L' Aigle    (Aql)
Aquila  (ae)    (652 degrés carrés)     


    "Le Vautour, le Cygne et l'Aigle"  : trois oiseaux pour trois constellations, celles du "Triangle d'été". Trio grandiose, figure parfaite pour cet envol cosmique, cette longue migration... Les voici en route pour d'autres mondes. Nous voudrions être là-haut, avec eux, et voir la Terre d'un peu plus loin.

      L'Aigle, le plus grand, le plus beau de tous les volatiles de notre globe ensoleillé  : royal ! A nos latitudes, il n'occupe pas la région zénithale : il faut descendre vers les rives chaudes et fumantes des forêts équatoriales pour le voir circuler au faîte de l'Empyrée. Quelle grâce ! Quelle envergure ! En France, il culmine à 45° de hauteur, cinglant les airs sous cette inclinaison. Il a fixé son territoire au sud du Cygne, et sous les accords charmeurs de la Lyre. Il longe nonchalamment la Voie Lactée, rive gauche, se risquant peu dans les mailles serrées de son filet trompeur. Son oeil vif - Altaïr - surveille le Vautour à l'ouest, le Cygne à l'est. C'est lui qui dirige le vol, depuis la pointe sud, effilé, de ce triangle estival.

    Voir la constellation de l'Aigle ? Quoi de plus simple ! Il suffit de repérer trois étoiles, alignées et également espacées, la plus brillante au centre  : c'est Altaïr (Alpha), parée de deux "satellites" à l’éclat modéré. Est-ce en raison de cet alignement facile que les habitants de la mer Egée virent là un oiseau, eux qui nommèrent la constellation ? Un oeil et deux ailes ?... Peut-être... En fait, ce n'est là que la partie supérieure du rapace qui, dans sa totalité, se déploie très au sud de ses trois étoiles, s'étire jusqu'à la déclinaison -10°, alors qu'Altaïr tend vers le parallèle +10°. Ses ailes prennent naissance à l'étoile Delta, s'ouvrent vers le haut selon un angle obtus de 140° environ (voyez la carte). Envergure : 23°, du jamais vu au firmament du ciel ! Sa queue brille aux étoiles Lambda et 12 Aquilae. Majestueux !
 
    Au début du XXème siècle, on nommait encore cette constellation : "l'Aigle et Antinoüs", depuis que Ptolémée, l'auteur de l'Amalgeste, voulut immortaliser une histoire émouvante et tragique, en la transportant dans les cieux. La voici :
    Beau comme un Dieu, bon comme un ange - un bon ! - chaste de ses jeunes années, Antinoüs égayait les jours de l'empereur Hadrien - qui régna au second siècle de notre ère : de 117 à 138. Ce garçon, il l'aimait comme son fils. Quand l'avait-il rencontré ? Au cours de ses innombrables périples, de l'Euphrate à la Mauritanie.  Survint l'heure fatale, impitoyable, que tout vivant redoute... la mort  : Antinoüs, si aimable et si beau, tomba malencontreusement dans le Nil, et s'y noya. C'était en l'an de disgrâce 131 ! Drame, cauchemar !... Hadrien fut inconsolable : "Antinoüs, mon fils, mon fils !..." Des jours entiers, il fit le deuil... Son chagrin, immense, épuisa bientôt ses forces, ses membres dépérirent sous une abstinence totale... Jusqu'au jour où, appelé au chevet du César vacillant, Ptolémée eut un coup de génie  : Antinoüs a coulé dans les eaux tumultueuses du fleuve ? "Sire, n'avez-vous pas vu l'Aigle immortel le saisir de ses serres vigoureuses, et le transporter dans les demeures célestes ? Venez voir !" De son doigt intrépide, l'astronome visa la constellation de l'Aigle et ses étoiles les plus méridionales (1) . "C'est lui, immortalisé par Jupiter !" L'empereur constata. Il fut définitivement consolé lorsqu'il vit, écrit en lettres d'or, sur le globe céleste du savant, le nom de son ami. Dès lors, il voua au jeune homme un culte passionné. Pour lui, sortit de terre un temple grandiose. Une ville splendide éleva ses hauts murs vers les cieux. Son nom : Antinoüs, bine sûr !
    Les siècles et les cieux ont retenu l'histoire, jusqu'en 1930, où l'on rendit à l'Aigle un vol véritablement aérien. Plus d'Antinoüs dans ses serres. Il plane, libéré du fardeau, sur le globe argenté.

    1918  : chambardement ! Alors que sur Terre les canons se taisent - enfin ! - que la chair humaine panse ses plaies - hélas ! - une Nova jaillit dans l'Aigle. Eclatante ! De magnitude -1,4  l'éclat même de Sirius ! Voici ses coordonnées 2000 : AD =18 h 48,9 m  et Déc. = + 0° 35'. L'histoire a retenu quelques "supernovae" plus éclatantes encore - comme celle du "Crabe" dans le Taureau, en 1054, qui a gagné la magnitude -6 - mais parmi les "novae", celle-ci détient le record de luminosité. Elle porte la lettre V et le numéro 603 dans le catalogue des variables : "V603 Aquilae" . De magnitude 12 aujourd'hui, il faut un bon instrument pour la discerner.  Aucune nébulosité dans ses abords immédiats : déjà dissipée dans l'espace. De quoi s'agit-il ? D'un système double, en interaction mutuelle, composé d'une étoile rouge, de faible masse (0,40 ms) et d'une naine blanche (0,87 ms). Période du couple : 3 h 20, avec éclipse mutuelle. Je voudrais voir cela : deux étoiles au contact, ou presque ! La rouge déverse abondamment sa matière sur la naine blanche, laquelle n'apprécie guère. Cet afflux imprévu réchauffe sa surface au point d'enclencher un processus nucléaire explosif. Pendant quelques jours, l'étoile éteinte se réveille, avant de retomber dans son profond sommeil. Impossible évidemment de séparer la paire au télescope. Qui sait si "V 603 Aquilae" ne connaîtra pas d'autres flambées spectaculaires ?  Histoire à suivre...


aigle
    
    a    Alpha  Aquilae  :  Altaïr.

     a = 19 h 50 m 46 s      d = + 8° 52' 06"     Sp = A7  IV-V    T  : 8000 K    (BC  : -0,14)
     m = 0,76    M = 2,2    L = 11,2    p = 194,44    Dist  : 16,8 a-l     simple

    "Altaïr"  : "l'Aigle volant" - le nom même de la constellation en arabe. Cette étoile fut, avec Véga et 61 Cygni, l'une des premières connues pour sa distance. Elle figurait au programme de recherche de l'astronome Wilhelm Struve, qui, en 1837, annonça - le premier dans l'histoire - la découverte de trois parallaxes stellaires : celle de Véga, d'Altaïr et Delta de la Petite Ourse (la mesure de cette dernière n'est pas bonne). A six mois d'intervalle, il avait mesuré ce fameux déplacement apparent, recherché par tous les astronomes de l'époque : un angle dérisoire ! 0"181 pour Altaïr.  Un dixième de seconde, une broutille ! Oui, mais qui dit petit angle, dit distance considérable.  Altaïr se vit projetée un million de fois plus loin que le Soleil !  Vertige, étonnement, inquiétude... Etait-ce bien vrai ? Oui ! Du bout de sa lunette de 24 cm d'ouverture, Struve ne s'est pas trompé. On trouve aujourd'hui une valeur très proche : 0"194. Altaïr habite donc à 16,8 a-l  : plus de seize ans pour accomplir le voyage au gré de la lumière ! Stupeur, émotion ! Parviendra-t-on un jour à franchir ces distances cosmiques ?

    Examinons à travers nos épaisses lentilles, ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui l'oeil de l'Aigle. Il est blanc... a-t-on jamais vu iris semblable ?   11,2 soleils sortent de cette orbite. Mesurons  : 1,8 diamètre solaire. Evaluons la masse : 2 masses solaires, la densité : 0,34. Bon pied, bon oeil pour ce rapace nocturne aux ailes enluminées.
L’étoile est simple.


    g    Gamma  Aquilae  :  Tarazed.

    a = 19 h 46 m 15 s     d = +10° 36' 48"     Sp = K3 II    T  : 4200 K    (BC  : -0,8)
    m = 2,72    M = -3,03    L = 1400    p = 7,08    Dist  : 460 a-l    un compagnon

    "Tarazed"  : "le Faucon ravisseur", superbe Gerfaut des hauteurs ! Aigle ou Faucon, c’est toujours un rapace... Ravisseur de qui ? - d’Antinoüs pardi ! Autre traduction de ce nom persan  : "le Fléau de la balance". Tiens ! que vient faire cet objet dans l’Aigle ? Veut-il évoquer le fragile équilibre qui maintient contre vents et marées Altaïr et ses deux "satellites" en bon équilibre ? A bien y regarder, et depuis nos latitudes, le fléau penche vers l'est à son lever comme à son coucher.

    Et bien, moi, je vous dis que cette balance est fausse ! A moins de la voir depuis l’hémisphère sud... En effet  : l'étoile du plateau droit (ouest) vaut 9 masses solaires, alors que celle du plateau gauche "Alshaïn" (Bêta Aquilae) = Faucon ou Balance, comme vous voudrez - puisque les deux traductions existent (mot arabe d’origine persane)  : 1,6 masse solaire. C'est clair, clair comme le jour, illuminé par Tarazed : 1400 soleils nourrissent ses lampes alors que 5 soleils jaunes alimentent "Alshaïn", pas un de plus. Cette dernière ne franchit pas la barre des magnitudes réservées à notre étude  : 3,71. Quant aux grosseurs de ces deux astres, le jour et la nuit ! - 98 et 3 rayons solaires, alors que leur éclat ne diffère que d'une seule magnitude, éclat apparent bien sûr. C'est dire qu'elles n'habitent pas du tout la même région sidérale ! L'une s'est installée à 460 a-l -Tarazed -  l'autre, Alshaïn, reste campée à 45 a-l  : dix fois plus près !  Imaginez l'inverse...
     Bon vent, bonne route pour ce géant cosmique... A 132"6 de Tarazed, brille une étoile de magnitude 10,7.


    d    Delta  Aquilae  : Deneb  Okab

    a =  19 h 25 m 29 s       d = 3° 06' 53"     Sp = F0  IV-V        T  : 7500 K    (BC  : -0,1)
    m = 3,36    M = 2,43    L = 9    p = 65,05    Dist  : 50 a-l     un compagnon

    "Déneb Okab" = La "Queue de l'Aigle". Non, non, messieurs les astronomes, la queue de l'Aigle moderne n'est plus là ! Ce nom vient de l'antique oiseau qui portait Antinoüs. Vous avez délivré le jeune garçon des serres de l’Aigle, mais vous avez oublié de changer le nom des étoiles... Parlez, si vous le voulez, du "coeur du rapace"... Coeur en tout point fidèle à la tête : "Altaïr". La preuve  : l'une dit "blanc", l'autre répète : "blanc"  : même parure. La première dit  : "11 soleils dans mes feux", l’autre enchaîne  : "9 dans les miens".  Luminosité quasi semblable. Altaïr  : "1,8 soleil dans mon rayon", Deneb Okab  : "1,8 soleil dans mon rayon".  Copie conforme. L’oeil  : "2 masses solaires dans mes soutes", le coeur  : "1,8 dans les miennes"... Leur divergence, car il en est une : Altaïr vit 16,8 a-l, Delta Aquilae à 50 a-l  : "à moi les cimes !" D'où un éclat apparent fort différent.
    A 108" de cette fausse queue scintille une étoile de magnitude 10,9.

   
    z    Dzêta  Aquilae.   

    a = 19 h 05 m 24 s       d = 13° 51' 48"     Sp = B9 V    T  : 11 000 K      (BC  : -0,66)
    m = 2,99    M = 0,96    L = 35        p = 39,18    Dist  : 83 a-l     double

    Dzêta, à l'extrémité de l'aile droite – de l’aile actuelle – vit accompagnée d'une étoile très faible, de magnitude 12, à 6"5. Qu'en est-il de ce pennage qui gravit nonchalamment l'échelle de Jacob ? Il cache sous son plumage 35 soleils bleus, 2 rayons solaires, et 3 masses solaires. Densité : 0,3. Encore quelques coups d'aile, et il aura rejoint la Galaxie... ce nid douillet d’étoiles. Encore bien des années de lumière à franchir, puisque cette aile s'ébat à 83 a-l seulement.


   Thêta Aquilae.

    a = 20 h 11 m 18 s      d = 0° 49' 17"     Sp = B9 III    T  : 11 000 K     (BC  : -0,7)
    m = 3,24    M = -1,48    L = 330    p = 11,36    Dist  : 287 a-l
    Spectroscopique + un compagnon

    Thêta, à l'extrémité de l'aile gauche, la grande ! Quel spectacle lorsque nous abordons cette étoile ! Au télescope, depuis la terre, un rayon bleu perce la nuit noire, rien de plus. On détecte bien la présence d'une étoile de magnitude 12,8,  mais bien écartée  : 113"7. Approchons-nous de ce rayon perçant. Voici qu'il se dédouble, un couple apparaît dans notre champ visuel. En 17,1243 jours, les deux partenaires bouclent leur orbite, ronde éternelle, infatigable, autour de leur centre de gravité commun... Même éclat (165 soleils chacun) même grosseur (5 rs) même masse (5 ms) même couleur (bleue) pour les membres de ce duo céleste. Paire unique ! et parfaite...

    Etoiles, vous avez dit étoiles ? Considérons leur forme : elle n'a rien d'une sphère ! On dirait deux oeufs géants qui s'observent par le petit bout, ou bien deux ellipsoïdes, si toutefois les deux danseurs ont conservé une rotation sur eux-mêmes... Que voulez-vous ! Principale accusée : la distance - 42 millions de km seulement de centre à centre,  si bien qu'une forte marée se produit à leur surface... marée livrée aux pires excès. Des gerbes de feu s'échappent de part et d'autre, s'étirent, s'élancent, avant de se rejoindre dans un même rayon éclatant... Spectacle éblouissant !...

 
    l    Lambda Aquilae.

    a = 19 h 06 m 14 s     d = -4° 52' 57"     Sp = B8,5    T  : 12 000 K      (BC  : -0,76)
    m = 3,44    M = 0,5    L = 52        p = 26,05    Dist  : 125 a-l        simple

    Lambda, la queue de l'Aigle - la queue actuelle - brillamment parée de deux étoiles que l'oeil nu distingue aisément : Lambda et 12 Aquilae. La plus lumineuse brille à 125 a-l, la seconde à 149 a-l. Etre transporté vers ces lieux féeriques où règnent, à chaque escale, la beauté et la grâce, là où l'oeil n'est jamais rassasié de voir, ni l'oreille d'entendre ... ce rêve deviendra-t-il un jour réalité ?... Notre vaisseau ailé porte dans sa queue 52 soleils réunis pour 2,3 rayons solaires et 3,6 masses solaires. Densité : 0,28. Sa franche couleur bleue s'harmonise à merveille au grand large. Il fait chaud à bord : 12 000 K. De quoi prolonger longtemps notre voyage...
                                    ...alors continuons.    


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note 1 - Thêta, Eta, Iota, Kappa, Nu, Lambda