourd'hui à 15 km. On pense qu'il a été creusé par une sidérite ou une sidérolithe.

Le XXIe siècle devrait être décisif pour l'identification définitive de nombreuses autres structures d'origine cosmique, notamment dans un premier temps par le repérage de formations totalement invisibles du sol, mais plus ou moins repérables à partir des satellites qui observent la Terre. L'étude sur le terrain pose d'autres problèmes, certains pays n'étant pas partisans que des spécialistes étrangers viennent étudier de trop près leurs possibles astroblèmes.

De nombreux autres astroblèmes plus petits (entre 2 et 20 km) sont connus. Le nombre total d'astroblèmes quasi certains, de l'ordre actuellement de 170, augmente chaque année.

Les astroblèmes terrestres de moins de 40 millions d'années

Le nombre d'astroblèmes de moins de 40 MA augmente continuellement. Le tableau 11-3 répertorie 36 cratères certains et possibles (c'est-à-dire non encore retenus définitivement car le doute subsiste à leur sujet) (13). Ce sont donc des formations des ères tertiaire et quaternaire. On peut les qualifier de récentes à l'échelle géologique, puisque toutes ont moins de 1/100 de l'âge de la Terre (estimé à 4,6 milliards d'années, rappelons-le). Le tableau 11-3 donne les mêmes indications que le tableau 11-2, mais dans un ordre différent : j'ai choisi ici l'ordre chronologique qui est plus parlant.

A l'examen de ce tableau des astroblèmes "récents" (à l'échelle géologique et astronomique, j'insiste bien sur ce point), on se rend compte que la Terre a subi quelques gros impacts depuis moins de 40 MA, même si certains d'entre eux sont contestés pour diverses raisons. Dans l'ordre de la liste, on voit que trois cratères importants sont recensés à –35 MA : le golfe du Saint-Laurent (contesté mais fort possible), Chesapeake Bay, un remarquable astroblème de 90 km de diamètre, très difficile à repérer, mais bien réel (c'est la preuve que certains astroblèmes de grande taille sont eux aussi gommés rapidement par la sédimentation) et Popigai, l'astroblème sibérien bien connu de 100 km, creusé par un astéroïde de 5 km de diamètre.

On peut aussi citer les cratères allemands du Nördlinger Ries, de Steinheim et de Stopfenheim Kuppel qui forment un triplet, c'est-à-dire un ensemble de trois cratères liés génétiquement (14). Ces trois formations de 24 km, 3,5 et 8 km respectivement de diamètre sont voisines et alignées. Cet alignement indique presque obligatoirement une origine commune, hypothèse qui est totalement confirmée par le fait que les trois cratères ont un âge identique : 15 MA. Ils ont été creusés par les fragments d'un EGA morcelé en traversant l'atmosphère, phénomène quand même moins fréquent pour les gros objets que pour les petits, puisque les cratères doubles (ou triples) de bonne taille sont relativement rares.

Vers –3,5 MA, c'est l'astroblème sibérien de Elgygytgyn qui fut formé par un EGA de plus de 1 km de diamètre. Son diamètre est de 23 km, ce qui est déjà important pour un astroblème. C'est le premier gros impact dont furent témoins les premiers Homo ou leurs prédécesseurs immédiats, comme je l'expliquerai au chapitre 15. On se doute de l'effroi des témoins rescapés devant un cataclysme de cette ampleur.

Dernier très grand cataclysme, celui qui a créé l'astroblème de Wilkes Land, il y a 700 000 ans. Je reparle plus loin de cette formation, génitrice de la très importante famille de tectites connue sous le nom générique des australasites.

Enfin, le tableau 11-3 recense deux cratères très récents, celui de Sithylemenkat (15) en Alaska, vieux de 12 000 ans et d'un diamètre de 12 km, et celui de Köfels (16) en Autriche, vieux de 8500 ans seulement et d'un diamètre de 5 km. Ces deux formations, quasi contemporaines, sont très contestées mais en fait elles sont probables. J'en parlerai longuement au chapitre 19, car elles font partie de "l'histoire cosmique des hommes". De nombreux indices postulent en leur faveur.

Ce tableau, obtenu seulement après un demi-siècle de recherches, est assez éloquent pour plusieurs raisons. D'abord, il est certain qu'il est bien incomplet et qu'il devra être mis à jour régulièrement. La distribution par hémisphères, 29 pour l'hémisphère nord et 7 seulement pour l'hémisphère sud, montre bien qu'il y a du pain sur la planche pour les spécialistes au niveau de la détection. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que pratiquement aucun EGA cométaire et de nombreux EGA planétaires qui pénètrent dans l'atmosphère terrestre ne participent à la cratérisation, du fait de leur désintégration avant de toucher le sol.

Enfin, on sait que la Terre est une planète essentiellement océanique, puisque 71 % de sa surface concernent des océans et des mers, et il est bien évident que 7 impacts sur 10 ont lieu dans des régions immergées. On peut d'ailleurs, semble-t-il, espérer pouvoir identifier dans l'avenir quelques formations marines avec les moyens modernes d'investigation.

Pour toutes ces raisons, les statistiques actuelles sur les astroblèmes récents sont loin de refléter la fréquence exacte des collisions entre les corps d'origine cosmique et notre planète. Je rappelle ce qui a été dit au chapitre 4 au sujet des météorites de l'armée américaine : quasiment chaque mois un objet de 10 mètres de diamètre moyen entre dans l'atmosphère terrestre.

De toute manière, la conclusion est claire : l'impactisme terrestre existe encore de nos jours à l'échelle astronomique et géologique, même si ses effets sont moins sensibles à l'échelle humaine. Ses conséquences ont toujours été très importantes comme nous le verrons en détail dans plusieurs chapitres ultérieurs. La Terre, la vie, l'évolution des espèces, l'histoire des hommes ont été tributaires des cataclysmes cosmiques.

Quelques astroblèmes géants hypothétiques

En dehors des astroblèmes probables ou seulement possibles, il reste de nombreuses formations que l'on peut qualifier de douteuses, de problématiques ou d'hypothétiques, de toutes dimensions, pour lesquelles certains auteurs ont proposé (sans preuves) une origine cosmique. Sans tomber dans "l'astroblémophilie" ou "l'astroblémomanie", pour reprendre deux termes utilisés par Théodore Monod (1902-2000) dans les années 1960 pour les dénoncer (17) et pour marquer son inquiétude " de voir se gonfler inutilement la liste des astroblèmes de toutes les apparences circulaires que peut fournir un atlas ", il faut cependant dire quelques mots de certains de ces astroblèmes hypothétiques.

C'est surtout René Gallant (1906-1985) (18) qui a proposé de nouvelles formations insoupçonnées jusque-là et qui a été peut-être un peu loin. Mais il serait très exagéré d'avancer que toutes ses propositions sont erronées, et l'avenir lui donnera certainement partiellement raison. Je me limiterai ici aux formations géantes de 100 km et plus.

Comme astroblèmes géants possibles, mais non encore prouvés, des chercheurs soviétiques ont signalé (19) en 1975 la partie nord de la mer Caspienne, qui pourrait être une vaste cuvette d'origine cosmique de 400 km de diamètre, et une importante dépression dans le Kazakhstan, centrée sur le lac Tengiz près de Tselinograd, qui a une bonne chance d'être un très vieux astroblème de 350 km de diamètre. Ces chercheurs ont également causé une vive surprise en annonçant que le lac Balkhach pourrait être un astroblème double : la partie sud du lac serait un astroblème de 285 km et la partie est un astroblème de 315 km.

Au Canada, il y a une formation reconnue depuis 1953 que l'on considère comme une partie émergée d'astroblème. C'est l'arc des îles Nastapoka (20), connu aussi comme l'arc de la baie d'Hudson. Cette formation, très caractéristique vue de l'espace, aurait eu un diamètre initial de 440 km, mais la plus grande partie est aujourd'hui recouverte par les eaux de la baie d'Hudson.

En 1964, Gallant a proposé comme astroblèmes possibles deux formations encore plus grandes : la mer du Japon (800 km) et le golfe de Campêche qui a un arc caractéristique bien connu et qui pourrait être un ancien astroblème de 650 km aujourd'hui immergé. Comme formations plus petites, il a proposé le golfe des Mosquitos, formation également bien arquée sur la mer des Antilles et qui pourrait correspondre à un vestige d'astroblème de 300 km, la baie d'Ungava au Canada (240 km), ainsi que plusieurs autres formations maritimes, notamment en Argentine et en Antarctique. C'est cette prolifération, peut-être un peu démesurée (seul l'avenir le dira), qui a poussé Théodore Monod à parler ironiquement d'astroblémomanie.

Mais il ne faut pas perdre de vue que tout impact d'origine cosmique entraîne la formation d'une dépression proportionnelle au diamètre. La profondeur atteint souvent plusieurs centaines de mètres, et il est bien évident que ces cuvettes sont des formations rêvées idéales comme réceptacles aquatiques. De nombreux lacs et aussi des arcs côtiers anormaux sont, à coup sûr, d'origine cosmique. Il n'est pas exclu non plus que d'autres éléments arqués importants, caractérisant le relief de l'écorce terrestre, soient liés à des cratères d'impact anciens, notamment certaines guirlandes d'îles et des fosses océaniques. Enfin, rappelons l'existence d'une vingtaine d'astrons, astroblèmes à la limite de la visibilité et dont il n'est plus possible de vérifier l'origine, toute trace de métamorphisme d'impact ayant été éliminée par le temps.

L'identification des formations d'origine cosmique a fait un bond fantastique durant la seconde partie du XXe siècle, mais on peut être sûr qu'à la fin du XXIe siècle, nos listes actuelles d'astroblèmes paraîtront bien désuètes. Nos successeurs ont du pain sur la planche !

Les tectites, un mystère définitivement élucidé

Les tectites (21) (du grec tectos, qui signifie fondu) sont des petites pierres vitreuses qui ressemblent aux obsidiennes (verres naturels formés lors de certaines éruptions volcaniques), mais qui diffèrent de toutes les laves terrestres par leur composition chimique. Ces tectites ont longtemps constitué un mystère pour les astronomes et les spécialistes des météorites.

La première allusion les concernant dans la littérature scientifique remonte à 1787. Elles étaient alors considérées comme une catégorie spéciale de verres volcaniques et parentes lointaines des obsidiennes. Les tectites furent étudiées en 1844 par Charles Darwin (1809-1882), le célèbre naturaliste britannique, qui pensait être en présence de bombes volcaniques. Leur nom fut donné en 1900 par le géologue autrichien Eduard Suess (1831-1914) qui voyait en elles des météorites vitrifiées.

De nombreuses autres hypothèses ont été envisagées pour expliquer l'origine des tectites : objets vitreux d'origine humaine, résidus d'une planète du Système solaire ou d'une comète, fulgurites (sables fondus sous l'effet de la foudre), fragments du sol lunaire projetés sur la Terre lors de l'impact d'astéroïdes ou de comètes sur notre satellite, ou même restes de laves projetées vers la Terre par l'activité volcanique lunaire. Cette dernière hypothèse a eu quelques partisans jusqu'à la fin des années 1970, mais elle ne résiste pas à l'analyse, puisqu'elle sous-tend que la Lune est encore un astre géologiquement actif, ce que les différentes missions Apollo ont formellement démenti.

La seule hypothèse qui résiste à un examen poussé, et qui est aujourd'hui universellement retenue, est d'ailleurs de loin la plus simple et la plus logique : les tectites sont des fragments de roches sédimentaires terrestres, arrachés du sol lors d'importants impacts météoritiques, fondus sous l'effet du choc et figés sous leur forme vitreuse à la suite du refroidissement brutal qu'ils subissent pendant leur trajet dans l'atmosphère, entre le cratère d'impact dont ils sont issus et leur site définitif.

Certains spécialistes ont eu tendance à associer dans un groupe unique les impactites et les tectites. C'est une erreur et il est nécessaire d'examiner ce qui les différencie.

Mécanisme de formation des impactites et des tectites

On a reconstitué de la manière suivante la formation des impactites et des tectites. Sous l'action de la violente onde de choc provoquée par l'impact, les roches du substrat choqué subissent diverses transformations. Un certain volume de roches est vaporisé, un autre fondu (à plus de 2500° C), un autre pulvérisé, un autre enfin seulement brisé et concassé.

Tout ce matériel est projeté dans l'atmosphère à des altitudes différentes, de quelques centaines de mètres à plusieurs centaines de kilomètres. Le matériel solide et une partie du matériel fondu retombent dans le cratère ou à sa proximité immédiate, pour former les impactites qui ont souvent des formes tourmentées et très irrégulières. Ces impactites sont donc des fragments minuscules (quelques grammes ou dizaines de grammes) des roches préexistantes du substrat choqué, mais transformées physiquement et chimiquement par le métamorphisme de choc. Ces transformations sont maximales là où les pressions et les températures sont les plus élevées. Les transformations sont moins sensibles pour les zones périphériques du substrat choqué, là où les pressions et les températures sont inférieures.

Mais durant la projection des roches du cratère, tout le matériel ne retombe pas à proximité immédiate de ce cratère. Les gaz et la matière vaporisée montent davantage dans l'atmosphère, jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres, en compagnie d'une partie du matériel fondu. Celui-ci retombe sur Terre dans des sites plus ou moins éloignés selon la violence de l'éjection, mais toujours de quelques centaines de kilomètres au moins de leur point de départ, c'est-à-dire du cratère parent, pour former ce que l'on appelle les tectites au sens strict. Les tectites sont donc toujours séparées du cratère dont elles sont issues, et elles ont subi ce que l'on appelle l'ablation aérodynamique durant leur traversée de l'atmosphère. Le résultat est que les vraies tectites sont toutes des objets de forme régulière : disques, objets en forme de poires, de larmes et d'haltères, évoquant les gouttes d'un liquide visqueux figées brutalement.

On a découvert également des microtectites (diamètre inférieur à 1 mm), lors de carottages océaniques en eau profonde. Cette découverte inattendue est tout à fait intéressante, elle a permis d'élargir considérablement les sites de tectites, qui sont en réalité beaucoup plus vastes que ce qu'on imaginait jusqu'alors. Il faut savoir que les EGA tombent sur Terre avec un angle incident qui peut être considérable et que, par conséquent, l'éjection des roches du cratère se fait avec une trajectoire oblique. La distribution géographique des tectites et des microtectites, plus ou moins en éventail, permet de repérer le cratère parent ou du moins la région où il devrait se trouver.

En conclusion, il faut retenir ce fait très important : l'existence même des tectites est la preuve de la réalité de l'impactisme terrestre. Pour chaque famille de tectites, il y a (ou il y a eu) obligatoirement un cratère parent. La formation de tectites nécessite un cratère parent d'au moins 10 km de diamètre, alors que la formation d'impactites ne nécessite qu'un cratère et une énergie libérée beaucoup plus modestes.

Par contre, il faut signaler que plusieurs grands cratères d'impact récents n'ont apparemment pas engendré de tectites. Il y a là un problème non résolu. On a notamment essayé d'associer, mais sans succès, un des champs de tectites connus à l'astroblème géant de Popigai qui date de 35 ± 5 MA. La cratérisation a été extraordinairement énergétique (7 ´ 1022 joules) et la masse de produits éjectés tout à fait considérable, mais rien n'a été encore retrouvé qui puisse correspondre à ces débris. Au point même que certains spécialistes croient qu'une grosse partie de ces débris a été provisoirement satellisée ou a même échappé à l'attraction terrestre.

Les familles de tectites et les astroblèmes associés

On connaît depuis longtemps quatre grands groupes de tectites et on a songé, dès que possible, à les associer à des cratères parents. Cette liaison génétique a pu être établie dans les années 1960 pour deux des quatre groupes.

Les tectites de Côte-d'Ivoire, connues sous le nom d'ivoirites, ont le même âge que le lac-cratère de Bosumtwi au Ghana, soit 1,0 ± 0,1 MA. Les tectites d'Europe centrale, connues sous le nom de moldavites, ont exactement le même âge que le cratère allemand de Nördlinger Ries, soit 15,0 ± 0,5 MA. La parenté pour ces deux familles ne fait pas de doute.

Pour les deux autres champs de tectites, les choses sont beaucoup plus difficiles à établir, comme je vais l'expliquer dans les deux sections suivantes, mais il semble que le cas des tectites américaines, connues sous le nom de bédiasites et de georgites, ait été résolu récemment. Pour les australasites, les tectites les plus récentes, et qui datent de seulement 700 000 ans, pratiquement tout reste à faire, et comme nous le verrons dans plusieurs chapitres ultérieurs, la vérité s'annonce extraordinaire, si extraordinaire qu'elle entraîne un nouveau verrou psychologique, comme ce fut déjà le cas pour les météorites et les astroblèmes et qui retarde les recherches elles-mêmes.

Le tableau 11-4 regroupe les données sur les tectites : familles et sous-familles, localisations, âges approximatifs, astroblèmes associés ou soupçonnés et diamètre des EGA responsables.

Avant d'étudier les deux dernières familles de tectites, il faut revenir un instant sur cette énigme qui étonne astronomes et géologues : pourquoi n'y a-t-il que quatre grandes familles de tectites, alors que les astroblèmes existent par centaines, même si seulement 170 environ sont actuellement recensés de façon certaine ? Le problème présente deux aspects : quel est l'âge maximal possible de "survie" des tectites ?, et quelle est l'énergie minimale nécessaire au moment de l'impact pour qu'il y ait effectivement formation de tectites ?

L'impact dont résultent les tectites de Côte-d'Ivoire semble avoir été assez anodin (EGA de 500 mètres de diamètre) et correspond pratiquement au minimum dont nous avons parlé : cratère parent de 10 km et énergie libérée de l'ordre de 7 ´ 1019 joules. Donc, théoriquement, tous les astroblèmes de plus de 10 km ont été capables d'engendrer des tectites. Théoriquement seulement, car un cratère récent (1,1 MA), celui de Zhamanshin en ex-URSS n'a, lui, été capable que d'engendrer des impactites (les irgizites, considérées à tort par plusieurs auteurs comme la cinquième grande famille de tectites).

D'autre part, on sait que les tectites les plus anciennes ont 35 MA. On peut penser que les tectites ne se conservent pas plus de 50 MA, et il n'y a sans doute rien d'anormal à ce que l'on n'en ait pas découvert de plus anciennes. Il est probable que la multiplication des carottages en eau océanique profonde permettra de découvrir des microtectites anciennes, liées génétiquement à d'autres familles que les quatre recensées à l'heure actuelle. Il ne faut pas oublier enfin que plusieurs cratères récents ont des positions excentrées, dans des régions difficiles d'accès et peu peuplées. Il n'est donc pas tout à fait exclu que l'on retrouve un jour des tectites encore inconnues dans ces régions déshéritées ou dans les océans.

Trois cratères parents pour les tectites d'Amérique du Nord ?

Pour bien comprendre la difficulté qu'il y a d'apporter la preuve d'une liaison génétique entre les tectites d'Amérique du Nord et un cratère parent, je rappelle d'abord ce que j'écrivais à ce sujet en 1982 dans la première version de La Terre bombardée (p. 151) :

" La parenté est franchement délicate à établir pour les tectites d'Amérique du Nord qui sont les plus anciennes connues (35 ± 1 millions d'années). Plusieurs essais ont été tentés pour faire de l'astroblème de Popigai le cratère parent, mais tous ont échoué. Ni l'âge (5 millions d'années d'écart), ni la composition chimique, ni surtout la distribution géographique de ces tectites ne correspondent et il faut se faire une raison : il n'y a pas de liaison génétique entre les tectites d'Amérique du Nord et Popigai. Depuis la fin des années 1950, plusieurs auteurs ont pensé résoudre le problème en attribuant à la partie sud du golfe du Saint-Laurent, qui a une forme sensiblement circulaire, le rôle de cratère d'impact. Cette formation canadienne est pratiquement la seule possible par sa taille (290 km de diamètre) et surtout par ses coordonnées pour expliquer la distribution géographique de ces tectites et microtectites qui existent dans le Maine, au Texas, en Floride, à Cuba et dans la mer des Caraïbes. En fait, le champ de ce groupe vient d'être considérablement augmenté par la découverte de microtectites associées dans plusieurs sites du Pacifique et même dans l'océan Indien. Il a pu concerner la moitié de la surface terrestre et près de 1000 milliards de tonnes de microtectites ont dû être réparties dans cette surface tout à fait considérable. Bien que l'hypothèse du golfe du Saint-Laurent soit toujours contestée, elle reste très plausible. Le cratère a totalement été oblitéré par l'âge et par la sédimentation très importante dans cette région et il ne peut être étudié comme un astroblème classique. Ce qui crée, évidemment, pour le moment, de sérieuses difficultés pour prouver qu'il s'agit bien d'une formation d'origine cosmique. Mais ne l'oublions pas : il y a eu obligatoirement un cratère géant pour engendrer cette masse énorme de microtectites et le golfe du Saint-Laurent est le mieux placé pour avoir été celui-là. "

Les choses se sont à la fois éclaircies et compliquées depuis la rédaction de ce texte. Éclaircies, parce que l'on a découvert un cratère qui peut fort bien convenir comme cratère parent : celui de Chesapeake Bay (22/23), et compliquées parce que ce sont aujourd’hui quatre grands cratères qui ont une ancienneté soupçonnée de 35 MA. Voyons ce problème de cratérisation multiple.

La découverte du grand cratère de Chesapeake Bay (90 km), doublée du cratère océanique de Tom’s Canyon (20 km), laisse à penser que le problème des tectites américaines est résolu. Mais celui du golfe du Saint-Laurent reste entier et l’origine cosmique plausible, et même probable selon quelques sondages dans le secteur. Le fait que ces deux grands cratères ne soient pas décelables selon les critères habituels ne doit pas surprendre. Tous les astroblèmes maritimes et côtiers, on l’a bien compris avec Chicxulub (voir le chapitre 12), doivent être traités en prenant en compte un autre agent, extrêmement efficace à long terme, qu’est la sédimentation, qui cache à la vue simple des chercheurs et des satellites le substrat choqué en très peu de temps (quelques milliers d’années seulement).

Le problème s’est encore compliqué du fait que l’astroblème de Popigai, jadis daté à 30 MA, a été vieilli et est daté maintenant de 35 ± 5 MA. L’âge médian est le même que les trois autres cratères certains ou soupçonnés. Nous sommes donc en présence de quatre cratères, dont trois très grands (d > 80 km) creusés par des objets célestes d’au moins 4 km chacun (et même beaucoup plus pour celui du golfe du Saint-Laurent), pour la frontière Éocène-Oligocène. Popigai est-il vraiment contemporain des trois autres ? Sa position géographique et la composition du substrat choqué avaient déjà parues rédhibitoires pour une parenté avec les tectites d’Amérique du Nord, comme le rappelle l’extrait rappelé plus haut. Mais par contre on s’étonnait, à juste titre, que Popigai n’ait pas produit sa propre famille de tectites.

Il faudra attendre encore pour résoudre cet irritant problème. Mais maintenant il y a trop-plein d’astroblèmes pour expliquer l’existence des bédiasites et des georgites, et aussi la multitude de microtectites associées qu’on a trouvées dans l’Atlantique, mais aussi dans le Pacifique et l’océan Indien.

Le problème des tectites d'Australasie

Les australasites sont le nom générique de la principale famille de tectites qui regroupe plusieurs sous-familles : les indomalaysianites, les indochinites, les philippinites et les australites, représentant à elles toutes près de trois millions de spécimens différents, parmi lesquels moins de 100 000 ont été étudiés en détail. Leur dispersion géographique laissait croire, avant les possibilités de datation précise, que ces variétés régionales n'avaient rien en commun et correspondaient à des sources différentes, d'âge différent. En fait, il n'en est rien, les diverses datations modernes ont montré sans aucune ambiguïté que toutes ces tectites ont exactement le même âge et qu'elles ont été engendrées par un cataclysme unique (mais peut-être un objet morcelé au moment de l'impact) d'une puissance fantastique.

Les tectites et les microtectites d'Australasie sont très probablement liées à un événement d'origine cosmique de première importance en ce qui concerne la Terre. Il n'est pas exclu que cet événement, vieux d'environ 700 000 ans, soit même le plus important de l'ère quaternaire, puisqu'il est lié à la dernière inversion totale du champ magnétique terrestre.

Comme toujours, quand il y a un cataclysme mystérieux comme celui-là, les savants des différentes disciplines sont extrêmement divisés, à la fois sur l'origine, les preuves terrestres et les conséquences de l'impact. Cela n'a jamais été si vrai que dans le cataclysme qui nous occupe ici. La seule preuve irréfutable est l'existence des tectites. Qui dit tectites dit obligatoirement impact, et dans le cas présent, impact majeur du fait de la dispersion géographique très importante des résidus. Jusque-là, tout le monde peut s'accorder. Mais le premier sujet (très profond) de discorde concerne le cratère parent : où est-il ? Il est à la fois très récent, puisque d'un âge équivalent à celui des tectites, soit 700 000 ans, et inconnu.

En 1976, le géologue américain John Weihaupt proposa une hypothèse séduisante, et apparemment très solidement étayée : le cratère existerait sous les glaces de l'Antarctique, dans la région de Wilkes Land (24/25), déjà soupçonnée d'ailleurs dès la fin des années 1950 à la suite de deux expéditions travaillant séparément, l'une française et l'autre américaine. En effet, la distribution des tectites d'Australasie laissait supposer une origine antarctique probable. Le cratère fantôme, connu maintenant sous le nom de Wilkes Land, serait en fait un cratère géant de 240 km de diamètre et d'environ 850 mètres de profondeur et serait situé dans une zone montagneuse haute de 2300 à 2600 mètres au-dessus du niveau de la mer. Sa position serait centrée sur 71°30'S et 140°00'E, autant dire dans une région difficilement accessible, mais par contre particulièrement intéressante puisqu'elle présente un assemblage inhabituel d'anomalies géologiques et géophysiques. C'est surtout une analyse poussée des anomalies gravimétriques très importantes dans cette région qui aurait permis a Weihaupt d'obtenir la confirmation de l'existence du cratère parent des australasites, mais également une vingtaine d'autres raisons plus ou moins convaincantes.

Plutôt moins que plus, semble-t-il, car les résultats de Weihaupt ont été très sérieusement critiqués, et aujourd'hui de nombreux géologues et géophysiciens ne veulent pas entendre parler de cratère antarctique. Ils n'aiment pas les cratères fantômes et refusent d'y croire. Pourtant seul un cratère situé dans la région de Wilkes Land peut expliquer la distribution des australasites, et il n'y a aucune raison pour que ce continent de glace soit épargné. Le diamètre retenu par Weihaupt, 240 km, paraît colossal à première vue, et il est peut-être un peu exagéré, même s'il correspond aux anomalies gravimétriques signalées plus haut. Car pour creuser un cratère d'un tel diamètre, celui de l'EGA responsable aurait dû être de l'ordre de 12 km, la masse voisine de 4,5 ´ 1012 tonnes et l'énergie cinétique de la collision de l'ordre de 9 ´ 1023 joules, si l'on s'en tient aux valeurs moyennes en ce qui concerne la densité de l'objet et la vitesse d'impact. Seuls trois NEA actuellement connus dépassent ce diamètre de 12 km (Ganymed, Eros et Don Quixote), aucun d'eux n'étant actuellement de type Apollo et susceptible donc de croiser l'orbite terrestre. Mais d'un autre côté, il ne faut pas oublier que la zone de distribution en éventail des australasites (tectites et microtectites) est de l'ordre de 10 000 ´ 6000 km, ce qui est considérable (et unique), et montre bien l'extrême violence de l'impact, si l'impact a été unique.

Les adversaires de l'option antarctique pour le cratère parent sont restés quasiment sans voix jusqu'à présent, en dehors de leurs critiques. Comme il leur faut trouver un cratère de rechange, un petit cratère à la frontière du Laos a été proposé, mais il n'explique pas, loin s’en faut, la totalité de la distribution géographique des australasites, notamment des australites qui n’ont strictement rien à voir avec un impact laotien. Le fond du problème est bien là : il est impératif d’expliquer le pourquoi de la distribution de toutes les sous-familles d’australasites.

Reste la possibilité astronomique d'un impact multiple, ou en chapelet (comme Shoemaker-Levy 9 en 1994 sur Jupiter) qui pourrait peut-être expliquer à la fois la dispersion, l'âge identique des tectites, l'absence de cratère géant, l'inversion géomagnétique et les bouleversements dans la biosphère. Mais la formation même des tectites pose alors de sérieux problèmes. Est-il crédible que plusieurs fragments aient pu engendrer leurs propres tectites, sachant, comme je l'ai dit, qu'un diamètre de 500 mètres est l'extrême minimum pour qu'il y ait formation de tectites ? Il faudrait alors penser à un objet à orbite rétrograde (donc d'origine cométaire) à très grande vitesse (60 ou même 70 km/s) au moment de l'impact pour obtenir l'énergie cinétique nécessaire. Si le cratère antarctique n’est pas retrouvé, cette hypothèse pourrait bien être la bonne.

Mais il se pose alors tout de suite la question : " Où sont les cratères de taille kilométrique, très récents, qui ont généré les tectites ? ". On en a un seul qui peut correspondre, c’est le cratère laotien. C’est très loin de faire le compte. S’ils avaient existé, ces cratères météoritiques quaternaires seraient encore visibles. Ou alors il faut recourir à une solution ad hoc assez peu satisfaisante : ils sont aujourd’hui sous la mer et comblés par la sédimentation.

Tout reste à faire pratiquement concernant le problème crucial des australasites, et il faudra bien que la communauté scientifique dans son ensemble finisse par s’y intéresser, même si le problème est difficile. Cet événement majeur de l'histoire terrestre récente, qui s'est produit, rappelons-le, il y a seulement 700 000 ans, a eu des conséquences très importantes, et à ce titre j'aurai à en reparler.

Notes

1. E.A. King, Space geology, an introduction (John Wiley & Sons, 1976).

2. Robert S. Dietz fut un pionnier dans l'étude et la reconnaissance des structures d'impact terrestres et devint l'un des grands experts de la question. Son nom reste attaché à celui d'astroblème qu'il a choisi pour désigner les cratères météoritiques fossiles.

3. S. Renault, Les fausses pistes du Meteor Crater, Ciel et Espace, 317, pp. 74-78, 1996.

4. B.M. French and N.M. Short (eds), Shock metamorphism of natural materials (Mono Book Corp., 1968).

5. D.J. Roddy, R.O Pepin and R.B. Merrill (eds), Impact and explosion cratering - Planetary and terrestrial implications (1976).

6. J. Dublin, A la recherche du dieu du feu des Navajoes, L'Astronomie, 46, pp. 94-96, 1932. Un recueil de légendes (inventées de toutes pièces) sur l'impact du Meteor Crater.

7. G.K. Gilbert and M. Baker, A meteoric crater, Astron. Soc. Pacific Pub., 4, 21, p. 37, 1891. Le premier article laissant entrevoir une origine probable pour le Meteor Crater.

8. K. Mark, Meteorite craters (University of Arizona Press, 1987).

9. E. Robin et R. Rocchia, La disparition des dinosaures, dans Les dinosaures, Dossiers Pour la Science, HS 1, pp. 93-94, 1993. On doit beaucoup à Éric Robin et Robert Rocchia, deux chercheurs français, qui ont mis en évidence les spinelles nickélifères sur plusieurs sites d’impact.

10. E. Dransart, Enquête sur l’hypothèse météoritique de la crise de la fin du crétacé, L’Astronomie, 111, pp. 257-261, 1997.

11. R.A.F. Grieve, C.A. Wood, J.B. Garvin, G. McLaughlin and J.F. McHone, Astronaut's guide to terrestrial impact craters (NASA, 1988).

12. P. Hodge, Meteorite craters and impact structures of the Earth (Cambridge University Press, 1994). Le document le plus récent par un grand spécialiste américain.

13. Dans La Terre bombardée de 1982, le tableau correspondant recensait 23 cratères, soit un tiers de moins. Et il est évident que ce nouveau tableau est loin d’être complet.

14. D. Storzer, W. Gentner and F. Steinbrunn, Stopfenheim Kuppel, Ries Kessel and Steinheim basin : a triplet cratering event, Earth and planetary science letters, 13, pp. 76-78, 1971.

15. P.J. Cannon, Meteorite impact crater discovered in central Alaska with Landsat imagery, Science, 196, pp. 1322-1323, 1977.

16. W. von Engelhardt, Impact structures in Europe, dans International Geological Congress, 24th session, section 15 : Planetology, pp. 90-111, 1972. Köfels est contesté comme cratère d'origine cosmique, mais les impactites et même l'iridium existent bel et bien et n’ont pas pu être formés par le seul glissement de terrain associé au cratère.

17. Th. Monod, Astroblèmes et cratères météoritiques (pp. 287-330) dans Géologie, tome I (La composition de la Terre) (Gallimard, 1972).

18. R. Gallant, Bombarded Earth (an essay on the geological and biological effects of huge meteorite impacts) (John Baker, 1964).

19. B.S. Seylik and A.J. Seytmuratovwa, Meteorites structures of Kazakhstan and impact-explosive tectonic, Iswestia Akademii Nauk Kazakhstan SSR, 1, pp. 62-76, 1975. Il reste beaucoup à faire pour identifier plusieurs astroblèmes possibles sur l'immense territoire de l'ex-URSS.

20. C.S. Beals, M.J.S. Innes and J.A. Rottenberg, Fossil meteorite craters (pp. 235-284) dans The Moon, meteorites and comets (University of Chicago Press, 1963). Dans cet article, les trois auteurs envisageaient déjà une possible origine météoritique pour le golfe du Saint-Laurent, difficile à démontrer car l'astroblème a été totalement oblitéré par l'érosion et la sédimentation très importante de la région.

21. P.M. Bagnall, The meteorite and tektite collector's handbook (Willmann-Bell, 1991).

22. East coast craters, Sky and Telescope, p. 17, july 1996. C’est cette note qui a annoncé l’existence, longtemps insoupçonnée, d’un astroblème associé à Chesapeake Bay et l’existence d’un autre cratère maritime, situé 90 km plus à l’est, Tom’s Canyon, qui a le même âge.

23. C.W. Hoag, Chesapeake invader, Princeton University Press, 1999. Ce livre, sous-titré Discovering America's giant meteorite crater, a été écrit par le géologue américain Wylie Poag qui a étudié en détail les causes et les implications de l'impact de la Chesapeake Meteorite comme l'appellent souvent les scientifiques américains.

24. J.G. Weihaupt, The Wilkes Land anomaly : evidence for a possible hypervelocity impact crater, Journal of Geophysical Research, 81, 32, pp. 5651-5663, 1976. L'article clé (contesté de nos jours) sur la reconnaissance du cratère fantôme de Wilkes Land.

25. I. Rézanov, Les grands cataclysmes de l'histoire de la terre (Mir, 1985).

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