CHAPITRE 20

L'INCONNU, L'AVENIR


Le XXe siècle a permis une avancée considérable de nos connaissances sur l'Univers et sur la Terre. Mais de nombreux points restent obscurs et d'autres, soupçonnés, n'ont pas encore pu être confirmés ou définitivement abandonnés. Ce sera l'apanage des astronomes et des spécialistes des sciences de la Terre du XXIe siècle d'apporter une réponse satisfaisante à ces dilemmes et incertitudes en cours. Nous allons voir quelques-unes de ces hypothèses qui constituent " l'inconnu ".

Ensuite, nous parlerons de " l'avenir ", c'est-à-dire de ce qui attend la Terre, mais surtout nos descendants qui seront confrontés à des problèmes quasiment insolubles, qui, en fait, ne se sont pas encore présentés à l'homme depuis qu'il est devenu Homo sapiens, comme par exemple la future inversion géomagnétique ou un impact multiple comme celui des fragments de SL9 en 1994.

Nos successeurs devront faire preuve de pragmatisme pour survivre, mais aussi d'audace pour envisager et mettre au point des techniques qui leur permettront de faire face à des situations que nous n'aurions pas été, nous-mêmes, Terriens du XXe siècle, capables de résoudre dans des conditions satisfaisantes. Faisons confiance à nos descendants pour qu'ils prennent en compte, et surtout à temps, ce que certains scientifiques visionnaires appellent " l'impératif extraterrestre ", sans doute une nécessité vitale si l'humanité veut survivre en tant que telle, ou tout au moins faire face à une surpopulation qui s'annonce à moyen terme comme un danger de première grandeur.

La formation du cratère lunaire Giordano Bruno en 1178

Parmi les hypothèses crédibles, mais non confirmées, figure en bonne place la formation très récente du cratère lunaire Giordano Bruno (1). Certains chercheurs croient que ce cratère de 20 km de diamètre, qui est situé sur la face cachée (latitude 36° N et longitude 103° E), a été créé le 18 juin 1178, c'est-à-dire hier à l'échelle astronomique. Ce cataclysme est rapporté dans une chronique, intitulée " Chronique Mineure ", due à Gervase de Canterbury, un moine anglais du XIIsiècle, dans les termes suivants :

" Alors que dans la soirée du 18 juin de l'an de grâce 1178 j'observais la Lune avec d'autres moines de notre monastère, nous vîmes comme une torche flamboyante jaillir de son croissant. Elle vomit sur une grande distance du feu, des tisons brûlants et des étincelles. Le corps de la Lune palpitait comme en agonie et se tordait comme un serpent coupé. " (2)

Le 18 juin de Gervase est une date julienne qui correspond au 25 juin 1178 dans le calendrier grégorien (3) qui est le nôtre. Cette date est compatible avec l'impact d'un objet faisant partie du "Complexe des Taurides" dont nous avons parlé dans plusieurs chapitres.

Ce texte du frère Gervase n'avait pas jusqu'alors attiré l'attention. Il est pourtant très intéressant et laisse perplexes les astronomes. Que s'est-il passé sur la Lune ce 18 juin 1178 ? Cette "torche flamboyante" serait-elle une colonne de feu provoquée par une explosion consécutive à un impact ? Ce sont l'astronome française Odile Calame et son confrère américain Derral Mulholland qui ont proposé les premiers cette hypothèse d’un impact sur la face cachée de la Lune. Après avoir étudié attentivement les excellentes photos prises à bord des sondes Apollo, ils proposèrent alors le cratère Giordano Bruno comme contrepartie lunaire au texte du moine anglais. La fraîcheur de ce cratère et aussi les traînées brillantes qui convergent vers lui indiquent une création très récente, et en tout cas Giordano Bruno est l'un des seuls candidats possibles et nettement le plus probable.

Un cratère terrestre ou lunaire de 20 km peut être causé par un EGA de 500 mètres de diamètre seulement. Le tableau 6-5 rappelle qu'un tel impact peut se produire tous les 10 000 ans sur la Terre et il n'est en rien invraisemblable sur la Lune tous les 50 000 ans, notamment dans une période, comme l’actuelle, qui a subi une "pollution" cosmique exceptionnelle, du fait de la désintégration du centaure HEPHAISTOS dans le Système solaire intérieur, comme nous l’avons expliqué.

D'autre part, la date rappelée par Gervase a immédiatement attiré l'attention. La deuxième quinzaine de juin fait obligatoirement penser au "Complexe des Taurides" et aux débris de HEPHAISTOS, Certains spécialistes, parmi lesquels l’astronome allemand Jack Hartung (4), qui confirma le bien-fondé de l’hypothèse de Calame et Mullholland, ont rappelé que ce cataclysme lunaire est à rapprocher de l'événement de la Toungouska et des "tempêtes météoritiques" enregistrées par les sismomètres installés sur la Lune par les astronautes des différentes missions lunaires Apollo.

Quels sont les arguments scientifiques qui sous-tendent cette hypothèse d'un impact lunaire quasi contemporain, qui paraissait extravagante et irréaliste à beaucoup avant les années 1990, mais qui a trouvé une certaine crédibilité avec l'impact de la comète P/Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter en juillet 1994 ? En effet, avec cet événement imprévu mais arrivé fort à propos, on a eu la confirmation définitive que l'impactisme planétaire est aussi contemporain dans tout le Système solaire, système Terre-Lune compris évidemment. Et de toute manière, il est bien évident que la surface lunaire n'a nullement son aspect définitif, et il qu'il y aura d'autres impacts importants dans l'avenir, de beaucoup supérieurs aux modestes 20 km de Giordano Bruno. Donc, c'est vrai qu'il peut se produire un impact important n'importe quand.

Etonnamment, les astronomes ont trouvé que la Lune résonne comme une cloche. Ce résonnement pourrait être le vestige séculaire d'un impact très récent, qui justement remonterait à quelques centaines d'années seulement. Les 800 ans et quelques qui nous séparent de l'impact supposé sont assez plausibles dans cette optique.

Pourtant, l'hypothèse de l'impact en 1178 n'a pas convaincu pas la majorité des astronomes. Pour ces sceptiques, si le cratère est indéniablement récent (à l'échelle astronomique), il daterait quand même de plusieurs dizaines ou même centaines de milliers d'années, et ils croient surtout que le résonnement observé doit pouvoir s'expliquer par d'autres raisons liées à des phénomènes internes, des problèmes de sismicité, de libration et de résonance (à ne pas confondre avec résonnement).

L'énigme de la formation du cratère Giordano Bruno ne pourra être définitivement résolue qu'après une visite in situ, qui malheureusement n'est pas pour demain, malgré son grand intérêt.

Un impact en Antarctique = déglaciation partielle

Pour tous les scientifiques qui ont étudié le problème un tant soit peu dans le détail et sans idée préconçue, le danger principal pour la Terre serait un impact, même relativement modeste, en Antarctique. Il apparaît qu'une déstabilisation de la cryosphère antarctique pourrait déboucher sur un authentique désastre écologique, et ensuite humain (5).

Au chapitre 18, nous avons longuement parlé de la dernière déglaciation eu Europe, et rappelé que la montée des eaux a été de 110 mètres (6). La géographie a été totalement transformée, mais avec assez peu de répercussions au niveau humain, dans la mesure où la transgression a été progressive. A l'époque de la débâcle atlantique (appelée aussi Déluge de Lascaux), vers –13500, le niveau des océans augmenta de près de 20 mètres en quelques années seulement. Heureusement qu'il n'existait pas de villes côtières à l'époque.

Cet exemple montre ce qui pourrait se passer avec une déglaciation, même très partielle, de l'Antarctique, avec comme répercussion une montée générale des eaux océaniques de deux ou trois mètres seulement. Ce serait le pire désastre que l'humanité ait jamais connu. Aujourd'hui toutes les côtes sont truffées de villes, souvent hyper peuplées. Des pays entiers sont à fleur d'eau et seraient irrémédiablement noyés en quelques dizaines d'années. Une nouvelle refonte des sociétés humaines serait inéluctable, avec les pires débordements que cela entraînerait, les nantis des pays peu touchés n'ayant nulle envie de partager la nouvelle pénurie issue de la débâcle glaciaire. On n’ose penser sur quoi déborderaient des migrations forcées de millions de personnes affamées et sans aucune perspective d’avenir, sinon la survie immédiate.

Et nous ne parlons pas évidemment d’une déglaciation générale due à un ensemble de causes dont les effets seraient additionnels (impact + effet de serre + augmentation générale de la température par exemple, mais aussi une augmentation de température due au seul Soleil à l’occasion d’une suractivité anormale). Notre civilisation ne s’en remettrait pas et retomberait rapidement dans la barbarie. La géographie serait à nouveau totalement remodelée avec une remontée des eaux de l’ordre de 60 à 80 mètres selon les régions. Il ne faut jamais perdre de vue que de telles périodes ont déjà existé dans l’histoire de la Terre, périodes au cours desquelles notre planète avait totalement exclu la présence de glace de sa surface, pour des raisons non encore explicitées.

L’homme, lui, survivra. Mais devra accepter un recul, pas forcément génétique, mais au moins culturel. C’est le moment de rappeler ici que la montée des civilisations n’a jamais été linéaire, et que les périodes de recul ont été nombreuses, notamment à la suite de cataclysmes de grande envergure, et en particulier ceux dus aux impacts. Le drame humain causé par l’impact de Sekhmet au XIIIe siècle avant J.-C. a fait reculer la civilisation grecque d’au moins quatre siècles, et il ne s’agissait que d’un cataclysme à l’échelle "régionale".

L’impactisme particulaire : le vrai danger pour l’homme

Plus encore que l’impactisme macroscopique, il paraît évident pour l’homme que le principal danger (d’origine cosmique, car il est bien connu que le principal danger pour l’homme, c’est l’homme lui-même) sera l’impactisme particulaire. Nous allons voir deux éventualités, bien réelles à moyen terme, rattachées à ce problème.

Et si le Soleil se fâche un jour vraiment ?

Le Soleil est une étoile légèrement variable, comme nous l’avons expliqué dans plusieurs chapitres de ce livre. Le fameux schéma du cycle solaire (figure 8-1) ressemble à la respiration cyclique de l’étoile, et pour la période 1750-2000 tout semble relativement normal, même si d’un cycle à l’autre, on note certaines variations saisissantes.

Cependant, depuis quelques années, les climatologues s’inquiètent : il semblerait que la luminosité du Soleil augmente lentement (7), avec, en conséquence, premièrement une augmentation de l’énergie solaire reçue par la Terre, et corollairement un réchauffement global de la planète. Bien sûr, au niveau d’une seule décennie, il est très difficile de savoir si le phénomène, va continuer, s’arrêter, ou s’inverser.

Que la planète se réchauffe, personne n’en doute, les activités humaines et l’effet de de serre qu’elles provoquent sont indiscutables. Mais le Soleil semble aussi avoir sa part dans le processus de réchauffement. Le flux solaire, qui est la quantité de lumière totale émise par le Soleil aurait augmenté de 0,036 % (36/10 000) entre 1986 et 1996, ce qui correspond à une augmentation de 0,5 watt par mètre carré. Les données qui conduisent à cette conclusion ont été obtenues grâce à quatre satellites spécialisés dans les études solaires et la haute atmosphère terrestre : Nimbus 7, SMM (Solar Maximum Mission), UARS (Upper Atmosphere Research Satellite) et ERBS (Earth Radiation Budget Satellite). Ceux-ci ont permis de suivre le Soleil durant ses deux derniers cycles de 11 ans (les cycles 21 et 22).

L’augmentation, quoique minime, si elle devait se poursuivre un siècle, finirait par provoquer un réchauffement moyen de 0,5 °C de la Terre, qui ajouté à celui dû à l’effet de serre qui pourrait être le triple (soit 1,5 °C) entraînerait un réchauffement global de 2 °C, réellement catastrophique, non en tant que tel mais pour les conséquences inévitables qu’il entraînerait.

L’activité solaire semble bien variable à l’échelle du siècle, et il faut se rappeler qu’entre 1645 et 1715, période sensiblement plus froide que la moyenne en Europe, le nombre de taches solaires a été très faible, parfois même inexistant. C’est la fameuse période appelée "minimum de Maunder", mise en évidence au XIXe siècle par l’astronome britannique Walter Maunder (1851-1928), dont la véracité a été confirmée par la découverte de la quantité anormale de béryllium-10 dans les glaces polaires, quasiment 30 % supérieure à la moyenne ultérieure.

Le Soleil est un ami qui pourrait s’avérer dangereux, notamment durant la prochaine inversion géomagnétique, comme nous allons le voir. Jusqu’à présent, ses colères et ses sursauts ont toujours entraîné des perturbations psychologiques et physiques (voir les chapitres 8 et 16), mais maintenant, il semble bien qu’ils soient en mesure de déboucher sur une fragilité technologique préjudiciable, comme l’ont rappelé quelques incidents notables récents (coupures générales de courant et perturbations dans les circuits informatiques notamment).

La future inversion géomagnétique : un danger mortel

La dernière inversion géomagnétique totale remonte à 700 000 ans. C’est loin, très loin. Homo sapiens n’existait pas encore, et nous avons vu au chapitre 15 que c’est peut-être grâce à elle, plus exactement aux conséquences qu’elle a engendrées dans une biosphère fragilisée à l’extrême, traumatisée même, que Homo erectus s’est transformé (a muté) en Présapiens, notre ancêtre direct, puisque nous n’en sommes séparés qu’au niveau de la sous-espèce.

Les spécialistes du paléomagnétisme (8) ont enregistré en moyenne trois inversions par million d’années durant les derniers soixante millions d’années, et tous savent bien que la prochaine ne saurait tarder maintenant, même s’il est encore impossible de la dater avec précision, comme l’ont fait un peu inconsidérément certains d’entre eux particulièrement impatients. On parle de milliers d’années, et on a proposé une inversion vers l’an 4000, en calculant la diminution annuelle, de l’ordre de 15 à 20 gammas, par rapport aux 40 000 gammas, valeur actuelle. Mais un effondrement reste possible quand l’intensité du champ sera tombée à quelques milliers de gammas.

On sait depuis longtemps que l’exposition des humains, et du monde animal en général, à des doses de radiations trop fortes conduit à des cancers (notamment de la peau et de la thyroïde, mais pas seulement), c’est-à-dire à une croissance incontrôlée des tissus vivants. Si cette irradiation n’est pas enrayée très rapidement, c’est la catastrophe. Catastrophe qui nous guette.

" Les radiations agissent sur l’organisme en provoquant des réactions qui libèrent des électrons énergiques dans les cellules avec les effets suivants : ils peuvent attaquer directement les molécules contenant l’information génétique des cellules, qu’on appelle l’ADN, ou bien ils peuvent, en détruisant les innombrables molécules qui existent dans une cellule, en générer de nouvelles qu’on appelle des "radicaux libres", oxydants, qui attaquent l’ADN. " (9)

L’organisme humain est très fragile dès qu’il se passe quelque chose d’anormal qui le perturbe ou l’agresse un tant soit peu, et il n’aime pas les apports extérieurs anormaux. Certains organes sont particulièrement exposés au cancer (c’est le cas notamment pour le poumon avec le tabac, le foie avec l’alcool, la peau avec les radiations UV solaires). Tchernobyl a montré que les irradiés voyaient leur tension artérielle monter en flèche dans des proportions inquiétantes, avec corrélativement une extraordinaire fragilisation de l’organisme traumatisé. Les plus faibles sont très mal armés pour supporter les radiations anormales et sont irrémédiablement condamnés.

C’est la raison pour laquelle une forte irradiation durant une longue période ne peut que déboucher sur un désastre génétique et humain, dont on a encore qu’une très vague idée. Oui l’avenir sans bouclier magnétique est inquiétant ! Et nos successeurs devront impérativement s’y préparer pour y faire face et limiter les dégâts.

Conclusion : l'impératif extraterrestre

Ce concept d’impératif extraterrestre est dû à l’ingénieur spatial américain, d’origine allemande, Krafft Ehricke (1917-1984) (10) qui, comme quelques autres grands savants allemands, se vit proposer un contrat de travail par les Américains à la fin de la dernière guerre. Le premier, Ehricke a compris que l’avenir de l’homme, à long terme, se situait dans l’espace, et toute sa vie il a été un fervent propagandiste de l’exploration des diverses planètes, mais surtout de l’humanisation du Système solaire. Vérité difficile à faire accepter, même aux Etats-Unis, car onéreuse et peu susceptible d’amener des résultats immédiats. Comme beaucoup de visionnaires, ce premier philosophe de l’espace fut souvent critiqué et considéré comme un utopiste.

Et pourtant, pour tous les savants qui voient plus loin que le présent immédiat, l’avenir de l’homme, c’est bel et bien l’espace (11). Cette vérité, déjà assénée par les pionniers de l’astronautique, sera incontournable à long terme. Un astrophysicien comme Nicolas Prantzos n’en doute pas. Dans son livre Voyages dans le futur (12), sous-titré L’aventure cosmique de l’humanité, il envisage déjà très sérieusement la place de l’homme dans cet Univers en perpétuelle évolution.

Il n’est pas évident que la Terre soit très longtemps habitable pour les hommes, tout au moins tels qu’ils existent actuellement, et "fabriqués" pour être performants dans des conditions atmosphériques et climatiques assez étroites. La biosphère peut se trouver altérée, notamment en cas de catastrophe nucléaire (voir Tchernobyl) et devenir rapidement invivable, avec des répercussions sur la stérilité de certaines espèces, dont la nôtre. En quelques générations, l’espèce humaine pourrait être rayée de la carte, car incapable de se reproduire d’une façon viable.

L’impératif extraterrestre peut donner à l’homme une possibilité appréciable de survie provisoire, et même à plus long terme s’il arrive à s’adapter à la nouvelle donne. On sait que l’homme est la première espèce engendrée par l’évolution qui soit capable d’influer sur son avenir, ce qui est un progrès inouï par rapport aux espèces précédentes qui ne pouvaient que subir.

" Nos sondes quittent maintenant le Système solaire, porteuses de messages pour les étoiles lointaines, cependant que nos radiotélescopes se mettent à l’écoute des autres galaxies.

Trouver des formes de vie autres, dialoguer avec des civilisations extraterrestres, ces vieux rêves de l’humanité se concrétisent aujourd’hui. La réalité dépasse déjà la science-fiction…

A travers les planètes étranges et les étoiles nouvelles, les quasars et les trous noirs, bientôt les autres peuples de l’espace, n’est-ce pas sa propre identité que poursuit l’humanité dans sa quête cosmique ? " (13)

On voit où mène la contingence de Stephen Jay Gould, l’impératif extraterrestre de Krafft Ehricke et l’appel des étoiles de Carl Sagan (1934-1996) : à la survie de l’espèce humaine, si elle accepte l’exil de sa planète mère. En attendant l’étape suivante obligatoire : Homo galacticus, différent, plus moderne, mais bel et bien authentique successeur de Purgatorius, via Oligopithèque, Homo erectus et Homo sapiens. Quelques dizaines de millions d’années et quelques dizaines de cataclysmes d’origine cosmique séparent Purgatorius de son futur successeur cosmique, mais ils font partie de la même lignée, lignée dans laquelle nous sommes un simple jalon : "le Primate à la mode".

On apprécie encore davantage, malgré ses nombreux défauts, la période cruciale que nous vivons, et on savoure la chance unique d’avoir vécu ce grand jour du 20 juillet 1969 où Neil Armstrong et Edwin Aldrin foulèrent le sol lunaire, faisant entrer l’homme dans une ère nouvelle.

Mais le rêve ne doit jamais faire oublier un impératif plus pragmatique : la survie de l’espèce. Et l’obligation en filigrane de rendre habitables les planètes voisines ou de prévoir une solution de remplacement. Pour ce faire, nous allons voir dans les sections suivantes deux solutions souvent envisagées. La première concerne surtout le long terme avec le terraformage de Vénus et de Mars. La seconde concerne l’installation de villes de l’espace et pourrait être éventuellement mise en place durant le XXIe siècle, si le besoin s’en faisait vraiment sentir.

Rendre Mars et Vénus habitables

Quitter la Terre et s’installer ailleurs. C’est un vieux rêve sur lequel philosophaient les astronomes du XIXe siècle, quand on croyait encore que l’habitabilité de Vénus et Mars était chose possible. Mais les progrès de l’astrophysique ont brisé ce rêve chimérique, et l’on sait aujourd’hui que ce ne sera pas facile de rendre habitables les deux planètes voisines. Car si elles sont facilement accessibles de nos jours aux sondes spatiales, les conditions de vie y sont pires que prévu, surtout sur Vénus qui devra être totalement terraformée pour devenir un lieu de repli à l’espèce humaine.

Mais, même si cela peut demander des milliers d’années, la tâche ne paraît pas insurmontable contrairement aux apparences. Certains ingénieurs spatiaux planchent déjà sur diverses solutions qui pourraient transformer les deux planètes voisines en annexes de la Terre au même titre que la Lune, et en général, ils se montrent assez optimistes.

Réchauffer Mars

Pour Mars, dont le cas est beaucoup plus simple, et sera donc résolu en premier, le terraformage passe d’abord par un réchauffement de son atmosphère, mais aussi par sa densification. On sait qu’actuellement la planète rouge est hostile à une vie comme la nôtre, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de la composition de son atmosphère, trop peu dense, trop froide, mais aussi toxique. Mais elle a probablement déjà accueilli la vie, apportée par des comètes ou de la poussière cosmique, vie qui a eu des difficultés à s’installer et à prospérer, avant de disparaître du fait peut-être d’un impactisme plus virulent encore que sur la Terre.

Pour les ingénieurs spatiaux, le problème immédiat est le suivant : il faut rendre possible l’existence d’eau liquide, qui apparemment a déjà existé dans un lointain passé (14). Pour ce faire, ils envisagent donc de modifier la composition des éléments volatils nécessaires à une vie quasi terrestre : eau, azote, carbone et oxygène qui existent déjà sur Mars, mais non sous une forme gazeuse. Ils existent seulement dans le sol de la planète et dans les calottes polaires.

Plusieurs scénarios sont à l’étude par les ingénieurs spatiaux, jamais à court d’idées neuves, sachant que le plus urgent est un réchauffement initial de l’atmosphère. On pense à introduire une grande quantité d'éléments volatils à partir d'un astéroïde carboné de type C que l'on ferait s'écraser à la surface. Un autre scénario plausible consisterait à introduire massivement des CFC (sigle de chlorofluorocarbures) qui sont des gaz de synthèse fabriqués à partir de méthane, d’éthane ou d’éthylène et de propène et qui ont la particularité d’être peu toxiques et miscibles dans l’eau. Du fait qu’ils absorbent le rayonnement infrarouge, ils participent à l’accroissement rapide de l’effet de serre et seraient très utiles pour réchauffer la planète d’environ une vingtaine de degrés.

Un autre scénario consisterait à introduire massivement des bactéries capables de métaboliser l’azote du régolite martien et de produire de l’ammoniac, autre gaz à effet de serre susceptible de réchauffer l’atmosphère d’une manière substantielle.

On pense que plusieurs processus différents seront nécessaires au début pour envisager avec succès le terraformage de Mars (15). Science-fiction d’aujourd’hui et réalité d’après-demain, tous les spécialistes y croient comme une probabilité sérieuse à long terme. Les plus optimistes pensent même qu’un seul millier d’années pourrait suffire, ce qui semble quand même très optimiste.

Refroidir Vénus

Rendre Vénus habitable sera beaucoup plus difficile et beaucoup plus long. Elle a une atmosphère écrasante, puisque sa pression à la surface est de l’ordre de 90 atmosphères terrestres, et brûlante avec une température de surface voisine de 500 °C. On sait que le formidable effet de surchauffe est du principalement au gaz carbonique et à la vapeur d’eau. Son terraformage consistera donc d’abord, à l’inverse de ce qu’il faudra faire pour Mars, à refroidir l’atmosphère et surtout à la désépaissir sérieusement.

On pourrait tenter de souffler cette atmosphère en faisant s’écraser plusieurs astéroïdes de taille décakilométrique, mais cela paraît bien insuffisant. On a aussi parlé de faire désintégrer des NEA de type Aten et Apollo (des Vénus-crossers qui existent déjà par milliers) à proximité de Vénus, entre celle-ci et le Soleil, pour diminuer la chaleur extérieure reçue par la planète. C’est la technique envisagée par Christian Marchal, un ingénieur français, à la fin des années 1970 (16). Privée d’énergie solaire, Vénus pourrait refroidir progressivement, mais on voit mal comment on pourrait obliger la matière désintégrée à rester en permanence entre Vénus et le Soleil, à moins de renouveler constamment le processus. Dans ce scénario, l’impactisme planétaire et les NEA seraient donc de précieux alliés de l’homme dans sa conquête de l’espace. Les impacts n’auraient donc pas obligatoirement un effet négatif.

Carl Sagan (17), dans les années 1970, se montrait extraordinairement inventif et optimiste, prônant d’ensemencer les nuages vénusiens avec une algue (l’espèce nostocacae) qui effectuerait sa synthèse et qui permettrait au gaz carbonique et à l’eau de se convertir en composés organiques, surtout en hydrates de carbone et en oxygène.

" Les algues seraient transportées par la circulation atmosphérique vers des couches plus basses de l’atmosphère, où elles seraient cuites. La cuisson d’une algue libère dans l’atmosphère de simples composés carboniques, du carbone et de l’eau. La teneur en eau demeure constante, tandis que le résultat est la conversion du gaz carbonique en carbone et en oxygène…

Comme le gaz carbonique est converti en carbone et en oxygène, et que l’oxygène se combine chimiquement avec l’écorce de Vénus, la pression globale s’abaisserait, ainsi que le taux d’absorption atmosphérique de l’infrarouge, l’effet de surchauffe se réduirait, et la température descendrait.

Ainsi donc il se peut que l’injection dans les nuages de Vénus d’algues cultivées à cet effet – algues dont le rythme de reproduction excéderait celui de la cuisson – transforme, à terme, le milieu vénusien, aujourd’hui extrêmement hostile, en un lieu plaisant pour les êtres humains. " (18)

Sagan, qui n’y allait pas de main morte, concluait qu’une fois condensée à la surface de Vénus, la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère donnerait une couche d’eau d’une trentaine de centimètres : " Pas un océan, mais de quoi irriguer le sol et satisfaire les besoins humains ". Avec lui, le problème de la survie de l’homme en dehors de son berceau terrestre ne faisait pas de doute. Il faut simplement s’attaquer au problème dès que possible.

La diminution drastique des crédits consacrés à l’espace avec l’ère Reagan, dans les années 1980, a tempéré ce bel optimisme des années 1970. Aujourd’hui, il faut admettre que les priorités budgétaires sont plutôt terrestres et que l’espace devra attendre des jours meilleurs. Mais les idées restent, et il y en aura d’autres.

Le danger des radiations existera toujours

On peut faire toute confiance à nos successeurs, ils trouveront probablement le moyen de rendre habitables les deux planètes sœurs. Avec du temps, quelques milliers d’années pour Mars, quelques dizaines de milliers d’années pour Vénus sans doute, ils viendront à bout de ce double chantier qui paraît quelque peu surhumain et utopique avec nos moyens actuels.

Mais quoi qu’il en soit, rien ne sera jamais totalement idyllique. En effet, il faut bien garder une chose à l’esprit. Vénus et Mars seront toujours soumises, comme la Terre, à un double impactisme : impactisme macroscopique, mais surtout particulaire. On sait que l’atmosphère terrestre est notre indispensable bouclier antiradiations. Qu’en sera-t-il des futures atmosphères martienne et vénusienne terraformées ? Pourront-elles filtrer, comme la nôtre, les rayons ultraviolets, X et autres particules crachés sans discontinuer par le Soleil ? Et les rayons cosmiques, ne perturberont-ils pas la belle atmosphère relookée par les ingénieurs spatiaux ? Comme nous l’avons vu plus haut, une colère du Soleil aurait aussi ses répercussions sur les deux planètes, surtout sur Vénus d’ailleurs qui est plus proche et donc davantage exposée.

Envisager des colonies extraterrestres artificielles

Hors les deux planètes voisines, aucun autre astre du Système solaire n’est terraformable dans les millénaires à venir. Seules des stations spatiales peuvent être envisagées sur certains astéroïdes ou quelques satellites, mais ce n’est pas la même chose qu’une planète habitable. Eros, par exemple, pourrait accueillir une mini-colonie humaine, mais pour y faire quoi, si ce n’est une station scientifique du genre de celles qui ont envahi l’Antarctique ? Quelques centaures pourraient également accueillir des stations de reconnaissance, mais il ne s’agira jamais de colonisation.

Contrairement à l’alternative précédente consistant à terraformer les deux planètes voisines, qui ne peut devenir opérationnelle que sur le long terme (1000 ans pour Mars, plusieurs milliers d’années au bas mot pour Vénus), les colonies extraterrestres artificielles peuvent se mettre en place en quelques décennies seulement. D’où leur intérêt évident, même si cela a encore un petit côté science-fiction.

Cette éventualité a été étudiée dans les années 1970, notamment par le physicien américain Gerard O’Neill qui a écrit un livre passionnant (et évidemment très controversé) sur le sujet : Les villes de l’espace (19) . Il considère à juste titre, que de telles colonies assureraient la survie de l’humanité en cas de cataclysme.

" Quand nous aurons colonisé l’espace interplanétaire - ce qui pourrait se produire dès le début du XXIe siècle, d’après le calendrier du physicien de Princeton Gerard K. O’Neill - nous aurons accessoirement gagné notre indépendance par rapport aux futures catastrophes de la Terre. La survie des plus adaptés, à l’échelle d’un bouleversement géologique, pourrait signifier celle des espèces qui, à un moment donné, ont réussi la conquête de l’espace. " (20)

O’Neill postule pour l’installation d’îles de l’espace aux points de Lagrange (21) L5 et L4 de la Lune, ou plus exactement dans les régions de stabilité tournant autour de ces points selon une très grande orbite. Il appelle d’ailleurs ces zones de stabilité Lagrangia.

Pour O’Neill, un grand visionnaire de l’astronautique, si l’humanité s’y prend suffisamment tôt, elle peut assurer pour longtemps sa survie hors de la Terre, si celle-ci devait être menacée par un cataclysme cosmique ou écologique rendant notre planète invivable.

" Dans chacune de ces régions, un grand nombre d’habitats pourraient s’installer ; ils graviteraient autour de leurs points de Lagrange en 89 jours, parcourant lentement une orbite de 800 000 kilomètres environ. Cinq mille habitats, disposés dans un même plan autour d’un point de Lagrange, occuperaient un disque de 16 000 km de diamètre environ, ce qui est bien peu, comparé à la dimension de l’orbite stable. Chaque grande communauté pouvant accueillir plusieurs milliers de personnes, Lagrangia pourra accueillir une population totale plusieurs fois égale à celle de la Terre. Incidemment, nous n’avons pas à redouter que les orbites de Lagrange elles-mêmes deviennent trop petites. On pourrait placer des communautés sur n’importe quelle orbite su Système solaire ; des modèles appropriés de miroirs leur fourniraient en permanence un ensoleillement aussi intense que celui que nous connaissons (quand il fait beau) sur Terre. " (22)

On voit l’extraordinaire optimisme (l’utopie pour beaucoup) du physicien américain, très violemment contesté aux Etats-Unis dans les années 1970, qui résout à la fois le problème du cataclysme cosmique destructeur pour l’humanité, mais aussi celui, peut-être plus immédiat, de la surpopulation au XXIe siècle. Malheureusement, comme tous les visionnaires, O’Neill n’est pas près d’être suivi, les contingences financières réduisant son projet à zéro, tout au moins pour l’immédiat.

Une chose apparaît clairement à la lecture de son livre : l’humanité n’est en rien condamnée d’avance si elle accepte de s’expatrier, pour survivre d’abord et pour se multiplier et coloniser le Système solaire ensuite. Le cosmos l’attend… C’est bien le XXe siècle, totalement révolutionnaire, qui aura fait prendre conscience à l’homme que son avenir est cosmique.

Comme l’a écrit, dès le début du siècle, le savant russe Konstantin Tsiolkovski (1857-1935), l’un des pionniers de l’astronautique :

" Notre planète est le berceau de l’humanité, mais on ne reste pas au berceau toute sa vie. " (23)

Spaceguard : la sauvegarde de l’humanité

L’impératif désormais admis par tous (astronomes, militaires et politiciens) est la prise en compte du danger cosmique. On comprend mieux aujourd’hui l’intérêt, et même la nécessité absolue, de la fondation Spaceguard. Identifier tous les objets potentiellement dangereux, qui ont déjà leur sigle : PHO (pour Potentially Hazardous Objects) et calculer toutes les approches serrées à l’avance pour pouvoir intervenir en temps utile si cela est réellement nécessaire. C’est le minimum sur lequel tout le monde est d’accord.

Une liste des approches prévues existe et est constamment actualisée par les spécialistes du Minor Planet Center, l’organisme international qui collationne toutes les données nouvelles. Les très fortes approches réelles se chiffreront maintenant à plusieurs centaines par siècle. On a vu que la fameuse approche prévue le 26 octobre 2028 pour 1997 XF11 est déjà calculée et sera de toute manière inférieure à 1,0 MK. Mais cette liste reste pour le moment très incomplète. Il est bien évident que les objets les plus dangereux sont ceux qui ne sont pas encore découverts.

Comme nous l’avons expliqué, l’affaire est devenue à la fois scientifique et à la fois militaire. Les militaires américains, mais aussi russes et chinois ne pouvaient pas laisser de côté le fameux "ennemi extérieur", une véritable aubaine pour tous. Les militaires se sont institués "sauveurs de l’humanité", et pour être totalement crédibles (ce qui est loin d’être le cas, surtout aux États-Unis), ils sponsorisent (parallèlement à leurs propres investigations technologiques) la recherche d’astéroïdes potentiellement dangereux. Tous sont partie prenante, directement ou indirectement, de la fondation Spaceguard, qui avec son côté international, se veut rassurante et pragmatique. Deux documents essentiels sont parus à ce sujet (24/25), abordant les divers problèmes scientifiques et techniques indispensables à bien maîtriser.

Une chose est déjà sûre : le Congrès américain a péché par optimisme en croyant que les astronomes seraient capables d’identifier la quasi-totalité des NEO en une dizaine d’années. Comme l’a bien expliqué le spécialiste italien Andrea Carusi, premier responsable de Spaceguard :

" Le Congrès américain a péché par optimisme. Comme l’a démontré le rapport Morrison, il est impensable d’identifier - et certainement pas en dix ans - tous les objets dangereux. Parmi les objets menaçants, on compte les comètes, que leur révolution soit courte ou longue. Or, tandis que l’on peut suivre le parcours des comètes de révolution courte, certes difficilement et avec une certaine approximation, les comètes de révolution longue sont totalement imprévisibles. Elles sont généralement découvertes quand elles se trouvent déjà bien à l’intérieur du système planétaire, quelques mois avant de passer à proximité du Soleil (donc de la Terre). Néanmoins, selon les estimations les plus courantes, l’ensemble des comètes ne représente que 10 % tout au plus de la population des objets, alors qu’elles constituent environ 25 % du danger total. " (26)

Les astronomes se méfient terriblement des comètes depuis 1983, quand IRAS-Araki-Alcock, comète usée (et donc d’apparence astéroïdale à plus de 0,20 UA de la Terre) de plusieurs kilomètres de diamètre, qui a une période de révolution de l’ordre de 1000 ans, est venue frôler la Terre sans coup férir, et surtout sans s’annoncer, puisqu’elle a été découverte au dernier moment (voir le chapitre 7). La Terre et l’espèce humaine l’ont échappé belle ! D’autres objets identiques existent, c’est obligatoire, et ne seront identifiés qu’alors qu’il sera déjà trop tard pour réagir efficacement, si le besoin s’en fait vraiment sentir. Comme nous l’avons dit, les astronomes ne sont pas des magiciens, et il ne faut pas leur demander l’impossible.

Cela dit la fondation Spaceguard est un progrès énorme, puisqu’il s’agit pratiquement du premier programme (quasiment d’utilité publique) auquel acceptent de participer des pays très différents idéologiquement, comme les États-Unis, la Russie et la Chine, et ses résultats globaux s’annoncent tout à fait spectaculaires. Le premier maillon de Spaceguard, Spacewatch, le télescope automatique installé à Kitt Peak, a magnifiquement dégrossi le terrain avec sa cinquantaine de découvertes annuelles depuis 1990. Une demi-douzaine d’autres équipes depuis 1996 lui prêtent main forte.

On l’admet enfin aujourd’hui : le danger cosmique reste omniprésent à l’échelle astronomique. C’est la raison pour laquelle le cataclysme destructeur prévu par les statistiques ne pourra pas toujours être évité. Une épée de Damoclès existe en permanence au-dessus de nos têtes.

Faire face aux impacts : les stratégies envisagées

Nous avons expliqué au chapitre 4 comment les militaires américains, qui se désespéraient à la fin des années 1980 de la disparition de leur ennemi traditionnel avec la désintégration de l'URSS, avaient rapidement trouvé la parade à leurs déboires et à la baisse annoncée de leurs (énormes) crédits d'armement. En faisant connaître au monde, mais principalement au peuple et au Congrès américains, l'existence d'un redoutable "ennemi extérieur" sous forme de météorites géantes qui pénètrent chaque mois dans l'atmosphère terrestre, ils s'imposaient en même temps comme les sauveurs incontournables de la planète pour l'avenir.

Leurs nombreux ingénieurs et experts en tout genre eurent vite fait d'entreprendre des recherches pour mettre au point des parades aux possibles impacts d'astéroïdes et de comètes. De nombreux scénarios (27) ont été étudiés pour détruire, ou plus simplement détourner, tout objet qui s'avérerait dangereux. Mais les scientifiques ne veulent pas être en reste, et plusieurs d'entre eux ont déjà mis au point des solutions, certaines fort astucieuses. En fait, dans l'avenir, les décideurs (des politiques sans doute) auront le choix entre plusieurs ripostes possibles, pouvant être différentes selon le type et la taille de l'objet menaçant. Nous allons en étudier quatre sommairement, mais il en est d'autres qui s'avéreront également crédibles, une fois qu'elles auront été améliorées.

– 1. La bombe nucléaire. C'est bien sûr la solution militaire, déjà évoquée dans le film Meteor, sur laquelle travaillent Américains, Russes et Chinois. Elle est quasiment au point, car depuis de nombreuses années tous les calculs théoriques indispensables ont été effectués. Dans ce scénario classique, des charges nucléaires sont emportées par des fusées et tirées sur le corps céleste menaçant. Les simulations montrent qu'un projectile de 30 tonnes pourrait dévier de 100 mètres environ la trajectoire d'un astéroïde. C'est peu, mais suffisant, semble-t-il, pour détourner un objet sur une orbite de collision sur une autre orbite sans danger.

Les spécialistes voient grosso modo les choses de la manière suivante : l'explosion d'une charge nucléaire à la surface même d'un astéroïde créerait un cratère important et cela entraînerait une substantielle perte de masse. L'impulsion et l’onde de choc déclenchées seraient suffisantes pour détourner l'objet menaçant. Le risque est double dans l'hypothèse de la bombe cosmique. Le principal est lié au lancement, gare s'il est raté, la Terre en subirait les conséquences. L'autre risque est celui de briser l'astéroïde en de nombreux fragments qui poursuivraient leur route. On se trouverait alors face à un impact multiple, du genre de celui de la comète Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter avec une vingtaine de fragments principaux de taille pouvant être kilométrique et hectométrique selon le diamètre du corps initial, ou même carrément face à une pluie de mini-fragments qui pourrait s’avérer extrêmement dangereuse et totalement incontrôlable, avec une multitude de cataclysmes locaux meurtriers.

Pour pallier ce danger, certains spécialistes préconisent plutôt de faire exploser l'arme nucléaire, non sur l'objet lui-même, mais à côté. L'onde de choc engendrée par l'explosion devrait également être suffisante pour dévier l'objet dangereux, mais on n’en est encore qu’aux simulations, et entre simulation et la réalité , il peut y avoir des variantes d’importance.

– 2. Le filet à billes. Cette solution a été proposée par le physicien américain Edward Teller, le père de la bombe H, qui a repris du service à près de 90 ans. Son vieux cerveau, toujours créatif, a imaginé un stratagème remarquable, qui pourrait être fort efficace si l'objet cosmique menaçant n'est pas trop volumineux (200 mètres), et qui a le gros avantage de ne pas faire appel au nucléaire.

Le scénario est le suivant. Une multitude de microprojectiles d'une vingtaine de grammes au maximum (plusieurs millions de billes de tungstène, d'après Teller) sont largués à proximité du corps cosmique, en avant de celui-ci. Pour éviter qu'elles s'éloignent les unes des autres, elles sont reliées entre elles par une fibre solide, un véritable filet, qui entre en collision avec l'objet menaçant à grande vitesse. La première bille le transperce à une grande profondeur, la seconde continue le travail et ainsi de suite. Le criblage de la surface, puis de l'intérieur de l'objet, par des dizaines de milliers de microprojectiles lancés à grande vitesse devrait pulvériser un objet jusqu'à 200 mètres de diamètre.

– 3. Le miroir géant. Cette solution astucieuse a été proposée par le planétologue américain Jay Melosh et pourrait être efficace pour des gros objets, notamment des comètes, si on les découvre longtemps avant l'impact calculé. Elle consiste à faire fondre l'objet menaçant.

Dans ce scénario, un miroir concave géant (plusieurs centaines de mètres) en aluminium est lancé dans l'espace. En focalisant les rayons du Soleil en permanence sur une partie très précise du corps cosmique, on doit pouvoir augmenter sa température jusqu'à 1000 °C environ. Cela devrait entraîner la fonte d'une partie importante du corps céleste, surtout s'il s'agit d'une comète, et permettre de le dévier sur une orbite sans danger pour la Terre.

– 4. Le billard cosmique. Cette technique n'est pas nouvelle (en tant qu'idée) et a déjà été envisagée pour détruire un objet menaçant, à condition que l'on sache longtemps à l'avance la date de collision prévue. Elle consiste à changer la course d'un petit objet céleste, de telle manière qu'il entre ensuite à grande vitesse en collision avec un objet plus gros, les deux étant alors pulvérisés dans l'espace.

Dans cette hypothèse, qui sera peut-être envisageable dans l'avenir dans certains cas particuliers, notamment celui d'une grosse comète dangereuse repérée longtemps à l'avance, il faut dans un premier temps tirer un projectile capable de dévier un petit astéroïde (avec l'option 1 de la bombe nucléaire) et maîtriser son orbite pour pouvoir atteindre le deuxième objet. Inutile de dire que cette solution n'est pas pour demain, mais elle pourrait être la plus efficace pour détruire un gros objet d'une dizaine de kilomètres.

Les militaires et les ingénieurs planchent maintenant sur les différentes formules acceptables qui peuvent être utilisées pour protéger la Terre du danger cosmique. Il paraît clair que plusieurs techniques puissent être envisagées selon la nature exacte du danger : une comète peut être plus facilement détruite qu’un astéroïde métallique. Outre les quatre possibilités dont nous avons parlé, certaines autres peuvent se montrées appropriées à des cas particuliers. Un objet de cent mètres ne présente pas le même danger qu’un objet de taille kilométrique, et il sera nécessaire de bien appréhender le pour et le contre de chaque intervention. Il serait inacceptable que le remède soit pire que le mal lui-même ! C’est un risque à ne pas négliger.

Laisser des documents pour les civilisations futures

Les chercheurs actuels souffrent cruellement du manque d'informations disponibles concernant la haute antiquité, informations qui pourraient les éclairer sur les catastrophes terrestres et d'origine cosmique du passé. Rappelons qu'aucun texte n'a expliqué clairement le cataclysme du Santorin, pourtant formidable, et qui ne date que du IIe millénaire avant notre ère. Son souvenir était déjà perdu chez les Grecs, et ne survivait que sous forme de légendes imprécises et complexes, quasiment indéchiffrables sur un plan scientifique. Les Crétois, et plus généralement la civilisation minoenne, n'ont laissé aucun témoignage sur ce cataclysme dont ils furent les principales victimes et auquel pourtant une partie non négligeable d'entre eux survécurent. On peut se demander pourquoi.

De tels documents écrits ont-ils existé ? Difficile à dire. Ont-ils été détruits ? On sait que certaines grandes bibliothèques ont été détruites inconsidérément, notamment celle d'Alexandrie. Mais de nombreux savants de l'Antiquité y ont eu accès auparavant, et aucun d'entre eux n'a parlé de textes écrits concernant le cataclysme du Santorin, ni des autres grands cataclysmes ayant eu pour cadre le Bassin méditerranéen.

Il est impératif aux yeux des scientifiques et autres intellectuels modernes de prévoir le pire (qui est bien loin d'être exclu), et de laisser à nos descendants des traces écrites de notre civilisation. On sait, d'une manière certaine, qu'un cataclysme peut détruire au cours des siècles prochains la civilisation actuelle. Mais de toute manière, il y aura des survivants qui "referont surface" et qui redémarreront très progressivement sur les ruines de cette ancienne civilisation. Ces survivants auront le droit de savoir ce qui s'est passé avant le cataclysme qui les a fait reculer de plusieurs millénaires, et qu'il a existé, avant eux, une autre civilisation avancée. Le bouche à oreille qui prévaudra les premiers temps n'aura jamais la crédibilité suffisante pour assurer la transmission exacte des informations et des connaissances détenues par les survivants, et des écarts significatifs avec la réalité existeraient dès la deuxième génération. Ce savoir, notre savoir, résumé des connaissances essentielles du monde ancien, devra être facilement accessible et compréhensible pour être utilisable par les descendants des survivants du cataclysme.

La destruction voulue de documents anciens est un crime contre l'humanité. Un crime aussi contre l'intelligence et la raison. Pour terminer ce chapitre, relisons le texte suivant dû à l'explorateur français Paul-Émile Victor (1907-1995), datant de 1981 et paru comme conclusion de l'avant-propos de la traduction française du livre de Charles Hapgood, Les cartes des anciens rois des mers (28) :

" ... Il y a deux mille ans, Jules César, au nom de la civilisation romaine, brûla Alexandrie. Avec Alexandrie disparut sa bibliothèque, unique au monde, de 500 000 volumes (on parle même d'un million...).

Il y a une décennie, Mao Tsé-toung, au nom de la civilisation chinoise communiste, fit détruire par sa révolution culturelle (culturelle... !) plusieurs centaines de milliers (on parle, là aussi, de plus d'un million) de livres uniques au monde.

C'est ainsi que disparaît toute trace des civilisations. " (29)

On sait que certains chercheurs (et notamment Charles Hapgood lui-même) ont postulé pour une civilisation ancienne relativement avancée et disparue sans laisser de traces, tout au moins de traces indiscutables, suite à un grand cataclysme géophysique qui aurait entraîné le déplacement des pôles géographiques. Cette idée, très contestée par les milieux scientifiques (et même parfois considérée comme farfelue), repose peut-être cependant sur une réalité aujourd'hui encore indéchiffrable. Pour éviter qu'une telle incertitude se reproduise dans l'avenir, il convient donc de préserver des témoignages concrets et précis de notre passage.

Faire savoir aux survivants d'un holocauste nucléaire (ou moins probablement cosmique) que nous avons vraiment existé paraît bien être une obligation minimale pour nous, pour éclairer ceux qui viendront plus tard. Dater approximativement notre passage ne devrait pas être trop difficile, il suffit de s'appuyer sur quelques événements astronomiques facilement déchiffrables. Aujourd'hui la question que toute personne raisonnable se pose est celle-ci : " Combien de temps une civilisation comme la nôtre, qui possède les armes pour se détruire, peut-elle survivre ? ". Nous avons rappelé au chapitre 18 que Platon, il y a vingt-cinq siècles, opposait déjà la raison et la mesure à la barbarie et au chaos. Le problème reste entier, mais la menace semble plus proche.

Notes

1. Il faut se rappeler que la première photographie de la face cachée de la Lune remonte à octobre 1959 seulement. C'est la sonde soviétique Luna 3 qui transmit les premiers clichés tant attendus par les astronomes et qui s'avérèrent extraordinaires dans la mesure où la face cachée est très différente de la face visible. Plus tard, quand les spécialistes furent en possession de clichés détaillés, le cratère Giordano Bruno attira l'attention par sa fraîcheur, signe d'une formation récente.

2. Il y a 800 ans : une fantastique explosion. Historia, 384, novembre 1978. Citation p. 2.

3. Rappelons que l'année julienne vaut 365,25 jours et l'année grégorienne 365,2425 jours (l'année tropique valant, elle, 365,2422 jours). L'écart vaut 0,0075 jour par an, soit 0,75 jour par siècle. Le calendrier julien avait été remis à jour en 325 au Concile de Nicée, date à laquelle les Pères de l'Église enlevèrent 4 jours au calendrier julien pour faire coïncider la date de Pâques avec l'équinoxe de printemps (le 21 mars). En 1178 l'écart entre les deux calendriers était de 7 jours (en réalité 6,65 jours). Il convient donc de rajouter 7 jours pleins au 18 premiers jours de juin 1178. La date du possible impact lunaire est donc bien le 25 juin dans notre calendrier actuel. Cette date laisse à penser que le corps céleste responsable pourrait faire partie de la grande famille d’HEPHAISTOS, au même titre que l’objet de la Tougouska en 1908.
Pour ces problèmes de correspondance de calendriers, on peut consulter le Que sais-je ? de Paul Couderc régulièrement réédité : P. Couderc, Le calendrier (PUF QS 203, 7e édition 1993) ou l’excellent livre de J.-P. Parisot et F. Suagher, Calendriers et chronologie (Masson, 1996) qui fait le tour de la question en grand détail.

4. Au fil des années, d’autres astronomes que les précurseurs de l’école catastrophiste britannique, comme Jack Hartung, admettent le bien-fondé de l’hypothèse du Complexe des Taurides et de l’origine de celui-ci.

5. J.-C. Duplessy et P. Morel, Gros temps sur la planète (Odile Jacob, 1990).

6. A. Capart et D. Capart, L'homme et les déluges (Hayez, 1986).

7. Ph. Henajeros, Quand le Soleil brille trop…, Science et Vie, 963, pp. 74-78, décembre 1997.

8. E. Thellier, Magnétisme interne (pp. 235-376 dans Géophysique (Gallimard, 1971), publié sous la direction de J. Goguel. Dans cet article d’un grand intérêt, Émile Thellier, l’un des pionniers du géomagnétisme, explique tout ce qu’il faut savoir sur le sujet.

9. G. Charpak et R.L. Garwin, Feux follets et champignons nucléaires (Odile Jacob, 1997). A noter surtout le chapitre 5 qui concerne " Les radiations et le vivant " (pp. 142-186). Citation p. 155.

10. M. Freeman, Krafft Ehricke : l’impératif extraterrestre, Fusion, 56, pp. 27-37, 1995. Un très bon article sur ce grand pionnier de l’exploration spatiale qui a compris l’un des premiers que la survie à long terme de l’espèce humaine passait par la conquête du cosmos. Ce fut le premier "philosophe" de l’espace, étonnamment très peu connu en France.

11. C. Sagan, Pale blue dot : a vision of the human future in space (Headline Book Publishing, 1995). Un grand livre de Carl Sagan (1934-1996) qui toute sa carrière a été un propagandiste de la vie dans le cosmos et qui a enseigné que l’avenir de l’homme est dans l’espace.

12. N. Prantzos, Voyages dans le futur (Seuil, 1998). Ce livre sous-titré L’aventure cosmique de l’humanité est très intéressant. Nicolas Prantzos est un astrophycien qui s’intéresse au futur de la vie et donc au futur cosmique de l’humanité. Très logiquement, il distingue les futurs proches des futurs ultimes.

13. C. Sagan, Cosmic connection ou l’appel des étoiles (Seuil, 1975). Titre original : The cosmic connection, an extraterrestrial perspective (1973). Citation p. 4 de couverture.

14. A. Louchet, La planète Mars (Masson, 1988). La planète Mars étudiée par un géographe.

15. Ph. Jamet, Faire renaître la vie sur Mars, Fusion, 63, pp. 4-23, 1996.

16. Christian Marchal est un ingénieur français de l’ONERA. L’un des premiers, il a saisi l’intérêt des NEA et de leur utilité pour viabiliser une planète comme Vénus, particulièrement inhospitalière.

17. Carl Sagan se réjouissait de vivre à l’époque de la conquête spatiale et tenait absolument à apporter sa pierre en apportant des idées originales. Dans la préface de Cosmic connection, il expliquait (p. 10) : " Après des siècles de conjectures boîteuses, de spéculation débridée, de conservatisme pesant et de désintérêt à courte vue, la notion de vie extraterrestre arrive enfin à maturité ". On doit beaucoup à ce savant prématurément disparu en 1996, à 62 ans seulement.

18. C. Sagan, Cosmic connection, op. cit., citation p. 186.

19. G. O’Neill, Les villes de l’espace (Robert Laffont, 1978). Titre original : The high frontier (1976). Ce livre classique est dû à Gerard O’Neill, un physicien américain qui fut professeur à l’université de Princeton. On lui doit le concept des "îles de l’espace". Pour lui, la colonisation de l’espace est à la portée de notre civilisation.

20. Texte de R.N. Bracewell, cité dans le livre précédent, p. 211.

21. Le système Terre-Lune compte cinq points de Lagrange, notés de L1 à L5. Les trois premiers points L1, L2 et L3 sont situés sur l’axe Terre-Lune et sont associés à des points d’équilibre instables. Les plus intéressants sont donc nettement les points L4 et L5 qui sont stables et qui forment chacun le fameux triangle équilatéral avec la Terre et la Lune (d’où évidemment une distance égale), imaginé en 1772 par le mathématicien et astronome Joseph Louis, comte de Lagrange (1736-1813). Ce n’est qu’en 1906 que les premiers astéroïdes troyens (baptisés Grecs et Troyens) furent découverts dans le ciel formant un triangle équilatorial avec Jupiter. Aujourd’hui on en connaît plusieurs centaines.

22. G. O’Neill, op. cit., citation p. 148.

23. Cité par N. Prantzos dans Voyages dans le futur, p. 21.

24. NASA, The threat of large Earth-orbit crossing astroids (U.S Government Printing Office, 1993).

25. T. Gehrels (ed.), Hazards due to comets and asteroids (University of Arizona Press, 1994).

26. A. Carusi, Astéroïdes et comètes : les menaces sur la Terre, Pour la Science, 212, pp. 90-97, 1995. Citation p. 97.

27. S. Raphaël, Feu sur les astéroïdes !, Sciences et Avenir, 606, pp. 54-57, août 1997.

28. C.H. Hapgood, Les cartes des anciens rois des mers (Ed. du Rocher, 1981). Titre original : Maps of the ancient sea kings (1966). Un livre étonnant qui a fait grincer bien des dents, mais qui pose plus de questions qu’il n’en résout. Ces cartes de Hapgood sont un véritable casse-tête, et tous ceux qui ont voulu les prendre trop à la légère ne savent pas toujours de quoi ils parlent.

29. Avant-propos de Paul-Émile Victor pour le livre précédent. Citation p. 14. La possibilité d’une civilisation de niveau minoen, beaucoup plus tôt dans l’histoire des hommes, ne paraissait pas invraisemblable à l’explorateur français, troublé par l’existence de ces fameuses cartes étudiées par Hapgood et son équipe, existence qui n’a jamais été explicitée d’une manière satisfaisante.

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